SEQUENCE II - Pierre Reymond peintre

Transcription

SEQUENCE II - Pierre Reymond peintre
SEQUENCE II – Objet I – Œuvre intégrale – Eldorado
Problématique : le roman contemporain, entre réalisme engagé et fable intemporelle
Texte 1 :
Complémentaire :
Incipit – Attentes de lecture et hypothèses créées
Extrait du Roman expérimental de Zola
Texte 2 :
Le drame de la naufragée
Complémentaire :
Complémentaire :
Peintures de Turner : Storm / Désastre en mer / Un naufrage en mer
Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?
Texte 3 :
Complémentaire :
Soleimane, « L’assaut »
Texte de presse + Dessin de Plantu
Texte 4 :
Soleimane, « Le départ»
Parcours de Lecture + Réception / interprétation
78
Un roman contemporain : Laurent Gaudé, Eldorado (2006)
Mise en place de la séquence
Problématique : La séquence vise à
-
faire percevoir la manière dont le roman contemporain prend en charge des questions
politiques et sociales de son temps
d a n s une perspective réaliste
au travers d’un récit construit aussi comme une fable intemporelle.
Éclairages : L’originalité du roman de Laurent Gaudé réside dans le choix d’une structure alternant les
chapitres consacrés aux deux personnages au cœur du récit et dont la route va se croiser à la fin de
l’histoire.
Eldorado
L'Eldorado (de l'espagnol el dorado : « le doré ») est une contrée mythique d'Amérique du Sud supposée
regorger d'or. Ce mythe est apparu dans la région de Bogota en 15361.
Il a rapidement été relayé par les conquistadors espagnols qui y ont cru sur la base du récit du voyage de
Francisco de Orellana par Gaspar de Carvajal, et dans le cadre du mythe plus ancien des cités d'or, qui
était aussi largement diffusé à l'époque chez les conquistadores.
Le mirage d'une contrée fabuleusement riche en or a alimenté sur près de quatre siècles une sanglante
course au trésor.
Les conquistadors n'ont pas trouvé l'Eldorado mais ils ont arraché aux Incas et aux Chibchas des
monceaux d'or.
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Texte 1 – L’incipit
OBJECTIFS ET ENJEUX
– Lire l’incipit.
– Construire l’horizon d’attente du roman.
QUESTIONS :
La valeur de l’incipit : cet incipit est-il traditionnel ?
1.
2.
3.
4.
5.
Identifiez deux points de vue sur la mer et les figures de style qui les renforcent
Quels pouvoirs la mer semble-t-elle exercer sur les hommes ? Justifiez
Quel sentiment cet incipit peut-il inspirer au lecteur ?
Par quels procédés le premier paragraphe prépare-t-il l’entrée en scène du personnage ?
SYNTHESE : Dites ce que les indices de cet incipit laissent imaginer du personnage.
Vers le BAC : Rédigez un paragraphe pour montrer comment le narrateur désoriente les attentes du
lecteur en utilisant diverses formes d’opposition.
L E CTU R E AN ALYT I QU E
Première impression : Incipit du roman.
Ce qu’on trouve :
-
Le roman commence par un long paragraphe descriptif
Narrateur qui s’exprime à la troisième personne avec l’emploi prédominant de
l’indicatif imparfait.
ville de Catane (toponyme) en Sicile, son marché aux poissons (couleur locale ???), la
mer : le décor est planté.
Ce qu’on ne trouve pas :
-
Nulle information temporelle
récit inscrit dans le présent d’énonciation (« en ce jour », l. 1).
Forte présence du narrateur : Le point de vue omniscient
Pour autant, le narrateur, qui, dans un premier temps, semblait n’être qu’un spectateur
extérieur neutre, laisse bientôt paraître un point de vue omniscient par ses jugements :
-
« sentait la poiscaille », l. 1-2 ;
« l’œil plissé du commerçant aux aguets », l. 6
« les jeunes gens, eux, venaient trouver de quoi distraire leur ennui », l. 10-11).
1. La mer paradoxale au centre du passage :
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Ce spectacle fait surgir chez le narrateur deux images, deux points de vue contrastés sur la
mer :
a. une mer nourricière dans laquelle on puise :
– image renforcée par la métaphore « les entrailles de la mer » (l. 3-4)
– ou la comparaison « Les thons et les espadons étaient exposés comme des trophées
précieux » (l. 4-5) ; une mer généreuse, bienveillante (« C’était comme si les eaux avaient glissé
de nuit dans les ruelles laissant au petit matin les poissons en offrande », l. 12-14) ;
b. Mais une mer qu’il faut craindre, qui pourrait être redoutable
– image proposée sous forme d’une métaphore filée / personnification, la présentant
quasiment comme une divinité ombrageuse…
- « L’homme a tant fauté qu’aucune punition n’est à exclure », l. 20-21)
En fait, la mer semble pouvoir exercer sur les hommes le droit de vie et le droit de mort –
les hommes qui lui doivent respect et reconnaissance :
- « mériter pareille récompense » (l.14)
- « il ne fallait pas risquer de mécontenter la mer en méprisant ses cadeaux… » (l.15-16)
- « le respect de celui qui reçoit… la mer avait donné »(l.17)
- « Tant qu’elle offrait, il fallait honorer ses présents »,l. 21-22).
Ces images convergent aussi dans une image matricielle de la mer, à l’origine de tout, image
que renforce l’homophonie qui unit « la mer » et « la mère ».
2. Sentiment du lecteur
De cet incipit aux images contrastées peut déjà naître chez le lecteur un sentiment
ambivalent de respect mêlé de crainte, voire de dégoût : la mer peut être à la fois généreuse
et redoutable ; c’est la conduite de l’homme qui semble déterminante (« Tant qu’elle offrait,
il fallait honorer ses présents », l. 21-22).
Cette description double s’achève sur une perspective plutôt menaçante soulignée par
l’emploi du conditionnel :
-
« elle refuserait d’ouvrir son ventre », 18 ;
-
« La mer, un jour, les affamerait peut-être », l. 21).
Au final l’incipit dresse un portrait assez peu flatteur de la mer : mauvais présage ???
3. Entrée en scène de Piracci
Et c’est après ce long paragraphe que le personnage de Piracci entre en scène,
apparemment fasciné par ce spectacle morbide :
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-
« rangées de poissons morts disposés sur la glace, yeux morts et ventre ouverts… » (l.25)
Personnage caractérisé dès les premières lignes par l’inaction et une forme de renoncement :
-
« déambulait… lentement… se laissant porter par le mouvement de la foule (image
maritime ?) … observait… esprit comme happé par le spectacle… il ne pouvait plus les
quitter des yeux… »
La mort donc et le malheur possible domine l’incipit et oriente le récit vers la tragédie…
Peut-être habité par les interrogations du narrateur ???
Tous ces indices nous laissent imaginer un personnage fasciné par la mer et
vraisemblablement tourmenté, « happé » (l. 26) par le spectacle des poissons
- « yeux morts et ventre ouvert » (l. 25)
qui renvoient aussi à d’autres images, celles des corps qu’il croise en mer, dans sa
recherche d’embarcations d’immigrés clandestins comme le veut son métier. (la mer et le
soleil semblent abîmés par la mort (image du soleil qui se reflète dans les poissons morts
L.2-3
-
« Des centaines de poissons morts faisaient briller le soleil de midi… »
S’ENTRAÎNER AU COMMENTAIRE
Dès la première phrase, l’irruption du mot « poiscaille » et l’emploi d’un mot très familier
constituent une surprise au sein de l’évocation d’une cité ancienne, caractérisée comme tant
d’autres par ses ruelles pavées et son Duomo. Le contraste est renforcé par l’expression
quasi religieuse de « en ce jour » (l. 1). Deux tons se rencontrent qui désorientent le
lecteur.
On en trouvera d’autres exemples dans le texte structuré par des images attendues, celle du
soleil d’une ville méditerranéenne, traité pourtant de manière inattendue : il est engendré
ici par des « poissons morts ». La chaleur et la vie naissent de la mort. On pourra aussi
montrer comment l’oxymore « La foule se pressait, lentement » (l. 7-8) détourne le stéréotype
de la scène de marché italienne, vivante et bruyante. La métaphore « les entrailles de la
mer » (l. 3-4) ouvre elle aussi à plusieurs oppositions : l’image valorisée de la mer matricielle
rencontrant l’évocation triviale des fonctions basses, l’immensité liquide rencontrant la
matière. Plus loin on évoque une mer qui « refuserait d’ouvrir son ventre aux pêcheurs » (l. 18)
dans une nouvelle métaphore polysémique, figure de l’acte amoureux, de la générosité ou
de la mort. Le lecteur comprend dès lors que la mer jouera dans le roman un rôle essentiel
jusqu’à en être un des personnages, mais un personnage ambigu.
Ainsi les élèves pourront percevoir au travers de ces oppositions, dont ils trouveront d’autres
exemples encore, comment le cliché de la scène de marché typique est ici détourné pour
ouvrir à un roman au ton plus sombre dans lequel le thème de la mort est déjà souligné.
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Texte Complémentaire : Les Goncourt, Préface de Jérémie Lacerteux
Parallélisme entre le passage de ZOLA et la problématique du roman.
Les pensées et formules utilisées par Zola au 19e siècle pour défendre le peuple, les basses classes, peuvent
tout à fait être appliquées au roman de Gaudé au sujet des migrants :
I.
-
Pensées sur le roman :
« ce roman est un roman vrai. »
« le Roman s'élargit et grandit, qu'il commence à être la grande forme sérieuse, passionnée,
vivante, de l'étude littéraire et de l'enquête sociale »
« l'Histoire morale contemporaine”
-
Sont des définitions applicables à Eldorado et ce qui sous-tend le récit
II.
-
-
Pensées sur la thématique du roman moderne
« nous nous sommes demandé si ce qu'on appelle «les basses classes» n'avait pas droit
au Roman »
« Nous nous sommes demandé s'il y avait encore, pour l'écrivain et pour le lecteur, en ces
années d'égalité où nous sommes, des classes indignes, des malheurs trop bas, des
drames trop mal embouchés, des catastrophes d'une terreur trop peu noble »
« Il nous est venu la curiosité de savoir si cette forme conventionnelle d'une littérature
oubliée et d'une société disparue, la Tragédie, était définitivement morte »
« si, en un mot, les larmes qu'on pleure en bas pourraient faire pleurer comme celles qu'on
pleure en haut »
Toutes ces formules peuvent s’appliquer au sort réservé aux migrants ainsi qu’au traitement qui
en est fait dans Eldorado
83
Texte 2 – Chapitre 2 « L’ombre de Catane », Le récit du naufrage
OBJECTIFS ET ENJEUX
– Étudier la construction d’un personnage.
– Analyser la progression et la dramatisation du récit.
QUESTIONS :
A. Construction du personnage
1. Montrez comment se succèdent les sentiments de la jeune femme au
travers du récit
2. Comment est marqué le caractère de la femme dans le premier
paragraphe ?
B. Vers l’Eldorado
3. Quelle est la valeur du conditionnel dans chacun des deux paragraphes ?
Quels sentiments traduit-il ?
4. Comment le récit progresse-t-il ? quel changement de perspective entre le
premier et le deuxième paragraphe
5. A quelle phrase du texte pouvez opposer la première ? Quelle tonalité
cette opposition donne-t-elle au récit ?
LECTURE ANALYTIQUE
La construction d’un personnage
1. Progression des sentiments
Au travers de son récit, la jeune femme met en scène ses sentiments, et ceux de ses
compagnons d’infortune
-
« On rigolait à bord. Certains chantèrent », l. 1-2), dans une brutale gradation.
-
On passe du fol espoir (« Le nouveau continent était au bout », l. 7)
-
à la panique et au désespoir (« La mort serait monstrueuse », l. 29-30) ;
et du désespoir à l’anéantissement.
Entre ces deux moments, sa détermination et son courage se disent dans la juxtaposition
des propositions courtes qui évoquent sobrement ce qu’elle endure :
-
« Il faisait chaud. Ils étaient trop serrés. Elle avait faim. Son bébé pleurait. », l. 4-5.
Mais manifestation d’une volonté.
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2. La volonté de la femme
Sentiments très marqués dans un premier temps :
-
« elle se serait sentie capable de tenir des jours entiers… » (L6-7)
-
« le nouveau continent était au bout » (L.7)
-
« elle aurait tenu vaille que vaille… » (L.9)
Volonté mise à mal par les cris mis en valeur par la répétition
-
« il y eut ces cris (l.12)… ces cris qui renversèrent tout (l.13) … les cris avaient été
poussés…(l.17)
Les sentiments évoqués sont aussi ceux qui suivront la deuxième partie du voyage, le «
second voyage » (l. 13-14) comme elle le qualifie et qui se poursuit jusqu’au moment du
récit qu’elle fait à Piracci.
Trois propositions construites sur un modèle disloqué d’antéposition d’un complément
soulignent les conséquences de ce qu’elle a vécu et qu’elle ne peut oublier :
-« elle se rappelait chaque instant », l. 14 ; « elle le revivait sans cesse », l. 15) jusqu’à
provoquer une mort métaphorique (« elle n’était jamais revenue », l. 16).
C’est la promesse d’une vie meilleure faite à son enfant qui a donné à cette femme toute
cette énergie, cette force morale et physique pour affronter une traversée qu’elle savait
difficile.
Pour autant, si les conditions matérielles – longueur du trajet, chaleur, manque de nourriture,
promiscuité
– étaient prévisibles, la lâche conduite de l’équipage ne l’était pas, l’absence totale d’eau et
de nourriture pas davantage.
Vers l’Eldorado
3. Le conditionnel : deux valeurs opposées selon les moments du voyage
Valeur modale :
L’utilisation de la valeur modale du conditionnel marque l’irréel du passé pour lequel la
jeune femme s’était préparée et qui ne s’est pas réalisé :
- « Elle se serait sentie capable… », l. 6 ;
- « Elle aurait tenu vaille que vaille », l. 9.
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Le futur :
Dans le second paragraphe, le conditionnel exprime le futur envisagé, les faits redoutés,
ceux qui construisent le désespoir :
« si l’errance se prolongeait, la mort serait monstrueuse. Elle les assoifferait. Elle les
éteindrait. Elle les rendrait fous… », l. 29-31. Accentué par rythme ternaire et
parallélisme de construction
Entre le fol espoir du début et l’anéantissement final, le contraste est saisissant.
4. Progression entre les paragraphes
Dans un premier temps, la force du rêve permet d’oublier les contraintes du moment (la
faim, la chaleur…).
Puis tout devient « lent et cruel » (l. 31-32).
Le récit change de perspective : d’une focalisation interne permettant, dans le premier
paragraphe, de partager les sentiments de la jeune femme, on passe, dans le dernier
paragraphe, à une focalisation externe, à une vision distanciée, purement descriptive.
La description suit pas à pas l’évolution dramatique de la situation et semble s’épuiser
comme les passagers : les phrases deviennent plus courtes et se répètent :
-
« Personne ne savait piloter pareil navire. Personne ne savait non plus… », l. 21-22).
Parallélisme de construction
Les phrases nominales disent l’impuissance (comme un siège qui s’installe):
- « Encerclés par l’immensité de la mer. », l. 26 ;
- « Dérivant avec la lenteur de l’agonie. », l. 26-27 ;
- « Plus de force. », l. 34.
Les phrases négatives dominent :
-
« Personne ne savait… Personne ne savaient, non plus,… (l.21-22)
« qu’il n’y avait pas de réserve d’eau ni de nourriture… » (l.24-25)
« que la radio ne marchait pas… » (L.25) -> style oral / télégraphique par ellipse
grammaticale
-
Avec la phrase finale « ce ne fut plus que le silence »
5. Le début et la fin du texte : la tragédie
Le dernier paragraphe se construit de manière binaire
-
« lent et cruel » (l.32)
« certains se lamentaient … d’autres… »
« Les bébés… les mères… »
« plus d’eau… plus de force… »
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À la première phrase de l’extrait
– « La vie allait enfin commencer. », l. 1)
s’oppose, à la fin, une sorte de paraphrase de la mort :
« Bientôt ce ne fut plus que le silence. », l. 39.
De l’espoir d’un Eldorado au désespoir absolu… Cette opposition illustre la tonalité
tragique de cet épisode du récit.
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Texte 3 – Chapitre x « L’assaut »
OBJECTIFS ET ENJEUX
– Partager avec le lecteur une scène d’action.
– Mettre en scène la force de la solidarité.
QUESTIONS :
1. Etudiez le rythme de la narration : analysez notamment les choix
syntaxiques. Quels procédés de dramatisation l’auteur a-t-il choisis ?
Etudiez le choix du narrateur et de la focalisation.
2. Identifiez les figures de style des lignes 24-26 : quels sentiments
traduisent-elles ?
3. Relevez l’anticipation à la fin du texte. Quel effet cela peut-il produire
sur le lecteur.
SYNTHESE : Montrez ce qu’emprunte le personnage de fiction au réel :
Aidez-vous pour cela du récit de presse.
LECTURE AN ALY T IQ UE
Il s’agit là d’une scène d’action, une scène où tout se joue de manière cruciale,
comme on peut en juger par la situation critique des personnages, Boubakar et Soleiman
:
« Nous sommes maintenant coincés entre les Marocains et la grille », l. 3-4.
Tout échec deviendrait irrémédiable :
« Il n’y a plus d’autre solution », l. 4-5.
Chaque geste est décisif, vital :
« Il faut monter », l. 4.
1/ Dramatisation de la narration
Le rythme très vif donné à la narration est souligné par l’emploi quasi constant de la
parataxe, par la succession de phrases brèves, par les nombreux verbes d’action :
La parataxe (du grec ancien παράταξις, parátaxis, coordination) est un mode de construction par
juxtaposition de phrases ou de mots dans lequel aucun mot de liaison n’explicite les rapports
syntaxiques de subordination ou de coordination qu’entretiennent les phrases ou les mots. Elle est
opposée à l’hypotaxe où des prépositions et des conjonctions assurent l’enchaînement logique des
phrases.
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Quand la parataxe de phrases prédomine, on parle de « style coupé ». La parataxe caractérise alors
plutôt le discours oral.
« Il faut monter. Il n’y a plus d’autres solution » (l.5)
« J’entends des coups de feu. Des corps tombent », l. 5-6.
« Je ne réfléchis pas. Je descends dans sa direction »
« Je lui hurle de se dépêcher. Il reprend son ascension » (L.14)
La juxtaposition rend les deux actions simultanées dans une perception d’ensemble qui ne
permet pas au narrateur d’identifier clairement les victimes et leur nombre.
Cette écriture très visuelle peut être qualifiée d’écriture cinématographique : la scène s’ouvre
avec l’arrivée en trombe d’une voiture de police, un événement qui, dans les films, enclenche
fréquemment l’action.
La dramatisation de la scène vient également des ruptures dans le rythme de la
narration, avec ce qui ressemble à des moments de pause
« Il ne bouge plus », l. 9 ;
« Il me regarde avec étonnement », 13) ;
des moments d’incertitude qui figent l’action et peuvent aussi conduire à l’échec de
l’entreprise. L’action semble aussi se ralentir, se décomposer au gré des perceptions du
personnage dans un temps démultiplié :
« je n’ai plus de forces et me laisse tomber.
Je chute.
Je sens l’impact dur du sol.
Les genoux qui me rentrent dans le ventre. », l. 19-21. (rythme intéressant des phrases)
L’action ouvre à quelques plans plus larges qui montrent les autres assaillants de la barrière :
« Chacun tente de sauver sa vie. », l. 17-18.
La prise en charge de cette scène au présent de narration par le narrateur-personnage la
fait vivre au lecteur au rythme de ses gestes, de ses sensations, de ses sentiments, de ses
pensées :
-
« Il faut faire vite », l. 15 ;
« Nous y sommes presque. », l. 22.
L’ensemble donne l’impression forte d’assister à un reportage en direct, angoissant, à l’issue
incertaine.
89
2. Le langage imagé pour une réalité extraordinaire
C’est avec une série d’images que le narrateur souligne à la fois la condition de fuyards
des personnages et l’exploit qu’ils viennent d’accomplir.
La comparaison
« Je le sens respirer comme un gibier après la course » (l. 23-24)
dit leur épuisement à la mesure de l’effort qu’ils viennent de fournir, mais aussi la manière
dont ils sont traités : comme des bêtes.
La métaphore « une force de titan » (l. 25) oppose cette condition animale au sentiment
pour le narrateur de s’être métamorphosé en divinité.
La métonymie « J’ai sauté sur l’Europe » (l. 25), redoublée par les métaphores
hyperboliques
« sauté par- dessus des montagnes », « enjambé des mers » (l. 26),
traduit l’euphorie d’une apparente réussite, euphorie à la dimension de l’obstacle franchi.
3. Mais ce n’est pas fini…
Pour autant, la fin du texte propose une anticipation inquiétante qui ouvre, pour le lecteur,
sur une nouvelle attente angoissante :
« Nous ne nous doutons pas que le pire est à venir. », l. 29.
On peut remarquer alors que le narrateur se détache de l’action pour se transformer
en narrateur omniscient. Sur le plan narratif, le procédé relance le questionnement du
lecteur et le conduit à élaborer de nouvelles hypothèses quant à l’orientation du récit, quant
au destin des deux personnages jusqu’ici solidaires.
ADDENDUM – Travail commun en classe – méthodologie du commentaire
1. Définir thème, situation du passage pour tenter de délimiter un PROJET de LECTURE
Situation du passage : Soleimane et Boubakar sont parvenus au terme de leur périple, au pied du mur
au sens propre comme au sens figuré. Moment crucial car ils se retrouvent pris en tenaille entre les
policiers marocains et les barrières de la Ceuta.
Thème : un combat, une bataille, une lutte -> tout cela induit le registre épique
Projet de Lecture : Comment mettre en valeur et rendre présent aux yeux du lecteur cette réalité
qui lui est étrangère, qu’il ne connait pas.
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2. Etude linéaire
Temps utilisé dans tout le texte : le présent de narration : actualiser le récit
Parataxe : phrases courtes qui s’enchainent en se juxtaposant, sans liaison. Rythme rapide (L.12
à 14)
Champ lexical de la guerre : « titan… conquérant… tirer des grenades… assaillants… police…
prendre à revers… coups de feu… etc. »
Champ lexical de la lutte, de l’ascension : « monter… s’agripper… passer… en haut… descendre
de l’autre côté… il faut monter… tomber… entre la terre et le sommet… reprend son
ascension… »
Omniprésence de l’action : verbes d’action en nombre et pas de description
Deux notation sur le pire : avant l’action ( « mais il y a pire », l.8) et sous forme d’annonce à la fin
du texte (« le pire est à venir »)
Langage imagé : métaphore filée (« force de titan », L.25 ; « j’ai enjambé les mers », L.26 ;
« sauté par-dessus des montagnes », L.26) : accomplissement, libération
Métonymie : « j’ai sauté sur l’Europe » : le sol pour le continent
Expression de la nécessité : « il faut monter », « pas d’autre solution », « coincés »…
Changement de rythme : rythme qui s’accélère par changement de longueur des phrases ->
L.19-21
Animalisation de Boubakar : « comme un gibier » / « comme un chien regarde la lune » :
retournement des rôles (Soleimane meneur) et pathétique de ces migrants réduits à l’état
d’animal
-
-
3. Plan construit à partir de cette étude linéaire et qui répond au projet de lecture
I.
Un passage vivant, un moment crucial
1. Focalisation interne récit à la première personne (sg et pluriel)
2. Le présent de narration et les verbes d’action
3. Le rythme des phrases et la parataxe
II.
1.
2.
3.
4.
Un moment crucial, un moment épique
L’expression de la nécessité
La lutte, les champs lexicaux propres à l’épique
Le pathétique de la condition de migrant
La libération amplifiée par le langage imagé
Conclusion : élargissement sur l’annonce finale…. Le pire est à venir…
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Synthèse
Entrainement au corpus
Doc 1 : Le passage d’Eldorado de Gaudé (texte 3, « L’assaut »)
Doc 2 : Article de presse sur les migrants
Doc 3 : Dessin de presse satirique de Plantu
Doc 2 :
Le journaliste rapporte le témoignage d’un émigré qui, après plusieurs tentatives, a réussi à
franchir ces redoutables barrières métalliques pour poser le pied en Espagne.
Il y traduit à la fois, selon le point de vue de George, l’« enfer » (l. 1) de la vie au Tchad qu’il
a voulu quitter pour un avenir meilleur pour lui et surtout pour son fils, les dangers, les peurs
de l’éprouvant périple à l’issue incertaine et le fol espoir d’une vie meilleure (« le paradis
espagnol qu’il convoite », l. 2).
Ce périple est comparable en de nombreux points à celui de Soleiman qui doit lui aussi
échapper aux
« limbes marocains » (l. 2) et franchir ces redoutables barrières métalliques. Le fol espoir
d’un Eldorado est également la motivation suprême et, comme dans le roman, « une partie
[du] voyage s’achève et une autre commence », l. 7-8. L’article de presse garde cependant
ses spécificités : les lieux sont précisément décrits, le journaliste rapporte des faits. Si le
journaliste emprunte au discours direct c’est pour donner plus de force à son reportage, c’est
pour sensibiliser le lecteur, à travers un exemple précis, aux drames humains qui se jouent
au quotidien, ajouter à la présentation des faits la force du témoignage.
Doc 3
Plantu représente l’Europe comme un ensemble de pays qui sont autant de forteresses
juxtaposées. L’une d’elles, l’Italie, semble particulièrement hermétique : un haut mur la rend
infranchissable et, derrière cet obstacle, les migrants s’entassent.
Le point de vue du dessinateur est clair. Il souligne l’impossible accès à l’Eldorado rêvé et
les murs d’indifférence (métaphore) dressés par chaque pays face au problème. Le dessin
a une portée allégorique.
Le roman de Laurent Gaudé s’arrête justement au pied de ce grand mur : Soleiman pourrat-il le franchir ? Que trouvera-t-il derrière ? Telles sont les questions que le lecteur se pose et
dont il trouvera des pistes de réponses dans l’actualité et dans les débats politiques qui
naissent des tragédies dont Gaudé s’est fait le témoin et le rapporteur
Laurent Gaudé bâtit son roman sur une réalité contemporaine : les drames de l’immigration.
Il confronte Soleiman, personnage de fiction, aux mêmes réalités que les acteurs réels dont
les propos résonnent clairement dans ce passage.
Il n’est qu’à se référer au témoignage de George paru dans Courrier international du 27 mars
92
2014 (voir page 147) pour s’en convaincre :
« Ça a été un saut difficile […] d’abord une barrière puis une autre… Quand on arrive à la
dernière, on est déjà épuisé. »
Nul mystère à cela : les témoignages des migrants sont très nombreux et ils ont ainsi nourri
la construction des personnages romanesques
Plantu choisit un parti pris plus satirique pour illustrer le cloisonnement de cette Europe qui se
barricade
93
Evaluation commentaire
Texte 4 – Soleimane
CRITERES
Rempli
1. Critères formels
Technique du paragraphe : idée directrice / développement / conclusion
Technique d’insertion des citations
Mise en page
2
2
1
3
3
3
0
0
0
321
21
1
0
0
0
1
1
0
0
/4
2
1
1
4. Conclusion
Pertinence du bilan
Pertinence de l’élargissement
1
1
0
/9
3. Introduction
Pertinence de l’amorce + situation passage
Pertinence du projet de lecture
Pertinence du Plan
NR
/5
2. Critères de Sens
Exploitation d’outils littéraires
Pertinence du relevé de citations
Pertinence de l’interprétation
Partiel
/2
1
1
ORTHOGRAPHE / EXPRESSION
-1 pour 15 fautes
-2 pour 30 fautes
94
L E CTU R E AN ALYT I QU E
QUESTIONNEMENT
1. Qui raconte ? A quel temps ?
Soleiman et Jamal vont quitter le Soudan. C’est Soleiman qui, à la première personne du singulier et au
présent de narration, prend en charge le récit de ce départ.
2. Quelle différence de focalisation avec les textes précédents ? Effets produits par ce changement ?
D’une focalisation zéro, d’un narrateur omniscient prenant en charge les faits et pensées des
personnages – et, notamment, de Piracci – nous passons à une focalisation interne qui nous amène à
partager au plus près les tourments et l’évolution psychologique de Soleiman.
3. Quels indices le narrateur donne-t-il quant au pays où il se trouve ?
« La poussière » (l. 2), le chaud « soleil de la journée » (l. 3-4) sont les premiers indices d’un cadre
africain, soudanais, en l’occurrence. Mais il convient d’y ajouter « la place de l’Indépendance » (l. 11) liée à
l’histoire de l’Afrique ; et aussi les embouteillages, le thé pris avec les amis, et le nom même de «
Fayçal » (l. 13).
4. Qu’est-ce qui montre la grand proximité des deux frères ?
Le passage constant du « je » au « nous » montre à l’évidence que les deux frères ne font qu’un. Soleiman
intègre Jamal à toutes ses pensées. Une communion qu’illustre bien son affirmation « je sais qu’il pense à
tout cela » (l. 34-35).
5. Deux sentiments contradictoires animent le narrateur. Quels sont-ils ? Comment les expliquer ?
Malgré le caractère irrémédiable de la décision prise de quitter son pays, « la tristesse et la joie se partagent
» (l. 8) en l’âme du narrateur. Son attachement reste très fort, la famille y a toutes ses racines (« Nous allons
laisser derrière nous la tombe de nos ancêtres », l. 24-25) et il faudra également laisser tous les amis. Le
paradoxe est total lorsque, avec lucidité et sans illusion, Soleiman envisage l’avenir : « Là où nous irons,
nous ne serons rien » (l. 32).
6. « j’ai doucement le mal du pays » : Sens de cette expression ? Que dit-elle des personnages ? Qulles
figures la renforcent et l’éclairent ?
L’oxymore « J’ai doucement mal de ce pays » (l. 9) illustre ce choix dans lequel la volonté de se
reconstruire un destin n’efface pas ce que le passé a construit.
De nombreuses comparaisons et métaphores renforcent et éclairent cette expression : « Nous
laisserons ce nom ici, accroché aux branches comme un vêtement d’enfant abandonné que personne
ne vient réclamer », l. 29-32 ; « nous buvons nos thés comme des chats laperaient de l’eau sucrée.
», l. 39-40.
Le narrateur fait une liste de tout ce qu’il abandonne. Cet aspect énumératif est donné par les reprises
anaphoriques « Nous allons laisser… » (l. 24-25, 25-26), par un recours constant à la parataxe, aux
phrases très brèves, parfois nominales (« Des pauvres. Sans histoire. Sans argent. », l. 32-33), par
des constructions syntaxiques quasi superposables construisant des rythmes binaires, ternaires : « Nous
n’achèterons plus rien… », l. 17 ; « Nous ne boirons plus de thé, ici. », l. 18. Les répétitions de « Sans »,
« rien », « aucun », « jamais » martèlent ce vide angoissant qui va engloutir tout un passé.
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DEVOIR fin de Séquence : Texte 4
Soleimane et son frère
Corrigé
Crucial : Important, décisif ; se dit d'un moment où une décision s'impose ; capital : C'est une
date cruciale.
Thème du livre : Les migrants / le phénomène de l’immigration étudié et raconté au monde
occidental par l’intermédiaire de deux trajectoires / deux voyages en miroir : le voyage de
Piracci, marin de la police maritime qui partira en Afrique, et celui opposé de Soleiman, jeune
soudanais qui veut accéder à l’eldorado européen.
Situation et thème du passage : Moment décisif, crucial du départ. soleimane et son frère au
soir des adieux au pays connaissent pour la dernière fois la quiétude d’une soirée dans leur
ville natale.
Projet de lecture : Le moment crucial pour le migrant, comment l’auteur rend ce moment
sensible aux yeux du lecteur européen
Plan possible
I.
Un moment de quiétude rendu sensible
1. Le pays et sa mise en place : le témoignage (documentaire, typique)
2. Le sentiment partagé des deux frères
Soleiman et son frère : la communion par les prénoms et le chiasme (L.15-23)
3. le lecteur au plus près des sentiments : La focalisation interne et la première personne
+ lyrisme
II. Un moment contradictoire, de tiraillement
1. Sentiments contradictoires du narrateur : antithèse (l.6) et oxymore (l. 7)
2. Le déracinement : comparaison (l.21) / parataxe et énumération, phrases nominales
(l.22) et anaphore (l.17-18)
3. La lenteur du moment : un départ retardé (comparaison (l.26-27) et répétitions (l27
4. Le devenir dans la négation : omniprésence de la négation, du néant : pessimisme ?
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Commentaire rédigé (première partie)
Ce moment du départ met en place un sentiment de quiétude nuancée
La narration marque une rupture dans ce passage car l’auteur change de personne en passant du récit
à la troisième personne de Piracci à la première personne du narrateur équivalent au personnage
Soleiman, et de la focalisation omnisciente à la focalisation interne. Le texte est ainsi entièrement
construit selon la vision du migrant, du candidat à l’inconnu et au départ : ce dernier « laisse les bruits
et les odeurs [l]'envahir » (L.11). Le passage s’attarde sur les sensations de Soleiman qui cherche à
retenir la réalité qu’il va quitter et sur les sentiments qui l’agitent : « La tristesse et la joie se partagent
en [son] âme » confie-t-il au lecteur à la ligne 6. Ainsi le lecteur rentre dans l’intimité du migrant et se
trouve sensibilisé à sa future condition d’expatrié. Le revirement de L. GAUDE dans la focalisation et
dans la narration sert des desseins clairement définis : le lyrisme et la sensibilisation du lecteur qui en
découle.
Dans le roman, ce chapitre marque une autre rupture puisque le lecteur, après avoir suivi Piracci à
Catane passe brutalement dans le soudan, place fort différente s’il en est. L’auteur met habilement en
place la réalité du cadre par des notations rapides qui permettent d’installer, de croquer un cadre
spatial typique. Nous nous trouvons dans une ville, comme en témoignent les « boulevards [qui]
grondent du vacarme des klaxons » (L.1). Le personnage central veut « dire adieu à [sa] ville » (L.6).
quelques précisions sur le climat, « la poussière soulevée », le ville « encore chaude du soleil de la
journée » (L.2) se voient précisées par le prénom du frère, « Jamal », « la place de l’indépendance »
(ancienne colonie par voie de conséquence), et le patronyme du patron du café, « Faycal » où l’on boit
du « thé » (L.24) : tout ce faisceau d’indices nous mène dans un pays du Maghreb. Nous avons changé
de camp et abordons donc une autre facette de l’immigration. C’est le moment du départ qui voit la
communion des deux frères.
En effet, Laurent GAUDE insiste sur la connivence des deux frères. Le pronom personnel pluriel
« Nous », omniprésent, est le sujet des verbes d’action ou autres et alterne avec le possessif de même
personne (« nous entrons dans notre café, L.9, « nous allons quitter », L.11, « nous ne boirons plus
de thé », L.13, …). Ce sentiment de communion et de réciprocité voit sa concrétisation dans le chiasme
à l’attaque des deux derniers paragraphes (L.15 et L.23) sur les verbes « regarder » et « contempler » :
A « Je contemple mon frère qui regarde la place » répond ensuite « Je regarde mon frère qui contemple
la place ». Si besoin, Laurent Gaudé précise les choses de manière explicite puisque Soleiman « a
compris [l’imminence du départ] à son regard » (L.4-5) et « sai[t] que [son frère] pense à tout cela » :
il lit dans ses pensée comme dans un livre…
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