L`épée de Damoclès des AES

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L`épée de Damoclès des AES
dossier
par Sandra Mignot
L’épée de Damoclès des AES
Transversal n° 33 novembre-décembre dossier
Selon le rapport Yeni 2006,
41 276 accidents professionnels d’exposition
au sang se produisent chaque année
en France dans les établissements de santé.
Certains portent ce nombre à 100 000.
Pour le personnel soignant exposé,
ce sont autant de risques de contamination,
notamment par les hépatites et le VIH pour
les plus inquiétants.
16
Un accident exposant au sang (AES) est défini comme tout
contact avec du sang ou un liquide biologique contenant du
sang par effraction cutanée (piqûre, coupure) ou projection
sur une muqueuse (œil, bouche) ou une peau lésée – également appelé contact cutanéomuqueux. En 2002, le Réseau
d’alerte, d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales (Raisin) évaluait la fréquence des AES à 6,9 pour
cent lits d’hospitalisation. Dans plus de 70 % des cas, les
AES concernent les paramédicaux (personnels infirmiers et
aides-soignants, agents hospitaliers ou auxiliaires de puériculture) et surviennent lors d’une piqûre. Il s’agit le plus souvent d’un prélèvement (18 %) ou d’une injection (16 %). Mais
dans 17 % des cas, il arrive hors de tout contact avec le
patient, au moment du rangement, du nettoyage ou du transport de matériel.
En 2000, une recherche effectuée par les médecins du travail
de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a permis
de mettre en évidence certains facteurs favorisant un AES.
Sur 1 050 accidents (soit 41 % des déclarations de l’année
2000), 383 sont survenus lors d’une prise en charge de
patient amené en urgence, 512 dans un contexte de surcharge
de travail, 253 du fait d’effectifs incomplets, 140 résultent
du phénomène d’interruption itérative des tâches, 306 sont
liés à la difficulté de l’abord veineux et 256 à l’agitation du
malade. Ces facteurs peuvent s’additionner. « C’est toujours un
faisceau d’événements qui conduit à l’AES, commente
Dominique Abiteboul, médecin du travail à l’hôpital BichatClaude-Bernard (Paris). On le constate lorsque les personnes
viennent déclarer l’accident. »
Or, malheureusement, une proportion mal estimée de soignants ne signale pas ses AES. « Beaucoup de chirurgiens,
lorsqu’ils connaissent la sérologie négative de leur patient ou
qu’ils l’ont vérifiée après s’être piqués ne déclarent pas,
explique Élisabeth Bouvet, infectiologue à Bichat-ClaudeBernard. Les infirmières sont plus disciplinées, et n’osant
pas faire le prélèvement elles-mêmes, déclarent davantage. » Il semble cependant que le problème des sousdéclarations dans les établissements publics hospitaliers soit
en voie de règlement : chaque service possède un registre
des accidents bénins qui facilite la déclaration des AES. « Car
plus le circuit est compliqué moins vous aurez de déclarations », résume Dominique Abiteboul.
Risque de séroconversion. Le risque de transmission du VIH
après une exposition percutanée est de 0,32 % (et de 0,03 %
après un contact cutanéomuqueux). À ce jour et depuis le
début de l’épidémie, en France, 14 contaminations professionnelles ont été documentées et 34 sont seulement présumées1. En effet, ces dernières ne réunissent pas, pour une
exposition accidentelle précisément déclarée, un statut viral
négatif entre les huit jours avant et quatre semaines après
l’AES et une séroconversion entre quatre semaines et six mois
après2. Les infirmières remportent le triste palmarès des contaminations (12 sur 14 séroconversions documentées et 13 sur
34 infections présumées). Elles ont lieu le plus souvent lors de
prélèvements sanguins – piqûre avec utilisation d’une aiguille
creuse (notamment par voie intraveineuse), mais aussi au
moment du rangement, du nettoyage ou du transport de
déchets. Constat qui correspond à l’épidémiologie des accidents d’exposition au sang. La séropositivité du patient source
était connue pour les 14 séroconversions déclarées, ce dernier
était le plus souvent au stade sida (9 cas).
Le VHC se révèle davantage transmissible : selon les études,
le risque de séroconversion après piqûre se situe entre 0,3 %
et 10 %. Au 31 décembre 2005, pas moins de 55 séroconversions professionnelles au VHC avaient été recensées
en France. La répartition professionnelle et par type d’AES
est similaire à celle concernant le VIH. Par ailleurs, une virémie élevée du patient source et une blessure profonde sont
également des facteurs de risque aggravant.
1 Données
2 Il
de l’InVs au 31 décembre 2005.
s’agit généralement d’AES non déclarés dans les délais
ou non suivis selon les recommandations.
Enfin, le risque de transmission du virus de l’hépatite B varie
entre 6 % et 45 % selon le stade de développement de l’infection chez le patient source. La surveillance des contaminations au VHB n’ayant été mise en place qu’en 2005, les
statistiques concernant la transmission de cette infection au
cours d’une exposition professionnelle ne sont pas encore
connues. On dispose cependant de données relatives aux
hépatites B déclarées en maladie professionnelle dans les
années 1970. Plus de 700 cas ont été répertoriés selon
l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) pour la
prévention des accidents du travail.
Depuis 1997, on observe une raréfaction des contaminations
professionnelles au VIH et au VHC. Seules trois séroconversions
au VIH ont été enregistrées en neuf ans dont une seule est documentée : il s’agit d’un secouriste exposé à une projection massive
de sang vers le visage et les yeux lors de la prise en charge d’un
patient séropositif. Cette diminution est probablement due aux
traitements dont bénéficient les malades (avec une charge virale
moins élevée, leur sang est moins contaminant), aux précautions
de sécurité de plus en plus diffusées et respectées dans les services, et à l’usage du traitement prophylactique postexposition.
Protéger le personnel. De plus, un décret du 4 mai 19946
rend désormais l’employeur responsable de la protection du
personnel à l’égard des risques biologiques. Outre la vaccination et le respect des précautions générales d’hygiène, il est
tenu d’assurer la formation à la sécurité des soignants, ainsi
que de mettre à disposition le matériel adapté et d’organiser
un dispositif de prise en charge des AES dans son établissement. Cette prise en charge consiste en l’application de
mesures de désinfection et de rinçage de la blessure ou partie exposée, la consultation d’un médecin référent, l’éven-
4 Dispositif
3 Circulaire
DGS/DH n° 98/249 relative à la prévention
5 Quantité
qui permet un accès vasculaire de gros calibre.
de sang et/ou de liquide biologique transmise lors d’un AES.
de la transmission d’agents infectieux véhiculés par le sang
6 Décret
ou les liquides biologiques lors des soins dans les établissements
contre les risques résultant de leur exposition à des agents
de santé.
biologiques et modifiant le code du travail.
n° 94-352 relatif à la protection des travailleurs
Transversal n° 33 novembre-décembre dossier
Précautions universelles. En effet, de nombreuses dispositions
ont été mises en place pour prévenir les séroconversions du
personnel de soin. La première d’entre elles est la vaccination
contre l’hépatite B. Simplement recommandée aux personnels
soignants depuis 1982, elle a été rendue obligatoire par la loi
du 18 janvier 1991. Dans son sillage, la prévention des AES
s’est beaucoup développée avec l’apparition du sida. Le
concept de « précautions universelles » – à partir de 1996, on
parlera de « précautions standard » – est apparu aux ÉtatsUnis en 1987. L’idée était d’inclure systématiquement des
règles d’hygiène de base dans les méthodes de travail quelle
que soit la connaissance du statut sérologique du patient. Dans
leur version actualisée par la circulaire du 20 avril 19983,
elles comprennent notamment le lavage systématique des
mains avant et après chaque patient, le port de gants pour
tout contact avec du sang, des produits biologiques, des plaies,
des muqueuses ou du matériel souillé, l’élimination immédiate
des aiguilles et autres instruments piquants ou coupants dans
un conteneur spécial, non perforable, l’interdiction de recapuchonner une aiguille ou encore le recours au matériel à usage
unique à chaque fois que possible.
En parallèle, et logiquement, le matériel sécurisé s’est beaucoup développé depuis une quinzaine d’années. Les études
épidémiologiques conduites sur les AES ont permis d’identifier les gestes les plus risqués.
Les fabricants se sont concentrés sur la conception de seringues,
cathéters, chambres implantables4 et autres aiguilles à sutures.
L’évolution technique des dispositifs inclus sur les seringues a
accompagné cette prise de conscience règlementaire. Après la
mise en sécurité de la partie vulnérante à deux mains – puis
unimanuelle – la rétraction à activation semi-automatique a pris
son essor pour aboutir finalement à une sécurité totalement passive. Les collecteurs pour l’élimination des objets perforants ou
tranchants se sont répandus dans les services, ainsi que les
équipements de protection individuelle (gants, masque, casaque
ou lunettes). Bien que ne pouvant éviter la perforation par une
aiguille ou un objet tranchant, l’emploi du double gantage réduit
l’inoculum5 sanguin du patient par essuyage du volume sanguin transféré lors d’un AES. Le gant externe permettrait d’éviter environ 60 % des perforations de la couche interne et 20 %
des AES. Cette superposition de gants réduit également le risque
de passage sanguin dû à leur porosité et celui d’une transmission
du soignant au soigné lors d’un AES.
Il est difficile de mesurer l’impact spécifique de ces différents
matériels, leur introduction dans un établissement étant généralement accompagnée d’une campagne d’information sur les
risques et de formation à la prévention. Néanmoins, le Groupe
d’étude sur le risque d’exposition des soignants (Geres) a montré que l’utilisation de cathéters, de systèmes à ailettes et de
corps de pompes sécurisés divise par trois le nombre de piqûres
constatées. D’après une étude réalisée dans des établissements
de l’AP-HP entre 1990 et 2000, le nombre total d’AES par infirmière et par an est passé de 0,43 à 0,11. Le Geres a d’ailleurs
élaboré un guide des matériels de sécurité, accessible en ligne,
qui les répertorie et les classe par geste. Il n’en reste pas moins
que 20 % des AES surviennent actuellement malgré l’utilisation
de tels matériels. Soit que la sécurité n’ait pas été activée, soit
que son activation manuelle laisse subsister un risque. « Plus le
geste d’activation est simple, plus sûr est le dispositif », observe
Dominique Abiteboul.
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dossier
par Sandra Mignot
tuelle prescription d’un traitement antirétroviral et l’instauration d’un suivi avec les examens biologiques nécessaires.
Si aucune prophylaxie n’existe contre le VHC et si celle contre
le VHB est rarement appliquée au regard de l’obligation de
vaccination, le traitement postexposition professionnelle
contre le VIH est l’objet d’un consensus large en France : ses
conditions de prescription sont encadrées par la circulaire du
2 avril 2003 7. « On est à peu près d’accord sur l’emploi
d’une trithérapie à base de deux inhibiteurs nucléosidiques
et d’une antiprotéase afin de réunir le maximum de chances
d’aboutir à un traitement actif sur le VIH », résume Élisabeth
Bouvet. Pourtant, la pratique ne s’appuie que sur une seule
étude de cas chez l’homme et quelques études chez l’animal
qui montrent qu’au-delà de 12 heures, la prescription perd de
son efficacité et que la protection est moindre si l’administration du traitement ne dépasse pas dix jours. « Ces preuves
ne sont pas très solides, mais montrent quand même 80 %
de protection, explique Élisabeth Bouvet. Il n’y aura pas
d’autre étude menée chez l’homme. Et ce pour des raisons
éthiques. Et puis, au vu du risque de transmission de 0,3 %
par AES, il faudrait enrôler plus de 10 000 personnes dans
l’essai ! »
Témoignages de soignants
Jacques est infirmier. Il a déclaré un accident d’exposition
au sang au service de médecine du travail en décembre
2005.
« Je me suis piqué en recapuchonnant l’aiguille d’une seringue
après un prélèvement veineux sur un patient dont je connaissais la séropositivité au VIH. Ce jour-là, nous avions une
charge de travail particulièrement lourde. Mais j’en ai tout
de suite parlé au cadre de mon service et je me suis rendu
aux urgences de l’établissement afin de rencontrer le médecin référent en matière d’AES. Après avoir examiné la situation, il a très rapidement décidé de me mettre sous antirétroviraux. J’ai vécu cette situation de façon ambivalente.
D’un côté, il y avait l’angoisse, partagée avec mon épouse.
Ce risque qui planait au-dessus de ma tête. Le traitement
a duré un mois : j’ai eu droit aux diarrhées, à la fatigue et
aux maux de tête1. De l’autre, je savais que le risque de
transmission était limité et que la prophylaxie par ARV était
reconnue. Tout s’est finalement bien terminé puisque je
n’ai pas fait de séroconversion. »
Cette approche multifactorielle de la prévention des AES
semble donner de bons résultats dans les établissements où
elle est appliquée. À Bichat, elle a permis de réduire de moitié la survenue des AES déclarés dans l’établissement entre
1994 et 2002. Dans le même temps, la part des piqûres et
coupures profondes était diminuée d’autant dans l’ensemble
des accidents déclarés. « À présent, on se rapproche d’un
noyau dur sur lequel il sera difficile d’agir compte tenu des
conditions de travail, suggère Dominique Abiteboul. Les professionnels connaissent les risques et savent comment les
prévenir, mais dans l’urgence, confrontés au turnover des
professionnels et à la surcharge de travail, l’accident arrive. »
7 Circulaire
1 Les
DGS/DHOS/DRT/DSS/SD6 A n° 2003-165 relative
aux recommandations de mise en œuvre d’un traitement anti-
18
CONTACTS
Dominique Abiteboul
[email protected]
Geres
www.geres.org
© Roger Viollet
Transversal n° 33 novembre-décembre dossier
rétroviral après exposition au risque de transmission du VIH.
Élisabeth Bouvet
[email protected]
effets secondaires des antirétroviraux semblent plus fréquents
chez les personnes dont le système immunitaire est préservé.
Évelyne est infirmière. Contaminée par le VHC au milieu
des années 1990, elle a dû batailler pour la reconnaissance
de sa maladie professionnelle.
« J’ai eu beaucoup de mal à faire reconnaître ma maladie.
En tant qu’agent du secteur public, mon dossier a été examiné par la commission de réforme départementale qui
rend un avis sur l’imputabilité au service d’un accident ou
d’une maladie. À l’époque, on ne connaissait pas encore tous
les symptômes de l’hépatite C ni les effets secondaires des
traitements que l’on commençait tout juste à administrer.
Mes souffrances ont été mal évaluées. Et puis je ne pouvais
pas apporter la preuve d’une exposition précise, puisque
j’ai été diagnostiquée déjà malade. J’ai dû faire intervenir
des experts après que mon dossier a été rejeté une première
fois. Ces démarches administratives m’ont beaucoup affectée. Évidemment, cela s’est nettement amélioré aujourd’hui.
Les protocoles d’alors étaient moins précis, le diagnostic de
l’infection était plus compliqué et la connaissance du risque
moindre, même si je déclarais toujours mes AES. »
«
Françoise est sage-femme. Atteinte par le VHC, elle a choisi
de changer de poste pour ne pas risquer de contaminer un
patient.
« Lorsque je suis revenue au travail après avoir été traitée
pour mon hépatite C, j’ai suivi une psychothérapie. Je n’acceptais pas l’idée d’être à la fois malade et soignante. Il m’était
intolérable de devoir interrompre mon travail pour me soigner. Et puis, éthiquement, je ne voulais pas rester en salle
de naissance en étant séropositive au VHC. Je n’imaginais
pas assister un accouchement et m’occuper d’un nouveauné à qui je risquais de transmettre ce virus. Pour moi, le risque
était trop grand. Pourtant, Dieu sait que j’adorais mon métier
et qu’il m’en a coûté de l’arrêter. En plus, j’ai dû me battre
pour cela. Le médecin du travail m’avait recommandée pour
un poste aménagé, sans travail de nuit et en mi-temps thérapeutique. Mais le lendemain de mon retour, j’étais de nouveau affectée à la salle de naissance. Il m’a fallu argumenter, présenter le cas d’un chirurgien séropositif au VHC ayant
contaminé ses patients, réunir une bibliographie. Dans un
premier temps, j’ai obtenu de m’occuper des consultations.
Ensuite, on m’a proposé un poste en service d’hygiène tout
en conservant mon statut de sage-femme. »
Le préjudice est largement indemnisé »
Juriste spécialisé en droit de la santé,
Thierry Casagrande fait le bilan
de la jurisprudence actuelle en matière
d’indemnisation et de responsabilité
de l’employeur.
Quelle est la tendance actuelle en ce qui concerne
l’indemnisation ?
Différents types de règles et de procédures existent, mais globalement les mêmes solutions sont retenues. La jurisprudence actuelle penche pour une indemnisation de la victime
d’un accident d’exposition au sang et la prise en charge des
conséquences financières directes de l’accident. Depuis le
début des années 2000, le préjudice est largement indemnisé. Un arrêt de 2003 a ainsi autorisé une indemnisation
complémentaire pour la réparation du préjudice personnel
subi au-delà de l’atteinte à l’intégrité physique. En fait, depuis
les décisions concernant les victimes d’une exposition à
l’amiante, la Cour de cassation a amélioré les indemnisations
d’accidents du travail.
Transversal n° 33 novembre-décembre dossier
Quelles sont les démarches à effectuer afin d’obtenir
la reconnaissance juridique d’une contamination en milieu
professionnel ?
Juridiquement, une contamination consécutive à un accident
d’exposition au sang est considérée comme un accident du
travail ou un accident de service (dans le secteur public),
voire comme une maladie professionnelle. Les règles applicables varient en fonction du statut de la victime (agent hospitalier, salarié du privé ou praticien libéral) et de la procédure
de reconnaissance employée. La reconnaissance d’une contamination par le VHC ou le VHB en tant que maladie professionnelle est plus facile à obtenir qu’en tant qu’accident du
travail. Ce dernier cas implique entre autres que la déclaration
de l’accident soit faite dans des délais précis, avec présentation de témoin. La démarche est plus lourde [NDLR : le
VIH ne figure pas au tableau des maladies professionnelles].
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dossier
par Sandra Mignot
Soignant-soigné :
Dans quelle mesure la responsabilité de l’employeur
peut-elle être engagée ?
Le code de la Sécurité sociale prévoit que la victime d’un
accident du travail est indemnisée. Mais la responsabilité de
l’employeur n’est engagée que s’il y a faute de sa part :
absence de politique de prévention, défaut de matériel adapté
ou encore non-respect de l’obligation de formation. Ce sont
les arrêts rendus dans les affaires d’amiante qui ont modifié
la jurisprudence, car avant la faute de l’employeur était rarement retenue pour manque de sécurité. La preuve de la
charge incombe également à l’employeur. Désormais, si ce
dernier n’a pas mis en œuvre les moyens nécessaires à la
prévention des risques pour son personnel et ne peut apporter la preuve d’une contamination extérieure aux activités
professionnelles de son employé, sa responsabilité est engagée. Une exception : si le salarié ou l’agent du service public
ne respecte pas les précautions réclamées par son employeur,
il ne peut pas invoquer la faute, et son indemnisation est
moindre. Un employeur pourrait même se séparer d’employés
inobservants, mais dans la pratique ce scénario est proscrit
par le manque d’effectifs dans le secteur sanitaire.
l’exposition du patient
Les contaminations soignant-soigné sont extrêmement
médiatisées. Elles sont pourtant, bien que dramatiques,
particulièrement rares. À ce jour en France, seulement quatre
cas de transmission du VIH de soignant à patient ont été
rapportés, dont trois sont publiés. Selon le Geres, 37 à 370
soignants seraient porteurs du VIH. En revanche, les risques
paraissent plus élevés en ce qui concerne le VHB (mais la
vaccination des soignants limite désormais cette possibilité) et le VHC. Dans un rapport datant de 2000, le Geres
estime que 300 à 3 000 professionnels réalisant des gestes
à haut risque de transmission (chirurgiens, mais aussi dentistes et sages-femmes) seraient porteurs du VHC. Plusieurs
instances (Geres, Conseil national du sida et Conseil de
l’ordre des médecins) ont publié des recommandations de
prévention : respect des précautions standard, adoption de
mesures spécifiques au bloc (double gantage, techniques
du no touch ou encore usage de matériel sécurisé), incitation au dépistage volontaire des chirurgiens, évaluation de
l’aptitude au soin en fonction de l’état de santé. Sans
qu’aucune réglementation officielle n’ait été arrêtée.
La responsabilité d’un soignant transmettant une maladie
à son patient peut-elle être engagée ?
Si un soignant est séropositif, le sait et n’a pas mis en œuvre
les mesures nécessaires pour prévenir cette transmission, sa
responsabilité pénale est engagée. Dans les autres cas, c’està-dire en l’absence de faute, la contamination entre dans le
cadre des infections nosocomiales, avec une indemnisation
possible par l’Office national d’indemnisation des accidents
médicaux depuis 2002.
Ne pensez-vous pas que les professionnels de santé
libéraux sont particulièrement isolés dans ce système ?
Oui, c’est vrai. De nombreuses responsabilités reposent sur
l’employeur en matière d’accidents du travail. Par exemple,
depuis 2002, le code du travail exige qu’un document unique
évalue pour chaque entreprise les risques auxquels sont exposés les personnels ainsi que les mesures de prévention à
mettre en œuvre. Je ne connais pas un seul libéral qui ait
rédigé ce document. Si un assistant ou une secrétaire devait
un jour porter plainte, la responsabilité pénale de son patron
serait engagée. Par ailleurs, peu de libéraux sont assurés
pour les accidents du travail ou les maladies professionnelles.
Et ils sont moins couverts qu’un salarié. Enfin, nombreux
sont ceux qui ne sont pas suivis par la médecine du travail.
BIBLIOGRAPHIE
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La prévention des AES dans les laboratoires
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Transversal n° 33 novembre-décembre dossier
Lot F, Abiteboul D. Contaminations professionnelles
par le VIH, le VHC et le VHB chez le personnel
de santé en France. Données au 31 décembre 2005,
InVs, septembre 2006.
Sénégal : des progrès sur les précautions standard
Médecin référent AES au service des maladies
infectieuses du CHU de Fann, à Dakar,
Mouhamadou Baïla Diallo fait le point
sur la diffusion des moyens de prévention
et de prise en charge des AES au Sénégal.
« Nous nous intéressons au problème des accidents d’exposition au sang depuis 2001. Des études locales ont montré
qu’ils étaient fréquents : 40 % des personnels interrogés
avaient eu un AES dans les trois mois précédant l’enquête.
Nous avons identifié de nombreux comportements à risque
tels que le non-recapuchonnage ou le transport d’aiguilles
souillées. Diverses collaborations avec le Geres et le programme “Sécuriser le futur” de la fondation Bristol-Myers
Squibb nous ont permis de mettre en place un dispositif de
formation en région, lequel se poursuit actuellement. À ce
jour, nous avons organisé la prise en charge prophylactique
des AES dans les grands hôpitaux. Les gens commencent à
prendre conscience de la nécessité de notifier les accidents au
médecin référent et à la médecine du travail. Depuis trois
ans, il n’est plus nécessaire de venir dans la capitale pour
bénéficier gratuitement d’ARV et d’un suivi biologique.
Ensuite, nous nous sommes lancés dans la diffusion des précautions standard qui sont le seul moyen de réduire le
nombre d’AES. Nous notons un changement net des comportements. Auparavant, les soignants ne se protégeaient que
lorsqu’ils connaissaient ou présumaient la séropositivité d’un
patient. L’étape actuelle est celle de la diffusion de matériels
de sécurité. À Dakar, nous utilisons déjà des conteneurs à
objets piquants et tranchants et des dispositifs de prélèvement sous vide. Pour le reste, nous devons former le personnel avant de distribuer des aiguilles avec une mise en sécurité. Car quand on ne sait pas utiliser ces instruments, on
peut se blesser. Il nous faudra ensuite évaluer ce programme
et vérifier que les dispositifs médico-légaux d’indemnisation
fonctionnent en cas de contamination professionnelle. Pour le
moment, aucune n’a été précisément documentée. »
Recherche : et en Afrique ?
Les laboratoires Hutchinson ont mis sur le marché un gant
virucide en 2004. Pas moins de dix années de recherche
ont été nécessaires à l’élaboration d’un produit commercialisable. Constitué de deux couches d’élastomère de synthèse – donc sans latex –, le dispositif renferme des gouttelettes de désinfectant qui se regroupent au point de pression
et libèrent leurs actifs en direction de l’objet vulnérant. Testé
en laboratoire, le gant a montré une réduction de 80 % de
l’inoculum transmis en cas de perforation. Attention : son
utilisation ne dispense pas d’une prophylaxie antirétrovirale en cas d’AES. Son ergonomie et le confort d’utilisation
répondent mieux aux attentes des utilisateurs que la pratique recommandée du double gantage pour certains actes
de chirurgie. Mais son coût en limite l’usage aux gestes les
plus à risque (suture chirurgicale ou prélèvement avec
aiguilles creuses). Ce qui le rend pour le moment inaccessible aux équipes des pays en développement.
Dresser un état des lieux des AES dans les pays en développement est difficile. Certaines recherches laissent apparaître des résultats inquiétants. Dans une étude réalisée par
le Geres en 1994 au sein du personnel du CHU de Yopougon
(Abidjan, Côte d’Ivoire), 45,3 % du personnel interrogé a
reconnu avoir déjà subi un AES. Soit des chiffres relativement proches des statistiques établies dans les pays industrialisés. Le même type d’enquête réalisée plus largement
en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal montre une fréquence comparable. L’incidence est de 0,3 lésion percutanée et 0,4 contact cutanéomuqueux par personne et par an
dans les services de médecine et de réanimation. Elle passe
à 1,8 parmi les chirurgiens. La répartition des AES parmi
les catégories professionnelles est comparable à celle constatée en France. Particularité : le statut de la personne source
reste inconnu dans plus de 70 % des cas. Une autre recherche,
menée en Tanzanie en 1997, a estimé l’incidence des AES
chez les personnels de soin en médecine à 5 accidents percutanés et 9 contacts cutanéomuqueux par soignant et par
an. Le nombre de contaminations professionnelles est inconnu.
Mais une évaluation récente de l’Organisation mondiale de
la santé estime que 40 % des infections au VHC chez les
soignants dans les PED seraient imputables à un AES (contre
8 % à 27 % dans les pays développés). La forte prévalence
du VIH sur le continent africain et les difficiles conditions
de travail justifient l’inquiétude des soignants à ce sujet.
Le guide Eficatt
Rédigé par l’INRS en collaboration avec le Geres, le guide
Exposition fortuite à un agent infectieux et conduite à tenir en
milieu de travail (Eficatt) est destiné aux médecins du travail.
Il est constitué de fiches récapitulant les éléments qui permettent d’évaluer le risque, de définir la conduite immédiate
à adopter ainsi que le suivi médical à mettre en place en cas
d’exposition accidentelle d’un salarié. Pas moins de vingt
agents infectieux sont répertoriés, du virus respiratoire syncytial au zona, en passant par le VHC, le VHB et le VIH.
Le guide est consultable en ligne www.inrs.fr/eficatt.
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Matériel : un gant virucide
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