Article sur la loi santé et transparence par SEA AVOCATS

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Article sur la loi santé et transparence par SEA AVOCATS
Horizon 2016 : Projet de loi de santé et dispositions éparses relatives à la transparence
Le projet de loi relatif à la santé a été voté en première lecture à l’Assemblée Nationale le 14 avril 2015 puis
au Sénat le 6 octobre 2015.
Une Commission mixte paritaire se réunira à partir du 27 octobre prochain sur ce texte1. Il est plus que
probable que la Commission ne trouvera pas de compris entre les deux chambres du Parlement2. Le projet
de loi sera donc probablement voté au 1er trimestre 20163.
Lors de la discussion en séance publique devant l’Assemblée Nationale le 10 avril 2015, il était fait référence
aux révélations de Médiapart4 du 24 mars 2015 sur les dérives de certains membres de la Commission de la
transparence et de la Commission d’AMM.
La HAS5 et l’ANSM6 publiaient chacune, respectivement les 7 et 15 octobre 2015, leurs rapports d’enquêtes
internes faisant suite à ces révélations. Leurs conclusions aboutissaient à l’absence d’éléments permettant
d’établir que les évaluations de deux spécialités par la Commission de la transparence auraient été
influencées par des situations de conflits d’intérêts ou auraient fait l’objet d’un dysfonctionnement
procédural.
Dans ce même élan, le Tribunal administratif de Montreuil vient de se prononcer, le 23 octobre 2015, en
faveur du dévoilement des noms des membres de la HAS instruisant les dossiers d’évaluation de
médicaments7. Le Tribunal a ordonné à la HAS de transmettre à deux laboratoires le nom des membres
ayant instruit leurs dossiers d’évaluation. L’on ignore encore s’il sera relevé appel de ce jugement.
C’est dans ce contexte, avec le scandale du Médiator toujours à l’esprit, que divers amendements relatifs à la
transparence ont été déposés sur le projet de loi de santé et examinés par le Parlement.
-
Des dispositions visant à clarifier l’arrêt du Conseil d’Etat du 24 février 2015
 La publication des rémunérations au titre des « conventions » et non des « avantages »
L’article 43 bis du projet de loi prévoit notamment8 de rendre publiques les rémunérations versées par des
entreprises aux acteurs de santé dans le cadre des conventions qu’ils concluent, au-delà d’un seuil fixé par
1
La CMP discutera le texte en Commission les 9 et 10 novembre puis en séance publique le 17 novembre.
Le Sénat ayant « détricoté » une partie du texte voté par l’Assemblée Nationale.
3
Nous anticipons que le projet de loi fera l’objet d’une nouvelle navette ; devant l’AN à partir du 16 novembre 2015,
puis devant le Sénat, avant que le dernier mot soit finalement laissé à l’AN.
4
http://www.mediapart.fr/journal/france/240315/les-gendarmes-du-medicament-faisaient-affaire-avec-leslaboratoires?page_article=1
5
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/201510/rapport_audit_p.thibault_college__08_07_2015_version_finale.pdf, p. 11
6
http://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/L-ANSM-a-transmis-les-conclusions-deson-enquete-administrative-faisant-suite-aux-declarations-de-presse-sur-des-conflits-d-interets-Point-d-information
7
Décision du TA de Montreuil, 23 octobre 2015, Genevrier & Rottapharm / HAS.
8
Cet article a également pour objet (i) la suppression de la publication par les industriels, auprès de la HAS, de la liste
des associations qu’ils soutiennent puisque cette déclaration est désormais effectuée dans le cadre de l’article
L.1453-1 du CSP et (ii) un changement de codification des dispositions applicables au secteur vétérinaire.
2
décret. Il s’agira d’une publication individuelle du montant de chaque convention. La publication de l’objet
précis de ces conventions (et non plus du seul objet catégoriel) est également prévue par cet article.
Cet article a été adopté par l’Assemblée Nationale et par le Sénat sans grand débat pour pallier les
conséquences de l’arrêt du Conseil d’Etat du 24 février 20159. Nous renvoyons sur ce point à un précédent
article « Transparence des liens entre industries et acteurs de santé : toujours plus loin » pour plus de
précisions.
La ministre de la santé a par ailleurs précisé, lors des débats devant le Sénat, que l’article 43 bis autorisait la
réutilisation des données rendues publiques, par des journalistes notamment. Ces données pourront donc
être triées, exploitées et présentées en fonction de différents objectifs10.
 Le régime de transparence applicable aux entreprises produisant des produits cosmétiques
Le décret d’application11 de la loi Bertrand12, qui fixait le détail des informations devant être publiées,
prévoyait une dérogation pour les entreprises commercialisant des produits cosmétiques. Pour ces
entreprises, seules les conventions relatives à la conduite des travaux d’évaluation de la sécurité, à la
vigilance et à la recherche biomédicale devaient faire l’objet de déclarations.
Un arrêt du conseil d’État du 24 février 201513 avait annulé cette restriction en raison d’une absence de base
légale.
L’article 43 bis tel qu’adopté par le Sénat le 6 octobre dernier14 rétablit la dérogation concernant les
déclarations faites par les entreprises cosmétiques et lui donne ainsi une base légale.
Notons toutefois que l’amendement adopté par le Sénat prévoit la publication de « l’existence » des
conventions pour les entreprises cosmétiques alors que le projet de loi prévoit désormais la publication de
« l’objet précis, la date, le bénéficiaire direct et le bénéficiaire final, et le montant » des conventions pour les
entreprises commercialisant des produits à finalité sanitaire.
Une erreur de cohérence qui sera probablement rectifiée dans le texte final.
En tout état de cause, la publication de la rémunération des conventions est prévue dans le projet de loi par
un alinéa I bis, qui ne distingue pas entre produits à finalité cosmétique ou sanitaire.
La ministre de la santé a justifié l’application de règles différentes entre le secteur de la cosmétique et le
secteur de la santé par l’absence de « relation entre un professionnel et un patient ou une personne
susceptible de tomber malade » pour les produits cosmétiques (ce qui est manifestement faux puisque les
dermatologues sont souvent amenés à préconiser à leurs patients toutes sortes de cosmétiques).
9
CE, 1ère et 6ème sous-sections réunies, n° 369074, 24 février 2015 sur des requêtes en annulation du décret et de la
circulaire d’application des dispositions transparence de la loi Bertrand, initiées par le CNOM et FORMINDEP.
10
Compte rendu intégral des débats de la séance du 30 septembre 2015 devant le Sénat.
11
Décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou
commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme.
12
Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des
produits de santé, art. 2.
13
CE, n° 369074, 24 février 2015, précité.
14
Amendement 540.
2
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Diverses dispositions renforçant la transparence
-
L’extension de l’obligation de déclaration des professionnels de santé lors de manifestations orales
ou écrites
La loi du 4 mars 200215 a créé l’obligation pour les professionnels de santé de faire part de leurs liens
d’intérêts avec l’industrie, dès lors qu’ils s’expriment sur des produits sur lesquels ils interviennent dans la
presse « écrite ou audiovisuelle », ou lors de congrès ou autres « manifestations publiques »16.
L’impulsion actuelle vers une transparence absolue des relations entre industriels et professionnels de santé
commandait de compléter les blancs : d’une part la communication par voie de presse « écrite17 ou
audiovisuelle » est aujourd’hui marginale comparée au foisonnement d’articles en tous genres sur la toile.
D’autre part, pour être pleine et entière, la transparence doit œuvrer au commencement, c’est-à-dire sur les
lieux-même où les professionnels de santé s’expriment, enseignent, forment ou éduquent.
Les sénateurs ont adopté un amendement18 créant un article L.4113-13-1 au CSP, qui impose aux
professionnels de santé intervenant sur des produits de santé de faire connaître leurs liens « lorsqu’ils
s’expriment sur de tels produits lors d’un enseignement universitaire, d’une action de formation continue,
d’éducation thérapeutique, dans un livre ou sur internet19 ».
-
La transparence et le renforcement des droits des associations représentant les usagers du système
de santé
Le projet de loi relatif à la santé tel que voté par l’Assemblée Nationale et par le Sénat créé un droit d’alerte
pour les associations agréées représentant les usagers du système de santé20. Celles-ci pourraient alors saisir
la HAS de tout fait ayant des incidences importantes sur la santé.
Dans une même logique de transparence de l’information vis-à-vis des usagers, l’article 43 quinquies adopté
par l’AN et le Sénat en première lecture prévoit que le CEPS et les associations21 peuvent conclure un accordcadre. Cet accord-cadre aurait notamment pour objet de favoriser la concertation et les échanges
d'informations concernant la fixation, dans le domaine de compétence du comité, des prix et des tarifs des
produits de santé remboursables.
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Le renforcement du suivi de la transparence relative aux autorités de santé
L’article 43 ter, qui a été adopté par l’Assemblée Nationale et par le Sénat en première lecture, vise à assurer
le suivi des obligations de transparence. Cet article dote chaque agence sanitaire d’un déontologue ayant
pour mission le respect des obligations de déclaration des liens d’intérêts de de prévention des conflits
d’intérêts.
15
Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
Article L. 4113-13 du Code de la santé publique, créé par la Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 – article 26.
17
Entendue « sur support papier », tels les articles ou les communications scientifiques.
18
Amendement n°431.
19
Article L.4113-13-1 du Code de la santé publique dans sa version adoptée par le Sénat lors de l’examen du projet de
loi de modernisation de notre système de santé, séance du 28 septembre 2015.
20
Article 43 quater.
21
Associations représentant les malades et les usagers du système de santé agréées au niveau national ou de lutte
contre les inégalités de santé.
16
3
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La transparence et le CEPS : chasse gardée
Plusieurs amendements visant à accroitre la transparence des relations entre l’industrie pharmaceutique et
le CEPS avaient été rejetées, en juillet dernier, par la CAS du Sénat22.
De nouveaux amendements23 ayant un objectif similaire ont été présentés devant le Sénat. Ces
amendements visaient à rendre public (i) le prix de vente au public des médicaments, le prix réel et la
justification du différentiel de prix entre prix réel et prix de vente, (ii) les conventions signées par le CEPS
avec l’industrie pharmaceutique, ainsi que les remises accordées par rapport au prix facial des médicaments
ou encore (iii) le chiffre d’affaires réalisé chaque année par produit. D’autres amendements prévoyaient un
accès par des associations représentant les usagers à tous les documents transmis par l’industrie
pharmaceutique au CEPS24.
Ces amendements ont tous été rejetés au motif que les conventions et documents entre le CEPS et les
industries pharmaceutiques doivent conserver un caractère confidentiel, notamment au regard du secret
des affaires et du droit de la propriété intellectuelle.
Lors des débats devant le Sénat, il a également été précisé que la publicité du prix des médicaments et des
remises accordées par les industriels serait contraire au secret des affaires et « viendrait priver les
négociations au sein du CEPS de tout intérêt pour les firmes, ce qui ne se traduirait pas nécessairement par
une baisse des prix ».
Sur cet aspect de la transparence relative aux prix des médicaments, la ministre de la santé a d’ailleurs
rappelé que l’ANSM publiait chaque année un rapport sur la consommation de médicaments en France et le
CEPS un rapport d’activité.
-
La transparence, la DMOS et les ordonnances
Le gouvernement a proposé, devant le Sénat, un amendement au sein des articles traitant de la
transparence25, conférant la possibilité pour le Gouvernement d’étendre le champ d’application de la DMOS
par voie d’ordonnance. Cet amendement a été adopté par le Sénat le 30 septembre 2015.
L’autorisation donnée au gouvernement concerne les entreprises « fabriquant ou commercialisant des
produits de santé à finalité sanitaire ou des prestations de santé ».
Il ressort du compte-rendu intégral des débats que cette mesure vise à étendre la DMOS à tous les produits
de santé et non plus seulement aux produits de santé remboursables.
Au regard de la rédaction de l’article L. 5311-1 du code de la santé publique (CSP) et de la circulaire du
29 mai 2013, la notion de « produits de santé à finalité sanitaire » est distincte de celle de « produits à
finalité cosmétique ». En conséquence, les produits cosmétiques restent exclus de la DMOS et ne seront pas
concernés par ce nouvel article.
22
Amendement n° COM – 193 prévoyant la publication par les entreprises et le CEPS des financements publics,
subventions et crédits d'impôt octroyés par le secteur public aux entreprises ;
Amendements n° COM – 307 et COM – 196 prévoyant la publication des données transmises par les industriels au CEPS
permettant d'évaluer le juste prix d'un médicament.
23
Amendements 814, 815 et 1018 à 1020.
24
Amendement 1011.
25
Amendement 1234 - article 43 quater A.
4
Cet article vise également à élargir le cercle des professions concernées par l’interdiction des avantages à
l’ensemble des agents des administrations chargées de la politique de santé et non plus aux seules
professions de santé.
Nous notons que la CAS du Sénat avait émis un avis défavorable à l’adoption de cet amendement en raison
d’une réticence à toute demande d’habilitation à légiférer par ordonnance.
Au même titre, la CAS du Sénat avait déjà supprimé un article adopté par l’Assemblée Nationale en première
lecture. Cet article permettait au gouvernement, par voie d’ordonnance, de renforcer les pouvoirs des
ordres des professions de santé dans le domaine de la DMOS26. Il avait été supprimé par la CAS au motif qu’il
« ne paraît pas opportun de s'en remettre à l'ordonnance sur des sujets aussi sensibles que l'évolution des
compétences des ordres »27.
Le projet de loi relatif à la santé est une nouvelle opportunité de se pencher sur la transparence et
d’améliorer ou de compléter les dispositions créées par la loi Bertrand. Toutefois, les articles relatifs à la
transparence dans le projet de loi résultent tous d’amendements présentés à différent stades du processus
législatif. On peut regretter que ces articles ne soient pas le fruit d’une réflexion plus globale et cohérente
sur le régime de la transparence.
Affaire à suivre… car c’est l’Assemblée Nationale qui aura le dernier mot. Solutions sans doute au premier
trimestre 2016.
Esther Vogel
Alain Gorny
[email protected]
26
27
[email protected]
Article 51 septies (nouveau) du projet de loi de modernisation de notre système de santé.
Amendement COM - 444.
5

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