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4REPÈRES ET TENDANCES 4CONJONCTURES 4DOSSIER 6LIVRES ET LES IDÉES Cette grande lueur… en France BeRnARD CAzeS L e tome 29 des Hommes de bonne volonté s’intitule « Cette grande lueur à l’Est », et l’un des principaux personnages commente : « Cette grande lueur… c’est peut-être une aurore ; c’est peut-être un incendie. » Les milliers de véhicules incendiés en France en novembre dernier n’ont certes pas même dimension apocalyptique que l’URSS de 1922, qui inspirait à Jerphanion le commentaire ci-dessus. Ils ont quand même été pris très au sérieux puisqu’un article de The Economist (du 26 novembre 2005) n’hésite pas à mettre sur le même plan en tant que territoires à surveiller de près, car également instables, les troubled suburbs de la France et les « zones de guerre » des Balkans. Et puisque l’on parle de la lueur des flammes en Russie, on notera que selon un spécialiste militaire russe cité par Newsweek (28 octobre 2005), le Kremlin redoute qu’un « grand incendie » n’éclate dans la partie fortement islamisée du Sud de la Russie. Craintes sûrement ravivées par les scènes d’émeute des banlieues françaises, que les médias russes ont aussitôt interprétées comme une véritable guerre de religion entre chrétienté et islam1. Si l’on met à part les publications néoconservatrices – le Weekly Standard a titré l’un de ses éditoriaux « Fallujah-sur-Seine ? », la presse anglo-saxonne n’a pas accordé beaucoup d’attention aux explications du type « conflit des civilisations » à la Samuel Huntington. Le chroniqueur qui signe Charlemagne dans The Economist (12 novembre 2005) conclut raisonnablement qu’aucun modèle de traitement des problèmes d’immigration ne s’impose comme le meilleur de tous, ajoutant que ce qui fait la différence ce n’est peut-être pas la politique spécifique menée à cet égard, ni même la présence de particularités culturelles susceptibles de freiner l’intégration, par exemple en rendant plus difficiles les mariages mixtes. En fait, poursuit l’article, les domaines où l’Europe réussit moins bien que les états-Unis concernent les créations d’emplois et l’accession à la propriété. L’auteur a toutefois l’honnêteté d’ajouter que la recette n’est pas infaillible : le père de l’un des participants aux attentats de Londres du 7 juillet dernier était propriétaire de deux magasins, de deux logements et d’une Mercedes… Même si aucun modèle national ne s’impose, le modèle français, comme d’ailleurs le modèle allemand, ont malgré tout droit à des commentaires sévères, touchant par exemple l’extrême rareté des représentants du peuple issus de l’immigration ou la lenteur du rythme des réformes (voir Newsweek du 21 novembre 2005). Personne cependant ne relève ce phénomène récurrent en France consistant à boucher les trous de la digue une fois qu’elle a cédé : dans le cas présent, cela revient à rétablir les crédits que l’on avait préalablement diminués aux associations ayant la charge de populations fragiles, ce qui rappelle les économies budgétaires inopportunément réalisées en Louisiane dans la consolidation des digues… Tout cela n’est pas très gai. Heureusement M. Poutine va nous fournir la pointe de non-sens dont j’ai besoin. J’ai déjà eu l’occasion de citer son immortelle phrase sur « la disparition de l’URSS, le plus grand désastre géopolitique du siècle ». Ce même personnage n’en a pas moins autorisé (organisé ?) l’enterrement solennel en terre russe du général blanc Denikine, mort et enterré aux états-Unis en 1947. Que ne ferait-on pas pour rallier à soi tous les vrais patriotes contre le péril islamiste… l 1. Une certaine Elena Tchoudinova vient même de faire paraître un roman d’anticipation au titre sans équivoque, Mosquée Notre-Dame de Paris, qui se passe en 2047 et suppose que la loi islamique règne à Paris. Sociétal N° 51 g 1er trimestre 2006