Sartre sous l`Occupation

Transcription

Sartre sous l`Occupation
Sartre sous l’Occupation
Mise au point
Gregory Cormann m’a fait l’honneur de commenter abondamment, aux pp. 34-36 du Bulletin du GES
de juin 2011, mon petit article concernant de nouvelles archives relatives à Sartre sous l’Occupation.
Sans doute l‘a-t-il fait de bonne foi; cependant je n’y retrouve pas vraiment mes intentions. C’est
pourquoi je tiens à proposer aux lecteurs et aux lectrices du bulletin cette mise au point.
Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une „auto-critique oblique“ de ma part. J’étais tombée simplement
sur certains documents en partie assez importants qui m’ont incitée à revisiter l’état des lieux.
1. La lettre de Jean Tardieu de juin 1943 (la date importe) prouve l’accord majoritaire du CNÉ
pour la représentation des Mouches, alors que certains (tel Vercors) avaient cru bon de
dévaloriser après coup cet accord, dévalorisation que j’ai souvent critiquée dans mes
publications.
2. Du dîner avec des Allemands et des collaborateurs, il n’en avait jamais été question nulle
part, et John Gerassi a éliminé consciencieusement cet événement, comme d’autres qu’il
juge nuisibles à la réputation de Sartre, de sa biographie et de la version publiée des
entretiens. Sartre en parle pourtant dans ces entretiens, que je possède intégralement sur
CD. Si je mentionne ce dîner, c’est parce que Sartre dit à Gerassi qu’on le lui a reproché
après la guerre. Ce dîner a aussi pu être une des raisons qui ont poussé les communistes à le
mettre sur la liste noire qui circulait au début 1943 en zone Sud.
3. Quant au rapport des Renseignements généraux sur Dullin, Sartre et Les Mouches daté de
janvier 1943, j’en parle moins pour souligner le rôle protecteur du lieutenant Heller, comme
le suggère le résumé de Gregory Cormann (on pourrait en conclure que, Allemande, je
plaide pro domo), mais pour signaler que les autorités, alertées par des collaborateurs, ont
su dès le moment des répétitions que ce n’était pas une adaptation anodine d’un mythe
antique, ce que j’ai toujours affirmé et prouvé par des documents de réception dans mes
publications. Je l’ai du reste rappelé à Olivier Postel-Vinay après l’encadré tendancieux et
faux sur „Sartre et la censure du théâtre“ paru dans le numéro de juin 2011 de la revue
Books (ma lettre figure parmi le courrier des lecteurs du numéro de sept. 2011, me dit-on), et
j’ai invité les éditions Plon à tenir compte de l’état des lieux dans la traduction française du
livre d’Alan Riding (And The Show Went On).
4. Le témoignage de Sartre au procès d’Abel Bonnard, en 1959, m’a intéressée parce que c’est
Bonnard qui a exclu Beauvoir en 1943 de l’université, alors qu’il a épargné Sartre, dont
l’exclusion était également exigée dans la lettre du recteur de l’Académie de Paris. C’étaient
des mesures d’épuration destinées à mettre l’Éducation Nationale au pas. Ce que Gregory
Cormann appelle avec quelque malveillance „spéculer“, est à mon sens émettre des
hypothèses sur l’attitude de Sartre devant le juge. Aux yeux de ce dernier, Sartre était sans
conteste un résistant intellectuel, comme je l’ai souligné pour marquer l’écart par rapport à
l’image actuelle de l‘“arriviste sous la botte“ que – certains s‘en souviendront peut-être – j’ai
aussi souvent critiquée.
5. Enfin, la fameuse signature. Sartre a reproché à Beauvoir de l‘avoir donnée, donc on pouvait
croire que lui-même l‘aurait refusée. Et c’est en effet ce que suggère Gerassi dans sa
biographie. Quelle surprise alors face au document trouvé par F. Federini, surprise aussi
d’entendre Sartre lui-même dire, sur l’un des CD des entretiens avec Gerassi, qu‘il a fini par
signer et de le lire, ensuite, dans le livre que Gerassi a publié en 2009 à Yale Univ. Press (je
n’ai pas vérifié si cet élément est conservé dans la trad. française).
La conclusion que j’ai tirée de tout cela? Que l‘attitude antivichyste et antiallemande de Sartre se
trouve confirmée, s’il en était encore besoin, et qu’il vaut mieux se méfier de certains de ses
biographes que de lui-même. Que Sartre ait montré cette attitude tout en occupant le poste d’un
juif revoqué au lycée Condorcet, cette contradiction reste entière malgré les dénégations de ceux
que je ne suis pas la seule à appeler „les sartriens“ (p. 84).
Ingrid Galster
[email protected]
13 juillet 2011