l`ex-femme de ma vie - Cours de theatre Paris

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l`ex-femme de ma vie - Cours de theatre Paris
L’EX-FEMME DE MA VIE
PERSONNAGES : Frankie, Tom
Frankie, enceinte, ancienne femme de Tom, apparaît, venant de la cuisine et ponant un plateau
de petit déjeuner. Elle porte des lunettes noires. Elle va vers le divan.
FRANKIE Tu as bien dormi ?
TOM. Comme sur un divan... très, très bien... Et toi, ça va mieux ?
FRANKIE. Beaucoup mieux. Je suis allée m'acheter deux ou trois trucs, ça m'a fait du bien...
Je vais beaucoup mieux dans la tête... Ça se clarifie... Comment tu trouves ma robe ?
Elle pose le plateau sur la table basse, et entreprend de ranger la pièce.
TOM. De grossesse... très jolie... Tu as mal aux yeux ?
FRANKIE. J'ai les yeux bouffis, ça doit être une séquelle de saumon, alors j'ai acheté des
lunettes noires.
TOM. Qu'est-ce que tu fais ?
FRANKIE. Un peu de rangement.
TOM. Ecoute, Frankie, c'est très gentil, mais...
FRANKIE. Non, c'est toi qui as été très gentil de me laisser dormir là...
TOM. D'accord, tout le monde est très gentil, mais ne te sens pas obligée de jouer les
cendrillons.
FRANKIE. Tu veux des œufs au bacon ?
TOM. Non, merci.
FRANKIE. Tu ne prends plus d'œufs bacon le matin ?
TOM. Non, je ne prends plus d'œufs bacon le matin.
FRANKIE. C'est curieux... Tu ne pouvais pas te passer d'œufs au bacon le matin. On
n'arrêtait pas de s'engueuler à ce sujet d'ailleurs.
TOM. Ça ne m'a pas frappé. On avait tellement de sujets d'engueulade.
FRANKIE. A chaque fois, y'avait un truc. Ou ils étaient trop cuits, ou trop baveux, ou alors ils
étaient froids. C'est curieux que tu ne les aimes plus.
TOM. J'ai arrêté de prendre des œufs au bacon lorsqu'on s'est séparés pour la bonne raison
que je me suis aperçu que je n'aimais pas les œufs bacon.
FRANKIE. C'est la meilleure. Et pourquoi tu en mangeais ?
TOM. Parce que ça te faisait plaisir.
FRANKIE. Comment ça, ça me faisait plaisir ?
TOM. Tu avais l'impression de remplir pleinement ta mission d'épouse et de femme
d'intérieur en me bourrant d'œufs au plat.
FRANKIE (vexée). Je crois que la raison est beaucoup plus simple.
TOM. Ah bon?
FRANKIE. Je crois que lorsque tu n'as plus eu personne pour te les faire, tu as arrêté d'en
manger.
TOM. C'est une hypothèse qui se défend, si tu avais su faire des œufs au plat. Mais
malheureusement, sans faire d'humour, tu n'as jamais su faire cuire un œuf correctement, du
moins à l'époque.
Un silence.
FRANKIE. Je pourrais le prendre mal, mais comme tu peux le voir, j'ai changé. Et je sais
désormais faire les œufs au bacon. (allant à la cuisine). D'ailleurs je vais te le prouver tout de
suite.
TOM (se lève). Frankie, laisse tomber.
FRANKIE Ok ! Et à midi, qu’est ce que tu veux manger ? Tu veux une quiche ? Je sais très
bien faire les quiches !
TOM. Mais je n'ai pas faim ! Je ne veux rien manger !
FRANKIE (éclatant en sanglots). Tu comprends rien ! Tu comprends pas que j'ai besoin de
faire quelque chose pour m'occuper… J'ai pas dormi de la nuit ! Et je peux même pas
prendre des somnifères ; j'ai pas arrêté de remuer dans ma tête, à pleurer sous l'oreiller pour
pas faire de bruit ! Pour pas te réveiller !
TOM. Frankie... calme-toi, Frankie...
FRANKIE. J'ai pleuré des litres et des litres et je pourrais pleurer encore des litres... C'est
tellement dur.
TOM. Je te comprends très bien Frankie... C'est dégueulasse... mais ça peut peut-être
s'arranger... Appelle Arthur ! S'il est parti hier soir, il a dû arriver...
FRANKIE. Qu'est-ce que ça va changer ?... Je vais tomber sur sa femme... Ça va faire
encore des tas d'histoires... des cris, des larmes...
TOM. Sa femme ?
FRANKIE. Oui, il est marié ! Oui, je sais ce que tu vas me dire, que je suis une imbécile, que
c'est bien fait pour moi, etc., etc.
TOM. Je ne dis rien... Des enfants ?
FRANKIE. Deux d'un premier mariage.
TOM. Et du deuxième ?...
Frankie lève trois doigts. Un silence...
FRANKIE De toute façon, c'était prévisible... On se voyait presque plus, on se croisait ; la
semaine dernière il avait déménagé toutes ses machines à laver... Moi je croyais que c'était
pour une expo... Pauvre conne !
TOM. Et c'est un accident ?
FRANKIE. Quoi ?
TOM. Le... gosse, c'est un accident ?
FRANKIE. Non !... Je le voulais !... J'ai trente-quatre ans ! C'est normal ! J'avais envie d'avoir
un enfant !... J'avais envie de faire au moins une chose positive dans ma vie !
TOM. Et tu vas l'élever comment ton môme ?
FRANKIE. Je me débrouillerai.
TOM. Tu te débrouilleras ! Je rêve ! Tu vas faire des chantiers ? La manche dans le métro ?
A moins que tu aies un plan de communauté en Ardèche ? Mais qu'est-ce qui t'est arrivé
Frankie ? J'ai le souvenir d'une femme intelligente, équilibrée et je retrouve une vieille hippie
qui plane à cinq milles ! Une irresponsable qui va mettre au monde un enfant sans savoir
comment elle va l'élever !
FRANKIE. Et de quel droit tu me juges, toi qui n'es même pas capable de...
Elle s'arrête.
TOM. De quoi ?... Hein de quoi ?
FRANKIE. De rien, lâche-moi.
TOM. Même pas capable de faire un môme à cause de cette putain d'histoire d'oreillons ?
C'est ça ? Tu vas me reprocher ça ?
FRANKIE. J'ai jamais dit ça !
TOM. Tu l'as pensé si fort que je l'ai entendu !... Eh oui, c'est con la vie !... Les oreillons ! On
dirait une blague pour fin de banquet !... Ah ! C'est pour ça que tu es venue chez moi ! Tu
t'attendais à ce que je tombe à genoux devant ton ventre plein ?
FRANKIE. J'ai pas besoin de toi ! J'ai besoin de personne ! J'ai eu un coup dur, d'accord !
Mais je suis assez forte ! Ton habitude de faire payer tout ce que tu donnes ! Tu m'as
hébergée une nuit, merci, tu m'as filé cinq cents balles, je te baise les pieds ! Mais rassuretoi, tout va rentrer dans l'ordre, je m'en vais ! (un temps) Tiens je te rends ta clé... Excusemoi. (Puis elle va récupérer les vêtements qu 'elle a achetés.) Je prends les vêtements. ..
J'en ai besoin et ne t'inquiète pas, je te les rembourserai. Je te laisse le ticket. Ça fait quatre
cent vingt-six francs soixante-quinze. Tu veux la monnaie ?
TOM (d'un ton las). Ne sois pas stupide, Frankie.
Frankie va à la porte, s'arrête.
FRANKIE. Tu as raison... Je serai incapable d'élever cet enfant...
Elle fond en larmes. Tom, embêté, se lève.
TOM. J'ai dit ça comme ça, sous le coup de la colère...
FRANKIE (craquant). Non, non, c'est toi qui as raison, je suis monstrueuse, j'y arriverai
jamais ! J'ai même pas l'instinct maternel... Parfois je regarde mon ventre et j'ai juste
l'impression d'avoir un ballonnement. .. En plus, avant-hier j'avais acheté tout un tas de
bouquins là-dessus, ils sont restés là-bas, j'ai même pas eu le temps de les lire !... J'ai la
trouille Tom, tu peux pas savoir comme j'ai la trouille !
TOM (s'approchant d'elle). Tu n'as aucune raison d'avoir peur... Je suis sûr que tu seras une
très bonne mère...
FRANKIE. Tu dis ça pour me rassurer, mais je sens bien que je vais être nulle
TOM Ne dis pas n'importe quoi. Rappelle-toi quand Bernard nous avait confié Justin pour les
vacances, tu t'en étais très bien occupée.
FRANKIE (ravalant ses larmes). C'était un chien, Justin... Au fait comment il va ?
TOM. Très bien, il est toujours dans les assurances.
FRANKIE. Je te parle pas de ton frère, je te parlais du chien.
TOM. Ah, Justin... Il est mort l'année dernière. (Frankie redouble de sanglots.) Il était très
vieux... Et rassure-toi, il est mort en dormant, il n'a pas souffert... et puis il a eu une très belle
vie de chien... Faut pas pleurer pour ça.
FRANKIE. ... Il était tellement mignon, Justin.
TOM. Oui, mais il sentait fort..., quand il pétait, c'était une infection, un chien si petit... une
usine à gaz...
Frankie se met à rire à travers ses larmes.
FRANKIE. C'est terrible ce que je peux être sentimentale en ce moment... Ça doit être
hormonal...
TOM. Frankie... Tu peux rester ici... deux jours... Je dois partir en province pour une histoire
d'héritage, autant que tu dormes là.
FRANKIE. Quelqu'un de ta famille est mort ?
TOM. Un arrière-cousin, je le connaissais à peine...
FRANKIE. Oh, c'est terrible de penser que c'est grâce à la mort de quelqu'un que je reste ici.
Elle repleure.
TOM. C'est presque un inconnu... Il avait au moins quatre-vingt-dix ans...
FRANKIE. Quand même...
TOM. Pleure pas Frankie... Il était vieux et méchant... Il détestait les enfants... Il a eu une
conduite ignoble pendant la guerre... Il a couché avec toute une section de s.s. ! D'ailleurs, il
a été tondu à la Libération.
FRANKIE (riant). Il t'a quand même légué quelque chose...
TOM. Une fine bande de terrain de trois mètres de large sur mille cinq cents mètres de
haut... Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ?...!! me l'a donnée uniquement pour
m'emmerder.
FRANKIE Tom, tu veux me faire plaisir ?
TOM. ... Il s'agit de quoi ?
FRANKIE. Tu pars dans combien de temps ?
TOM. Dans deux heures, pourquoi ?
FRANKIE. J'aimerais vraiment te faire des œufs au plat... Je sais les faire...
TOM. Oh, Frankie...
FRANKIE. Ça me ferait tellement plaisir. Je sais les faire, je sais !
TOM. C'est une envie ?… Si je refuse, l'enfant peut naître avec un œuf sur la figure, et du
bacon autour des oreilles, c'est ça ?
FRANKIE. Oui... il y a un risque...
TOM. O.K.... Alors juste pour goûter...
Ils se regardent. Au fur et à mesure des répliques, la lumière baisse jusqu'au...NOIR

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