Dossier ANALYSE de film

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Dossier ANALYSE de film
Histoire de l’audiovisuel et du multimédia
Dossier
ANALYSE de film
Douze hommes en colère
1957
Vandierdonck Joan
Sommaire
1. Introduction................................P.2
2. Production du film.............................P.4
3. Mouvement cinématographique.......P.7
4. Analyse scénaristique..................P.11
5. Analyse du film............................P.14
6. Conclusion.........................................P.20
7. Bibliographie.................................P.21
Introduction
« Douze hommes en colère », ou 12 Angry Men en anglais est un film réalisé par Sidney Lumet au
cours de l’année 1957. Il faut tout d’abord savoir que ce film est une adaptation d’une pièce de théâtre écrite
par Reginald Rose. Cette pièce a été écrite en 1953 alors que l’écrivain avait été appelé dans une affaire en
tant que juré.
De nos jours, ce film est considéré comme un classique, un « chef d’œuvre » du cinéma américain. En effet, ce
film se déroule exclusivement dans une seule pièce, ce qui rend la tension beaucoup plus forte, les dialogues
d’une importance capitale et la tâche plus difficile pour le réalisateur et le scénariste.
Ce film nous raconte l’histoire d’un « huit clos » entre douze jurés qui doivent statuer sur une affaire de
meurtre. En effet, un adolescent de 18 ans, noir est accusé d’avoir assassiné son père. Au début du long-métrage, alors que toutes les preuves accusent le jeune homme, onze des douze jurés rendent le verdict « coupable ». Le 8ème juré, émet des doutes quant à la culpabilité de celui-ci. Tout au long du film, une bataille
argumentaire se met en place entre les jurés pour rendre un verdict cohérent.
Ce film, sorti à la fin des années 50 a été un précurseur du mouvement « le nouvel Hollywood » car il dénonce
la toute-puissance du système judiciaire américain. Il questionne sur de nombreuses réflexions sociales que
ce soit au niveau culturel, civique, moral, racial, ce qui en fait un film relativement intemporel.
Le personnage principal est Henry Fonda, un acteur américain de légende, oscarisé et avec de nombreux
classiques à son actif. On peut citer par exemple Les raisins de la colère, Il était une fois dans l’ouest, Un cœur
pris au piège… . C’est lui-même qui a produit le film Douze hommes en colère en collaboration avec Reginald Rose, le scénariste.
Le film Douze hommes en colère a également révélé plusieurs acteurs dont la performance a été saluée par
la critique comme par exemple Lee. J Cobb le juré n°3 qui défend coûte que coûte la culpabilité de l’accusé ou
encore Ed Begley, ou E.G Marshall.
Dans cette analyse complète, nous découvrirons tout d’abord la production du film, comment et par qui il
a été produit, dans quelles conditions, et avec quels moyens ? Dans un second temps, nous verrons à quel
mouvement cinématographique ce film appartient et pourquoi ? Par la suite, nous ferons une analyse sur la
scénarisation de ce film. Et pour finir, nous développerons l’analyse d’une scène du film qui nous démontrera
que la réalisation de Sidney Lumet, la lumière, le son et toutes les variables font de ce film un chef d’œuvre
du cinéma américain.
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Introduction
Affiche du film
Douze hommes en colère
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Production du film
Tout d’abord, il faut savoir que le film Douze hommes en colère a parcouru un long chemin avant
d’être le classique que l’on connaît aujourd’hui. A la base, le scénario imaginé et écrit par Réginald Rose en
1953 était une pièce de théâtre. Cette pièce était destinée dans un premier temps à une diffusion télévisuelle.
Une expérience télévisuelle
A l’époque, la télévision n’était pas exactement la même qu’aujourd’hui avec les programmes et
émissions déjà enregistrés. En effet, tous les programmes étaient diffusés en direct, on ne pouvait pas à
l’époque pré-enregistrer l’émission et l’insérer ultérieurement dans une grille de programmation. Les pièces
de théâtres étaient donc relativement nombreuses à être diffusées en direct sur les petits écrans des américains. Pour le cas de Douze hommes en colère, la pièce a été créée par Studio One et a été diffusée sur la
chaîne américaine CBS One en Septembre 1954 en direct des Chelsea Studios à New-York. Cette diffusion
télévisuelle reçue un grand succès auprès du public américain, d’où l’idée d’une adaptation future au cinéma.
Une production inattendue pour l’époque
C’est Henry Fonda lui-même qui prit l’initiative de produire ce film, avec le scénariste Reginald Rose
comme coproducteur. Et c’est là que se trouve la spécificité de ce film, car à l’époque, la production des films
était essentiellement faite par les grosses entreprises d’Hollywood comme par exemple Fox, Paramount ou
Warner Bros. En effet, le cinéma des années 50 est caractérisé par l’hégémonie des studios Hollywoodiens.
Le pari est donc osé pour Henry Fonda de produire ce film avec sa propre société de production, appelée
Orion-Nova Productions. Douze hommes en colère sera le seul film produit par l’acteur qui a déclaré par la
suite qu’il ne serait jamais amené à produire un autre film. Pour cause, le long-métrage ayant eu un franc
succès auprès de la critique mais pas du public.
Henry fonda
Acteur/producteur
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Production du film
Le tournage et le budget
Le long-métrage a été tourné dans un studio à New-York, au Fox Movietone Studio, loin des studios
d’Hollywood et ses grosses productions de l’époque. Le tournage de ce film a été relativement rapide et
fatiguant. En effet, un film qui se déroule dans une seule pièce est éprouvant pour l’équipe (cadreurs, réalisateur, prise de son, scénariste) et aussi les acteurs. Les répétitions du tournage ont durées 2 semaines car
les dialogues, la mise en scène sont les éléments clés de la réussite de ce film. Les répétitions ayant duré plus
longtemps que prévu, le tournage a dû être bouclé en 21 jours.
En ce qui concerne le budget, il a été relativement limité comparé aux grosses productions Hollywoodiennes
de l’époque. En comparaison, nous allons prendre le film Vingt mille lieues sous les mers, un long métrage
sorti en 1954 sous la production de Walt Disney Productions. C’est une des plus grosses entreprises d’Hollywood à l’époque et Vingt mille lieues sous les mers a été la première grosse production réalisée avec un
budget total de 5 000 000 $. Pour Douze hommes en colère, le budget pour réaliser et produire ce film a
été seulement de 340 000 $. Certes, le film ne se passe que dans un seul décor mais le budget reste tout de
même limité.
La distribution du film
Henry fonda croyait à la réussite de ce film mais n’avait pas les moyens d’assurer sa distribution totale
aux USA et dans le monde. Pour cela, il a fait appel à une grosse firme Hollywoodienne de l’époque, United
Artists. Cette société de production et de distribution de contenus audiovisuels était déjà très active dans les
années 50. C’est une entreprise qui a été fondée en 1919 par quatre personnalités influentes d’Hollywood
: Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks, Mary Pickford et D.W Griffith. Cette firme était à la base uniquement
destinée à la distribution de films puis s’est ensuite ouverte à la production d’œuvres cinématographiques.
En 1950, lorsque l’entreprise est reprise par Arthur Krim et Robert Benjamin, une volonté émerge de la part
d’United Artists. La firme Hollywoodienne se diversifie en signant des contrats avec les producteurs indépendants.
Henry Fonda a donc fait appel aux services d’United Artists pour distribuer Douze hommes en colère aux USA
et partout dans le monde. Il a présenté le projet (scénario, équipe, réalisation, casting) à celle-ci, et la compagnie fait ensuite signer un contrat de financement et de distribution à la société Orion-Nova Productions
(Henry Fonda). Une fois ce contrat rédigé, United Artists avait un droit de regard sur le projet que ce soit au
niveau du scénario, de l’équipe, du casting ou du réalisateur. Le producteur garde quand même une certaine
liberté d’action par rapport à son œuvre cinématographique. United Artists prend en charge la totalité de
la distribution du film et prend ensuite une commission car il est le distributeur. Quant à lui, le producteur
touche également une commission.
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Production du film
La création de
United artists
Le film Douze hommes en colère a donc été distribué dans plusieurs pays grâce à United Artists, notamment
aux USA en 1957, en France en 1958 grâce à la filiale française, Les Artistes Associés, en Finlande, en Argentine, et en Allemagne de l’ouest en 1957. Cela a permis au film d’avoir une visibilité beaucoup plus importante
et de s’exporter à l’international.
La critique, le public et les récompenses
Le film a été un succès au niveau de la critique notamment grâce à trois nominations aux oscars en 1958 dans
les catégories meilleur film, meilleur réalisateur (Sidney Lumet) et meilleur scénario adapté (Reginald Rose).
Le film n’a malheureusement pas obtenu d’oscars mais a pu se consoler avec un Ours d’or lors du festival international du film de Berlin en 1957. Encensé par la critique, le film n’a pas reçu le même accueil du public.
En effet, à la fin des années 50, les films engagés n’étaient pas ancrés dans les valeurs du public américain. Ce
film précurseur qui s’attaque à de nombreux problèmes sociaux n’a donc pas eu le succès espéré. Il précède
une nouvelle vague de films contestataires aux USA appelée Le Nouvel Hollywood.
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Mouvement cinématographique
Douze hommes en colère est un chef d’œuvre du cinéma américain des années 1950. Il est considéré comme tel notamment pour son huis clos, ses acteurs aux prestations exceptionnelles, ses dialogues
tranchants et argumentatifs mais également pour sa critique de la société. En effet, ce film est totalement
précurseur en matière de « film engagé ». Il est vrai, il dénonce moins que certains films des années 60 mais
reste relativement axé sur une critique de la société. Ces 12 jurés, réunis dans une seule pièce pour débattre
de la vie d’un homme, dénoncent beaucoup de choses par leurs personnages et également par leurs dialogues.
Un film engagé
Tout d’abord, les douze personnages sont très différents les uns des autres, et sans leurs performances, le film
n’aurait pas eu le même impact. Chaque rôle qu’incarnent les personnages est une critique de la société, ils
représentent tous des valeurs différentes. Les idées divergentes de chaque personnage confrontent la société
américaine face à elle-même.
On parle de film engagé, contestataire, mais quels sont les thèmes abordés dans Douze homme en colère ?
Tout d’abord, c’est tout le système américain qui est remet en cause dans ce film car on parle de procès et de
jugement. Il y a clairement une critique de la justice américaine, ses valeurs, ses jugements et son système
démocratique. Mettre ces citoyens en face d’un droit de vie et de mort nous pousse à nous poser la question
de la citoyenneté aux USA. Il y a clairement une critique du devoir de citoyen, car on voit que les 11 jurés
prennent une décision sans réfléchir, est-ce correct d’utiliser son droit civique et nos libertés ainsi ? La question de la valeur humaine, morale et de jugement se pose également dans ce film, car les jurés décident de la
vie ou de la mort d’un être humain. Douze hommes en colère fait donc appel à nos préjugés, nos jugements,
notre morale et nos valeurs humaines.
Bien évidemment, ce long-métrage nous parle aussi de racisme car le jeune homme qui est sur le point d’être
jugé est une personne de couleur et de milieu défavorisé. Le film cherche à combattre les préjugés et nous
montre la fracture sociale existante. Tous ces thèmes présents tout au long de l’histoire nous indiquent clairement qu’il s’agit d’un film à caractère contestataire. Mais 12 Angry Men est-il en adéquation avec le cinéma
de son époque ? A quel mouvement appartient-il et pourquoi ?
Un film en contradiction avec le cinéma de l’époque
Pour rappel, le film Douze hommes en colère est sorti en 1957, produit indépendamment par Henry
Fonda et tourné dans des studios New-Yorkais avec très peu de budget.
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Mouvement cinématographique
A cette époque, le cinéma n’était pas du tout dans une optique contestataire. En effet, le cinéma des années 50 représentait l’hégémonie du cinéma Hollywoodien. De grosses productions cinématographiques commençaient à faire leurs apparitions, il y avait une toute-puissance des grosses entreprises californiennes et des
studios Hollywoodiens.
Les thèmes abordés dans le cinéma des années 50 n’étaient pas du tout en adéquation avec le film de Sidney
Lumet, bien au contraire. Le public américain de l’époque ne recherchait pas forcément de films à caractère
contestataires mais du divertissement. On y voit émerger des grosses productions comme les westerns, les films
de science-fiction, les comédies musicales et les comédies romantiques. Tout est présent pour faire rêver le public et faire croire au rêve américain, notamment avec la montée en puissance du « star system ». Le public va au
cinéma uniquement pour se divertir, sortir de son quotidien et idolâtrer leurs acteurs fétiches comme Marylin
Monroe, véritable symbole de la féminité à l’époque, ou encore James Dean.
On peut prendre pour exemple quelques films cultes de l’époque, comme la comédie romantique Certains l’aiment chaud, sorti en 1959 avec Marylin Monroe, véritable classique du cinéma américain des années 50 et
symbole de la puissance Hollywoodienne de l’époque. Autre exemple pour illustrer le cinéma de l’époque, le film
L’homme des vallées perdues sorti en 1953 est un Western avec tous les bons ingrédients du film des années 50,
à savoir une histoire d’amour, des querelles entre cow-boys et un héros solitaire à la « Lucky Luke ».
Affiche Certains l’aiment chaud
Affiche l’homme des vallées perdues
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Mouvement cinématographique
Un film précurseur qui annonce le changement
Douze hommes en colère, sorti en 1957, film contestataire et engagé ne s’inscrit donc pas du
tout dans la lignée des films Hollywoodiens des années 1950. Mais à quel mouvement cinématographique appartient-il ?
Ce film correspond de manière beaucoup plus significative à la période appelée « Le Nouvel Hollywood
» qui a démarré au début des années 60 aux Etats-Unis. Le long-métrage produit par Henry Fonda est
donc relativement novateur pour l’époque et précurseur de ce nouveau souffle qui s’étend sur les USA
au début des années 60.
Le Nouvel Hollywood est un mouvement qui prend forme au début des années 60 et signe un certain
déclin du cinéma d’Hollywood et de ses valeurs. Le cinéma français va jouer un rôle important dans
le changement du cinéma américain. En effet, entre les années 1950-1960, une nouvelle vague de
cinéastes français comme par exemple François Truffaut transgresse les codes du cinéma et impose de
nouvelles valeurs qui sont le réalisme, l’engagement, et la critique. On cherche à montrer le cinéma
dans sa réalité la plus simple et on aborde les sujets sociaux sensibles de l’époque en France.
Les cinéastes américains, désireux de changements, vont s’appuyer sur cette nouvelle vague française
au début des années 60. Des films à petit budget et relativement réalistes voient le jour, révélant de
nombreux acteurs et traitant de sujets sensibles américains et mondiaux de l’époque. Douze hommes
en colère serait donc plus en adéquation avec Le Nouvel Hollywood mais conserve tout de même un
peu de classicisme Hollywoodien des années 50. De nombreux thèmes contestataires sont abordés
comme le racisme, la politique américaine, internationale, la violence, les armes, le sexe, la prostitution et le réalisme prédomine ce genre.
Comme exemple de films contestataires de l’époque, on peut citer deux films qui s’inscrivent parfaitement dans la lignée du Nouvel Hollywood par leurs caractères contestataires et engagés : Bonnie
& Clyde, film culte de 1967 qui raconte l’épopée d’un couple de braqueurs de banque aux USA où la
violence et le sexe sont des éléments majeurs du film. Macadam Cowboy, sorti en 1969 traite également du sexe et de violence mais également de la prostitution car c’est l’histoire d’un cow-boy Texan
qui décide de se prostituer à New-York.
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Mouvement cinématographique
Affiche de
Bonnie & Clyde
Affiche de
Macadam Cowboy
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Analyse scénaristique
Réginald Rose est le scénariste de 12 Angry Men. Pour rappel, avant d’être un long métrage, ce film
était une pièce de théâtre qui a été diffusée à la télévision en 1954. Le scénariste eu l’idée d’écrire cette histoire suite à une affaire similaire qui le concernait. En effet, il a été amené à participer à un procès en tant que
juré dans une affaire de meurtre. Cette expérience psychologique, forte en émotions et en réflexion lui a donné l’envie d’écrire le scénario de Douze hommes en colère. Il a fallu ensuite l’adapter pour qu’il corresponde
à une adaptation cinématographique. En effet, le jeu d’acteur d’une pièce de théâtre et d’un film de cinéma
est totalement différent. Un acteur de théâtre doit jouer sur les émotions, l’exagération, l’extraversion. C’est
tout le contraire pour un acteur de cinéma, qui doit représenter au maximum la réalité. Reginald Rose a donc
dû adapter son scénario au monde du cinéma.
La tension et le danger du huis clos
Pour Réginald Rose, le choix du huis clos a été un choix relativement risqué mais également très
ingénieux. En effet, le fait que toute l’histoire se déroule presque dans une pièce avec 12 jurés crée une
atmosphère particulière dans le film, plus l’histoire avance dans le temps, plus la tension augmente. Au
cours du film, un sentiment d’oppression s’installe que ce soit au niveau du téléspectateur ou au niveau des
personnages. Cette tension dramatique se ressent dans les dialogues et également sur les visages des protagonistes.
Cette situation de huis clos était également un gros risque pour Réginald Rose, car sans une bonne intrigue,
de l’action, des dialogues intéressants et des acteurs de qualités, le film aurait pu vite devenir médiocre car
le décor ne change pas. Mais le script de Reginald Rose était très efficace que ce soit au niveau de la narration
et des symboles. Sa qualité d’écriture permet de mettre en avant et de créer une atmosphère oppressante
et dramatique à l’histoire. Pour cela, le scénariste a tout misé sur ses personnages, leurs dialogues et leurs
argumentations.
La puissance du dialogue et des arguments
Howard Hawks a dit : « Sans action, il n’y a pas d’histoire, pas de scénario, pas de film. ». Certes, dans Douze
hommes en colère, il n’y a pas forcément d’actions de mouvement comme on peut le voir aujourd’hui dans
les gros blockbusters américains, mais Reginald Rose ne confond pas l’action et le mouvement. Un film peut
être tout autant intéressant et engagé sans action en mouvement. La preuve avec ce film, la puissance des
dialogues, des argumentations de chaque personnage créé de l’action et du suspense sans forcément le
moindre mouvement. Ce film est régit et base sa réussite sur l’action des mots et les arguments de ses personnages.
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Analyse scénaristique
On peut affirmer la puissance du dialogue et des paroles grâce au pouvoir qu’il exerce entre les personnages. En effet, on voit que Henry Fonda, juré n°8 ou le juré n°3 qui est totalement contre l’innocence de l’accusé
ont la maitrise de la parole. Ce sont les personnages qui ont le plus d’influence sur le groupe. Le pouvoir de ce
film n’est pas dans la force physique de l’individu mais dans sa capacité à maitriser ses arguments et à manier
la langue face aux autres jurés. De plus, Reginald Rose nous intègre directement dans son histoire grâce à la
temporalité de son film, le présent.
Le pouvoir de l’instant présent
Pour créer l’histoire de Douze hommes en colère, Reginald Rose a choisi de la raconter au présent. Il aurait pu
avoir recours à flashbacks pour nous faire sortir de la pièce et nous raconter l’histoire d’une autre manière mais ce
n’est pas le cas. Il utilise l’instant présent pour faire vivre le public dans son histoire. En effet, le public peut avoir
ses propres points de vues, ses idées, et il peut être considéré comme un 13ème juré.
Le téléspectateur peut voir, commenter, émettre lui aussi des idées avec ses propres valeurs, sa propre morale et
son propre jugement car l’action est vécue dans le présent et en temps réel. Réginald Rose nous inclus dans son
histoire. Si on connaissait la fin à l’aide de flashfowards ou de flashbacks, l’attente ne serait pas la même quant
au dénouement de l’histoire et la tension dramatique tout au long du film ne serait pas présente. De plus, cette
tension est accentuée par l’objectif final de l’histoire, car les valeurs humaines sont engagées puisque l’on décide
de la vie ou de la mort d’un jeune homme.
Ce pouvoir de la temporalité et de l’instant présent qu’a choisit Reginald Rose pour écrire ce scénario garde en
haleine le téléspectateur, la tension dramatique de la situation et nous permet de nous intégrer totalement à
l’histoire comme un membre des jurés à part entière. Nous pouvons participer à l’action et avoir notre propre
point de vue sur le dénouement du jugement.
L’anonymat des personnages ou l’effacement de la personnalité
Au début du film, on se demande pourquoi les jurés ne sont pas appelés par leurs prénoms mais par des numéros
? Reginald Rose a choisi d’utiliser des numéros car l’anonymat des personnages a son importance. En effet, dans
un premier temps, il a voulu respecter le caractère réaliste d’un procès en respectant les conditions d’une vraie
délibération aux USA.
Dans un second temps, le fait de ne pas dévoiler leur identités et de garder leur anonymat permet d’enlever aux
personnages leurs personnalités et de forger le jugement et l’opinion du téléspectateur selon leurs idées, leurs
caractères, leur paroles, leurs arguments. Le téléspectateur peut ainsi s’identifier à un des personnages uniquement grâce à ses convictions morales et ses prises de paroles.
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Analyse scénaristique
Un scénario réaliste et efficace
L’aspect argumentatif, les dialogues, le huis clos et le comportement des personnages sont donc les
éléments clés du scénario de Reginald Rose. Son histoire, sa narration, ses dialogues tranchants permettent
sans aucun doute de faire passer ses idées et ses critiques sur la société américaine. Certes, pour que le film
Douze hommes en colère devienne un classique du cinéma américain, il lui fallait un scénario comme celui
de Reginald Rose, mais la réalisation du film est tout aussi importante dans la réussite de ce film. Sidney
Lumet a parfaitement assumé ce rôle.
Reginald Rose
Scénariste/Producteur
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Analyse du film
Tout d’abord, avant d’analyser une scène précise du film, nous allons essayer de comprendre
comment il a été tourné ? Il est important de mettre en lumière le réalisateur. Sidney Lumet est né
en 1924 et avant d’être réalisateur de long-métrage, il a longtemps été au service de la télévision et
de la réalisation en direct notamment avec des pièces de théâtre. Le plus incroyable est le fait que
le film Douze hommes en colère soit sa première réalisation pour le cinéma. A l’époque, il est osé
pour ce jeune cinéaste, de tourner un huis-clos quasi-parfait.
Sidney Lumet est considéré comme un réalisateur qui s’efface en quelque sorte au profit des acteurs et du scénario. En effet, contrairement à des réalisateurs comme Tarantino qui me semble être
l’exemple le plus marquant de nos jours, Sidney Lumet n’est pas facilement identifiable, son style
n’est pas clairement définit. Certains le considèrent plus comme un « artisan » au service de son
art. Au lieu d’être un passionné débordant d’originalité et de singularité, il a toujours eu des choix
de films audacieux et n’a jamais voulu empiéter sur les scénarios. Il se contente juste de les mettre
en scène en toute sobriété. En effet, c’est là que se trouve la vraie force de Sidney Lumet, celle d’un
homme au service des acteurs et de l’histoire qu’il tente de raconter grâce à sa caméra. Le résultat
est simple, Douze homme en colère, son premier film au cinéma est un bijou de réalisme et un
classique incontournable du cinéma américain.
Sidney lumet
Réalisateur du film
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Analyse du film
Analyse d’une scène : seul contre tous
Pour mieux nous faire comprendre le film, sa réalisation et sa tension, j’ai décidé d’analyser une des
scènes les plus marquantes du film. Certes, l’excellence des dialogues tout au long ne m’a pas facilité la tâche,
mais j’ai décidé de sélectionner une scène où il y a contradiction avec la linéarité du film. En effet, il est compliqué de sélectionner une scène plutôt qu’une autre car tout le long métrage est bâti selon la même trame.
La scène en question est une des dernières du film, quand le juré n°3, à savoir Lee. J. Cobb se retrouve seul
contre tous, il est l’unique rescapé des personnes qui pensent que l’accusé est totalement coupable. Cette
scène est d’une grande tension dramatique et également émotionnel. Pour analyser cette scène de façon
logique, prenons tout d’abord le contexte dans son ensemble en parlant de la salle de délibération, cette
pièce où presque la totalité du film se déroule.
La
scène
Seul contre tous
Un huis clos oppressant quasi-parfait
Comme nous avons pu le rappeler précédemment, la quasi-totalité du film se déroule dans la pièce
de délibération des jurés. Bien que le scénario nous exprime une tension dramatique et un sentiment d’oppression, ces éléments sont relativement accentués par le réalisateur et les images du film.
Tout d’abord, évoquons la chaleur, qui est omniprésente de toute part dans le film par ses images, ses symboles. Tout au long de l’histoire, les personnages ont chauds, ils transpirent, leurs chemises et leurs vêtements sont imbibés par la transpiration. Les fenêtres sont ouvertes mais l’ambiance et la pièce nous donne
l’impression d’une chaleur étouffante, tous les personnages se frottent le visage continuellement. Le ventilateur qui ne fonctionne pas au début, augmente le sentiment d’oppression, d’énervement, d’agacement des
personnages et aussi des téléspectateurs. On a l’impression que la chaleur est une sorte de métaphore qui
évoque les prises de décisions et le dénouement de l’affaire.
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Analyse du film
Pour faire l’analogie avec la scène où le juré n°3 se retrouve seul contre tous, on peut voir la tension qui
règne dans la pièce, la transpiration couler sur le front de Lee. J. Cobb et sa chemise est également mouillée. La
situation est exactement la même pour les autres jurés. Certes, cette chaleur nous met mal à l’aise tout au long
du film, mais elle n’est pas le seul élément auquel Sidney Lumet a pensé pour accroitre ce sentiment de malaise.
Le huis clos
La tension accentuée par la réalisation
Le réalisateur a également utilisé d’autres procédés cinématographiques et techniques qui sont quasiment invisibles pour le téléspectateur et qui accroissent le sentiment d’oppression. Pour cela, Sidney Lumet
a changé d’objectifs de caméra, il a augmenté le nombre de ses plans au cours du film, et a changé la position
de la caméra pendant l’avancement de l’histoire.
En effet, dans la scène Seul contre Tous, on peut voir que les plans utilisés par le réalisateur sont relativement
restreints d’une part, mais on y trouve uniquement un plan moyen, en l’occurrence le plan sur le juré n°3 qui
se trouve face aux autres et près de la fenêtre. En ce qui concerne le reste des plans pendant cette scène, il
n’y a que des gros plans sur la tête des autres jurés. Ces gros plans permettent de transmettre une émotion
intense mais aussi de maintenir un sentiment de rétrécissement du cadre, le téléspectateur est au cœur de
l’action et se sent à l’étroit.
Pour comprendre la réflexion du réalisateur et cette scène, il faut regarder le film dans son ensemble. Tout
au long de l’histoire, Sidney Lumet voulait faire paraître la pièce de plus en plus petite. Pour cela, il a modifié
sa caméra et plus précisément la taille de sa lentille (focale). Par exemple, au début du film, il a utilisé du
28mm, pour ensuite passer a du 50mm, du 70mm et enfin du 100mm. Grâce à ce procédé, la profondeur de
champ s’est modifiée avec l’avancement de l’histoire, ce qui a permis de rendre la taille de la pièce de plus
en plus restreinte.
Dossier analyse de film - Douze hommes en colère
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Analyse du film
Ce n’est pas la seule modification qu’il a réalisé avec sa caméra. En plus de changer la focale, il a
également modifié la position de la caméra au cours du film. Ainsi, il a divisé son film en trois parties, la
première a été filmée au-dessus du niveau des yeux, la seconde au niveau des yeux, et la dernière en dessous
du niveau des yeux. Ainsi, dans la dernière scène que j’ai décidé d’analyser, la caméra est placée en dessous
du niveau des yeux, et durant les gros plans des jurés, on a une impression d’infériorité. Les personnages
paraissent plus imposants et cela crée un sentiment d’oppression.
Sidney Lumet a tenu à accentuer encore plus la tension dramatique, un sentiment presque claustrophobe
notamment grâce au nombre de plans qu’il a réalisé et à la cadence de ceux-ci. Pour un film conventionnel,
le nombre de plans en général tourne autour de 1500. Pour ce film, 387 plans au total on été réalisés, dont
plus de 200 dans le dernier tiers du film. La cadence des plans s’accélère donc dans la dernière partie du plan,
la tension grandie peu à peu et devient presque insoutenable lors de la dernière scène du film.
Tous ces procédés cinématographiques montrent la maitrise et la volonté de Sidney Lumet d’accentuer la
sensation de huis clos. Le téléspectateur est au cœur de l’histoire avec cette impression d’être dans la pièce
avec les personnages. Que ce soit la tension ou l’oppression, cela ne cesse de s’accroitre plus le film avance et
plus le dénouement est proche.
Le Dudébut
film
Ladu film
fin
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Analyse du film
La force des dialogues mais aussi le silence
Les procédés cinématographiques ne sont pas les seuls à faire la force de ce film. J’ai choisi cette scène
pour sa différence par rapport à la logique du film. En effet, tout au long du film, le téléspectateur est tenu en
haleine par les dialogues et les longues tirades des différents protagonistes. Le rythme du film est donné par les
argumentations et les jugements de chacun. Le pouvoir est attribué aux personnages qui maitrisent le mieux le
sens de la parole, qui utilisent et manient le sens de la repartie.
C’est dans cette scène que se crée la différence avec la trame du film. Dans ces dernières minutes, seul le juré
n°3 pense que l’accusé est coupable, il expose ses arguments devant les 11 autres jurés. Le pouvoir s’inverse totalement, les jurés sont totalement mués, un silence règne entre chacune de ses interventions, les regards sont
puissants et fixent en direction de Lee. J. Cobb qui perd au fur et à mesure tous ses moyens, allant même jusqu’à
fondre en larme. Le pouvoir qui tout au long du film est attribué au dialogue s’inverse, le silence et les regards
dans cette scène sont relativement puissants, et émotionnellement intenses. Certes, le pouvoir du scénario et de
la réalisation sont des éléments clés dans le succès de ce film, mais comment ne pas saluer la performance des
12 acteurs présents dans la pièce ?
Les regards
Des jurés
La performance des acteurs
Les douze acteurs présents sur le tournage ont chacun leur particularité et cela fait également la force et
l’engagement de ce film. En effet, chaque personnage a un comportement et une personnalité spécifique, que
ce soit au niveau de leur profession ou de leur milieu social.
Dossier analyse de film - Douze hommes en colère
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Analyse du film
On peut prendre plusieurs exemples dans cette scène, Lee. J. Cobb, le juré n°3 qui est un personnage
virulent, agressif et persuadé de la culpabilité de l’accusé jusqu’à cette scène, où on le voit fondre totalement
en larmes devant les autres. Autre personnage influant dans cette scène mais également tout au long du
film, Henri Fonda évidemment. Il est le personnage principal du film et le premier à contester la culpabilité de l’accusé. Grâce à sa maitrise de la langue, ces arguments et son calme olympien, il a su influencer
et convaincre le groupe les uns après les autres. Tous les personnages sont comme une représentation des
maux de la société et une incarnation de l’Amérique de l’époque avec ses clichés et ses préjugés. Par exemple
Jack Warden, qui veut seulement être à l’heure pour son match et qui délaisse totalement son droit moral et
civique, ou encore Ed Begley, qui est un homme profondément raciste et qui a de nombreux préjugés.
Tous les acteurs incarnent à la perfection leurs personnages, avec un gros travail sur le comportement de
chacun, la gestuelle et la personnalité écrite par Reginald Rose. Sans la performance des protagonistes,
nous n’aurions sans doute pas eu la même tension et le même suspense tout au long du film. L’anonymat
des personnages permet une identification par rapport à la personnalité et aux répliques de chacun, ce qui
nous permet de nous trouver dans la même position que les personnages. Dans cette dernière scène remplie
d’émotions et de tension, le regard et le jeu d’acteurs est relativement impressionnant, que ce soit le monologue émouvant et enragé de Lee. J. Cobb, ou les regards fixes et déterminés des 11 autres jurés.
LeE.J.Cobb
Acteur/Juré n°3
Ed
begley
Acteur/Juré n°10
Dossier analyse de film - Douze hommes en colère
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Conclusion
Douze hommes en colère est la plume de Réginald Rose, la technique de
Sidney Lumet, la performance incroyable d’Henry Fonda et des acteurs qui l’ont
accompagné. Mais c’est aussi un huis clos littéralement à couper le souffle, des
dialogues et une intrigue qui nous tiennent en haleine durant la totalité de cette
œuvre.
Pourquoi peut-on dire que ce film n’a pas pris une ride ? Tout d’abord, c’est un
long-métrage réaliste et précurseur des années 50 qui a su faire face à la suprématie Hollywoodienne et a su imposer ses idées et ses critiques au fil du temps.
Ce film n’a pas vieilli et pour cause, les sujets auxquels ce film s’est attaqué, le racisme, le droit civil, la valeur humaine, le système judiciaire américain sont encore
et toujours des sujets plus que sensibles aujourd’hui à notre époque. C’est pour
toutes ces raisons que d’un point de vue personnel, je pense que Douze hommes
en colère est un des films qui m’a le plus marqué dans l’histoire du cinéma par son
engagement, sa simplicité, son intelligence et son efficacité.
Dossier analyse de film - Douze hommes en colère
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Bibliographie
Le livre « Making Movie » de Sidney LUMET
Le livre « Le cinéma américain de 1971 – 1983 » de Freddy BUACHE
La revue « Premier film, premier chef d’œuvre », article écrit par Laurent DAURE
L’article « Doute légitime » d’Ophélie WIEL
Le site Wikipédia pour les différentes dates et informations
Le livre « Le livre du scénario » de Bernard TREMEGE
Le « Portrait de Sidney Lumet » du site internet DVDCLASSIK
Le film « Douze hommes en colère » de Sidney Lumet, écrit par Reginald Rose
La pièce de théâtre « Douze hommes en colère » du Magnifique théâtre
Le cours « Histoire de l’audiovisuel et du multimédia » de Jean-Pierre Esquenazi
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