Groupe de REcherche en Gestion des ORganisations - gregor-iae
Transcription
Groupe de REcherche en Gestion des ORganisations - gregor-iae
Groupe de REcherche en Gestion des ORganisations Les cahiers de recherche du GREGOR sont accessibles sur INTERNET à l’adresse suivante : http://gregoriae.univ-paris1.fr/accueil/ 2007-02 Les politiques RH comme actes de communication Patrick Gilbert, Danièle Gonzalez, et Jacques Aubret GREGOR – Cahier n° 2005-02 Les auteurs Patrick Gilbert Professeur GREGOR IAE de Paris – Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne 21 rue Broca 75740 Paris Cedex 05 [email protected] Danièle Gonzalez Directeur d'Etudes Entreprise & Personnel, Le Rodin 26 rue Louis Blanc, 69006 Lyon Jacques Aubret Professeur Emérite INETOP, CNAM, 21 rue Gay Lussac 75005 Paris 2/16 IAE de Paris - Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne) 2007 – 02 Les politiques RH comme actes de communication Patrick Gilbert, Danièle Gonzalez, et Jacques Aubret, Résumé L’idée qu’une entreprise se doit d’avoir une politique explicite en matière de gestion des ressources humaines (le plus souvent appelée « politique RH ») est une conviction largement partagée par les professionnels du domaine. Pourtant, cette apparence de naturel souffre de handicaps dont le plus notable réside dans le flou qui entoure la notion. Certes, on dit d’un directeur des ressources humaines (DRH) du siège qu’ « il propose la politique de gestion des ressources humaines à la direction générale », d’un responsable des ressources humaines sur le terrain qu’« il décline et met en œuvre la politique de gestion des ressources humaines dans le cadre de son unité ». Mais, qu’est-ce qu’une politique en matière de gestion des ressources humaines ? Pour répondre à cette question, les auteurs commencent par explorer la littérature gestionnaire. Ils en extraient la réponse la plus habituelle, marquée par l’idéal du gestionnaire planificateur et par le « modèle instrumental de la GRH » dont ils soulignent les limites. Comme alternative à ce modèle instrumental, bien souvent mis en défaut par l’observation, ils présentent ou proposent ensuite un cadre d’analyse des politiques RH, dans lequel le DRH est considéré comme « un être de parole » et les politiques comme des actes de communication. Dans ce cadre, ils mettent en oeuvre deux méthodes combinées : la statistique textuelle (analyse d’un corpus de 38 textes de politiques RH) et l’analyse formelle des situations de communication (entretiens avec des DRH et analyse de situations). Introduction L’idée qu’une entreprise se doit d’avoir une politique en matière de ressources humaines est une conviction légitime, largement partagée par les professionnels du domaine. Pourtant, cette apparence de naturel souffre de handicaps dont les plus notables résident dans le flou qui entoure la notion, dans le mystère qui accompagne sa formulation et dans les difficultés persistantes que rencontre son déploiement. Certes, on dit d’un directeur des ressources humaines (DRH) du siège qu’ « il propose la politique de gestion des ressources humaines à la direction générale », d’un responsable des ressources humaines sur le terrain qu’« il décline et met en œuvre la politique de gestion des ressources humaines dans le cadre de son unité ». Mais, qu’est-ce qu’une politique en matière de gestion des ressources humaines ? Comment est-elle effectivement élaborée et mise en œuvre ? Concernant la nature de l’objet « politique », force est de constater qu’abondamment utilisé en GRH, le vocable y est peu défini. Notion difficile à cerner, moins commune que celle de stratégie – avec laquelle elle est parfois confondue – son explicitation n’a retenu l’attention que d’un petit nombre d’auteurs. D’ailleurs, sans son singulier, « politique RH » ne constitue pas un chapitre obligé des manuels de GRH. Il n’est pas non plus une entrée habituelle dans les index des ouvrages qui traitent du domaine. Bien que la notion soient souvent présente en arrière plan de nombre d’articles de l’Encyclopédie des ressources humaines (Allouche, 2003), celle-ci n’aborde pas ce sujet dans sa singularité. Le pluriel est plus habituel : « les politiques de l’emploi », « les politiques de rémunération » ou encore « les politiques de gestion des cadres » sont des thèmes régulièrement abordés dans la littérature gestionnaire. Sur le mode d’élaboration et de déploiement d’une politique RH, la littérature spécialisée est plus diserte. Le point de vue le plus répandu est d’emblée normatif. Il véhicule une conception instrumentale (Brabet, 1993). Cette conception ne correspondant pas à l’observation, certains peuvent en ressentir du découragement : En matière de GRH, est-il réaliste d’afficher une politique ? Les politiques RH ne seraient-elles que « discours creux » et pures fictions ? 3/16 GREGOR – Cahier n° 2007-02 Pour De Coster (1999, p. 169), si les politiques en matière de ressources humaines sont si difficiles à cerner c’est qu’elles ne revêtent pas en réalité le degré de formalisation et de cohérence que souhaitent y trouver les spécialistes du management. En fait, il n’y a pas de politique sans exercice du pouvoir. Aussi, la notion de politique suscite-t-elle des réserves bien compréhensibles : tout pouvoir ne suppose-t-il pas une restriction des libertés ? La grille d’analyse sociologique n’est pas dépourvue de pertinence. Mais elle n’épuise pas le mystère des politiques RH. Après tout, les politiques RH existent bel et bien : des discours publics de praticiens l’affirment, des documents diffusés à l’intérieur comme à l’extérieur des entreprises en témoignent. Et si l’approche instrumentale ne parvient pas à en rendre compte, il n’est pas interdit d’emprunter d’autres voies. Celle que ce texte se propose d’explorer porte son attention sur la politique en tant que phénomène de communication. Avant de s’y engager, on commencera par caractériser l’approche instrumentale et à en montrer quelques limites. 1 L’approche instrumentale et ses limites 1.1 Le modèle instrumental L’approche instrumentale de la politique RH, sorte de sens commun véhiculé par les discours et les écrits professionnels, voire académiques, repose sur un modèle idéal construit sur quatre piliers : le primat du politique sur les pratiques, l’élaboration de la politique fondée sur un raisonnement objectif, la construction de la politique selon un schéma linéaire et séquencé et, enfin, l’évidence du déploiement. 1.1.1 Primat du politique sur les pratiques Dans la conception instrumentale, toute entreprise est plus ou moins orientée par une politique générale, conçue par le groupe dirigeant. Cette politique est le fruit des analyses par les dirigeants des environnements auxquels ils sont confrontés. Elle est déclinée en sous-politiques fonctionnelles (commerciale, industrielle, financière… et, bien sûr, RH) qui jouent le rôle de cadre de référence pour les différentes décisions qui seront prises. Générale ou fonctionnelle, la politique s’impose aux pratiques en leur fixant des buts et des critères à respecter. C’est le premier pilier du modèle. Il affirme que la politique surplombe l’ensemble du système de GRH supposé fonctionner selon une architecture rationnelle : éclairée par l’étude (le diagnostic, l’analyse), la politique structure les pratiques via des règles de gestion que prolongent les outils de gestion. Règles et outils de gestion déterminent les pratiques de GRH (recrutement, formation, rémunération, gestion des carrières, etc.). Un pilotage judicieux de la performance RH permet, par itération, de réduire les écarts constatés. La pratique serait donc ainsi – tout au moins, en théorie – entièrement soumise à la politique. 1.1.2 Elaboration fondée sur un raisonnement objectif Au-dessus de la mêlée, le concepteur de la politique, « le politique », est un acteur que l’on suppose pleinement rationnel. Il est censé disposer d’une information complète. Il se détermine en tenant compte des forces et faiblesses de l’entreprise et des variables de l’environnement (législation, conjoncture économique, groupes de pression, marché de l’emploi, etc.). Il fixe de manière optimale l’ensemble des finalités, des buts et des objectifs de la GRH à l’issue d’un raisonnement parfaitement objectif. Tout se passe comme si la qualité de la politique reposait sur un algorithme de décision qu’il suffirait de bien maîtriser. Selon cette conception, deux individus différents, pourvus des mêmes qualités et confrontés à la même situation, ne peuvent qu’aboutir à la formulation d’une même politique. 1.1.3 Processus linéaire et séquencé Le processus politique obéit aux principes de la planification stratégique conventionnelle. Il en emprunte les techniques. C’est un processus formel logiquement décomposé dans le temps et dans l’espace : 4/16 IAE de Paris - Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne) − Dans le temps, il est organisé en phases successives depuis la conception jusqu’à la mise en œuvre, en passant par l’élaboration de plans d’actions. − Dans l’espace, il est déployé instantanément au niveau de chacune des unités de l’entreprise (établissements, centres de profit). Si le déploiement est pensé comme instantané, c’est qu’il semble évident : la politique est proclamée, l’intendance doit suivre. 1.1.4 Evidence du déploiement La mise en œuvre va de soi et n’appartient pas au registre du politique. L’acteur politique a rempli son rôle dès lors qu’il a exprimé sa volonté. Prennent ensuite le relais les responsables fonctionnels et opérationnels qui vont traduire la politique en actes, et éventuellement « l’accompagner » par une communication. La politique (pure expression d’une vision, d’une volonté), la communication de cette politique et l’action relèvent d’univers distincts. Cette approche traite l’exigence de communication comme un accessoire. 1.2 Un modèle qui ne rend pas vraiment compte de la réalité Ce modèle répond à un idéal « mécaniste » qui n’est pas en accord avec le réel, tel que tout un chacun peut l’observer et tel que les acteurs concernés le décrivent eux-mêmes. En fait, l’approche instrumentale ne fonctionne réellement que dans des entreprises très spécifiques: celles qui bénéficient d’un environnement stable, de marchés permanents, de technologies peu évolutives, de dirigeants pérennes. Hélas pour ce modèle, il s’agit là d’une espèce d’entreprises que l’on dit en voie de disparition. En univers turbulent, les décideurs, confrontés à des problèmes complexes, aux situations de crise et aux pressions de l’urgence (Voir Riveline, 1991) sont dans l’impossibilité de faire fonctionner une logique de planification rationnelle du processus politique. Ils préfèrent, et c’est bien légitime, une politique effective à une politique rigoureusement planifiée. La formulation d’une politique est, elle aussi, soumise à l’urgence et aux contingences de l’action. En outre, les politiques RH ne sont plus – mais l’ont elles jamais été ? – des politiques populaires. Il s’agit souvent de diminuer les effectifs, d’évaluer de plus près la performance, d’être plus sélectif en matière de rémunération et de promotion, etc. C’est bien le genre de politique qu’il n’est pas facile de communiquer, et pas facile de faire déployer ! On comprend dans ce cas, que la difficulté de la mise en œuvre d’une politique n’est pas forcément corrélée à son manque de clarté. Enfin, dans le contexte actuel, la méfiance tend à se généraliser. La nature, les institutions, « l’Autre » deviennent suspects. Lorsque l’incrédulité, et la suspicion envers tout discours politique, tant dans la société globale que dans l’entreprise, deviennent la règle, la politique repose forcément sur un exercice de communication très ardu. Aussi, les politiques sont-elles souvent formulées, non pas a priori, mais a posteriori, en aval des pratiques existantes pour les consolider et en proposer une lecture à acceptable. 5/16 GREGOR – Cahier n° 2007-02 1 - Tableau : Le modèle instrumental Supports typiques Contexte, moment But Acteurs-cibles Message Logique de fabrication Logique de mise en œuvre 2 Notes de direction Phase initiale du cycle du pilotage rationnel de l’entreprise : « politique, stratégie, plan d’action, mise en œuvre, suivi et évaluation » Pilotage de l’action Orienter l’action, les décisions. Faire agir dans la direction voulue. Garantir la cohérence des pratiques de GRH, dans une recherche d’alignement à la stratégie de l’entreprise. Internes La ligne hiérarchique Transmission de principes d’action Objectivante Construction rationnelle mixant analyse de données internes et externes, identification de buts et mesures d’écarts, élaboration de scénarios etc. Le tout à l’abri de tous les éléments parasites que seraient les jeux d’acteurs, les croyances personnelles etc. Allant de soi La mise en œuvre est censée aller de soi, dès lors que les politiques ont été présentées aux responsables. Le discours politique aurait une puissance générant le passage à l’acte. Comprendre la politique « autrement » 2.1 La politique comme acte de communication Certains revendiquent des politiques faites uniquement de pratiques, des politiques en actes. C’est oublier que les pratiques de GRH ne sont jamais muettes : un discours les accompagne toujours, soit pour les déclencher, les orienter, soit pour les justifier, les légitimer, les négocier, en rendre compte… Le DRH peut tendre à être un homme de volonté, mais il est à coup sûr, comme tout être humain, un être de parole (Chanlat, 1992) et la gestion emprunte autant à l’univers de la parole qu’à celui de la décision (Livian, 2002). S’il est vrai que le discours peut être oral et ne pas laisser beaucoup de trace tangible, cela ne signifie pas qu’il n’existe pas, qu’il ne puisse pas parfois être très prégnant et puissant. Dans toutes les entreprises, des discours sont tenus, entendus et générateurs d’effets (attendus et/ou inattendus). Ainsi on observe dans les organisations l’inverse de ce qu’affirme le modèle instrumental : politique et communication ne font qu’un. Enoncer une politique, c’est faire acte de communication. 2.2 Adressé à quelqu’un, dans un but, dans une situation donnée et élaboré dans un flux d’interactions Le discours politique est adressé à un acteur, et donc construit en fonction de cet acteur, voire coconstruit avec lui. Il est aussi élaboré en fonction du contexte et des buts poursuivis, des effets recherchés. Il ne s’agit donc pas de l’expression d’une pure volonté, mais bien plutôt d’une réponse, d’une réaction face à une attente, un problème, une situation. L’enchaînement rationnel de séquences, depuis la conception jusqu’à la mise en œuvre, quand il se donne à voir, est le plus souvent le fruit d’une reconstitution a posteriori. Sur le vif, le processus est beaucoup plus désordonné et opportuniste, avec des recouvrements de phases, des retours en arrière et autres péripéties. La politique est un sens qui émerge au cours d’interactions entre des individus (Weick, 1995). 2.3 Dont le déploiement ne s’impose pas toujours Quant à la dernière étape du processus théorique, la mise en œuvre, force est de constater qu’elle n’est pas toujours au rendez-vous, car les écarts sont habituels entre les discours et les pratiques (Galambaud, 2002 ; Cadin et Guérin 1999). Parfois le déploiement échoue, parfois il n’est pas 6/16 IAE de Paris - Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne) vraiment voulu ou pas avec autant d’ardeur que ce que l’on veut bien le dire, parfois le déploiement est tout simplement sans objet : car toutes les politiques annoncées ne sont pas faites pour être mises en œuvre. Et quand le déploiement existe, il peut s’intégrer, au point de disparaître en tant que processus spécifique, dans les modes de fonctionnement de l’entreprise et de la GRH. 2.4 Traversé par de forts enjeux La politique, acte de communication au sens fort, est comme tel porteuse de cinq types d’enjeux (Mucchielli, 1995) : informatifs, normatifs, de mobilisation d’autrui, relationnels, et de positionnement identitaire. Les enjeux sur lesquels on s’accorde le plus volontiers sont de type informatif et cognitif. Bien sûr, la communication est un acte d’information puisqu’elle comporte toujours, à des degrés divers, transmission d’information, et donc, quand cette transmission réussit, modification des représentations, des compréhensions. La politique expose des principes, des règles de décision, des marches à suivre. Elle répond bien à ces enjeux informatifs. Mais elle est bien plus qu’un simple échange d’informations. Le modèle instrumental échoue dans sa tentative de guider l’action politique parce qu’il exagère l’enjeu informatif et laisse dans l’ombre les autres enjeux, soit qu’ils les considère comme secondaires (comme l’enjeu relationnel), soit qu’il les ignore ou les considère comme parasites (comme l’enjeu de positionnement identitaire). Ces enjeux sont traversés par la question du pouvoir. Les DRH évoquent les rapports de force qui président nécessairement à l’élaboration d’une politique. Une politique n’existe qu’en référence à d’autres politiques possibles, en référence aux habitudes, aux réflexes, aux tendances « naturelles » de l’organisation. Pour prétendre jouer un rôle politique, il faut donc disposer du pouvoir de faire triompher une vision parmi d’autres, une volonté parmi d’autres. 2.5 Condamné à des réussites partielles En tant qu’acte de communication, toute politique RH est condamnée à des réussites partielles. Wolton (1997) l’explique bien : « il y a toujours quelque chose de raté, d’approximatif, de frustrant dans la communication », parce que la communication fait intervenir « l’autre », et que cet autre reste par essence inatteignable. Le paradoxe, c’est que la communication qui devrait rapprocher, révèle en fait ce qui sépare ! Toute communication comporte des malentendus, distorsions, projections, décalages, effets non attendus et parfois non désirés etc. Regarder ce fait en face ne doit pas conduire au renoncement ou au fatalisme, mais à un redoublement de modestie et d’attention, pour réussir le mieux possible. 3 La méthode 3.1 Une démarche systématique d’analyse C’est donc en observant le processus de formulation des politiques RH et en analysant le contenu de ces politiques que cette étude a été conduite, selon la démarche suivante : − Partir du plus visible, de ce qui se donne à voir comme étant la politique RH de l’entreprise : un texte labellisé comme tel, produit et reconnu par des acteurs légitimes. − Examiner ce texte selon un procédé rigoureux au moyen d’une technique automatique des contenus » (Pêcheux, 1969 ; .Ghiglione et al., 1998). − Remonter du texte au contexte, en caractérisant les situations dans lesquelles ces politiques ont été formulées (Mucchielli, 1991) et les acteurs-cibles de cette politique, ceux pour lesquels elle a été écrite en priorité. Une dizaine d’entretiens auprès de DRH ont été menés. − Construire des idéaux-types associant dans la même catégorie, texte, contexte et acteurs. « d’analyse 7/16 GREGOR – Cahier n° 2007-02 3.2 Le recours à l’analyse textuelle Dans le cadre de cette étude, une base de textes segmentée offrant des possibilités de comparaison a été constituée. Elle est composée : a) D’accords collectifs b) De présentations de politiques RH sur Internet c) De comptes rendus d’exposés externes de dirigeants sur leur politique de gestion des cadres (Cabre, Lemée, 2002) d) De documents diffusés en interne à l’ensemble des salariés Le corpus, constitué de 38 textes s’affichant comme des politiques RH, n’a pas donné lieu à la constitution d’un plan de recueil de données systématique. Toutefois, une certaine hétérogénéité a été recherchée dans la nature des textes produits (tableau 2) et des secteurs d’activité (tableau 3), ainsi qu’un équilibre entre ces composantes. 2 - Tableau : Répartition des entreprises selon les types de politiques RH 9 accords collectifs Air France, Caisse des Dépôts et Consignations, Crédit Lyonnais, Dassault aviation, France Telecom, Thalès, Michelin, Pechiney Emballage Alimentaire, Rhodia 13 politiques RH sur Internet AGF, Auchan, Compass Groupe France, Essilor, Giat industries, Karcher, Pinault bois et matériaux, Sanofi Synthélabo, SEB, SNPE, Soditech, Turbomeca, Unibail 10 politiques RH cadres Vallourec, Moët et Chandon, Dassault Aviation, Schneider Electric, Groupe Accor, France Télécom, Groupe Danone, Groupe Heppner, Groupe Altran, Stein Heurtey 6 politiques RH diffusion interne AGF, CPAM St Etienne, Groupe Danone, CNR, Legris Industries Sodiall NB. AGF, Danone, France Telecom et Dassault Aviation sont présents deux fois dans le corpus. 3 - Tableau : Répartition des entreprises selon les secteurs d’activité 16 entreprises industielles (Chimie, Métallurgie, agroalimentaire) Groupe Danone, Karcher, Legris Industries, Michelin, Moet et Chandon, Pechiney Emballage Alimentaire, Pinault Bois et Matériaux, Rhodia, Giat Industries, Sanofi Synthelabo, SEB, SNPE, Sodiall , Turbomeca, Vallourec, Stein-Heurtey. 6 entreprises de hautes technologies (Informatique, ingénierie, télécommunications et électronique professionnelle) Dassault Aviation, Essilor, Schneider Electric, Soditech, Thalès, France Telecom 12 entreprises du secteur tertiaire (distribution, services) AGF, Air France, Auchan, Caisse des Dépôts et Consignations, CNR, CPAM St Etienne, Crédit Lyonnais, Compass Groupe France, Unibail, Groupe Accor, Heppner, Groupe Altran. L’ensemble de ces textes a fait l’objet d’un analyse de données textuelles. L'Analyse de données textuelles ou statistique textuelle est une méthodologie qui vise à découvrir l'information essentielle contenue dans un texte. L’analyse du contenu du corpus a été conduite de manière automatisée par l’utilisation du programme Alcest e(Reinert, 1990) 1 . Le principe de cette analyse repose sur le dénombrement des mots et des formes verbales des textes et de leurs co-occurrences. On considère que les associations de mots et de formes verbales dans un texte ne relève pas du pur hasard mais que l’observation des mots qui surviennent dans une certaine proximité, au sein des phrases, rendent compte, en partie, du sens véhiculé par ces énoncés. 1 ALCESTE est diffusé par la société Image (www. Image.cict.fr) soutenue par l’Anvar et partenaire du CNRS depuis sa création en 1986. La version 4.5 a été utilisée pour le traitement des différents corpus de la recherche. 8/16 IAE de Paris - Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne) A partir d’un dictionnaire de la langue française le logiciel effectue un dénombrement de tous les mots et formes linguistiques présentes dans le texte et crée les dictionnaires correspondants. Cette opération d’analyse conduit au découpage du texte en unités de contexte élémentaire (UCE) établies à partir du repérage de structures signifiantes attachées à la distribution des mots dans un texte. La classification ainsi opérée met en évidence la proximité de ces structures à l’intérieur des classes distinguées et les oppositions les plus fortes entre les classes. Un calcul du khi2 permet de quantifier l’importance de ces liens et de ne retenir que les liens les plus significatifs et les plus stables. 4 Les politiques RH, une communication autour de quatre objectifs Formaliser une politique RH, c’est communiquer. On ne communique pas sans but et le but se résume rarement à une simple transmission d’informations. On communique pour faire état de règles négociées, mobiliser les salariés, séduire, s’affirmer comme professionnel… Dès lors, les politiques RH prennent des places et des formes inattendues pour qui se réfère au modèle instrumental. Les préambules des accords sociaux, les textes à destination des salariés, les rubriques RH des sites Web ou encore les présentations des DRH lors de colloques professionnels peuvent en être les supports. Pour comprendre une politique RH autrement qu’en référence au modèle théorique, il faut analyser les quelques composantes qui en font un acte de communication : le message, la cible, les supports, les logiques de conception et de mise en œuvre. Ces composantes sont orientées par le but poursuivi, l’objectif que l’on vise et qui justifie que l’on passe à l’acte : la formalisation d’une politique RH. C’est à partir des quatre grands objectifs poursuivis à des degrés divers que l’on décrira quatre « modèles » de politique RH. 4.1 S’accorder sur un champ et des règles du jeu (modèle de la règle négociée ) Toute communication s’inscrit à l’intérieur d’un système de règles. Certaines règles de l’échange sont pré-établies et d’autres selon élaborées en commun, au cours de l’échange. Communiquer c’est, en partie, contribuer à la mise au point des règles de l’échange collectif. Dans cette perspective, la politique RH est élaborée pour établir, entre les acteurs concernés, des règles du jeu, des conventions, des compromis qui rendront l’action possible. Elle prend alors typiquement la forme d’un accord social négocié entre la Direction de l’entreprise et les organisations syndicales et s’affirme en tant que politique en particulier dans le préambule. La politique ainsi formulée délimite les marges de manœuvre disponibles, à l’abri des blocages, tant sur les buts que sur les moyens à déployer pour les atteindre. Elle s’adresse directement aux salariés et indirectement aux instances de contrôle (administration du travail…) susceptibles d’être saisies par l’une ou l’autre des parties. L’accord prévoit en effet les modalités de suivi et de contrôle de son application. La future mise en œuvre de la politique s’effectue donc au moins selon les dispositions prévues dans le texte et sous le contrôle des signataires. Sa forme est contrainte par les jeux de la négociation. Le message s’exprime au travers un discours impersonnel, un « discours de la règle » très référé aux droits (contrats, conventions, conditions d’accès…) et au temps (périodes, durées, dates, âges…). Il comporte de nombreuses clarifications : définitions de mots, de catégories, modes de calcul, renvois à des articles du code du travail ou à des accords antérieurs etc. Autant de précisions dont la fonction est de faire de la langue utilisée un véhicule précis et documenté… au détriment parfois de la clarté ou de l’attrait. Il prévoit, tantôt en terme de principes généraux, tantôt en détail, les actions qui seront engagées en direction des salariés. Par exemple, dans le cadre d’une cessation anticipée d’activité, il s’agira de l’accompagner, d’aménager son temps de travail, d’alléger sa charge de travail, de lui verser une allocation… L’accord social est choisi comme processus d’élaboration et support d’une politique RH dans les contextes de changement sensible à conduire, quand une contrainte et/ou opportunité législative se présente (une nouvelle loi sur la formation par exemple), quand les pouvoirs publics ou la branche incitent à agir (par exemple en faveur des départs anticipés en retraite), ou encore quand la culture de l’entreprise valorise le dialogue social. 9/16 GREGOR – Cahier n° 2007-02 Illustration N°1 : L’accord « Emploi, gestion prévisionnelle des compétences » de France Télécom Cet accord est signé le 5 juin 2003 (avec la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC et FO) et précède donc de 6 mois la loi actant la réforme du statut du Groupe. Il s’agit là d’une rupture majeure : la privatisation, dès lors que l’Etat décidera de réduire en dessous de 50 % sa participation au capital. Dans ce contexte, l’accord définit une politique d’emploi à trois étages. D’abord l’anticipation et la mobilité volontaire pour réaliser les adéquations besoins-ressources. Ensuite, si cela n’a pas suffi, le déploiement consistant à proposer des mobilités aux salariés, à l’intérieur du Groupe. Enfin, en dernier recours, dans le cadre de PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) qui n’auront pas pu être évités, le reclassement, en interne ou en externe, des salariés ayant perdu leur emploi. Le message est clair : il faut tout mettre en œuvre pour rendre le premier niveau le plus efficace possible, mais pour autant les deux autres niveaux seront inévitables (à l’heure où nous écrivons, 8 000 suppressions de postes sont annoncées en 2005, par départs en retraite et transferts vers la fonction publique). L’enjeu du texte réside dans l’acceptation de cette analyse par les partenaires sociaux, et audelà par les salariés. Tout le reste consiste en contreparties, garanties et conditions de mise en œuvre. Ainsi par exemple la reprise de l’ancienneté dans les cas de mobilité intra-groupe ou la garantie pour chaque salarié entrant dans le processus de reclassement, de recevoir au moins deux « offres valables d’emploi » (de qualification supérieure ou égale et dans un périmètre géographique défini). Pour la mise en œuvre de l’accord, en plus de la traditionnelle « commission de suivi », une « commission de conciliation et d’interprétation sera chargée d’examiner les éventuels différents pouvant provenir de l’interprétation du présent accord » : c’est nettement dire que l’on se situe dans un processus non achevé et que le texte, aussi précis qu’il soit par certains aspects, n’a pas vocation à tout prévoir, mais bien à poser les contours et les règles des échanges sur la politique d’emploi. 4.2 Mobiliser le personnel (modèle de la mobilisation) Communiquer, c’est aussi chercher à influencer autrui. La parole est utilisée pour séduire, convaincre, menacer, stimuler… et au final obtenir certaines attitudes et comportements (d’acceptation, d’engagement, de neutralité…) favorables aux buts poursuivis. La politique RH sert alors à mobiliser les salariés de l’entreprise, c’est-à-dire à les rendre ouverts, réceptifs aux intentions des dirigeants en matière RH. Elle s’adresse à eux comme à un acteur homogène et indifférencié. Il s’agit d’un texte généralement plutôt succinct (quelques pages), mis en forme avec plus ou moins de recherche : simple impression en interne sur format A4 ou plaquette d’une conception sophistiquée. Le message exprime une conception du management fondée sur l’idée centrale d’un individu « moteur de la création de valeur » (voir Bartlett et Ghoshal, 1998). Cette conception, critique vis-à-vis du modèle hiérarchique classique, repose sur les notions de responsabilisation et de délégation. La responsabilité suppose une claire définition des charges et des domaines d'action de chacun, un accès suffisant à l'information et une autonomie reconnue de chaque acteur dans sa sphère de compétence. Alors que dans le modèle précédent, le salarié était avant tout un bénéficiaire, un destinataire de la politique RH, il en est ici un acteur de la mise en œuvre. Autre différence avec le modèle précédent : des modes de fabrication beaucoup moins balisés. Ils se composent le plus souvent, selon des dosages variables, des ingrédients suivants : séminaires des équipes RH, groupes de travail associant des responsables opérationnels, accompagnement par un intervenant externe et opérations de benchmark, validation en Comité de Direction. La politique n’est pas construite d’un seul mouvement puis livrée au personnel et à la mise en action. Elle résulte au contraire d’une construction progressive et itérative d’un discours toujours à la fois émergent de la réalité et l’expliquant a posteriori. Il n’est pas rare que l’action précède et que le discours politique vienne ensuite l’expliquer et la justifier. De même l’usage d’un outil (un système de classification des emplois par exemple) peut précéder la formulation explicite des buts poursuivis à travers lui. Elaboration de la politique et mise en œuvre sont étroitement imbriquées. 10/16 IAE de Paris - Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne) Illustration N°2 : La politique Ressources Humaines du Groupe Danone L’introduction du texte le situe dans une continuité historique (il s’agit de la 4ème version depuis 1974), revendique la politique RH du Groupe comme « un avantage compétitif évident » et l’inscrit dans le cadre du « double projet » qui affirme la synergie entre l’économique et le social. D’emblée la politique se présente comme en dynamique et en réactivité face à l’environnement (sont citées les 4 évolutions et défis majeurs, dont la mondialisation). Le contenu s’organise ensuite autour de 6 axes : professionnalisme de tous, performance managériale, organisation et compétence, management de proximité et dialogue social, reconnaissance attractive et responsabilité sociale. Le terme d’axe est défini comme donnant « une direction et une ambition commune en laissant aux CBUs une forte autonomie dans la mise en œuvre des actions ». Chaque axe est ainsi décliné en quelques principesclés. Axes et principes débutent par un verbe, au premier rang desquels figure « développer ». Quelques démarches porteuses d’un label interne supposé par ailleurs bien connu sont évoquées : démarche de management Odyssée, « Networking attitude » pour caractériser la culture organisationnelle, « Danone Way » pour la responsabilité sociale, « fasted moving food company » pour traduire l’ambition du Groupe. Ces références inscrivent le texte dans un large environnement et suggèrent, par une technique d’arrière-plan, une richesse d’actions bien supérieure à celles explicitement mentionnées. Au-delà des contenus précis, il donne à entendre une tonalité générale créée par les choix de vocabulaire et de style (concision et répétitions, phrases courtes …). Pour mobiliser les salariés, le texte offre le juste dosage entre éléments précis, objectivés, et évocations plus ouvertes facilitant la « projection » des aspirations de chacun. L’élaboration du document a commencé sous l’impulsion du DRH du Groupe en 2001 : tournée sur le terrain, réunion du « G 5 » (les principaux acteurs RH du Groupe), groupes de travail sur chacun des 6 axes avec une rédaction échelonnée sur presque un an. Ont été intégrés dans ces axes des projets mais aussi des réalisations déjà existantes. Au-delà du texte, le processus d’élaboration des politiques RH se poursuit, avec l’approfondissement spécifique de l’axe « employabilité », dans le cadre d’une démarche complémentaire… 4.3 Etablir une relation, attirer (modèle relationnel) Communiquer, c’est, en partie, établir et spécifier la relation avec autrui. L’efficacité d’une politique dépend de la crédibilité de ses promoteurs, tout comme leur capacité à inspirer confiance. Des études nord-américaines (Larkin et Larkin ; 1996) montrent bien que le premier défi à relever dans le déploiement d’une politique n’est pas celui de l’information, mais bien celui de la relation. Ce modèle est centré sur les enjeux relationnels. La politique RH s’adresse théoriquement à tous et plus particulièrement aux candidats potentiels que l’entreprise a l’intention de séduire. Le discours communautaire affirme une politique répondant au modèle des relations humaines. Les acteurs mis en avant sont le groupe, l’équipe, le client. Le discours est expressif et presque intimiste, les « actes » les plus spécifiques sont des attitudes, des modes de relation (« confier », « intégrer », « écouter »). La communication paraît prédominer sur l’information qui reste très générale. Le référentiel est celui de la collaboration, de la relation, du dialogue. 11/16 GREGOR – Cahier n° 2007-02 Illustration N°3 : La politique RH d’Auchan La page d’accueil du site Web d’Auchan (www.auchan.com) comporte, en bonne place, une rubrique « Emploi » qui s’ouvre directement sur un texte intitulé « La politique de ressources humaines ». On y apprend qu’en 2003, Auchan s’est « enrichi » (sic) de 13 000 collaborateurs, portant les effectifs à 156 000 personnes que l’entreprise s’engage à former tout au long de leur parcours professionnel ce qui leur permettra de bénéficier de « la forte politique de promotion interne du groupe ». Auchan propose « un projet humain stimulant qui place les collaborateurs au cœur de l’entreprise ». Sans remettre en cause la réalité du projet et l’honnêteté des intentions, on comprend bien que le discours vise d’abord à séduire des candidats potentiels en présentant l’entreprise sous ses plus beaux atours. Il s’agit moins d’exprimer les principes sur lesquels se fondent les décisions de gestion que de mettre en valeur les avantages distinctifs de l’entreprise. Des liens hypertexte renvoient à quatre rubriques : l’actionnariat, « porteur des valeurs du groupe Auchan », est un élément-clé de la « politique de participation des collaborateurs aux résultats »), la présentation des métiers offre une description succincte de chaque métier, accompagnée d’une citation supposée d’un collaborateur, bien intégré dans son emploi. Il s’agit moins de décrire des activités classiques que de proposer la part du rêve, comme le montre, par exemple, le témoignage d’une « hôtesse de caisse » travaillant à Houston aux Etats Unis, la formation (formation métier, école des managers, formation des dirigeants) avance qu’elle est « une partie primordiale du projet Auchan » sur l’argument que « Ce sont les collaborateurs qui font le succès de l’entreprise » renforcé par l’affirmation « Le développement personnel et professionnel des collaborateurs d’Auchan qui font le succès de l’entreprise ». - et, last but no least, aux offres d’emploi (« nous rejoindre »). Cette dernière rubrique apparaît d’évidence comme celle vers laquelle convergent toutes les autres. Elle en justifie à elle seule la tonalité humaniste. 4.4 Se positionner au sein d’une communauté professionnelle (modèle professionnel) Communiquer, c’est en partie, définir sa position par rapport à autrui, en proposant des éléments de son identité. L’expression d’une politique est risquée, car la politique ne dit pas seulement ce que l’autre doit savoir, mais qui est celui qui l’affirme. Formuler une politique, c’est dire quelle place la DRH et son responsable ont dans l’entreprise et soumettre cette affirmation à l’épreuve des faits. La politique répond à des enjeux de positionnement identitaire. Le contexte est relatif à la profession, au « métier » de la GRH. La politique RH est destinée à des pairs vis-à-vis desquels il s’agit de « tenir son rang », en montrant sa connaissance d’un état de l’art supposé. Le discours professionnel exprime une politique valorisant les aspects managériaux dans leurs composantes les plus modernes. Les acteurs centraux sont l’individu, le dirigeant, le manager. Auprès desquels l’entreprise exprime des propositions dans le but de représenter comment sont les choses dans l’entreprise. La politique porte sur la rémunération, les carrières, le recrutement. Elle a pour référentiel affiché la performance (compétitif, management, performant, marché, résultat, profit) 12/16 IAE de Paris - Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne) Illustration N°4 : La politique de gestion des cadres de Schneider Electric Entre 1999 et 2000, 10 entreprises ont été auditionnées par l’Institut de l’entreprise sur leur politique de gestion des cadres. A l’issue de chaque audition une synthèse était réalisée. On prendra en illustration Schneider Electric qui comptait alors 66 000 salariés dans le monde, dont 8 000 managers. La monographie met en avant la formalisation de la politique de gestion des cadres qui a pour but le développement des ressources managériales (pourvoir les postes clés, élaborer les plans de remplacement, détecter et développer les hauts potentiels, analyser les besoins en formation) et l’internationalisation des ressources des dirigeants. Les outils de cette politique sont évoqués (people review, assessment centers, 360° feed back, intranet RH…), ainsi que les principaux acteurs de cette politique (Comité exécutif, Comité de Développement des Ressources Humaines, DRH…). Le propos est moderne, professionnel et responsable. Il insiste sur la transparence et le partenariat, la forte place de l’internationalisation (objectif « arriver à 50 % de dirigeants non français », « délocalisation de fonctions corporate »), le souci « d’accélérer le turnover des personnes à performance insuffisante ». 4.5 Quand « dire, c’est taire » A ce stade, il peut être utile de rappeler que les modèles décrits ne relèvent pas d’une construction purement abstraite. Ils résultent de l’analyse de contenu de textes et de celle d’entretiens conduits auprès de DRH. Cette centration sur les moyens d’expression de la politique (sa rhétorique), ne peut totalement laisser de côté ce que certains appelleraient « la rhétorique du silence ». En effet, le discours politique ne vaut pas seulement par ce qu’il dit, mais par ce qu’il tait. Il est intéressant par ses « trous ». C’est vrai de tous les modèles analysés mais peut-être dans le modèle relationnel plus encore que dans les autres. Sans doute parce que c’est le moins co-construit et celui dans lequel les destinataires peuvent le moins intervenir pour poser des questions ou en contester la teneur. Paradoxe apparent : modèle de la relation, c’est aussi le plus unilatéral ! Cela dit la réticence est de tous les discours. Par défaut, ou par calcul, la formulation politique maintient le discours dans certaines limites qui varient selon les modèles : à chaque modèle ses silences. En se réservant pour les thèmes entrant dans le champ du dialogue social, le modèle de la règle négociée laisse de côté tout le reste. Le discours professionnel s’abstient de son côté de mettre en avant la dimension sociale qui peut le mettre en défaut. Etc. 13/16 GREGOR – Cahier n° 2005-02 4 - Tableau : Synthèse des modèles de politiques RH Modèles Modèle de la règle négociée Modèle de la mobilisation But Négocier un champ et des règles d’action Dégager des marges de manœuvre pour agir sans blocage. Bâtir un compromis, clarifier les rapports de force Mobiliser les salariés Accompagner l’action. La légitimer, justifier, donner du sens Etablir une relation de séduction Construire une image attractive. Séduire, attirer des candidats Quelques supports Typiques Les préambules des accords sociaux Les commentaires officiels des bilans sociaux Les documents destinés aux salariés de l’entreprise Les espaces RH des sites internet, les brochures diffusées dans les forums destinés aux étudiants Contexte, moment Négociation changement Changement sensible à conduire, contrainte ou opportunité législative, incitation des pouvoirs publics, de la branche… Culture d’entreprise valorisant la négociation sociale Internes et externes Salariés, partenaires sociaux, instances externes de contrôle Conduite de changement Arrivée d’une nouvelle Direction, changement de cap, séminaire interne… Démarche de communication externe Mise en place ou mise à jour d’un site internet, dans le cadre d’une démarche de « marque employeur » Manifestation externe Colloque, réunion professionnelle (dont EP, ANDCP), enquête… Internes Salariés Externes Candidats potentiels au recrutement Externes Pairs, professionnels RH Modalités d’un arrangement négocié, précisant ou non les détails d’application Jeux d’acteurs Jeux politiques entre les acteurs, leurs stratégies ; Négociation ; la construction fait donc intervenir les partenaires sociaux Reproduction partielle des accords des autres entreprises (mimétisme) Ensemble d’arguments accompagnant l’indication de buts à atteindre Incrémentation Itérations entre des faits et des justifications, entre des données et des conceptualisations, entre l’usage d’outils et la clarification des buts (instrumentalisme) ; Construction progressive d’un discours toujours à la fois émergent de, et explicatif de la réalité ; et donc avec des décalages constitutifs de ce mode de construction Propos séducteurs alliant travail et plaisir, fonctionnant comme une invitation « à vivre l’entreprise » Technique Mises en œuvre des techniques et des outils de la communication, du marketing social ; fabrication d’un produit : un discours porteur d’image positive pour l’entreprise ; Construction avec les professionnels de la communication, voire déléguée à ces professionnels Description de pratiques indicatives d’un état de l’art gestionnaire Théorisation Construction d’un discours, à partir des pratiques, fondé sur la théorisation, utilisant les discours des autres et les modes du moment pour se situer dans l’actualité (associée à modernité) ; Co-construction partielle (ne serait-ce que par les cahiers des charges ou le jeu des questions) avec les organisateurs du colloque, les journalistes Acteurs-cibles Message Logique fabrication 14/16 de Modèle relationnel Modèle professionnel Se positionner parmi les professionnels RH Construire une image positive auprès des professionnels externes. Enjeux aussi personnels du DRH ou du DG « social » : exister à l’extérieur de l’entreprise, se valoriser, se faire connaître Les documents destinés aux colloques, à la presse spécialisée, aux pairs, consultants… GREGOR – Cahier n° 2005-02 Conclusion L’analyse montre l’autonomie relative des discours politiques qui se définissent entre l’entreprise et ses publics, selon des règles qui doivent moins aux contenus spécifiques des pratiques, propres à chacune des entreprises, qu’aux visées des locuteurs et à leurs destinataires. On est tout à la fois frappé de la similitude des discours politiques à l’intérieur d’un contexte et de la différence des discours politiques relevant des quatre contextes étudiés. Cette observation rejoint celle de Sibaud (1999, p. 72), constatant que les DRH nominés «DRH de l'année » par l'ANDCP et Le Figaro tiennent des discours uniformes et sont récompensés pour avoir mené à bien des actions analogues. Si une rationalité préside à la formulation des politiques RH, c’est une rationalité limitée, une rationalité contextuelle, qui trouve son sens dans les situations de communication qui structurent, chacune à sa manière, les interactions entre le politique et d’autres acteurs. Au-delà de considérations purement linguistiques, les types de discours peuvent être vus comme différents modes de mise en œuvre d’une politique RH qui sont complémentaires. Et l’on conçoit bien que l’on augmente les chances d’efficacité en les combinant. La principale difficulté, qui les traverse tous, tient aux acteurs. Qu’il s’agisse d’expliquer une politique, de faire exécuter une décision, de piloter un processus, des relais sont nécessaires. Ils appartiennent à la DRH mais aussi à la ligne hiérarchique. Leurs niveaux de compréhension des politiques souhaitées, leurs compétences pour les diffuser et leurs enjeux, pour ne citer que ces critères, sont très variables et parfois insuffisants. Sans compter que l’efficacité globale du déploiement pourra être celle du « maillon faible » : tel niveau hiérarchique « mal à l’aise » dans son rôle, tel responsable d’usine réfractaire… Cette difficulté est si persistante qu’il est nécessaire de la poser d’emblée : étant donnée les acteurs qui en assureront (ou pas, ou mal…) le déploiement, quelle pourrait-être la politique RH ? Cette question, très inhabituelle, ne suffit pas, mais commencer par elle peut être stimulant pour produire des politiques viables sur le terrain. A minima, de façon moins dérangeante, il s’agirait de se demander quelles sont les conditions sine qua non pour que les acteurs concernés prennent effectivement en charge le déploiement de la politique RH. L’expérience nous en a convaincu : si la question de la communication des politiques est si épineuse, c’est parce qu’on la pose trop tard ! Bibliographie [1] Allouche J. (éd.), Encyclopédie des ressources humaines, Vuibert, 2003. [2] Bartlett C. et Ghoshal S., Individualized Corporations : A Fundamentally New Approach to Management, Hard Cover, 1997. [3] Brabet J. (coord.), Repenser la gestion des ressources humaines ?, Economica, 1993. [4] Cabre J.C. et Lemée B. (coord.), L’entreprise et les cadres , Rapport, Institut de l’Entreprise, 10 janvier 2002. [5] Cadin L. et F. Guérin, La gestion des ressources humaines, Dunod, 1999. [6] Chanlat J.F. « L’être humain, un être de parole », in J.F. Chanlat (dir.), L’individu dans l’organisation : les dimensions oubliées, Presses de l’Université Laval/Editions Eska, 1992. [7] De Coster M., Sociologie du travail et gestion des ressources humaines, 3e édition, De Boeck Université, Bruxelles, 1999. [8] Galambaud B., Si la GRH était de la gestion, Liaisons, 2002. [9] Ghiglione R., Landré A., Bromberg M. et Molette P., L’analyse automatique des contenus, Dunod, 1998. [10] Livian Y.-F., La gestion comme récit, Gérer et comprendre, n°70, p.41-47. 15/16 [11] Mucchielli A., Psychologie de la communication, P.U.F, 1995 [12] Mucchielli A., Les situations de communication. Approche formelle, Eyrolles, 1991. [13] Pêcheux M., Analyse automatique du discours, Dunod, 1969. [14] Reinert M., ALCESTE, une méthodologie d'analyse des données textuelles et une application : Aurélia de Gérard de Nerval, Bulletin de méthodologie sociologique n°26, 1990, pp. 24-54. [15] Riveline C., « De l'urgence en gestion », Annales des Mines, Série Gérer et Comprendre, décembre 1991. [16] Sibaud B., Discours et pratiques de GRH : conformité ou innovation, Revue internationale des relations de travail, 2003, Volume 1, numéro 2, p.68-87. [17] Weick K.E., Sensemaking in Organizations, Thousand Oaks, Sage, 1995. [18] Wolton D., Penser la communication, Flammarion, 1997 16/16