Novembre 1942 Barbouzes de tout poil

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Novembre 1942 Barbouzes de tout poil
Novembre 1942
3 – La lutte politique
Barbouzes de tout poil
3 novembre
Contre-coup tordu
Alger – Le mois d’octobre a vu la mort de trois autres parlementaires (Henri Boulay, Amédée
Delaunay et Jean Thureau-Dangin), portant à 19 le nombre d’Elus de la République remplacés
par des suppléants souvent de rencontre. Alors que la Droite presse la Commission
Constitutionnelle Consultative de rendre son rapport, un article publié dans Le Monde va
changer la donne.
L’article révèle que Pierre Taittinger, l’une des principales voix de la Droite à l’Assemblée, a
rencontré quelques jours plus tôt un dénommé Victor Arrighi. Ancien membre du PC, Arrighi
était devenu le délégué du PPF de Doriot en Algérie de 1936 à 1938. Il a certes quitté le PPF,
mais il est resté très proche de la “communauté PPF”, toujours assez nombreuse chez les plus
riches des colons algériens (les successeurs de ceux qui, en 1898, avaient élu député Edouard
Drumont). Fin 1940, une enquête sur lui n’avait rien donné.
Selon l’article du Monde, Arrighi, prétendant pouvoir réunir autour de lui de nombreux
électeurs, colons et ex-militants PPF, a depuis quelques mois rencontré à plusieurs reprises
Taittinger pour passer un accord avec les conservateurs de l’Assemblée Nationale.
Bénéficiant de ces voix (malgré tout hypothétiques), les conservateurs pourraient remporter
d’éventuelles élections en Algérie et obtenir une place plus importante au sein du
gouvernement et dans les organes décisionnels. Arrighi y gagnerait une réhabilitation pleine et
entière après la guerre – mais Le Monde laisse entendre qu’il joue sur deux tableaux et qu’il a
encore des liens outre-Méditerranée, avec Doriot, ainsi que de nombreux contacts parmi des
officiers proches, avant-guerre, de l’extrême-droite.
La publication de l’article du Monde sera suivie par la défection, à l’Assemblée, de la plupart
des soutiens des ultra-conservateurs. Du coup, Taittinger et Becquart seront obligés de se faire
nettement plus discrets. Quelques semaines plus tard, la CCC rendra avec l’approbation
(presque) générale un avis concluant au maintien du remplacement des élus décédés.
Jouant de la carotte après ce coup de bâton, le gouvernement – après une nouvelle
consultation de la CCC – proposera l’organisation d’élections au printemps 1943 dans les
territoires français non occupés n’ayant pas de représentants à l’Assemblée, au nom du
rassemblement de tout l’Empire pour la cause de la Victoire. Le collège électoral fera une
large place aux familles des « Indigènes » ayant soutenu l’effort de guerre. La proposition
sera adoptée à une large majorité, d’autant plus que ces nouveaux élus à l’Assemblée ne
devant être qu’en nombre limité, leur arrivée modifiera fort peu les équilibres politiques.
Pierre Taittinger ne sera pas réélu lors des élections de 1944, au contraire de Becquart, qui
saura se présenter comme un « grand blessé de guerre » – ce qu’il n’était pas véritablement…
Quant à Arrighi, il sera expédié dans le sud de l’Algérie, dans l’une des résidences très
surveillées où avaient séjourné les députés communistes fidèles à Moscou. Finalement lavé de
tout soupçon d’intelligence avec l’ennemi, il sera libéré à la fin de 1943. Malheureusement
pour lui, il ne reverra la Métropole que pour périr assassiné dans des circonstances mal
éclaircies quelques mois plus tard, en décembre 1944 – la police classera l’affaire dans la
catégorie « crimes crapuleux ». Certains rapprocheront ce meurtre de la tentative d’assassinat
de Marcel Cachin en janvier 1943, dans laquelle il semble pourtant qu’Arrighi n’ait pas
trempé…
Quelques officiers ayant eu le tort d’être trop proches d’Arrighi seront mutés loin d’Alger
avant la fin de 1942 – ainsi du capitaine Jean Bassompierre, ami personnel de Joseph Darnand
et ancien militant du PPF et de la Cagoule. Ce chasseur alpin trouvera une mort glorieuse en
Indochine en 1944, à la tête d’un commando opérant en territoire tenu par les Japonais.
………
« Le scoop publié par Le Monde avait été en réalité l’un des coups les plus politiques réussis
par les services secrets français dans le cadre de l’opération Méduse, grâce à une fuite
savamment orchestrée (voir « Atlas médusé – Le contre-espionnage français face aux menées
des Collaborateurs en Afrique du Nord », par A. Naxagore, Paris, 1946).
Dans le chaos du Grand Déménagement, de nombreux militaires, fonctionnaires et officiels
français proches de la Cagoule, du PPF et autres RNP s’étaient retrouvés, volens nolens, en
Afrique du Nord. Dans les derniers mois de 1940, Simon Sabiani, proche de Doriot et grande
figure de la vie politique marseillaise – dans la mesure où le Milieu marseillais était un des
acteurs de cette vie politique – avait fait passer en AFN quelques-uns de ses hommes de
confiance. Son but ? Rallier à la cause du NEF les proches et sympathisants des partis
collaborateurs, à des fins de renseignement et de sabotage. Ces hommes et leurs contacts en
AFN formaient ce que Sabiani, avec quelque grandiloquence, avait baptisé réseau Atlas.
Bien loin des fantasmes de Doriot, rêvant d’un coup de poignard dans le dos fatal à l’effort de
guerre du gouvernement Reynaud, l’action du réseau Atlas eut tout au plus l’effet d’une
écharde. La faute au faible nombre de “contacts” que l’on avait pu convaincre de faire partie
du réseau (par rapport à ce qu’avait rêvé Doriot), à l’amateurisme de ceux qui avaient accepté
de trahir et à un manque de moyens flagrant – mais aussi à l’action des services secrets
français.
Le contre-espionnage n’avait cependant découvert l’existence du réseau Atlas qu’au milieu de
1941. Après une longue enquête, une grande partie des membres actifs du réseau furent
identifiés. Le commandant Pierre de Froment fut chargé de mener l’opération Méduse (dont la
tête, portée par Persée, figea le géant Atlas) afin de démanteler le réseau et, mieux encore, de
retourner ses membres.
Après plusieurs mois d’observation, la phase active de Méduse fut déclenchée au début de
1942, dans la plus grande discrétion, afin de ménager le moral de la population et des troupes.
De plus, le gouvernement français désirait s’épargner une affaire publique avec pression
médiatique et procès, comme, aux Etats-Unis, l’affaire du réseau d’espionnage allemand de
Frederick Duquesne, qui avait fait les gros titres de la presse américaine en décembre 1941.
Un certain nombre de membres d’Atlas furent retournés (assez pour pouvoir faire croire à
Doriot et à l’Abwehr que le réseau était toujours viable), mais l’on vit aussi une sorte
d’épidémie d’accidents de la route ou d’entrainement, et autres rixes finissant mal dans des
lupanars… C’est ainsi que Jean Fossati périt dans un accident de voiture en mars 1942.
Albert Beugras faillit être écrasé par un tramway algérois à la suite d’une stupide bousculade
au début de mai 1942. Peu après, il fut discrètement arrêté et mis au secret pendant plusieurs
jours. « Une offre qu’il ne pouvait pas refuser » d’un consortium des services français et
américains fit de lui un agent double (et même triple). Il montra de réelles aptitudes pour ce
difficile métier, jusqu’à ce qu’un passant distrait le pousse sur les rails du tramway – on
n’échappe pas à son destin – à Marseille cette fois, quelque temps après la libération de la
ville. On spécule encore volontiers sur la nationalité du distrait : Allemand ? Américain ?
Français – et de quel bord ?
Le retournement du chef d’Atlas en Tunisie, Henri Queyrat, en juillet 1942, fut un coup de
maître. En le manipulant au moment de l’opération Torche, le contre-espionnage français
réussit à asseoir la crédibilité d’Atlas auprès de l’Abwehr, jetant les bases des futures
opérations d’intoxication des services de renseignements allemands.
L’opération Méduse continua toute l’année 1942, dans un souci de recensement de
personnalités politiques et officiers susceptibles d’avoir sympathisé avec « l’équipe Laval ».
Comme nous l’avons vu, en novembre 1942, elle permit au Monde de faire un joli scoop et
ôta fort à propos une épine du pied du gouvernement.
En 1943, intégralement retourné, le réseau Atlas fut l’un des plus utiles rouages de l’opération
Fortitude qui, à la mi-1943, fera croire aux services allemands que les Alliés allaient
débarquer en Italie du Nord, en Istrie, en Grèce, bref n’importe où mais pas dans le sud de la
France. Contrairement à certaines allégations, il ne joua évidemment aucun rôle dans la
rocambolesque et meurtrière opération Marat, quelques mois plus tôt. » (Alex Tyler, Guerre
secrète en Afrique du Nord, in n° spécial de L’Histoire « Le Grand Déménagement », 1990)
7 novembre
Réconciliation communiste
Alger – C’est avec une certaine discrétion que l’UPF et le PCF célèbrent leur réconciliation.
Roger Nicod, député de l’Ain et fondateur de l’Union Populaire Française en 1939 lors de la
« période troublée dans l’histoire du Parti » (comme l’appelle l’historiographie communiste
officielle), représente l’UPF lors d’une réunion de retrouvailles qui consomme la disparition
de la dite UPF. Tous les observateurs un peu avertis ont noté que le 7 novembre est
l’anniversaire de la Révolution d’Octobre.
11 novembre
Le PCF relégalisé
Alger – C’est symboliquement aujourd’hui, jour d’Union Sacrée entre tous, qu’est publiée au
Journal Officiel l’annulation de la mise hors la loi du Parti communiste français, décidée par
Daladier en 1939. Cette annulation a été validée la veille par l’Assemblée des Elus de la
République, sans la moindre vague. En effet, la droite la plus anticommuniste a été à peu près
réduite au silence par la révélation le 3 novembre des relation entre plusieurs de ses
représentants et Victor Arrighi, représentant (évidemment très officieux) de la “communauté
PPF” algérienne.
12 novembre
Tillon en campagne
Alger – Depuis sa nomination le 9 octobre, tout en prenant les commandes de son ministère,
Charles Tillon a commencé à évaluer l’intérêt porté à son projet d’escadrille de chasse
féminine par les principales intéressées. L’accueil enthousiaste qu’il a reçu de la part des
femmes pilotes l’a convaincu de tenter de le mettre en œuvre.
Cependant, Tillon ne reçoit qu’un soutien timide de ses collègues et se heurte au scepticisme
du parlement et à l’hostilité de l’état-major de l’Armée de l’Air. Avec le soutien des gloires
féminines de l’aéronautique, il va donc lancer une véritable campagne de presse.

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