Une voix venant d`en haut

Transcription

Une voix venant d`en haut
Rêverie Organisée
Montage par Paul-Léo FIGEROU
A partir des extraits de textes de NADJA par André BRETON, Plumards, de cheval de Groucho MARX,
Limericks par Edward LEAR, Hebdromadaires par Jacques PREVERT et André POZNER,
Le désir attrapé par la Queue de Pablo PICASSO. Ainsi que des citations de Jacques NICHET.
Comédiens et Personnages : (Dans l’ordre d’apparition)
Kevin : une 1ère voix, garçon d’étage, un porteur d’eau (Pozner & Breton)
Lucie : une 2ème voix, un 3è personnage, le silence, un cadre
Elvire : un 1er personnage, bout rond, un cadre, la cousine
Baptiste : Groucho(l’homme du lit), Prévert
Julie : un 2ème personnage, Tarte, un cadre
Youna : une 3ème voix, Nadja
Montage des textes :
Une première voix (venant d’en haut) Kevin
«Je me souviens que dans le programme du Rêve de d’Alembert, il était écrit sous le portrait de Diderot :
Une deuxième Voix Lucie
« Il est toujours comme un homme qui rêve et qui croit toujours ce qu’il a rêvé. »
Un premier Personnage (traversant la salle parmi les invités) Elvire
(Un piano joue)
« Il était un vieillard de la ville de Reims, dont le corps paraissait anormalement mince ; Un jour par accident, Il
fut incorporé dans la pâte d’un flan. Et au four l’on cuisit ce vieil homme de Reims. »
Homme du lit, Groucho (Se réveille en sursaut) Baptiste
« Il y a ce que l’on peut faire dans un lit, et le reste. Le reste ne vaut pas cher » (se rendort)
Un deuxième Personnage (traversant la salle par mis les invités) Julie
« Il était un vieillard, natif de bourg en Bresse, Qui avait une sainte horreur de la vitesse ; Il se rendit un jour
à Nantes, A califourchon sur une tortue géante, Ce lunaire vieillard, natif de Bourg-en-Bresse. »
Homme du lit, Groucho (se réveille en sursaut) Baptiste
« On voit des vedettes se marier dans des avions, des studios de radio, en prison, dans des piscines, partout,
mais vous ne trouverez jamais personne qui se soit marié dans un lit. Non pas que ce soit une mauvaise idée,
certes, mais je préfère changer de sujet par ce que tout le monde n’a pas l’esprit aussi bien tourné que vous
et moi. »
Un troisième Personnage (traversant la salle parmi les invités) Lucie
« Il y avait une jeune dame, à Grenade, De qui la soupe était excessivement froide; A l’aide d’un peu de
pétrole, Elle le fit chauffer dans une casserole, Cette très inventive dame de Grenade. »
3 personnages (entrent, réveillant une fois de plus Groucho)
Bout rond (Elvire), Tarte (Julie), Le silence (Lucie)
Groucho
« Un moment, un moment. »
Bout rond (Elvire)
« Inutile, inutile. »
La Tarte (Julie)
« Mais enfin, mais enfin, un peu de calme et laissez-moi parler. »
Bout rond
« Bien. »
Groucho
« Bien, bien. »
Le chien en bois « Guouap Guouap »
Bout rond (Elvire)
« Je voulais dire que si nous voulons nous entendre enfin au sujet du prix des meubles et de la
location de la villa, il faudrait, et d’un absolu parfait accord, déshabiller tout de suite le silence de son
complet et le mettre nu dans la soupe qui, entre parenthèses, commence à refroidir à une vitesse folle. »
La tarte
« Je demande la parole »
Groucho
« Moi aussi moi aussi.
Le silence (Julie) « Voulez-vous vous taire. »
Groucho
« Le choix de cet hôtel comme lieu de rendez-vous et place publique du champ clos à faire de
cet endroit n’est pas encore fait et nous devons examiner au microscope d’abord, parcelle à parcelle, les poils follets
du sujet encore bien indécis. »
Bout rond «Ne vous cachez pas adroitement derrière le derrière de l’histoire qui tant nous intéresse et nous
chagrine ; le choix des témoins est fait et bien fait, nom d’une trique ! Et à nous tous nous arriverons bien à
découper la forme sur l’ombre portée du compte à régler au propriétaire. »
Le silence (enlevant ses habits)
« Qu’il fait chaud, nom de Dieu ! »
Le silence
« Ah ! Que je m’ennuie… »
Bout rond
« Tais-toi on est en visite »
Groucho
« Au dodo, au dodo. Savez-vous l’heure qu’il est ? Deux heures un quart. »
Une 3è voix (venant d’en haut) Youna
« Je me souviens de la phrase d’Héraclite : « L’homme dans son sommeil travaille au devenir du monde »
(On frappe à la porte) Kevin
Groucho
« Qui est-ce ?… »
Garçon d’étage (Kevin) « C’est une lettre pour vous, Monsieur. »
Groucho
« Glissez-la sous la porte. »
Garçon d’étage « Je ne peux pas la glisser sous la porte, monsieur, elle est sur un plateau. »
Groucho (sous la couette)
« Personnellement, lorsque je compte des moutons, je fais très attention de ne pas faire entrer les
loups dans la bergerie. D’ailleurs je ne comprendrai jamais pourquoi les gens laissent entrer les loups
dans les bergeries— même si je vivais jusqu’à cent vingt-huit ans et demi (et avec tous les rhumes que
j’attrape ce serait un fameux exploit). Parce qu’enfin, ils ont des fourrures, les loups ! Des fourrures
chaudes, épaisses. Du loup !… Et quand on pense à ces malheureux gamins de Brooklyn qui n’ont rien à
se mettre sur les fesses, ou à ces pauvres biquets de la Caroline (du Nord) qui vont nu-pieds dans les
montagnes, à tous ces petits poulets, partout, qui ne savent pas où percher, toute cette sollicitude dont on
entoure les loups, cette façon de les bichonner, de les dorloter… Non, c’est révoltant ! Profondément.
Car quoi, pourquoi le loup est-il ainsi ! Monté en flèche ? Quels services a-t-il rendus à l’humanité ?…—
à part, si l’on veut, le charmant petit conte du chaperon rouge. Et encore !… Ce n’est pas lui qui l’a écrit.
Notez bien ; je n’ai rien contre le loup en tant que loup, n’est-ce pas. Du reste je compte parmi mes amis
les plus proches M. et Mme Loulou Wolfe, de Memphis— mais un écrivain qui se respecte ne doit jamais
lâcher la bride à ses sentiments personnels et laisser ses émotions intimes altérer la clairvoyance de son
jugement. J’espère que vous aurez tout cela bien présent à l’esprit, ce soir, en comptant vos moutons.»
Un 4è Personnage (traversant la salle par mis les invités) Yuna
(Penser air de piano sur chaque limericks)
« Il était un vieillard, habitant de Pornic, qui disait « Tic Tic Tic, Tic tic, Pic pic pic, pic pic pic, picpuce » Et jamais il n’en disait plus, ce vieillard laconique, habitant de Pornic. »
Quelques heures plus tard de nouveaux coups violents sonores sur la porte (Kevin)
Garçon d’étage
Groucho
Garçon d’étage
« Il est 6 heures, monsieur.
« Mais j’ai demandé qu’on m’appelle à 10 heures » (hurle)
« Justement monsieur, je frappais pour vous dire qu’il vous reste encore quatre heures à dormir. »
Entre de nouveaux 3 personnages (Tarte, Le silence, Bout rond)
Tarte
«Bien lavés, bien rincés, nets, nous sommes des miroirs de nous-même et prêts à recommencer
demain et tous les jours le même manège. »
Bout rond
« La tarte je te vois. »
Le silence
« Je te vois »
Groucho
« Je te vois je te vois coquine »
Bout rond
« Tu as la jambe bien faite et le nombril bien tourné, la taille fine et les nichons parfaits, l’arcade
sourcilière affolante, et ta bouche est un nid de fleurs, tes hanches un sofa, et le strapontin de ton ventre une loge aux
courses de taureaux aux arènes de Nîmes, tes fesses un plat de cassoulet, et tes bras une soupe d’ailerons de requins,
et ton et ton nid d’hirondelles encore le feu d’une soupe aux nids d’hirondelles. Mais mon chou, mon canard et mon
loup, je m’affole, je m’affole, je m’affole, je m’affole. »
Le silence
« Vieille putain ! Petite grue ! »
Groucho
« Où vous croyez vous, cher ami, à la maison ou au bordel ? »
Le silence
« Si vous continuez, je ne lave plus et je m’en vais. »
Tarte
« Où est mon savon ? Mon savon ? Mon savon ?
Bout rond
« La coquine ! »
Groucho
« Oui la coquine ! »
Tarte
« Il sent bon ce savon, il sent bon ce savon. »
Groucho
« Je t’en foutrai du savon qui sent bon ! »
Bout rond
« Belle enfant veux-tu que je te frotte ? »
Groucho
« Quelle garce ! »
(Entre) une fille, Yuna
«Je me souviens qu’un soir où je m’étais trompé d’horaire, attiré par les voix et les lumières,
j’étais entré sur scène en pleine représentation. »
(Entre) un porteur d’eau, Kevin
« On m’a conté naguère une si stupide une si sombre, une si émouvante histoire. Un monsieur se
présente un jour dans un hôtel et demande à louer une chambre. Ce sera le numéro 35. En descendant,
quelques minutes plus tard, et tout en remettant la clé au bureau : « excusez-moi, je n’ai aucune mémoire.
Si vous permettez, chaque vois que je rentrerai, je vous dirai mon nom : Monsieur Delouit. Et chaque fois
vous me répéterez le numéro de ma chambre—très bien monsieur. » Très peu de temps après il revient,
entrouvre la porte du bureau : « Monsieur Delouit.—C’est le numéro 35,—Merci. » Une minute plus tard,
un homme extraordinairement agité, les vêtements couverts de boue, ensanglanté et n’ayant presque plus
figure humaine, s’adresse au bureau « Monsieur Delouit,—Comment, Monsieur Delouit ? Il ne faut pas
nous la faire. Monsieur Delouit vient de monter.— Pardon, c’est moi… Je viens de tomber par la fenêtre.
Le numéro de ma chambre, s’il vous plait ? »
Un détachement de cadres entre, marche immobilisée, Gauche, droite ! Gauche, droite ! Gauche, droite ! Et il
marque le pas, le pas qui n’avance pas. (Les 3 filles, Julie Elvire & Lucie en tenue smoking)
Un cadre (les filles) « Alerte, un porteur d’eau. »
Un autre
« Où, vas-tu ? »
Le porteur d’eau (Kevin) « Est-ce que je sais ? N’importe où c’est en feu, en larmes et en sang. Le soleil se tait, la
mer se retire, écœurée, la pluie, c’est de la boue, le jour est sale et déchiré. N’avez-vous jamais songé au plaisir des
arbres, à la joie des plantes quand la vraie pluie tombait ? »
Un cadre
« Vous êtes jardinier ? » `
Porteur d’eau
« J’étais ! Et maintenant je ne suis plus qu’une machine à déplorer le temps. »
Un des cadres
« Sur le porteur d’eau, feu à volonté ! (Le porteur tombe, le seau roule à terre, un cadre s’approche
pour le coup de grâce.)
Cadre
« Mais il est vide, le seau ! » `
Porteur d’eau
« Pas tout à fait. »
(Il meurt. Le cadre donne le coup de grâce et reprend sa place.
« Gauche, Droite ! »
Un cadre
« Qu’est-ce que c’était ? »
Groucho (se réveillant encore une fois)
« Rien. Un illuminé. Et, comme on disait autrefois un cerveau brûlé. Les Cadres (ensemble)
« Gauche, droite ! Gauche droite ! Droite ! Droite ! Droite ! Droite ! »
Le porteur d’eau
« Et c’est toujours le pied droit qui a le dernier mot. »
Entre NADJA (Yuna) venant vers le porteur d’eau à terre.
« Il y a de braves gens. »
Le porteur d’eau « Mais non. Il ne s’agit d’ailleurs pas de cela. Ces gens ne sauraient être intéressants dans la
mesure où ils supportent le travail, avec ou non toutes les autres misères. Comment cela les élèverait-il si la révolte
n’est pas en eux la plus forte ? A cet instant, vous les voyez, du reste, et ils ne vous voient pas. Je hais, moi, de toutes
mes forces, cet asservissement qu’on veut me faire valoir. Je plains l’homme d’y être condamné, de ne pouvoir en
général s’y soustraire, mais ce n’est pas la dureté de sa peine qui me dispose en sa faveur, c’est et ce ne saurait être
que la vigueur de sa protestation. Je sais qu’à un four d’usine, ou devant une de ces machines inexorables qui
s’imposent tout le jour, à quelques secondes d’intervalle, la répétition du même geste, où partout ailleurs sous les
ordres les moins acceptables, ou en cellule, ou devant un peloton d’exécution, on peut encore se sentir libre mais ce
n’est pas le martyre qu’on subit qui crée cette liberté. Elle est, je le veux bien, un désenchaînement perpétuel : encore
pour que ce désenchaînement soit possible, constamment possible, faut-il que les chaînes ne nous écrasent pas,
comme elles font de beaucoup de ceux dont vous parlez. Mais elle est aussi, et peut-être humainement bien
davantage, la plus ou moins longue mais la merveilleuse suite de pas qu’il est permis à l’homme de faire
désenchaîné. Ces pas, les supposez-vous capables de les faire ? En ont-ils le temps, seulement ? En ont-ils le cœur ?
De braves comme ceux qui se sont fait tuer à la guerre, n’est-ce pas ? Tranchons-en, des héros : beaucoup de
malheureux et quelques pauvres imbéciles. Pour moi, je l’avoue, ces pas sont tout. Où vont-ils, voilà la véritable
question. Ils finiront bien par dessiner une route et sur cette route, qui sait si n’apparaîtra pas le moyen de
désenchaîner ceux qui n’ont pu suivre ? C’est seulement alors qu’il conviendra de s’attarder un peu, sans toutefois
revenir en arrière. »
(Voix venant du lit), Groucho
« En tout cas il me suffit de prendre à témoin les rapports d’assurance pour vous convaincre que
personne, jamais, n’a été renversé par un camion dans son lit. Personne n’a jamais été porté disparu au lit— sauf
peut-être ces jeunes gens qui font leur voyage de noces à Omaha, et même eux on les a toujours retrouvés dans
les trois jours, sains et saufs. Peut-on affirmer dès lors, messieurs, que les lits sont dangereux ? Allons, soyons
honnêtes avec nous-mêmes. Soyons honnêtes avec le lit. Souvenez-vous que le lit ne peut pas parler. Il lui arrive
de couiner mais ça n’est pas la même chose. »
Nadja (reprenant)
« Tant pis. Mais… et cette grande idée ? J'avais si bien commencé tout à l'heure à la voir. C'était vraiment
une étoile, une étoile vers laquelle vous alliez. Vous ne pouviez manquer d'arriver à cette étoile. A vous entendre
parler, je sentais que rien ne vous en empêcherait : rien pas même moi… Vous ne pourrez jamais voir cette étoile
comme je la voyais. Vous ne comprenez pas : elle est comme le cœur d’une fleur sans cœur. »
(pendant que Nadja parle, entre La tarte qui s’approche du lit)
Porteur d’eau et Groucho (qui se réveille à nouveau) en même temps
« Qui êtes-vous ? »
Nadja
« Je suis l’âme errante. »
(Entrent) Le silence & la Cousine
Le silence et la cousine (Lucie et Elvire)
« Olala… On vous apporte des crevettes ! Olala… Olala… On vous apporte des crevettes ! »
Groucho « C’est charmant : on est en train d’en foutre un coup et vous venez nous déranger avec vos sales
crevettes. Que voulez-vous, le silence, et toi, cousine, qu’on foute de vos crevettes ?
La cousine (Elvire)
« Des crevettes roses ! Des bouquets ! Vous appelez ça « Nos sales crevettes » ! On est gentil, on pense à
vous, et vous nous engueulez. Ce n’est pas chic. »
Le silence « Moi ça m’apprendra, la prochaine fois, à t’offrir des crevettes. »
Groucho « Non mais des fois…. »
La cousine « Toi, la tarte, de ce pas je vais lui raconter tout, à ta mère. C’est du joli et du beau ! Toute nue devant un
monsieur, un écrivain, un poète… Et toute nue avec des bas, c’est peut-être très littéraire et très cochon, mais ça ne
fait pas ni Vénus ni muse ni le genre qui convient à une jeune fille qui se respecte. Et que va dire ta mère quand elle
certainement apprendra, ce soir au lavoir, ta déplorable conduite dévergondée de fille publique traînée dans l’égout
du studio artistique de Gros pied par des désirs lubriques ?
La tarte (Julie)
« Cousine, tu dépasses les règles… Et à propos, as-tu du coton ou prête-moi ton mouchoir ? Je vais
m’arranger et je sors. Je m’en vais. Je rentre à la maison. Vraiment, cet homme est un cochon, un pervers, un raffiné
et un juif. » (Elle s’en va)
Groucho
« Maintenant que la tarte est partie, écoutez-moi. Cette fille est folle et cherche à nous monter le coup
avec ses manigances maniérées de princesse. Je l’aime, bien entendu, et elle me plaît. Mais de ça à faire d’elle ma
femme, ma muse ou ma Vénus, il y a encore un long et difficile chemin à peigner. Si sa beauté m’excite et sa
puanteur m’affole, sa façon de manger à table, de s’habiller et ses manières si maniérées m’emmerdent. Maintenant,
dites-moi franchement vos pensées. Je vous écoute. Toi, Cousine, qu’en penses-tu ?
La cousine
« Je la connais très bien, ton amie. Nous avons été côte à côte à l’école pendant quelques années. Et je
t’assure qu’en classe sa conduite fut pour nous toutes tenues pour exemplaire. Si elle était couverte de boutons, bien
entendu je le sais, ça n’était pas sa faute, mais du manque de diverses matières grasses et du laisser-aller d’une fille
abandonnée à ses instincts. Très sale de son corps, dépeignée, sentant mille mauvaises odeurs et endormie. Dans son
court tablier noir, ses grosses savates et sa tricotée pèlerine, tous les hommes—Les vieux ouvriers, les jeunes et des
messieurs—à leurs regards nous apercevions bien les feux et les chandelles allumées devant l’image dévastatrice
c’elle qu’ils emportaient, brûlant dans leurs mains cachées dans leur braguette le pur diamant de la fontaine de
jouvence.
Le silence « Cette gosse avait pour moi la saveur d’un bâton angélique. »
La cousine « Maintenant y’a pas à dire ! La Tarte est une grande et bien belle fille. »
Groucho « Son corps est une nuit d’été bondée de la lumière et des parfums des jasmins et des étoiles. »
Le Silence « Elle te plaît, Gros pied. Gros pied, c’est ton affaire. Si elle te plaît, tout va bien, et à toi le bonheur et les
emmerdements. Bon courage ! Je vous bénis. Et bonne et longue chance ! Tu viens, la Cousine ? On s’en va. Eh !
Gros pied, sans rancune… Dans crevettes, n’oublie pas, surtout, de mettre un gros morceau de couenne de lard, du
persil et un bon verre de lait d’ânesse. »
La cousine
« …Soir, Gros pied ! (Ils sortent)
Groucho « Quelle bande de pitoyable cons ! (il se couche sur le lit et se remet à écrire, lecture..)
« le bleu mou de l’archet qui couvre de son voile de dentelles les roses du corps nu de l’amarante du champs d’avoine
éponge goutte à goutte la charge des petits grelots des épaules du jaune citron battant des ailes. Les demoiselles
d’Avignon ont déjà trente-trois longues années de rente »
La tarte (revient)
« Comment ils sont partis ? Sans dire un pot. A L’anglaise. Veux-tu que je te dise, tous ces gens me
dégoûtent ! Moi, je n’aime que toi. Mais il faudra être très sage, mon gros tout. Maintenant que je suis vraiment
vierge, je m’en vais tout de suite poser les affiches lumineuses de mes sens à la portée de tous et faire mon beurre
d’amour aux halles centrales. (Elle l’embrasse et part.)
Groucho (étendu sur le lit)
« Je porte dans ma poche percée le parapluie en sucre candi des angles déployés de la lumières noire du
soleil. »
(Entre) Pozner Kevin
Pozner
« Vous vous servez beaucoup des faits divers, pour écrire ? »
Prevert (Groucho)
« Non. Oui. Mais la vie, c’est des faits divers. Plus ou moins sanglants. Si une chose m’intéresse, je la
découpe, je la mets quelque part. Après, je la retrouve, ce qui me permet de m’en servir. »
Pozner
« un drôle de terme, fait divers ! »
Prevert
« C’est jolie, d’ailleurs. Fée d’hiver, magicien du printemps, on peut tout faire là-dessus. Généralement,
c’est plutôt les méfaits divers.
Pozner (apercevant des papiers...) « C’est un poème ? »
Prevert
« Non. On appelle ça un poème, je n’ai jamais compris, pourquoi un poème est-il un poème ? »
Pozner
« Tout le monde, même Larousse, vous appelle poète. »
Prevert
« On m’appelle poète, je n’y peux rien, moi, je n’ai jamais eu une carte de visite avec marqué poète. Il y a
tellement de poètes ! Moi, je ne sais pas, je peux répondre ce que je réponds toujours, Garcia Lorca à répondu « La
poésie, je ne sais pas ce que c’est » et Henri Michaux a dit « La poésie, je n’en sais rien » et puis on est obligé de se
répéter, c’est embêtant, c’est toujours pareil, aujourd’hui c’est la poésie, est-ce qu’une chanson est poétique ou non ?
Qu’est-ce que c’est, poétique ? Ce sont des discussions analogues à celles d’autrefois, quand l’abbé Brémond faisait
un traité sur la poésie pure ! Chacun à ses idées. Il y a un nom plus marrant encore : concept ! La conception est
toujours immaculée, souvent inoculée. Il y a des choses, plutôt que d’en parler, il vaut mieux les faire. (il se tait puis
dit)— La poésie, c’est ce qu’on rêve, ce qu’on imagine, ce qu’on désire et ce qui arrive, souvent. La poésie est
partout comme Dieu n’est nulle part. La poésie, c’est un des plus vrais, un des plus utiles surnoms de la vie. »
Nadja (entre à nouveau par derrière Pozner et lui met les mains sur les yeux. Groucho, lui se glisse sous la couette.
« Un jeu : Dis quelque chose. Ferme les yeux et dis quelque chose. N’importe, un chiffre, un prénom.
Comme ceci (elle ferme les yeux) : Deux, deux quoi ? Deux femmes. Comment sont ces femmes ? En noir. Où
se trouvent-elles ? Dans un parc… Et puis que font-elles ? Allons, c’est si facile, pourquoi ne veux-tu pas jouer ?
Eh bien moi, c’est ainsi que je me parle quand je suis seule, que je me raconte toutes sortes d’histoires. Et pas
seulement de vaines histoires : c’est même entièrement de cette façon que je vis. »
Porteur d’eau Pozner (Kevin)
« Mais selon moi tous les intervenants sont arbitraires. Je continue à ne pas voir pourquoi on priverait un
être humain de liberté. Ils ont enfermé Sade, ils ont enfermé Nietzsche ; ils ont enfermé Baudelaire. Le procédé
qui consiste à venir vous surprendre la nuit, à vous passer la camisole de force ou de toute autre manière à vous
maîtriser, vaut celui de la police, qui consiste à vous glisser un revolver dans la poche. Je sais que si j’étais fou,
et depuis quelques jours interné, je profiterais d’une rémission qui me laisserait mon délire pour assassiner avec
froideur un de ceux, le médecin de préférence, qui me tomberaient sous la main. J’y gagnerais au moins de
prendre place, comme les agités, dans un compartiment seul. On me ficherait peut être la paix. »
Groucho (sous la couette)
« Je n’ai connu qu’un homme qui ait aimé les lits plus que moi. J’ai recueilli son histoire sur ses propres
lèvres huit jours exactement avant qu’il soit pendu. Ah c’était beau, c’était grand, l’amour que ce bonhomme
portait à son bon vieux plumard ! L’entrée de son lit était rigoureusement interdite à toute personne étrangère.
Jamais il n’aurait souffert que qui que ce soit pût y dormir… Et voilà qu’un jour en rentrant chez lui, il trouve un
inconnu couché dedans. Il le tua net d’un coup de revolver « Que ma femme fût dans le lit, n’est ce pas cela
m’était assez égal, m’expliqua-t-il plus tard. Après tout, elle fait partie de la famille. Mais c’est cet individu : je
ne l’avais jamais vu de ma vie, moi, ce type-là ! » A ma connaissance c’est le seul exemple dans l’histoire où un
homme a aimé son lit jusqu’à la corde. »
Nadja
« Que veux-tu, (riant) l’argent me fuit. D’ailleurs, maintenant, tout est perdu. Une seule fois, je me suis
trouvée en possession de vingt-cinq mille francs, que mon ami m’avait laissés. On m’a assuré qu’en quelques jours il
m’était très facile de tripler cette somme, à condition d’aller l’échanger à la Haye contre de la cocaïne. On m’a confié
trente-cinq autres mille francs destinées au même usage. L’opération s’est très bien effectuée. Deux jours plus tard je
ramenais près de deux kilos de drogue dans mon sac. Le voyage avait lieu dans les meilleures conditions. Pourtant,
en descendant du train, j’entends comme une voix me dire : Tu ne passeras pas. Je suis à peine sur le quai qu’un
monsieur, tout à fait inconnu, se porte à ma rencontre. " Pardon me dit-il, c'est bien à Mademoiselle D... que j'ai
l'honneur de vous parler ? —oui mais pardonnez-moi, je ne sais…—Aucune importance, Mademoiselle, voici ma
carte » et il me conduit au poste de police. Là, on me demande ce que j’ai dans mon sac. Je le dis, naturellement, tout
en l’ouvrant. Voilà. On m’a relâchée le jour même, sur l’intervention, d’un ami, avocat ou juge nommée G… On ne
m’en a pas demandé d’avantage et moi-même, tant j’étais émue, j’ai oublié de signaler que tout n’était pas dans mon
sac. Qu’il fallait aussi chercher sous le ruban de mon chapeau ? Mais ce qu’on eût n’en valait pas la peine. Je l’ai
gardé pour moi. Je te jure que depuis longtemps c’est fini. »
Groucho (reprenant toujours complètement décalé sous la couette)
« Il est stupide de regarder sous le lit. Si votre femme à un visiteur, il se cache probablement dans la
penderie. J’ai connu un homme qui trouvait tellement de monde dans sa garde-robe qu’il fut obligé de demandé
le divorce pour faire de la place à ses habits »
Personnages (traversant la salle parmi les invités, Elvire Julie et Lucie (en même temps)
« Il était une dame âgée, à Saint-Nazaire, Qui fréquentait les grands abîmes de la mer ; Elle y allait porter
à manger aux poissons A qui elle faisait réciter leur leçons ; Puis, à la nage, elle regagnait Saint-Nazaire. »
Homme du lit,Groucho, (Se réveille en sursaut) Baptiste
`
« Il y a ce que l’on peut faire dans un lit, et le reste. Le reste ne vaut pas cher » (se rendort)
L’ensemble des comédiens est au chevet du lit, fin. Piano

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