Rapport scientifique

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Rapport scientifique
MILZA Antonin
13/04/2012
Analyse scientifique : Veiller sur les
gardiens ou espionner son voisin? Quelle
extension donner au concept de
sousveillance ?
Introduction: Du Panopticon au Catopticon.
Le principe de « sousveillance » implique qu’il existe partout et à chaque instant un témoin en
mesure de capter l’information c’est-à-dire d’en faire l’acquisition et de la diffuser ensuite par ses
propres moyens sans passer par la voix habituelle et institutionnelle de la communication.
Jeremy Bentham conçoit le plan du Panopticon à la fin du XVIIIème siècle. Son travail sera par la suite
mis en valeur par Michel Foucault. Ce dernier montra que ce plan correspondait parfaitement à
l’architecture type pour décrire les sociétés dites de “surveillance”. Dans ces sociétés les hommes de
pouvoirs surveillent les autres, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas de pouvoir. C’est une surveillance du
haut vers le bas. On veille SUR les autres c’est-à-dire par au-dessus.
Voici un schéma simplifié du Panopticon de Bentham. Ce type de plan permet à la personne qui se
trouve dans la tour au centre de tout voir sans être vu.
Figure 1 : Le Panopticon de Bentham
Ce principe de Panopticon peut en fait être généralisé aux sociétés dans leur globalité. Dans ces
sociétés traditionnelles, l’information et les moyens de communications (comme les journaux par
exemple) sont contrôlés par ceux qui surveillent (par l’exemple l’Etat).
Les technologies et appareil modernes comme la biométrie, la vidéo-surveillance et la géolocalisation
avec les téléphones portables appellent à un nécessaire dépassement des concepts élaborés par
Michel Foucault. Il faut remettre en cause la question de la visibilité. Le regard ne doit plus avoir la
même importance qu’auparavant.
Dans ce débat concernant le dépassement du principe de surveillance classique, il faut se tourner
vers Jean-Gabriel Ganascia, philosophe et professeur d'informatique, cogniticien et spécialiste
d'intelligence artificielle. Il en entre autre publié "Voir et pouvoir: qui nous surveille?" aux éditions Le
Pommier. Il définit la notion nouvelle de "sousveillance" ou la vigilance qui vient d'en bas, nous
sommes tous sous le regard des autres. Pour lui en effet, dans nos sociétés actuelles telles qu’on les
connait aujourd’hui on ne peut plus parler de surveillance. Les différentes évolutions des usages et
des technologies (Internet, téléphone, réseaux sociaux, hyper connectivité etc…) ont profondément
modifié notre rapport à l’information.
En outre, pour Jean-Gabriel Ganascia « Il faut remettre en cause la question de la visibilité. Le regard
ne doit plus avoir la même importance qu’auparavant. ». Traditionnellement ce sont les hors-la-loi,
les criminelles et les marginaux qui sont surveillés par la société et l’état. Aujourd’hui les es sujets
surveillés ont changé, ce sont tous les individus de la société, « Monsieur et Madame tout le
monde » qui se surveillent entre eux.
C’est donc ce qui amène Jean-Gabriel Ganascia à définir le concept de « sousveillance » :
La sousveillance est un dépassement de la surveillance en ce qu'elle est légère, discrète,
immatérielle et omniprésente. Le “sous” de sousveillance désigne le côté le plus insidieux,
l'action de quelque chose qui travaille “par en dessous”.
C’est pourquoi il va en ce sens, réinterpréter et modifier le Panopticon pour le remettre au gout du
jour, en lui faisant intégrer ce concept de « sousveillance ». Désormais l’information et la vigilance
vient aussi d’en dessous.
Figure 2 : Graffiti inspiré du comic Watchmen
C’est ce que Jean-Gabriel Ganascia a appelé le Catopticon. Les surveillés s’approprient le pouvoir, en
captant l’information et la diffusent massivement. L’objectif est de surveiller ce qui dirige les gens,
les institutions pour ensuite arriver à une surveillance de tous par tous. Idée que l’on retrouve dans
le comic book américano-britannique « Watchmen » avec la référence à la locution latine « Quis
custodiet ipsos custodes? » c’est-à-dire « Qui garde les gardiens eux-mêmes ?
Figure 3 : Le Catopticon de Jean Gabriel Ganascia
Selon Jean-Gabriel Ganascia ce télescopage de la surveillance pour la sousveillance peut avoir autant
de conséquences positives que négatives. Positives par exemple lorsqu’il s’agit ne pratique
émancipatrice des institutions qui détenaient le pouvoir et les moyens de communications. On pense
par exemple aux révolutions arabes en Tunisie et en Egypte. On peut également se rappeler ce fait
divers de l’agression d’une adolescente de 15 ans par la police américaine lors d’une garde à vue
prise par une caméra amateur. Conséquences négatives lorsqu’elle peut s’assimiler à une pratique de
délation citoyenne ou d’attaque permanente du pouvoir.
Restitution de la controverse autour de l’exemple Copwatch
1. Qu’est que Copwatch ?
Copwatch est un réseau de militants présent États-Unis au Canada et en Europe qui
observent et documente l'activité de la police tout en recherchant des signes de mauvais
comportement, de brutalité policière ou d’abus de pouvoir. Pour ces militants la
sousveillance de l’activité de la police dans les rues est une façon de prévenir les brutalités
policières. L'objectif de Copwatch est de s'engager dans la surveillance et l'enregistrement
vidéo des activités de police dans l'intérêt de tenir la police responsable dans les
événements impliquant des agressions ou délits de la police. Copwatch a d'abord été lancé
en Berkeley, en Californie en 1990.
Le « copwatching » c'est la surveillance de la police de rue par des citoyens ordinaires. Il
s’agit de suivre, de regarder et le plus souvent de capter en vidéo des policiers dans leurs
interventions, dans un objectif de lutte contre les dérives policières et de dissuasion.
2. En quoi cet exemple est-il particulièrement sujet à controverse ? Pourquoi peut-il
nous être utile pour comprendre la controverse sur la sousveillance de manière
plus globale ?
La surveillance des surveillants est parfois résumée par le slogan "Watching Big Brother".
Pour l’écrivain de science-fiction et essayiste américain David Brin, auteur en 1998 de "The
Transparent Society", la transparence réciproque est le meilleur moyen pour garantir la
protection de la vie privée dans une société technologique. Pour lui la généralisation de la
vidéosurveillance est inéluctable. Dans les dernières décennies, la surveillance publique de
l'espace privé est devenue omniprésent. Jane Jacobs (1961), Oscar Newman (1972), et Elinor
Ostrom (1990) ont affirmé que des gens réalisant une sousveillance directement dans la rue
permettraient d'éviter des infractions mineures et de fournir une protection globale des
individus entre eux (chacun surveillant les autres). L'analyse de Jacobs peut être dans un
sens non dénuée de sens: il évoque l'image d'une femme au foyer en colère qui voit par la
fenêtre de sa cuisine une scène de violence avec son voisin. Alors elle se précipite alors pour
l’aider et avec une poêle à frire, vient frapper les fauteurs de troubles.
Mais le copwatching a-t-il un réel pouvoir dissuasif de nature à prévenir les dérives policières
? En outre, celui-ci ne mène-t-il pas vers une attaque permanente du pouvoir et un
sentiment de méfiance envers tous les policiers sans distinction ?
Pour Michaël Meyer, sociologue à l'université de Lausanne, spécialiste des relations entre
police et média, le copwatching est souvent contreproductif. Par exemple en Suisse l’état à
fournis à chaque membre des forces de l’ordre un téléphone muni d’une caméra pour filmer
si besoin. On en arrive à une situation où chacun surveille l'autre et où l’image devient à la
fois un moyen de défense et d’attaque. D’ailleurs les policiers sachant pertinemment qu’ils
risquent d’être filmer pendant leurs heures de travails, ont tendance à se réfugier dernière
un protocole et des règles strictes pour éviter le contact avec la population. Au lieu d’apaiser
la situation, d’avoir un travail de proximité avec les gens les policiers vont dorénavant faire
leur métier de manière très autoritaire en se disant que le moindre de leur geste, filmé et
donc potentiellement visible par leur hiérarchie, peut se retourner contre eux. En outre les
relations entre la population et la police au lieu de s’améliorer, se détériore fortement.
Personne ne faisant confiance à personne, un climat de méfiance de plus en plus tendu
risque de s’installer. D’ailleurs en Angleterre le copwatching a eu pour conséquence une
multiplication des caméras de vidéosurveillances pour surveiller… la surveillance des
surveillants !
Nous pouvons voir ici que l’exemple de Copwatch pose en réalité de nombreuses
interrogations. En réalité nous pensons que Copwatch nous permettra d’illustrer
concrètement et efficacement un grand nombre de points « clefs » de la controverse.
D’ailleurs l’intérêt d’étudier un exemple concret est que nous pourrons ainsi étudier les
conséquences réelles de la mise en place d’une sousveillance généralisée dans la société. En
outre, Copwatch est présent dans de nombreux pays à l’international depuis plusieurs
années (voir dizaine d’années pour l’Amérique du Nord) ce qui nous permettra d’avoir le
recul nécessaires pour en étudier les effets à moyen terme.
Nous avons « découpé » la controverse en 3 grandes problématiques :
i) Face au problème récurrent de la corruption de ceux qui nous surveillent, la
sousveillance (ou surveillance citoyenne) pourrait-elle garantir une meilleur
justice et une meilleure sécurité des citoyens ? Au contraire n’est pas un risque
de retourner dans une société à l’état de nature où chacun pourrait se faire
justice à soi-même ?
ii) La sousveillance généralisée modifie en profondeur la nature du pouvoir et du
contrôle des individus. En particulier nous verrons que nous passons d’un
contrôle à « postériori » à une inspection « à priori ». Quelles sont les
conséquences de ces transformations ? Les informations récoltées par cette
sousveillance sont-elles réellement exploitables de manière juste et objective ?
iii) Quelles sont les éléments techniques et quelle sont les innovations (technique ou
technologique) sur lesquels repose la controverse ?
Notre objectif est d’étudier ces trois grandes questions à travers l’exemple de Copwatch de manière
à comprendre par là même la controverse de manière générale.
3. « Who watches the watchmen ?» .Face au problème récurrent de la corruption de
ceux qui nous surveillent, la sousveillance (ou surveillance citoyenne) pourrait-elle
garantir une meilleur justice et une meilleure sécurité des citoyens ? Au contraire
n’est pas un risque de retourner dans une société à l’état de nature où chacun
pourrait se faire justice à soi-même ?
La surveillance connote une sorte d’omniscient systématique "des yeux-dans-le-ciel" (une
vue de Dieu). A l'inverse, la sousveillance implique l'enregistrement d'une activité par un
participant à cette activité.
La surveillance nécessite souvent le secret et le panoptisme (cf introduction). A l'inverse, la
sousveillance vise à décentraliser afin de parvenir à la transparence dans tous les sens. La
question est donc de savoir si cette sousveillance va permettre de lutter efficacement contre
la surveillance qui est faite des citoyens ? Autrement dit la sousveillance permet-elle
d’exercer un contre-pouvoir sur ceux qui le détiennent et qui nous surveillent ?
On pourrait donc voir ce contre-pouvoir comme un l’instauration d’un meilleur équilibre. Si
des gens nous surveillent et que dans le même temps nous les « sous-veillons » alors par
effet miroir et par réflexions multiples on pourrait arriver à un équilibrage des pouvoirs ?
C’est aujourd’hui une des questions qui se pose.
Il est bien connu que la surveillance peut être utilisée pour exercer un pouvoir d'influence
important pour le meilleur et pour le pire. Dans un monde équi-veillant, un meilleur
équilibre serait atteint puisque, sous son meilleur jour, la sousveillance agirait comme une
sorte de médiateur: un véhicule à travers lequel les individus pourraient exercer des plaintes
et des médiations pour des règlements équitables de manière plus efficace contre les
grandes entités et les puissants.
Cet équilibre ou « équiveillance » pour Steve Mann, professeur émérite d’électronique et
d’informatique de l’université de Toronto, pourrait potentiellement débouchée sur une
société plus libre qui mettrait l'accent sur le respect et l'équilibre du pouvoir. L’équiveillance
pourrait même aboutir à une forme plus pure de la démocratie, où le respect, la puissance et
la participation seraient partagés parmi tous les acteurs de la société.
Si l’équiveillance est un état réalisable, il y aura un équilibre entre la surveillance et la
sousveillance. Si cela se réalise, un tel équilibre se traduira par une meilleure capacité à
documenter le monde à partir d'une diversité de points de vue. D'un point de vue des
preuves, un état d'équi-veillant permettrait de mieux préserver l'intégrité des données de
surveillance contextuelle.
En réalité cette question de l’« équiveillance » (sur + sous-veillance) est aujourd’hui sujet à
controverse. Par exemple rien ne garantit à priori que l’état d’équilibre précédent soit
réalisable. Après tout pourquoi la sousveillance viendrait se placer en contre-pouvoir de la
surveillance classique ? Et si par exemple, au lieu de s’opposer, les effets s’additionnaient ?
En outre, comment un monde qui contient de plus en plus périphériques de capture et de
capteurs peut se retrouver dans un état d'équilibre en matière d’information ?
Et si cette nécessité de détruire le monopole de la surveillance en instaurant une plus grande
transparence réciproque débouchait en réalité sur un sacrifice de la vie privée ? Combattre
«le feu par le feu » ne revient-il pas en fait à réduire encore plus nos libertés individuelles ?
Concernant ces interrogations Steve Mann considère que la sousveillance est nécessaire et
qu’elle amènera à un meilleur équilibre des forces en présence. Il est optimiste sur
l’existence de cet état d’équilibre optimal. Au contraire Ian Kerr, universitaire canadien
reconnu comme un expert international en matière de droit des nouvelles technologies,
considère que la sousveillance pourrait menacer notre droit à rester anonyme.
Il sera donc très intéressant dans l’exemple de Copwatch de réfléchir plus en profondeur à
cette question d’équilibre. Concrètement Copwatch a-t-il permit un contrôle efficace des
abus de la police ou au contraire a-t-il surtout instauré un climat de méfiance généralisé. ?
Copwatch a-t-il permit de protéger nos libertés individuelles efficacement ou au contraire ne
fait-il pas plus de dégâts à notre intimité que la surveillance policière elle-même.
La « transparence réciproque » mise en place par Copwatch ne risque elle pas d’aboutir à
terme à une justice faite directement sur place publique aux yeux de tous ? Si chacun peut
s’improviser surveillant ou policier, si chacun peut juger et condamner par l’image librement,
ne risquons-t-on pas de perdre toute notion de justice ? Avant l’existence de la police ou de
la loi dans nos sociétés chacun pouvait se faire justice à soi-même et rien ne garantissait au
contraire la sécurité des citoyens. Du jour au lendemain vous pouviez être condamné et
exposé aux regards de la foule en place publique. Si effectivement il semble nécessaire
d’être particulièrement attentif aux abus de ceux qui ont du pouvoir (par exemple la police),
il faut cependant se poser la question des conséquences d’une transparence réciproque
totale. C’est ce qui va particulièrement nous intéresser dans les conséquences de Copwatch.
En effet en plus de traquer les abus et violence de la police Copwatch (et en particulier
Copwatch Ile de France) réalise un véritable fichage des policiers et de leurs vie privée. Cette
forme de « pilori numérique » est fortement dénoncé par Daniel J. Solove, professeur de
droit à l’université George Washington et expert des questions de vie privée en relation avec
les technologies de l’information et de la communication. Il exprime alors dans un article son
inquiétude vis-à-vis de ce qu’il considère comme un retour à la « Lettre écarlate » marque
qui désignait la femme adultère dans l'Amérique puritaine de l'époque coloniale. Cette
« chasse aux sorcières » ou mise au « pilori numérique » inquiète de nombreux experts qui
ont alors le sentiment qu’internet est en train de devenir un tribunal populaire…
paradoxalement hors de contrôle.
4. Copwatch modifie en profondeur la nature du pouvoir et du contrôle des individus.
En particulier nous verrons que nous passons d’un contrôle à « postériori » à une
inspection « à priori ». Quelles sont les conséquences de ces transformations ? Les
informations récoltées par cette sousveillance sont-elles réellement exploitables de
manière juste et objective ?
Revenons temporairement au concept traditionnel de surveillance afin de mieux cerner les
transformations profondes qui s’opèrent aujourd’hui. Historiquement l’objectif de la
surveillance est de capter des gestes d’individus contenant une information essentielle. Par
exemple les caméras de sécurité d’un magasin servent à repérer d’éventuels vols, de même
que la surveillance des aéroports doit permettre d’identifier rapidement des comportements
dangereux ou de nature terroristes. Dans tous les cas on voit bien que c’est l’acte singulier,
porteur d’informations utiles, qui nous intéressent. Autrement dit c’est sont les cas
l’exceptionnels ou les occurrences déviantes du comportement des individus qu’on cherche
à observer. Au contraire « tout le reste », à savoir les comportements ordinaires ou
banales, ne sont n’y étudié n’y pris en considération. Deuxièmement une autre
caractéristique forte de la surveillance est qu’elle se fait à l’insu des individus. Le voleur pris
en flagrant délit ne pensait pas avoir été surveillé lorsqu’il est passé à l’acte. C’est d’ailleurs
tout l’intérêt car les informations alors obtenu sont d’autant plus « utile » que l’individu ne
se doutait pas de sa surveillance. Si l’individu se sait observer il ne laissera paraitre que des
comportements ordinaires, soit pire il manipulera celui qui l’observe. Essayons maintenant
de comprendre comment la sousveillance modifie la nature du contrôle des individus.
Comme nous l’explique Antoinette Rouvroy, Chercheuse qualifiée du FNRS au Centre de
recherche Informatique et Droit de l’Université de Namur dans un article publié dans la
revue Multitude, la sousveillance repose sur le concept d’enregistrement. On ne se contente
plus d’observer, mais de conserver la trace de ces observations. Ces enregistrements
peuvent être effectués comme pour la surveillance, c’est à dire pas l’Etat ou par des
organismes de sécurités gouvernementaux, mais surtout ils sont fait de manière massive par
les individus eux même qui, « spontanément, volontairement ou non, conservent, publient et
multiplient leurs traces digitales ». Par exemple lorsque que l’individu publie des photos ou
des vidéos de vacances sur Facebook ou sur Youtube ils laissent une trace indélébile sur
internet de lui-même. Bien sur ces informations peuvent paraitre inutiles (quoi tirer des
vidéos de vacances de quelqu’un ?) pourtant nous allons voir que c’est spécifiquement sur
cela que repose les méthodes de contrôle et de pouvoir sous-jacentes à la sousveillance.
A ce titre Dominique Quessada ,docteur en philosophie nous rappels dans un article intitulé
« La surveillance globale, un nouveau mode de gouvernementalité » que nous connaissons
depuis 20 ans des progrès technologiques fulgurant en matière d’acquisition des données
(Smartphone, caméra miniature etc…) ainsi qu’en termes de capacité d’enregistrement et de
sauvegarde (base de données dont la capacité croit exponentiellement chaque année) ou
encore de diffusion des informations (internet haut et très haut débit, cloud computing,
réseau sociaux, réseaux de partage internationaux etc...). Pour lui ces révolutions techniques
jouent un rôle fondamental vis-à-vis des conséquences de la sousveillance. Ils y a 20 ans la
surveillance devait forcément être ponctuelle et très spécifique car il était inconcevable pour
des raisons matérielles et financières de pouvoir acquérir diffuser et stocker de l’information
en continue sur des millions d’individus. Aujourd’hui la maturité technologique à laquelle
nous sommes arrivés nous permet justement ce de concevoir ce genre de pratiques. Chaque
jour des milliers d’heures de vidéos et des centaines de milliers de photos sont publiés sur
internet.
Il faut en fait comprendre de tout cela que la sousveillance ne s’intéresse plus désormais
uniquement à des comportements exceptionnels mais au contraire à la masse des actions
banales et quotidiennes des individus. L’objectif est l’acquisition et l’enregistrement de
toutes ces informations pour en constituer in fine une base de données représentative.
D’ailleurs Copwatch ne fait pas que traquer les actes de violence abusifs des policiers, il
tente également de réaliser une base de données de tous les policiers avec une tonne
d’information personnel sur chacun d’eux (habitude, hobbies, vie personnelle et familiale
etc…). Le raisonnement est que plus « nous » avons de données sur les uns et les autres, plus
nous serons capable de comprendre, traquer et empêcher les abus et les actes illégaux.
Autrement dit toute la force de la sousveillance dans sa capacité de contrôle repose sur la
capacité à avoir des données en masse. On cherche à définir pour chaque individu une
moyenne statistique correspondant à son état « normal ». De toutes les informations
disponibles d’un individu on va alors construire une norme. L’idée est ensuite de pouvoir
détecter tout éloignement à cette norme dans les actions et le comportement de l’individu.
Autrement dit, on passe avec la sousveillance d’un contrôle à « postériori » de la population
à une inspection « à priori ». Il ne s’agit plus d’intervention ou de répression suite à un acte
de l’individu mais de soupçon (et l’éventuelle intervention préventive) préexistant à l’acte.
Dominique Quessada parle « de rupture de symétrie entre l’acte délictueux et la
« correction » infligée à son auteur, mais également de brisure de causalité temporelle ».
Pour lui « L’invisibilité règne ici encore puisqu’aucun acte délictueux n’a encore été commis
mais des signes de comportement à faible probabilité faisant signal sur le bruit de fond des
mouvements ordinaires (ordinaires : les plus statistiquement répétés) donnent l’alerte. Le
significatif peut apparaître aux systèmes de sousveillance avant même qu’ils surgissent dans
la conscience claire de celui qui va opérer l’acte. »
Cela pose donc une autre question d’ordre moral et éthique. Peut-on vraiment faire
confiance à ces données informations statistiques ? Elles pourraient en particulier être mal
interprétées. Par exemple un citoyen peut filmer ce qui lui semble être une forme de
violence abusive d’un policier envers un citoyen alors qu’en réalité il s’agissait d’un cas de
légitime défense. Il va ensuite mettre l’enregistrement de la vidéo sur internet sans
qu’aucune ne forme de procès préalable. Même dans le cas ou le policier est en réalité
innocent, ces données vont demeurer sur internet comme une « carte d’identité » du
policier en question. Se pose donc ici une nouvelle fois la légitimité de la nature des
informations recueillis par surveillance, en particulier sur le web.
Surtout, la sousveillance est par définition réalisée potentiellement par n’importe qui. On
pourrait donc très bien imaginer des situations de chantage et de manipulation : rien
n’empêche un individu d’en manipuler un autre pour le filmer et le faire condamner. Avec la
surveillance nous avons vu dans les parties précédentes qu’un problème de d’asymétrie et
de monopole de l’information se posait. Par contre les surveillants étaient sélectionnés
parmi la population : personne ne pouvait du jour au lendemain devenir policier en civile et
surveiller des criminelles. Autrement dit dans une certaine mesure nous choisissions (au
moins indirectement) nos surveillants. Avec la sousveillance les choses sont radicalement
différentes, n’importe quel citoyen peut s’improviser « gardien ». C’est ici la question de la
légitimité des « sousveillants » qui se pose. Veut-on faire confiance à n’importe qui pour
nous surveiller ? Dans l’exemple de CopWatch par exemple, ce problème est omniprésent.
Qui sont réellement les citoyens qui surveillent les policiers ? Ont-ils une quelconque
légitimité et qu’est qui les empêche de piéger les policiers pour les faires renvoyer ?
Enfin un dernier problème se pose vis-à-vis de la conscience des individus d’être
« sousveiller ». Nous avons vu que dans le cas de la surveillance les individus surveillés ne le
savent pas. Au contraire, très souvent avec la sousveillance les individus eux même diffusent
intentionnellement des informations les concernant. Rien n’empêche donc un individu de
mettre à la disposition de tous des informations pour faire croire certaines choses à ceux qui
veillent sur lui. Sachant très bien que je suis « sousveillé » de matière continue sur le web et
dans ma vie, je peux très bien choisir spécifiquement les informations que je laisse voir à
tous. D’ailleurs un policier violent sachant très bien qu’il peut être filmé à tous instant sera
encore plus prudent pour réaliser certains abus de pouvoir. Il sera alors encore plus difficile
de distinguer les « bons » policiers des « mauvais ».
5. Quelles sont les éléments techniques et quelle sont les innovations (techniques ou
technologiques) sur lesquels repose la controverse ?
Steve Mann est enseignant-chercheur à l’université de Toronto, il est spécialiste depuis de
nombreuses années du partage de l’information. Selon lui, les technologies électroniques
d’aujourd’hui (les caméras de protection, téléphone portable, webcam) qui suivent en
continu toutes les activités individuelles, et qui les mettent, éventuellement, à disposition de
tous par l’intermédiaire du web, sont à la base de l’état de « sousveillance » qui s’oppose à
l’état ancien de surveillance dans lequel quelques un disposaient de l’information sur tous. A
ce titre on peut se reporter à l’article « Sousveillance: Inventing and Using Wearable
Computing Devices for Data Collection in Surveillance Environments » parut dans la revue
Surveillance & Society.
Un informaticien Néerlandais a réussi par exemple à enregistrer les déplacements de
plusieurs individus à leur insu à partir d’une base de données des signaux émis par leurs
appareils équipés de connexion sans fil (Wifi ou Bluetooth sur les téléphones, ordinateurs et
Une évolution importante est également celle de la miniaturisation et des nanotechnologies.
Les ordinateurs « traditionnels » sont progressivement remplacer par une armée de petits
système et capteurs qu’on ne voit même plus. On retrouve ces nano-ordinateurs dans tous
les domaines de notre quotidiens : fours, frigidaires, télévisions, appareils photographiques,
livres, téléphones, lunettes, stylos, cartes de crédit, forfaits de transports… et même dans
nos corps. Bien sûr cela pourra s’avérer très pratique dans certain cas car nous n’avons
même plus besoin de penser à la technologie, elle est simplement là autour de nous. Mais
ces ordinateurs dissimulés partout nous suivent à la trace, partout : nos déplacements, nos
achats, nos visites chez le médecin se trouvent tous enregistrés et la radio-identification
(RFID) étend cette trace aux objets que nous achetons. Toutes les informations recueillis en
continue sont à l’origine de la sousveillance généralisée.
Parallèlement nous avons vu se mettre en place un développement exponentiel de la
capacité de stockage d’information des dispositifs électroniques fait pendant une croissance,
elle aussi exponentielle, du volume d’informations produites et transmises par les réseaux.
Nous n’avons jamais ni produit, ni conservé autant de traces de nos activités et notre
mémoire collective s’enfle dans des proportions inouïes. La constitution de bases de
données gigantesques contenant toutes les informations enregistrées va être extrêmement
pour l’analyse statistique des résultats.
Enfin le « web communautaire » avec les réseaux sociaux (Facebook, Twitter) et les sites de
partages (Youtube, Dailymotion) contribue énormément à la diffusion rapide de
l’information. C’est un élément essentiel de l’efficacité de la sousveillance. En quelque
heure, des millions de gens peuvent être mis au courant. Surtout cette propagation
immatériel de l’information ne peut être bloquée que très difficilement et de manière
partielle (même dans les pays dictatoriaux internet reste le meilleur moyen pour mettre au
courant les citoyens et le monde entier de la situation).
Bibliographie
[1] Ganascia, J.-G. (2009). Voir et pouvoir: qui nous surveille ? Paris: Éd. le Pommier.
[2] Dominique Quessada « De la sousveillance », Multitudes 1/2010 (n° 40), p. 54-59.
URL : www.cairn.info/revue-multitudes-2010-1-page-54.htm.
DOI : 10.3917/mult.040.0054.
[3] Le nouveau paradigme de la surveillance », Multitudes 1/2010 (n° 40), p. 60-66.
URL : www.cairn.info/revue-multitudes-2010-1-page-60.htm.
DOI : 10.3917/mult.040.0060.
[4] Dominique Quessada et Éric Sadin « Big Brother n'existe pas, il est partout », Multitudes
1/2010 (n° 40), p. 78-87.
URL : www.cairn.info/revue-multitudes-2010-1-page-78.htm.
DOI : 10.3917/mult.040.0078.
[5] Frédéric Neyrat « Avant-propos sur les sociétés de clairvoyance », Multitudes 1/2010 (n°
40), p. 104-111.
URL : www.cairn.info/revue-multitudes-2010-1-page-104.htm.
DOI : 10.3917/mult.040.0104.
[6] Revue Problèmes politiques et sociaux, n°988, "Contrôle s et surveillance dans le
cyberespace" 2011, http://doc.sciencespolyon.fr/Signal/index.php?r=numero/view&id=20975
[7] Revue Surveillance & Society, et notamment ce numéro
http://library.queensu.ca/ojs/index.php/surveillance-and-society/issue/view/Foucault qui
comprend l'article de Mann & al. sur la sousveillance
[8] Ian Kerr et Steve Mann. « Exploring Équiveillance »
http://www.anonequity.org/weblog/archives/2006/01/exploring_equiv_1.php
[9] LeMonde.fr, 14/10/2011, «La justice interdit le site web Copwatch»
http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/10/14/la-justice-interdit-le-site-webcopwatch_1588162_3224.html
[10] Renaud Francou et Arnaud Belleil. « Pilori Numérique »
http://www.identitesactives.net/?q=lexique-terme19-pilori-numerique
[11] SiliconManiacs, 22/12/2010, «Wikileaks ou l’agence de sousveillance du peuple.
Entretien avec J.G. Ganascia.» http://www.siliconmaniacs.org/wikileaks-ou-lagence-de%C2%AB-sousveillance-%C2%BB-du-peuple/
[12] Renaud Francou et Arnaud Belleil. « Sousveillance »
http://www.identitesactives.net/?q=lexique-terme23-sousveillance
[13] Aubert, H. (2011), « Rfid technology for human implant devices », Comptes rendus à
l'Académie des Sciences, Special issue on nanosciences/nanotechnologies.
[14 ] Avoine, G. & Oechslin, P. (2003), Rfid traceability: A multilayer problem, Technical
report, EPFL, Lausanne, Switzerland. [On-line]. Disponible à l'adresse suivante :
http://fc05.ifca.ai/p11.pdf,

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