MEMOIRE DE MAITRISE Conversion hystérique et
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MEMOIRE DE MAITRISE Conversion hystérique et
Hermelinde KIENBERGER Maîtrise en sciences humaines cliniques Année 2000-2001 MEMOIRE DE MAITRISE Conversion hystérique et affection psychosomatique A l'attention de Monsieur Chanson SHC - Université Paris 7 Denis Diderot SOMMAIRE INTRODUCTION 4 I. NOTION DE CONVERSION HYSTERIQUE 6 A - Définitions et historique 6 1) Définition commune 6 2) Définition psychopathologique 6 3) Rappels historiques 8 B – Personnalité hystérique 9 C – Symptomatologie 11 1) Les symptômes d'expression somatique 11 2) Les symptômes d'expression psychique 15 D – Théories psychopathologiques 16 1) Les théories mécanistes 16 2) Les théories dites négatives 16 3) Les théories organo-dynamiques 17 4) Les théorie psychanalytiques 17 E – Caractères généraux des symptômes conversionnels 20 1) Rapport entre le symptôme de conversion et le sexe 20 2) Absence d'organicité 21 3) Aspect des symptômes 22 II. NOTION DE PSYCHOSOMATIQUE A – Un concept à préciser 24 24 1) Conception moniste 25 2) Conception dualiste 26 2 B – La psychosomatique et son histoire C – Maladie psychosomatique 26 29 1) La somatisation comme carence du fonctionnement mental 31 2) Le modèle multidimensionnelle 34 D – Profil de personnalité III. RAPPORTS CONVERSION-PSYCHOSOMATIQUE 36 42 A – Différences et analogies 42 B – Sens et non-sens du symptôme 44 C – Lien entre projection et somatisation 47 CONCLUSION 50 BIBLIOGRAPHIE 52 3 INTRODUCTION La motivation quant à notre choix de ce sujet de réflexion, est guidée par la question sur la place du corps dans sa relation avec la psyché et avec le monde extérieur. Freud envisageait les difficultés qui contrarient l'aspiration humaine au bonheur qu'il définissait comme la satisfaction des instincts et l'évitement de la souffrance. En dehors de la diversion dans le travail, les satisfactions substitutives de l'art et des illusions religieuses et amoureuses, les stupéfiants enfin, il mentionnait en dernier recours la fuite dans la maladie. Nous sommes tous des êtres psychosomatiques, fait de psychique et de somatique. Mais cela ne va pas dans le sens de la tendance générale, d'origine socioculturelle, à considérer l'esprit comme précédant et dominant le corps. Or la pulsion est primaire et va entrer en relation avec le Moi qui se forme. Et selon Freud, la pulsion est un phénomène somato-psychique. Le psychisme le plus élémentaire répond à la demande corporelle. Le paysage corporel est en constante relation avec la psyché. Le corps est la structure même qui permet la constitution de la psyché. De nombreux auteurs se sont posés la question si la conversion est reservée strictement à l'hystérie, avec sa thématique érotique et son mécanisme de déplacement, ou bien si on peut la retrouver en passant par un autre processus au cours des maladies psychosomatiques autres que l'hystérie. On peut émettre l'hypothèse qu'il existerait un ensemble psychosomatique réparti entre le psychique et le somatique. Cet ensemble s'inscrit dans la "maladie" tout autant que dans la "santé". Dans cet ensemble psychosomatique, les deux s'opposent mais sont complémentaires à la fois. On peut se trouver plus sur un versant psychique ou somatique, passer de l'un à l'autre ou présenter les deux, comme par exemple relever d'un fonctionnement hystérique et développer une maladie "psychosomatique". Car tout être fonctionne en équilibre avec une homéostasie qui lui est propre. Il existerait trois types d'homéostasie : une homéostasie purement somatique, une 4 homéostasie purement psychique, et une homéostasie somato-psychique régissent les équilibres entre le fonctionnement psychique et le fonctionnement somatique. S'il s'agit de parler d'hystérie ou de psychosomatique, il n'est point question ici d'une étude exhaustive, d'une part du phénomène hystérique dont le débat, pourtant vieux de près de 4000 ans, n'a jamais abouti : "La définition de l'hystérie n'a jamais pu être donné et ne le sera jamais" (Lasègue) ; encore moins, d'autre part de celle de l'immense champ psychosomatique qui non seulement recouvre une diversité de phénomènes allant des désordres fonctionnels parfois inclassables à certains syndromes bien définis d'apparence exclusivement somatiques sans relation évidente avec le psychisme, mais aussi fait appel à une conception nouvelle et très "à la mode" de la pratique médicale. Le présent travail est plutôt une tentative de différencier les répères théoriques de l'hystérie de conversion de la maladie psychosomatique, de retrouver quelques notions générales parmi les théories combien diverses sur la place de la conversion hystérique, des troubles fonctionnels (ou psychofonctionnels selon certains auteurs), et des affections psychosomatiques (ou encore somatisations selon d'autres auteurs), et en dégager des similitudes et des différences. Dans ce travail, on peut constater l'évolution progressive de la psychosomatique, qui confirme que la conception est originaire de la théorie psychanalytique de l'hystérie de conversion. En nous appuyant sur les points de vue des différents auteurs qui se sont préoccupés de la question, nous constatons que plusieurs théories se retrouvent et s'affrontent : certaines, inspirées par l'école américaine (Alexander, Dunbar) et l'école française (Marty, Fain, de M'Uzan), tentent de différencier systématiquement l'hystérie conversionnelle du phénomène psychosomatique et de les considérer comme deux entités totalement distinctes. Un autre auteur, Sami-Ali, bien que dans la même lignée, présente une théorisation fort divergente. Et certaines théories inspirées par l'école argentine (Angel Garma) et par Brisset et Valabrega, semblent plus nuancées et considèrent ces deux entités morbides comme présentant certains liens. 5 I. NOTION DE CONVERSION HYSTERIQUE A – DEFINITIONS ET HISTORIQUE 1) Définition commune Avant d'aborder le concept de conversion tel qu'il peut nous intéresser dans notre travail, il peut être utile de rappeler ce qu'apporte la définition commune du terme : faire une conversion, c'est tourner autour d'un axe. Quand la conversion est de 180°, la position terminale s'oppose directement à la position initiale. La première idée qui s'impose devant cette définition est donc celle d'un changement de cap et d'orientation. Par extension, la conversion implique une notion de transmutation. La deuxième idée est donc celle d'un réarrangement d'éléments identiques selon une structure différente. Un troisième domaine de la conversion peut encore nous éclairer : celui de la religion. Se convertir, c'est changer d'opinions en adhérant aux dogmes et aux croyances d'une réligion. Il reste que le converti ne se confond pas avec le croyant de toujours. Il conserve une trace de sa transformation, un souvenir de ce qu'il était. Le converti représente une vérité qui ne va pas de soi, au contraire du croyant qui, à la limite, n'a rien à prouver puisque tout est clair pour lui. 2) Définition psychopathologique Selon l'hypothèse freudienne, la conversion est un mécanisme s'exerçant sur une représentation, un conflit refoulé (inconscients) et produisant un symptôme à issue motrice ou corporelle, lequel symptôme devient alors une expression symbolique de la représentation refoulée. En d'autres termes, le symptôme représente une certaine énergie libidinale qui peut se transformer, se convertir en symptôme somatique. Cette énergie libidinale est liée à une représentation mentale ou à un objet extérieur réel. Lors de la conversion, on assiste à une séparation de cette charge énergétique d'avec la représentation mentale. Cette dernière est alors refoulée dans l'inconscient et l'énergie libidinale est "transférée" 6 dans le corps. S. Freud décrit cela comme "un saut du psychique dans l'innervation somatique". Le premier sens du mot conversion chez Freud est économique : "C'est une énergie libidinale qui se transforme, se convertit en innervation somatique. La conversion est corrélative au détachement de la libido d'avec la représentation, dans le processus de refoulement ; l'énergie libidinale détachée est alors ... transposée dans le corporel".1 Mais cette interprétation économique de la conversion est inséparable chez Freud d'une conception symbolique, à laquelle il fait recours plus tard. En effet, dans les symptômes corporels, les représentations refoulées, quoique déformées par les mécanismes de condensation et de déplacement, "parlent". Pour les motifs qui font que ce sont des symptômes de conversion qui se forment plutôt que d'autres (phobiques ou obsessionnels), Freud invoque d'abord une capacité de conversion ; idée qu'il reprendra plus tard, dix ans après Dora, dans "Le trouble psychogène de la vision dans la conception psychanalytique" (1910), avec l'expression de "Complaisance somatique", la définissant comme facteur constitutionnel ou acquis qui prédisposerait un sujet à la conversion, ou encore d'une façon plus spécifique un organe à être utilisé pour la conversion. Freud exprime ainsi la nécessité d'une participation organique pour que se forme le symptôme conversionnel ; le symptôme prendrait alors naissance par association entre un trouble somatique réel et une émotion pathogène. Et plus tard, Freud donne à la conversion une propriété défensive de caractère régressif contre l'angoisse. Ce mécanisme intervenant donc dans toute névrose, par l'intermédiaire du refoulement, pour faire disparaître l'angoisse. 1 LAPLANCHE J. et PONTALIS J.-B. : "Vocabulaire de la psychanalyse", P.U.F., 1992. 7 3) Rappels historiques L'étymologie du mot hystérie dérive du grec νστερα "hystera" signifiant matrice. En français, l'adjectif hystérique a été introduit le premier en 1568, venu du grec par l'intermédiaire du latin "hystéricus". C'est avec Hippocrate que l'on rencontre les premières descriptions cliniques indiscutables d'hystérie. Il s'attache à expliquer le pourquoi des déplacements de l'utérus qu'il admet, et déjà il fait un lien avec la sexualité puisque le phénomène serait surtout le fait des femmes privées de relations sexuelles. Avec le christianisme et notamment les écrits de Saint Augustin, on assiste à une orientation toute différente et l'hystérie échappe en partie à la médecine pour rentrer dans le domaine religieux. Pour Saint Augustin, il existerait une relation étroite entre péché et érotisme. La notion de conversion est contemporaine des premières recherches de Freud sur l'hystérie : c'est dans le cas de Frau Emmy von N.... des "Etudes sur l'hystérie" (écrites avec BREUER en 1895) ; dans les "Psychonévroses de défense" (1894) et dans le Cas Dora des "Cinq Psychanalyses" (1901-1905) qu'on la rencontre d'abord, d'une manière bien définie. Cependant, même si Freud fut le premier à découvrir cette notion, il le doit certainement à d'autres. A entendre Freud, Charcot avait déjà découvert le phénomène de conversion, mais sans pour autant le nommer ainsi. Les premiers psychanalystes ont essayé sans cesse d'étendre la conception primitive de l'hystérie de conversion, telle que nous en avons hérité de Freud, à toutes les formes des troubles psychogènes du corps. Groddeck, vers les années 1925-1927, se trouve parmi les premiers à tenter d'étendre la théorie de l'hystérie aux syndromes organiques, en abordant ces maladies avec exactement les mêmes perspectives symbolisantes que dans la conversion hystérique. Et il va même plus loin en proposant une hardie psychogénèse générale : selon lui, les maladies organiques qui sont une sorte de représentation symbolique des 8 prédispositions psychologiques d'un individu s'organiseraient et se développeraient de façon analogue aux symptômes névrotiques. Cette notion de conversion, idée neuve à la fin du XIXe siècle, a pris une très grande extension à l'heure actuelle, notamment avec le développement des recherches psychosomatiques. Deux étapes sont à individualiser dans l'histoire de ce phénomène : La notion de conversion est d'abord étroitement liée à la notion d'hystérie. En effet, à un moment donné dans l'histoire de la conversion, les deux mots hystérie et conversion sont bien souvent interchangeables pour de nombreux auteurs. Puis, elle s'en libère peu à peu en se rattachant, entre autres, aux concepts de névrose d'organe ou de psychosomatique. B – PERSONNALITE HYSTERIQUE Ce type de personnalité que l'on observe surtout chez la femme, se caractérise par les traits suivants : • l'égocentrisme, l'avidité affective qui s'accompagne d'une extrême intolérance aux frustrations; • la tendance à la dramatisation : les uns mettent l'accent sur l'histrionisme, le besoin de jouer un rôle, d'attirer l'attention ; les autres sur la tendance à l'exagération, à l'exhibitionisme, au mensonge, à la simulation; • le manque de contrôle émotionnel ; labileté affective et inconsistance des réactions; • la pauvreté et la facticité des affects; • l'érotisation des rapport sociaux ; attitude de coquetterie, de provocation, de séduction ; tendance à prêter une signification sexuelle à des situations qui en sont dépourvues; • la frigidité, la peur ou la répugnance de la sexualité, de l'acte sexuel plus précisément; • la suggestibilité, autrefois considérée comme caractère primordial, est maintenant remplacée par la dépendance affective et ses implications dans les relations interpersonnelles y compris la psychothérapie. 9 Bien que la manifestation de conversion peut survenir chez une personne ne présentant pas les traits de la personnalité hystérique, pour beaucoup d'auteurs, la concordance ne fait guère de doute, et les symptômes de conversion s'observent surtout chez les malades à "caractère hystérique". Pour Lemperière, dont le travail dans ce domaine paraît des plus importants à l'heure actuelle, les deux caractéristiques essentielles de la personnalité hystérique sont l'histrionisme et la dépendance affective. 1) L'histrionisme : ce trait de personnalité est si important que certains auteurs ont voulu réduire la personnalité hystérique à l'histrionisme sous le terme de personnalité histrionique. L'histrionisme est le trait qui frappe dès l'abord : tout es mis en oeuvre pour attirer l'attention, plaire et séduire. C'est cette hyperexpressivité ou ce théâtralisme qui consiste à afficher un personnage, jouer un rôle pour éviter une rencontre authentique avec autrui. Le théâtralisme exige un corollaire, la réactivité excessive sur le plan émotionnel qui permet à l'hystérique de montrer sans contrôle et sans retenue les affects qui la submergent. 2) La dépendance affective : la dépendance excessive est probablement un des traits qui témoignent le plus de l'organisation archaïque de sa personne. Cette dépendance se traduit par le choix d'un lieu sécurisant (cellule familiale, communauté, couvent, hôpital...) et s'accompagne d'une certaine passivité. La personnalité hystérique traduit en effet la résolution pathologique d'une sexualité conflictuelle où les pulsions agressives et sexuelles sont refoulées. La fixation orale faciliterait l'échec de la résolution du conflit oedipien et expliquerait la bipolarité clinique de cette structure (histrionisme et dépendance affective). Cette personnalité se traduit aussi par des activités et des conduites de remplacement, pour mieux supporter sa "frigidité" : comportement de rêverie, intense vie imaginaire, activité masturbatoire à forte composante fantasmatique et une tendance à la mythomanie. 10 Freud disait à propos de l'hystérique : "Toute personne chez laquelle une occasion d'excitation sexuelle provoque surtout ou exclusivement du déplaisir, je la tiens pour une histérique, qu'elle soit ou non capable de créer des symptômes somatiques".2 C – SYMPTOMATOLOGIE Chez l'hystérique, on peut distinguer les symptômes d'expression somatique et les symptômes d'expression psychique. Etant donné que l'hystérie de conversion désigne "le saut du psychique dans l'innervation somatique", nous nous étendrons dans le cadre de ce travail plus longuement sur les symptômes d'expression somatique que sur les autres que nous n'allons pas pourtant oublier de mentionner. 1) Les symptômes d'expression somatique Ce qui frappe d'abord chez l'hystérique, c'est l'abondance de signes et la multiplicité des plaintes. Et même le symptôme de base s'accompagne souvent de tout un cortège de troubles accessoires. Par ailleurs, on peut affirmer que l'hystérie de conversion est plus fréquente chez la femme que chez l'homme. a) L'asthénie L'asthénie est un des symptômes les plus fréquents et les plus habituels de l'hystérie. Elle accompagne toujours la conversion somatique, et bien souvent la précède ou la suit. C'est une fatigue douloureuse permanente ou non, réduisant aussi l'activité du malade, celui-ci se sentant brisé, plein de courbatures et les jambes trop lourdes. L'asthénie est aussi sensible aux influences psychologiques, aux circonstances extérieures et aux médications stimulantes. 2 FREUD, S. et BREUER J. : "Etudes sur l'hystérie", P.U.F., 1994. 11 b) Les accidents de conversion proprement dits Les accidents de conversion se retrouvent chez la majorité des malades. Ils sont multiples, et se présentent soit en association, soit en alternance. Les symptômes que l'on retrouve le plus souvent sont: les crises, l'astasie-abasie, les paralysies, les troubles visuels et l'aphonie. On peut diviser ces symptômes en les groupes suivants : 1 – Les manifestations paroxystiques : les crises Ces crises d'excitation s'observent chez la moitié des malades et ont une nette tendance à se répéter. Le type historique de ces crises en est la grande attaque "à la Charcot", telle qu'on pouvait la voir à la Salpétrière dans les années 1880-1890. Parmi les formes mineures on peut observer assez fréquemment, les crises d'agitation psychomotrice que certains auteurs résument sous le nom de crises de nerfs. Elles sont les reproductions de drames, de scènes violentes et de scènes érotiques. En outre, il y a les troubles paroxystiques atypiques comme l'accès de hoquet, de baillements, d'éternuements, de tremblements, de pleurs incoercibles, de secousses musculaires ou de tics. Parmi les crises à prédominance d'inhibition on peut nommer les crises syncopales qui sont très fréquentes de nos jours. La crise s'accompagne d'un déséquilibre neuro-végétatif : modification du rythme cardiaque et respiratoire, baisse de tension artérielle. 2 – Les manifestations somatiques durables Elles sont innombrables et on peut y rencontrer toutes sortes de syndromes neurologiques. On peut les diviser en deux grands groupes : les troubles qui intéressent le système nerveux de la vie de relation, et ceux qui intéressent le système neuro-végétatif. 12 a) Les troubles du système nerveux de la vie de relation - les paralysies : elles ne s'accompagnent d'aucun signe objectif d'atteinte lésionnelle des voies ou centres nerveux. Les paralysies peuvent être systématiques, localisées et généralisées. - les contractures : elles sont plus fréquentes chez l'homme que chez la femme. Comme dans les paralysies, on y distingue les contractures systématiques, les contractures localisées et les contractures généralisées. - l'astasie-abasie : il s'agit d'une incapacité de la station debout et de la marche; elle est souvent précédée par des crises d'angoisse, des vertiges, un sentiment d'insécurité. - les troubles sensoriels : tous les organes des sens sont atteints. • Les troubles visuels : la cécité en est le trouble le plus important. Mais les exemples classiques sont le rétrécissement concentrique, circulaire, tubulaire, fixe du champ visuel, et la diplopie monoculaire. Ils sont volontiers transitoires chez la femme, plus massifs et chroniques chez l'homme. • Les troubles auditifs : les surdités sont très fréquentes en temps de guerre. Elles commenceraient généralement après une commotion (une explosion). En temps de paix, ce sont des surdités post-traumatiques ou liées directement au poste de travail (standardiste par ex.). - les atteintes sensitives : on les nomme aussi stigmates. Elles se présentent sous deux formes : anesthésies et fausses hyperesthésies. • Les anesthésies : elles portent sur le tact, la douleur, la température; elles peuvent aussi intéresser les sensibilités profondes comme celles des muscles, des ligaments et des os. • Les points hyperesthésiques : le mérite revient à Janet d'avoir montré qu'il s'agit de fausses hyperesthésies, liées uniquement à la vue. Il s'agit plutôt d'une peur excessive que d'une douleur réelle. Charcot a décrit des zones "hystérogènes" où seraient localisées les 13 hyperesthésies, en particulier les points ovariens et les points sousmammaires. • les algies : elles sont très fréquentes (env. 70% des patients), aussi fréquentes chez l'homme que chez la femme. Elles s'observent à tout âge, mais plutôt chez les personnes âgées. Elles sont variables dans leur localisation comme dans leur intensité. Les algies les plus fréquentes sont : céphalées, douleurs abdominales, douleurs des extrémités, rachialgies, arthralgies. b) Les troubles du système neuro-végétatif - les spasmes : ils s'observent plus souvent chez l'homme que chez la femme. On rencontre les spasmes pharyngés, les spasmes respiratoires, la rétention d'urines, les paraspasmes faciaux etc. - les troubles viscéraux : ils sont également très fréquents : toux sine materia, pseudo-appendicite, occlusion spasmodique, grossesse nerveuse. Le "gros ventre hystérique" est un symptôme souvent méconnu. - les troubles trophiques : plus fréquents en temps de guerre, ils intéressent un membre légèrement blessé. En temps normal, on note des téguments froids, épaissis, cyanoses, oedèmes sous-cutanés. c) Les troubles sexuels Ils ne manquent pratiquement jamais dans l'hystérie féminine, alors que chez l'homme ils sont moins constants et moins permanents. Chez la femme, ils vont de l'indifférence complète (absence totale de désir sexuel ou de préoccupations) à la frigidité et à une absence totale d'orgasme. La vie sexuelle de ces malades étant réduite à une masturbation fortement culpabilisante avec une intense activité fantasmatique hétérosexuelle. Les fixations homosexuelles sont "désexualisées", restant dans le domaine du sentimental. L'activité fantasmatique souvent très développée se construit sur des fixations amoureuses sur des personnes inaccessibles; les fantasmes de viol sont très fréquents. 14 Nous tenons à signaler également la fréquence chez les hystériques, des troubles des règles : dysménorrhées, irrégularité du cycle, aménorrhée longue et des pubertés tardives. Chez l'homme, les troubles sexuels se traduisent généralement par des éjaculations précoces, plus que par des impuissances complètes qui peuvent parfois apparaître après des traumatismes importants. Troubles transitoires, ils évoluent parallèlement aux accidents de conversion. 2) Les symptômes d'expression psychique A côté des symptômes somatiques, il existe également des symptômes psychiques révélateurs de l'hystérie. Comme ceci n'est pas l'objet principal de notre travail, nous allons simplement les énumérer. Les troubles de la mémoire et l'inhibition intellectuelle sont les plus fréquentes; les troubles de la mémoire rencontrés sont les amnésies et les illusions qui accompagnent en général les phénomènes purement somatiques, mais peuvent aussi exister à l'état isolé. Freud y a beaucoup insisté et faisait remarquer que le trouble de la mémoire était nécessaire au diagnostic de l'hystérie. L'amnésie, elle, apparaît essentiellement dans l'évocation biographique du sujet. Ensuite viennent les troubles de la vigilance, comme les états seconds, les états crépusculaires, le somnambulisme, les fugues, les "attaques de sommeil" ou les états léthargiques progressifs. 15 D – THEORIES PSYCHOPATHOLOGIQUES Pour expliquer le passage du psychique au somatique, plusieurs théories ont été développées. Nous allons d'abord présenter brièvement les théories les plus anciennes et puis aborder la théorie psychanalytique sur laquelle reposent les conceptions actuelles de la clinique hystérique. 1) Les théories mécanistes La plupart de ces théories qui ne s'adressent qu'aux signes, sont déjà très anciennes. L'un des représentants les plus célèbres a été Charcot, dont la conception a beaucoup marqué le monde de la médecine. Charcot attribuait une grande importance au traumatisme dans la manifestation hystérique, de nature physique ou émotionnelle. Mais il nuançait dans ce sens que ce n'était pas le traumatisme tout seul (dans son action physique) que déclenchait un syndrome physique, mais plutôt son retentissement sur les émotions et les idées du sujet qui les subit. Charcot reconnaissait finalement à l'hystérie une cause psychique, mais il postulait néanmoins l'existence d'un substratum physiologique appelé "lésion dynamique fonctionnelle" ; cette lésion nécessitait pour se produire un terrain constitutionnel dégénératif transmis par hérédité. 2) Les théories dites négatives Elles sont dites ainsi, parce qu'elles aboutissent toutes à une négation des troubles hystériques. Elles nous disent ce que l'hystérie n'est pas, mais pas ce qu'elle est. A l'origine de ces théories se trouve Babinski. Elève de Charcot, c'était un fervent défenseur d'une pathologie organique de l'hystérie. Après la mort de son maître, sa conception de l'hystérie devient radicalement différente. Pour lui, le critère de l'hystérie, c'est la reproduction par la suggestion de troubles d'allure neurologique, et donc l'expulsion de l'hystérie du domaine de la neurologie organique. 16 3) Les théories organo-dynamiques Le mérite revient en fait à Janet d'avoir essayé de saisir les phénomènes hystériques dans une perspective appelée "dynamique" qui, pour si psychologique qu'elle soit, ne s'en réfère pas moins à un trouble organique dont l'origine semble être constitutionnelle. En effet, Janet reprend plus ou moins la théorie de Bricquet selon laquelle l'hystérie est une maladie par faiblesse, par épuisement cérébral, caractérisée surtout par un affaiblissement de la faculté de la synthèse psychologique (un rétrécissement du champ de la conscience) responsable de la limitation de la perception chez le malade, et d'une tendance à la division permanente et complète de la personnalité. Janet reconnaît aussi le rôle important du trauma dans la génèse des symptômes conversionnels. En outre, il paraît avoir aussi découvert une problématique sexuelle, à travers les symptômes hystériques, mais il ne lui accorde aucune importance particulière, et il proteste d'ailleurs contre le "pan-sexualisme" des psychanalystes. C'est Henri Ey qui fait le point au milieu de la grande querelle des organicistes et des psychistes, en considérant l'hystérie organique dans sa condition (biologique, héréditaire, constitutionnelle, neurophysiologique), et psychique dans son mécanisme et sa symptomatologie. Pour construire sa théorie, Henri Ey reprend plus ou moins les idées de Janet, mais en s'efforçant d'y inclure des notions psychanalytiques telles que l'importance des pulsions inconscientes et le symbolisme plus ou moins direct des signes. Il définit l'hystérie comme une forme de fixation régressive de l'activité psychique ; cette régression entraîne alors une libération des pulsions issues de l'inconscient constituant ce monde des images auxquelles se soumet l'hystérique. 4) La théorie psychanalytique A la base se trouve la conception historique de Freud, bien qu'il y ait d'autres conceptions plus contemporaines mais qui sont des héritières de cette conception freudienne. C'est en effet la théorie analytique de l'hystérie qui a eu le mérite de renverser l'ancienne conception volontariste qui réduisait l'hystérie à la simulation. 17 Dans les premiers écrits de Freud apparaît la notion du traumatisme pathogène (psychique ou physique) et son importance dans la naissance du symptôme conversionnel hystérique. Dans les "Etudes sur l'hystérie", Freud précise que le traumatisme ne peut agir isolément, mais que son rôle est fonction des capacités de réaction du sujet, de la possibilité d'une décharge ou d'une intégration consciente. Le traumatisme prend donc sa signification par rapport à une histoire et à une situation. Freud précisera plus tard que le traumatisme pathogène n'agit pas à la façon d'un agent provocateur qui déclencherait le symptôme, mais c'est le souvenir – avec sa pleine valeur émotionnelle – de ce traumatisme qui jouera un rôle déterminant. Le "symptôme hystérique ne peut être issu uniquement d'une expérience réelle, mais à chaque fois le souvenir d'expériences antérieures, réveillé par association, concourt à la causation du symptôme"3 . Selon Freud, "c'est de réminiscences que souffre l'hystérique". Pour se faire, ces expériences antérieures traumatiques doivent être présentes à l'état de souvenirs inconscients ; c'est seulement aussi longtemps et dans la mesure où elles sont inconscientes qu'elles peuvent produire et entretenir des symptômes hystériques. Ainsi Freud et Breuer insistent d'une façon décisive sur la relation entre un symptôme corporel actuel et un évènement ancien demeuré inconscient et pouvant être accessible par hypnose, mais également sur l'élément dynamique constitué par la charge affective. Alors que le facteur sexuel avait déjà été ébauché dans les "Etudes sur l'hystérie", notamment par Breuer qui entrevoyait le rôle de la répression de la sexualité dans la génèse des troubles, Freud, l'approfondissant dans "L'étiologie de l'hystérie" (1896), reconnaît dans l'irritation sexuelle précoce la condition étiologique spécifique de l'hystérie. Il met en cause dans la génèse de l'hystérie, un incident sexuel vécu passivement dans la petite enfance, à l'époque d'avant la puberté c.à.d. entre deux et huit ans. Il se réfère alors à ses conceptions antérieures pour confirmer que ce n'est pas cet incident sexuel lui-même qui a une action traumatique, mais plutôt sa reviviscence sous forme de souvenir. En effet, c'est le souvenir, la représentation de l'expérience sexuelle passive, inconciliable avec le développement moral et intellectuel de l'enfant qui provoque le refoulement des affects hors de la conscience. 3 FREUD, S. : "L'étiologie de l'hystérie", in "Névrose, psychose et perversion", P.U.F., 1995. 18 Les symptômes hystériques se forment, en effet, par suite du refoulement d'une idée intolérable, et en tant que mesure de défense, la représentation refoulée demeure sous forme d'un tracé mnémonique faible et l'affect concommittant sert alors à une innervation somatique. C'est en étudiant ce mécanisme de défense que Freud découvre les motifs des symptômes hystériques. C'est ainsi que dans le "Cas Dora" (1905) il parle des profits secondaires qui consistent en une application utilitaire de la maladie. Mais dans la suite, Freud mentionne l'existence du bénéfice primaire existant avant les bénéfices secondaires, et dont le but est de résoudre un conflit par la formation d'un symptôme qui est le mode détourné de réalisation d'un désir d'origine sexuelle. Ce désir, par refoulement, subit un déplacement sur une zone somatique érogène, chargée de sens symbolique. Les symptômes hystériques représentent alors un compromis entre ce désir et le moi. L'attaque hystérique est le représentant flagrant de ce désir érotique ; et comme le rêve, elle est soumise à la condensation et aux identifications multiples. C'est également dans le "Cas Dora" que Freud aborde une nouvelle notion, nécessaire à la formation du symptôme hystérique : la complaisance somatique. Selon lui, il n'y a pas à choisir entre une origine psychique ou somatique de l'hystérie : "Un symptôme hystérique nécessite un apport des deux côtés ; il ne peut se produire sans une certaine complaisance somatique qui est fournie par un processus normal ou pathologique dans, ou relatif à, un organe du corps"4. Pour Freud, il existerait une condition constitutionnelle spéciale qui prédisposerait les organes à exagérer leur rôle erogène et qui provoquerait ainsi le refoulement de la pulsion. Comme nous venions de voir, Freud mit en cause dans la génèse de l'hystérie, un incident sexuel de la petite enfance, mais par la suite il dut renoncer à la réalité objective de ce traumatisme et le considérer comme un fantasme élaboré en fonction des désirs incestueux du complexe d'Oedipe. Sous la notion de conversion, nous appréhendons un enracinement dans le corps. Or, aucune formation psychique n'est plus apte à révéler cet enracinement corporel que le fantasme – le fantasme avec ses deux visages conscient et inconscient. 4 FREUD, S. : "Fragment d'une analyse d'hystérie", in "Cinq psychanalyses", P.U.F., 1995. 19 Freud en est alors venu à accorder une importance de plus en plus grande au fantasme, notamment au fantasme inconscient chez les hystériques. Le symptôme hystérique réalise donc par son compromis corporel, ce désir apparemment impossible qu'est le fantasme. Dans le même ordre et dans le même temps, le complexe d'Oedipe est considéré par Freud comme le noyau de formation de l'hystérie. C'est dans la non-résolution de ce noeud oedipien et dans son refoulement plus ou moins massif que réside précisément le conflit central des hystériques. E – CARACTERES GENERAUX DES SYMPTOMES CONVERSIONNELS 1) Rapport entre le symptôme de conversion et le sexe Certes l'hystérie semble moins fréquente chez l'homme que chez la femme. Cependant, certains caractères communs peuvent être relevés chez les deux sexes : notamment l'âge des malades au moment de l'examen initial, qui se situe généralement dans la tranche de 21 à 30 ans dans les deux sexes, et le motif de l'examen qui, dans les deux cas, est un ou plusieurs accidents de conversion. Outre ces deux caractères, on retrouve une répartition des symptômes de conversion différente chez la femme et chez l'homme. En effet, la femme par exemple a tendance à faire plus de crises de nerfs, d'astasie-abasie et de troubles sensoriels, alors que l'homme présente plus de symptômes moteurs (paralysie, contractures). Selon la plupart des auteurs, les manifestations de conversion sont plus souvent monosymptomatiques chez l'homme que chez la femme. En dehors des symptômes deux-mêmes, ce sont surtout les conditions d'apparition et de pérennisation des accidents de conversion qui sont différentes d'un sexe à l'autre : chez la femme, on retrouve avant tout des conflits d'ordre affectif et sexuel. Chez l'homme, les circonstances socio-professionnelles sont très importantes, mais aussi les circonstances de guerre, et les responsabilités de famille ; la maladie étant prise souvent comme une compensation ou un refuge. 20 1) Absence d'organicité La topographie des symptômes conversionnels prouve leur nature anorganique, même au cours d'un examen neurologique. Cette topographie ne répond jamais à une systématisation anatomique, mais elle répond plutôt à l'idée que le sujet se fait de l'organisation de son corps. Aussi Freud dira en 1888 : "Les troubles hystériques ne présentent en aucune façon une image des conditions anatomiques du système nerveux". Dans l'hystérie, ce sont donc les fonctions supérieures ou symboliques qui, d'une façon habituelle, permettent à un individu de s'adapter aux circonstances particulières du moment, qui sont atteintes. C'est la signification symbolique de la fonction qui est alors perturbée. Ce qui nous permet de qualifier ces symptômes de troubles purement fonctionnels. Mais il arrive parfois que les symptômes se cristallisent autour d'un "point d'appel organique" : une lésion traumatique ancienne parfois minime appellera à cet endroit une paralysie ; sur un astigmatisme se grefferont des troubles visuels. Dans ce sens et d'une manière plus précise, S. Bonfils et M'Uzan ont défini le trouble fonctionnel qu'ils nomment d'ailleurs "psychofonctionnels", par quatre critères essentiels : - une atteinte somatique longtemps réversible; - un lien entre un trouble psychologique et une manifestation somatique; - ce trouble évolue selon une double inconstance : inconstance de la réponse somatique par une explication psychique, et inconstance du siège de la réponse somatique, celle-ci pouvant passer d'un organe à l'autre; - un trouble fonctionnel peut être une réponse à des perturbations psychiques de nature fort différente (une tension émotionnelle simple, émergence de pulsions agressives, un état dépressif, etc.) 21 2) Aspect des symptômes Schématiquement les symptômes de conversion sont multiples. Tous les auteurs sont frappés par le cortège de troubles que présente le malade hystérique. Ils sont aussi labiles et fantasques : ils apparaissent brusquement et disparaissent de même. Ceci nous rappelle le rôle de la suggestion particulière remarqué par Babinski. En effet, les symptômes sont variables non seulement en fonction du moment ou des circonstances, mais également en fonction de la personnalité de l'examinateur. Ils peuvent être ainsi suscités ou abolis par la suggestion (celle-ci venant de l'entourage ou du médecin). Ils sont aussi mobiles, c.à.d. que pendant la durée de la maladie, des symptômes peuvent succéder à d'autres. D'après des observations, des malades guéris peuvent rechuter quelques années plus tard, avec un changement de registre symptomatique. Qualifiés de troubles fonctionnels, ils sont surtout des troubles fonctionnels bien particuliers de par le contexte psychologique dans lequel ils surviennent : le problème clé se trouve au niveau des difficultés ou de l'impossibilité de résolution du complexe d'Oedipe, et d'où émerge en permanence la question sexuelle. Ils apparaissent le plus souvent comme le résultat d'un certain type de structure psychique mettant en jeu face à des représentations mentales inacceptables (à contenu sexuel plus particulièrement) des mécanismes de défense (le refoulement, l'identification, le déplacement, etc.) susceptibles de favoriser une expression somatique symbolique. Mais il est aussi important de souligner que les symptômes conversionnels, s'ils servent à spécifier l'hystérie de conversion, peuvent également se révéler dans des structures psychopathologiques autres que l''hystérie, ou chez n'importe quel sujet "normal". Tous les symptômes de conversion ne s'insèrent donc pas dans une structure hystérique et ne sont pas l'expression de désirs oedipiens. Freud reconnaissait déjà l'existence de phénomènes de conversion hors de l'hystérie. 22 Dans le choix inconscient du symptôme intervient parfois l'identification à un parent ou bien à un état personnel antérieur : certaines algies reproduisent des douleurs éprouvées lors de maladies infantiles et réactualisent les conflits de cette époque. Le choix du symptôme doit donc être compris en fonction de son aptitude à exprimer symboliquement un conflit psychique inconscient. Le symptôme somatique est une solution de compromis empêchant l'accès à la conscience du conflit refoulé tout en permettant une réalisation substitutive et déguisée du désir interdit. 23 II. NOTION DE PSYCHOSOMATIQUE A – UN CONCEPT A PRECISER Le concept de psychosomatique, dans son acception courante, désigne des symptômes ou des affections corporelles que l'on attribue habituellement à des difficultés morales, des souffrances psychiques d'origine affective ou conflictuelle. La psychosomatique repose sur un postulat qu'il existe une relation entre le corps et l'esprit. Il est courant aujourd'hui d'affirmer que toute pensée psychosomatique présuppose l'hypothèse d'une unité corps-psyché. La pensée psychosomatique s'interroge sur les interactions entre la sphère psychique et la sphère somatique. Cette approche est inséparable d'un traitement des troubles somatiques par une thérapeutique psychologique qui peut être soit exclusive comme souvent dans le traitement des pathologies fonctionnelles, soit accompagnée d'un traitement médical adapté. L'être humain est un animal plus complexe qu'on ne le croit, et il est, par sa nature, en quelque sorte un être psychosomatique qui n'est pas enfermé dans un système clos, mais est inséré dans un environnement social qui l'influence. Selon certains auteurs, la psychosomatique est une approche englobant la totalité des processus de transactions entre les systèmes somatique, psychique, social et culturel. Les phénomènes psychosomatiques conjuguent donc des facteurs médicaux de toute sorte, une personnalité psychologique et un contexte social. Ces trois facteurs d'importance relative d'un individu à l'autre, ou d'un moment à l'autre, pèsent selon leur poids dans tout déclenchement de la pathologie somatique. L'approche psychosomatique tente ainsi prendre en considération l'individu dans son ensemble, aussi bien sous son aspect somatique que psychique. 24 1) Conception moniste Les différentes théories psychosomatiques se réfèrent à une conception moniste ou dualiste. Selon la conception moniste, il existe une seule substance ou un seul principe irréductible qui régit les processus somatiques et mentaux. Elle se subdivise en trois grands courants. Les deux grands courants classiques sont l'idéalisme – représenté en philosophie par Berkeley ou Hegel – qui défend la thèse que l'âme constitue la seule réalité, et le matérialisme – proposé par Hobbes ou le darwinien Haeckel – pour lequel il n'existe qu'une seule réalité, matérielle. La conception moniste de Groddeck postulant l'existence d'un ça, s'inscrit dans un troisième courant. 2) Conception dualiste La conception dualiste admet l'existence de deux substances ou de deux principes, somatique et psychique. Cette conception postule, soit que les deux réalités sont dans un rapport d'extériorité l'une par rapport à l'autre, soit qu'elles sont dans une constante relation, s'influençant réciproquement ; la psychosomatique ne peut qu'admettre cette dernière option. Pour Freud, la seule possibilité de toute psychosomatique est d'admettre le dualisme : "De quelque façon que la philosophie s'en tire pour jeter un pont entre le corporel et le psychique, aux yeux de notre expérience, l'abîme entre les deux subsiste et nos efforts pratiques sont forcés de reconnaître le fait."5 Donc tout véritable pensée psychosomatique repose sur une démarche ou sur une méthodologie dualiste. Celle-ci n'est d'ailleurs pas en contradiction avec l'idée que l'être humain est un principe unique qui se manifeste sous deux aspects. 5 FREUD, S. : "La question de l'analyse profane", Gallimard, 1985. 25 B – LA PSYCHOSOMATIQUE ET SON HISTOIRE L'étymologie du mot psychosomatique dérive du grec psukhé <esprit> et soma <corps>. Le terme de "psychosomatique" a été utilisé (bien qu'employé avec trait d'union) pour la première fois en 1818 par Heinroth, professeur à l'université de Leipzig, représentant du courant médical du romantisme allemand qui voit dans les passions de l'âme l'une des causes essentielles de la folie, anticipant ainsi bien des idées développées par Freud et ses premiers disciples. L'introduction du mot psychosomatique dans la pensée psychanalytique est généralement attribuée à Felix Deutsch (1884-1964) qui l'utilise dès 1922 dans un article publié à Vienne et intitulé : "Das Anwendungsgebiet der Psychotherapie in der inneren Medezin". Lors de la conférence de Federn du 8 janvier 1913 consacrée à la présentation d'un cas d'asthme, Freud a déclaré que la clinique psychosomatique ne se limite pas à l'hystérie. C'est en effet en s'émancipant du modèle de l'hystérie que la pensée psychosomatique a pu se constituer en discipline autonome. Pour Felix Deutsch, il existerait une symptomatologie organique d'origine psychogène qui n'appartiendrait pas à l'hystérie et qui proviendrait d'un inconscient refoulé. Dans ce sens, il réduit le mécanisme de tout désordre psychosomatique à la conversion. Deutsch va d'emblée participer au courant qu'on pourrait définir de "psychosomatique végétative", qui s'intéresse aux effets du système sympathique, aux phénomènes endocriniens, aux processus de sécrétion interne de l'adrénaline, etc., en résumé à tous les effets organiques produits par l'anxiété. L'interdépendance étroite qui lierait selon lui les processus organiques et les processus psychiques, s'explique par l'existence d'une énergie commune : la libido. Celleci est présente au niveau des cellules. Deutsch se réfère à des expériences qui seraient susceptibles selon lui d'évaluer, au travers des modifications surtout hormonales, la quantité de libido dans l'organisme. Il déclare en 1933 : "La tâche qui attend les psychosomaticiens, consistera à déterminer les corrélations existantes entre les structures biologiques et les structures mentales spécifiques". 26 Un peu avant lui, c'est Groddeck (1866-1934) qui innove dans le domaine de la psychosomatique. Il considère que toutes les maladies somatiques sont l'expression d'un conflit psychique, prolongeant donc dans le domaine organique la théorie freudienne de l'hystérie. Mais à la différence de Freud qui postule une conception dualiste des rapports du corps et de la psyché, Groddeck développe une conception véritablement moniste. Ce monisme, pierre angulaire de l'édifice groddeckien, s'applique aux pulsions, à la symbolisation et même à la sexualité, et est enfin et surtout un monisme corps-psyché. La pensée psychosomatique groddeckienne est inséparable de son concept de "ça", qui est pour lui une unité corps-psyché originaire, située au moment où le spermatozoïde et l'ovule s'unissent. Le ça de Groddeck est tout-puissant et préside la destinée de l'individu. Cette omnipotence du ça traduit encore le mysticisme groddeckien. Parmi les psychanalystes qui se sont intéressés aux relations entre la psyché et le soma, Wilhelm Reich (1897-1957) apparaît comme celui qui a conduit la réflexion et la pratique psychosomatique dans ses plus extrêmes retranchements. Ses idées traduisent une vision moniste des rapports corps-psyché dans la mesure où le fonctionnement de chaque sphère est soumis aux lois biologiques. Selon lui, l'énergie biologique qui s'exprime par la fonction de l'orgasme assure l'unité psychophysique. Un environnement ou des facteurs sociaux perturbants conduisent à un dérèglement. C'est aux Etats-Unis que la psychosomatique a connu un essor considérable avec, entre autres, Helen Dunbar (1902-1959) et Franz Alexander (1891-1964). Pour Dunbar, l'organisme est à considérer comme un tout au sein duquel se transforme l'énergie, et il ne peut être véritablement apprécié que dans son environnement. Après une étude consacrée à l'incidence des émotions sur les changements physiologiques et une gigantesque recherche sur les profils de personnalité, elle est convaincue que l'émotion joue non seulement un rôle essentiel dans les guérisons, mais qu'elle constitue l'élément fondamental de la personnalité. Dunbar préconise la psychothérapie comme prévention et traitement de la maladie somatique, surtout pour les maladies chroniques, dont la composante psychique, les facteurs émotionnels, lui paraissent essentiels. 27 Franz Alexander, avec son école de Chicago, joue un rôle capital dans l'histoire de la pensée psychosomatique. En raison de son approche méthodique et quasi expérimentale, certains le considèrent comme le fondateur de cette discipline. Les études effectuées par lui portent sur les dysfonctionnements dans des troubles psychosomatiques, essentiellement les troubles intestinaux, l'asthme et le cycle menstruel des femmes. Son concept de névrose d'organe ou névrose végétative va connaître un succès international, dominant pendant plusieurs années la pensée psychosomatique. Selon ce concept, la névrose peut être définie comme une réponse physiologique à un état émotionnel conflictuel ou que l'individu ne peut gérer. Alexander rompt ainsi avec les pensées psychosomatiques alors dominantes, comme celles de Groddeck ou de Deutsch. Il définit des "constellations psychodynamiques" caractéristiques de certaines affections somatiques. Elles interviennent de manière importante dans leur déterminisme lorsque d'autres facteurs sont réunis. Ces conceptions ne rencontrent plus guère aujourd'hui l'écho qu'elles avaient à leur époque et sont pour ainsi dire abandonnées par les psychosomaticiens actuels. La théorie d'Alexander a été mise en question par J.-P. Valabrega qui introduit en 1964 le concept de "conversion psychosomatique", afin de désigner un mécanisme essentiel dans l'organisation de la maladie psychosomatique. Pour lui, les deux terminologies "conversion psychosomatique" et "somatisation" ne sont pas très différentes. Il se place en fait entre les deux approches qui se trouvent à l'opposé, celle qui fait du symptôme psychosomatique l'équivalent du symptôme névrotique, et celle qui place le symptôme psychosomatique en dehors de toute symbolique. Il tente alors de caractériser le symptôme psychosomatique en usant des notions de symbolisme, de transfert et de fantasmes. C'est à Angel Garma (1904-1993) que nous devons les premiers travaux conséquents de psychosomatiques d'inspiration kleinienne. Il a réalisé notamment de travaux importants sur l'ulcère de l'estomac. Selon lui, les troubles digestifs, par exemple, sont la conséquence d'une régression orale qui réactive inconsciemment les représentations de la mère mauvaise internalisée, attaquant ainsi le tube digestif et 28 pouvant provoquer des ulcères. Pour ces pathologies psychosomatiques il existerait selon lui un profil de personnalité prédisposant. Selon Pierre Marty (1918-1993) et l'Ecole de Paris, il existerait une structure psychosomatique spécifique et la maladie psychosomatique serait la conséquence d'une carence du fonctionnement mental. D'après leurs observations, la vie fantasmatique des malades psychosomatiques est pauvre, voire inexistante. Ces sujets seraient en quelque sorte coupés de leur inconscient et hyperadaptés à leur entourage. Marty qualifie ce fonctionnement mental de pensée opératoire et lie à celle-ci la notion de dépression essentielle. La pensée opératoire trouve son équivalent dans la notion d'alexithymie, décrite vingt ans auparavant par Sifneos. Sami-Ali se place dans la même lignée que Marty, à savoir celle du lien entre inhibition imaginaire et maladie somatique. Il centre le fonctionnement psychique des malades psychosomatiques sur la fonction imaginaire dominée par le refoulement. Il insiste aussi sur le mécanisme de la projection qui ne serait pas purement psychologique mais qui s'accompagnerait aussi de défenses immunologiques. C – MALADIE PSYCHOSOMATIQUE L'expression de maladie psychosomatique sert à définir un ensemble de maladies somatiques dont l'étiologie serait exclusivement psychique. La notion même de maladie psychosomatique pose des problèmes épistémologiques et théoriques très importantes. Qualifier la maladie de psychosomatique s'inscrit dans une perspective diagnostique et insiste généralement sur la dimension affective ou émotionnelle de son étiologie. Cependant, un grand nombre de maladies sont qualifiées de psychosomatiques en vertu d'une situation pathogène, stressante ou traumatique associée à un terrain de prédisposition somatique. Dans les milieux médicaux et psychiatriques, on parle de maladie psychosomatique lorsque la symptomatologie ne renvoie à aucune cause objectivable du point de vue anatomo-physiologique ou biochimique ni à aucun signe de la sémiologie psychiatrique. On admet alors une probable participation de facteurs psychiques dans les mécanismes pathogéniques en cause. 29 D'un auteur à l'autre, la liste des maladies psychosomatiques diffère, de sorte qu'il est impossible d'en dégager une qui fasse l'unanimité. Mais certaines pathologies sont souvent citées, comme l'ulcère duodénal, les désordres cardio-vasculaires, les céphalées, les troubles intestinaux, la fatigue, etc. On rencontre également chez certains auteurs, l'ulcère gastrique, l'hyperthyroïdisme, l'hypertension arterielle, l'asthme, l'arthrite rhumatismale, le diabète, etc. Bien que Freud n'a jamais employé le terme de maladie psychosomatique, il a développé deux modèles théoriques de la somatisation. L'un, où l'énergie sexuelle dérive du psychique vers le somatique ; l'autre, inverse, où l'énergie sexuelle dérive du somatique vers le psychique. Dans la première représentation théorique, Freud rattache la psychopathologie au processus du refoulement et le symptôme résulte de l'échec du refoulement et correspond au retour du refoulé. L'autre modèle théorique de Freud est celui des névroses actuelles. Trois variétés cliniques les caractérisent : la névrose d'angoisse, l'hypocondrie et la neurasthénie. C'est dans son article de 1895, intitulé "Qu'il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain complexe symptômatique sous le nom de névrose d'angoisse" que Freud définit la pathologie actuelle comme un trouble de la sexualité génitale adulte. L'accès d'angoisse peut être isolé ou associé à des équivalents somatiques d'angoisse qui peuvent concerner tous les organes du corps propre. Les symptômes actuels sont dépourvus de toute signification symbolique primaire et l'angoisse qu'ils expriment n'est pas d'origine psychique, mais provient d'une excitation accumulée d'origine somatique. Cette excitation somatique est de nature sexuelle et va de pair avec une diminution de la libido sexuelle. Etant donné que l'activité de décharge n'a pas lieu, l'excitation sexuelle s'accumule dans la sphère somatique et se transforme directement en angoisse. Dans la névrose d'angoisse, elle se projette sur le monde extérieur alors que dans l'hypocondrie, elle s'infléchit narcissiquement sur le corps propre. S. Freud, qui n'a jamais abandonné ces vues sur la spécificité des névroses d'organes, a essayé à plusieurs reprises d'établir des liens entre l'actuel et le névrotique. 30 Pour tenter d'appréhender le mystère de la maladie psychosomatique, plusieurs théories en sont avancées après Freud. Certaines affirment que le symptôme psychosomatique a un sens tout comme le symptôme névrotique ; cette théorie se rattache entre autres aux noms de Groddeck et de Fenichel, et un peu plus récemment, à celui de Garma qui a déclaré au congrès des psychanalystes de langue romane de 1963 : "Le psychosomatique est un névrosé". Pour d'autres, la maladie psychosomatique est très proche de la conversion hystérique mais qui a son origine très tôt dans la vie du sujet. L'un des représentants de cette théorie est J.-P. Valabrega, pour qui l'hypothèse freudienne de conversion n'aurait rien perdu de son actualité et ferait comprendre, en partie, la maladie psychosomatique. Pour d'autres encore, le symptôme psychosomatique n'a pas de sens, puisque l'état psychosomatique se crée très tôt dans la vie, avant l'apparition du langage. Cette théorie est surtout défendue par l'Ecole de Paris avec Marty, Fain, de M'Uzan et David. Pour Sami-Ali, qui postule également un lien entre inhibition imaginaire et maladie somatique, l'imaginaire est une fonction qui se constitue par la relation précoce mère– enfant. Le fonctionnement psychique du malade psychosomatique serait à l'opposé de celui du névrosé ou du psychotique. Dans les deux chapitres qui suivent, nous allons tenter de présenter les deux dernières théories citées ci-dessus : 1) La somatisation comme carence du fonctionnement mental Des auteurs comme P. Marty, C. David et M. de M'Uzan écartent formellement la conversion hystérique comme modèle applicable à la somatisation. Pour eux, les pathologies somatiques témoignent d'une souffrance du soma qui chercherait en vain le psychisme. Dans ce sens, Marty accorde une importance première à l'économie psychosomatique qui regroupe les divers éléments dynamiques déterminant les mouvements fonctionnels d'organisation, de désorganisation et de réorganisation. Ces mouvements sont soumis à un inconscient qui n'est pas seulement celui décrit par Freud. 31 Mais plus qu'à l'inconscient, il revient au préconscient de jouer un rôle important dans l'équilibre homéostasique. Il est, selon l'expression de Marty, la "plaque tournante de l'économie psychosomatique", dans la mesure où il opère les liaisons entre les représentations mentales. Marty s'écarte des concepts de pulsion de vie et de pulsion de mort, développés par Freud, pour leur substituer ceux d'instinct de vie et d'instinct de mort, plus adaptées à sa perspective psychosomatique. Son objectif est d'intégrer les somatisations dans l'économie générale du sujet, plus particulièrement en fonction de ses capacités à réguler son homéostasie, c.à.d. de ses possibilités à gérer ses tensions instinctuelles, libidinales ou agressives, afin de maintenir son équilibre psychosomatique. Dans ce sens, la mentalisation définit l'ensemble des moyens psychiques disponibles afin de réguler les tensions. Car ce sont les activités fantasmatiques et oniriques qui permettent d'intégrer les tensions pulsionnelles et qui protègent ainsi la santé physique individuelle. Pour Marty, la carence fonctionnelle de ces activités va de pair avec des perturbations somatiques. Il introduit la notion de pensée opératoire (au sens des défenses opératoires contre l'émergence d'affects) qui met en évidence ce fonctionnement psychique. Cette pensée opératoire est sans liaison avec des mouvements fantasmatiques. C'est une activité quasi consciente, même si les mécanismes qui la sous-tendent sont inconscients. Mais elle n'est pas rudimentaire, car elle peut être très féconde, mais sans lien organique avec une activité fantasmatique de niveau appréciable. Il s'agirait donc d'un fonctionnement intellectuel pragmatique, instrumental et dévitalisé, prisonnier du geste et de l'action ; une pensée tournée vers le concret, le factuel et l'actuel. La carence mentale s'observe chez de tels sujets également au niveau des relations objectales. En effet, le vide objectal apparaît très particulier aux malades psychosomatiques. Il y a chez eux un certain manque d'intérêt, donnant l'impression que leur intérêt profond est absorbé par ce que Marty appelle "un objet intérieur somatique, opaque et résistant à l'interprétation". Ils semblent coupés de leur inconscient et montrent une impossibilité de se mettre en question et se ressentent dénués de tout problème. La relation à l'investigateur est décrite comme "blanche" et sans engagements affectif ou réactivation d'affects. Le transfert est difficile à installer, et s'il existe, il est alors 32 très rudimentaire, car la relation paraît neutre et plate, sans l'épaisseur de l'élaboration fantasmatique propre aux structures névrotiques par exemple. Il y aurait peu d'extériorisation de l'agressivité. Mais chez le malade psychosomatique, c'est le vécu corporel qui est directement atteint par la décharge pulsionnelle, sans passer par le détour de l'imaginaire. Il y a d'un côté le corps malade et de l'autre, l'esprit sain. En 1966, P. Marty introduit également la notion de dépression essentielle qu'il lie à la pensée opératoire comme l'un des moteurs de la maladie somatique. Aussi bien lui que de M'Uzan et Bonfils ont conclu qu'il y avait un parallélisme frappant entre l'état psychique de leurs patients et celui des états dépressifs. "La dépression essentielle qu'accompagne régulièrement la pensée opératoire, traduit l'abaissement du tonus des instincts de vie au niveau des fonctions mentales. On la qualifie d'essentielle dans la mesure où l'abaissement de ce tonus se retrouve à l'état pur, sans coloration symptomatique, sans contre-partie économique positive."6 Dans cette dépression, on assiste à un effacement des mécanismes mentaux de toutes sortes : mécanismes de défense, association d'idées, etc. L'angoisse n'a pas ou n'a plus alors un rôle de signal et le réservoir pulsionnel n'émet plus, ce qui se traduit par des relations affectives diminuées. L'une des caractéristiques essentielles est la disparition de tout sentiment de culpabilité. Contrairement à la dépression mélancolique, cette forme de dépression ne dérive pas d'une identification à l'objet perdu et ne trouve pas son origine dans l'acharnement du surmoi contre le moi se substituant à l'objet. Ce qui est en cause dans cette dépression, c'est qu'il n'existe plus d'écart entre le moi et le surmoi ; que le moi est le surmoi et qu'il en tire son sentiment d'être. Plus de détresse, plus d'affliction dorénavant, mais une absence de vie onirique par le refoulement des rêves. Selon J. Bégoin, la maladie serait toujours liée à une dépression ; elle est une sorte de somatisation des affects dépressifs qui sont ressentis à un certain niveau comme intolérables et que le sujet n'a pas le moyen de les élaborer et de les supporter. Au fond, 6 MARTY P., de M'UZAN, DAVID C. : "L'investigation psychosomatique", P.U.F., 1963 33 on peut trouver chez tout le monde un certain noyau de dépression primaire qui peut être révélée lors d'une maladie. L'origine de la dépression essentielle serait liée à des phénomènes précoces, à des ratés des pare-excitations de la fonction maternelle. L'entretien de la maladie somatique dépend théoriquement de la durée de la dépression essentielle qui en est à l'origine et qui persiste. Les caractéristiques économiques dégagées par Marty le conduisent à postuler une nouvelle nosographie à l'intérieur de laquelle il distingue trois catégories de névroses : la névrose mentale, la névrose de caractère et la névrose de comportement. A partir de la classification axée sur l'économie psychosomatique, Marty a élaboré quatre modes d'organisation : - les apparentes inorganisations, - les désorganisations progressives, - les régressions globales, - les régressions partielles. Cette conception est avant tout une théorie du déficit. Le malade psychosomatique est considéré comme globalement déficitaire. Mais déficitaire bien sûr par rapport à la mentalité normale, à la névrose et à la psychose. 2) Le modèle multidimensionelle Pour Sami-Ali, un modèle de la somatisation ne saurait être que "multidimensionnel". Il se présente sous la forme dialectique de couples de concepts qui, par leur opposition, dessinent les dimensions fondamentales des phénomènes de somatisation ; ainsi entre autres : - corps réel et corps imaginaire - sens primaire et sens secondaire du symptôme organique - imaginaire (assimilé à la projection) et banal (absence de projection) - refoulement réussi et refoulement manqué - impasse dépassée (psychose) et impasse indépassable (maladie somatique) 34 Sami-Ali a élaboré une théorie métapsychologique du corps dans sa double référence réelle et imaginaire qui aboutit à une conception de la pathologie générale. Pour lui, l'imaginaire est donc un concept simultanément psychologique et biologique. Il est représenté par le rêve et les équivalents du rêve tels que le fantasme, la rêverie diurne, le délire, l'hallucination, l'illusion, la croyance, le jeu, le transfert, le comportement magique, etc. Mais le rêve est un processus biologique rythmique ponctué par l'alternance du sommeil paradoxal et du sommeil lent. Si le rêve peut être tenu pour l'accomplissement du désir, ce n'est pourtant pas le désir qui met le rêve en mouvement. "L'imaginaire n'est pas réductible à la représentation par images parce qu'il est la subjectivité même. C'est pourquoi l'imaginaire est synonyme de projection, par quoi il faut entendre un mode de pensée caractéristique du rêve et transformant le sujet en objets aussi bien qu'en l'espace et le temps des objets : l'absolument subjectif devenu l'absolument objectif."7 Ainsi se définit, médiatisé par la relation précoce mère-enfant, l'imaginaire en tant que fonction se déployant dans une relation. Lorsque la fonction de l'imaginaire subit un refoulement, il en résulte non seulement l'oubli systématique des rêves mais aussi la perte d'intérêt à leur égard. Mais contrairement à la psychopathologie freudienne, le refoulement est ici un refoulement réussi, sans retour du refoulé. Les traits de caractère remplacent les symptômes, la subjectivité est remplacée par des règles adaptatives. S'il apparaît alors une pathologie, elle ne peut être qu'organique, atteignant le corps dans sa réalité. C'est pourquoi la somatisation relève du littéral et le sens est un sens secondaire qui s'ajoute au symptôme après coup, mais n'en détermine pas l'étiologie. Néanmoins, la somatisation ne se ramène pas au seul fonctionnement, elle a toujours lieu dans une situation d'impasse. Celle-ci se caractérise par l'existence d'un conflit insoluble parce qu'il implique la contradiction ; dans ce sens, il reste distinct du conflit névrotique. L'impasse est cette impossibilité à trouver une issue et elle prédispose à la somatisation. Par conséquent, le fonctionnement adaptatif, banal, n'est pas en soi pathogène alors qu'il peut le devenir, précipitant une somatisation du corps réel, organique. 7 SAMI-ALI : "Le corps, l'espace et le temps", Ed. Dunod, 1998. 35 L'affection somatique est donc le fruit conjoint d'un refoulement réussi de la fonction de l'imaginaire et d'une situation d'impasse. Le sujet qui doit affronter une situation qui met en échec son fonctionnement caractériel, c.à.d. un fonctionnement qui exclut tout recours à l'imaginaire, se trouve confronté à une situation de risque maximal dans laquelle c'est le corps réel qui est en péril, quelle que soit la fonction sur laquelle porte l'atteinte somatique. A côté de ces formes majeures de la pathologie, il existe une 3ème forme dans laquelle le refoulement manqué alterne avec le refoulement réussi de l'imaginaire. De cette dernière forme dépend un nouveau regard qui devrait éclairer l'intrication du somatique et du culturel. Ce modèle psychosomatique tend à montrer que la somatisation du corps réel ne peut être, soit une variante de la névrose actuelle marquée par l'insuffisance de l'élaboration psychique, soit une variante de l'hystérie de conversion où le syndrome organique est assimilé à un contenu symbolique refoulé faisant retour après échec du refoulement, soit enfin, à l'instar de la théorie lacanienne de la psychose, la manifestation dans le corps du non symbolisable. Il importe cependant de faire remarquer que toute maladie n'est pas forcément une somatisation, et que la question doit se poser de savoir quels liens possibles existent réellement entre une pathologie donnée et la vie du sujet. La problématique du corps ne peut donc pas être dissociée de celle de l'espace et du temps. D – PROFIL DE PERSONNALITE Certains auteurs ont tenté de décrire un profil psychologique spécifiques comme sous-bassement de telle ou telle affection psychosomatique. Il revient surtout à l'américaine Flanders Dunbar d'avoir développé de manière approfondie et avec une méthodologie précise, l'étude des corrélations entre traits de personnalité et tableaux cliniques correspondants. La personnalité devient alors première et le symptôme n'est alors compris que comme ce qui vient témoigner de cette personnalité. L'individu est ainsi considéré comme un organisme qui doit maintenir un équilibre avec son environnement. 36 Le but d'une telle étude est d'abord diagnostic et ensuite de dégager des indications thérapeutiques les plus appropriées à la pathologie concernée. L'essentiel de la collecte des données conduisant à l'établissement d'un profil de personnalité est obtenu par un ou plusieurs entretiens entre le médecin et le patient. Ces entretiens sont directifs et plus ou moins marqués selon la personnalité des malades. Le recours à d'autres méthodes est également nécessaire pour dégager le profil de personnalité. Pour Dunbar, l'ulcéreux gastrique par exemple; était consciemment indépendant et hyperactif, et inconsciemment dépendant et passif ; le rhumatisant chronique n'avait pas résolu ses problèmes sexuels infantiles et se sentait inconsciemment très coupable ; le coronarien ayant une personnalité forte, essayait constamment de maintenir un grand contrôle de lui-même. Cette notion de profil spécifique fut pourtant peu à peu abandonné par Dunbar elle-même. Mais un grand nombre d'auteurs en reprirent certains aspects en les étayant beaucoup plus et allant même jusqu'à décrire une psychodynamique spécifique, comme Alexander, pour qui cette notion de spécificité joue un rôle très important. C'est ainsi qu'il définit en un certain nombre de points essentiels les fondements d'une psychodynamique de l'asthme : - la séparation de la mère est le problème émotionnel central; - la crise d'asthme a la valeur d'un cri refoulé vers la mère; - les mères des asthmatiques sont souvent de type "rejettant"; - l'asthme apparaît souvent dans la première enfance; - les pulsions sexuelles paraissent être significatives dans le déclenchement des attaques; - le père de l'asthmatique est souvent inexistant et incapable d'assumer une fonction virile. Bonfils, Hachette et Danne de l'équipe clinique et de recherches gastroentérologiques de l'hôpital Bichat, ont continué à travailler sur les profils de personnalité et ont élaboré des structures psychologiques notamment pour l'ulcère gastro- 37 duodénal, les colites inflammatoires chroniques et les colopathies fonctionnelles. Ils se basent sur les travaux d'Alexander et de son école qui ont montré que les relations affectives de l'ulcéreux, aussi bien avec son monde intérieur qu'avec son entourage familial et social, sont singularisées par la prédominance d'un système adaptatif : l'oscillation entre l'expression de tendances actives et celle de tendances passives réceptives. Les tendances passives s'expriment par un besoin, le plus souvent inconscient, de prise en charge, de soutien, de dépendance. Les tendances actives s'expriment par un besoin de responsabilité, de compétition plus ou moins agressive et par une revendication de liberté et d'indépendance. Le mouvement d'oscillation se situe donc entre un pôle où la dépendance est acceptée, mais devient rapidement intolérable, et un pôle où la dépendance est refusée. Par réaction, le sujet devient hyperactif, soucieux de son autonomie et trouve alors l'occasion de nouvelles tensions émotionnelles auxquelles il voudra échapper en se tournant vers l'autre pôle. Cette situation fondamentale n'est cependant nullement spécifique de l'ulcéreux ; le recours à ce système activité-passivité comme comportement défensif ou technique d'adaptation se rencontre également chez de nombreux malades psychosomatiques mais c'est chez l'ulcéreux que la prédominance de ce système est la plus fréquente. Cette situation fondamentale se présente cliniquement de façon variée selon la prédominance de l'un ou l'autre des deux pôles ou selon le type de compromis qui a pu s'établir. On peut schématiquement décrire 4 types cliniques principaux, en sachant qu'il existe des formes de passage et que l'ulcère duodénal réalise indiscutablement les tableaux les plus purs : a) Le type I ou "Hyperactif" chez qui le pôle d'indépendance s'affirme de façon privilégiée et les tendances hyperactives sont au premier plan. b) Le type II ou "Equilibré" chez qui un compromis a pu s'instaurer entre les tendances opposées. c) Le type III ou "Instable" qui est plus rare et chez qui l'instabilité sociale domine. d) Le type IV ou "Passif" chez qui le pôle de dépendance domine absolument. Toujours selon Bonfils, Hachette et Danne, c'est la rectocolite hémorragique (R.C.H.) qui est parmi les types de colites inflammatoires chroniques le plus représentatif d'une pathologie psychosomatique. Chez ces malades, le mode de relation affecte une forme 38 particulière à laquelle s'applique le terme d'ambivalence. Bien que cette ambivalence de la relation avec autrui n'est pas toujours manifeste, on peut observer un état de tension présente qui traduit une attitude intellectuelle de lutte contre la méfiance fondamentale éprouvée à l'égard de l'"autre". Par ailleurs, on trouve chez ces patients au premier plan des sentiments d'insuffisance, d'infériorité, une culpabilité diffuse, puis une dépendance très manifeste vis-à-vis des apports extérieurs (entourage, famille) dans le domaine affectif, ce qui est en contradiction avec leur méfiance envers l'autre. Chez ces patients, les mécanismes mentaux d'aménagement de la relation sont soit inexistants soit mal structurés. Le contact avec le médecin est fait de deux mouvements : l'un positif, marque un intérêt pour la personne du médecin et son activité. L'autre mouvement, hostile, est fait de refus, de réticence, voire d'agressivité. Ce mode de relation est singulièrement instable et le passage d'un mouvement à l'autre est souvent brusque. Si ce mode relationnel peut s'observer dans d'autres affections psychosomatiques, il n'est jamais aussi pur, aussi schématique que dans la R.C.H. Selon Bonfils, Hachette et Danne, il y aurait une étroite parenté entre le tableau psychologique de la R.C.H. et celui des états dépressifs. En effet, on retrouve dans la théorie psychanalytique classique des états dépressifs le même style de relation d'objet, une fréquence égale de quelques traits obsessionnels, des circonstances déclenchantes identiques, et dans l'enfance, les mêmes frustrations maternelles ou paternelles. Ces diverses théories sur l'existence d'un profil psychologique spécifique à chaque affection psychosomatique ne font pas l'unanimité, car beaucoup d'auteurs en s'éclairant d'observations cliniques, contestent cette conception. On ne peut mieux faire que citer Alexander lui-même, lorsqu'il écrit que cette théorie de la spécificité est une "controverse encore ouverte". Cependant, certains auteurs non seulement font foi mais aussi retrouvent constamment chez leurs patients, une certaine personnalité psychosomatique telle que l'ont décrite Marty, Fain, de M'Uzan et Sami-Ali, à savoir : 39 - une personnalité particulièrement dominée par une absence d'organisation névrotique telle que le malade se présente avec d'une part, son corps malade et de l'autre, son esprit psychologiquement sain; - un manque de fantasmatisation; - une absence de transfert; - un manque de verbalisation; - une inertie presque totale entrecoupant l'investigation; - une pensée opératoire ou instrumentale. En dépit de nombreux études et travaux effectués dans ce domaine, pour tenter d'expliquer et justifier ce saut mystérieux du psychique au somatique, ce mécanisme tout comme celui qui se réalise dans l'hystérie, reste encore difficile à expliquer. Cependant, de nombreux auteurs ont noté la relation entre les facteurs psychiques et émotionnels et l'installation de l'affection psychosomatique. C'est ainsi que Marty affirme : "Quand il existe un lien précis entre la situation conflictuelle d'un sujet et sa maladie, il s'agit bel et bien d'un malade psychosomatique".8 Ces conflits ne sont pas spécifiques, mais ils entraîneraient une frustration et seraient sentis par le sujet comme une atteinte vitale. C'est cet état de tension qui déclenche ainsi le trouble organique. Bien évidemment, ces conflits prennent une valeur affective en raison de la personnalité propre du sujet, de son vécu. En effet, le fait que tel malade développe une névrose pure notamment hystérique, tel autre placé dans des conditions psychologiques similaires bascule dans la psychose, tandis que le troisième utilise ce mode somatique particulier d'expression, est dû à une rencontre qui s'est produite entre ses expériences conflictuelles infantiles, sa constitution, son hérédité. Les empreintes pathologiques qui ont pu se faire dès sa naissance sur tel point de son économie psychique, ont créé là un point faible, lieu d'appel qui est utilisé par de futurs investissements affectifs inconscients ; ces derniers sont à leur tour susceptibles de perturber les organes. 8 MARTY P., de M'UZAN, DAVID C. : "L'investigation psychosomatique", P.U.F., 1963. 40 Il existerait alors une régression de l'activité mentale inconsciente vers des formes somatiques, une régression du moi à un système primitif de défenses, et une régression de la libido objectale et de l'agressivité vers des formes physiques de l'excitation : le malade psychosomatique étant un sujet pouvant facilement régresser à des stades prégénitaux, donc corporels, avec investissement de toutes les zones érogènes que représente chaque organe. Le moi réagirait et c'est son mode de défense qui le mènerait vers la somatisation. 41 III. RAPPORTS CONVERSION-PSYCHOSOMATIQUE A – DIFFERENCES ET ANALOGIES Dans la littérature relative à la psychosomatique, on trouve le plus souvent une distinction entre les troubles somatiques psychonévrotiques – à laquelle appartient l'hystérie – et les troubles psychosomatiques regroupant les désordres dus à des conversions non hystériques. Le premier groupe recèlerait un contenu et une signification psychiques ; le second, au contraire, ne posséderait en lui-même aucun contenu psychique et par conséquent ne symboliserait aucun conflit psychique. Selon certains psychosomaticiens cependant, ces deux ensembles ne sont pas sans liens dans la mesure où le second groupe se constituerait à partir d'une personnalité psychonévrotique dont la caractéristique est de traduire symboliquement ses conflits. Mais certains faits psychosomatiques sont proches des réactions hystériques et il existe une grande similitude entre la personnalité hystérique et celle de certaines psychosomatiques comme les grands allergiques. La distinction entre les deux entités n'est donc pas aussi claire, car certains auteurs utilisent le terme de somatisation pour parler des manifestations psychosomatiques, alors que d'autres l'utilisent également dans le cas des troubles de conversion. Même le DSM III-R qui tente de faire la distinction entre somatisation et conversion, n'y parvient pas puisqu'il décrit dans la clinique des somatisations, des troubles de conversion. Or pour le DSM III-R, les caractéristiques essentielles de la somatisation sont des plaintes somatiques multiples et réitérées, existant depuis plusieurs années, sur lesquelles l'attention des médecins a été attirée, et qui ne semblent relever d'aucun désordre physique. Le trouble commence avant l'âge de trente ans et a une évolution chronique mais fluctuante. Ces plaintes concernent invariablement les appareils ou les types de symptômes suivants : symptômes de conversion ou pseudo-neurologiques (par exemple paralysie, cécité), appareil gastro-intestinal (par exemple douleurs abdominales), gynécologiques chez la femme (par exemple règles douloureuses), psychosexuels (par exemple désintérêt sexuel), nociceptifs (par exemple douleurs dorsales), cardiorespiratoires (par exemple étourdissements, malaises). 42 Il existe néanmoins une distinction entre les conversions hystériques et les manifestations psychosomatiques quant à la nature des symptômes, c.à.d. dans les premières, les troubles sont purement fonctionnels, portant surtout et souvent sur la motricité, et où on ne retrouve pas d'atteinte organique lésionnelle. Par contre, chez le psychosomatique, les symptômes physiques sont soutenus par de vrais désordres organiques. Les deux entités ont un point commun pour ce qui est du déplacement des troubles, car si on parle de mobilité dans le cas des symptômes hystériques, il en est de même pour les troubles psychosomatiques. En effet, la clinique psychosomatique nous apprend que les troubles se déplacent, qu'elles soient fonctionnelles ou lésionnelles. Tous les généralistes et les spécialistes le constatent apparemment. En plus de ces déplacements, il y a pour les troubles lésionnels des balancements spécifiques. Par exemple l'eczéma alterne souvent avec l'asthme et l'ulcère avec l'infarctus. On cerne mal le mécanisme intime de ces déplacements et celui des associations. Si les troubles se déplacent et alternent entre eux, il y a aussi des balancements entre l'apparition d'un symptôme somatique et la disparition d'un symptôme psychique ou vice-versa. Ceci s'applique aussi bien à la conversion hystérique qu'à l'affection psychosomatique. Il arrive par exemple que lors de la levée d'un symptôme hystérique, le malade est très angoissé. C'est surtout d'ailleurs cette angoisse qui, parfois insupportable, va s'opposer à la guérison ou entraîner le déplacement de la conversion dans un autre territoire (par exemple remplacement d'une aphonie par une sciatique). Dans le cas des affections psychosomatiques, on a noté souvent l'apparition d'un délire après une intervention sur une rectocolite hémorragique, ou la survenue d'une impuissance ou d'un état dépressif après la stabilisation d'un ulcère. Sami-Ali a montré, à plusieurs reprises, les balancements qui existaient entre certaines somatisations et la psychose, par exemple entre l'hypocondrie et la paranoïa, l'allergie et la psychose hallucinatoire et vice versa. C'est ce qui lui a fait dire que l'allergie était le négatif de la psychose et la psychose le positif de l'allergie. 43 B – SENS ET NON-SENS DU SYMPTOME Depuis l'origine de la psychanalyse, la découverte du sens du symptôme a constitué une bonne part du travail psychanalytique. La question du sens a connu des destinées diverses et souvent singulières. Les premières interprétations du symptôme somatique reposaient sur le schéma de l'hystérie. Ce symptôme émanait d'un processus de conversion qui survenait à la suite d'un refoulement. Fruit d'une symbolisation, les symptômes de conversion étaient donc l'expression somatique d'affects. Celle-ci constituait un compromis entre le désir et l'interdit et s'avérait traduisible. Si le symptôme hystérique a un sens, il a un sens primitivement sexuel. C'est depuis Freud que la qualité sexuelle du symptôme hystérique a été démontrée. Certains vont jusqu'à assimiler la crise d'hystérie à un véritable acte d'amour avec orgasme. Ce sens sexuel du symptôme apparaît constamment au cours de la cure analytique. Mais par contre, chez le psychosomatique, cette érotisation des symptômes n'existe pas : le symptôme n'a pas de valeur sexuelle primaire ; et s'il en acquiert une, c'est souvent secondairement au cours du traitement. Au niveau de la signification des symptômes, le symptôme hystérique est considérait comme un langage, c.à.d. qu'il veut dire quelque chose d'emblée, où le symptôme psychosomatique n'acquiert un sens que secondairement. Par ailleurs, chez l'hystérique il s'agit du corps fantasmé, du corps imaginaire, c.à.d. d'un corps entièrement chargé de sens, qui signifie autre chose que ce qui est dit ; alors que pour le psychosomatique, il s'agit du corps réel. Certains auteurs attribuent néanmoins un sens à tous les symptômes somatiques, comme Groddeck, pour qui toutes les maladies somatiques sans exception traduisent un conflit inconscient et recèlent un sens. Pour les kleiniens, autour de Garma et de Sperling, le symptôme somatique a autant de sens qu'un symptôme névrotique ou plus, psychotique. 44 Une autre position est occupée par Valabrega pour qui le symptôme psychosomatique a un sens, mais pas le même que celui offert par le symptôme névrotique. Il a un sens qui lui est propre et qui ne peut être perçu que secondairement et indirectement : il faut aller le chercher à travers les détours donnant des allusions passagères. Pour lui, il existe une conversion psychosomatique à laquelle il rattache une forme de symbolisation proche, dans son mécanisme, de la symbolisation hystérique. Avec les travaux de Dunbar et d'Alexander, le sens se détache du retour du refoulé, les troubles psychosomatiques ne résultent pas nécessairement d'un mécanisme de conversion et les symptômes somatiques de nature psychogène ne constituent pas obligatoirement un langage déchiffrable. Pour David, de M'Uzan, Fain et Marty qui définissent le symptôme psychosomatique par une série de carences, la distinction paraît indubitablement essentielle entre l'affection psychosomatique et le symptôme de conversion. Pour eux, le symptôme psychosomatique ne véhicule aucun sens, "est bête" ; la maladie signifie par son absence de sens déchiffrable. Alors que le symptôme hystérique est l'expression symbolique de toute une fantasmatisation inconsciente, le symptôme psychosomatique devient une fonction dépouillée de toute signification inconsciente. Dans le symptôme de conversion, la relation est directe, vu sa portée symbolique, mais dans le symptôme psychosomatique, elle est à la fois hétérogène et indirecte. Devant le symptôme psychosomatique, on est en présence d'une traduction qui "ne marche pas", c.à.d. qu'elle ne fournit pas d'énoncé intelligible. Mais malgré cela, l'affirmation selon laquelle ces symptomatologies "illisibles" ne sont pas un langage, que "cela ne veut rien dire", que "c'est bête", peut être mise en question. En nous référant à l'historique de la notion de conversion, nous nous rendons compte qu'avant Freud, on ne savait pas lire, c.à.d. traduire, le symptôme hystérique de conversion ; et bien entendu, pour cette raison, on ne pouvait pas lui attribuer une signification. Maintenant, on sait lire ce symptôme et lui attribuer une signification. La position des tenants de la théorie de la bêtise, du non-sens du symptôme somatique ne paraît donc pas complètement soutenable. Car elle ne fait reprendre à 45 propos de ce symptôme ce que l'on croyait de la conversion hystérique à l'époque prépsychanalytique, et qui manifestement est apparu depuis comme une erreur et une ignorance. Tout autant qu'à propos de la signification, nous pouvons dire, en nous appuyant sur certains auteurs, que le symptôme somatique est soutenu par des fantasmes. Même les grands défenseurs de la théorie du déficit, qui ont nié l'existence d'une activité fantasmatique chez les patients psychosomatiques, ont pu observer chez leurs patients une mimique du fantasme. Ces mimiques sont des indices de l'existence d'un fantasme. Il est donc un peu hâtif de parler de carence de la fantasmatisation dans la mesure où les fantasmes ne sont pas des organisations ou des productions psychiques exclusivement conscientes ou préconscientes. Les fantasmes inconscientes existent certes et ce sont peut-être même les plus agissants. Ces fantasmes qui sont, bien entendu, d'accès difficile au départ, se découvrent au cours du traitement des malades. Et ceci justement parce que la dotation de sens qui peut être faite à un symptôme ou à un groupe de symptômes, ne dépend pas que du sujet qui le ou les présente. Cette dotation de sens implique également l'observateur qui n'en est d'ailleurs pas toujours le destinataire. En ce qui concerne le sens du symptôme ou de la maladie, une troisième position semble pouvoir être dégagée de la clinique. Elle ne consiste pas à s'interroger sur l'origine du symptôme ou de la maladie, afin d'en déterminer sa possible nature psychogène. Elle ne concerne donc pas la constitution du symptôme, mais la place que celui-ci occupe pour le sujet dès lors que le symptôme se manifeste. Que le symptôme soit d'origine psychique, qu'il advienne à la suite d'une fragilité ou d'une désorganisation mentale, ou que son étiologie soit exclusivement organique ou génétique, le symptôme somatique peut accéder au sens. Ce sens doit être considéré comme partie intégrante du symptôme. Il n'est donc pas celui qui émanerait d'un refoulé inconscient, et ne résulte pas non plus d'un saut de la psyché au soma. Il découle d'une sorte d'exigence psychique d'inscrire le symptôme dans son registre, c.à.d. à signifier. Freud disait d'ailleurs qu'il ne se passe rien dans le corps sans que ce soit repris par l'appareil psychique, c.à.d. que même si le symptôme psychosomatique n'a pas de sens, un sens va lui être conféré secondairement. Les 46 processus psychiques mis en oeuvre sont d'autant plus importants et complexes que le désordre atteint profondément l'individu. Les affects suscités par l'apparition d'un désordre somatique et la signification qu'il trouve pour le malade proviennent à la fois de la situation actuelle liée à la maladie que de l'histoire du sujet dans laquelle s'inscrit son organisation mentale. Sans que cette histoire est nécessairement le soubassement de la somatisation, elle l'entretient et elle l'assiste. Cette inscription du sens maintient ainsi une sorte de cohésion psychique entre deux sphères de natures différentes, le soma et la psyché, entre deux vécus, le passé et le présent, et entre deux registres, le réel où se situe la maladie somatique et la réalité psychique. C – LIEN ENTRE PROJECTION ET SOMATISATION En 1917, Freud a mis en rapport le processus du rêve avec une projection. Car la projection n'est pas en soi un processus défensif, et soutient l'ensemble du fonctionnement psychosomatique. Le processus défensif n'est qu'une variante de la projection. Pour Sami-Ali, l'imaginaire est synomyne de projection, et n'englobe pas moins d'autres phénomènes qui, d'ordinaire, ne sont pas mis en rapport les uns avec les autres et que nous avons déjà évoqué dans un chapitre précédent : le rêve, l'hallucination, le délire, le comportement magique, le fantasme, le jeu, la croyance, l'expression affective. Ce sont là des phénomènes médiatisés par un processus de projection. Le phénomène de projection relève chaque fois d'un dosage différent du conscient et de l'inconscient. Par exemple, l'enfant qui joue aux soldats, imaginairement s'investit comme soldat mais aussi se regarde en même temps s'investir comme tel. Dans ce cas, la rêverie constitue une variante de la projection, mais où préconscient et conscient l'emportent sur le fonctionnement inconscient ; ce dernier prédomine cependant dans le rêve, l'hallucination et l'affect. Par ce groupement se dessine ainsi une dimension fondamentale, la dimension de l'imaginaire qui s'oppose au réel de façon globale et précise à la fois. Il devient alors possible d'appréhender l'organisation psychosomatique comme un ensemble structuré et d'établir des relations spécifiques entre les différentes formes de somatisation. 47 Dans la conversion hystérique, il existe une corrélation positive entre projection et somatisation. Le corps est ici en continuité avec l'inconscient et avec le processus projectif. Dans l'hystérie de conversion, le corps est le même que dans le rêve. Il s'agit du corps imaginaire qui n'est pas la réalité corporelle en soi mais sa transposition en fantasmes. Dans le rêve et l'hystérie, le corps est donc une présence imaginaire fondée sur une anatomie particulière qui prend appui sur l'anatomie réelle mais prend également racine dans la vie inconsciente du sujet aussi bien que dans les traditions populaires. Dès lors, à l'instar des rêves, les symptômes hystériques sont le lieu où se matérialise un désir inconscient s'inscrivant dans une relation à l'autre. Déterminer le sens d'un symptôme hystérique revient à en dévoiler le sens inconscient qu'il prend dans une relation transférentielle en même temps qu'à modifier l'être même de la somatisation. Tout autre est le sens qui s'ajoute après coup en un effort de rationnalisation quand il s'agit d'atteintes lésionnelles, c.à.d. d'une somatisation du corps réel. Dans cette dernière, on assiste à un refoulement persistant de l'imaginaire, qui interdit tout accès à la vie onirique. Les symptômes organiques ne résultent pas de l'échec du refoulement et du retour du refoulé, et sont donc ce qu'ils sont. Leur sens symbolique ne peut être que secondaire. Ici, s'établit donc une corrélation négative entre projection et somatisation. La projection intervient donc aussi dans le processus de guérison. Ce que Freud dit du délire paranoïaque, à savoir que c'est une tentative de guérison, s'applique selon Sami-Ali aussi à la maladie somatique lorsqu'elle s'accompagne de phénomènes projectifs. "Conférer rétrospectivement au symptôme un sens au moyen de la projection, en une tentative ultime de justifier l'injustifiable, peut alors marquer le passage, modifiant en profondeur tout le fonctionnement psychosomatique, du corps réel au corps imaginaire." 9 9 SAMI-ALI : "Penser le somatique, imaginaire et pathologie", Ed. Dunod, 1987. 48 Mais la projection n'est pas seulement un mécanisme purement psychologique et s'accompagne d'un renforcement des défenses immunologiques ; celles-ci, inversement, s'affaiblissent lorsque la projection diminue. Pour Sami-Ali, il existe donc une relation d'équivalence négative entre le psychique et le somatique, et une maladie organique apparaît en lieu et place d'une formation névrotique ou psychotique, même si celle-ci n'est pas assimilable à celle-là. Le destin de l'être humain en tant qu'unité psychosomatique s'articule donc autour du processus projectif qui prend appui sur une fonction physiologique et opère au niveau de la constitution simultanée de l'objet et du corps imaginaire. Tous les degrés intermédiaires sont permises selon que prévaut l'une ou l'autre variante de la projection. L'approche des troubles psychosomatiques se situe donc dans une optique différente de celle des conversions hystériques. Dans celles-ci, l'inhibition, la déformation ou le manque d'articulations à la réalité entravent une fonction déjà constituée, alors que dans les somatisations, c'est la constitution d'une fonction qui fait problème. Il est donc primordial de repérer les signes révélateurs d'un éventuel dysfonctionnement projectif associé à l'apparition d'une somatisation. 49 CONCLUSION A l'issue de toutes ces positions conceptuelles, nous pouvons nous permettre de conclure que la conversion hystérique et l'affection psychosomatique qui ont en commun le corps comme moyen d'exprimer une souffrance, et qui sont très proches l'une de l'autre dans la mesure où elles sont conçues toutes les deux comme des défenses du Moi, sont évidemment deux états différents. En effet, si les symptômes corporels de l'hystérie n'ont aucune réalité physiopathologique, ni anatomique et touchent plus électivement certaines fonctions, les affections telles que l'asthme, l'ulcère, l'hypertension artérielle, véritables maladies bien structurées, donnent l'impression d'une réalité consistante et constituent de vrais désordres organiques. Et même considérés dans leur expression comme un véritable langage, dans la mesure où ils parlent pour qui veut les comprendre, chacun de ces deux types de symptômes utilisent un langage particulier, qui lui est propre. D'ailleurs, si la signification de ce langage paraît parfois évidente à fleur de peau d'un côté, de l'autre, elle paraît plutôt difficile à décoder ou ne permet pas de décodage. Même s'ils semblent s'apparenter, dans la mesure où ils utilisent tous les deux le corps comme lieu privilégié d'expression fantasmatique d'un conflit, et dans la mesure aussi où ils coexistent où alternent parfois, il y a cependant une différence fondamentale entre ces deux ordres de manifestations : pour l'hystérie, la problématique fondamentale réside dans la question de l'oedipe mal résolue, mais pour l'affection psychosomatique, elle se situe à un moment plus précoce de la vie. Nous sommes donc bien d'accord pour dire que sur le plan clinique, les choses ne sont pas toujours si simples et si nettes. Et pour beaucoup d'affections, il est difficile d'affirmer, au vu de la seule séméiologie, que l'affection a une structure purement fonctionnelle à type de conversion hystérique ou une structure plus organisée sur le mode psychosomatique. En effet, les observations cliniques posent ce problème des intrications des troubles hystériques et psychosomatiques. 50 Nous pouvons dire que l'homme est un être psychosomatique dans le sens où tout son fonctionnement somatique est intimement lié à son fonctionnement mental. Nous pouvons également dire qu'il existe pour chaque individu une homéostasie spécifique, réalisée la plupart du temps, d'une part entre sa vie sociale, professionnelle, sentimentale et familiale, et d'autre part, le fonctionnement de son appareil psychique. Cette homéostasie qui est singulière et originale pour chaque individu, fait de lui toujours un "cas à part", différent de son congénère. C'est pourquoi la compréhension des maladies de l'humain nécessite à notre sens une aptitude à la créativité, voire à l'esthétique. Bien qu'il existe encore beaucoup d'inconnus quant aux fonctionnements psychique et somatique et que la recherche multidisciplinaire est essentielle dans ce domaine, une chose est sûre : que ce soit dans les conversions hystériques ou dans les affections psychosomatiques, le corps a encore ses "maux" à dire. 51 BIBLIOGRAPHIE Assoun P.L. : "Corps et Symptôme", Ed. Anthropos, 1997. Assoun P.L. et Bégoin J. : "Le bénéfice de la maladie" - Revue de psychanalyse et clinique médicale, n° 2, Automne 1998 Bonfils S., Hachette J.-C., Danne O. : "L'abord psychosomatique en gastroentérologie", Ed. Masson, 1982. Chemouni J. : "Psychosomatique de l'enfant et de l'adulte", Ed. Nathan, 2000. De Mijolla A. et S. (sous la direction de) : "Psychanalyse", P.U.F. Fondamental, 1996. Ey H., Bernard P., Brisset C. : "L'hystérie de conversion", in "Manuel de psychiatrie – Ed. Masson, 1989. Freud S. : "Fragments d'une analyse d'hystérie : Dora". In "Cinq psychanalyses", P.U.F., 1995. 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