Diapositives - Université de Liège

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Diapositives - Université de Liège
Jeunes à Haut Potentiel :
critères d’identification et propositions
éducatives
Jacques Grégoire
Université de Louvain, Belgique
Conférence pour la CPLU, Université de Liège, 23-04-15
Origine du concept de « haut potentiel »
Identification à toutes les époques de jeunes remarquables par
leur précocité et leurs compétences exceptionnelles.
Approche contemporaine du phénomène liée au développement
des tests d’intelligence.
1905: Binet crée le premier test d’intelligence pour identifier les
élèves ayant besoin d’un enseignement adapté à leur retard
mental.
1916: Terman adapte le test de Binet aux USA et s’intéresse
aux sujets situés à l’autre extrémité de la distribution qualifiés de
« exceptional », puis de « gifted » (doués).
Au Québec: « doué » et « douance »
En France: « surdoué », « précoce », « haut potentiel » (HP)
Origine du concept de « haut potentiel »
1921: début des « Genetic Studies of Genius » = étude
longitudinale de 1.444 jeunes identifiés comme HP suivis
par Terman jusqu’à sa mort en 1959 (5 volumes parus +
suivi jusque dans les années 80).
Addition de quelques sujets jusque 1928: => 1.528 sujets
(856 hommes et 672 femmes) nés entre 1900 et 1925 et
vivant en Californie.
Critère de sélection: QI ≥ 140
Ce seuil correspond à un AM d’un peu plus de 11 ans chez
un enfant de 8 ans et de près de 17 ans chez un enfant de
12 ans.
Le critère du QI
Quel de QI seuil choisir?
Si critère de Terman (≥ 140) => 0,39% la
population (±16.5001)
Critère actuel (consensus): QI ≥ 130
≥ 130 = 2 écarts types au-dessus de la
moyenne = 2,28% de la population (±96.0001)
≥ 130 = 1:2 an d’avance à 4 ans; 1:8 an
d’avance à 6 ans; 2:4 ans d’avance à 8 ans
1population
CWB d’environ 4.225.000 habitants
Le critère du QI
Problèmes d’utilisation du critère d’un QI ≥ 130
Dichotomise une réalité continue
Erreurs de mesure
Hétérogénéité de nombreux profils
Relativité des mesures liées aux tests choisis
Effet « plafond »
Non prise en compte de certaines formes de haut potentiel
Diversité du haut potentiel
Gardner (1983): intelligence verbale, logicomathématique, spatiale, musicale, kinesthésique,
interpersonnelle, intrapersonnelle et naturaliste.
Sternberg (1985): intelligence analytique,
pratique et créative.
Mais difficulté à évaluer certaines de ces formes
de haut potentiel!
Haut potentiel et santé mentale
Lombroso, psychiatre italien, publie en 1877 « Genio e
Follia » (génie et folie) où il analyse le cas de 36 génies
comme Baudelaire et Newton, et présente des « preuves »
de leur folie => crée une association dans l’imaginaire
collectif entre HP et maladie mentale.
Diagnostic différentiel entre HP et divers troubles comme
l’autisme, le syndrome d’Asperger ou le syndrome du
savant.
Biais de jugement (de confirmation d’hypothèse, de
représentativité et de disponibilité); problèmes
d’échantillonnage.
Haut potentiel et santé mentale
Problèmes d’échantillonnage:
Nous ne disposons pas d’une liste exhaustive des JHP d’où nous
pourrions tirer aléatoirement un échantillon représentatif.
La littérature est largement basée sur des JHP à problèmes, vus dans des
consultations et des services hospitaliers, ou présentés par des parents en
demande d’aide => pas possible de généraliser à la population des JHP.
Beaucoup d’études ne sont que des études de cas, sans groupe contrôle.
Difficulté de constituer des échantillons dans les classes ordinaires, car
biais de sélection sur la base de stéréotypes (haut niveau de performance,
anxiété, originalité…).
Les études longitudinales comme celles de Terman souffrent également de
biais puisque les sujets avaient été informés de leur QI (soutien de l’estime
de soi; prophétie autoréalisatrice…).
Haut potentiel et santé mentale
Exemple du syndrome du savant
Trouble rare, parfois associé à l’autisme (10%), où le
sujet présente des « îlots de génie » associés à un
retard mental plus ou moins grave.
Souvent présent dès la naissance, mais peut être
acquis suite à un accident cérébral.
Généralement une aptitude isolée en musique,
mathématiques, calcul de calendrier, informatique…
Toujours associé à une mémoire extraordinaire dans un
domaine très précis.
Haut potentiel et santé mentale
Cas de Kim Peek
Né sans corps calleux, et donc sans connexion entre
les deux hémisphères du cerveau, et privé de certaines
parties du cervelet.
Déficit sévère de son raisonnement et de son
intelligence verbale (AM de 5 ans); dépendant d’autrui
dans sa vie quotidienne, n’arrivant pas à s’habiller seul,
ni à se brosser les dents.
Mémoire extraordinaire: capable de mémoriser
n’importe quel texte après une seule lecture; connaissait
par cœur près de 12.000 livres et un grand nombre de
partitions musicales.
Haut potentiel et santé mentale
Il existe des HP heureux, sans problème particulier, et bien
intégrés du point de vue relationnel et professionnel.
Etudes de Terman:
Une évaluation des participants a été réalisée entre 1950 et 1955; elle
comprend, selon les questionnaires, de 972 à 1.288 sujets.
Plus de 90% en bonne santé physique et de 70% en bonne santé
mentale.
Moins de 10% de troubles mentaux sévères (alcoolisme, psychose,
troubles bipolaires…).
70% ont obtenu un diplôme Bac +4 (« graduate »); 10% n’ont eu que
l’équivalent du Bac; moins de 2% n’ont pas eu le Bac.
Près de 90% ont exercé une profession libérale ou de cadre supérieur.
Près de 90% affirmaient être satisfaits ou très satisfaits de leur vie
professionnelle.
Haut potentiel et santé mentale
À lui seul, un QI supérieur à 130 ne permet pas de
systématiquement prédire des performances scolaires
et une réussite professionnelle exceptionnelles.
Ex. William Schockley, prix Nobel de physique en 1956,
écarté de la cohorte d’enfants étudiés par Terman car
son QI n’était pas suffisamment élevé.
Aucun enfant de cette cohorte n’eut de prix Nobel et
seule une dizaine d’entre eux ont réalisé une carrière
exceptionnelle.
Spécificités des JHP
Les jeunes à haut potentiel possèdent-ils une intelligence
particulière, différente de celles des autres enfants ?
Certains auteurs décrivent les jeunes à haut potentiel
comme des êtres singuliers du point de vue intellectuel.
Mais: les niveaux élevés d’intelligence se situent sur un
continuum et le seuil du haut potentiel est une valeur
arbitraire.
Les données empiriques sur la structure de l’intelligence
ne permettent pas d’affirmer qu’à partir de ce seuil
l’intelligence est organisée et fonctionne d’une manière
particulière.
Spécificités des JHP
La plupart des caractéristiques intellectuelles des jeunes à
haut potentiel peuvent être expliquées par la précocité de
leur développement cognitif et par leur grande motivation
à apprendre.
Leurs compétences cognitives correspondent souvent au
fonctionnement normal d’élèves plus âgés et plus
expérimentés.
De plus, leur investissement de certains domaines de
connaissance peut les conduire à un degré élevé
d’expertise, très inhabituel chez les enfants du même âge.
Spécificités des JHP
Exemple de l’humour:
De nombreux auteurs citent le sens de l’humour comme un trait
caractéristique des HP (ex. Terrassier, 1981).
Pas de données empiriques que les HP auraient plus d’humour que
les autres enfants.
Par contre, les HP semblent avoir un humour caractéristique des
enfants plus âgés (Bergen, 2009): manifestation dès à 7 ans de
formes d’humour habituellement observées vers 12 ans (jeux de
mots et ambiguïté du langage).
Certains affirment que l’humour est une défense contre les
angoisses existentielles des HP. Mais aucune preuve empirique
que c’est plus le cas que chez les enfants tout-venant.
Spécificités des JHP
Le développement du JHP ne va pas nécessairement
de soi.
Dyssynchronie (Terrassier, 1985) ou assynchronie =
décalage entre le développement cognitif et d’autres
facettes du développement.
Décalage interne entre les développements
intellectuels, psychomoteurs et affectifs
Décalage social entre le JHP et les pairs du même âge.
=> source de possibles difficultés, mais pas
nécessairement.
Spécificités des JHP
Du fait de leur précocité, les doivent gérer des situations parfois
difficiles, mais ils possèdent des ressources supérieures pour y
faire face.
Les conditions familiales et scolaires semblent être un facteur
important de l’éventuel échec de l’adaptation des HP.
Les HP peuvent souffrir des mêmes troubles que les autres
enfants, sans lien avec leur précocité intellectuelle: dyslexie,
dysgraphie, dyspraxie, mais aussi troubles émotionnels (ex.
dépression, hypersensibilité) et comportementaux (ex. troubles
de l’attention et hyperactivité). Aucune donnée ne permet
d’affirmer que la fréquence de ces troubles soit plus élevée chez
les HP que chez les enfants tout-venant.
Spécificités des JHP
Hypothèse de l’hypersensibilité des HP
Théorie de l’hyperexitabilité de Dabrowski: motrice
(énergie, tension, enthousiasme), sensuelle (intensité
des perceptions sensorielles), intellectuelle (besoin de
comprendre, d’analyser, de logique et de stimulation
cognitive) et émotionnelle (sensibilité extrême).
Hypothèse: les HP auraient un degré élevé
d’hyperexitabilité.
Hypothèse opposée: les HP auraient une plus grande
intelligence émotionnelle => meilleure gestion de leurs
émotions.
Spécificités des JHP
Étude de Brasseur et Grégoire (2010)1 sur l’intelligence
émotionnelle des HP.
Trait Emotional Intelligence Questionnaire (TEI) de Petrides et Furnham
(2001).
90 adolescents HP de 11 à 18 ans et 90 adolescents contrôles pairés
selon l’âge et le sexe, et tirés aléatoirement dans les mêmes écoles que
les HP.
Au TEI, aucune différence significative entre les deux groupes sur les 15
variables mesurées (régulation émotionnelle, humeur positive, empathie,
compétences sociales, maîtrise de l’impulsivité, gestion du stress,
optimisme…)
Confirme d’autres études qui ne montrent pas de différence ou qui
mettent en évidence moins d’anxiété chez les HP.
__________________________________
1 BRASSEUR, S. & GRÉGOIRE, J. (2010). L’intelligence émotionnelle trait chez les adolescents à hauts potentiels : ses
spécificités et ses liens avec la réussite académique et les compétences sociales. Enfance, 62, 59-76.
Quel modèle de référence?
« Haut potentiel » plutôt que « surdoué » =>
Potentialités innées qui peuvent s’épanouir en
fonction des conditions internes (intérêts,
motivation, émotions…) et externes
(environnement familial, social et scolaire)
Doit nécessairement s’inscrire dans un modèle
développemental des compétences
Ce modèle doit articuler les facteurs favorables
et défavorables à l’expression du potentiel en
une compétence de haut niveau
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Quel modèle de référence?
Le modèle de Gagner: Modèle Différentiateur de la
Douance et du Talent (MDDT 2.0) = théorie générale du
développement des talents applicable à l’éducation, aux
arts, aux sciences et aux sports.
Distinction entre des aptitudes remarquables, les dons (G)
et des réalisations remarquables, les talents (T).
Le développement des talents (D) = transformation
progressive de dons spécifiques en compétences
remarquables (connaissances et habiletés pratiques) dans
un champ d’activité humaine spécifique.
Quel modèle de référence?
Le développement des HP
Quel modèle de référence?
Interviennent des catalyseurs:
Intrapersonnels (I) (ex. la personnalité, les intérêts, la motivation) ,
Environnementaux (E) (ex. l’environnement social et familial, les
personnes significatives, les expériences enrichissantes).
Interactions complexes entre les composants G, D, I, E, et
T, modulées par l’effet positif ou négatif du hasard.
Ce modèle articule les composantes génétiques et
environnementales et permet de comprendre les diversités
des trajectoires individuelles au départ de mêmes dons
initiaux.
Complexité de l’identification du HP
La nature même du HP complique son
identification.
On ne mesure pas directement un
potentiel, mais seulement ses fruits, les
compétences.
Ces dernières (trait latent) se manifestent
de manière mesurable sous la forme de
performances.
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Complexité de l’identification du HP
Conditions
psychologiques
Potentiel
inné
Compétences
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Filtre
Tâches
Conditions d’examen
Performances mesurées
Conditions de
l’environnement
Complexité de l’identification du HP
Mesure des performances actuelles du sujet
et, sur cette base,...
Inférence des compétences et du potentiel,
Pronostic des performances futures.
Mais les compétences résultent à la fois du
potentiel inné et des conditions psycho
environnementales => quelle est la part du
potentiel?
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Evolution de l’expression du potentiel au
cours du développement
Le HP potentiel peut varier d’un individu à l’autre
du point de vue de son étendue et de sa
puissance.
Les conditions environnementales et les
préférences individuelles vont moduler le HP
=> Peu vraisemblable que les compétences des HP soient
homogènes et similaires d’un individu à l’autre.
=> Les sujets HP constituent un groupe hétérogène,
Leurs trajectoires et les besoins sont diversifiés.
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Quelles actions éducatives?
Problèmes pédagogiques posés par
les élèves HP:
Manque d’ajustement du curriculum
d’apprentissage à leur vitesse de
développement et d’apprentissage (curiosité,
soif de découvertes, besoin de défis...) =>
Ennui => Démotivation.
Absence d’alter ego du point de vue des
compétences et des intérêts => manque
d’échanges et de stimulations.
Quelles actions éducatives?
Facilité d’apprentissage et grande mémoire =>
N’apprennent pas à travailler,
Pas de méthode de travail (planification, entraînement et
pratique, structuration des connaissances, évaluation du
degré de connaissance…),
Difficulté à supporter la frustration et de ne pas comprendre
tout de suite.
Représentation erronée de l’intelligence comme
inversement liée au travail (plus on est intelligent,
moins on doit travail) => devoir travailler est perçu
comme une faiblesse => blessure narcissique.
Quelles actions éducatives?
Rejet par les élèves du même âge (jalousie,
pression à la conformité, divergence des
intérêts, incompréhension…).
Rejet ou négligence de la part des enseignants
qui ne savent pas comment gérer cette
différence, qui interprètent le HP comme une
manifestation de différences sociales, qui
veulent uniformiser le niveau des élèves…
L’organisation de classes
spécifiques
Principe: les enfants HP sont rassemblés dans des
classes spécifiques, généralement sur la base de leur
QI, où ils suivent la totalité de leur cursus scolaire avec
un curriculum adapté.
Avantages:
Interactions avec des élèves de même niveau, ayant
des intérêts similaires et un même rythme
d’apprentissage.
Curriculum adapté = > défis et motivation.
Enseignants formés et plus adéquats.
L’organisation de classes
spécifiques
Inconvénients:
Comparaison à d’autres élèves qui peut être
défavorable (phénomène du « grand bassin
petit poisson ») => dévalorisation de soi et
démotivation.
Critères d’inscription discutables (QI total). Que
faire lorsque le profil intellectuel est hétérogène
et les domaines de compétence de niveaux très
différents (ex. matheux, mais dysorthographe)?
L’organisation de classes
spécifiques
Inconvénients:
Éducation sociale réduite (apprendre à vivre et
interagir avec des élèves différents).
Problème de politique éducative: pourquoi créer
des classes spécifiques pour un tout petit
groupe d’élèves, alors que les besoins des
autres élèves sont tout aussi importants?
Le saut de classe
Principe: faire sauter une ou plusieurs classes afin
d’accélérer le cursus scolaire, donner des défis à
l’élève et lui permettre de vivre avec des jeunes de
son niveau de développement intellectuel.
Quels sont les facteurs favorables et défavorables
à la réussite du saut de classe?
Iowa Acceleration Scale, développée par
Assouline et coll. (1993), pour aider à déterminer
si le saut de classe est une action appropriée.
Le saut de classe
Avantages:
Donne de nouveaux défis et motive,
Contacts avec des pairs de niveau mental similaire,
Inconvénients:
Rupture avec les amis,
Problèmes d’accueil dans la nouvelle classe (élèves et
enseignant),
Décalage physique et/ou émotionnel,
Peut échouer si mal préparé.
La classe kangourou
Classe d’enrichissement appelée « kangourou », car on
y avance à grands bonds.
Elle est organisée environ 4 heures par semaine. En
fonction du nombre d’élèves concernés, elle peut
rassembler les élèves de tous les âges ou d’une seule
tranche d’âge.
On y apprend autre chose que dans le curriculum
normal: approfondissement de compétences
disciplinaires, activités plus créatives, développement de
compétences socio-émotionnelles, développement des
compétences par rapport au travail et à l’étude.
La classe kangourou
Avantages:
Rencontre avec d’autres HP,
Possibilité de discuter de questions existentielles et
philosophiques
Stimulation à faire face à des défis et apprentissage
du travail.
Inconvénients:
Il faut éviter la jalousie des autres élèves et de
transformer cette classe en une île au milieu de
l’école.
La classe kangourou
Inconvénients:
Les enseignants doivent être formés et bien
comprendre les besoins des HP.
Il faut mettre en œuvre un vrai travail qui est évalué et
dont les résultats sont mentionnés dans le bulletin.
Les tâches doivent être suffisamment difficiles pour
que l’élève ne puisse les accomplir sans l’aide de
l’enseignant ou des autres élèves (« zone proximale
de développement » Vygostky).
La différenciation vers le haut
Objectif similaire aux classes « kangourou », mais
au sein des classes ordinaires.
Consiste à réduire le travail répétitif sur des
matières bien maîtrisées et à le remplacer par un
travail d’approfondissement dans ces mêmes
matières.
Il ne s’agit pas d’un travail en plus, mais d’un
travail plus difficile qui oblige l’élève à faire des
efforts et à apprendre à travailler.
Conclusion
Le HP prend ses racines dans un ensemble d’aptitudes innées qui, si
les conditions internes et externes sont favorables, produisent des
talents et des performances de haut niveau.
Les JHP peuvent éprouver des difficultés durant leur développement
dues, pour l’essentiel, à des facteurs environnementaux et internes
non cognitifs.
Si les facteurs internes et externes sont favorables, le développement
des JHP peut être harmonieux et déboucher sur des réalisations de
haut niveau.
Les conditions éducatives, familiales et scolaires, sont des clés de ce
développement harmonieux => importance d’une sensibilisation des
acteurs de l’éducation à la problématique des JHP.

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