4. Utilisation de la méta-analyse

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4. Utilisation de la méta-analyse
4.
Utilisation de la méta-analyse
La méta-analyse est utile dans différents types de situations. Cependant l’interprétation des résultats et les décisions qui pourront être prises après une méta-analyse
dépendent fortement du contexte.
Les différents objectifs qu’une méta-analyse peut poursuivre sont :
1. augmenter la puissance statistique de la recherche d’un effet en augmentant le
nombre d’observations;
2. améliorer la précision de l’estimation de la taille de l’effet;
3. lever le doute en cas de résultats discordants;
4. tester et augmenter la généralisation d’un résultat à un large éventail de patients;
5. expliquer la variabilité des résultats entre essais (notamment par suite de biais
dans certains essais);
6. réaliser des analyses en sous-groupes;
7. mettre un essai en perspective en le confrontant aux autres essais du domaine;
8. constater le manque de données fiables dans un domaine et mettre en place un
essai;
9. répondre à une question non initialement posée par les essais.
Ainsi, les méta-analyses sont particulièrement utiles quand les essais sont de
trop petite taille pour donner des résultats fiables, quand la réalisation d’un essai
de grande taille est impossible ou irréalisable, quand les essais ont été réalisés mais
donnent des résultats discordants ou non concluants ou quand les résultats d’un essai
définitif sont attendus [45].
4.1. Mise en évidence de l’effet
La méta-analyse peut être utilisée pour mettre en évidence l’effet d’un traitement
dans une situation où les essais déjà réalisés ne permettent pas de conclure car, soit
aucun ne conclut de façon significative, soit ils apportent des résultats contradictoires entre eux.
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Utilisation de la méta-analyse
A) Aucun essai en faveur
La méta-analyse peut mettre en évidence l’effet d’un traitement à partir d’essais qui,
pris individuellement, ne permettent pas de conclure car ils manquent de puissance (à
cause d’effectifs insuffisants). Dans cette situation, la méta-analyse permet un gain
de puissance et augmente les chances de mettre en évidence l’effet du traitement
si celui-ci existe. Cependant, le regroupement de plusieurs essais de petite taille ne
garantit absolument pas l’obtention d’une puissance suffisante et une méta-analyse
non concluante doit se discuter de la même façon qu’un essai non concluant (voir le
chapitre 29).
Cette situation se rencontre, par exemple, si l’effet recherché est de petite taille.
Dans de nombreuses maladies chroniques (comme les cancers ou les maladies cardiovasculaires), les bénéfices escomptés d’un traitement sont faibles, mais ils n’en demeurent pas moins intéressants, car ces maladies touchent de nombreuses personnes
à travers le monde [46]. Du fait de cette fréquence, un bénéfice petit mais réel permet d’épargner un nombre substantiel de décès prématurés. Ce cas de figure est
cependant propice à l’obtention d’essais non significatifs, car le nombre de sujets
qui procure à un essai une puissance suffisante est très important (plusieurs milliers
voire dizaines de milliers). La méta-analyse représente alors un moyen pour mettre
en évidence l’effet du traitement.
Le plus souvent, il est souhaitable que l’existence de l’effet soit formellement
confirmée par un essai de puissance correcte. Sauf cas exceptionnel, le résultat d’une
méta-analyse n’est pas considéré, dans ce contexte, comme une preuve suffisamment
fiable, à cause de la possibilité d’un biais de publication ou de biais dans les essais.
Il existe des exemples où une méta-analyse positive n’a pas été confirmée par un
essai subséquent (cf. l’exemple du magnésium à la phase aiguë de l’infarctus du
myocarde, section 5.1). La méta-analyse représente alors un moyen puissant pour
justifier la nécessité d’un nouvel essai. Elle apporte des arguments pour dire qu’un
effet existe très probablement et qu’un essai de grande taille est donc justifié. Le
calcul du nombre de sujets nécessaire dans cet essai découlera de l’estimation de
la taille de l’effet et des autres renseignements (risque de base, constance de l’effet
dans les sous-groupes) obtenus dans la méta-analyse.
B) Synthèse de résultats contradictoires
Dans certains domaines, les données disponibles pour prendre une décision thérapeutique sont constituées par un certain nombre d’essais non concluants et par
quelques essais concluants en faveur du traitement. Cette situation peut s’expliquer
par une taille insuffisante des essais non concluants qui conduit à un manque de puissance (erreur ¯). Mais d’autres causes, liées elles à l’effet du traitement, peuvent être
à l’origine de cette situation. Cependant, ce cas de figure est aussi compatible avec
Mise en évidence de l’effet
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l’absence d’effet et les quelques essais concluants peuvent être la manifestation du
risque d’erreur de première espèce. Ainsi, la décision d’adopter en pratique le traitement évalué s’avère impossible à prendre.
La méta-analyse permettra de faire une synthèse de ces données contradictoires,
et pour peu que sa puissance soit correcte (cf. chapitre 29), elle permettra de départager les deux possibilités évoquées ci-dessus.
Le degré de contradiction peut être encore plus important quand des résultats
compatibles avec un effet délétère s’ajoutent au lot de résultats précédents, occasionnant ainsi un doute supplémentaire.
Exemple 4.1 En 1990, l’intérêt de l’administration de corticoïdes à la mère avant
un accouchement prématuré, dans le but de prévenir les détresses respiratoires chez
les prématurés et diminuer ainsi leur mortalité, donnait lieu à controverse. Un essai
randomisé, réalisé 18 ans auparavant en 1972, avait montré que l’utilisation de la
bêtaméthasone entraînait, par rapport au placebo, une réduction significative de la
fréquence des détresses respiratoires chez des enfants nés avant 32 semaines de gestation [47]. Une réduction de la mortalité néonatale était aussi observée. Cet essai
fut suivi par d’autres. Malgré ces résultats, ce traitement n’était qu’inconstamment
utilisé. En Angleterre, seulement 42% des obstétriciens prescrivaient fréquemment
ce traitement, 40% le prescrivaient parfois et 18% de ces médecins ne l’utilisaient
jamais [48].
Ces divergences d’opinion pouvaient provenir du fait que seulement 2 essais sur
6 avaient obtenu des résultats statistiquement significatifs. Les résultats non significatifs, majoritaires, étaient le plus souvent interprétés comme en faveur de l’absence
d’effet. Cependant ces essais étant globalement de petite taille et les résultats non
significatifs pouvaient être principalement dus à un manque de puissance statistique.
Ainsi, pris individuellement, aucun de ces essais ne se révélait suffisamment convaincant pour faire accepter définitivement ce nouveau traitement. Seule une synthèse de ces résultats pouvait faire ressortir de façon suffisamment claire l’intérêt
de ce traitement. Celle-ci fût réalisée sous la forme d’une méta-analyse en 1990
par Crowley, Chalmers et Keirse [49]. En mettant en commun l’information apportée par 12 essais contrôlés et randomisés, ils ont démontré que l’usage des
corticoïdes réduisait significativement de 51% en relatif la fréquence des détresses
respiratoires, de 41% la mortalité néonatale, sans entraîner de surcroît significatif
d’infections maternelles. Ces données synthétiques mettaient en évidence, sans ambiguïté, l’intérêt des corticoïdes dans cette indication et illustrent ainsi l’apport que
peut avoir la méta-analyse dans ce type de situation.
La conséquence de ce résultat fût la diffusion en 1993 par le Royal College of
Obstetricians and Gynecologists d’une recommandation prônant l’emploi systématique des corticoïdes dans tous les cas où il existait une possibilité de détresse respiratoire néonatale [50].
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Utilisation de la méta-analyse
Cette histoire est apparue suffisamment démonstrative pour que la représentation graphique de son résultat soit adoptée comme logo par la Collaboration Cochrane (voir le chapitre 33).
La force de conviction de cette méta-analyse provient aussi du fait que l’un des
essais, dont l’effectif était suffisant pour garantir une puissance convenable, a obtenu
un résultat significatif5 . En effet, en l’absence d’un tel essai, le résultat d’une métaanalyse doit être pris avec précaution et demande le plus souvent à être confirmé
par un essai de taille convenable avant d’être complètement adopté (cf. section 5.1
et l’exemple du magnésium à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde).
Exemple 4.2 Dans les années 1980, plusieurs essais avaient évalué l’emploi de
traitements adjuvants hormonaux anti-oestrogéniques après cure chirurgicale des
cancers du sein, dans le but de limiter le développement des métastases. Ces traitements à visée hormonale consistaient, soit en une castration ovarienne bilatérale,
soit en l’administration d’un bloqueur des récepteurs aux oestrogènes présents dans
certains cancers, le tamoxifène. Pris individuellement, aucun essai n’était convaincant; seulement quelques essais montraient un bénéfice, les autres ne montrant
aucun effet. Cependant, une méta-analyse, publiée en 1988 [51,52] et mise à jour
en 1992 [53], combinant l’ensemble de ces essais (40 essais ayant inclus 29 892
femmes pour le tamoxifène et 10 essais regroupant 3 072 femmes pour la castration
ovarienne), a permis de mettre en évidence une amélioration de la survie à 10 ans
aussi bien avec la castration ovarienne qu’avec le tamoxifène. Parmi les femmes
au stade I de la maladie et de moins de 50 ans (et donc en pré ou périménopause),
l’ablation ovarienne produit une réduction absolue du risque de 10% (réduction de
la mortalité de 50% à 40%). Parmi les femmes plus âgées, chez lesquelles théoriquement l’ablation ovarienne devrait être moins efficace (car après la ménopause, la
source prédominante de sécrétion endogène des oestrogènes n’est plus les ovaires),
une réduction absolue du risque de 10% de la mortalité est cependant encore obtenue. Chez des patientes du même âge, un bénéfice identique est obtenu avec le
tamoxifène.
La publication de ces résultats a changé les pratiques concernant le tamoxifène,
entraînant une généralisation de son utilisation et a relancé les travaux de recherche
avec des thèmes nouveaux : durée optimale du traitement et utilisation en prévention
primaire. Ce dernier thème provient en partie du fait que dans cette méta-analyse,
il existe une réduction d’un tiers de l’incidence des cancers controlatéraux.
5
Il s’agit de l’essai réalisé par Liggins et Howie, portant sur 2 205 enfants, et qui a montré une
réduction significative de 42% de la mortalité néonatale.
Estimation de la taille de l’effet
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4.2. Estimation de la taille de l’effet
A) Augmentation de la précision
Le regroupement de plusieurs essais induit une augmentation de la précision de l’estimation de la taille de l’effet du traitement, car cette nouvelle estimation se base sur
une plus grande quantité d’informations, consécutive à l’augmentation du nombre
de sujets prenant part à la comparaison.
B) Meilleure représentativité
L’estimation issue d’une méta-analyse est aussi plus proche de l’effet qui sera vraisemblablement obtenu avec l’utilisation « en pratique » du médicament. Pris individuellement, chaque essai a sélectionné avec beaucoup de soins les sujets inclus. Ces
sujets sont assez éloignés des sujets qui recevront par la suite le traitement. En regroupant des essais portant sur des groupes de sujets de caractéristiques différentes,
la méta-analyse procure un moyen d’approcher le « patient moyen tout venant » de
la population de diffusion. L’effet traitement est estimé en tenant compte de différentes conditions, ce qui augmente son applicabilité à l’ensemble des sujets de la
population de diffusion.
Exemple 4.3 La preuve de l’efficacité des traitements fibrinolytiques à la phase
aiguë de l’infarctus du myocarde est principalement issue de deux essais thérapeutiques de très grande taille qui démontrent sans ambiguïté l’aptitude de ces traitements à réduire la mortalité totale. Le premier, GISSI-1, publié en 1986, a inclus
11 802 patients et a montré que la streptokinase permettait de réduire la mortalité
totale de façon significative de 18% [54]. Le second, ISIS-2, publié deux ans plus
tard, a regroupé 17 187 patients dans un plan factoriel testant streptokinase contre
son placebo en même temps que l’aspirine contre son placebo [55]. La streptokinase
a permis d’obtenir une réduction statistiquement significative de la mortalité totale
de 23%. L’importance des effectifs de ces deux essais et leurs résultats parfaitement
concordants permettent d’affirmer, sans aucune réserve, l’efficacité de ce traitement.
La réalisation d’une méta-analyse de ces deux essais et d’autres de plus petite taille
ne semble donc pas présenter de grand intérêt. Cependant, nous n’avons envisagé
pour le moment que le problème de la démonstration de l’efficacité mais plusieurs
autres questions secondaires restent plus ou moins en suspens malgré ces deux essais. Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de faire appel à une masse
d’informations encore plus importante et plus diversifiée, qui est tout naturellement
apportée par une méta-analyse.
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Utilisation de la méta-analyse
L’une de ces interrogations à trait au problème du délai : jusqu’à quel délai
après le début des symptômes, l’administration des fibrinolytiques apporte-t-elle un
bénéfice ? En effet, la période initiale de l’infarctus du myocarde est une course
contre la montre. D’après le modèle thérapeutique, la désobstruction coronaire doit
avoir lieu très rapidement, avant que les lésions ischémiques ne soient irréversibles.
L’objectif est de limiter la taille de la nécrose qui devient complète entre 4 et 12h.
Passé ce délai, le bénéfice de la désobstruction devrait être, théoriquement, nul alors
que le risque de complications hémorragiques serait toujours présent. Au total, la
fibrinolyse trop tardive pourrait s’avérer néfaste. Malgré l’importance de leur effectif, GISSI-1 et ISIS-2 ne permettent d’apprécier cette relation entre l’effet et le
temps que de façon grossière. De plus GISSI-1 n’a inclus ses patients que jusqu’à la
12e heure, tandis qu’ISIS-2 repoussait cette limite à 24 heures. La réponse à cette
question a été apportée par la méta-analyse réalisée par un groupe collaboratif
(Fibrinolytic Therapy Trialists’ Collaborative Group) de tous les essais de fibrinolytiques qui avaient inclus plus de 1000 patients [56]. Neufs essais, réalisés avec
différents types de fibrinolytiques (streptokinase, tPA, APSAC et urokinase) et sur
différents types de patients, sont disponibles, regroupant 58 600 sujets. Cet effectif
permet d’obtenir une puissance inégalée jusqu’à présent au niveau des différents
sous-groupes de délais, qui assure une estimation de l’effet de bonne précision pour
chaque classe de délai. Le tableau 4.1 montre la relation obtenue. Ainsi, le bénéfice apparaît maintenu jusqu’à 12 heures et devient moins grand et non significatif
au-delà.
Tableau 4.1. — Effet des fibrinolytiques sur la mortalité à 35 jours en fonction du
délai d’administration par rapport aux symptômes
Délai
0 ¡ 1h
2 ¡ 3h
4 ¡ 6h
7 ¡ 12h
13 ¡ 24h
Nombre de
patients
3 348
16 612
16 489
12 882
9 269
Bénéfice absolue
pour 1000 (ET)
35 (11)
25 (5)
19 (5)
16 (6)
5 (6)
Cette synthèse a permis de préciser bien d’autres points, concernant la réalité
de l’effet en fonction de l’âge, du sexe, des signes électrocardiographiques, etc.
Sans qu’elle soit nécessaire à la démonstration du bénéfice, cette méta-analyse
a permis de mieux estimer la taille de l’effet que l’on peut espérer avec ce traitement
et elle a aussi montré que ce résultat s’appliquait à une grande variété de patients.
Elle donne donc des arguments pour une généralisation de la fibrinolyse, devant
une suspicion d’infarctus du myocarde, à des types de patients pour lesquels elle est
actuellement peu ou pas mise en œuvre.
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Effets indésirables
4.3. Effets indésirables
L’identification d’effets indésirables rares est en général difficile à partir d’un essai
car leur mise en évidence nécessite un très grand nombre de sujets, supérieur aux
effectifs habituellement observés dans les essais contrôlés. En réunissant plusieurs
essais, la méta-analyse peut arriver à regrouper un nombre de sujets compatible avec
les exigences de la recherche des effets indésirables rares. Cette approche atteint,
cependant, très rapidement ses limites.
En effet, si les essais ont été réellement d’effectifs trop faibles, le nombre d’événements observés dans chaque groupe est probablement nul. L’estimation de la fréquence des effets indésirables est alors impossible [57]. La gamme de fréquence,
compatible avec un nombre d’événements nul, dépend de la taille du groupe et va
de 0 à 1=n (n étant l’effectif du groupe). De même, le risque relatif lorsqu’un ou les
deux effectifs sont nuls est, soit incalculable, soit potentiellement loin de la réalité.
Un exemple numérique permet d’illustrer ces points. Considérons un événement
indésirable dont la fréquence « naturelle » est de 1/1000 et dont cette fréquence est
multipliée par 5 par le traitement. Un essai avec des groupes contrôle et traitement
de 100 sujets aura une probabilité élevée6 de n’observer aucune occurrence de cet
événement indésirable, ni dans le groupe contrôle, ni dans le groupe traité (où pourtant le risque est multiplié par 5). En effet, l’espérance du nombre d’événements
dans le groupe contrôle (c’est-à-dire le nombre d’événements observés en moyenne
sur un grand nombre de groupe contrôle) est 1=1000 £ 100 = 0; 1, valeur inférieure à l’unité donc donnant un nombre d’événements égal à zéro. Sous traitement,
le nombre espéré est de 5=1000 £ 100 = 0; 5, inférieur lui aussi à l’unité. Un tel
exemple aurait pu être aussi observé avec une fréquence de base de 1/2000 ou de
1/600, ou avec un risque multiplié par 2 ou par 9. Un tel éventail de possibilités rend
ces données totalement non informatives et ne permet même pas d’obtenir une idée
approximative de ces paramètres. D’ailleurs, le calcul d’un risque relatif ou d’un
rapport des cotes est impossible (division par zéro).
La combinaison de résultats ne contourne pas ce problème et ne permet donc pas
l’estimation de la fréquence réelle.
Ainsi, la méta-analyse peut aider à l’estimation du risque d’événements graves à
condition que les essais aient été de taille suffisante pour ne pas obtenir des nombres
d’événements trop souvent nuls. Il est donc illusoire de pouvoir utiliser des petits essais destinés uniquement à mettre en évidence l’efficacité, dans un but d’estimation
du risque d’effet indésirable rare, même après regroupement dans une méta-analyse.
La méta-analyse permettra d’améliorer la précision de cette estimation uniquement
si les essais ont été de taille suffisante pour enregistrer au moins 2 à 3 événements
dans chaque groupe. De ce fait, on peut être amené à éliminer à priori tout essai ne
6
D’après la distribution binomiale, la probabilité de n’observer aucun événement est de 0,9 dans
le groupe contrôle et de 0,6 dans le groupe traité.
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Utilisation de la méta-analyse
répondant pas à ce critère afin de ne pas augmenter artificiellement la puissance de
la recherche du risque d’effet indésirable.
Par ailleurs, la recherche d’événements indésirables rares nécessite une approche
bien spécifique : mise en alerte des investigateurs, moyen de recueil prévu, etc.
Un essai, non planifié pour effectuer cette recherche, risque de ne pas recueillir les
occurrences de ces événements et ne présente donc pas d’intérêt pour cette recherche
(même intégré à une méta-analyse).
Ces deux points font de la mise en évidence d’effets indésirables rares un domaine où la méta-analyse peut donner une fausse assurance si elle est appliquée à
des essais qui n’avaient pas ce but.
Par contre, si la méta-analyse s’affranchit de ces limites, elle fournira des renseignements précieux, qu’aucun essai par lui-même ne peut apporter.
Exemple 4.4 Un exemple de l’utilisation de la méta-analyse dans cet objectif est
apporté par le travail de T. Poynard et H. Conn sur les effets indésirables des corticostéroïdes [58]. Les corticostéroïdes sont utilisés couramment depuis presque
40 ans bien qu’ils soient potentiellement pourvoyeurs de nombreux effets indésirables. En particulier, ces produits sont accusés d’engendrer des ulcères peptiques
pouvant se compliquer de perforation ou de saignement majeur, potentiellement
mortels. Cependant, aucune de ces complications n’a vraiment été établie sur la
preuve de faits non univoques, mais seulement à partir de raisonnements découlant
des actions physiologiques de ces produits ou à partir d’études de cas.
Le but de cette méta-analyse a été d’évaluer dans quelle mesure les corticostéroïdes induisaient différents effets indésirables (ulcère peptique, effet cutané, infection, diabète, hypertension, ostéoporose, troubles psychiques et tuberculose).
Pour cela, l’ensemble des essais thérapeutiques randomisés, contrôlés contre
placebo, conduits en double aveugle et utilisant une forme quelconque de corticostéroïdes (ou d’ACTH), ont été inclus dans cette méta-analyse. Quatre-vingt treize
essais répondent à ces critères, regroupant 6 602 patients.
Les résultats de la méta-analyse, obtenus avec la méthode de Peto, montrent que
la fréquence des effets dermatologiques sont multipliés par 4,48 (ce qui correspond
à une valeur du rapport des cotes commun de 4,48) avec les corticoïdes. Ce résultat
est très statistiquement significatif (p<0,01)7 .
Des résultats similaires sont obtenus pour la fréquence du diabète (rapport des
cotes RC=1,70; p=0,02), de l’hypertension (RC=2,19; p<0,01). Par contre, la
méta-analyse échoue pour mettre en évidence une différence de fréquence pour les
infections bactériennes (RC=1,2; p=0,07), l’ostéoporose (RC=1,7; p>0,25), les
troubles psychiques (RC=1,3; p>0,25) et la tuberculose (RC=1,3; p>0,25). La
7
La notion de rapport des cotes (’’odds-ratio ’’) sera détaillée dans la section statistique (page
166).
Méta-analyse et réalisation de nouveaux essais
29
fréquence des ulcères peptiques n’est pas non plus significativement augmentée avec
les corticoïdes (RC=1,3; p>0,25).
Ainsi, cette méta-analyse démontre l’existence d’un certain nombre des effets
indésirables des corticoïdes et quantifie le risque qui leur est attaché, mais n’est
pas en faveur du fait que l’utilisation des corticoïdes s’accompagne d’un surcroît
notable d’ulcère peptique.
4.4. Méta-analyse et réalisation de nouveaux essais
La méta-analyse peut être utilisée à différents niveaux lors de la mise en place et la
réalisation de nouveaux essais thérapeutiques.
A) Aide à la planification
Durant la phase de planification d’un nouvel essai, la méta-analyse donne le moyen
de faire une synthèse des connaissances déjà acquises sur le sujet. Elle permet ainsi
de conforter l’hypothèse que le traitement produit un effet dont la taille n’est pas sans
intérêt clinique. Les résultats obtenus faciliteront le calcul du nombre de sujets nécessaire en le basant sur des informations empiriques plutôt que sur des hypothèses
théoriques.
Exemple 4.5 Dans une méta-analyse publiée en 1988, M. Buyse et coll. suggéraient que l’utilisation du fluoro-uracil comme traitement adjuvant du cancer colorectal pourrait éventuellement entraîner un petit bénéfice sur la mortalité à 5 ans
[36]. Ce résultat, obtenu à partir de 17 essais comparant une chimiothérapie contre
un groupe contrôle et regroupant 6 791 patients, se traduisait par un rapport des
cotes de 0,83 (IC95% : 0,70-0,98) en faveur des chimiothérapies contenant du
fluoro-uracile.. Dans leurs conclusions, les auteurs demeuraient extrêmement prudents en faisant remarquer que ce résultat ne pouvait constituer une preuve en soi
car, d’une part, il ne regroupait que les essais publiés et, d’autre part, la qualité des
essais était faible. Ces réserves débouchaient naturellement sur la recommandation
de réaliser de nouveaux essais de grande taille (plusieurs milliers de patients) étant
donné la petitesse de la taille de l’effet. Cet effet apparaissait cependant potentiellement intéressant car il correspond à une augmentation de la médiane de survie
d’environ 10 mois chez des patients où le taux de survie à 5 ans n’est que de 50%.
A partir de ce constat, trois essais ont été initiés en Italie, au Canada et en
France, pour évaluer l’association fluoro-uracil et acide folinique après chirurgie
dans le traitement des cancers du colon aux stades B ou C de la classification de
Dukes. Les données de ces trois essais furent regroupées dans une méta-analyse
prospective sur données individuelles, représentant 1 493 patients. Une réduction
30
Utilisation de la méta-analyse
significative de la mortalité totale de 22% fut mise en évidence, faisant passer la
survie à 3 ans de 78% à 83% [59].
B) Génération de nouvelles hypothèses
Au-delà d’une simple aide à la planification d’un nouvel essai sur le même problème
thérapeutique, la méta-analyse peut déboucher sur la génération de nouvelles hypothèses différentes de celles qui avaient motivé les essais inclus dans la méta-analyse.
Un danger particulier réside dans la validation d’une hypothèse par des données
qui ont elles-mêmes servi à générer cette hypothèse. Prenons l’exemple d’un essai dont les résultats conduisent à une nouvelle hypothèse, différente de celle qui
avait conduit à la mise en place de l’essai. Pour suivre les principes de la méthode
expérimentale, un nouvel essai est spécialement construit pour tester la nouvelle hypothèse. Si dans une méta-analyse, les résultats de ce nouvel essai sont regroupés
avec ceux du premier, le résultat combiné peut être grandement influencé par les
données ayant conduit à formuler l’hypothèse et de ce fait déroger profondément
aux principes de la méthode hypothético-déductive. La confirmation par cette voie
de la nouvelle hypothèse relève grandement d’une démarche tautologique.
C) Analyses intermédiaires
Une utilisation de la méta-analyse dans le suivi d’un essai thérapeutique a été proposée par W. Henderson et coll. [60]. Lors des analyses intermédiaires, les résultats
de celles-ci sont combinés avec les données issues des essais antérieurs au démarrage de l’essai ou publiées entre son début et l’analyse intermédiaire considérée.
L’arrêt prématuré de l’essai peut être décidé, non pas parce que l’analyse intermédiaire apporte suffisamment d’informations en faveur ou en défaveur du traitement
testé, mais parce que le résultat de l’analyse intermédiaire adjoint aux informations
apportées par les autres essais débouche sur un résultat suffisamment probant. La
définition de ce qu’est un résultat probant dans cette situation pose cependant problème. Peut-on se satisfaire d’un résultat de méta-analyse simplement significatif
ou doit-on être plus exigeant? Cette question n’a pas reçu actuellement de réponse
formelle. De même, les règles à adopter pour se protéger contre la dépense du risque
® (lié à la répétition des tests) n’ont fait l’objet d’aucune analyse. Ainsi, une attitude
très conservatrice s’impose.
Exemple 4.6 L’exemple suivant, donné par Henderson et coll., imagine ce qu’aurait pu apporter l’application de cette démarche au monitorage d’un essai ancien du
« Departement of Veterans Affairs Cooperative Studies Program », l’essai CSP#207.
Cet essai clinique fût entrepris pour comparer contre placebo quatre stratégies d’antiagrégants plaquettaires dans la prévention des occlusions des pontages corona-
Méta-analyse et réalisation de nouveaux essais
31
riens (aspirine 1 fois par jour, aspirine trois fois par jour, aspirine + dipyridamole,
sulfinpyrazone) [60]. L’essai eut lieu entre 1983 et 1987 et montra que les quatre
stratégies utilisant un antiagrégant plaquettaire étaient meilleures que le placebo et
que les trois utilisant l’aspirine étaient significativement meilleures que celle utilisant la sulfinpyrazone.
Rétrospectivement, il s’avère qu’au moment de la mise en place de l’étude, un
seul essai était publié. Cet essai était de petite taille n=37, et montrait un rapport
des cotes non significatif de 0,74, IC95% : 0,18-3,12.
Lors de l’approbation par le comité d’éthique, deux essais étaient disponibles et
la méta-analyse qui aurait pu être réalisée à ce moment aurait montré un rapport
des cotes de 0,44, IC95% : 0,19-0,99, avec un nombre total de patients n=150.
A partir de la seconde, les analyses intermédiaires de l’essai CSP#207 montrèrent seulement une tendance non significative en faveur des traitements actifs, ce
qui ne permit pas au comité de surveillance d’interrompre l’essai avant son terme
prévu.
Cependant, entre la première analyse intermédiaire et la dernière, 6 autres essais furent publiés, renforçant progressivement les résultats de la méta-analyse cumulative qui auraient été significatifs à partir du moment de la seconde analyse
intermédiaire (6 essais, RC=0,46, IC 95% : 0,30-0,69).
Du fait de cette situation, il est possible d’imaginer que le comité de surveillance
aurait pu mettre un terme à cette étude assez tôt, en se basant non pas sur la seule
information en provenance de leur essai, mais en intégrant l’ensemble des preuves
disponibles lors des analyses intermédiaires (autres essais publiés et données en
provenance de leur essai).
D) Analyse finale
Une méta-analyse est de plus en plus fréquemment réalisée au moment d’une analyse
finale d’un essai et publiée dans son compte rendu. Cette démarche permet d’intégrer
immédiatement l’information apportée par cet essai à celles déjà amassées. L’apport
de l’essai est discuté par rapport aux données déjà connues et cela permet de communiquer un message non pas basé sur une seule expérience, mais sur la totalité des
connaissances disponibles.
Exemple 4.7 ISIS-3 fut un essai thérapeutique réalisé pour comparer trois fibrinolytiques différents (la streptokinase, un t-PA et l’anistreplase) à la phase aiguë
de l’infarctus du myocarde8 . Après avoir inclus 41 299 patients, l’essai fût publié
en 1992. Simultanément, un autre groupe publiait un essai similaire, l’essai GISSI2, qui comparait chez environ 20 000 sujets dans la même situation streptokinase et
8
Cet essai réalisé en plan factoriel s’intéressait aussi à l’efficacité de l’héparine adjointe à
l’aspirine.
32
Utilisation de la méta-analyse
t-PA [61]. La publication d’ISIS-3 présente directement dans sa discussion la métaanalyse de ses résultats avec ceux de GISSI-2 pour la comparaison streptokinase et
t-PA [62]. Cela permit de vérifier la concordance des deux résultats et d’augmenter
la solidité des conclusions.
E) Méta-analyse prospective
La méta-analyse prospective est une démarche dans laquelle plusieurs promoteurs
d’essais similaires décident, avant la fin de leur essai, de mettre en commun leurs
données pour réaliser une méta-analyse sur données individuelles [63]. Ce type de
méta-analyse s’apparente plutôt à une analyse conjointe car l’exhaustivité n’est pas
recherchée. Néanmoins, dans les domaines où aucun essai n’a été précédemment
réalisé (dans le cas d’une nouvelle molécule par exemple), la méta-analyse prospective pourra regrouper la totalité des essais existants.
L’intérêt de l’aspect prospectif, est de pouvoir adapter chaque essai afin d’optimiser la mise en commun des données : définition et codage standard des événemens, durée des essais, moment de l’évaluation principale. Cette anticipation évite
que des informations recherchées par la méta-analyse s’avèrent non recueillies dans
certains essais, comme cela est souvent le cas dans les méta-analyses sur données
individuelles initiées après la fin des essais. Il est aussi possible de fixer la taille de
chaque essai en fonction de la puissance souhaitée pour la méta-analyse prospective.
Cette approche prospective permet aussi la définition de l’hypothèse testée avant
le recrutement des patients, ce qui n’est presque jamais le cas dans une méta-analyse
classique.
Bien que parfois la méta-analyse prospective puisse apparaître proche d’un essai
multicentrique, elle en diffère par plusieurs aspects, principalement pratiques [64].
La totalité du travail nécessaire est partagée entre plusieurs groupes collaboratifs,
tandis que dans un essai unique ce travail incombe à un seul groupe. Le financement
de l’ensemble du projet est lui aussi réparti entre plusieurs sources, alors que le coût
d’un essai unique de même taille pourrait rebuter n’importe quel promoteur.
Exemple 4.8 Le carvédilol est un bêta-bloqueur non sélectif qui possède aussi des
propriétés alpha-bloquantes et anti-oxydantes. En 1992, quatre essais randomisés
ont été simultanément mis en place pour évaluer l’intérêt du carvédilol contre placebo dans le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique [65]. Une évaluation
de la survie, basée sur le regroupement de ces quatre essais, avait été décidée avant
leur début, principalement dans un but de surveillance de la sûreté du traitement.
Les tailles des essais ont été fixées afin d’assurer à la comparaison globale une
puissance suffisante pour mettre en évidence une augmentation ou une réduction
de 33% de la mortalité totale. Cette méta-analyse prospective aboutit, à partir de
1 094 patients inclus dans les quatre essais, à une réduction relative de risque de
33
65% statistiquement significative (IC95% : 39%-80%). Aucun essai n’a obtenu de
résultat significatif sur la mortalité totale.
Il faut cependant noter que cette analyse ne regroupe pas la totalité de l’information disponible sur le sujet car d’autres essais ont été réalisés en dehors de ce cadre.
Tous ces essais ont, par ailleurs, été regroupés dans une méta-analyse classique [66].