Les Roches
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Les Roches
L’Ecole des Roches Cent ans d’histoire. Images et paroles d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Roches - Normandie 1 L’Ecole avant 1940... ISBN 2-908289-23-7 ...et dans les années 1990. 2 L’Ecole des Roches 1899 - 1999 Cent ans d’histoire Images et paroles d’hier, d’aujourd’hui et de demain 3 4 L’histoire de l’Ecole des Roches est une longue histoire d’amour... Tant son fondateur, Edmond Demolins, que ses dirigeants successifs, tant les professeurs que les élèves, tous, depuis cent ans, ont été et sont viscéralement attachés à cette école exceptionnelle par son caractère hors du commun. Avant-propos par Christian Calosci président de l’AERN. Ses anciens élèves ont souhaité témoigner de son histoire à travers ce livre. Les années où chacun d’eux a séjourné à l’Ecole sont ancrées au plus profond d’eux-mêmes. Pour la plupart d’entre nous, l’Ecole a été notre seconde famille. Les souvenirs que nous en avons gardés sont indélébiles. Cette période de notre vie a été une véritable adoption qui a créé chez nous un sentiment de sincère affection. Il était donc indispensable, j’ose dire nécessaire, de publier cet ouvrage. Sa réalisation a nécessité de nombreuses heures de travail et de recherche ; elle s’est faite grâce à des bénévoles, heureux d’être à l’origine de ce merveilleux document, témoin du passé et porteur d’espoir pour l’avenir. ■ Christian CALOSCI (Coteau 1953 - 1958) Nous adressons tous nos remerciements aux personnes suivantes qui ont contribué, grâce à leur énergie, leur compétence et leur disponibilité, à l’aboutissement de cette entreprise : Pour son travail remarquable, de la conception de la maquette à la sélection iconographique, la mise en page et son assistance totale à l’œuvre : Jean-Loup Nicolle (Guiche, Coteau, Pins 19451955). A l’initiative du projet, les anciens présidents de l’AERN, JeanPhilippe Mouton de Villaret (Clères 1955-1962) et Dominique Remont (Sablons 1945-1955), et le Président actuel de l’Ecole des Roches, Claude-Marc Kaminsky. Pour les premières démarches, Hélène Bertier-Dervaux (Pins 1951-1969). Pour la première mise en forme du texte, Guy Rachet (Coteau 1946-1948). Pour la relecture et le choix des illustrations : Dominique Bachelier (Pins 1953-1957), Christian Calosci, Henri Descordes (Guiche, 1945-1965), Alain Ducros (Vallon 1952-1960), Philippe Mussat (Vallon 1939-1948), Patrice Salet (Pins 1949-1960) et, particulièrement, Philippe Prieur (Vallon 1931-1939). Pour la réalisation du CD Rom photos : Maurice Soustiel (Prairie 1959-69). Pour les contacts avec l’Ecole, le chargé de communication, Jean-Paul Clavel. Tous les anciens et anciennes élèves, enseignants et chefs de maison qui nous ont apporté leurs photographies ainsi que leurs témoignages, écrits ou oraux. A ceux qui ont rassemblé leurs souvenirs pour éclairer la période de la Seconde Guerre mondiale : les anciens élèves Patrick André, Antoine Bergé, Jean-Claude Flageollet, Michel Le Bas, Michel Marty, Philippe Mussat, Michel Poutaraud, Paul Renaud, Robert de Toytot, ainsi que l’ancien maire de Verneuil, Monsieur Demaire. Les participants à la conférence sur les cent ans de l’Ecole des Roches, animée par Nathalie Duval, le 13 mai 1999, dans l’amphithéâtre de l’Ecole, à savoir : parmi les anciens élèves, Florence Broussal, Daniel Colin, Daniel Dollfus, Julien Hamon, Michel Le Bas, Olivier Stern-Veyrin, Henry Thierry-Mieg, l’ancien directeur Félix Paillet, l’ancien chef de maison Roger Cacheux, ainsi que les universitaires Régis de Reyke et Antoine Savoye. Enfin des remerciements très chaleureux du comité de l’AERN et de son Président à Nathalie Duval, doctorante à la Sorbonne et coordinatrice scientifique de cet ouvrage. 5 Sommaire Avant-propos, par Christian Calosci . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Introduction, par Nathalie Duval . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 1/ De l’Ecole nouvelle à la nouvelle Ecole des Roches ............ L’Ecole des Roches, la première école nouvelle en France . . . . . . . . . . . Edmond Demolins, le fondateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Georges Bertier, le pédagogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La première troupe d’Eclaireurs de France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mai 1940, l’Exode : Verneuil s’installe à Maslacq . . . . . . . . . . . . . . . . . . Maslacq : une épopée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’Ecole triomphe de la guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Parmi les héros de la Résistance, des Rocheux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Louis Garrone éternel dans la mémoire de ses anciens élèves . . . . . . . . Lettre ouverte aux anciens, par Louis Garrone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les Roches à Clères de 1950 à 1972 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les années 1970-1980 : les Roches évoluent avec Félix Paillet . . . . . . . Les filles aux Roches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’Ecole des Roches change de millénaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les années 1990 : les Roches s’internationalisent . . . . . . . . . . . . . . . . . 2/ L’Ecole des Roches à travers le prisme de la Seconde Guerre mondiale 9 11 19 23 27 29 31 35 37 39 41 45 53 58 59 63 . 65 Quelques images d’hier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 3/ Les acteurs de l’Ecole des Roches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 La ronde des maisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Aux capitaines, par Louis Garrone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .107 Une capitaine de l’Ecole nous parle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .109 Henri Trocmé : un créateur en éducation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .111 Henri Marty : une figure mondiale du scoutisme . . . . . . . . . . . . . . . . . .113 André Charlier : le maître de Maslacq . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .115 Max Dervaux : l’inoubliable chorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .117 6 Jacques Valode : animateur d’un certain climat de vie . . . . . . . . . . . . . .119 Raphaël Boussion : le seigneur du Petit-Clos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .121 Philippe Blanc : une vie dévouée aux autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .123 Chef de maison à l’Ecole des Roches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .125 Enfant de chef de maison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .128 Les sports et les travaux pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .129 Les Roches, un espace de liberté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .131 Les activités artistiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .133 Les aumôniers catholiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .137 Jean-Michel di Falco : le dernier aumônier des Roches . . . . . . . . . . . . .139 Les pasteurs de l’Ecole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .141 Les élèves rocheux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .145 Une dynastie rocheuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .149 Rocheux du “baby boom” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .150 Ancien des Roches, qui es-tu ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .151 Entre mythe et réalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .155 Conclusion, par Philippe Prieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .157 Sources et bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .159 4/ L’Ecole des Roches d’aujourd’hui et de demain par Claude - Marc Kaminsky, président . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .161 Les Roches : une école, une passion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .163 La fête du centenaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .171 Il n’y a pas de mauvais élèves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .175 Tableaux Les principaux dirigeants de l’Ecole des Roches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Les Rocheux morts au champ d’honneur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Une dynastie rocheuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .149 Les présidents de l’association des anciens élèves . . . . . . . . . . . . . . . . .154 “Un siècle, même pour une école, c’est beaucoup. En tout cas, aucun d’entre nous, les vivants, ne pouvons faire remonter nos souvenirs aussi haut que l’époque de la fondation de notre école et des premières années de son existence. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, lorsque nous sommes entre nous et évoquons nos enfances en ces lieux, nous ne parlons guère ni du fondateur de l’Ecole, ni de ces très vieux Anciens qui nous ont précédés. Ne pensez-vous donc pas que c’est par cela qu’il faut commencer pour célébrer un centenaire, rappeler à ceux qui l’ignorent et à ceux qui l’ont oublié comment est née notre Ecole des Roches sous l’impulsion de son fondateur, Edmond Demolins, et ce qu’a été sa vie ?” Guy Rachet (Vallon, Coteau 1946-1948) manqué de dresser tout au long de ses cent années La question que pose cet ancien “Rocheux” est d’existence. L’Ecole des Roches est donc une école fondamentale. Elle exprime le besoin de remonter aux centenaire et son président actuel en est fier. Elle a origines, de redécouvrir ses racines et d’inscrire les réussi à s’inscrire dans la durée et elle veut aussi souvenirs de chacun dans la grande histoire d’une e revendiquer la singularité de son projet d’éducation. école qui a traversé le siècle, tout le XX siècle. En D’où ce livre au titre évocateur : L’Ecole des effet, l’Ecole des Roches a ouvert ses portes au mois Roches : cent ans d’histoire 1899-1999. d’octobre de l’année 1899 et elle a célébré son centeImages et paroles d’hier, d’aujourd’hui et de naire au mois de juin 1999. Aujourd’hui, cette école demain. qui, lors de sa fondation, s’annonçait comme étant “C’est au miroir de son une “école nouvelle” entre dans le XXIe siècle en C’est au miroir de son passé que l’Ecole des passé que l’Ecole des Roches publiant un livre sur son passé, certes pour le comRoches souhaite se projeter dans l’avenir. J’ai eu mémorer mais surtout pour se le remémorer. Car si souhaite se projeter dans l’honneur de me pencher sur ce miroir et d’en étudier Edmond Demolins, en créant l’Ecole des Roches, a les nombreux reflets : j’y ai vu des visages, j’ai entenl’avenir.” introduit en France le concept d’éducation nouveldu des témoignages aussi. Il m’a fallu les coordonner le, il a aussi lancé un vrai défi : faire d’une institution en tenant compte de la spécificité de chacun d’eux totalement privée un modèle d’éducation avec des tout en les intégrant dans un récit qui s’apparente principes révolutionnaires pour l’époque. Quel courage ! non à un panégyrique mais à une monographie histoQuelle foi en son projet ! Quelle naïveté ? Pari d’aurique. Pour raconter ces cent ans d’histoire, il a fallu tant plus audacieux que son auteur n’était pas un opérer des choix. En concertation avec le comité de pédagogue, mais un sociologue dont l’ambition était l’AERN, mon travail a consisté à harmoniser les de former de nouveaux cadres pour le pays, de noutextes existants, à ajouter des chapitres inédits pour velles élites pour la France. Et pourquoi ? Pour combler les lacunes inévitables. C’est pourquoi nous réformer la société. Pas moins. avons proposé un plan en trois parties, une sorte de triptyque présentant tour à tour l’historique, la C’est dans cet esprit qu’il faut appréhender l’hispériode méconnue de la Seconde Guerre mondiale et toire de l’Ecole des Roches : une école qui, à l’origine, un hommage aux différents acteurs qui ont “fait” se voulait une école nouvelle avec pour ambition de l’Ecole. En quatrième partie, nous avons laissé le soin proposer une éducation active, centrée sur l’enfant à Monsieur Kaminsky de présenter lui-même l’Ecole que l’on formait, en vue de le rendre responsable non des Roches actuelle et à venir. seulement de sa propre vie mais aussi des hommes qu’il serait amené à diriger à la tête de ses postes Lire l’histoire des Roches, c’est voyager au cœur professionnels. De la Belle Epoque au troisième d’un lieu unique par son histoire, devenu un véritable millénaire, le projet originel, et original, de l’Ecole “lieu de mémoire”, tant pour ceux qui y ont vécu que des Roches a évolué à travers les générations pour ceux qui ne le connaissaient pas... ou plus. d’élèves qui s’y sont succédé, s’est confronté aux réalités financières d’une entreprise et a affronté les ■ Nathalie Duval difficultés que les aléas de l’Histoire n’ont pas (Université Paris-Sorbonne) 7 8 1 De l’Ecole nouvelle à la nouvelle Ecole des Roches 9 Le buste d’Edmond Demolins, fondateur de l’Ecole des Roches, à l’intérieur de la salle des fêtes de l’ancien bâtiment des classes détruit pendant la guerre. 10 L’Ecole des Roches, la première école nouvelle en France Première école nouvelle Nous vous invitons à remonter le temps par le truchement d’un romancier normand, qui plus est distingué père de “Rocheux”, le vicomte de La Varende, qui, à la fin des années 1960, écrivait que “L'illustre Ecole des Roches... conception britannique et coûteuse... par un miracle français toujours renouvelé a su organiser des études sérieuses, enthousiastes même”. Cette brève citation extraite de son guide touristique Par monts et merveilles de Normandie rend compte en quelques mots de l'originalité pédagogique des Roches ainsi que de son image auprès du grand public : inspirée du modèle éducatif anglais, elle est un établissement singulier dans l'histoire de l'enseignement en France. Cette singularité s’explique par sa naissance qui est à resituer à la confluence de trois courants. Naissance à la confluence de trois courants En effet, sa création en 1899 s'inscrit d’abord dans un vaste mouvement de contestation de l'enseignement classique alors critiqué et jugé inadapté aux besoins nouveaux du temps. Les garçons allaient soit dans des lycées d'Etat, hérités de l'époque napoléonienne, soit dans des établissements privés et religieux qui, dans les deux cas, étaient souvent comparés à des “prisons” ou à des “casernes”, car ils n’étaient guère accueillants : leurs bâtiments, établis la plupart du temps au cœur de la vieille ville, étaient souvent sombres, délabrés, exigus. Mis à part quelques lycées disposant d'un cadre verdoyant tel le lycée Lakanal, ces établissements avaient ainsi mauvaise réputation. Si l'installation matérielle était défectueuse, le régime moral laissait encore plus à désirer. L'organisation d'une administration minutieuse qui tenait l'élève en constante surveillance suscitait des critiques notamment sur le fait que les futurs bacheliers étaient astreints à une discipline sévère qui s'apparentait souvent à un dressage. La vie scolaire apparaissait donc figée dans un style de vie claustrale, austère et anachronique. En outre, tout au long du XIXe siècle, de nombreux auteurs, reflétant l'opinion de la bourgeoisie industrielle et commerçante, ont manifesté une insatisfaction latente en matière d'enseignement qu'ils jugeaient inadapté aux besoins économiques du pays. Ils lui reprochaient de former trop de fonctionnaires, contestant les programmes, l'utilité de certaines matières comme les humanités grécolatines et surtout l'esprit même de la pédagogie qui recourait à l'autorité, au refus d'utiliser la spontanéité dans le but de conduire l'enfant à l'âge adulte sans toujours se soucier de son âge mental. Ces bourgeoisies du commerce et de l'industrie considéraient que l'enseignement secondaire ne préparait pas les lycéens à la vie active. Or, à cette époque de révolution industrielle, la France avait de plus en plus besoin d'industriels, d'éleveurs, d'agriculteurs, de commerçants. Et cette critique récurrente de l'enseignement secondaire tel qu'il était pratiqué se greffait sur une fascination pour les modèles d’outreRhin et surtout d’outre-Manche. L’anglomanie est incontestablement le troisième courant à l’origine de l’Ecole des Roches. L'Angleterre est alors la grande puissance économique du monde, concurrencée par l'Allemagne qui connaît une forte croissance. Leurs systèmes éducatifs sont admirés, en particulier celui des écoles privées 11 britanniques destinées à former les futurs cadres du pays: les “Public-Schools”. Ces écoles sont réputées pour la qualité de leur enseignement qui introduit des matières plus modernes répondant aux exigences de la bourgeoisie industrielle et commerçante : les mathématiques, les sciences et les langues; et surtout pour l'originalité de leur pédagogie fondée sur l'esprit d'initiative et de compétition, cette éducation visant à former des “hommes forts”. A bien des égards, ce système pédagogique anglais a inspiré le sociologue Edmond Demolins qui, en 1897, publie A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons ? Dans ce livre, promis à un succès retentissant dans l'Europe entière, il montre, qu'il s'agisse de la vie privée ou de la vie publique, l'organisation anglo-saxonne très supérieure à celle de la France, car fondée sur une éducation qu'il considère “bien mieux appropriée que la nôtre aux nouvelles conditions de vie” et qui “réussit mieux à former des hommes d'initiative habitués à ne compter que sur eux-mêmes”. Il décrit deux “new schools” qu'il considère comme des modèles: Abbotsholme et Bedales. Traduit en anglais, allemand, espagnol et même en arabe, ce livre répond aux rêves de nombreux parents qui écrivent par centaines à Demolins, l'engageant à fonder en France une école analogue à celles dont il fait l'éloge. C'est ainsi que, emporté par son succès, cet intellectuel en sciences sociales devient le théoricien d'une pédagogie nouvelle en France. Dix-huit mois plus tard, il expose dans un volume intitulé L'Education nouvelle. L'Ecole des Roches le programme de l'école conforme à ses vœux. 12 Modèle de l’école nouvelle L’Ecole des Roches se pose d’emblée comme le modèle de l'école nouvelle. Il s’agit, selon les trente points que fixera, en 1912, Adolphe Ferrière, fondateur en 1899 du Bureau International des Ecoles Nouvelles, d’un internat pour garçons, installé à la campagne dans un vaste parc de 23 ha où l'emploi du temps divise la journée en trois séquences : la matinée consacrée aux enseignements, l'après-midi aux sports et aux travaux manuels, et la soirée à l'éducation culturelle et religieuse. L'école devient une petite cité où les élèves apprennent à vivre en communauté. Ils sont répartis entre plusieurs maisons dirigées de manière autonome par un couple de professeurs qui, par leur présence permanente auprès des enfants, reconstituent une ambiance familiale. Innovation importante directement empruntée au modèle britannique : le capitanat. Cette charge particulière consiste à confier à certains grands élèves nommés “capitaines” le soin de faire respecter par tous une discipline librement consentie, en prenant en tutelle les plus jeunes. La méthode est celle d'une éducation complète à la fois intellectuelle, physique, morale et sociale, poursuivie dans une atmosphère de confiance. D’ailleurs, symboliquement, l'école n'est entourée d'aucun mur ni de clôture. Les moindres détails sont donc combinés en vue de former des hommes complets, des individus “bien armés pour la vie”, selon la devise inventée par Demolins lui-même. Son objectif pédagogique est revendiqué : l'apprentissage de l'autonomie et de la responsabilité. Les principaux dirigeants de l’Ecole des Roches > Edmond Demolins Fondateur de l’Ecole des Roches Président du conseil d’administration de la “Société de l’Ecole Nouvelle” de 1898 à 1907. Directeurs entre 1899 et 1903 : Castagnol, Bachelet, Campaux et Monnet. > Georges Bertier Directeur (1903 à 1944) > Henri Marty Directeur Adjoint > Henri Trocmé Directeur adjoint > Louis Garrone Directeur général (1944 à 1965) > Jacques Valode Directeur > Max Dervaux Directeur adjoint Directeurs successifs : > Raymond Baillif (1965 à 1968) > Louis Viguier (1968 à 1970) > Patrice Galitzine (1970 à 1971) > Félix Paillet > Patrice Bertier (mars 1971) Directeur général (1971 à 1987) > Philippe Blanc Directeur adjoint > Mr. Moorgat (avril, mai, juin 1971) > Claude Drappier Directeur sportif > Yves Hersent Directeur des T.P. > Jacques-Henri Forest & Jean de Fouquières Directeur et Président du conseil d’administration de la “Société de l’Ecole Nouvelle” (1987 à 1990) > Claude-Marc Kaminsky PDG de l’Ecole des Roches depuis avril 1990 > Daniel Venturini Directeur depuis 1991 13 En résumé, l'analyse détaillée de son programme révèle son ambition de créer une école à la fois libre et laïque, classique et moderne : - libre, car exclusivement financée par des fonds privés, ceux de pères de famille, indépendants de l'Etat et de toute église. - laïque, car non confessionnelle. L'administration est assurée par des laïcs qui entendent bien prouver par la pratique que l'idée religieuse peut trouver une large place dans une maison d'éducation laïque où les élèves apprennent, tout en approfondissant leur foi, à respecter toutes les croyances et les convictions de chacun. Cet enseignement chrétien est donné par des aumôniers catholiques et protestants. - classique, car l'enseignement prodigué prépare au baccalauréat. - moderne, car la pédagogie bouleverse les usages : plus que la préparation au baccalauréat, c’est la préparation à la vie qui importe. Ouverture en octobre 1899 Le projet pédagogique énoncé, il reste au fondateur à passer à l'acte : créer et gérer l'établissement scolaire. En tant qu’école nouvelle, l’Ecole des Roches s’est voulue laboratoire pédagogique pour l'Université et entreprise indépendante à la fois de l'Etat et de l'Eglise. En effet, elle n'a bénéficié d'aucune aide de quelque institution que ce soit. Son financement est exclusivement privé, assuré par des pères de famille convaincus par le modèle d'éducation prôné par Demolins. Ainsi, le 20 décembre 1898, 14 treize premiers souscripteurs se sont joints à lui pour créer une société anonyme, la “Société de l'Ecole nouvelle”, dont le siège est situé à Pullay, commune voisine de Verneuil et dont les limites englobent l'ancien château des Roches. Le capital initial fut fixé à 220 000 francs (soit plus de 4,3 millions de francs actuels), les parts étant réparties entre ces promoteurs qui comptent parmi eux, outre deux aristocrates, le Vte de Glatigny et le Vte de Calan, de nombreux chefs d'entreprise tels que l'éditeur Alfred Firmin-Didot qui, par ailleurs, publie les livres de Demolins, un armateur, Marc Maurel, à Bordeaux, et des industriels dont Pierre et Paul Lebaudy, membres de la famille à laquelle Demolins est apparenté par sa femme, cousine du président de ce qui était alors le plus grand groupe français de l'industrie sucrière. L'année suivante, en 1899, le capital fut porté, avec appel à de nouveaux souscripteurs, à 500 000 francs, soit près de dix millions de francs actuels. L'Ecole des Roches ouvre ses portes en octobre 1899 avec 50 élèves et connaît, après quelques difficultés, un succès rapide. En trois ans, elle triple ses effectifs et recense 158 élèves en 1902. En 1925, elle reçoit 270 élèves dont le nombre s’élève, en 1940, à 330. Une éducation chrétienne et complète L’Ecole doit sa prospérité à l'influence d'un homme qualifié et doué : Georges Bertier. Respectueusement surnommé “le Pape”, c’est lui qui établit la réputation des Roches qu'il dirige de 1903 à 1944. Agé de seulement 26 ans, il succède à quatre directeurs “Le milieu est nécessairement à la campagne...” Un grand Jeu à La Guiche: une “manœuvre”. “....Nous ne concevons pas de formation complète de l'enfant qui ne repose pas sur les principes d'une vie familiale normalement constituée...” Un repas au Petit Clos avec Monsieur et Madame Boussion. passés entre 1899 et 1903 : Castognol, Bachelet, Campaux et Monnet ; il apporte une stabilité durable à cette jeune et nouvelle école en train de poser ses fondations. Remarquons qu’E.Demolins ne fut jamais directeur, mais uniquement président du conseil d'administration de 1899 à 1907. En effet, le théoricien des Roches se considérait avant tout comme un intellectuel vouant ses efforts et son temps à la recherche. Choisi pour ses qualités intellectuelles et oratoires brillantes, G. Bertier est licencié de philosophie, catholique fervent, intéressé au mouvement de la science sociale. Il contribue à la promotion des Roches et de l'école nouvelle en participant à de nombreuses conférences et en rédigeant de nombreux articles, notamment dans la revue qu'il anime, L'Education. Par ailleurs, dans son livre L'Ecole des Roches (1935), il rappelle que “l'Ecole nouvelle vise à former l'enfant tout entier, corps, esprit, volonté, en donnant à toutes ses facultés un développement proportionné à la valeur de chacune d'elles et dirigé vers le but commun”. Elle met au premier plan la formation du caractère, car la volonté a besoin, comme instrument, d'un corps équilibré et vigoureux. Et surtout, ni l'instruction et surtout l'éducation intellectuelle ne sont négligées. Le milieu est “nécessairement à la campagne”, car “la formation morale d'un enfant est plus naturellement portée vers les sommets quand elle consent à s'arracher à la vie frelatée et aux tentations malsaines des villes... Nous ne concevons pas de formation complète de l'enfant qui ne repose pas sur les principes d'une vie familiale normalement constituée et qui n'ait pas pour but normal la création d'une famille saine”. Exigeant au niveau du recrutement des élèves, il renforce l'esprit chrétien de l'Ecole à la devise de laquelle “Bien armés pour la vie”, il ajoute... “et prêts à servir”. Entreprenant et novateur, il participe à la création en 1911 d’une troupe d'Eclaireurs, la “Troupe des Roches”. L’Ecole des Roches est ainsi la première école en France à accueillir une troupe scoute. Sans aucun doute, G.Bertier a contribué à implanter dans notre pays le mouvement de BadenPowell qui lui remit l'insigne du “Loup d'argent”, la plus haute distinction scoute au monde. Quant aux boy-scouts rocheux, ils lui attribuèrent le totem de “Vieux Loup des Roches”. Lorsqu'il part en 1944, il passe le flambeau à son gendre, Louis Garrone, surnommé “le Patron”, qui poursuit l'entreprise dans le même esprit chrétien jusqu'en 1965. Le succès des Roches a longtemps reposé sur les épaules de ces deux hommes. Les lignes suivantes écrites par le cardinal Garrone (frère de Louis Garrone) sont en ce sens explicites : “En somme, l'Ecole des Roches, en ce qu'elle a pu avoir d'exemplaire, est le fruit d'une convergence rare de trois éléments également indispensables : une franche connaissance des données fondamentales de l'éducation (...), l'existence de moyens qui rendent possible une organisation matérielle courageusement adéquate à l'objet ; enfin, la présence d'hommes ayant eu le charisme et acquis la vertu nécessaires à des éducateurs”. Un internat mixte et international Les années 1965 - 1970 sont un véritable tournant ; elles sont marquées par le passage de cinq directeurs avant l'arrivée, en 1971, d'une direction stable en la personne de Félix Paillet. Ces années furent si chaotiques que, sans l’engagement financier massif et rapide de deux parents d'élèves, l’ancien Rocheux Emmanuel de Sartiges (Vallon, Guichardière 1935 à 1943) et surtout Raymond Delacoux, président 15 1909 1913 Image champêtre devant La Guichardière. L’Ecole au grand complet pose devant Les Sablons. d'une importante société d'assurances, les Mutuelles du Mans, non ancien mais parent d'élèves, séduit par l'Ecole des Roches dont il va permettre, grâce à ses avances en capitaux, la survie, l'Ecole risquait de sombrer dans une très grave crise. Elle a été surmontée, mais a engendré de profonds changements, à commencer par la mixité et une orientation plus grande vers un recrutement international. Celui-ci est composé de jeunes Africains, Maghrébins et Moyen-Orientaux. A partir de 1987, la direction de l’Ecole est confiée à deux de ses anciens élèves, Jacques-Henry Forest comme directeur, et Jean de Fouquières, comme président du conseil d’administration, qui sont confrontés à de graves difficultés financières. Devant la menace de voir disparaître leur Ecole, les anciens élèves présents au conseil d’administration de la Société de l’Ecole Nouvelle, dont le président de leur Association, après avoir vainement tenté une augmentation de capital réservée aux seuls actionnaires, décident d’ouvrir celui-ci à un souscripteur extérieur par une très large augmentation de capital le rendant propriétaire des actions à hauteur de 83%. Ce souscripteur, Claude-Marc Kaminsky, devenant président-directeur général en avril 1990, s’engage à redresser l’Ecole, ce qu’il fait en y investissant d’importantes sommes, tout en garantissant le respect de ses principes 16 1954 1999 Election du “Comité d’Action des Pins” (Le CAP) dans une salle d’étude transformée en amphi. Une chorale chante sur le podium installé devant La Prairie, lors des festivités données à l’occasion du centenaire de l’Ecole. éducatifs originels. La direction est alors confiée à un ancien professeur des Roches, Daniel Venturini. Sauvée in extremis d’une fermeture définitive, l’Ecole des Roches réussit à obtenir, en 1992, un contrat d’association avec l’Etat et décide d’accentuer son caractère international. L’Ecole affiche depuis lors une bonne santé. Elle reçoit chaque année un peu plus de 300 élèves, sa réputation ne cesse de s’agrandir et son rayonnement de s’affirmer à l’étranger. Elle est aujourd’hui, en France, le plus célèbre des internats mixtes et internationaux. Lors de la célébration du centenaire de sa fondation, en 1999, l’Ecole des Roches a pu fièrement se retourner sur son passé pour mieux en célébrer le souvenir. Après avoir traversé bien des épreuves depuis son ouverture, le 7 octobre 1899, elle continue de se placer sous la figure tutélaire de son fondateur, resté omniprésent à travers sa devise toujours proclamée “Bien armés pour la vie”. ■ Nathalie Duval 17 18 Edmond Demolins, le fondateur Edmond Demolins (1852-1907) illustre l’engagement d’un intellectuel dans la mêlée. En effet, l'Ecole des Roches a représenté, en tout premier lieu pour son fondateur, une aventure périlleuse, celle du passage de l'univers spéculatif au monde de l'action concrète. Un animateur hors-pair Un intellectuel dans la mêlée A l'époque de la fondation des Roches, Demolins n'est plus un tout jeune homme. Né en 1852, c'est un homme mûr qui a derrière lui une riche activité de chercheur, d'enseignant et de “publiciste” (selon le terme consacré à l'époque). Mais il apparaît qu'il n'a jamais eu la responsabilité d'une institution de l'importance des Roches. Créer et gérer un établissement d'enseignement constitue pour lui une “première”, un véritable défi qu'il n'est pas, cependant, démuni pour relever. Parmi ses atouts figure son expérience d'animateur de cercles intellectuels. En 1881, à moins de trente ans, il a créé, avec l'aval de Le Play et de la Société d'économie sociale, une des toutes premières revues de science sociale en France, La Réforme sociale, qui se révèle vite un succès par la qualité de ses articles et de ses collaborateurs, ainsi que le nombre de ses abonnés. Parallèlement, il participe à l’Ecole des voyages, institution d’enseignement de la science sociale leplaysienne dirigée par l'abbé Henri de Tourville, qui constitue elle aussi une innovation pédagogique et scientifique dans ce domaine tout nouveau que sont les sciences sociales. Lorsqu'à la suite de conflits au sein du mouvement leplaysien, Demolins se voit dépossédé de la revue qu'il a fondée, il en crée immédiatement une nouvelle, avec le soutien E. Demolins, le fondateur de l'imprimeur-éditeur Firmin-Didot, La Science sociale (1886). Infatigable, il se multiplie pour trouver des collaborateurs, susciter des travaux qui deviendront des articles, lui-même prêchant par l'exemple en publiant numéro après numéro les résultats de ses recherches en science sociale. Ce travail d'animation éditoriale ne l'empêche pas de poursuivre son oeuvre d'enseignement, devenue d'autant plus importante que son cours public, délivré à Paris, est le lieu de diffusion de sa pensée, où il forme et recrute des jeunes gens, futurs chercheurs en science sociale et auteurs de la revue. 19 La réussite de sa revue s'avérant fragile, Demolins, rarement à court d'initiative, entreprend de lui donner une assise institutionnelle. En 1892, il fonde (avec Tourville, Robert Pinot, Paul de Rousiers, etc.), une association dénommée “Société de science sociale”. Celle-ci a pour but de regrouper les adeptes de la science sociale et d'encourager les recherches individuelles et collectives. Elle constitue une étape importante du développement de la science sociale qui sort du cénacle quelque peu confidentiel de ses spécialistes pour toucher un public plus large. Là encore, le dynamisme de Demolins fait merveille. Cette rapide évocation de l'action de Demolins avant la création des Roches indique clairement ses qualités d'animateur intellectuel. C'est incontestablement un “battant”, un entraîneur d'hommes qui sait concevoir et convaincre, rassembler et organiser. Mais il n'a fait ses preuves que dans l'univers spécial du travail de la pensée. En 1898-99, c'est à une tâche d'une autre nature qu'il s'attelle et qui exige de lui sinon d'autres compétences, du moins de les transposer au domaine de l'action pratique. Concevoir un programme éducatif viable, convaincre des parents et leurs enfants, rassembler une équipe éducative et... des apporteurs de capitaux, organiser le fonctionnement institutionnel, voilà les nouveaux contenus de son action. Quels que soient les atouts de Demolins nés de son expérience antérieure, cette tâche constitue un saut dans l'inconnu qu'il affronte non sans appréhension mais avec détermination car il y est intellectuellement préparé. 20 Une création fondée sur la science sociale On se tromperait lourdement si on interprétait la création des Roches comme un nouveau départ dans l'existence de Demolins, une sorte de seconde vie qui s'ouvrirait à lui après avoir tourné la page de la première. Certes, cette création est une innovation comparée à ce qu'il a accompli jusque là : diriger une revue, faire de la recherche et enseigner. Mais dans l'esprit de Demolins science et action ne s'opposent pas. Au contraire, elles sont liées. C'est, en effet, en partant de ses conclusions sociologiques sur l'importance primordiale de l'éducation dans la dynamique des sociétés qu'il imagine une formule éducative pouvant favoriser le “particularisme”, orientation qui caractérise les sociétés anglo-saxonnes, dominantes à ses yeux et que l'on doit prendre comme modèle. En d'autres termes, le fondateur des Roches n'est pas un scientifique “défroqué”, ayant abandonné son cabinet de travail et ses livres pour passer à l'action. C'est au contraire en savant, ne reniant rien de son savoir théorique, qu'il aborde une expérience pratique à laquelle il n'avait pas encore été confronté. Expérience, le terme peut choquer, mais c'est bien de cela qu'il s'agit dans la mesure où, du point de vue de la science sociale (qui est celui de Demolins), les Roches sont la mise en pratique d'idées tirées d'un raisonnement scientifique. Une expérience risquée qui n'a pas le droit à l'erreur et ne doit pas échouer car elle met en jeu des individus, à commencer par des enfants. “Bien armés pour la vie”, l'objectif est louable et élevé. Mais si c'était le contraire qui advenait et qu'à Verneuil, on y prépare mal les élèves? Il est probable que cette interrogation a hanté Demolins car quel éducateur (digne de ce nom) ne s'est jamais posé la question : “Et si je faisais fausse route ?”. D'où l'attention et la vigilance qu'avec le renfort de son épouse, il a apportées à son Ecole, semblables, l'humanité en sus, à celles qu'un expérimentateur apporte à une délicate expérience de laboratoire. Réformer la société française Fondée sur la science sociale, l'Ecole des Roches n'a pas uniquement pour but d'en valider (ou invalider) les conclusions. Dans l'esprit de son fondateur, elle a une portée qui déborde largement le champ de ses préoccupations scientifiques. Il s'agit rien moins que d'intervenir par ce moyen sur la société française et cela en visant un élément vital : la formation de la jeunesse. C'est là une autre facette de l'engagement de Demolins. Le distingué directeur de La Science sociale ne veut pas seulement passer de la théorie à la pratique et mettre ainsi à l'épreuve ses conclusions savantes. Il a aussi l'ambition de changer la société française en réformant son éducation. De cet objectif, il ne fait pas mystère. Tous ses écrits en témoignent et depuis longtemps. On peut même dater son intérêt redoublé pour l'éducation et sa volonté d'en modifier les conditions, les contenus et les objectifs, de la naissance de son fils Jules, comme si les soucis du père de famille poussaient le sociologue à analyser toujours plus à fond les questions éducatives. Au fur et à mesure qu'il se sent plus assuré de son analyse, il rend public son projet de réforme, multipliant les articles et les conférences. La publication de A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons? (1897), suivi bientôt de A-t-on intérêt à s'emparer du pouvoir ? (1898) puis de L'Education nouvelle. L'Ecole des Roches (novembre 1898, réédition en 1901) marque la montée en puissance d'un engagement quasi-militant que l'ouverture des Roches ne ralentit pas. Demolins, en effet, ne se satisfait pas d'avoir fondé la première institution d'éducation particulariste, il en poursuit la propagande en toutes occasions, aussi bien par ses interventions au cours de l’enquête menée par la commission Ribot qui prépare la réforme scolaire de 1902, que par ses appels à la multiplication d'établissements du type de celui de Verneuil ou par les liens qu'il tisse avec le mouvement international d'éducation nouvelle, etc. Retour à la science sociale Intellectuel descendu du ciel des idées pour se jeter dans la mêlée de l'action pratique et des débats publics, Demolins n'abdique pas pour autant de sa qualité de scientifique. Nous l'avons dit, c'est en savant, armé de la science sociale, qu'il se lance dans cette aventure. Mais c'est aussi à ce titre qu'il entend en tirer partie. De l'Ecole des Roches, Demolins attend qu'elle soit non seulement un foyer à partir duquel le particularisme pratique va rayonner sur la société française, mais également un lieu d'apprentissage et de développement de la science sociale. Tout en sachant que les jeunes gens formés aux Roches deviendront, pour la majorité d'entre eux, d'habiles praticiens de l'industrie, du commerce ou de l'agriculture, en France et à l'étranger, il espère qu'une partie d'entre eux, les plus motivés, associeront à l'exercice de leur métier des recherches en science sociale. C'est le but de la “section spéciale” que de les former à ces recherches. Car pour Demolins qui reprend volontiers à son compte la 21 formule de son ami Paul de Rousiers, “il n'y a rien de plus pratique qu'une théorie”, ces deux volets de l'activité humaine, l'un normatif, l'autre spéculatif, doivent aller de pair et s'éclairer mutuellement. Ainsi, la boucle aurait été bouclée. La science sociale, après avoir investi un domaine de l'action pratique (l'éducation) et servi sa réforme, aurait profité à son tour de ce milieu réformé pour s'enrichir de nouvelles contributions. Ce programme n'a pas été complètement réalisé, la réussite de l'action pratique, autrement dit la pérennité des Roches, exigeant rapidement d'apporter des correctifs au projet initial. En clair, les demandes des familles, des enseignants et des élèves, leurs capacités aussi, ne se conformant pas toujours aux attentes du fondateur, il a bien fallu en tenir compte et ce fut sans doute le mérite de Georges Bertier d'avoir su opérer les ajustements nécessaires. La science sociale, par exemple, n'a pas occupé aux Roches toute la place imaginée par Demolins. Mais pouvait-il en être autrement ? En se jetant dans la mêlée, ce dernier se doutait bien que son idéal allait être raboté au contact des dures contraintes de l'action. Malgré celles-ci, un cap a été maintenu, une institution a été fondée durablement qui témoigne que la conjonction d'une construction intellectuelle et d'un objectif pratique peut être fructueuse. ■ Antoine Savoye (Université Paris VIII et Société d'Economie et de Science Sociales) 22 Georges Bertier, le pédagogue Georges Bertier dit “Le Pape” Le rayonnement de l’Ecole des Roches de 1903 à 1944 Sous la direction de Georges Bertier (18771962) entre 1903 et 1944, l'Ecole des Roches n'est pas restée cet îlot de verdure pour enfants de la haute bourgeoisie française niché au fond de la campagne normande. Les actions militantes et les relations qu'il a développées dans le champ éducatif français ont permis de faire rayonner un modèle éducatif et pédagogique dont il a été l'organisateur et le représentant charismatique durant plus de quarante ans. En voici quelques jalons. Stratégie de coopération avec l'Instruction publique 1906 : Georges Bertier refuse l'affrontement scolaire entre laïcs et cléricaux suite à la séparation de l'Eglise et de l'Etat : “Nous avons la prétention de faire autre chose - et mieux qu'une concurrence à l'Université. Nous sommes des soldats d'avant-garde, des explorateurs. Dès qu'une méthode est démontrée bonne, nous l'appliquons... Avec une liberté presque sans limites, nous précisons et réalisons ce qui reste à l'état de rêve chez les meilleurs pédagogues de ce temps. Nous avons conscience de rendre ainsi service, non pas seulement à nos élèves, mais à l'Université elle-même. Sans esprit de rivalité et de parti, nous faisons notre œuvre : nous sommes sûrs que l'Université qui en a profité déjà, aura toujours intérêt à la suivre”. (Journal des Roches, 1906). 23 Le docteur Carcopino, premier médecin de l’Ecole des Roches, père de Jérôme Carcopino, historien, ministre de l’Éducation nationale, académicien. Réseaux sociaux pour la promotion d'une nouvelle éducation Bertier construit cette stratégie dans plusieurs directions, en partenariat avec différents acteurs du monde de l'éducation et de la jeunesse. Georges Bertier jeune 1909 : il crée la revue l'Education. L'ensemble des articles sont écrits par les professeurs des écoles nouvelles privées et par les enseignants de l'Instruction publique. Cette revue constitue un forum tolérant d'échanges d'idées et d'innovations pédagogiques ; un carrefour de rencontres entre éducateurs de bonne volonté. Jusqu'en 1940, cette revue de haut niveau fait autorité dans les écoles normales, lieu de formation des instituteurs. 1911 : Bertier participe à la fondation du scoutisme neutre des Eclaireurs de France dont il devient le président en 1921. Ce mouvement de jeunesse, accessible à tous, démocratise l'éducation nouvelle faite aux Roches. Les textes officiels de l'Instruction publique de 1923 font appel à ce scoutisme neutre dans les écoles pour vivifier les méthodes pédagogiques. En 1937, Bertier offrira son fauteuil de président des Eclaireurs à Albert Châtelet, le nouveau directeur de l'enseignement secondaire sous le Front populaire, afin que le mouvement éclaireur puisse justement mieux rayonner dans les lycées et collèges. 1928 : Bertier est un acteur majeur de l'Education nouvelle. Entre les deux guerres, il fait des conférences à tous les congrès internationnaux de la Ligue internationale pour l'Education nouvelle, 24 écrit de nombreux articles où l'Ecole des Roches et les Eclaireurs sont ses thèmes favoris. Au sein de la section française de cette Ligue, Bertier réussit à coopérer avec d'éminentes personnalités du monde universitaire -Paul Langevin, le psychologue Henri Wallon- qui sont pourtant à l'opposé de lui sur le plan de l'idéologie politique. 1940 : “La pédagogie active pour faire un homme d'action” est aussi revendiquée par Vichy pour préparer la Révolution nationale. Jean Borotra, commissaire à l'Education générale et sportive, et Jérôme Carcopino, ministre de l'Education nationale, connaissent bien Georges Bertier et les réalisations pédagogiques des Roches. L'éducation physique en plein air et l'organisation de la journée scolaire avec seulement les disciplines intellectuelles le matin ressemble en tout point à celle de l'Ecole des Roches. La réforme scolaire de 1941 s'inspire en partie du modèle rocheux comme le reconnait Jérôme Carcopino dont le père fut le médecin des Roches jusqu'en 1913. 1945 : Georges Bertier est toujours vice-président des Eclaireurs avec Albert Châtelet et surtout Gustave Monod qui accédera, d'une part, à la présidence des Eclaireurs et, d'autre part, à la Direction de l'enseignement secondaire au ministère de l'Education nationale. Depuis son séjour à l'Ecole des Roches comme professeur de philosophie et chef de maison de la Guichardière entre 1911 et 1914, Gustave Monod est toujours resté en contact avec Georges Bertier. La réforme du système scolaire qu'il entame à travers la mise en place des “classes nouvelles” n'a pas d'autre filiation que celle du modèle des Roches. Monod le démocratise et l'adapte aux contraintes des lycées et collèges publics. Depuis son ministère, il informe régulièrement Bertier de chaque création de “classe nouvelle”. Une réforme cependant trop coûteuse qui n'a pas supporté l'arrivée en surnombre de la génération du “baby boom”. Georges Bertier félicite Philippe Guilbert et Patrick Bindschedler (capitaines aux Pins) après le lever des couleurs vers les années 53-54. Durant la première moitié du XXe siècle, le modèle pédagogique et éducatif des Roches symbolise un effet de trame où convergent les mêmes aspirations pour une autre éducation de l'enfant. Au delà des aléas de l'histoire et indépendamment de leurs idées politiques, il s'agit bien pour ces acteurs de promouvoir une éducation “intégrale” où l'activité physique en plein air se situe à parité avec les disciplines intellectuelles en vue de développer chez l'enfant une morale de l'action, de l'initiative et de la responsabilité. Sous la direction de Georges Bertier, l'Ecole des Roches a certainement été une réalisation exemplaire de cet idéal éducatif. ■ Régis de Reyke (Université Paris IX - Orsay) 25 26 La première troupe d’Eclaireurs de France “...une manifestation de l’esprit de l’Ecole” Georges Bertier (1) et Henri Marty (2) au camp-école de Cappy. Un corps de scouts a été créé à l'initiative de Georges Bertier, directeur de l’Ecole, et d'Henri Marty, chef de maison du Vallon. Comme le disait Henri Marty à la séance d'organisation : “Le scoutisme n'est qu'une manifestation de l'esprit de l'Ecole, un développement des idées chères à son fondateur, Monsieur Demolins. C'est une école d'énergie et de loyauté, d'initiative et de confiance en soi-même, d'action personnelle et d'aide mutuelle”. Un certain général Baden-Powell a créé le scoutisme en Grande-Bretagne en 1907. Peu de temps après, il a été anobli, devenant lord Baden Powell of Gilwell, avec le titre de Baron. Nous l'avons appelé - et l'appelons toujours – “Bi Pi”. La première troupe scoute a été créée à l'Ecole des Roches en 1911. Il s’agissait d’une troupe d’Eclaireurs de France qui avaient la particularité d’être laïques et plus précisement neutres (il ne faut donc pas les confondre avec les Scouts de France, catholiques, qui sont apparus bien plus tard, en 1920). L’Ecole des Roches, étant la première école à accueillir cette troupe, a fortement contribué à introduire le scoutisme, à l’origine non confessionnel, en France. Comme Bertier et Marty ne savaient pas tellement comment former une troupe d'Eclaireurs de France, ils avaient demandé à B.P. de leur envoyer un instructeur, un major qui avait servi sous les ordres de B.P. en Afrique du Sud : le major Battmann. Georges Bertier portait avec prestance l’uniforme des Eclaireurs de France dont il a été le Président de 1920 à 1937. A cette époque et à son âge (il a alors plus de cinquante ans), il n'hésitait pas à se balader en culottes courtes tout comme les jeunes chefs scouts qu'il instruisait au camp-école de Cappy (camp de formation situé sur la commune de Verberie dans l’Oise) . Georges Bertier “Le vieux loup des Roches”. Président des Eclaireurs de France. 27 La troupe du Vallon avait comme chef scout son chef de maison Henri Marty. Celui-ci a été nommé commissaire international du mouvement dès la fondation du bureau international du scoutisme en 1920. Parmi les louveteaux, il y avait une jeune cheftaine : Monique Bertier, fille de Georges Bertier luimême. Un professeur des Roches, un certain Louis Garrone, pratiquait lui aussi le scoutisme. Ils faisaient l'un du scoutisme, l'autre du louvetisme, ils se plurent, se marièrent (en 1929) et eurent de nombreux enfants (deux garçons et trois filles). La cheftaine Monique Bertier, devenue Monique Garrone. Durant la période de la guerre, des élèves sont restés aux Roches, aux Champs où ils ont fondé une troupe. Ils étaient alors en zone occupée par les Allemands qui avaient interdit le scoutisme, le port de l'uniforme scout ainsi que les camps. Malgré cette interdiction, nous avons continué à nous réunir en camp et en uniforme, pour faire le salut aux couleurs suivi de la Marseillaise. Durant l'hiver 1941–1942, il avait fait très froid et il avait beaucoup neigé. Nous avons eu alors l'idée de construire un igloo où, chaque soir, deux d'entre nous allaient passer la nuit. Tout s'est bien passé et nous en sommes tous ressortis ! Pour terminer, précisons qu'il y avait des points très importants dans le scoutisme, savoir : faire preuve de fraternité, suivre la loi, passer des épreuves... Auprès de chaque maison, dans notre école, il y avait un local qui avait été construit par les éclaireurs qui s'y retrouvaient pour leurs différentes manifestations. Un scout, Louis Garrone. 28 On a dit à l'Ecole : “A quoi bon cette nouvelle organisation ?” L’idéal des éclaireurs n'est-il pas celui de tous ? Les éclaireurs n'ont certes rien inventé, Un campement d’éclaireurs. mais ils sentent le besoin de vivre ces principes chers à tous, de les mettre en pratique par des exercices appropriés, de former à l'Ecole non pas une élite exclusive et fermée mais un corps largement ouvert à tous. La communion d'âmes était un principe cher à G. Bertier et à H. Marty. Tous aux Roches, nous voulons être éclaireurs, au moins de coeur. ■ Michel Poutaraud (Guiche, Vallon, Maslacq, Champs 1931 à 1942) “... Nous avons eu alors l’idée de construire un igloo...” Mai 1940, l’Exode : Verneuil s’installe à Maslacq Jusqu'en mai 40, la France et l'Angleterre étaient en guerre contre l'Allemagne, mais les activités militaires étaient réduites à quelques petits coups de mains pour cueillir trois prisonniers de temps en temps que le communiqué numéroté monotone de l'Etat-Major décrivait chaque jour. C'est ce qu'on a appelé “la drôle de guerre”. On s'y était habitué et la vie à l'Ecole se déroulait quasi normalement. De Verneuil à Maslacq Pas tout à fait, pourtant. J'étais en Math.Elem, dont le professeur principal était Louis Viguier. Tous ceux qui l'ont connu lui ont gardé une profonde tendresse ; c'est extraordinaire, mais c'est comme ça. Ce qui n'ôtait rien à son étonnante autorité. Plus que d'autres, peut-être, il était très marqué par cette guerre et, pendant le premier trimestre, il nous a semblé être ailleurs ; alors, nous avons pris l'habitude de parler presque à haute voix en classe. “Le Vig” comme nous l'appelions, ne paraissait pas s'en rendre compte. Et puis, le jour de la rentrée de janvier 40, sans élever la voix, tranquillement en bon montagnard qu'il était, il a déclaré : “Bref, à partir de maintenant, je ne veux plus entendre un mot en classe”. Et le bourdonnement a immédiatement et définitivement cessé. Viguier était assez enveloppé, une grande chevelure grisonnante et finement frisée rejetée en arrière, la main droite agitant un bout de craie pour scander ses paroles ; ses gestes étaient invariablement lents comme son débit qui, lui-même n'était pas toujours très compréhensible : il avalait un peu ses mots. Aussi, souvent, on se penchait vers son voisin pour murmurer à voix basse : “Qu'est-ce qu'il a dit ?”. Louis Viguier avait l'ouïe fine ; il ne se retournait même pas du tableau et disait de son ton toujours égal : “Celui qui a parlé, foutez-moi le camp dehors”. Il n'a jamais eu à le répéter. Chaque fois un coupable empaqueta silencieusement ses affaires et prit la porte. Nous l'avons tous fait un jour ou l'autre. C'était du reste sans conséquence ; il n'y avait jamais de suite. Nous adorions Viguier. Les Allemands ont mis fin brusquement à la “drôle de guerre” et ont attaqué en mai 40. La “drôle de guerre” est devenue du jour au lendemain la “blitz-krieg”, un déchaînement brutal d'avions qui modifiaient le régime de leurs moteurs pour déjouer le repérage acoustique de notre DCA, un déferlement de chars qui ont désorganisé nos armées, les fameuses Panzer Divisionen. Les réfugiés fuyaient l'avance allemande ; les routes étaient saturées de véhicules hétéroclites et misérables qui paralysaient les mouvements de nos troupes. La catastrophe ! C'est dans ces conditions de désorganisation avancée que nous avons quitté Verneuil pour Maslacq. Un certain nombre d'entre nous avait rejoint leur famille, mais nous étions encore nombreux à l'Ecole, parce qu'on ne voyageait pas à cette époque, même en temps normal, avec la facilité d'aujourd'hui. Quelques-uns sont partis par la route, notamment des professeurs et particulièrement Louis Viguier, dans une vieille guimbarde. Mais, on s'en doute, les pompes à essence étaient vides sur la route et notre bon maître est tombé en panne sèche dans un village. Alors, il a eu cette chance extraordinaire de tomber sur un gendarme passionné de mathématiques ! 29 “Oh, lui dit-il, il y a un problème dont je cherche en vain la solution depuis des siècles. Pourriez-vous m'aider ?” “Faites voir”, dit le Vig. “C'est très simple. Voici ce qu'il faut faire.” Alors, le gendarme trouva aussitôt l'essence dont Viguier avait besoin ! Probablement le seul gendarme de la route qui butait sur un problème mathématique ! Viguier en fut moins étonné que nous quand il nous raconta l'affaire... Maslacq, petit village sur les bords du Gave de Pau. La majorité de l'Ecole prit le train. Oh, pas un rapide... Ni même un omnibus. Un train de marchandises qui s'arrêtait fréquemment en rase campagne et qui mit plusieurs jours et quasiment autant de nuits pour rejoindre Bordeaux par Le Mans, Tours, Poitiers. Nous avons même probablement changé de train et dormi sur le train ou par terre dans le restaurant d'un hôtel. Je dis sur le train et non dans le train, parce que nous étions à l'extérieur de wagons de marchandises. Il y avait à l'arrière une plateforme dont descendait une double échelle. Debout sur cette plate-forme, on devait avoir le toit à hauteur de poitrine. Deux d'entre nous veillaient debout à tour de rôle sur ceux qui étaient allongés sur le toit ou qui somnolaient assis sur la passerelle. Nous avons appris lors de notre passage à Châtellerault, je crois, que la gare avait été bombardée la veille. Elle le fut également le lendemain. Finalement, tout le monde est arrivé par car dans le petit village de Maslacq où les uns dormaient au château, les autres chez l'habitant. On se lavait dans la rivière, me semble-t-il. 30 Nos parents, comme tout le monde, avaient cherché refuge dans des villes du Sud, mais nous en ignorions tout. La poste ne fonctionnait plus, le téléphone encore moins (le téléphone automatique n'existait pas), on avait beaucoup de mal, en temps ordinaire, à téléphoner dans une autre ville par des standardistes, ce qu'on appelait “l'inter” ; du reste nous ne savions plus où écrire, où téléphoner. Mais les Roches avaient prévenu à temps nos familles de notre repli à Maslacq. Nous avons passé l'écrit de notre Bac. Une lettre m'a annoncé un jour que j'étais reçu. Mais il n'y avait pas eu d'oral et, tout au long de ma vie, il m'est arrivé de rêver avec effroi que je n'avais pas eu mon bac et que toutes mes études de médecine étaient annulées. Je ne dois pas être le seul dans ce cas. Alors, pinçons-nous mutuellement pour nous assurer que nous ne rêvons pas. ■ Olivier Stern-Veyrin (Vallon, Pommiers, Maslacq 1937-1940) Maslacq, une épopée Maslacq, une deuxième Ecole des Roches C’est l'histoire de cette deuxième Ecole des Roches installée en mai 1940 dans le petit village de Maslacq situé au pied des Pyrénées. Nous avions dû quitter dans la précipitation un Verneuil trop exposé à la guerre. Sans nous en douter, nous vivions les premiers mois du plus grand conflit armé de tous les temps. Hitler vient d’envahir la France : il fait 1 800 000 militaires prisonniers en encerclant nos armées et provoque l'exil vers le sud de 8 millions de réfugiés civils dont nous faisons partie. L'armée allemande parade à l'Arc de Triomphe. Le Maréchal Pétain, appelé à la tête de gouvernement, sollicite l'arrêt des combats, les assemblées sont dissoutes. Il a suffi à Hitler de 60 jours pour écraser la France et ébranler l'Occident ! A Maslacq, petite commune rurale et paisible bordant le Gave de Pau à 2 kilomètres du chemin de fer et de la nationale Pau-Bayonne, entre Orthez et Lacq, l'Ecole s'est installée dans une propriété dite “Château”, propriété d'une congrégation religieuse espagnole qui a regagné son pays après la guerre civile. Le matériel a été acquis pour partie par Verneuil. Le château et ses communs abritent dortoirs, réfectoires, études, alors que le bâtiment des classes et l'infirmerie sont dans le village où seront logés les professeurs chez l'habitant. Les travaux pratiques se dérouleront chez les artisans du village, forgerons, menuisiers, charpentiers ou vanniers ; seul l'atelier de peinture et de sculpture sera dans la serre du château. Le terrain de sport sera construit plus tard par les élèves. L'on imagine avec peine la pagaille qui règne l'été et à la rentrée 1940 : professeurs réfugiés de Verneuil où certains s'en retourneront, professeurs démobilisés ou prisonniers des Allemands, élèves arrivés de Verneuil sans nouvelle de leur famille ou d'ailleurs, ceux du Sud, où leurs parents ont souvent “L'Ecole s'est installée dans une propriété dite “Château”, propriété d'une congrégation religieuse espagnole qui a regagné son pays après la guerre civile”. recherché la sécurité, élèves de terminale qui ont eu leur bac au bruit du canon ou seulement l'écrit ou rien du tout. Cessions de rattrapage, concours à des grandes écoles évanouies dans la nature... mais progressivement, sous la direction d'André Charlier, secondé de professeurs réfugiés, arrivés souvent avec une seule valise pour tout bagage, l'Ecole à Maslacq bâtit son unicité. On finit même par nous trouver des bouquins et des cahiers. La récré est terminée. 31 André Charlier en 1938. Verneuil 1924 à 1939. Directeur à Maslacq de 1941 à 1950. Clères 1950 à 1962. L'effectif de l'Ecole va compter une quinzaine d'enseignants et 120 élèves (dont 4 filles seulement) de trois provenances : Nous vivons néanmoins de 1940 à 1942 une existence sereine et gaie et l'unité se fait autour des enseignements, des capitaines et des plus âgés : les seules références à la guerre sont que : - Ceux dont les parents sont proches : heureux Bordelais, Palois, Landais, etc. - Les 8 ou 9 dortoirs portent les noms de jeunes anciens morts aux combats de 1940. - Ceux provenant du Sud de la France mais plus éloignés. - Monsieur Charlier, lors des appels du soir, rappelle souvent (de son “s'pa” resté légendaire) l'honneur d'être rocheux pour nous préparer à la suite des temps... - Enfin les moins heureux tranférés de Paris, du Nord ou de l'Est ou de parents bloqués en Afrique du Nord, dans les colonies ou à l'étranger. Pour ces derniers, peu ou pas de courrier, pas de colis, des visites de parents rarissimes et des difficultés pour partir en vacances. Il y a aussi des familles disloquées par la guerre. Les Allemands occupent militairement toute la moitié Nord de la France jusqu'à Bourges, plus une bande de 80 km sur toute la côte atlantique jusqu'à Hendaye. Cette ligne dite de “démarcation” passe à quelque 8 km de l'Ecole et il faut un permis dit “Ausweis” pour la franchir. Nos conditions de vie, que partagent nos professeurs et les enfants de ces derniers, sont spartiates et progressivement difficiles : il fait froid l'hiver et les approvisionnements de nourriture sont très rationnés (carte J2 pour les moins de 13 ans et J3 pour les 13 à 22 ans), une seule douche tiède par semaine ; l'on circule en sabots de bois et les chaussures du dimanche seront bientôt à semelle de bois articulé et les vêtements usagés car les matières premières, pour une large part, sont réquisitionnées par les Allemands. Même le papier devient rare et gris d'impureté ! 32 - Et quelques nouvelles nous parviennent des grands tournants de cette guerre : en juillet 40, la destruction par les Anglais de l'escadre française dans la rade de Mers el-Kebir, puis, en décembre, l'échec d'une attaque similaire sur l'escadre de Dakar, l'entrée des armées allemandes en URSS en juin 41 après la rupture du pacte Hitler/Staline, enfin l'entrée en guerre des Etats-Unis, en décembre 1941, provoquée par l'attaque surprise, sans déclaration de guerre préalable, des Japonais sur l'US Navy à Pearl Harbour. A partir de 1942, la guerre est devenue mondiale. En novembre, les G.I. américains débarquent en Afrique du Nord pour donner la main aux Anglais. En réaction, les Allemands occupent la totalité de la France et, bien sûr, Maslacq. Menacé d'occupation allemande, le château s'en tire grâce au consul d'Espagne qui témoigne de la propriété espagnole du lieu. Particulièrement en 1943, les conditions de vie deviennent encore plus difficiles et il faut beaucoup d'ingéniosité à l'économe Valode, puis à son successeur, pour nourrir 120 garçons qui ont faim... Et la vie de l'Ecole est souterrainement troublée, puis exaltée, par les événements extérieurs : (l'un d'eux étant même condamné à mort). A contrario des pères qui viendront à être inquiétés pour avoir manifesté trop d'empressement ou profité de la présence allemande. Maslacq, commune rurale et paisible, entre Orthez et Lacq. En 1944 ce sont des capitaines ou des grands qui disparaîtront une nuit pour aller s'engager dans l'armée clandestine puis la 1ère armée française. Quatre vont y mourir : J.M. Grach, H. de Seynes, M. de Rousiers et H. Giraud. - Des proches d'élèves sont appelés au S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) en Allemagne et les “grands” de Maslacq sont affectés à la surveillance de nuit de la voie ferrée, pour, disait-on, prévenir les sabotages ! Les débarquements des armées alliées, successivement en Normandie le 6 juin 1944 et sur les côtes varoises en août, vont, avec bonheur cette fois, bouleverser nos grandes vacances, d'autant que les Américains apportent avec eux jazz, chewing gum, etc. Et la France est très largement libérée lorsque nous reprenons le chemin de l'Ecole des Roches, à Verneuil, à la rentrée de septembre 1944. Exaltés par l'ambiance de victoire, nous faire travailler sera une tâche, alors bien difficile, pour nos chers professeurs. Il faudra encore toute l'année scolaire 1944-45 pour faire taire armes et bombes de cette guerre de six années qui aura prématurement fait de nous, jeunes élèves, de jeunes hommes... Les professeurs, aux côtés de Monsieur Charlier, ont réussi l'exploit, dans cette tourmente, de bâtir une école et d'y assurer les conditions affectives et matérielles de survie des quelque 200 garçons qui leur avaient été confiés. Ils ont écrit, assurément, l'une des très belles pages de l'histoire de l'Ecole . - Il y a les élèves dont le père ou le frère est parti rejoindre les Forces Françaises Libres, ou les forces clandestines, voire est prisonnier de la police allemande (Maslacq, Vallon, Sablons 1941-1948) - D'abord les “nouvelles” sur l'avancement des armées et “Les Français parlent aux Français” captés tant bien que mal sur des postes T.S.F. des professeurs ou des postes à galène clandestins construits par des élèves. - L'on surprend des discussions d'adultes qui se disent “Gaullistes” alors que d'autres s'obstinent dans leur attachement à Pétain et à Vichy. - Les faits de résistance à l'occupant sont croissants. Disparition de professeurs, l'un d'eux israélite, quelques heures avant l'arrivée de la police allemande. De part et d'autre, il y a maintenant des prises d'otages et des exécutions sommaires. ■ Henry Thierry-Mieg 33 34 L’Ecole triomphe de la guerre Je suis arrivé aux Roches le 15 septembre 1944. J'avais 15 ans et demi. Un car, parti de la place de l'Hôtel de Ville à Paris, nous avait amenés, mes nouveaux camarades et moi, à l'Ecole où le Vallon allait être ma maison pendant trois ans. Petit à petit l’école retrouve son aspect A cette époque, seuls le Vallon et la Guichardière étaient ouverts : la Guiche réservée aux petits, le Vallon aux plus grands de la troisième aux classes supérieures. Le Vallon était dirigé par Monsieur et Madame Garrone. Ce dernier assurait également les fonctions de directeur, en plus de celles de chef de maison. Sous son égide et celle de son épouse nous étions environ 65 élèves répartis dans 6 dortoirs de 8 à 12 élèves. Il régnait une discipline assez stricte. Quant à la Guiche, elle était dirigée par Monsieur Boespflug. Les premiers jours de notre arrivée furent consacrés au nettoyage et à la remise en état de quelques pièces de la Prairie afin de pouvoir suivre les cours. En effet, le bâtiment des classes avait brûlé pendant la guerre et il n'en restait que des ruines. Nous suivions donc les cours à la Prairie et nous rentrions déjeuner au Vallon dans la salle à manger, intallés par table de 8 ou 10, chacune présidée soit par un professeur soit par un capitaine. La règle de l'Ecole, à l'époque, interdisait les sorties en cours de trimestre ; seuls les cas graves dérogeaient à cette règle. Nous n'avions pas non plus la possibilité d'aller à Verneuil, sauf autorisation spéciale de Monsieur Garrone. La matinée était réservée aux cours, l'aprèsmidi aux sports ou aux travaux pratiques autant que les ateliers pouvaient fonctionner car il ne restait pas grand chose comme matériel, la guerre et l'occupation ayant dévasté les lieux. Enfin, malgré les restrictions, la nourriture était bonne. Le grand Anglais Desmond Whitechurch et le petit Anglais Anthony Perron (22 mars 1948). “...le club d'anglais fondé par le jeune Britannique Desmond Whitechurch”. De nouvelles activités virent le jour : la chorale, sous la direction de Monsieur Dervaux, le club d'anglais fondé par le jeune Britannique Desmond Whitechurch. Par ailleurs, nous avions obligation de suivre un culte religieux, soit catholique, soit protestant. A cet effet, un prêtre et un pasteur étaient affectés à l'Ecole. La messe était dite tous les jours, mais restait facultative. Par contre le dimanche, on était obligé d'aller au service ainsi qu'au salut, à 17 heures. Comme nous ne pouvions pas sortir en cours de trimestre, un car fut affecté tous les quinze jours afin que les parents puissent rendre visite à leurs enfants. Il n'y avait ni train, ni voiture, ni essence. C'était encore la guerre. La route nationale menant à Verneuil, ouverte en sens unique, était réquisitionnée par l'armée américaine et, pour permettre aux convois d'intendance d'aller vite, les camions roulaient à deux de front. Cette route était très dangereuse, surtout pour les piétons. C'est ainsi que Monsieur Trocmé, renversé par un de ces camions mourut des suites de ses blessures. En son souvenir une croix, en bordure d'un champ, indique l'endroit de l'accident. 35 Puis vint la fin de la guerre et, malgré le manque d'information, le 7 mai 1945, en étude, le bruit courut que l'armistice était signé ; l'excitation était à son comble et l'on se mit à répéter la Marseillaise. “La Guiche” une des premières maisons rouvertes en1944 avec le Vallon. Le 8 mai 1945, Monsieur Garrone nous confirme la nouvelle : la paix sera proclamée à 15 heures. Nous allons malgré tout en classe mais on commence à pavoiser. Monsieur Garrone nous accorde alors deux jours de vacances sans qu'il soit question néanmoins d'aller à Paris. A 15 heures, réunion devant la Prairie où se trouvait le mât des couleurs. Le discours du Général de Gaulle est retransmis grâce à un poste de TSF puis, devant l’école au garde à vous, deux élèves ont hissé le drapeau. Après un Te Deum à l'église, cette journée se conclut par un énorme feu de camp à la Guiche. Commence l'après-guerre. Petit à petit, l'Ecole retrouva son aspect. Les nouvelles furent plus régulières grâce au Figaro qui était affiché dans le couloir de la salle à manger. Les travaux de rénovation purent vraiment commencer avec remise en service de la piscine, réouverture de la maison des Pins et réfection des deux courts de tennis. “Il y avait des douches, mais froides !” Pour la vie quotidienne, nous faisions notre lit et le ménage de notre dortoir. Il y avait des douches, mais froides ! Une fois par semaine seulement, elles étaient chaudes. On ne portait pas d'uniforme mais une tenue correcte était exigée : un capitaine vérifiait notre tenue à l'entrée de la salle à manger. Ainsi allèrent les jours et les mois avec leur quotidien de plaisirs et de soucis, surtout scolaires pour les adolescents que nous étions. Pour moi, cette aven- 36 Préface extraite du Livre d’Or des Rocheux morts au champ d’honneur durant la guerre 14-18. ture se termina en 1947. Devenu ancien, chacun partit vers son destin avec, après ce passage aux Roches, l'empreinte d'une référence pour toujours. Même si mes études ne furent pas un succès, je pouvais dire et je le dis encore maintenant - avec fierté : “J'ai été à l'Ecole des Roches”. ■ Daniel Colin (Vallon 1944-1947) Parmi les héros de la Résistance, des Rocheux Durant l’année 1944, à la suite de la plus vaste opération militaire qu’aient connue les plages de Normandie, Paris et, quelques mois plus tard, la France tout entière allaient être libérés. Nombreux sont les Rocheux qui ont participé à cette reconquête de notre pays, n’hésitant pas à payer cet engagement de leur vie. L’un de ces anciens combattants de la Liberté, Guy de Rouville (Prairie 1931-1933), lui-même responsable d’un maquis près de Toulouse, à l’occasion du cinquantenaire du débarquement, a rédigé un article à leur mémoire dans la Lettre de l’AERN. Parmi ceux tombés au champ d’honneur, dont le nombre total s’élève à quelque quatre-vingt-dix noms1, il a retenu ceux des Rocheux qu’il a connus personnellement et croisés lors des combats. Ainsi en est-il de Xavier Schlumberger (sorti en 1942) qui, à l’âge de 17 ans, s’est engagé dans la Résistance active avec un groupe d’anciens chefs de l’Ecole des Cadres d’Uriage. Arrêté par la Gestapo et déporté en 1944, il mourut en janvier 1945 au camp de Buchenwald. Jean Kammerer (sorti en 1931) mourut lui aussi en déportation à Dachau, en mai 1945, tout comme Daniel Trocmé, l’un des nombreux enfants des chefs de la maison des Sablons, qui mourut au camp de Maïdaneck en 1944. Des Rocheux se sont aussi engagés à titre militaire tel Gérard Claron (sorti en 1929) qui en tant qu’aviateur s’est embarqué pour l’Angleterre dès juin 1940, répondant à l’Appel du Général de Gaulle. Il disparut en 1941 au retour d’une mission de bombardement en Libye. D’autres enfin se sont distingués par de hauts faits glorieux, souvent restés méconnus, à l’instar de Roger Cocteau (sorti en 1924) qui joua une action déterminante pour la libération de Paris. Civil entré dans la Résistance, il fut assimilé militaire et portait le nom de guerre de “commandant Gallois”. En août 1944, le colonel Rol-Tanguy, dont il était l’adjoint, le chargea de traverser les lignes allemandes pour rencontrer les généraux Bradley et Leclerc et les convaincre de venir libérer la capitale alors que cette étape n’avait pas été à l’origine prévue dans la stratégie de libération du territoire français. Cette mission appelée “Cocteau-Gallois” fut couronnée de succès puisque les Américains acceptèrent d’envoyer la 2ème D.B. sur Paris qui fut effectivement libéré le 25 août 1944. Il serait aujourd’hui certainement très édifiant de recenser tous les Rocheux qui ont été décorés de diverses médailles militaires, ainsi que de la Légion d’honneur à titre militaire, sans oublier ceux morts pour la France durant les guerres d’Indochine et d’Algérie, et surtout durant la guerre 1914-1918 qui fut particulièrement meurtrière au sein des premières promotions des Roches. De ceux qui ont pu traverser sains et saufs ces dures épreuves, on peut retenir les noms de Rocheux qui ont côtoyé les plus grands officiers français tels Christian Girard (sorti en 1928), Claude Guy (sorti en1925) et Guy Kemlin (Vallon 1930-1937), respectivement aide de camp du général Leclerc, aide de camp du général de Gaulle et ordonnance du général de Lattre. L’hommage que leur a rendu le Maréchal Lyautey2 n’en prend que plus de valeur: “L’arbre se juge à ses fruits. Depuis que je commande, j’ai toujours eu et partout des Rocheux sous mes ordres. Je les ai suivis avec vigilance. Pas un n’a failli à ses origines. Je les ai toujours vus entrer dans la vie la tête haute, soucieux à l’extrême de leur dignité d’homme, jaloux de leur indépendance morale sans que la discipline en souffrît jamais. Toujours je les ai vus s’affirmer sans délai comme des chefs naturels et cela, à mes yeux, est entre toutes la caractéristique de l’Ecole”. Des Rocheux figurent ainsi parmi les Compagnons de la Libération à l’exemple d’un des petit-fils du fondateur de l’Ecole des Roches, Bernard Demolins (sorti en 1930) ; au contraire d’autres restés dans les ombres de l’Histoire comme Fernand Bonnier de La Chapelle, assassin de l’amiral Darlan en 1942. 1 Des anciens “Rocheux” sont recensés dans un mémorial publié par le Bottin Mondain et intitulé : Mémorial 1939-1945. L’engagement pour la France des membres de la noblesse et de leurs alliés. 2 Extrait de la préface du recueil Ceux des Roches à la guerre 1914-1918. ■ Nathalie Duval 37 Les Rocheux morts au champ d’honneur VERNEUIL 1914-1918 Edouard Adler Henri d'Aramon Samuel d'Arcy William Arnaud Pierre Bauer Robert Bedel Emmanuel Belin André Bessand Jean Bessand Jacques Bocquin R.P. Joseph de Boissieu Raoul Boivin Henri-Raymond de Broutelle Henri de la Bruyère Robert Capelle Guy Carron de la Carrière M. Champault (prof.) Jean Colle Roger Corbin de Mangoux Guy de Coubertin Jacques Crépy Georges Derihon Guy Delin Jean Demelle M. Jean Despeuille (prof.) Jacques Dupas Paul Estrabaut Gaston Eysseric Thierry Faure Marcel Ferrand Bemard Flye Sainte-Made Pierre Garreau Christian Glaenzer Robert Glaenzer Jean Griset René Guillou Raymond Heer Jacques Hervey Henri Julien Francis Kennina Guillaume Krafft René Lagier Marcel Langer Edouard Latune René Lorillon Bemard Marotte Noël Martin Xavier Marty 38 Pierre de Maupéon Pierre Mofroy Bemard Monnier Pierre Monnier Jean Moussy Jacques Munier Jean Néraud Emile Noetinger Henri de Nonneville M. Louis Paccard (prof.) Maurice de Paillette Jacques Palluat de Besset Ariste Pappia Stéphane de Pierres Marcel Planquette Robert Pochet Pierre Polot Spencer Ponsonby Jean du Pré-de-Saint-Maur André Pusinelli Paul Remond Hubert de Rigault Lucien Rom M. Armand Roujol (prof.) Jen Rousseau François Rousselet René Saint-Clair de la Croix Christian Schlumberger Raymond Schlumberger Gilbert Triboulet Maurice Vacher Jean Verdet Jacques Vincent M. Stanley Wilson (prof.) Personnel: Léonard Ane Pierre Bloas Louis Denis Gabriel Jardin Jean-Marie Vallée 1939-1945 1946-1954 1956-1962 Jean Aletti Claude Arnoult Jean Ayral Stanislas Bachelier Amédée Beau Jacques Bertier Jean Bessano Georges de Boisgelin Olivier Bokanowki Michel Boulenger Raymond Cacciaguera Georges Calemard Nicolas Capitanneanu Jean Cappe Robert de Carmoy Bemard Carré de Malbert Antoine de Castex Pierre Catry Jacques de la Chaise Roland Chantala Francis Chapmann Hubert de Chevigny Etienne Claude Philippe Collignon Henri Colomb de Daunant Paul Corbin de Mangoux Gaston Danielo Jean-Claude Dauphin Jacques Debray Jean Delviche Jules Desurmont Bemard Donat Roger Faure Roger Garineau M. l'abbé Gavand Denis Gindorff Emile Gory Daniel Grandjean Géo. Grandjean Christian de Haas Maurice HaIna du Fretay Jean Hochstetter Lucien Issaac Devéze Tim Jahard Jean Kammerer Pierre Kressmann Germain Laguette Daniel Latune Serge Lazarevitch Jacques-Philippe Lebas Roger Lelong Marc Leroy-Beaulieu Edéuard Luchaire Jean Lux Louis Maeght E. Marmissolle Daguerre Henri Marty M. de Masclary (prof.) Claude Massenet Jean-Louis Maubec Gérard Mellon Charles Morange Arthur de Montalembert Pierre Olivier Jacques Paillard Maurice Parisot Gaston Pavin Maurice Pichard Marie-André Poniatowski Jacques-Louis de Pourtalès Alain Prévost Christian Raoul-Duval Jacques de Roussiers Jean de Rousiers Claude Saint-Léger Xavier Schlumberger Olivier Schultz Jean Seuillet Roland Seydoux Jack Sourdis Fred Staehling Henri Tallavignes René du Teilleul Guy Thiercelin J. Thiry de Lespinasse Etienne Tournier Raymond Traumann Daniel Trocme M. Henri Trocme Evrard de Turkheim Daniel Ullern Lodo Van Hamel Gérard Van Hamel Francis Verneuil Gérard Voisin François de Watteville MASLACQ COLLÈGE DE NORMANDIE 1939-1945 1946-1954 1956-1962 Jean Berthomier Olivier Dubos Hervé Giraud Jean-Marie Grach Gérard Lemaistre Max Piraheau Michel de Rousiers Hubert de Seynes Bruno de Scorbiac 1914-1918 Georges Ambanopoulo Henri Aucoc Jacques Audra Jean Badin Ennemont Bailloud Alexandre de Boisgelin G. Bouche (prof.) Archie Brocklehrust Raoul de Cachard Jean Communeau Henry Darcy William Davis Jean Delcroix Jacques Desurmont Maurice Duche Carlo Durazzo Arthur Exshaw Lucien Hallet Raymond Hennessy Louis Fèvre Jean Hoche Gabriel Hugounenq Robert lselin Jean Joire Jean Kehlberger Pierre Lacaussade René Lanchon (Secrét.) Henri Leclerc Henry Lemaître André Marchai Joseph Martin (prof.) André Montreuil François Motte Robert Naegely François Raty Jean-Paul Toutain 1939-1945 Aronovici Jean D'Aulan Claude Bigard Maurice de Boisrouvray Michel Bouchon Boulanger Bemard Donnat Edouard Depeaux Peter Fogt René Gasparius (prof.) Yves Hacart Guy-François Leverdier Liottel Edouard Manset Christian Mirabaud Teddy Rasson Rumham Robinson Pierre-Etienne Sauphar-Henon Pierre Tarle (prof.) Jacques Tartières Roger Waddington Louis Garrone, éternel dans la mémoire de ses anciens élèves “Celui que l’on surnommait Le Patron” L’écrivain et historien Guy Rachet, ancien du Coteau (1946-1948), sera le porte-parole d’anciens rocheux qui, réunis à l’occasion d’un déjeuner amical, ont évoqué au gré de leurs nombreux souvenirs la figure de Louis Garrone. Entré comme professeur en 1925, il ne devait quitter les Roches que quarante ans plus tard après en avoir été pendant vingt années le fidèle directeur. Né en 1900, il est mort en 1967 après avoir épousé à la chapelle de l’Ecole, en 1929, une des filles du directeur Georges Bertier, Monique. Celle-ci, née au Coteau en 1905, était “jardinière d’enfants” au Vallon ; elle lui donna cinq enfants qui tous grandirent, comme elle, aux Roches, d’abord au Vallon, puis à la Colline. C’est en 1998 qu’elle a rejoint son époux, celui que l’on surnommait “le Patron”. “La rencontre s’est faite dans le petit bistrot de la Cité Saint-Honoré, au 154 rue Saint-Honoré, premier étage. Nous étions réunis à six, autour d’une bonne table. Il y avait Dominique Remont, le maître d'œuvre, Alain Amiot (Pins 1952-1958), Alain Baillot (Guiche-Coteau, 1945-1954), Bernard Fabry (Sablons 1946-1951) et enfin Dominique Bachelier (Pins 1952-1957), venu nous rejoindre un peu plus tard. Nous avons ainsi devisé, amicalement, en évoquant nos souvenirs. Avez-vous remarqué que des conditions de vie qui, parfois, peuvent sur le moment nous paraître difficiles sinon pénibles, fastidieuses, avec le passage des ans deviennent dans notre mémoire des instants agréables, inoubliables. Ces périodes le sont plus encore, agréables et inoubliables, à notre souvenir, Louis Garrone. Professeur de lettres et de philosophie de 1925 à 1965. Chef de maison du Vallon de 1931 à 1944. Directeur des Roches de 1944 à 1965. Décédé le 20 juin 1967. lorsque nous les avons vraiment vécues avec intérêt et même une sorte de passion. Il semble que c’est le cas pour un bon nombre de Rocheux, en tout cas pour ceux qui se sont intégrés à la troupe fraternelle des Anciens. On peut évidemment supposer que les autres n’ont pas conservé une mémoire suffisamment plaisante de ces années d’apprentissage pour la perpétuer en compagnie de vieux compagnons de galère. Je ne vais pas vous infliger un compte-rendu détaillé et dialogué avec les noms de chacun des intervenants, comme dans les minutes d’un congrès 39 de barbons ou de jeunes loups. Je me contenterai d’évoquer d’une manière anonyme ce dont il a été question entre nous, comme ça, au gré de nos caprices. Car nous avons évoqué bien des choses, la personnalité et les actions de “maîtres” qui ont marqué aussi bien l’École que nous-mêmes, et vous aussi, sans doute. Comme on dit, à tout seigneur tout honneur. Le premier que nous avons évoqué, que tous nous avons connu, c’est Louis Garrone. Est-il utile de préciser qu’il a été chef de maison du Vallon de 1931 à 1944, puis Directeur de l’École jusqu’en 1965, et qu’il était aussi professeur de lettres et de philosophie, pratique dans laquelle il a commencé sa carrière aux Roches en 1925. De fait, il est resté aussi chef de maison du Vallon et tous ceux qui l’ont alors connu et ont entendu, ne serait-ce que le soir, ses entretiens avec les élèves, dont j’ai été, n’ont pu oublier la hauteur de ses propos, ni non plus le nombre incroyable de cigarettes qu’il grillait en une soirée. Personnellement, je n’ai pas fait aux Roches la classe de terminale et je ne l’ai ainsi pas connu en tant que professeur de philosophie. Mais l’un d’entre nous rapporte : “Il voulait toujours illustrer par des exemples concrets la philosophie qu’il essayait de nous enseigner. Il avait en général des cravates assez voyantes. Pour nous faire progresser il disait toujours : - creuse, creuse ! -. Il mettait une orange sur la table et il demandait qu’est-ce que tu vois ? Pour ses cours de philosophie, il voulait toujours illustrer par des exemples afin qu’on comprenne. C’était, en quelque sorte, son côté socratique. Avec lui on n’apprenait pas de théorie, on apprenait à réfléchir. Il essayait d’éveiller notre esprit”. Évidemment, si l’on s’amusait à demander de consigner leurs souvenirs à tous ceux qui ont vécu ou étudié avec Garrone, on trouverait de quoi remplir un livre 40 entier. Il faut nous restreindre, même pas à l’essentiel. Ce qui m’a paru en partie situer un tel personnage, c’est aussi ce qu’il a pu écrire lui-même. Importante est ainsi la lettre qu’il a adressée, le 18 janvier 1965, aux Anciens, lettre qui, en tant qu’Anciens, nous intéresse au plus haut point, et justifie, s’il en était besoin, l’existence de notre association”. Lettre ouverte aux anciens, par Louis Garrone Cher Ancien, Votre président, avec toute l'autorité qu'il tient de vous, me somme de donner les raisons d'une affirmation que j'ai, à plusieurs reprises, posée, à savoir que l'Ecole a vitalement besoin de ses Anciens. Je m'exécute donc, trop heureux de l'occasion qui m'est offerte de justifier ce qui est, pour moi, une conviction aussi profonde que réfléchie. Au demeurant, l'impatience que depuis plusieurs années manifeste votre Comité de mettre les Anciens au service de leur Ecole rejoint la mienne propre. On peut, et c'est mon cas, penser que l'Ecole ne pourra que gagner à être confiée à des mains plus fermes parce que plus jeunes, mais, à cause de cela même, on voudrait éviter d'être accusé de n'avoir pas fait le maximum pour que l'Ecole continue et continue dans sa ligne. Il y a tant de caricatures des Roches, tant de manières partiales et quelquefois passionnées, de les voir qu'il me faut, au départ, conclure avec les lecteurs éventuels quelques conventions précises. La première est que l'Ecole dont je parle est une institution qui, en aucune manière, ne s'identifie avec tel ou tel homme qui, bien ou mal, a tenu à un moment de son histoire son sort entre les mains. (…) Nous voyons l'Ecole dans le relatif, comme un fait sans privilège aucun, comme une entreprise qui n'est ni une solution définitive, parce qu'elle a à revenir sans cesse sur ces principes, ni même une réalité établie une fois pour toutes, parce qu'elle est sans cesse à refaire, ne fût-ce que pour rester, je ne dis pas “à la page” , ce qui laisserait entendre une soumission aveugle et donc sceptique au monde comme il va, mais pour être à l'écoute d'un monde en constante transformation et éviter d'être une manière de ghetto intemporel. Nous pensons que nous devons nous garder de tout ce qui pourrait, dans l'organisation de l'Ecole, faire obstacle à ce qui a été et doit demeurer, dans les circonstances présentes plus que jamais sans doute, sa raison d'être : un milieu propice à l'éclosion de libres personnalités. Tout cela pour dire que ces lignes s'adressent à ceux qui sont convaincus que les Roches doivent tendre à cette fin, mais qui revendiquent le droit, à mes yeux imprescriptible et, pour l'Ecole, salutaire, de contester tels ou tels des moyens mis en œuvre pour atteindre cette fin. Aussi bien éviterai-je toute polémique pour m'en tenir fermement à l'essentiel. Il ne s'agit pas pour moi de retrouver sous les rides le vrai visage de l'Ecole mais de rechercher à quelles conditions les Roches peuvent durer sans perdre leur raison d'être. Aussi bien est-il nécessaire qu'elles existent pour que soit possible un effort en vue de leur rajeunissement. Les Roches méritent-elles d'exister, si on le pense - et je m'adresse à ceux qui le pensent - à quelles conditions se maintiendront-elles dans l'être ? (…) L'argumentation me paraît si peu négligeable que c'est en partant d'elle que je prétends établir la vérité de mon affirmation : l'Ecole a vitalement je demande que l'adverbe soit pris à la lettre - besoin de ses anciens. Choisir l'Ecole est un risque. C'est certain, c'est même évident. En effet, ses fondateurs et leurs successeurs refusent d'envisager le développement d'un enfant en termes d'équipements et de “consommation naturelle”. L'efficacité, le rendement, ne sont pas impératifs premiers. Aussi bien ontils renoncé à cette puissante garantie que donne l'Etat à l'Ecole publique, l'Eglise à l'Ecole confessionnelle. Choisir les Roches ce n'est pas préférer cette école à une autre parce qu'elle est plus “efficace” et d'un “rendement” meilleur, c'est choisir un certain mode de formation qui, radicalement, est différent des autres. Les Roches sont, au pied de la lettre, une entreprise. Elles ont été voulues comme telles par un homme, Demolins, parachevées par un autre homme, Bertier. Ces hommes ont été des pionniers et leur action, d'une certaine manière, a été héroïque. Ces hommes n'ont pas prétendu créer une école qui serait “mieux que les autres”. Ils ont voulu une école autre. Non pas une école concurrente, mais une école différente. Ils ont parié (et demandé aux familles de parier : qu'on songe à l'audace des familles dont 41 les fils ont été les premiers élèves de l'Ecole... une école qui n'était qu'à peine implantée !) et leurs vies ont été une lutte continuelle, dominée par une volonté farouche d'aboutir, portée par le désir passionné d'amener, au moyen d'institutions appropriées, des enfants et des adolescents à se prendre en charge eux-mêmes, eux et leur travail, eux et leur croissance humaine et spirituelle, eux et les autres. Certes, choisir l'Ecole est un risque. Le risque même de la liberté. Quand Demolins et Bertier parlent d'une éducation de la liberté, ils savent ce qu'ils veulent dire. Ils refusent de mettre, comme on dit, les enfants à l'école. Ils ne reconnaissent pas à l'adulte le droit d'emprisonner l'enfant, c'est-à-dire le créateur non encore façonné, du lendemain de sa naissance à l'orée de l'âge mûr, pour le disposer à mieux remplir sa fonction sociale et même pour en faire le “fidèle” docile d'une église. Ils récusent par principe un type d'école qui ferait des jeunes, des résignés, des acceptants privés de tout espoir d'accomplissement personnel, des “chrétiens” même qui n'auraient pour Dieu qu'une soumission d'esclaves, comme aurait dit Péguy. Ils ne pouvaient, dès lors, compter que sur eux-mêmes et renonçaient d'avance à réclamer l'appui de puissances établies mais encore à recourir à tout procédé d'instruction et d'éducation qui s'apparenterait au dressage ou, comme on dit aujourd'hui, au conditionnement. La situation n'est pas autre aujourd'hui qu'elle était au premier jour. Pour avoir pris une vitesse de croisière l'Ecole demeure une entreprise et un risque. Elle ne peut exister et être elle-même que par la volonté de ceux qui y croient. Qui y croient non comme au Bien et au Mal, mais comme un instrument au service des garçons et destiné à sauvegarder et développer en eux ce qui est essentiel, leurs capacités d'initiative, de courage personnel et pour tout dire de liberté. Et qui pourrait y croire et faire rayonner cette conviction en connaissance de cause, sinon ceux qui grâce aux Roches, au moins pour une part, sont devenus eux-mêmes des “entrepreneurs”, dans tous les ordres, culturel, économique, social et religieux ? 42 Qui donc pourrait témoigner qu'une éducation de la liberté n'est pas une invitation à la licence, au laisser-aller, sinon ceux qui ont appris aux Roches à se tenir debout tout seuls et à conquérir cette maîtrise de soi et ce respect des autres qui sont par eux-mêmes exclusifs de tout caprice ? J'ajouterai encore ceci qui a une importance capitale. On entend souvent dire, même chez les anciens, que l'originalité des Roches tient à son organisation et l'on soutient volontiers que cette organisation est un motif suffisant pour en faire choix. Je crois que c'est demeurer dangereusement à la surface des choses. Je pense même que c'est passer à côté de l'essentiel. Loin de moi la pensée que les maisons, les capitaines, les classes à effectifs réduits, les ateliers, les sports... ne sont pas conditions de vie, en elles-mêmes, favorables. Mais ce sont là superstructures, si l'on peut dire, moyens et non fin. Si le crédit accordé à l'Ecole par une famille est fondé uniquement sur des particularités de cet ordre, je tiens que ce crédit n'est pas motivé. Car enfin rien n'empêche l'Etat, par exemple, d'adopter l'organisation des Roches pour ses établissements. Aussi bien reconnaît-il le bien-fondé de cette organisation et des efforts sont effectivement tentés pour l'instaurer partout. C'est en attendant cette transformation que les seules familles pourvues de larges ressources seraient en état d'en faire profiter leurs enfants en les inscrivant aux Roches ! La nette vision de cette inégalité sociale suffirait, à elle seule, à ne pas vouloir des Roches pour son fils. Car, enfin, est-ce armer pour la vie un enfant que de l'installer parce qu'on en a les moyens, dans une situation privilégiée ? C'est au contraire accepter de gaieté de cœur d'en faire un enfant gâté pour qui l'on choisit un hôtel à quatre étoiles plutôt qu'un hôtel moins constellé. Vous savez bien, vous anciens, que l'Ecole n'est pas cela. Vous êtes seuls même à savoir que cette organisation n'est que cadre, emploi du temps et non vie, si elle n'est utilisée, prise en charge, assumée par les garçons euxmêmes par la pratique de leur initiative, de leur responsabilité et de leur liberté. Vous qui vous êtes construits vous-mêmes en construisant vos maisons, en les faisant vivre, en assumant en esprit et en vérité quelques fonctions ou responsabilités, que ce soient les fonctions de capitaines, de membres d'un comité de maison ou de classe, de responsables d'un atelier ou d'une équipe sportive, c'est vous, et vous d'abord, qui pouvez témoigner que l'Ecole est autre chose qu'un hôtel mieux géré que d'autres. Qui donc pourrait faire entendre aux garçons de l'Ecole, bien sûr, mais à ceux qui parlent des Roches sans les connaître, que l'organisation de l'Ecole ne vaut pas, par elle-même par le sacrifice financier qu'il faut consentir pour y inscrire son fils, sinon ceux qui, par le moyen de cette organisation, se sont découverts eux-mêmes et ont réalisé, grâce à cet instrument, leur personnalité. Il faut avoir l'expérience des Roches pour savoir ce que c'est qu'un esprit qui doit pouvoir trouver, et trouve, dans une certaine organisation, le moyen de s'incarner. L'esprit a besoin du corps, mais le corps sans l'esprit est un cadavre.(…) Pour conclure, je comprends l'Ecole non pas comme une donnée de fait, une institution immuable, définie une fois pour toutes. L'Ecole est une volonté maintenue constante à travers le temps. Elle demeurera et son action sera féconde tant que vous serez cette volonté. Dans un de ses articles, le philosophe Merleau-Ponty félicite Claudel d'avoir dit que Dieu est au-dessous de nous, d'avoir conçu le Tout-Puissant comme ayant besoin des hommes pour le manifester. Toute révérence gardée, j'ose écrire, dans le même sens, que l'Ecole a besoin de vous pour être elle-même. C'est son originalité et son risque. Si l'Ecole est au-dessous de vous, a besoin de vous, elle devient votre tâche. Si vous décidez de vous joindre à ceux qui en ont la charge effective, si, joignant ainsi le passé au présent, vous faites en sorte qu'elle garde un sens, elle servira, aujourd'hui comme hier, à favoriser l'éclosion de libres personnalités capables d'affronter l'avenir et armées pour la vie parce que capables de courage, d'initiative et avides de responsabilités. Je ne dis pas que, même avec vous, la victoire est sûre - rien n'est jamais sûr, le cours des choses est sinueux et il est demandé beaucoup à l'audace, - mais sans vous, sans une action commune des anciens et des éducateurs patentés, cet embrasement, cet éclair que je constate cette année chez les garçons et qui est la justification des Roches, n'a aucune chance de se produire jamais. Le Vallon dont Louis Garrone fut longtemps chef de maison. ■ Louis Garrone, le 18 janvier 1965 Extraits de la “Lettre aux Anciens” publiée in extenso dans L’Ecole des Roches et Louis Garrone dans les souvenirs de Tante Bob. 43 44 Les Roches à Clères de 1950 à 1972 Charlier : un pédagogue à la recherche de la vérité La transplantation de soixante quinze élèves, d’une vingtaine de leurs professeurs, d'André Charlier et de son épouse vers des latitudes plus nordiques fut une rude entreprise. Il leur fallut vivre au milieu des décombres et des travaux dans les anciens locaux du Collège de Normandie, situé près de Rouen, dans la commune de Clères, à l’entrée du village de Mont-Cauvaire. Créé en 1902, cet établissement avait été fondé sur le modèle de l’Ecole des Roches par des industriels rouennais et normands implantés dans l’industrie du coton, en l’occurrence Georges Leverdier, Georges Manchon, Arthur Waddington, Georges Badin et l’armateur François Depeaux. En 1940, il avait dû fermer 1. Il rouvrit ses portes en 1950 lorsque ses différentes maisons furent occupées par l’ancienne annexe de Maslacq. En effet, il avait fallu rendre le château à ses propriétaires. S’était alors posé le problème de nouveaux locaux, car les Roches de Verneuil manquaient de place pour accueillir les élèves de Maslacq. Or, au même moment, le Collège de Normandie commençait à renaître de ses ruines. Déjà, en 1934, les administrateurs de Clères avaient proposé un projet de fusion à la direction de l’Ecole des Roches, qui, alors en pleine prospérité avec plus de trois cents élèves, l’avait refusé. En 1950, les circontances étaient cette fois-ci propices pour les deux parties : le Collège de Normandie cherchait des élèves, tandis que l’Ecole des Roches cherchait des locaux pour son annexe béarnaise. C’est ainsi que Maslacq, petite sœur de Verneuil, fusionna avec sa cousine de Clères. La maison des Tilleuls, une partie des Pommiers, ainsi que la salle des fêtes et la chapelle furent ainsi remises en état. La piscine, le stade, les tennis et les terrains de sport retrouvèrent leur bel aspect André Charlier, professeur de lettres classiques à Verneuil de 1924 à 1939. Directeur à Maslacq de 1940 à 1950. Directeur à Clères de 1950 à 1962. Sa seconde épouse Jeanne a été également professeur à Verneuil, à Maslacq et à Clères. d'alignement, tant et si bien qu'au début des années 60, l'ensemble des dommages causés par la guerre étaient réparés. Et si le Château Blanc ne put renaître de ses cendres, la Tourelle, le Clos et le Colombier rappelaient toujours l'ancien domaine du Fossé. Durant plus de dix ans, de 1950 à 1962, André Charlier fut donc dans la nécessité de reconstruire le 45 Dans ses Lettres aux capitaines (60 documents datés de 1942 à 1960), André Charlier s’adresse aux représentants de l’institution du capitanat. 46 Collège de Normandie désormais dénommé les “Roches de Clères”. Il fut le gestionnaire d’une filiale quasiment autonome de la société mère “L’Ecole nouvelle de Verneuil”. Il poursuivit dans le même style l’œuvre d’éducation entamée à Maslacq. Cette continuité est symbolisée par les Lettres aux capitaines2, ouvrage contenant soixante lettres datées entre 1942 et 1960, qu'il rédigea à Maslacq puis à Clères. Il s'adresse aux représentants de l'institution du capitanat, si fondamentale dans l'éducation rocheuse. Non seulement, il les considère comme des “ouvriers de l'ordre”, c'est-à-dire des animateurs d'une équipe de huit à dix garçons, mais surtout comme les “gardiens de la pureté des âmes”. Plus que les autres, ils sont responsables du patrimoine de l'Ecole. Et, plus que des directeurs de conscience, ils doivent être des “exemples”, leur devoir n'étant pas de former les autres, mais de les aider à se former eux-mêmes : “Montrez à vos camarades qui ils sont”. André Charlier assigne aux capitaines une tâche exigeante. Dans la lettre du 10 janvier 1958, considérant comme essentiels la formation de l’esprit sous toutes ses formes et l’apprentissage de la vie intérieure, il s’adresse à eux en ces termes : “Ne laissez pas vos camarades nous abuser en s'abusant eux-mêmes. Mettez-les en face de leur personnage et montrez leur que nous ne sommes pas dupes. Mais vous-mêmes ayez le courage d'être honnêtes, car il ne s'agit pas d'autre chose que d'honnêteté. L'art de la démission revêt des formes subtiles que vous pratiquez assez bien, en jouant de cette arme aux usages multiples qu'est l'équivoque : la fête de Noël que nous venons de célébrer, où nous voyons le Verbe de Dieu se soumettre par amour à toutes les servitudes de la condition humaine et à tous les sacrifices, donne lieu à l'équivoque la plus effroyable. Le chant des anges à Bethléem, tronqué de sa pre- mière partie : “Gloire à Dieu dans les cieux” devient une sorte de panneau-réclame, de slogan publicitaire de la société moderne. On répète “Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté”, à grand renfort d'arbres de Noël, de bougies roses et de disques de jazz, comme si la vertu incantatoire de ces mots allait transformer notre misérable séjour terrestre en un paradis à la mesure de la médiocrité d'âmes sans désir. Mais nous aurons beau faire, Dieu ne nous laissera pas en paix. Celle qu'Il nous réserve, à laquelle n'auront point part les lâches et les peureux, se conquiert à la pointe de l'épée spirituelle, dans la lumière de la Vérité 2”. Un pédagogue à la recherche de la vérité, tel était Charlier. Selon Pierre Dupuy, professeur à Clères, la plupart des élèves ont vécu l’éducation donnée par André Charlier comme un apprentissage de la liberté et de la responsabilité. Il tient, en outre, à préciser qu’il régnait à Clères un climat de bienveillance et de bonhomie : “Il ne faut pas croire que l’on vivait dans un univers austère. La fête, si j’ose dire, était présente quotidiennement, notamment grâce au théâtre et à la musique. En effet, André Charlier excellait dans la pratique du théâtre qui a d’ailleurs connu un grand développement avec la collaboration d’Albert Gérard qui a réalisé des décors de grande qualité. La musique était également un de ses points forts ; il donnait des appels musicaux en jouant au piano, au clavecin ou à d’autres instruments. Bref, il régnait un climat équilibré qui n’était pas incompatible avec le travail proprement intellectuel et l’atmosphère de vocation à la spiritualité”. Albert Gérard (Verneuil 1928-1940), qui a aussi enseigné à Clères, abonde dans le même sens : “Dans le sens de cette continuité poursuivie depuis Verneuil, nous ne devons pas oublier non plus son activité artistique qui s’exprimait dans ses lectures, la musique et le théâtre, “André Charlier était doué pour le théâtre et la musique”. Au dos du document tenu par A. Charlier on peut lire le texte manuscrit suivant: “Société Nationale des Transports Intemporels. La SNTI informe ses clients qu’elle décline toutes responsabilités en cas de désobéissance aux recommandations prescrites. NON RECOMMANDÉ AUX CARDIAQUES.” toutes choses qui occupaient dans le système éducatif une place égale au cursus scolaire proprement dit”. Pierre Lissac (Clères 1954-1961) en témoigne : “On s’amusait beaucoup à Clères. A la différence de Maslacq où il existait une bande de clowns confirmés, les élèves avaient carte blanche, au moins une fois par semaine, pour exprimer en des productions dont ils étaient à la fois auteurs et interprètes, leurs goûts du comique et du déguisement, sans préjudice des représentations théâtrales traditionnelles qui étaient nombreuses. Ceci se passait lors des appels sur le mode le plus loufoque possible, un peu à la manière du style ‘ Cabaret ’ ; et les professeurs et le ‘patron’ n’était pas économisés dans ces sortes de revues. J’ai eu l’honneur de faire partie, avec mon frère François, de ces ‘ rigolos ’ ”. Enfin, Pierre Dupuy ajoute que la continuité entre Maslacq et Clères était représentée par la parution des Cahiers de Maslacq ainsi que de la revue Questions dont le rôle était de faire valoir les préoccupations éducatives d’André Charlier sur l’avenir de la jeunesse. Il mourut en 1971, neuf ans après avoir passé le flambeau à Henri-Thierry Deschamps qui assura la direction des Roches de Clères jusqu'à leur fermeture définitive en 1972. Comment les Roches de Clères ont-elles traversé ces dix dernières années ? Dans quelle mesure ontelles été influencées par les changements économiques, sociaux et culturels survenus dans les années 60 et au début des années 70 ? Quelle explication donner à leur fermeture ? Dans le rapport moral à l'assemblée générale des actionnaires du 16 décembre 1966, H.T. Deschamps dresse le bilan de l'année en commençant par mentionner les réalisations les plus récentes qui datent de moins de cinq ans : “la construction d'un atelier de ferronnerie et d'un appentis-laboratoire de sciences physiques ; l'achat et l'aménagement d'un vaste gymnase destiné aux sports en salle et aux agrès ; la réfection générale des routes et des chemins, et en particulier de la grande allée d'honneur ; le doublement de surface et le début de modernisation de la cuisine ; un tennis en dur, utilisable en toutes saisons ; quatre nouveaux garages et abris pour voitures et bicyclettes en différents endroits du parc ; diverses améliorations de chauffage et de circulation d'eau dans tous les bâtiments ; enfin, pour couronner ces travaux réalisés par nos propres ressources et sans commune mesure avec le reste, la reconstruction tant attendue de la partie détruite des Pommiers, reconstruction achevée aux deux tiers...”. La transition avec André Charlier est donc bien assurée sur le plan matériel. H.T. Deschamps précise que “la construction supplémentaire a permis l'aménagement de six dortoirs modernes pouvant contenir, selon l'emplacement, de cinq à huit garçons, au lieu de quatre anciens de la même capacité. Elle a permis en outre de donner à cette maison les conditions indispensables à une vie autonome, conditions qu'elle n'avait jamais connues depuis la guerre : un salon de réunion et d'accueil, une salle de détente avec bibliothèque. Un maître de maison a enfin pu être installé décemment, avec sa famille, dans le nouveau bâtiment. Les Pommiers ont maintenant, sous l'impulsion de M. et Mme Ploix et du corps des capitaines, des activités particulières et une atmosphère de maison qui sont indispensables à l'application de notre méthode”. Cette méthode est celle d'une information et d'une éducation complète à laquelle l'école “entend convier ses élèves, dans le cadre serein qui est le sien. Diverses causeries et conférences y ont contribué sur les sujets d'actualité les plus divers, allant de la valeur sportive et morale de la voile aux problèmes de 47 Comme à Verneuil, la nature est toujours présente. 48 l'industrie pétrolière ou à la situation du Vietnam du Sud. Comme de coutume les pauvres et les malheureux n'ont pas été oubliés. Dans cette perspective un de nos jeunes anciens est venu relater son stage de vacances aux asiles hospitaliers John Bost ; un contingent d'élèves a aidé à l'organisation d'un réveillon de quartier des Petits Frères des Pauvres, monté à Rouen par un autre jeune ancien”. Puis H.T. Deschamps relate la fête de la Pentecôte au cours de laquelle “la vie de l'Ecole connaît son couronnement”. “Celle de 1966 s'est déroulée en présence de familles très nombreuses. Lors de la réunion sportive traditionnelle de l'après-midi, le hockey s'est trouvé particulièrement à l'honneur. C'était en effet la première fois que l'Ecole remportait la même année trois coupes de championnat régional de deuxième série, les cadets celle du championnat départemental interclubs, et la nouvelle équipe de minimes celle du championnat scolaire d'académie. Nos élèves avaient d'ailleurs eu l'occasion de manifester leur “forme” physique, notamment à Verneuil, contre l'Ecole Saint-Martin de Pontoise. Outre les performances sportives, l'Ecole a eu le privilège d'accueillir, pour un concert de nuit dans le cadre harmonieux de la piscine, l'excellent Orchestre de Chambre de Rouen. Ceux qui ont pu y assister se rappelleront longtemps cette soirée très poétique, montée avec le concours de plusieurs ateliers de l'Ecole”. L'excellence est l'une des principales qualités qu'exigeait H.T. Deschamps. Sans doute parce que lui-même était un ancien universitaire : ce professeur d'histoire et de géographie avait enseigné à l’université de Louvain aprés avoir soutenu une thèse de doctorat sur la Monarchie de Juillet. De surcroît, il connaissait bien les principes de l'éducation rocheuse, ayant été lui-même élève au Collège de Normandie de 1934 à 1937. Il était ainsi un homme exigeant, attaché “à la puissance créatrice de l'individu et à la valeur fondamentale de la liberté 3 ”. Des anciens élèves ont gardé d'H.T. Deschamps le souvenir d'un homme rigide et intègre, voire autoritaire. C'est en particulier l'opinion de Christian d'Andlau, élève fidèle à Clères de 1965 à 1972, qui quitta l'Ecole, à l'issue d'un conflit avec le directeur, trois mois avant le baccalauréat qu'il prépara en candidat libre 4. Quelle était la cause de ce conflit ? H.T. Deschamps avait appris à la fin du deuxième trimestre que Christian d'Andlau se cachait dans le grenier... au lieu d'assister à la messe ! Celui-ci n'avait jamais contesté l'autorité ni des capitaines ni des professeurs ou du directeur, mais il n'admettait pas que la messe fût obligatoire. Cette anecdote, apparemment anodine, est loin d'être insignifiante. En fait, elle est révélatrice de profonds changements. Quels sont-ils ? La meilleure façon d'évaluer ces changements est de lire les articles rédigés par les élèves eux-mêmes dans la revue Le Phoque. D'une part, ceux-ci nous renseignent sur la vie de l'Ecole, ce sont “les potins du potache”, et, d'autre part, ils donnent des commentaires sur l'actualité politique, sociale et culturelle en France et dans les pays étrangers. Ces articles témoignent ainsi du regard que ces élèves, isolés dans une école au coeur du pays de Caux, portaient sur le monde extérieur. Ce sont des articles d'autant plus intéressants qu'ils n'étaient pas censurés par le directeur. En effet, H.T. Deschamps, aussi autoritaire fût-il, avait la libéralité de laisser publier les articles tels que les élèves les avaient écrits 5. Trois numéros parus durant l'année 1970 (mars, juin, novembre) sont particulièrement instructifs. A leur lecture, on s'aperçoit que les Rocheux de Clères sont non pas des élèves modèles, mais des adolescents soucieux d'exprimer leurs idées sur le monde qui les entoure, leurs incompréhensions et Le dortoir Brindel à Clères vers 1957. leur mal-être. Comme les jeunes de leur âge, les Rocheux de Clères ont été affectés par la rupture fondamentale de l'année 1968. Ainsi, l'élève J.F. Mireur, auteur d'un article sur le problème de la jeunesse vu par un jeune, s'interroge sur le desarroi des adolescents qui cherchent à “s'évader par tous les moyens inimaginables et invraisemblables qui sont à notre portée : drogue, alcool, politique et parfois même la mort”. Il reproche alors aux parents leur mauvaise foi : “Les causes de ces problèmes font que finalement nous découvrons des contradictions trop marquées entre les idées de nos parents et les nôtres. En effet, on nous ingurgite de beaux et grands mots tels “assumer son destin, être responsable, le devoir de l'homme, la valeur morale, participer, la foi dans la religion, etc.”. Mais ce que nous voulons, c'est des moyens vrais et stables qui puissent faciliter l'ascension vers notre poste de demain et d'homme. Si j'avais à juger notre société, je l'accuserais de culpabilité pour tous les moyens actuels d'information qu'elle nous offre : télévision, radio, publicité, roman, etc. qui ne savent la plupart du temps montrer que le côté opposé de la réalité. Nous éprouvons le besoin d'une nourriture pour nous éclairer, nous soutenir, car le chemin de la foi est long et dangereux. La question que je me pose souvent est celle de savoir si cette religion est, ou sera toujours, capable de nous procurer cette “substantifique moelle”, car il est facile de remarquer que, de plus en plus, nous avons tendance à créer de nouveaux dieux ; pour certains, ce sera les Beattles, pour d'autres Che Guevara. Je terminerai en disant que nos parents nous rejettent souvent que le problème ou le drame des adolescents est grave, j'ajouterai qu'il faut constater que celui des adultes l'est aussi ! Chose bien facile à démontrer lorsqu'on les découvre le dimanche matin dans une église glacée, en compagnie, la plupart des fois, de chaises vides ou de gens passifs !”. Les Rocheux de Clères seraient-ils contestataires ou conservateurs ? A l'instar de Thierry Delatre, ils sont les deux à la fois. En effet, à l'occasion du concours d'éloquence organisé à l'Ecole des Roches de Verneuil, il clame “des idées d'avant garde avec une assurance étonnante, tapant sur la table, prenant le public à partie...”. Ce talent lui valut l'honneur d'être le seul élève de toute l'histoire des Roches de Clères à remporter, ce 18 avril 1970, la célèbre coupe d'éloquence fondée par le comte Jean de Beaumont. Ses idées sont originales dans la mesure où leur auteur conteste tout à la fois la société, les jeunes, les parents, relevant leurs faiblesses et leurs erreurs, et termine son raisonnement en refusant “d'être un jeune”, mais en refusant “bien plus encore d'être parmi les anciens”. Faisant allusion aux grèves et aux émeutes de mai 1968, il démontre que “si la jeunesse était seule à contester, cela ne serait peut-être pas grave, mais nos parents ne semblent pas s'accorder eux-mêmes. Chez eux aussi la grève est devenue un fait divers, on supprime la lumière à tous ses petits camarades, on fait des barrages avec de gros tracteurs sur les départementales, et on est de grands garçons. Ce climat entretenu par nos aînés ne semble pas rasséréner les jeunes, loin de là. Il les met dans un état d'instabilité qui les trouble, les perturbe, les désoriente et ces contestations qui pourraient être constructives sont destructrices. Elles se transforment en pugilats, bagarres de rues ; c'est à celui qui brisera le plus. Les meubles des universités volent en éclats et retombent parmi les débris de carreau (...) Mais, les professeurs, les parents le gouvernement, les contribuables, que font-ils ? Ils possèdent force et autorité, peut-être devraient-ils en faire preuve de temps à autre... Non, ils sont là et regardent ; certains compatissent, d'autres encore s'extasient. Certains néanmoins protestent, mais bien timidement de peur d'effaroucher ou de contrarier ces braves petits...”. A l'issue de cet extrait, l'on comprend pourquoi ce discours lui valut la réputation d'un “petit Démosthène en colère (sans caillou dans la bouche)”. Des Rocheux attentifs aux faits de société, mais aussi attachés à la vie de leur Ecole. 49 En 1956-1957, un match de hockey Clères/Verneuil. Une pièce de théatre à Clères. Salle de classe. Ils se réjouissent du retour de leur professeur Emile Guérin, se moquent gentiment de la “R16” de monsieur Medelec, se glorifient d'avoir réussi à introduire, de nuit, une vache dans une des classes. Sans rancune, les victimes de la chasse au Dahut, racontent leur marathon nocturne dans les bois de Clères. Enfin, certains règlent leurs comptes avec ces “animaux curieux” que sont les capitaines. Cette étude de caractères mérite d'être largement citée, car son auteur fait preuve d'un humour remarquablement acerbe: “Le capitaine est une chose susceptible. Ce n'est que lorsqu’il est froissé, que l'on a attenté à son autorité, ou d'humeur méchante, qu'il distribue allègrement “le(s) tour(s) de piste”. Etant moi-même directement intéressé, je me suis vu dans l'obligation d'étudier de plus près ces choses étranges mais non moins captivantes. D'une étude approfondie, j'ai distingué plusieurs variétés de ces oiseaux-là. Tout d'abord, le capitaine obsédé par son examen ne supporte pas le moindre bruit : humeur méchante, n'apprécie que ses propres plaisanteries, au demeurant fort mauvaises. Son leitmotiv “J'ai un bac à passer, môa !!!”. Se reconnaît au fait qu'il traîne la savate, et se promène l'air toujours soucieux, avec son apologie des mathématiques, coincée sous le bras... particulièrement généreux dans la distribution du “tour de piste”. Ensuite, l'on distingue le capitaine écrasé par les responsabilités : a tendance à dramatiser, vit sur les nerfs, et sur l'horaire ; fait beaucoup de bruit, et de ce fait a des cordes vocales hyper développées ; parfois énervant, mais le plus souvent lui-même dépassé par les événements. S'apprivoise difficilement. La catégorie la plus dangereuse est le capitaine fourbe, fureteur, vivant jour et nuit à l'affût en quête d'une proie s'écartant quelque peu du règlement, qu'il connaît d'ailleurs par cœur. Egalement très répandu, mais plus par esprit sportif, que par sens moral. Enfin, le capitaine juste, impartial, conscient de son autorité, possédant un sens de la justice approfondie, 50 sympathique, idolâtré de ses élèves (je ne saurai que trop me proposer) hélas actuellement introuvable malgré les nombreuses recherches”. De l'humour, les Rocheux en avaient à revendre, sans doute parce qu'ils avaient aussi besoin de se rassurer. Ainsi, la revue Le Phoque leur offrit le moyen de s'exprimer, entre eux, avec les professeurs et avec les Anciens. En conclusion d'un éditorial annonçant les préparatifs de la Fête des Anciens, Patrick Laubie écrit : “Dans cet univers en mouvement, comment se trouver, “s'installer”, et pour beaucoup d'hommes, comment demeurer. Que votre présence parmi nous, Anciens, nous fasse mesurer combien l'objectif du Bachot est rassurant dans l'immédiat” . Bon nombre de ceux passés à Mont-Cauvaire doivent en conserver un souvenir ému et nostalgique, le souvenir d'une époque révolue. Pour des raisons financières, les Roches de Clères fermèrent leurs portes en 1972. Le domaine fut alors racheté par le Conseil général du département pour y installer un institut médico-éducatif qui ouvrit en septembre 1974. Cependant, les liens ne furent pas complètement rompus puisque un Ancien est devenu propriétaire de la chapelle. Cette acquisition témoigne d'un attachement spirituel, mais, après vingt années, le temps et les intempéries ont provoqué de bien tristes dégâts. Aujourd'hui, la charpente s'effondre, les murs s'écroulent. A défaut d’être immobilier, le patrimoine de l'Ecole reste spirituel grâce aux souvenirs de ses anciens élèves. ■ Nathalie Duval 1 Nathalie Duval, “Le Collège de Normandie, un collège ‘à l’anglaise’ dans la campagne normande (1902-1972)”, Etudes normandes, n°3, 1992, pp. 39-50. 2 André Charlier, Lettres aux capitaines, 1955. 3 H.T. Deschamps, Rapport moral à l'assemblée générale des actionnaires du 16 décembre 1966. 4 Interview de Chistian d'Andlau, le 03/03/1997. 5 Christian d'Andlau, ibidem. 51 52 1970-1980 : les Roches évoluent avec Félix Paillet “...cette école devenue historique et dont vous avez la responsabilité” Les années 1970-1980 ont connu une importante adaptation de la pédagogie, d'une part à la suite des événements de 1968 et, d'autre part, sous l'influence de l'évolution sociologique en Europe ; chômage et difficultés économiques ont secoué certaines traditions pourtant bien ancrées en France et particulièrement aux Roches ; certaines évidences actuelles restaient incompréhensibles ou inimaginables, il y a trente ans. Mon intervention relatera donc les options de ces années et sera plutôt faite de questions que de réponses péremptoires. A vous, rocheux et rocheuses d'aujourd'hui, de chercher les meilleures solutions actuelles. OUVERTURES Félix Paillet (à gauche) visite l’exposition de TP, lors de la fête de l’Ecole en juin 1971, en compagnie de Yves Hersent (à droite). Au centre Pierre Lyautey, neveu du Maréchal et ancien élève des Roches. Vie de famille ? A cette époque, les parents, dans leur ensemble, ont demandé que soit revu le principe du trimestre entier passé sur place dans les maisons des Roches : les chefs de maison également ont demandé avec insistance une évolution de leur statut ainsi que de celui de leurs épouses. D'épiques discussions pédagogiques ont eu lieu durant les années 70-75 et ont abouti, avant même que ne le fasse l'Education nationale, à une division des trimestres en deux parties égales. Les élèves rocheux retrouvaient ainsi leurs parents toutes les six semaines d'abord, toutes les trois semaines ensuite. Un changement important de mentalité et de pédagogie s'en est suivi : relations avec les parents accrues, mais réduction de l'influence directe des chefs de maison. Jeunes filles aux Roches ? Les Roches sont une sorte d'île anglo-normande où l'éducation séparée garçons-filles paraissait évidente. L'Angleterre a commencé la mixité à cette époque, les Roches aussi, tout en maintenant ces demoiselles de l'autre côté du “rideau de fer”. Les rocheux appelaient ainsi le chemin de fer divisant la propriété et spécialement l'internat ; Guiche, Fougères et Moulin, Pavillon Bessan et Iton, pour les filles, d'un côté de la voie ferrée, et tous les garçons de l'autre. Sauf pour les classes et les invitations officielles, le chemin de fer était théoriquement infranchissable. La mixité s'est avérée très positive au bâtiment des classes : les filles plus studieuses entraînaient les garçons plus désinvoltes ; et même dans l'éducation générale aux Roches, le positif de la mixité a nettement dominé les “distractions”, au sens étymologique du terme. 40% d'étrangers aux Roches ? De tout temps l'Ecole des Roches a été internationale. Vers 1973, pourtant, le nombre d'élèves étrangers a atteint près de 40% des effectifs et plus de quarante nationalités se sont trouvées représentées aux Roches. C'était un choix important autant motivé par l'apprentissage des langues que par souci d'aider des familles venant de pays en difficultés. On a pu suivre ainsi aux Roches les problèmes du monde entier en regardant les nationalités présentes : Liban, Iran, Argentine, Zaïre, Venezuela, toute l'Asie du sud-est, l'Afrique noire et les pays musulmans. L'Ecole a pu prouver qu'il est possible d'éduquer ensemble des enfants d'autant de nationalités sans engendrer de conflit ; bien au contraire, 53 des amitiés très solides sont nées, parfois même entre enfants de chefs d'état en guerre. Toutes les factions libanaises du moment vivaient ainsi ensemble aux Roches et, quand les parents rendaient visite aux enfants, tacitement tous reconnaissaient l'indépendance politique et la non-intervention des Roches : no man's land ! Œcuménisme ? Une autre ouverture au monde s'est très développée dans les années 75-85 : l'œcuménisme. L'arrivée aux Roches de ces nombreux étrangers a remis un peu en question nos “chapelles” catholique et protestante. La tradition chrétienne des Roches n'était pas à discuter mais comment garder et développer cette connaissance et reconnaissance de Dieu aux Roches alors que la plupart des jeunes Français s'en désintéressaient chaque année davantage et que les élèves étrangers voyaient tout autrement l'expression de leurs croyances ? Evelyne Paillet (épouse de Felix Paillet) professeur de mathématiques de 1970 à 1987. Un aumônier particulièrement apprécié des jeunes rocheux, le Père di Falco, est arrivé à intéresser la plupart des élèves à l'existence d'un Dieu très proche de toutes les mentalités. Même si l'ouverture d'une synagogue, d'une mosquée, d'un temple œcuménique a pu paraître prématurée, la possibilité de pratiquer tous les cultes a été favorisée. Et je pense que tous ont profité des similitudes qui les unissaient et ont facilement négligé les divergences qui les divisaient. N'a-t-on pas vu dans plusieurs maisons des Roches des élèves chrétiens accompagner les musulmans dans leur ramadan et tous fêter ensemble un garçon juif à l'occasion de sa Bar Mitsvah ? Ouverture sociale ? Il faut évidemment dire un mot de l'ouverture sociale de l'Ecole des Roches : loin de détourner les 54 familles traditionnelle des Roches, l'admission de boursiers (d'état, de sociétés internationales, des Roches elles-mêmes) a remis un peu en cause le style plutôt “vieille France” que certains chefs de maison risquaient de vouloir maintenir à tout prix. Un choix important a dû se faire vers 1975 entre “vie de château” et “vie de famille”. Self-service ou “petit personnel” nombreux dans les maisons ; entre 1970 et 1980, le personnel de l'Ecole est passé de 159 personnes à 98 ; et cela sans diminuer le nombre de professeurs ni celui des professionnels se consacrant à l'entretien et aux nouvelles constructions des Roches. Il est évident que la période des “semi-bénévoles” était dépassée ; et au contraire il était grand temps de prévoir une retraite légale pour les très aimables demoiselles. Tous les rocheux gardent d'excellents souvenirs de Suzon (Mlle Vannier), Tante Bob (Mlle Boblet), Tante Mathilde (Mlle Torchet) et tant d'autres qui les ont précédées, mais qui ne jouissaient pas de la sécurité sociale car rétribuées surtout en nature ; les Roches étaient leur couvent (leur château ?) et prévoyaient tout pour elles, même une certaine indemnité-retraite, hélas très vite dépassée par l'inflation de ces années 1970 à 1980. D'où une évolution très importante dans le mode de vie aux Roches : self-service au restaurant de l'Ecole, mais aussi prise en charge beaucoup plus importante par les rocheux de leur vie en maison : plus de maître d'hôtel, ni de femmes de chambre, ni de lingères, mais “des enfants à la maison” veillant eux-mêmes à soigner leur linge et le porter à la buanderie, à entretenir dortoirs et salles d'étude, même à améliorer et au besoin repeindre les coins défraîchis de la maison. Si la propreté n'y a pas toujours gagné, Inauguration du circuit TV Roches en présence de Léon Zitrone en 1973. A gauche Jean-Charles Raindre, président AERN de 1972 à 1975. A droite Etienne Dailly, vice président du Sénat et ancien de l’Ecole. la pédagogie s'en est trouvée aidée et le sens social des rocheux approfondi. Le self-service ne s'est pas limité aux maisons : la construction du C.A.D. (Centre d'Auto Documentation) a eu lieu à l'occasion du 75ème anniversaire de l'Ecole ; son but essentiel était le self-service intellectuel : les élèves s'y entraidaient pour l'apprentissage des langues, de l'informatique, des sciences, des religions grâce à toutes les techniques audiovisuelles naissantes qui déjà y avaient été concentrées. Constructions nouvelles et aménagements indispensables. Félix Paillet (à droite), en compagnie de Raphaël Marmara, lors d’une remise d’insignes aux capitaines des Fougères. Centre d'Auto Documentation, Laboratoires et Bât. Il vient d'être question du Centre de Documentation qui a représenté un investissement très lourd pour le budget de l'Ecole, mais dont l'intérêt pédagogique était évident. Il en va de même pour les labos de langues et les labos scientifiques au bâtiment des classes : plusieurs mises à jour successives et très coûteuses ont eu lieu en quelques années. Toute la méthodologie de l'enseignement se trouvait modifiée par cette auto-documentation et cette approche très différente et personnelle du savoir. Dans le style “faites-le vous-même”, citons tous les efforts, pas toujours couronnés des succès espérés, pour l'entraide entre rocheux au bâtiment des classes : si les élèves de terminales scientifiques travaillaient facilement entre eux en mathématiques, les plus jeunes restaient très prudents sur leurs connaissances et partageaient moins ce qu'ils avaient acquis... sans doute par peur d'être considérés comme flagorneurs ! Les représentants des pays jeunes apprenaient avec passion leur langue aux amateurs, les férus d'informatique ne semblaient pas gênés d'expliquer leurs trouvailles. Ateliers. Il faut citer de suite tous les ateliers d'élèves créés ou modernisés avec le même principe “faitesle vous-mêmes”: La télévision intérieure, plus intéressante encore à produire qu'à regarder ; les labos photos et tous les reporters en herbe qui ont réalisé des documents historiques sur les Roches ; l'imprimerie de l'Ecole qui a publié tous les documents d'information sur l'Ecole, même la “pub” en couleurs, et re-publié l'Echo des Roches, tombé en désuétude ; et l'atelier maquettes d'où sont sortis de fameux avions, voitures et bateaux téléguidés ; l'atelier cinéma qui, en parallèle avec la télé, a produit plusieurs films primés (Le Grand Meaulne, par exemple, en lien avec le bâtiment des classes et la littérature) et un film sur les Roches encore de mode 25 ans après son tournage ; l'atelier théâtre, reconstruit d'ailleurs par les jeunes comédiens des Roches à côté du restaurant et où se sont donnés de mémorables spectacles classiques ou très contemporains; l'atelier mécanique qui a construit des karts avec de vieux lits... et des moteurs de tondeuses à gazon (la piste de karting date de cette période) ; l'atelier aéronautique qui, en liaison avec l'aéroclub de l'Aigle, a permis à de 55 nombreux rocheux de passer leur licence de vol (parfois même avant leur permis de conduire !) le fermier voisin, en échange d'une récolte de foin, à couper luimême avec des élèves, nous ayant réalisé une piste d'aviation ; sans oublier l'atelier électronique (à la base de la vocation technique de nombreux rocheux ingénieurs) ; l'atelier cuisine, l'atelier menuiserie, l'atelier couture, l'atelier reliure et d'autres encore. Maisons d'élèves Fête de l’Ecole 1971. La légende de Pâris, spectacle théâtre et cinéma. Très souvent, les anciens ont reproché aux Roches de mal entretenir les différentes maisons d'élèves. Et pourtant, dans le budget constructions, celui de l'aggiornamento des maisons n'était certes pas le moindre. Que de discussions sur “dortoirs ou chambres pour deux ou trois rocheux” ? Pour les garçons de ce temps-là, pas d'hésitation. La vie de dortoir est essentielle et chaque capitaine tenait à avoir son dortoir. Pour les filles, et spécialement celles en classe terminale, l'évolution a été dans le sens des chambres. Ce qui a nécessité une refonte totale du Moulin, puis de la Guiche et des Fougères, enfin du Pavillon Bessan et de l'Iton. Soixante-dix chambres ont été aménagées dans les différentes maisons de jeunes filles. Des bibliothèques de maison ont été réaménagées, des salles à manger transformées en salle de séjour et toutes les chaudières ont dû être remplacées dans les maisons pour maintenir une température “normale”. Gymnase et terrains de sports (foot, basket, tennis) Le gymnase actuel a été bâti vers 1973, pour élargir les possibilités de l'ancien pavillon de boxe. Sa conception a suscité de nombreuses discussions dans les réunions de chefs de maison et de professeurs de sport. Sports en plein air, par tous les temps ? sports en salle ? Les très anciens rocheux 56 “Le restaurant a été créé, puis agrandi...” Monsieur et Madame Blanc dans la salle à manger Vallon du restaurant central,1970. préféraient le sport en plein air et ont lutté contre la création du gymnase (évident aujourd'hui). Quatre nouveaux terrains de tennis ont été construits entre 1978 et 1984 et, depuis 1985, un tennis couvert jouxte la piscine. De nouveaux terrains de foot ont été organisés dans l'Ecole, derrière le gymnase, à la place du terrain des Champs devenu dangereux à atteindre par la grand-route devenue très passante. Restaurant et Routes Le restaurant a été créé, puis agrandi et prévu pour les 450 rocheux présents aux Roches vers 1980. Après un incendie malheureux, une toute nouvelle cuisine centrale a pu être reconstruite et rééquipée. Les routes ont été macadamisées en plusieurs tranches ; les premières de 1972 méritaient déjà une reprise du revêtement dès 1987. Contribution des parents Dans les nouveautés, peut-être faut-il souligner la diminution de plus de 30 %, en francs constants, des frais de scolarité aux Roches, entre 1970 et 1985. Ce n'est qu'à ce prix que les élèves ont pu atteindre le chiffre record de 450. Démonstration de karting des TP de mécanique à la fête de l’Ecole en 1980. Pour que leur enfant soit admis aux Roches, il était demandé pourtant aux parents d'acquérir des actions des Roches pour une valeur proche de la scolarité d'un trimestre environ. Ces actions pouvaient être revendues au départ de l'élève. Ceci a permis de régulières augmentations de capital et ainsi de couvrir les importants frais de constructions ; de plus, il s'agissait d'une garantie de paiement pour les familles étrangères. Beaucoup de familles ont gardé leurs actions par sympathie pour l'Ecole et le nombre important d'actionnaires trouve là une de ses sources. Un changement d'optique au conseil de l'Ecole a ensuite réaugmenté ces contributions des parents et peut-être accentué paradoxalement les difficultés financières des années suivantes. Un choix était possible, là aussi. Peut-être a-t-on vu trop tard que ce n'était pas nécessairement le bon ? Un choix, par ailleurs, fut excellent : celui de reprendre la gestion puis la propriété du Collège de la Tournelle à Septeuil. La direction sur place ne désirait plus dépendre de Saint-Martin de Pontoise. Pour une somme dérisoire, les Roches ont eu ainsi pendant des années une pépinière de jeunes élèves aux Petites Roches qui faisaient renaître l'enseignement primaire qui jadis existait aux Roches à la Guichardière. Une vingtaine d'années ni glorieuses ni futiles, mais d'évolution importante pédagogique et matérielle dont des centaines de rocheux et rocheuses ont profité pour grandir et s'armer pour la vie. Pour ma famille et pour moi-même, nous reste le souvenir d'années très heureuses aux Roches : cela malgré les occupations et préoccupations constantes, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 ; soucis des élèves au caractère en général plutôt trempé, soucis pour les différents personnels, tous trop chargés ; soucis financiers : chaque matin en se levant la direction doit trouver le paiement d'une centaine de salaires, un chiffre exorbitant pour le nombre de familles d'élèves. Soucis administratifs aussi avec une académie voyant d'un assez mauvais œil la liberté pourtant relative des Roches. Souci pédagogique surtout pour maintenir le niveau de l'Ecole et le développer, souci pédagogique aussi de veiller à l'unité de vue chez les chefs de maison et enseignants, souci d'un président de PME dont le conseil est formé d'excellents bénévoles débordant tous de bonnes idées, mais laissant à la direction le soin de réaliser des objectifs parfois contradictoires. Pardon encore pour les erreurs, merci pour tous les encouragements reçus ! Mais, en définitive, ce n'est pas le passé qui vous intéresse et me préoccupe actuellement mais ce que vous ferez des Roches, cette Ecole devenue historique et dont vous avez la responsabilité. Les Roches seront ce que vous en ferez ! ■ Félix PAILLET (Directeur de l'Ecole des Roches de 1971 à 1987) 57 Les filles aux Roches La mixité est entrée aux Roches officiellement à la rentrée de septembre 1970. L’année précédente, l’Ecole avait déjà commencé à accueillir des filles à la demande de quelques parents désireux de placer dans une seule et même école leurs enfants, frères et sœurs. Cette demande était concommitante aux difficultés financières que traversait alors l’Ecole et se situait dans le contexte d’après-mai 68 et d’une ouverture généralisée à la mixité dans de nombreux établissements scolaires. L’arrivée des filles a été vécue par beaucoup comme un véritable bouleversement même si la gent féminine avait été présente dès les premières années de l’Ecole avec des femmes-professeurs et des filles d’enseignants qui pouvaient suivre gratuitement les cours dans les mêmes classes que leurs camarades masculins. Malgré les protestations de certains, les effectifs féminins ont crû tant et si bien qu’en 1973 l’Ecole des Roches accueillait, dans trois maisons aménagées à cet effet, 71 filles sur un total de 343 élèves. Les années suivantes, leur nombre n’a cessé d’augmenter sans jamais toutefois dépasser celui des garçons. Des Rocheuses font aujourd’hui partie de l’Association des Anciens élèves. L’une d’elles nous fait part de ses souvenirs : “J'ai découvert tout d'abord l'Ecole lors d'un stage de vacances d'été. Ce n'était pas un stage de renforcement scolaire ou linguistique comme il en existe aujourd'hui, mais un stage sport-vacances d'équitation. Etant fille unique, l'Ecole était pour moi une excellente expérience de vie en communauté que j'avais très envie de connaître indépendamment du plaisir de pouvoir concilier équitation et études. Ma maison était celle des Fougères où 60 filles de tous âges vivaient sous un même toit, ce qui n'était pas toujours facile. Nous étions chaperonnées par notre chef de maison, à l'époque Monsieur Marmara. 58 les garçons et vice versa, les batailles de polochons... Les anecdotes sont nombreuses. Un jour, les garçons d'une maison avaient, dans le courant de la nuit, introduit la vache d'un agriculteur voisin dans le bâtiment des classes. A la plus grande stupéfaction de tous, ils avaient fait monter la pauvre bête dans le couloir du premier étage qui était jalonné de bouses de vache. Quel étonnement et quelle panique générale à la première heure des cours ce matin là ! Une autre fois, un groupe d'élèves avait rassemblé dans la nuit toutes les chaises de classe sur le toit des bâtiments. Evidemment, nous n'avons pas eu cours le lendemain matin. Il y a eu aussi la fois où, en plein hiver, quelques garçons, pour faire une blague aux filles, se sont en pleine nuit glissés aux Fougères dans la pièce réservée aux casiers des chaussures pour s'en emparer. Au petit matin, il ne restait plus une seule paire de chaussures, toutes les autres s'étaient volatilisées. Il a fallu alors se rendre en classe en petits chaussons ! Et, grande surprise, toutes les chaussures des Fougères nous attendaient, parfaitement alignées, sur les marches des bâtiments. De ce passage éclair aux Roches, je garde quelques amies et des contacts grâce à l'association des anciens à Paris qui m'a permis de les retrouver. Il arrive en effet que les contraintes de la vie nous amènent à prendre des directions différentes et, avec le temps, s'installe la distance. J'ai également fait connaissance avec d'autres anciens de générations différentes qui se sont croisées. Et ce, non seulement pendant mais aussi avant et après ma scolarité aux Roches. Ayant fait toute ma scolarité dans l'enseignement public, à l'exception des deux dernières années dans le privé, si j'avais pu connaître l'Ecole des Roches plus tôt, j'y aurais volontiers passé trois à quatre années supplémentaires même si, sur le moment, ces années m'avaient semblé longues et ennuyeuses ! Une foule de visages défilent dans ma mémoire, en particulier ceux de mes professeurs Philippe Cognacq (économie), Jean-Pierre Maupas (philosophie), Madame Pinzaize (gymnastique), Henri Ruault (anglais), que l'on appelaient “Jumbo”, Madame Cacheux (histoire-géographie), Maître Christian Potier (équitation), Yves Hersent (en dessin). Bien sûr, les études sont importantes mais profiter de l'infrastructure de l'Ecole et des moyens qui nous sont offerts, ce n’était pas négligeable non plus pour l'équilibre”. Inoubliables sont les bonnes parties de tarot avec Monsieur Marmara, les disputes entre filles, les réconciliations, les descentes de filles chez ■ Florence BROUSSAL (Fougères 1981-1982) L’Ecole des Roches change de millénaire Par le Comité de l’AERN, Association des Anciens Elèves de l’Ecole des Roches et de Normandie. “...Un pari insensé ? Un pari gagné !” En septembre 1990 a lieu la première rentrée scolaire d’une nouvelle ère. Les nouveaux animateurs de l’Ecole des Roches, Madame et Monsieur Kaminsky, s’engagent à la conduire jusqu’au millénaire suivant. Un pari insensé ? Un pari gagné ! L’Ecole des Roches est aujourd’hui une Centenaire qui se porte comme un charme. Une école différente Dans l'éditorial de la nouvelle brochure publiée à l’occasion du passage de l’Ecole sous contrat d’association avec l’Etat, Claude Marc Kaminsky, en tant que Président de l’Ecole des Roches, annonce son intention de respecter les spécificités du projet éducatif de cet établissement qu’il sait unique dans le paysage scolaire français. Revendiquant qu'“Ici l’avenir a une histoire”, il se place sous la figure tutélaire du sociologue-éducateur Edmond Demolins, fondateur de l’Ecole des Roches en 1899 sur le modèle des écoles britanniques. Il est convaincu que, “Révolutionnaire à son époque, son projet pédagogique demeure, un siècle plus tard, d’une étonnante modernité”. Il énonce alors les axes de cette pédagogie pour laquelle il se passionne : le tiers temps pédagogique qui “crée une dynamique nouvelle où les études, les sports, les activités manuelles (travaux pratiques à l’époque) se conjuguent pour un plein épanouissement de l’adolescent”. Le credo traditionnel des Roches est repris : “l’Ecole favorise l’équilibre harmonieux entre des études solides, des activités physiques nombreuses, une créativité permanente et la formation du caractère”. Au - delà de l'enseignement, une éducation de “Citoyen du Monde”. Car c’est bien la formation du caractère et l’excellence de l’éducation qui justifient le choix par les parents d’inscrire leur enfant dans un établissement qui ne ressemble en rien à un internat classique. La vie est organisée en Maison pour concilier le maintien d’une ambiance familiale et l’apprentissage de l’autonomie et de la responsabilité. Chaque maison est confiée à un couple : le chef de maison et la maîtresse de maison, eux-mêmes épaulés par les élèves les plus responsables : les capitaines. Les piliers sur lesquels repose toute la spécificité rocheuse sont donc conservés. Ils contribueront à atteindre l’objectif que la nouvelle direction propose aux parents auxquels elle s’adresse : “préparer en toute sécurité leurs enfants aux défis de l’avenir et de la mondialisation, en s’appuyant sur les principes qui constituent notre héritage, avec des moyens réactualisés, modernes et dynamiques”. Le mot de la fin affiche les ambitions de cette nouvelle Ecole des Roches : “La nouvelle direction et l’équipe pédagogique, animée par M. Daniel Venturini, mettent tout en œuvre pour promouvoir : mieux qu’un enseignement… une éducation, une culture internationale !” Le rayonnement international Durant la dernière décennie du XXe siècle et dans la perspective de la célébration de son centenaire, le campus de 60 hectares sur lequel s'étend l’Ecole des Roches a été sauvegardé en tant qu'infrastructure intellectuelle, culturelle et sportive capable de générer une synergie entre adultes et enfants, tout en ouvrant ses fenêtres sur le monde. Toujours situé au cœur de la campagne normande, il s’est inscrit dans une dynamique qui a dépassé nos frontières hexagonales. L’enseignement des langues en est devenu le moteur, contribuant à l’alimenter en forces vives venues des horizons les plus lointains. C’est ainsi que, depuis 1990, le nombre des élèves, garçons et filles, est en croissance régulière et s’enrichit 59 des nationalités les plus diverses. Il a augmenté de 180 %, passant de 110 à 302 en 1999 tandis que les étrangers représentent environ 40 % des effectifs. L’Ecole a pu se réjouir en 1998 d’accueillir, pour la première fois dans un internat français, une dizaine d’élèves chinois. Certes, après la crise économique des années 1997 et 1998, les sources en Corée se sont quelque peu taries mais les élèves coréens déjà inscrits sont restés. De même, après la dévaluation du franc CFA, les élèves en provenance d’Afrique se sont faits plus rares, mais l’Ecole maintient ses effectifs grâce à ses efforts pour prospecter de nouveaux pays tels que, en Asie, la Chine et l’Inde ou encore, en Amérique du Sud, le Venezuela et le Brésil. En novembre 1998, elle participait, dans le cadre de l’organisation “Edu - France” qui regroupe de grandes écoles et universités françaises, à la “semaine française” inaugurée au Mexique par le Président de la République Jacques Chirac. Celui-ci n’avait d’ailleurs pas manqué, en réponse aux vœux de l’année 1997, de féliciter l’Ecole des Roches “pour la démarche originale qui inspire son projet pédagogique visant à rendre l’enfant Citoyen du Monde”. Deux cursus en synergie Car telle est bien l’ambition suprême qu’affichent les Roches dont l’ancienne devise “Bien armé pour la vie” a été complétée par la notion “…et Citoyen du monde”. L’enseignement des langues est assurément l’élément qui justifie cette prétention à l’internationalisation. Non seulement l’Ecole des Roches propose à ses élèves à un grand choix de langues vivantes, mais elle se spécialise aussi dans l’enseignement du français comme langue étrangère. De fait, sa vie scolaire s’organise en deux grandes unités : un cursus traditionnel qui prépare au baccalauréat (sections L, ES, S), en privilégiant l’apprentissage de l’anglais complété par un séjour de plusieurs semaines par année en pays anglo-saxon et un cursus international qui, dans le cadre de la section "Français 60 Langue Etrangère" (F.L.E.), accueille des élèves non francophones. Ce faisant, depuis 1990, leur part a augmenté proportionnellement au nombre total des élèves. A la rentrée de septembre 1998, l’Ecole comptait 129 étrangers pour 174 Français. L’Ecole des Roches est désormais l'une des rares écoles de langues en France (peut être même la seule) à proposer un internat international, laïque, mixte et permanent. Ses élèves non francophones, qui deviennent bilingues en 10 mois, sont intégrés progressivement, en fonction de leur niveau, dans le cursus français. De plus, elle offre à ses élèves la possibilité de passer des examens en langues étrangères comme par exemple ceux de Cambridge et du SAT pour l’anglais, de Cervantès pour l’espagnol et du Gœthe Institut pour l’allemand, tout en présentant ses candidats au Diplôme d’Etudes en Langue Française (DELF). Promotion de la langue française L'ambition de l'Ecole des Roches : favoriser les échanges internationaux, dans l'esprit de l'UNESCO, pour promouvoir l'Education du Citoyen du Monde du 3ème millénaire, a incité tout naturellement son Président à accroître, avec enthousiasme et esprit d'entreprise, le rayonnement international du campus et, subséquemment, celui de la France. Par ailleurs, membre actif de "Maison de France", elle a également développé, dans le monde entier, des actions multiples telles que le parrainage financier de concours de français, la sponsorisation culturelle et artistique, des salons, colloques, jumelages et accords de coopération. Au nombre de ces pays, témoins de cette promotion de la langue française, outre la Russie depuis 1994 et la Chine depuis 1997, figurent de nombreux pays de l’Est (Bulgarie, Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque, Ukraine), des pays d'Europe occidentale (Allemagne, Angleterre, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Hollande, Italie, Suède) et, audelà, d'Asie (Corée, Singapour, Japon), d'Afrique (Maroc) et d'Amérique latine (Mexique, Pérou, Venezuela). Ecole associée à l'UNESCO Cette ouverture internationale et linguistique lui a valu l’honneur d’être reconnue Ecole associée à l’UNESCO. En novembre 1999, une délégation internationale de quinze de ses élèves était reçue par Federico Mayor, le Directeur Général, qui remit solennellement et officiellement à l’Ecole des Roches le drapeau de cette prestigieuse institution. Bénéficiant de cette notoriété de qualité, elle renforce son positionnement linguistique en créant à Paris, en août 1994, une filiale : PERL (Paris Ecole des Roches Langues). Ce nouvel établissement d'enseignement supérieur lui permet d'accueillir sur ses trois sites, normand (Verneuil-sur-Avre), versaillais (Les Petites RochesLa Tournelle) et parisien (rue Spinoza) des enfants, adolescents, étudiants et adultes, en Français Langue Etrangère. Un internat – campus Si la section F.L.E. se perfectionne et se développe au fil des années, l’internat en tant que tel reste en permanence ouvert. Occupé l’été par les élèves en stages linguistiques, il accueille, l’année durant, pour environ 300 élèves, 285 internes mais aussi quelques demi-pensionnaires (une dizaine) et de rares externes (5). Les garçons, majoritaires à hauteur de 160, sont hébergés dans quatre Maisons ; les Fougères, les Pins, le Coteau et les Sablons, tandis que les filles logent dans trois autres ; la Colline, la Prairie et le Vallon. Quant aux 130 élèves étrangers, francophones inclus, ils regroupent plus de quarante nationalités dont les plus représentées sont, à ce jour, par ordre d'importance, russe, chinoise, mexicaine, coréenne, américaine, irlandaise et ukrainienne. Tous, français et étrangers, se côtoient au sein du vaste parc de 60 ha où ils sont hébergés par tranche d’âge. L’internat étant permanent, ils peuvent rester tous les week-ends en période scolaire, mais aussi sortir chaque weekend, un week-end sur deux ou ponctuellement. 5 axes pédagogiques Dans ce cadre exceptionnel où s’exprime une véritable culture internationale, l’équipe pédagogique entend décliner son projet en cinq axes qui sont, outre bien sûr les langues ; la synergie, l’encadrement, l’éthique et l’ouverture. - Ouverture sur le monde grâce à des voyages linguistiques et des échanges culturels. - "Plus-value" par les langues, 3 langues étant possibles dès la 6ème avec cours par niveau en anglais, allemand, espagnol et russe. - Synergie entre les activités intellectuelles, sportives et artistiques. - Encadrement convivial et stimulant par les Chefs de Maisons et les Capitaines. - Ethique favorisant l’esprit d’entreprise et la prise de responsabilités. Des résultats à la hauteur de ses ambitions Grâce à une méthode favorisant le soutien individualisé et la valorisation des progrès selon un rythme intensif mais équilibré, elle affiche 93 % de réussite au baccalauréat pour les élèves entrés au plus tard en classe de seconde et près de 69 % pour l’ensemble des candidats entre 1993 et 1999. Aux épreuves sportives, l’Ecole se place parmi les trois premiers établissements de l’Académie. En plus des travaux pratiques, elle organise des animations culturelles, artistiques et ludiques. Tout en restant attachée à la traditionnelle Coupe d’Eloquence, elle a innové en lançant une “Cadet’ Entreprise”. Cadet’ Entreprise, EDC et AERN Animée, malgré leur travail et leur préparation d’examen, par les Rocheuses et Rocheux de la filière E S, la “Cadet’ Entreprise” est inspirée des “Junior entreprises” des écoles de commerce. Créée en 1991 par C.M. Kaminsky en collaboration avec le professeur d’économie, elle a pour but pédagogique 61 d’initier les élèves participant au projet à la gestion d'une société virtuelle mais qui fonctionne comme une vraie. Ces élèves travaillent en liaison avec les étudiants de l’EDC - Entreprendre Diriger Créer - dont le Président est Alain Dominique Perrin, PDG de Cartier. C’est d’ailleurs à l’initiative de deux anciens, Jacques Sihma et Jean-Jacques Séra Martin que le rapprochement entre l’Ecole et EDC a été effectué : Alain Dominique Perrin est venu faire une conférence et s’est dit impressionné par “la qualité d’écoute et la qualité des questions”. Les entrepreneurs en herbe apprennent à faire une étude de marché, à définir les produits ou services, à élaborer une stratégie commerciale, à organiser des manifestations, à établir un programme et un budget, à rechercher les clients potentiels ainsi que les sponsors... Polyvalents, ils ont défini quatre projets principaux à court et moyen terme : - la publication d’un Year Book. Le premier exemplaire est sorti à l’occasion de la fête de l’Ecole en juin 2000. - l’organisation d’un tournoi de tennis, - l'organisation de conférences et l’animation de concerts, - la création d’un festival international de jeunes virtuoses. Les anciens élèves ont été invités à accompagner cette initiative jugée excellente. Symboliquement, lors de la fête de l’Ecole qui clôturait l’année 1999-2000, leur Président, Christian Calosci, proposant une entraide entre l’AERN et la “Cadet' Entreprise”, remettait un chèque de soutien à l'un de ses membres. Il distribua également l’insigne de l’AERN à chacun des capitaines sortants, exprimant le souhait de les voir rejoindre ses rangs. Le président entend, en effet, développer une coopération efficace entre l’Ecole et l’association de ses anciens élèves. Son souhait, en concertation avec le Président de l’Ecole, est de développer un parrainage par les Anciens, lequel favoriserait la promotion de l'Ecole des Roches en France. 62 Le centenaire, tremplin pour un nouvel élan La célébration fort réussie du centenaire, le 26 juin 1999, y a fortement contribué. L’événement suscita un bel engouement chez les anciens élèves (ils étaient plus de 300) qui s’y associèrent, ainsi que chez les jeunes élèves qui participèrent à de nombreuses animations artistiques et rencontres sportives. Le soleil était au rendez-vous et illumina de tous ses feux le déjeuner champêtre et les manifestations qui le suivirent sur la grande pelouse au pied de la superbe maison de la Prairie. L’événement fut relayé par les médias, presse et télévision, qui lui consacrèrent articles et reportages. Mais l’Ecole des Roches ne peut se contenter d’être la vedette d’un jour. D’autant plus qu’elle ne cesse, année après année, d’afficher des bilans encourageants, annonciateurs d’un avenir des plus prometteurs. Tout d’abord, elle continue d'investir dans des travaux de restauration et modernisation (l’ancienne infirmerie rebaptisée “Maslacq” devrait être la prochaine étape). Les dégâts causés par la tempête du 26 décembre 1999 ont dû être rapidement effacés, que ce soit le toit endommagé de la maison Coteau-Sablons ou les réseaux électriques et téléphoniques désormais enterrés. Quant aux 854 arbres arrachés, pour la plupart centenaires, ils espèrent que leurs remplaçants feront preuve d'une longévité identique. Enfin la chapelle, principale victime de cette catastrophe, ne pourra pas, elle, être reconstruite à l’identique. S’engageant avec confiance dans le nouveau millénaire, sans couper avec ses racines, l’Ecole des Roches, malgré les obstacles et autres aléas, contrebalancés par la volonté et l’énergie de sa direction, se veut une école résolument ouverte sur le monde et surtout sur l’avenir. Plus que jamais, selon le nouvel adage, “Ici, l’avenir a une histoire”. Les années 1990 les Roches s’internationalisent Coupe d’éloquence 1959. 1/Antoine de Clermont. 2/Guy Miellet. 3/Pierre Lyautey. 4/Maurice Faure, président du jury. 5/Jean de Beaumont. 6/Louis Garrone. 7/Arnaud de Foucher (Coteau). 8/Alain Barthélemy, alias Alexandre Balou à la TV (Pins). 9/Edouard Manset (Sablons). Plus de quarante nationalités sont représentées à l’Ecole des Roches. Il est ainsi possible d’y vivre in situ l’internationalisation. C’est le cas de Julien Hamon qui est resté deux ans aux Sablons (1993-1996) avant de suivre des études supérieures dans une école de commerce international à l'IFI Rouen. Il considère que son expérience à l’Ecole des Roches a orienté le choix de ses études et de sa vie future. “L'Ecole des Roches est réputée pour son cosmopolitisme. Se côtoient ici beaucoup de nations et, de ce fait, c'est un peu un “mini-monde” qui s'offre à vous. Quelques dizaines d’hectares de Normandie qui réunissent les cinq continents et vous qui, au milieu de cet univers, pouvez vous nourrir des richesses qu’apporte chaque culture. C’est à mon sens important d’y prêter attention car savoir vivre aujourd’hui aux Roches en harmonie avec les autres vous permettra demain de vous adapter naturellement à un pays que vous ne connaissez pas et à des gens nouveaux. D’un point de vue intellectuel, si vous gardez les amitiés que vous liez, c’est un tissu de relations d’amitié qui s’étendra sur le monde entier. Pour ma part, j’ai des amis au Mexique et en Europe, mais j’ai côtoyé aussi des Japonais et des Africains avec qui, malheureusement, je n’ai pas gardé contact. Je me souviens d’avoir discuté bien des fois avec des amis de continents différents. C’était enrichissant car ils m’apportaient une vision différente de celle de la télévision ou des livres et de la presse. Un apprentissage ludique, intéressant, vivant et chargé d’amitiés. Cette expérience m’a aidé, en plus de mon éducation, à cultiver une ouverture d’esprit sur le monde, une certaine forme d’écoute, de compréhension. De ces discussions et amitiés ont découlé plusieurs voyages : en Angleterre à plusieurs reprises, au Mexique, mais aussi en Afrique du Sud, lors du voyage de récompense de la Coupe d’Eloquence que j’ai gagnée en 1996. Vous avez ici toutes les chances et opportunités pour choisir une ligne de vie, celle de l’ouverture. Je vous invite donc à y prêter attention, à vous en souvenir et surtout à la cultiver”. 63 64 2 L’Ecole des Roches à travers le prisme de la Seconde Guerre mondiale 65 66 Ils sont encore nombreux les témoins de cette période qui vit l’occupation et la fin de l’occupation à l’École des Roches même. Cet aspect de l’histoire des Roches a été couvert par une série de témoignages. Pour ouvrir ce nouveau chapitre des péripéties rocheuses, commençons par donner la liste de ces Anciens qui vont apporter leur précieux témoignages sur cette époque si lointaine, déjà, et pourtant si proche, encore : Patrick André, 1935-1944 Coteau, Vallon, Champs Antoine Berge, 1939-1946 Coteau, Vallon, Guiche, Prairie, Colline Jean-Claude Flageollet, 1940-1948 Pins, Vallon, Guiche Michel Le Bas, 1936-1943 Vallon Michel Marty, 1932-1942 Guiche, Vallon Philippe Mussat, 1939-1948 Pins, Vallon, Guiche, Sablons Michel Poutaraud, 1931-1942 Guiche, Vallon, Maslacq, Champs Paul Renaud, 1940-1946 Vallon, Guiche, Sablons Robert de Toytot, 1941-1949 Vallon, Guiche, Colline, Coteau Monsieur Demaire, ancien maire de Verneuil, Conseiller Général. Le plus simple est de laisser la parole à celui qui fut l’instigateur de ce vaste travail de mémoire, Philippe Mussat : “Il s’agit d’un groupe d'amis qui à des âges et dans des maisons différentes ont passé ensemble ces années difficiles. Afin de rendre le récit plus vivant et en faciliter la lecture par de jeunes élèves, nous avons choisi une présentation sous la forme d'un interview très libre qui suit un ordre chronologique assez relatif. Chaque membre du groupe a répondu à des questions et a émaillé son récit d'anecdotes et de souvenirs personnels qui permettent de mieux faire comprendre ce qu'ont été alors nos conditions de vie. Et surtout, cette rétrospective nous permet de témoigner de ce que l'Ecole nous a apporté, des valeurs qui nous ont été transmises et dont nous vivons encore, en espérant pouvoir les faire partager par la jeune génération de Rocheux”. 67 Marie-Louise Chopin, professeur de lettres en 4ème et 5ème aux Roches de 1933 à 1968. 1939 - 1940 Après la déclaration de guerre en septembre 1939, quelle a été la situation de l'École ? L’hôpital militaire 33, d’aprés une carte postale de l’époque, pendant la Première Guerre mondiale. “...déjà au cours de la Première Guerre mondiale, un hôpital militaire avait été installé à l'École. C’était l’hôpital militaire n°33, Madame Demolins en était infirmière major.” Michel Marty : Dès septembre 1939, la Guiche, qui était la maison des plus jeunes, fut réquisitionnée par l'armée française pour servir d'hôpital. Mon père était le chef de maison de la Guiche jusqu'à sa mobilisation comme interprète d'anglais. Avec ma mère et certains de mes frères et sœurs, nous avons pu nous loger dans la partie ancienne de la Guiche qui avait été la maison Demolins. Trois ou quatre élèves se sont installés avec nous pendant toute l'année scolaire. L'armée entreprit la construction des premières baraques et des tentes prévues pour recevoir des malades et des blessés. En réalité, jusqu'à mai 1940, il y eut très peu d'occupants. Les autres maisons de l'Ecole ont pu ouvrir sans problème, seuls les Pins ont dû accueillir les “Petits”. (Michel Poutaraud précise que Monsieur Valode, économe général de l'École, avait été mobilisé sur place comme commandant chargé de l'intendance de l'hôpital. Michel Le Bas rappelle que déjà au cours de la Première Guerre mondiale, un hôpital militaire avait été installé à l'École. C’était l’hôpital militaire n°33, Madame Demolins en était infirmière major.) Antoine Berge : Octobre 1939, rentrée scolaire un peu chaotique, une atmosphère lourde malgré une conviction quasi générale de notre très prochaine victoire sur l'Allemagne ; des classes en surnombre (nous étions trente cinq en 5ème), beaucoup d'élèves nouveaux et absence de quelques professeurs appelés au front. Pour ma part, j'avais 12 ans et je quittais une petite école bien tranquille dénommée “la Joyeuse Ecole” car on y pratiquait intégralement les méthodes Montessori : ainsi chaque enfant choisit l'activité et le travail qui lui semblent le mieux convenir à son inspiration du moment 68 présent ; je me trouvais brusquement confronté à un régime beaucoup plus dirigiste, avec des professeurs particulièrement “sévérisés” par le nombre des nouveaux arrivants et leur potentiel d'indiscipline. Mon premier incident eut lieu dès mon premier cours de Latin avec mademoiselle Chopin : après qu'elle eût distribué de superbes cahiers rouges de “conjugaisons latines” dans lesquels des cases vides étaient à remplir de verbes latins, à l'étude du soir, Mlle Chopin aborde un travail collectif de thèmes latins au tableau noir, pour lequel je n'avais qu'une inspiration très limitée : je jugeais donc plus opportun de prendre mon cahier de conjugaisons et de commencer à remplir les cases, lorsque mademoiselle Choppin m'interrompit brusquement : - Qu'est-ce que vous faites là ? - Les conjugaisons que vous nous avez données à faire tout à l'heure - Mais mon pauvre garçon il vous manque une case ! - Laquelle elles sont toutes imprimées ? Ce n'est que deux ans plus tard qu'elle m'avoua que, ce jour-là, elle avait pensé sérieusement qu'on lui avait envoyé un élève complètement débile. Docteur Imchenevsky, professeur de science naturelles. Jeanne Charlier, née Duplâtre, professeur et directrice de l’enseignement préparatoire aux Roches de 1917 à 1940. Professeur à Maslacq de 1940 à 1950 et à Clères de 1950 à 1962. Autres professeurs particulièrement sévères : - Mlle Vignetey, professeur de dessin, qui nous mettait une note de conduite si un crayon ou tout autre objet tombait par terre. - Le Docteur Imchenevsky, professeur de sciences naturelles, qui distribuait à la moindre incartade, avec un fort accent ukrainien, la sentence suivante : “Untel marquera zéro de conduite, zéro de devoirs, zéro de leçons et passera la porte” ; un jour, alors que je taillais mes crayons de couleurs au lieu d'écouter, je fus l'objet de son courroux, mais il se trompa de nom : “Chevalier marquera zéro de conduite, zéro de devoirs, zéro de leçons et passera la porte” ; comme je faisais celui qui ne se sentait pas concerné, il réitéra son injonction une deuxième fois, puis finit par hurler : -Chevalier né comprenait pas, yé avais dit Chevalier marquera zéro de conduite -Excusez-moi Docteur, mais je ne m'appelle pas Chevalier, je m'appelle Berge ! Le Docteur Imchenevsky reprit alors sur un ton très calme : -Chevalier appelé Berge marquera zéro de conduite, zéro de devoirs, zéro de leçons et passera la porte. Quels souvenirs as-tu des Pins où étaient hébergés les “petits”? Philippe Mussat : Je venais d’entrer à l'École à l'âge de 9 ans, après avoir perdu ma mère ; mon père habitant en Normandie à 60 km de l'Ecole a estimé avec raison que je pouvais suivre l'exemple de mon frère aîné et de mes trois cousins qui avaient passé toute leur scolarité aux Roches. La Guiche n'étant plus disponible, nous avons logé aux Pins où les deux grands dortoirs du deuxième étage nous ont été réservés. Francis Cahour était le chef de maison pour les grands à partir de la sixième et mademoiselle Duplâtre sur- nommée “la Diane” était seule responsable des petits. Elle devait épouser André Charlier pendant la guerre à Maslacq. Mon capitaine était de Rohan Chabot et celui du dortoir voisin était Ahmed el Glaoui, l'aîné de la fameuse tribu du Sud Marocain, tout auréolée de gloire après avoir rallié la France et le Maréchal Lyautey. Mon tout premier souvenir, bien présent dans ma mémoire, a été quelque peu douloureux mais déjà bien instructif. Sans expérience de la vie en groupe, j'ai fait l'erreur de “cafarder” ce qui, dans le vocabulaire des enfants de l'époque, voulait dire rapporter à un responsable une bêtise de l'un d'entre nous. Cela m'a valu une belle correction et mes condisciples ont dû estimer que cette leçon correspondait à une séance de bizutage car je n'ai plus eu d'ennui par la suite. Je n'ai pas eu envie de renouveler cette erreur et me suis fait rapidement de bons camarades. Peu de temps après la rentrée, alors que nous commencions à nous adapter à cette nouvelle vie, le groupe des petits fut mobilisé un dimanche après midi pour la traditionnelle bataille de marrons qui opposait chaque année les Pins au Vallon. Séparés par la route de Mandres qui fixait la frontière, le “jeu” consistait à se bombarder avec des marrons qui ne manquaient pas dans la propriété. Les petits des Pins étaient chargés de l'approvisionnement des grands et au milieu de l'assaut nous faisions de notre mieux pour éviter de prendre de mauvais coups. Je crois bien me souvenir que nous avons enfoncé la ligne de défense adverse et avons repoussé l'ennemi dans le petit bois. La vie de maison était organisée de telle sorte que notre groupe ne perturbât pas trop le rythme des grands. Ainsi nos horaires étaient décalés et seuls les repas étaient pris aux mêmes heures mais dans une salle séparée. Je me souviens d'une responsable de table à la salle à manger qui eut une idée très astucieuse. À partir d'une histoire imaginaire et très 69 simple, chacun à tour de rôle devait faire vivre le conte en imaginant une suite. Bien sûr le récit était inégal, mais à 9 ou 10 ans les enfants ont encore heureusement beaucoup d'imagination et peuvent s'exprimer sans retenue. Certains étaient très doués et ce jeu avait l'avantage de maintenir le calme. Si j'ai peu de souvenirs de classe, par contre j'ai beaucoup apprécié les différents séjours à l'infirmerie. Avec de très mauvaises amygdales, j'ai été un client assidu. Dans la grande salle au rez-de-chaussée il y avait à notre disposition une impressionnante collection de “Bicot”. Cette lecture pour enfants me fut certainement une source d'inspiration importante pour d'éventuelles bêtises et je faisais ce que je pouvais pour rester le plus longtemps possible. Le seul inconvénient de ces séjours était la diète imposée à tout malade ayant un peu de température. Et puis l'infirmier en chef, Monsieur Minier, pouvait être redoutable quand il devait administrer un médicament. Pendant la “Drôle de Guerre” entre septembre 1939 et mai 1940, de quels événements particuliers as-tu été témoin ? Paul Commauche, aumônier catholique aux Roches de 1920 à 1962. 70 Patrick André : La guerre était déclarée mais chaque belligérant attendait que l'autre attaque, les Français derrière la ligne Maginot, réputée imprenable, et les Allemands derrière la ligne Siegfried. Cela dura huit longs mois de désœuvrement. À l'École nous avons assisté à l'atterrissage forcé d'un avion d'entraînement militaire dans un champ situé hors de la propriété de l'École, le long de la route. Aussitôt une foule d'élèves venus principalement des Pins, de la Prairie, du Coteau et des Sablons entoura l'avion et son pilote. La gendarmerie de Verneuil, prévenue, arriva quelque temps plus tard et, devant cette foule, crut bon d'élever la voix pour demander le repli de tous les élèves sur la route. Les braves “pandores” ne s'attendaient pas à devoir entendre des quolibets peu amènes de la part de “gamins mal élevés” qui pensaient intimider la force publique en petit nombre. Plus les gendarmes criaient, plus les élèves les invectivaient et les esquivaient en revenant continuellement à proximité de l'aéronef. Quelques petits malins, encouragés par le fait qu'ils étaient noyés dans la foule que nous constituions, se mirent à crier “Mort aux vaches”. Le cri fut vite repris par tous les élèves présents et un chahut monstre s'organisa. Les chefs de maisons et les capitaines des maisons voisines, accourus, s'employèrent à ramener le calme et faire rentrer les élèves dans leurs maisons respectives. Furieux, les gendarmes réclamèrent des excuses de la direction de l'Ecole et des sanctions impossibles à appliquer tant il était difficile de désigner de vrais meneurs. Georges Bertier ne prit pas l'affaire au sérieux et pensa s'en sortir en envoyant une délégation de quelques grands élèves présenter des excuses à la gendarmerie. C'était trop tard et insuffisant pour calmer l'ire des gendarmes qui estimaient avoir été ridiculisés par des “gosses de riches” qui se croyaient tout permis. La sanction tomba sur nous à la rentrée du trimestre suivant : pendant plusieurs semaines, les gendarmes se postèrent tous les dimanches aux deux sorties de l'École sur la route de l'Aigle pour verbaliser toutes les bicyclettes sans plaques fiscales et tous les parents laissant conduire leurs enfants sans permis. Là encore, nous eûmes droit à un appel général de Georges Bertier sur le mode patriotique et civique. Le ton grandiloquent employé pour parler de cet incident mineur ne sut même pas nous montrer la bêtise du geste enfantin que nous avions commis. Il y aurait eu pourtant là matière à une explication éducative sur un comportement de foule. L'occasion eût été bonne pour nous montrer ce qu'étaient des gendarmes, le pourquoi de leur présence auprès d'un avion militaire et le côté néfaste de l'emploi de termes habituellement utilisés par des mouvements contestataires. Ce n'était pas une gaminerie, c'était un manque de considération pour des hommes qui ne faisaient que leur métier et s'étaient toujours montrés très tolérants pour nos incartades dominicales. Michel Poutaraud : La gendarmerie avait des instructions pour lutter contre les parachutistes allemands. L'abbé Commauche est arrivé un jour, furieux, au Vallon. Il avait été arrêté et pris pour un parachutiste. Les gendarmes avaient soulevé sa soutane pour voir s'il n'était pas en uniforme feldgrau... Quelles ont été les conséquences de la mobilisation de nombreux professeurs pendant l'année scolaire ? Patrick André : La déclaration de guerre a conduit à une forte mobilisation des hommes réservistes, c'està-dire de parents d'élèves et de professeurs. De sorte que l’Ecole a été amenée à recruter des professeurs féminins pour remplacer les appelés. C'est ainsi qu'une jeune fille, tout juste diplômée, a été désignée pour assurer une partie des cours de physique. La pauvre, timide et trop jeune, n'a pas su s'imposer à une classe de première qui l'a plaisantée dès le premier jour. Elle n'a pas su, par la suite, se faire respecter ; ce qui a entraîné une extension du chahut à d'autres classes. Elle a dû, après moins d'un trimestre, renoncer à poursuivre. Georges Bertier eut beau tenter de la sauver à l'occasion d'un appel général, la réaction des adolescents que nous étions fut impitoyable. C'était bête et méchant, mais rien n'y fit. A cette époque, la faiblesse ou la timidité d'un jeune prof incitait les garçons à lui faire perdre contenance ; c'était un jeu et elle eut tort de ne pas le traiter comme tel. Des prisonniers français et leur gardien travaillant à la blanchisserie à l’Iton. As-tu été en contact avec des militaires français blessés ou malades hébergés dans le camp ? Michel Poutaraud : En juin 1940, j'avais demandé au “Pape” (Georges Bertier) une autorisation écrite pour me rendre auprès des malades et blessés séjournant dans le camp militaire et dont la majorité était africaine. Ces pauvres gens avaient bien besoin d'un peu de réconfort. Antoine Berge : En octobre 1940, ce n'étaient plus des blessés militaires français que le camp hébergeait mais des prisonniers de guerre, principalement des tirailleurs sénégalais ; peut-être étaient-ce les mêmes blessés que ceux dont vient de parler Michel Poutaraud ? Toujours est-il que Mademoiselle Frechin qui dirigeait les travaux pratiques de “tissage tricotage” (nous étions pourvus en grosse laine par le Secours national, ce qui me permit de tricoter, pour les prisonniers, un pull et deux ou trois chaussettes...) nous avait proposé de parrainer un de ces tirailleurs sénégalais prisonniers. Le mien s'appelait Athanas Couanimana : je lui écrivais et lui faisais parvenir quelques petits colis ; ses réponses, sur un papier de correspondance distribué par les Allemands, étaient presque toujours rédigées ainsi : “Ma chère marraine Antoine Berge (r), je très bien salue Antoine et je très bien salue Berge (r) 71 et je prie nuit et jour pour toi”. La suite dans le style : “J'aimerais avoir du nouille, du saccharine, des chaussures pointure 27 ; voici le numéro d'un camarade qui ne pas de marraine”, Notre correspondance s'est poursuivie pendant ces quatre années d'occupation ; je ne pouvais plus lui faire parvenir de colis, mais il me remerciait très gentiment de ceux qu'il recevait de la Croix-Rouge ; puis, à la Libération, il s'est engagé pour l'Indochine et je n'ai plus eu de ses nouvelles. À cette époque, quelles sont les principales traditions dont tu te souviens ? Michel Le Bas : Il y avait une tradition qui impressionnait toujours les nouveaux élèves. À la Colline, où habitait le directeur de l'Ecole, Georges Bertier, étaient invités à goûter trois ou quatre élèves à tour de rôle. Ce contact personnel permettait au directeur de mieux connaître les nouveaux, de situer leur niveau d'éducation, aussi bien dans la présentation que dans la tenue à table... L'information parvenait chaque jour dans les maisons à l'occasion de l'appel du soir. Philippe Mussat : Parmi les traditions, très britanniques, il y avait celle de porter le dimanche l'uniforme gris clair, gris foncé à chevron, mais je ne me souviens pas si la “cap” était encore de rigueur. Notre trousseau était impressionnant par la quantité de vêtements et d'équipements sportifs différents qu'il fallait prévoir. Le dimanche, après la messe obligatoire ou le culte pour les protestants, le lever des couleurs était rituel. Pendant le trimestre nous ne pouvions retourner dans nos familles afin que l'immersion dans le bain éducatif soit efficace. Donc, le dimanche, nos sorties étaient limitées dans le temps à partir de 11 h le matin et jusqu'à 16 h 30 l'après midi, avant la séance de cinéma et les complies le soir à la chapelle. Nous avions juste le temps d'aller déjeuner avec nos parents à l'hôtel du Saumon, à Verneuil, éventuel72 lement de faire un tour dans une pâtisserie et de nous dégourdir les jambes le long des anciens remparts qui entourent la ville. En semaine, les petits devaient faire la sieste après le déjeuner et le soir chacun, sans contrainte, s'agenouillait au pied de son lit pour faire une prière personnelle. En ce qui concerne la discipline dans le dortoir, j'ai le souvenir d'avoir été plusieurs fois dans le couloir passer un bon moment en redoutant que Mademoiselle Duplâtre ne me voie et n'aggrave mon cas. À partir de mai 1940 et pendant l'invasion allemande, comment as-tu vécu les différents événements de l'exode ? Michel Poutaraud : Nous voyions passer les premiers réfugiés : les Belges en voiture puis les paysans du Nord en chariot monté sur pneus, tiré par des chevaux. Le Vallon était directement en contact avec la route nationale n° 24 bis et, en accord avec “le Patron” (Louis Garrone), nous organisons un accueil devant notre maison et servons des repas et des boissons pris sur notre nourriture. Des lieux de repos sont prévus dans les bâtiments entre le Vallon et le pavillon Vignetey. Une grosse voiture américaine conduite par un jeune Belge de notre âge (16 ans) dans laquelle se trouve un ménage âgé s'arrête. Nous téléphonons à Monsieur Valode qui les héberge. Ils arrivent de Mons, en Belgique, qui a été très sérieusement bombardée par les Allemands. C'est en parlant avec ce jeune Belge que nous avons appris qu'il pouvait conduire car, à cette époque, le permis de conduire n'était pas encore obligatoire en Belgique. En juin 1940, nos parents viennent nous chercher, mon frère et moi, direction Maslacq (…) où nous retrouvons quelques camarades arrivés en auto ou par le dernier train, quittant ainsi Verneuil avec des élèves sous Joseph Brabeck, professeur d’allemand et de jardinage au Coteau de 1930 jusqu’à sa mort en 1954. la conduite de Monsieur Brabeck. Nous retrouvons également les familles Bertier, Garrone, de Vaugelet, de Place, Parisot et certains de nos professeurs. La vie s'organise dans le château et ses dépendances puis ce sont les vacances... sur place. Travaux dans les champs : cimer le maïs, nettoyer les vignes, conduire les chariots tirés par deux vaches en leur parlant béarnais… Travaux avec la grand-mère : gaver, puis tuer les oies, dénerver les foies, les mettre en boîtes de fer blanc avec du sel et du poivre puis les conduire à bicyclette chez le maréchal ferrant du village voisin pour souder les couvercles, retour à la ferme pour la cuisson des boîtes. Pèlerinage à Lourdes à bicyclette (160 kilomètres aller et retour). La ligne de démarcation, séparant la zone libre de la zone occupée, se trouvait entre Maslacq et Orthez. Nous allions à Orthez pour acheter des denrées que nous ne trouvions pas dans le village. (…) Parfois quelques élèves pouvaient aller à la piscine d'Orthez. L'un de nous avait repéré dans la cabine voisine un uniforme allemand. Il a réussi à subtiliser le poignard qui, paraît-il, lui avait été remis par Hitler. Dès le lendemain, des affiches sur les murs d'Orthez demandaient la restitution immédiate du poignard sous peine de sanctions. Notre camarade parle de ce vol à l'Abbé Souty qui remet ledit poignard à l'évêque de Pau, sous le secret de la confession, ainsi pas de sanction possible pour le voleur... Patrick André : (…) Vers le 10 juin, il devait rester moins de quatre-vingts élèves à l'Ecole. Les routes devenaient de plus en plus impraticables devant l'afflux des réfugiés, l'essence commençait à manquer. La direction de l'Ecole s'inquiétait du sort des élèves restants et de l'absence de nouvelles de leurs parents. L'Ecole avait prévu un possible repli sur une maison retenue à Maslacq dans les Basses-Pyrénées. La direction était en contact permanent avec la gare de Verneuil pour connaître les possibilités de faire repartir les élèves restants si les parents étaient prêts à les accueillir. L'avancée rapide des Allemands et l'abandon de Paris par le gouvernement crée brutalement une situation nouvelle en amenant la SNCF à renoncer à l'acheminement de tout convoi vers Paris. La gare en informe aussitôt la direction. Georges Bertier prend alors la décision d'évacuer les élèves par un dernier train devant quitter Verneuil pour Granville. Les élèves, une soixantaine me semblet-il, sont constitués en trois groupes, chacun sous la responsabilité d'un ou deux professeurs. Des provisions pour 48 heures sont mises dans de grands sacs de manipulation facile, un par groupe. Les élèves emportent peu de bagages. C'est le départ au matin vers l'inconnu. Je suis dans un groupe sous la responsabilité de mon professeur d'allemand, Monsieur Brabeck, colonel de l'armée autrichienne qui avait refusé de servir les nazis après l'annexion de son pays par le “grand Reich” allemand. Notre train n'ira pas loin, il s'arrête environ 80 km plus loin à Argentan où le chef de gare informe les voyageurs qu'il a reçu l’instruction de ne pas le laisser continuer sa route vers Granville, une colonne allemande se dirigeant vers le Cotentin. Nous apprendrons, par la suite, que cette colonne visait Cherbourg. Peu désireux de garder des enfants, le chef de gare décide d'accrocher un wagon à un train en partance dans la direction de Nantes. Notre chef de groupe accepte la proposition et nous repartons avec ce nouveau train comme première destination Laval. Au bout de quelque temps, le train s'arrête en rase campagne, nous sommes en vue de Laval que les Allemands sont en train de bombarder. Descendus sur le ballast, nous assistons en partie au spectacle et découvrons que le 73 Mai 1941. Camp de prisonniers sur les terrains de jeux de l’école. A droite le pavillon de boxe. convoi auquel nous avons été accroché est, en fait, un train de munitions qui cherche à gagner le Sud ! C'est un train militaire ; le chef de gare d'Argentan s'était bien gardé de nous le dire tant il avait envie de nous voir partir. L'alerte terminée, nous repartons pour Laval ; le train n'étant pas désiré, il poursuit sa route vers Nantes que nous atteignons dans la nuit. Première nuit sur les quais de gare et première difficulté avec la police qui s'interroge sur la présence d'un Autrichien en charge apparente d'un groupe d'enfants. Le commissaire local, appelé pour statuer sur ce cas imprévu, hésite entre l'arrestation de Monsieur Brabeck, notre professeur, suspecté d'être de la fameuse “cinquième colonne” dont la propagande voit des membres partout, et le sort d'une vingtaine de jeunes dont il ne sait vraiment que faire alors qu'ils ont une destination certaine. Il penche pour faire partir au plus vite ce groupe et obtient pour cela le concours des responsables de la gare. C'est ainsi que nous sommes embarqués dans un train normal et relativement confortable par rapport à notre expérience précédente. Les troupes allemandes étant loin, le trafic ferroviaire sur la ligne Nantes-Bordeaux est normal ; à signaler seulement des arrêts plus fréquents pour pallier les manques de trains. À Bordeaux, nouvelles difficultés avec la police, d'autant que la ville est envahie par le gouvernement qui hésite entre un départ vers l'Afrique et une démission. Dès que la chose est possible, nous sommes embarqués dans un nouveau train vers Pau. Je ne me souviens plus exactement de la gare où nous fûmes accueillis par l'équipe déjà en place à Maslacq qui s'inquiétait d'être sans 74 nouvelles de nous. Épuisés, nous mangeons à peine et nous nous affalons littéralement sur de la paille dans une grange préparée à cet effet. Récupéré par ma famille le lendemain, je ne reverrai jamais Maslacq qui, durant l'occupation, fut l'Ecole des Roches de la zone libre. 1940 - 1941 Comment l'armée allemande a-t-elle utilisé l'espace réquisitionné ? Michel Le Bas : Le camp installé par l'armée française a tout de suite été transformé et agrandi pour loger les prisonniers qui, en majorité, provenaient des troupes coloniales d'Afrique. Dès l'automne 1940, cinquante baraques étaient en place et une légère rangée de barbelés ceinturait le camp de prisonniers. L'hiver 40/41 a été très rigoureux comme d'ailleurs tous les hivers de la guerre et les pauvres gens habitués à leur beau soleil d'Afrique ont beaucoup souffert. La protection du camp était assez sommaire au début et des évasions ont pu se produire. Par la suite, l'occupant a renforcé le réseau de barbelés en hauteur et en profondeur ajoutant des miradors. Enfin, quand la Guiche a été réouverte, un caillebotis a été installé pour permettre aux élèves de rejoindre le Vallon et la chapelle. Pendant toutes ces années d'occupation nous avons utilisé ce passage le long des barbelés, bien sinistre, surtout les soirs d'hiver. Les maisons étaient occupées par les troupes qui gardaient le camp et souvent par de braves soldats de la Wermacht, bien contents d'être ainsi à l'abri des dangers et surtout du front russe. Mais à chaque passage d'unité SS des incidents éclataient. Après juillet 1941 les prisonniers ont été transférés dans d'autres camps, probablement en Allemagne. L’arrachage des barbelés, 1942. Une guérite à l’entrée du camp allemand. À gauche, une partie du bâtiment des classes qui sera détruit au départ des Allemands. Au Vallon et dans ses annexes quels souvenirs as-tu conservé ? Jean-Claude Flageollet : Le froid fut peut-être plus pénible que la faim. Ces hivers d'occupation furent terribles : pluie, neige, gel, humidité. Le pire fut atteint quand au Vallon l'eau du Mississipi déborda et que la chaudière claqua ! Philippe Mussat : De toute façon, avec ou sans chauffage, nous devions prendre des douches froides voire glacées avec parfois des stalactites pendant des tuyauteries. Il fallait aller vite et surtout éviter qu'un mauvais sujet ne s'amuse à vous fouetter les fesses avec une serviette bien mouillée ce qui activait la circulation du sang... Le sport a toujours été mon activité préférée; je me souviens d'avoir battu le record en course à pied : le 40 mètres débutant. Un autre record moins glorieux fut de trouver le moyen de tomber la tête la première dans le fameux Mississipi qui, en été, était heureusement à sec ; cela me valut une bonne commotion et un nouveau séjour à l'infirmerie installée dans le pavillon Gamble. Malheureusement, la collection de “Bicot” et les autres livres pour enfants n'étaient plus disponibles. Mademoiselle Fréchin régnait à l'infirmerie et, de sa solide poigne, elle nous appliquait sur le dos une demi-douzaine de ventouses ou un bon cataplasme à la moutarde forte sur la poitrine. Impossible de l'oublier. Le terrain de foot était situé derrière la maison des Champs : par tous les temps nous nous dépensions le plus possible pour nous réchauffer. Le château d'eau qui est à côté était transformé en forteresse avec une équipe qui du haut empêchait l'autre équipe de monter à l'assaut. Encore une bonne occasion pour se retrouver avec des plaies et des bosses sur le front ; j'ai dû en avoir pendant toutes ces années. Les travaux pratiques étaient encore assez variés car nous disposions de la menuiserie, la forge, le pavillon de chimie, celui de dessin et de reliure appelé pavillon Vignetey où “sévissait” Monsieur Dupire. Je me souviens des travaux de modelage et d'avoir réalisé un petit ensemble de musiciens qui formaient un orchestre en terre cuite. Notre professeur nous faisait chanter et j'ai en mémoire l'Hymne à la joie que nous sommes arrivés à chanter correctement. L'activité manuelle qui présentait le plus d'intérêt pour l'Ecole était le jardinage. Jean Claude Flageollet : Dès 1940, Georges Bertier décréta qu'il était hors de question de dépenser un centime au marché noir sous prétexte que les élèves avaient des parents aisés. Pour donner l'exemple, il nous apprit à bêcher pour pouvoir planter et récolter de précieuses pommes de terre. Enfin le manque de personnel d'entretien nous a obligés à assumer de nombreuses tâches de nettoyage dans la bonne humeur. Comment étaient accueillis les nouveaux élèves ? Paul Renaud : Ma famille habitait en Normandie à Sainte-Mère-Eglise, petite ville qui devint célèbre à la Libération. Mon père décida de m'envoyer aux Roches à la rentrée de 1940. En classe de sixième au Vallon, 75 je me souviens d'une séance de bizutage qui tourna heureusement à mon avantage. Dans la petite pièce ouvrant dans le couloir avant le hall, je me suis trouvé face à face avec un garçon qui était peut-être arrivé à l'École peu de temps avant moi mais qui s'estimait déjà ancien. Des coups de poing aux coups de règle, l'on passa rapidement au test de lutte, l'objectif étant de mettre la victime à terre et de lui faire toucher les deux épaules sur le sol. Alors que je résistais faiblement et commençais à me résigner à mon sort, un “grand” de 5ème arriva et, me voyant en mauvaise posture, m'encouragea si bien à me défendre que je pris le dessus et mis mon adversaire au sol. J'avais reçu le baptême du feu. Robert de Toytot : Je donne ces détails pour mieux faire comprendre l'état d'esprit qui devait être le mien lorsque je débarquai au Vallon, en avril 41, c'est-à-dire à 10 ans et quelques mois, en cours d'année scolaire. Selon mon souvenir, j'ai quelque peu souffert de me trouver seul “bizuth” dans cette petite classe de 7ème qui ne comportait sans doute que six à dix élèves tout au plus. Je ne crois pas avoir eu à subir de brimades, de bizutage particulièrement scandaleux, mais je garde en mémoire cependant que quelques “grands” ont parfois jugé bon de prendre ma défense et, à ce titre, je conserve une vive reconnaissance à Bernard Michel, Philippe Hauducoeur, Michel Poutaraud, Patrick André, et d'autres... Le plus souvent, les différends se réglaient non pas par des coups, mais dans une sorte de “lutte au sol” où il fallait mettre l'adversaire les deux épaules à terre, les condisciples entourant les protagonistes avec des hurlements d'encouragement, généralement défavorables pour le bizuth ! Peu à peu, avec l'entraînement résultant de la fréquence de ces confrontations, j'acquis une certaine efficacité dans ce sport, malgré ma faible constitution et, lors des vacances suivantes, je ne fus pas peu fier de pouvoir venir à bout de 76 cousins notablement plus âgés que moi ! Je ne me souviens pas, cependant, d'avoir jamais souffert de “cafard” du fait de la séparation de la famille durant les trois mois de présence continue à l'Ecole de chaque “terme”, sans aucune visite, sauf circonstance exceptionnelle. Les choses devinrent un peu différentes après la guerre mais, pour ma part, en sept années, ma mère n'est venue aux Roches qu'une fois, pour ma communion solennelle, et mon père une seule fois également. D'ailleurs cette dernière visite ne me fit pas particulièrement plaisir, parce qu'elle intervint le dimanche, surlendemain de la rentrée d'octobre 1941, alors que cet après-midi là tous les amis (condisciples) allaient faire un “grand jeu” dans les bois en direction de Mandres... et j'en étais ainsi privé ! Au début de l'occupation quelle était la situation de l'approvisionnement alimentaire ? Michel Poutaraud : Si nous subissions des restrictions, la situation n'était pas encore trop grave. Il devait y avoir encore quelques réserves et les contraintes imposées par l'occupant étaient encore modérées. L'intendante de l'École, Mademoiselle de Vaugelet, parente de Georges Bertier, est parvenue à assurer l'essentiel grâce à de très bonnes relations avec l'environnement de l'École. Je me souviens pourtant des omelettes au goût douteux, à base d'œufs en poudre, provenant du Japon, l'allié de l'Allemagne. Un moment très apprécié dans la journée était le goûter avec un bol de lait (en poudre) et des biscuits vitaminés. Dès que nous partions en sortie scoute ou le dimanche, nous trouvions dans les fermes amies du ravitaillement en vrai lait, beurre, œufs et fromages. La situation est vraiment devenue très difficile à partir de l'hiver et jusqu'à la Libération. Octobre 1941, le Coteau, sous la direction de Clément Mentrel, accueille 25 élèves ... à utiliser le camp autrement ? Un mois après l'installation des élèves dans les nouvelles maisons, ils ont dû déménager pour se répartir entre la Guiche, les Champs et le pavillon Médicis. A partir de cette date le camp a été complètement ceinturé par des barbelés et il n'y aura plus aucun changement jusqu'à la Libération, si ce n'est l'autorisation d'utiliser la piscine, probablement à partir de 1943. Vous avez été professeur de philo remplaçant, quels souvenirs avez-vous de l'Ecole ? Robert de Toytot : Au début de 1941, nous ne souffrions pas vraiment des restrictions alimentaires à l'Ecole, et je garde un souvenir émerveillé de la bouteille de cidre bouché apportée à chaque table le dimanche au déjeuner. En semaine, nous avions droit à du cidre en pichet (et de l'eau). Dès la rentrée d'octobre 1941, le cidre disparut de la “carte”, mais pas le porridge du petit-déjeuner, heureusement pour nos jeunes appétits. Monsieur Demaire : J'étais maître d'internat au collège de Verneuil et préparais une licence de philo. Monsieur Bertier assurait normalement le cours de philo mais, pris par ses obligations à l'Ecole et ses responsabilités comme délégué départemental du Secours national, il cherchait un professeur pour le remplacer. Je fus proposé pour assurer ce poste avec deux élèves en classe de philo et trois élèves en classe de math-élem. Le chef de maison du Vallon où je donnais ... et les Sablons 38 élèves. 1941 - 1942 Comment la direction de l'École est-elle parvenue à ouvrir de nouvelles maisons à la rentrée d'octobre ? Michel Le Bas : Depuis l'été 1941 il n'y avait plus de prisonniers au camp, les effectifs allemands étaient donc réduits. Georges Bertier négocia et obtint de rouvrir les maisons jumelles du Coteau et des Sablons. La photo prise en octobre 1941 confirme qu'il y avait vingt-cinq élèves au Coteau et trente-huit aux Sablons. Cette solution avait été choisie, car elle avait l'avantage de regrouper les élèves sur un même site à proximité du Vallon. Les Allemands ont-ils craint que les allées et venues des élèves ne les gênent et ont-ils prévu d'avoir 77 mes cours était, en octobre 1941, Monsieur Trocmé, personnalité protestante ayant une autorité morale incontestable. Il avait été avant-guerre sous-directeur de l'École et chef de maison des Sablons. Monsieur Coupé était chargé des études et professeur de lettres pour la terminale et Madame Cargouet était la secrétaire de Monsieur Bertier ; c'est bien souvent dans son bureau que se prenaient les grandes décisions. débarquement à Dieppe, un matin au lever, nous entendons et voyons passer, encadrés par des SS, des soldats canadiens, certains blessés et d'autres pieds nus. Nous leur faisons le signe de la victoire et nous nous retrouvons rassemblés dans la douche, la mitraillette sur le ventre. Monsieur Gehring, lorrain, s'exprime parfaitement en allemand et nous nous en tirons sans dommage. Les responsables du camp ont souvent changé, alternant entre des SS violents et les militaires de la Wehrmacht dont l'un des responsables a même été considéré comme francophile tant ses relations avec l'Ecole étaient modérées et compréhensives. Après le bac de première, je rentre à Paris pour une terminale au lycée Michelet, situé non loin du domicile familial. Je continue le scoutisme, je me camoufle dans la défense passive, ce qui me permet de faire agent de liaison dans la Résistance pendant les alertes pour le groupe des “Ardents”, commandé par le colonel Antoine, promu général à la Libération, un ami de mes parents. Ceux-ci ne sont pas au courant de mes activités... Tu es revenu à Verneuil pour l'année scolaire 1941/1942. Quels sont tes souvenirs ? Michel Poutaraud : Cours de vacances en août à Verneuil. Eh oui ça arrive ! Entré comme capitaine au Vallon puis aux Champs avec Gilbert Gehring comme chef de maison où habitait également le pasteur Robert Young. Nous avons transformé les deux dortoirs en patrouilles scoutes : les castors et les chevreuils. Nous avons eu de nombreuses activités internes et externes, camps en week-end aux Bois Francs (actuellement “Center Park”) et à Sorel où nous profitions des fermes voisines amies pour améliorer sérieusement l'ordinaire des Roches, un peu léger compte tenu des restrictions. Et, bien que le scoutisme fût interdit par les Allemands en zone occupée (car considéré comme un mouvement philanthropique et paramilitaire au service de la Grande-Bretagne), nous essayions de pratiquer un bon scoutisme en uniforme avec salut aux couleurs et Marseillaise. Nous avons eu des surprises mais pas d'arrestation. En février, froid assez rude et fortes chutes de neige. Nous en profitons pour faire du ski et construire un igloo. Les plus courageux y couchent à tour de rôle. Après la tentative de 78 1942 - 1944 Quels sont tes souvenirs à la Guiche ? Philippe Mussat : Après avoir quitté le Vallon fin 1941, la Guiche a été ma maison jusqu'à la Libération. Avec Georges Bertier comme chef de maison, nous étions environ soixante-cinq élèves, ce qui était un maximum. Je crois bien avoir habité dans toutes les annexes qui se sont successivement ouvertes, c'est-àdire le Moulin, l'Iton et même, en 1944, au premier étage du pavillon devant la Guiche qui, avant la guerre, était utilisé pour le jardin d'enfants. Comme cela avait toujours été la règle, les plus jeunes cohabitaient avec des grands qui avaient leurs cours au Vallon et devaient chaque jour emprunter le fameux caillebotis qui longeait les barbelés et les miradors du camp allemand. Les petits avaient leur salle de classe dans un bâtiment, derrière la Guiche, qui avait servi de blanchisserie jusqu'en 1941. Au rez-de-chaussée de la maison Demolins, une chapelle provisoire avait été aménagée et l'abbé Commauche célébrait chaque matin une messe basse avant le lever des élèves. J'ai souvent été volontaire pour servir la messe ; nous n'avions aucune obligation à y participer, mais nous nous retrouvions souvent un petit groupe pour prier ensemble. (…) Antoine Berge : Deux souvenirs me viennent en mémoire : celui de nos discussions houleuses, voire quelques bagarres, entre pétainistes et gaullistes, spécialement pendant les leçons de musique prodiguées par notre professeur de musique, Monsieur Marais ; nous avions au programme le chant national : Maréchal nous voilà, toi qui nous as redonné l'espérance, que Monsieur Marais nous faisait chanter en s'accompagnant de son violon : inutile de dire que tout le camp des gaullistes, auquel j'appartenais, le singeait à qui mieux mieux derrière son dos. (…) Le rationnement s'aggrave à partir de 1942 : as-tu vraiment souffert de la faim ? Jean-Claude Flageollet : Je me souviens d'une abondante consommation de rutabagas et de topinambours. A certaines périodes, manger était une obsession. Mon père était fabricant de chaussures : avec un groupe d'amis, nous allions dans les fermes échanger mes propres chaussures contre de la nourriture que nous faisions cuire dans les bois. Mes parents n'ont jamais compris pourquoi je perdais tant de chaussures. À la vérité, il nous arrivait aussi d'aller voler quelques pommes de terre dans les silos de fortune que les agriculteurs laissaient dans les champs. Sur ses terres l'Ecole faisait pousser ces précieuses pommes de terre : tout le monde participait à la récolte. Heureusement il y avait les colis des parents. Pour leur part, mes parents, amis des propriétaires de la biscuiterie Rogeron, garnissaient les colis de ces biscuits bien bourratifs. Les Rogeron de Flageollet, surnommés “pompe-salive” devinrent célèbres. En 44, vint s'installer près de la Guiche une boulangerie militaire allemande, servie par de sympathiques prisonniers italiens. Nous eûmes tôt fait d'organiser avec eux un gros trafic de pain noir allemand, nullement gastronomique, mais nourrissant. Antoine Berge : Nous avions souvent faim mais jamais jusqu'à la souffrance. (…) Quels souvenirs as-tu de la garde des voies ferrées ? Patrick André : Durant les années 43 et 44, les autorités d'occupation ont obligé les autorités municipales françaises et les services de gendarmerie à réquisitionner des hommes valides pour garder durant les nuits la voie ferrée qui traversait l'École afin d'éviter les sabotages. La ligne de Granville était en effet considérée comme stratégique car elle reliait le Cotentin, c'est-à-dire le port de Cherbourg, à Paris sans traverser aucune ville industrielle et n'utilisait aucun ouvrage d'art d'importance pouvant justifier un bombardement de l'aviation alliée. Cet axe ferroviaire était considéré comme la meilleure liaison pour acheminer rapidement des convois militaires d'Allemagne en Normandie, la traversée de la capitale n'était pas un obstacle car l'occupant savait que les alliés et les résistants hésiteraient à détruire des installations dans un tel milieu urbain d'autant que les possibilités d'itinéraires de dégagement dans la région parisienne étaient nombreuses. La direction de l'Ecole avait pu éviter les réquisitions des élèves les plus âgés pour le STO (Service du Travail Obligatoire) en Allemagne; elle dut cependant en désigner quelques-uns pour les gardes de nuit. (…) 79 Monsieur Demaire : Chaque groupe était responsable pendant une nuit d'une section précise de la voie ferrée. Celui de la Guiche était censé surveiller la voie entre la gare de Verneuil et au-delà de l'École. Munis d'un brassard et d'un “bâton”, deux par deux, les hommes marchaient. A tour de rôle, ils pouvaient se reposer mais, bien souvent, ils en profitaient pour organiser de joyeuses ripailles surtout si un fermier était parmi eux. Malgré tout la vie continuait : quels sont les jeux et les activités dont tu te souviens ? Robert de Toytot : Lors de nos années passées à la Guiche, nous étions parfois conduits à longer ce camp pour nous rendre au Vallon, à la chapelle... pour un cours d'allemand avec Mlle Hirler ou M. Brabeck, une répétition de chorale avec l'Abbé Commauche, etc. Le trajet comportait un long passage sur des caillebotis de bois (pour éviter la boue) le long des champs de culture qui bordaient le camp à l'ouest. Dans ces champs, nous apercevions souvent divers gibiers tels que des perdrix, pigeons, lièvres et lapins. Un jour, Guy de Luze qui avait été initié au piégeage par le garde de son grand-père, en Bourbonnais, décida de mettre à profit ses connaissances en la matière, à l'occasion de ces trajets, et je m'étais fait bien volontiers son complice dans cette activité que nous nous efforcions de mener en cachette. Nous n'eûmes jamais que des demi-succès, nos pièges étant effectivement visités par le gibier et désamorcés par lui lorsqu'il s'attaquait à nos appâts, mais ne résistant pas longtemps à ses efforts pour s'en libérer. Par exemple, nos trappes à perdreaux, équipées des fameux “quatre-de-chiffre” de notre fabrication, étaient constituées d'une fosse rectangulaire creusée dans la terre (très argileuse) du champ et d'une planche couvercle retenue soulevée par le “quatre-de-chiffre” pour livrer accès à l'oiseau attiré par l'agrainage que nous répandions dans et autour de la fosse ; mais après la 80 fermeture du piège l'oiseau avait tout le temps pour “se gratter” un passage de sortie : il nous aurait fallu barder les parois de la fosse ou prévoir de relever nos pièges à des heures plus matinales ! Qu'aurions-nous pu faire de nos captures, si nous avions réussi ? La bonne utilisation de nos trajets sur le caillebotis montre, au passage, que nous jouissions d'une liberté bien agréable pour un certain nombre d'activités et j'en pris bien conscience quand, durant l'année scolaire 4445, je me retrouvai interne au lycée de Bourges : là, nous étions mis en rangs en toute occasion, avec un encadrement très serré, par les “pions”, totalement inconnus aux Roches où les manifestations extérieures de discipline concernaient surtout le respect des horaires des diverses activités. Parmi les activités variées, j'ai beaucoup participé au ramassage des doryphores (le parasite de la pomme de terre, surnom donné, d’ailleurs, pendant l’occupation, aux soldats allemands qui mangeaient nos pommes de terre), au désherbage de planches de légumes, au bêchage et, bien sûr, au bûcheronnage. Mais aussi à la fabrication de choucroute avec Mlle Fréchin, la confection d'objets par découpage de contreplaqué, de tissage d'écharpes en laine (chargée de fibres de bois !), de tricot. Jean Claude Flageollet : Ce ne fut pas un jeu mais une activité car, souvent, les travaux pratiques consistaient en du bûcheronnage : beaucoup d'arbres furent abattus pour nous chauffer. Cela me valut un (maladroit) coup de hache dans le tibia et cinq points de suture sans anesthésie autre qu'une bonne (et efficace) gifle du Docteur Champeaux. Antoine Berge : Un souvenir bien triste. Il est difficile de ne pas évoquer ici un accident dramatique, la noyade de Bernard Augst, fils aîné de Monsieur Augst, professeur d'histoire naturelle. Bernard était mon voisin Gabriel Ollagnier, professeur de mathématiques de 1928 à 1972. Charles Wilfrid Bodé, professeur de mathétiques et de physique aux Roches de 1907 à 1939. René Desgranges, professeur d’histoire ancienne aux Roches de 1902 à 1945. de classe et, lorsque nous allions ensemble à la piscine à laquelle les Allemands nous avaient permis d'accéder, nous nous amusions à descendre et à remonter le long de l'échelle du grand bassin, dans une eau verdâtre car les Allemands ne la changeaient jamais. Ce jour-là, à l'heure du bain, j'étais en leçon particulière de français avec Mlle Chopin et ne regagnai la piscine qu'en fin de baignade pour y trouver un attroupement autour d'un corps sans vie auquel on essayait vainement de faire de la respiration artificielle. Bernard Augst ne savait pas nager et je pense qu'en descendant et remontant par les échelons du grand bassin, il a du être déséquilibré soit par un plongeur soit par un malaise ; je regrette vivement de ne pas avoir été avec lui ce jour-là car je me serais aussitôt aperçu de son absence ; c'est Jean-Pierre Lasalle qui, après avoir nagé en profondeur, sentit quelque chose : "sans doute le thermomètre, ou même peut être le corps d'un allemand noyé". Notre professeur d'anglais, Claude Gravel, plongea alors et remonta le corps de Bernard Augst ; on alla immédiatement prévenir son père qui était précisément en train de corriger sa copie. Je revois le spectacle déchirant de cet homme, effondré, soutenu sous chaque bras par l'Abbé Souty et Monsieur Bertier récitant des Je vous salue Marie en se dirigeant vers la chapelle, Monsieur Augst secouant sa tête en sanglotant. Quels souvenirs as-tu de tes professeurs et des capitaines ? Jean-Claude Flageollet : Je tiens à évoquer la merveilleuse proximité, je pourrais dire intimité, que ces circonstances favorisèrent avec nos professeurs. Je pense par exemple aux goûters dans la chambre de Mlle Hirler (très anti-nazie) ou aux émouvantes conférences musicales de M. Desgranges le dimanche aprèsmidi (ah, cette conférence sur Mozart et sa conclusion si poétique et si frémissante de sensibilité, nous lais- sant entendre qu'il existait une autre Allemagne). Une pensée aussi pour M. Coupé, M. Ollagnier, M. Bodé, Mlle Chopin et tant d'autres. Robert de Toytot : Je m'aperçois que je n'ai pas dit grand-chose de l'originalité quasi majeure des Roches, le capitaine, sinon en citant, par contraste, la fonction pesante du “pion” de l'enseignement public. Je note cependant, parce que cela me semble significatif, que j'avais choisi comme parrain de confirmation mon capitaine de l'époque, Bernard de Vogüé. Antoine Berge : Cette nouvelle Ecole des Roches, à effectif réduit, qui avait connu la débâcle, était tout autre que celle d'avant-guerre. Ces années qui s'ouvraient à nous, jeunes adolescents, allaient nous apporter un profond désir de reconquête de notre dignité humaine. Guidés par nos professeurs et maître de maison, nous apprîmes qu'après un échec il fallait “reconstruire” : pour nous rappeler que c'était “le laisser-aller” et “l'irresponsabilité” qui avaient conduit à la défaite : lorsque quelque chose n'allait pas, Monsieur Clément Mentrel, Professeur d'anglais, d'espagnol et d'éducation physique, nous rappelait que nous n'étions plus “à Juan-les-Pins 39” ; quant à Mlle Chopin, plus incisive, elle disait au fautif : “C'est vous qui avez perdu la France”. La devise des Roches : “Bien armé pour la vie” devenait alors, dans cette période d'échec et d'incertitude, “Bien se réarmer pour la vie”. La plupart de nos professeurs étaient des hommes sans doute trop âgés pour la captivité ou le travail obligatoire en Allemagne ; ils avaient pour la plupart une 81 personnalité marquée, souvent originale, et toujours un grand dévouement : Monsieur Bodé dit “le Bode”, Monsieur Ollagnier dit “Olala”, Monsieur Desgranges dit “Degdeg”, Monsieur Mentrel dit “Tup mon gars”, Monsieur Malavielle dit “Crevette”, pour n'en citer que quelques-uns, sans oublier Monsieur Dupire, Professeur de dessin, qui aimait raconter à ses élèves son arrivée aux Roches : “C'était vers 1900, je passais devant le chantier des nouvelles constructions et rencontrai Edmond Demolins qui me fit part de sa nouvelle pédagogie ; de mon côté je lui dis que “moi j'étais anarchiste et j'allais me faire trappiste” ; il me proposa une place de professeur et je suis maintenant là depuis 40 ans”. Georges Dupire, professeur de dessin de 1900 à 1938. “...j'allais me faire trappiste...” Quels souvenirs as-tu de la libération ? Jean-Claude Flageollet : La situation finit par s'éclaircir... et du fait des Allemands. Peu informés, fin 43, nous envisagions d'attendre le débarquement encore quatre ou cinq ans. C'est alors que nous commençâmes à relever chez les Allemands, nos voisins immédiats, des signes intéressants. Un jour, alors qu'une troupe en armes défilait, notre classe lui tourna le dos ostensiblement, se mettant face au mur d'un bâtiment. C'était un acte de résistance dérisoire, mais le fait qu'il ne provoquât aucune réaction constituait un signe. Souvent, des troupes venaient s'entraîner dans les champs situés de l'autre côté de la nationale, face au Vallon. Nous constations qu'elles étaient constituées de soldats de plus en plus jeunes, en fait pas plus âgés que nos premières, philosophes et mathélem. Enfin, outre des Panthers et des Tigres, nous remarquions des chars Renault et Somua de 1939. Ils raclaient vraiment les fonds de tiroirs ! Au cours du mois de mai 1944, nous dûmes évacuer la Guiche en douze heures. Passer matelas et lits par les fenêtres, coucher sous la tente, nous avons trouvé 82 tout cela fort distrayant. A la Guiche, le 6 juin de bonne heure le matin, je pris ma bicyclette et j’empruntai le caillebotis qui permettait, à travers champs, de rejoindre la chapelle où je devais servir la messe. Je constatai ce que les journaux appelaient une “intense activité aérienne”. Aux quatre coins de l'horizon ce n'étaient que mitraillages, bombardements en piqués, combats de chasseurs et je devinai, bien sûr, qu'il se passait quelque chose. De retour à la Guiche, j'appris la nouvelle : “Ça y est, ils ont débarqué !” J'étais en 4ème et le matin, en deuxième heure au Vallon, j'avais une composition de grammaire française (prof. Mlle Chopin) que je redoutais. A la fin de la première heure, j'appris que mon père et mon beau-frère étaient venus me chercher, en voiture à cheval, mais que Monsieur Bertier les en avait dissuadés arguant qu'il n'y avait pas urgence. Or, tandis que sur le fameux “chemin noir” qui longeait la voie de chemin de fer, ils s'en retournaient vers Verneuil, des chasseurs alliés attaquèrent un train : wagons déraillés, locomotive en feu, cheval emballé, père et beau-frère à plat ventre dans le fossé. Sitôt le cheval récupéré, retour aux Roches et “enlèvement” de Jean-Claude qui venait à peine de commencer sa composition de grammaire française. Ouf ! Patrick André : J'allais me retrouver en juin dans une situation similaire à celle de l'exode en 1940. Le débarquement en Normandie ayant réussi, la progression des alliés gagnait, vers l'intérieur, des villes comme Alençon et Argentan. Il était évident pour nous que les combats se rapprochaient. Nous ne savions pas que les forces alliées allaient marquer le pas dans leur progression vers Paris que nous pensions être leur objectif. L'état-major d'Eisenhower privilégiait, dans un premier temps, la traversée de la Seine, à la fois pour éviter des destructions à Paris et une guerre de rues, mais aussi parce qu'il lui semblait plus stratégique de gagner l'Allemagne par la Belgique refaisant à l'envers la route empruntée par les troupes allemandes en 1940. A nouveau, beaucoup de parents avaient retiré leurs enfants souvent par le train jusqu'au moment où la SNCF dut se contraindre à interrompre le trafic voyageurs. Avec deux camarades de mon âge, ou presque, je reçus l'autorisation de tenter un départ par la route à bicyclette en évitant la nationale de Dreux trop fréquentée par les militaires allemands et très surveillée par la police allemande. Nous pûmes faire le trajet sans encombre et rejoindre nos familles. L'Ecole nous fit parvenir par un véhicule nos affaires quelques jours plus tard. Paul Renaud : Dans la crainte d'un débarquement, mes parents me retirèrent de l'Ecole et je fus admis pour l'année scolaire 43/44 à Valognes, ville proche de SainteMère-Eglise où mes parents habitaient. Dans la nuit du 5 au 6 juin, j'ai vécu aux premières lignes le parachutage de la 82ème division aéroportée US qui, avant le débarquement des troupes le 6 au matin, devait établir une tête de pont à l'ouest du dispositif allié. L'histoire a retenu la malencontreuse aventure d'un parachutiste qui atterrit sur le clocher de l'église de notre ville. Dans des conditions dramatiques nous fûmes donc libérés les premiers en France. Mon père était maire à cette époque et nous avons été aussitôt adoptés par nos libérateurs. J'ai bien compris l'importance des liens amicaux qui se sont noués quand, à la date anniversaire du débarquement, le 6 juin 1945, des officiers de la 82ème division, venant d'Allemagne où ils étaient cantonnés après le cessez-lefeu, sont venus aux Roches me chercher pour les accompagner à Sainte-Mère-Eglise sur les lieux de leur glorieux début de campagne en France et fêter enfin cet événement joyeusement. Philippe Mussat : Mon récit ne concerne pas l'Ecole car, courant mai 1944, alors que nous ne savions pas si le débarquement se produirait dans un ou trois mois et encore moins où il aurait lieu, pour une raison certainement très importante, j'ai dû aller dans ma famille non loin d'Argentan dans l'Orne. Le dimanche soir il n'y avait plus de trains pour rentrer à l'Ecole ; la ligne ParisGranville avait été bombardée ; la voie ferrée en de nombreux endroits avait été coupée. J'ai donc dû rester. Le 6 juin, dans la journée, notre propriété fut occupée par l'armée allemande et nous dûmes nous réfugier dans une petite ferme perdue au fond des prés. Le 12 août, l'avant-garde de l'armée Patton nous libéra, surgissant par le sud après avoir contourné tout le dispositif allemand et pris en tenaille la totalité des troupes ennemies dans ce que l'on a appelé “la poche de Falaise”. La grande bataille de Normandie s'est donc achevée dans ma région. Mais à quel prix... L'autre événement heureux et quasi miraculeux fut, le jour même de la Libération, la naissance de l'aîné de mes neveux qui vit le jour sous la tente de l'armée US, dans l'unité médicale d'urgence en première ligne. Le médecin commandant était un célèbre praticien à Chicago et avait prévu tout ce qui est nécessaire pour un accouchement en urgence. Incroyable ! Dans quelles conditions l'Ecole a-t-elle été libérée en août 1944 ? Michel Le Bas : Entre le 10 et le 20 août, les Allemands qui avaient perdu la bataille de Normandie, faisaient retraite au-delà de la Seine, espérant pouvoir contenir l'avance foudroyante des armées alliées. Quittant l'École précipitamment, ils ont incendié le bâtiment des classes où devaient être stockées des munitions ainsi que le pavillon Gamble. Les troupes US, arrivant à proximité de Pullay et ne sachant pas si l'ennemi défendait le camp, ont commencé à mitrailler l'Ecole ainsi que Verneuil où la tour de la Madeleine a été très endommagée. Pendant le mitraillage, Madame Trocmé a cherché refuge sous le petit pont du Mississipi, à proximité de la menuiserie et a été tuée. En décembre 1944, Monsieur Trocmé a été renversé par un convoi de camions de l'armée US sur la grand-route. L'Ecole a perdu deux âmes d'élite. 83 Michel Poutaraud : L'abbé Souty, aumônier de l'École, au péril de sa vie, a pu rejoindre les troupes US près de Pullay pour leur demander que cesse le mitraillage car il n'y avait plus d'Allemands dans la région. (Cette information est confirmée par Monsieur Demaire). 1944 - 1945 Le bâtiment des classes incendié par les Allemands en 1944. A la rentrée, quelle était la situation de l'Ecole ? Philippe Mussat : Compte tenu des circonstances, la date de la rentrée a été plus tardive. Le Vallon a été la seule maison ouverte avec, comme chef de maison, Louis Garrone qui prit en même temps la direction de l'Ecole à la suite de son beau-père Georges Bertier. Outre le bâtiment des classes et le pavillon Gamble, détruits, les autres maisons avaient beaucoup souffert pendant ces quatre années d'occupation. De nouveau libre d'aller et venir dans la propriété, je me souviens de tous les engins et munitions plus ou moins dangereux laissés et qui n'avaient pas encore été ramassés. L'un de nos camarades, surnommé “le professeur fulminate”, était passionné par des expériences en tous genres de physique et de chimie. Il fabriquait des engins explosifs à partir de boîtes de conserve bourrées de poudre, avec une mèche. Dans la piscine vide et dans la cave de la maison des Pins, il réalisait ses “exploits”, en cachette bien sûr. C'était plus que stupide et, heureusement, il n'y eut pas d'accident. Après le Vallon, quelles maisons ont été ouvertes ? Paul Renaud : Je crois bien avoir été parmi les premiers élèves à m'installer aux Sablons qui, après restauration bien nécessaire, ont été rouverts avec, comme chef de maison, Monsieur Froissard. Philippe Mussat : Avant d'intégrer les Sablons, j'ai occupé un dortoir qui, provisoirement, avait été installé au premier étage de l'infirmerie. J'ai donc expéri- 84 menté un grand nombre de solutions provisoires ou de dépannage. Par la suite et, successivement, les maisons des Pins, du Coteau et enfin de la Colline ont été rouvertes. Pendant toutes ces années après la libération, la Prairie a été utilisée comme bâtiment des classes. Antoine Berge : Rentrée scolaire 44-45, je suis accueilli par Monsieur Garrone, nouveau Directeur, qui m'informe que je vais être “capitaine” : j'étais un peu impressionné mais fou de joie que l'on ait bien voulu me confier cette responsabilité passionnante de “Frère aîné”. Dès le premier jour de mon capitanat, il y eut un petit incident : Jean Marinovitch, dit “Marino”, avait “carotté” la douche froide obligatoire du matin et mouillé ses cheveux pour “faire croire” qu'il y était passé, comme tous ses camarades : m'en étant rendu compte, je fis une “réunion de dortoir” et proposai à mes jeunes camarades d'adopter la devise des Sablons : “Loyauté me lie”. Je souhaitais qu'il y ait entre nous, dans mon dortoir, une solide amitié, ce qui impliquait une parfaite loyauté : le pari fut tenu. Quelques semaines plus tard, notre dortoir quitta le Vallon pour s'installer au second étage du bâtiment dit “la Prairie” qui servait à cette époque de bâtiment des classes. Un peu à l'écart du Vallon auquel nous étions néanmoins rattachés, nous avions appelé notre dortoir “l'Abbaye de Thélème” dont la devise était : “Fais ce que voudras” (mais, sous-entendu, “avoir fait quand tu mourras”), nous avions tous pris des noms de “Frères” : Frère Tiburce, Frère Anicet, Frère Pétronille, etc. et j'étais moi-même, rien que cela, le “Père Abbé”. Nous étions liés par une profonde amitié, ce fut pour moi une année merveilleuse. A l’issue de ces témoignages exceptionnels sur des heures exceptionnelles, Philippe Mussat conclut : “Si nous avons voulu faire revivre l'Ecole des années de notre jeunesse, c'est avant tout pour porter témoignage des valeurs de nos éducateurs, chefs de maison et professeurs qui par vocation ont consacré toute leur vie à cette Ecole dans un esprit de désintéressement parfait. Nous leur devons d'avoir traversé ces années terribles sous leur protection sans avoir été marqués psychologiquement par les violences du monde extérieur. Avec leur style et leur charisme, parfois très différents, ils ont su nous transmettre leur foi chrétienne, le sens des autres et un grand élan d'espérance en un temps où l'on pouvait facilement désespérer de tout. Ces valeurs de fond qui sont la base de toute éducation nous ont été proposées plus par l'exemple que par de beaux discours. Elles seules permettent l'épanouissement d’une personnalité libre et responsable ayant le sens du devoir et du don sans lequel il ne peut y avoir de communauté de vie harmonieuse. L'Ecole, à travers son corps enseignant, a toujours privilégié les qualités humaines des jeunes qui lui étaient confiés, l'objectif étant plus d'éduquer que de scolariser. Alors que la France souffrait physiquement et plus encore moralement, l'Ecole conservait le souvenir de ceux qui avaient donné leur vie pour que la Patrie vive librement; à chaque célébration dominicale, la longue liste des morts au champ d'honneur était proclamée. Comment ne pas nous en souvenir ? Il ne faut donc pas s'étonner des nombreux engagements volontaires de Rocheux dans la Résistance et, dès la Libération, dans les unités de la jeune armée française renaissante. Ils avaient tous été “Bien armés ... pour servir”. 85 86 Quelques images d’hier 87 Le pavillon de chimie en 1923. Le premier bâtiment des classes... ... et sa deuxième version qui sera incendiée par les Allemands en 44. Une annexe de la Guichardière dans ses débuts. L’infirmerie en 1910, devenue par la suite le pavillon Gamble. Vue de la salle des fêtes avec, au fond, le buste d’Edmond Demolins. Le pavillon de dessin en 1923. La piscine en 1920. Le Pavillon Normand en 1920. 88 Les “piaules” des capitaines aux Pins. La passerelle sur la voie ferrée près de la Guiche. Travaux pratiques de l’époque. Leçon d’équitation en 1924. Leçon d’escrime en 1923. Classe de chimie en plein air en 1901. Extrait du réglement sur la toilette. Salle de gymnastique en 1919. 89 Le salon des Pins en 1927. Bureau du chef de maison de la Guiche en 1924. Un dortoir à la Guiche. Salle à manger des Pins en 1927. Bureau du chef de maison de la Prairie en 1925. Un dortoir aux Sablons. Une salle de classe. La salle à manger du Vallon en 1920. 90 Professeurs et élèves à la Guiche en 1927. Le Coteau en 1922. Départ de cross en 1966. C’est la Prairie qui a gagné. Derrière, avec des lunettes, Monsieur Blanc. Travaux pratiques de charpentes en 1924. La patrouille des Chevreuils en 1925. Départ en vacances vers les années 50. Les Cars Suzanne, de Verneuil, déposent les élèves Place Dauphine en un superbe embouteillage. 91 De gauche à droite : Jean Raymond Bessil, professeur de dessin et TP de 1945 à 1950. Monsieur Gauthier professeur de 3ème. Gustave Coureau chef de maison de la Guiche de 1945 à 1953. Monsieur Dubois, chef de maison du Coteau et professeur de mathématiques. Ch. W. Bodé, professeur de mathématiques et de physique de 1907 à 1939, en compagnie de Pierre Duperche. Maurice Coupé, de 1938 à 1973. Professeur de lettres, directeur des études et directeur universitaire. Suzanne Dupau, de 1916 à 1956. Anglais et enseignement général. Roches, Maslacq, Clères. Georges Dupire, de 1899 à 1938. Dessin. Monsieur Cantel, professeur de latin et de grec. Il habitait la maison de Mandres. Françoise de Comminges, de 1923 à 1965. Lettres, histoire. Clément Mentrel, de 1917 à 1960. Éducation physique, enseignement général, anglais et espagnol, chef de maison des Champs. 92 A gauche, Paul Cressant, de 1951 à 1953. Professeur de dessin. Louis Malavielle, de 1907 à 1954. Professeur de mathématiques et TP de forge.. Monsieur Guy Pierre Jacquemin, de 1926 à 1955. Professeur de musique. Gabriel Ollagnier, de 1928 à 1972. Mathématiques. Huguet, de 1925 à 1940. Gymnastique et sports. Quiard, français et enseignement général, en compagnie de Bruno Dufour au centre et Eric Lippman à droite, vers 1953. Meyer, de 1925 à 1940. Français et latin, chef de maison du pavillon Gamble. Monsieur Lechapetois 93 94 3 Les acteurs de l’Ecole des Roches 95 96 La ronde des maisons L’Ecole des Roches rassemble aujourd’hui sept maisons entre lesquelles se répartissent ses 300 élèves. A la fin des années 1940, elle en comptait une douzaine, six grandes et six petites, pour loger plus de 400 élèves. “...l’identité rocheuse se construit au sein de ces grandes bâtisses normandes pleines de souvenirs...” Elève ou ancien élève de l’Ecole des Roches, un Rocheux s’identifie d’abord à sa maison, celle où il a habité et grandi durant sa scolarité. Avant d’être “rocheux”, on se revendique d’abord de telle ou telle maison : on est “du Vallon” ou “de la Prairie”. Bref, l’identité rocheuse se construit au sein de ces grandes bâtisses normandes pleines de souvenirs, bons ou mauvais. Chaque maison reflète la personnalité de ceux qui la dirigent et de ceux qui y encadrent les plus jeunes, savoir les couples de chef et maîtresse de maison avec leurs adjoints et collaboratrices, secondés par les indispensables et irremplaçables capitaines de maison et responsables de dortoirs. Chacune de ces maisons est unique par son style architectural et son histoire, l’un et l’autre hérités de leur passé et de l’empreinte de ceux qui les ont dirigées. De l’aînée à la benjamine, elles forment une ronde au sein des 60 hectares qui constituent le domaine actuel. De gauche à droite : M. Dubois, chef de maison du Coteau. Jacques Valode, chef de maison des Sablons de 1948 à 1959. Colonel Petit, chef de maison du Vallon de 1950 à 1951. Elles se flattent de posséder, outre une devise, un blason choisi pour les plus anciennes d’entre elles en 1910. Du Vallon aux Fougères, leurs noms sont des plus bucoliques à l’exception de celui de la Guichardière dont l’histoire est liée à celle d’un éminent ancêtre, Edmond Demolins, le fondateur des Roches lui-même. 97 dant longtemps le même hobby, le même exercice préféré et mieux connu, la même spécialité. Cette devise les invite à rester fidèles à la même tâche, à creuser longtemps, droit et profond, le même sillon. A tout seigneur, tout honneur. Le Vallon est la plus ancienne des maisons. Elle a accueilli dès l’ouverture de l’Ecole, le 7 octobre 1899, les 50 premiers élèves sous la direction d’un ancien directeur des Ecoles de Valcombe. Sa partie centrale est formée par l’ancien château des Roches dont les communs ont été transformés par l’architecte Nodet. Chefs et maîtresses de maison : F. Bachelet et son épouse (1899-1900), Ernest Picard, Paul Le Saulnier et Miss Curtiss, Paul Jenart et son épouse (à partir de 1908 ), Coulthard et son épouse (1910-1912), Henri Marty et son épouse (1912-1931), Louis et Monique Garrone (19311939), Paul Belmont (1939-1940), Georges Bertier et son épouse (1940), Henri et Eve Trocmé (19411944), Louis et Monique Garrone (1944-1950), Petit (1950-51)… Robert de Luppé (1953-56), Philippe Blanc et son épouse (1956-1980), Roger et Annie Cacheux (1980-1989), …Mme Collomb (depuis 1995). Emblème de l’Ecole, elle est aussi la première maison visible depuis la Nationale d’où les automobilistes remarquent la nuit le grand lustre séculaire briller dans son vaste hall d’entrée. Bordée d’un petit cours d’eau dont les soudaines crues ont valu à celuici le surnom de “Mississipi”, elle est devenue en 1995 une maison de filles. Parmi les adjoints et aides-maîtresses de maison: Mlle Cherniac (vers 1908), Mlle Paule de Bonviller, surnommée “Miss de Poum” (1925-1958), Mlle Boblet, dite “Tante Bob” (1945-1971), Marcel Vinson (1940-44), Pierre Bonzon (1957-1960), Bernard Guelton (1976-1980)… et, depuis 1995, Mlles Proust, Colleu et Féré. Le Vallon, Droit et profond Mademoiselle Boblet (surnommée Tante Bob) aide-maîtresse de maison au Vallon de 1945 à 1951, puis de 1959 à 1980 et intendante de 1971 à 1980. Photographiée ici lors de la fête du Centenaire en 1999. 98 Sa devise a été choisie sous l’influence d’un de ses premiers chefs de maison, Paul Jenart, qui était ingénieur agronome et responsable de la section d’agriculture. Illustrée par une charrue symbolique dont le soc creuse un sillon, elle invite le Rocheux à un labeur analogue au “labour” d’une bonne charrue. Elle exprime la loyauté et l’énergie. Dans l’esprit de son inventeur, le mot “droit” ne signifie pas la seule sincérité : en demandant aux élèves d’aller droit devant eux, il les incite aussi au devoir de la continuité de l’effort, de l’unité dans la vie ; ils doivent, dès l’Ecole, s’habituer à mener jusqu’au bout un travail commencé, à creuser une question, à avoir pen- Les bâtiments annexes du Vallon en 1902 d’aprés une carte postale. Madame Dervaux, épouse de Max Dervaux (affectueusement surnommée “Mimi”), maîtresse de maison des Pins de 1947 à 1969. D. Venturini, chef de maison des Pins de 1984 à 1987. Les Pins, Recta non rigida Les Pins ont ouvert leurs portes la seconde année de l’Ecole, en octobre 1900. Ils ont été dirigés au début par deux Anglais qui quittèrent brutalement les Roches pour fonder l’Ecole de l’Ile de France, à Liancourt, dans l’Oise. Construite par l’architecte Nodet, en même temps que l’ancien bâtiment des classes, la maison subit un incendie le 28 janvier 1903. Entièrement détruite, elle fut reconstruite sur les mêmes plans. Depuis lors, elle a été agrandie de diverses salles telles qu’un dortoir, un vestiaire et une salle de jeux. Le bois des Pins qui l’entourait a entièrement disparu en 1923 et fut replanté, surtout en acacias et bouleaux. L’abbé Gamble y a longtemps joué un grand rôle. Elle est restée une maison de garçons. Ses capitaines peuvent encore travailler dans les “piaules” de leurs prédécesseurs dont on peut lire certains noms gravés sur les murs de la cheminée de l’ancienne salle à manger. Une réunion de méditation sous la houlette de Francis Cahour, chef de maison des Pins de 1925 à 1940. Jehan Maymil, chef de maison des Pins et professeur d’histoire et géographie de 1971 à 1982. Avec Max Dervaux, chef de maison des Pins de 1947 à 1969, l’appel des “objets trouvés” (ou confisqués) était un moment haut en couleur de la fin d’année scolaire. Chefs et maîtresses de maison : Scott et Hawkins, Campaux et son épouse, Bernard Bell et son épouse, Gaillard de Champris et son épouse, Mercier des Rochettes et son épouse, Pierre Méline et son épouse (jusqu’en 1925), Francis Cahour et son épouse (1925-1940), Georges Boespflug et son épouse, Max Dervaux et son épouse Gabrielle (1947-1969), Jehan Maymil (1971-1982)… D. Venturini et son épouse (19841987, puis un autre séjour de deux ans), M. de Coligny (1992… )…, M. Bordes, M. Genelle et son épouse (depuis 1998). 99 La “Guiche” en 1927 d’après une carte postale légendée : “Les agrandissements sont en cours d’exécution”. La Guichardière, Par soi et pour tous Gustave Coureau chef de maison à “La Guiche” de 1945 à 1953. Elle était la résidence du fondateur de l’Ecole des Roches, Edmond Demolins. Il l’avait baptisée ainsi en hommage à celle qui est devenue sa femme, Juliette Lebaudy, qui, lorsqu’elle était sa fiancée, habitait à Paris, rue Guichard. En 1901, le couple Demolins y reçut 25 élèves. Il voulait, d’une part, prendre une participation plus active à l’œuvre d’éducation qui se faisait aux Roches, d’autre part, essayer la formule d’une maison plus petite, formule qui semblait, à ses yeux, préférable à celle d’une maison de 50. Sa devise est la traduction de celle de l’école anglaise de Bedales : “The work of each for the weal of all”. Après la mort de Demolins, sa veuve est restée à la Guichardière comme maîtresse de maison jusqu’en 1920, date à laquelle la maison a été achetée par l’Ecole. Entre-temps, elle s’était agrandie : une seconde partie fut construite en 1910 par l’architecte Huot puis l’ensemble fut unifié en 1925 par l’architecte Jacquelin qui relia la maison principale et ses annexes. En 1931, la Guichardière se spécialisa dans l’accueil des petits rocheux des classes primaires. Elle devint, sous la direction du couple Henri Marty, une “junior school” appelée aussi “école préparatoire”. 100 Les élèves y logeaient, y prenaient leurs repas et y travaillaient sur place, ce qui leur évitait de parcourir à pied les presque 2 kilomètres qui les séparaient de l’Ecole et surtout de traverser la voie ferrée qui était alors très fréquentée. En 1969, elle devint le refuge des premières filles, une dizaine, inscrites aux Roches. Cantonnées derrière la voie ferrée, elles la quittèrent en 1995 pour s’installer au Vallon. Depuis lors, la Guichardière, qui fut très tôt appelée la Guiche, accueille de jeunes stagiaires en “Français Langue Etrangère”. Belle reconversion pour une maison dont l’ancien propriétaire avait introduit, dans le programme de l’Ecole des Roches qu’il venait de fonder, l’innovation du stage linguistique à l’étranger. Chefs et maîtresses de maison : Edmond Demolins et son épouse Juliette (19011907), Mme Demolins (1907-1920), l’Anglais Coulthard (1907), Gustave Monod (1911-1914), Maurice Montassut (à partir de 1914) et Marguerite Lesade (1913-1932), Paul Belmont et son épouse (1925-1928), Roujol, Louis Garrone et son épouse Monique née Bertier (1929-1931), Henri Marty et son épouse (1931-1940), Georges Bertier et son épouse (1940-1944), Gustave Coureau et son épouse (19451953), Joseph et Bénédicte Gissinger (1953-1971), l’adjointe Jeanine Gambier (1954-1958), Jean et Jeanne-Thérèse Floch (1971-1976), André et AnneMarie Beroff (1978-1981)…, Jean-Pierre Maupas et son épouse Renée-Laure (1984-1994), Mme Collomb (1994-1995). L’abbé Gamble, chef de maison du Coteau pendant la guerre 14-18. Le Coteau, Force et douceur Maison jumelle des Sablons, elle a subi elle aussi les violences de la tempête du 26 décembre 1999. Son toit a été emporté mais elle a résisté, illustrant ainsi la vertu et la qualité proclamées dans sa devise. Celle-ci est dûe à deux anciens professeurs, l’un d’histoire, l’autre d’architecture, Desgranges et Storez. Chefs et maîtresses de maison : Elèves et professeurs du Coteau en 1914. Un coin du salon du Coteau en 1927. Georges Bertier et son épouse (1902-1920), de Prat et son épouse, l’abbé Gamble (pendant la guerre 14-18), Mlle Lepetit, Grunder, Mlle Elisabeth Huguenin (1926-1931), Maurice Vaussard et son épouse (1930-1932), René Levesque et son épouse (1932-1940)... Mlle Conte..., M. Dubois..., François et Louise Gspann (1957-1962), Jean-Brice et Annick Langer (1962-1966)… Jean-Marie Boussion et son épouse (jusqu’en 1973), Geoffroy Baxter et son épouse (1974-1980), M. Falk et son épouse, M. Airs, Henri Ruault et son épouse (jusqu’en 1987)… Benoît Maisonneuve (1989-1990), M. Philippe Calmels et son épouse (depuis 1990). 101 Les Sablons, Loyauté me lie Jacques Valode, chef de maison des Sablons de 1946 à 1962, lors d’une fête des Sablons dans les années 1955. Les éléves des Sablons en compagnie de M. et Mme Trocmé dans les années 1920. Henri Trocmé et son épouse Eve, Chef de maison des Sablons de 1902 à 1940. Janine Wullschleger, maîtresse de maison des Sablons et professeur de français. 102 Maison jumelle du Coteau, elle est restée près de quarante ans sous la direction de Henri et Eve Trocmé. Ceux-ci s’y investirent totalement, au propre comme au figuré, dès son ouverture en 1902. Ils avaient organisé leur chère et accueillante maison avec un souci d’art permanent, allant jusqu’à la meubler en partie avec leur propre mobilier. La devise des Sablons a été empruntée par Henri Trocmé à un château de la Loire, comme les devises qui étaient peintes dans le hall et au-dessus des portes. Ecrites en vieux français, elles cherchaient à élever quotidiennement l’âme et la volonté de ses garçons. Si les garçons sont restés, les devises quant à elles ont été effacées par le temps. Il nous en reste cependant le souvenir grâce au petit florilège que voici : dans le hall, au-dessus de la porte du salon “Pour rachapter une faute, hausse ton âme plus haute”, au-dessus de la porte de la salle à manger “Passera vite ta payne, si n’as cholere ni hayne”, au dessus de la porte du bureau “Ne crains point ce qu’il en coûte, si tu veulx que l’on t’écoute”, au-dessus de la porte conduisant à l’étude “Soys sûr, si tu as dict oui, que le plus sourd a bien ouï”, au-dessus de la porte des lavabos, à côté de l’escalier “En tout pour être premier, prends l’étroit de l’escalier”, dans le fond sur la bannière du jeune chevalier “Loyauté me lie”, en nous retournant, au-dessus de la porte du petit hall “De chez moi tant peu je sorte, mon bonheur reste à la porte”. Gageons que ses locataires actuels y trouvent encore leur bonheur. Chefs et maîtresses de maison : Henri Trocmé et son épouse Eve, née Rist (19021940), Jacques et Jeanine Valode (1946-1962), Jean de Ligniville et son épouse (1962-1971), l’adjoint Xavier de Solages (1963-1964), M. et Mme Wullschleger… Marc Horguelin (1978-1981), Bernard Boussion (interim de 6 mois), M. et Mme Jean et Danièle Pinzaize (depuis 1981). La Colline La Prairie, Pax in Lumine Bernard Demeillers, professeur de mathématiques et de physique, chef de maison de la Prairie, directeur des études. De 1964 à 1972. Les élèves de la Prairie en 1967. Cette devise a été donnée à la Prairie par M. Montassut, son premier chef de maison, qui dirigeait l’Ecole de l’Ile de France, avant de venir aux Roches en 1914. Véritable oasis de paix posée au milieu du parc, elle est toute baignée de lumière. De grandes baies vitrées ont remplacé ses petits carreaux, mais avec ses colombages, elle a conservé tout de son charme normand. C’est d’ailleurs devant la Prairie qu’ont eu lieu les festivités du centenaire. Elle fut construite en 1925 par l’architecte Jacquelin qui bâtit aussi l’Infirmerie, la Colline et transforma la Guichardière. De 1944 au début des années 1960, elle remplaça l’ancien pavillon des classes, le «Bât», qui avait été détruit durant la guerre. Elle accueillit à nouveau des garçons avant d’être reconvertie, à partir de 1990, en maison de filles. Assurément, la Prairie en a encore gagné en charme. Chefs et maîtresses de maison : M. Montassut et Mlle Chappuis, Paul Belmont et son épouse (1928-1933), Louis et Marie-Antoinette Viguier (1933-1958), André Faure-Beaulieu et son épouse (1958-1960), Marthe Valot (1960-1961), Claude Valon (1961-1962), Louis Amadieu et son épouse (1962-1968), Bernard et Jacqueline Demeillers (1968-1969), Roger et Annie Cacheux (1969-1980), M. et Mme Mathe…puis M. et Mme Cuinet. Si la Colline n’a pas de devise, c’est sans doute parce qu’elle est la dernière née des grandes maisons. Elle fut construite en 1929 afin de regrouper les services de direction et d’administration. Son toit a abrité les familles des directeurs qui se sont succédé à la tête de l’Ecole. C’est ici qu’ont lieu les réunions du conseil d’administration de la Société de l’Ecole Nouvelle-Ecole des Roches et que sont prises toutes les décisions, autant pédagogiques que financières, qui influent sur la santé générale de l’établissement. C’est aussi à la Colline que sont accueillis tous les hôtes de marque qui viennent honorer les Roches de leur visite. Les signatures de noms prestigieux laissés sur le Livre d’Or en témoignent. Une partie de son rez-de-chaussée et l’étage supérieur ont été aménagés pour y loger des élèves, les premières filles en 1969. Dans les années 1990, le blason qu’elles ont imaginé sous la direction de leur maîtresse de maison, Madame Henras, évoque la fraternité internationale : deux mains serrées, l’une blanche et l’autre noire, surmontées d’une étoile et d’une rose. Leur vitalité anime ce haut lieu qui, niché dans un coin du domaine, discrètement derrière un petit bois, se révèle être le cœur des Roches. Chefs et maîtresses de maison : Mme Martas (1969-1971), Mlle Suzanne Vannier (avant 1980), M. Daniel Venturini et son épouse (1980-1983), M. Briolet… Depuis 1993, la maîtresse de maison est Mme Nicole Henras et son adjointe, depuis deux ans, Mlle Ioulia Voronina. 103 France Filliette (1962-1979), Jean et Jeanne Floch (à partir de 1976)… Mme Nicole Henras (1990-1993). Raphaël Marmara, chef de maison fondateur des Fougères de 1973 à 1986 et responsable des maisons de filles à partir de 1976. Professeur d’histoire. Ici en compagnie de Madame Garrone lors d’un arbre de Noël destiné aux enfants du personnel. Les Fougères Marie-France Filliette, maîtresse de maison du Moulin de 1962 à 1979, lors de la fête du printemps vers 1975. 104 La maison des Fougères est née récemment. Elle a été aménagée vers 1973, après l’ouverture de l’Ecole à la mixité, pour y accueillir les filles toujours plus nombreuses. Sans blason ni devise, elle se place sous la tutelle de sa voisine la Guichardière et de son célèbre ancêtre. Elle accueille désormais les plus jeunes élèves. Chefs et maîtresses de maison : Raphaël et Antoinette Marmara (1973-1986), J.M. Spencer Ellis (1992)… M. P. Vittet et son épouse, Mlle Boin, Mlle Campion. Enfin, fermons cette ronde des maisons en évoquant certaines d’entre elles aujourd’hui disparues telles que la Villa Médicis, le Pavillon Gamble et la maison des Champs. l’Iton, le Pavillon Bessan et le Moulin ne sont plus habités tandis que le Petit-Clos est resté dans le giron familial de son dernier chef de maison. Dans l’ancien Collège de Normandie, près de Clères, il y avait les Tilleuls, les Lierres et les Pommiers. Les Champs : Charles Bonzon, aumônier protestant, (1930-1936), Gilbert Gehring (1940-1943). Pavillon Gamble : Meyer (1925-1940). Iton : Max Dervaux (1946-1947). Petit-Clos : Etienne de Palézieux (1936-1941), Raphaël Boussion (19451972). Le Moulin : Antoinette Hoepffner-Carlier (1950-1951), Suzanne Vannier (1953-1962), Marie- La Tournelle Un peu plus loin, à Septeuil, dans les Yvelines, l’Ecole des Petites Roches, dite aussi la Tournelle, pourrait agrandir le cercle avec ses cinq autres maisons baptisées le Hamel, les Pavillons, Manoir, Zéphyr et le Castel. Achetée à la fin de l’année 1978 à sa directrice qui partait à la retraite, Mlle Bacon, elle s’apparente à une annexe des Roches réservée aux classes primaires ainsi qu’aux grandes sections de maternelle. Elle était sous contrat simple, lequel fut rompu en 1988 et, depuis, jamais obtenu à nouveau. Les directeurs qui se sont succédé à la Tournelle sont, après le Père Tourde en 1978, M. Loiseau, puis M. Massot, de 1986 à 1989, et enfin M. Venturini jusqu’en 1991. A ses débuts, elle comptait environ 150 élèves dont beaucoup passaient directement en 6ème à l’Ecole des Roches. Les anciens comptables des Roches, M. et Mme Vasse, en gardaient, une trentaine en général, le week-end, à la maison des Acacias, derrière les Pins, aujourd’hui réservée aux professeurs résidents et aux invités. Au-delà d’une ronde, toutes ces maisons forment un véritable village où, chaque année, les élèves apprennent à vivre en communauté. ■ Nathalie Duval Tous nos remerciements vont aux actuels chefs et maîtresses de maison, en particulier Mme Henras, qui nous ont fourni des informations pour compléter les listes de ces vingt dernières années. Nous remercions également M. Venturini d’avoir eu l’obligeance de nous communiquer la liste que Mme Vasse, secrétaire-comptable avec son époux à partir de l’année 1979-1980, avait établie, juste après son départ à la retraite en 1998, d’après les registres du personnel. Les Champs sur la Route de Verneuil, en 1924. Le Petit-Clos. L’Iton. La Tournelle. Le pavillon Bessan. La maison de Pullay. Le Pavillon Normand. 105 106 Aux capitaines par Louis Garrone Nous avons conservé ce que l’on pourrait appeler une “adresse” aux capitaines par Louis Garrone, dans laquelle il précise ce que sont l’esprit de l’institution et les responsabilités que cette fonction implique. Il a rédigé ce texte, le 26 octobre 1961, six ans avant sa mort, c’est-à-dire au cours des dernières années de sa carrière de chef de maison et de directeur de l’Ecole. Il ne serait pas juste que je vous demande un tra- “N'est-ce pas utopique de confier des adolescents à d'autres adolescents...?” vail comme celui que je vous ai demandé hier : à savoir de relire vos cahiers de réunions avec un esprit critique, si je ne m'efforçais de préciser le sens et la portée de ce travail. Le point de départ indispensable est une notion correcte de votre métier de capitaine et de sa signification pour vous. L'Ecole en vous proposant d'être capitaines prend : 1 - pour elle, 2 - et pour vos camarades, des risques énormes. Il est trop clair qu'elle ne se facilite pas la tâche. L'ordre, la discipline, le travail seraient assurés avec infiniment plus de sécurité si des adultes formés en avaient la charge. Il n'est pas un homme de métier qui, à première vue, ne s'étonne, reste sceptique ou même ne se scandalise quand il apprend que des garçons, c'est-à-dire des adolescents dont la réflexion, le jugement, la volonté sont à former et qui sont à l'Ecole pour recevoir cette formation, assurent le respect de l'ordre, de la discipline et même du travail de leurs camarades. N'est-ce pas utopique de confier des adolescents à d'autres adolescents ? n'est-ce pas, à plaisir, réaliser la situation de la fable : des aveugles pour conduire des paralytiques ? N'est-ce pas, en tout cas, demander à des adolescents d'être des hommes, d'avoir une réflexion, un jugement, une volonté d'hommes ? N'est-ce pas, en fait, priver ces adolescents de la formation même qu'une école doit leur donner, considérer comme résolu le problème de leur propre éducation ? N'est-ce pas, enfin, et ce n'est pas le moins grave, une pédagogie de “galonnés” qui forme une caste de privilégiés, une sorte d'aristocratie qui se juge supérieure aux autres, voire même au-dessus des lois ? Ces objections - et l'on pourrait en formuler bien d'autres - peuvent être fondées, sont fondées si le capitaine n'a pas de son rôle une idée très précise. D'abord l'Ecole, loin d'oublier que le capitaine est un adolescent dont elle a à assurer la formation, accepte le risque de gouverner avec des adolescents parce qu'elle juge que le métier de capitaine est un moyen exceptionnel de former chez des adolescents 107 la réflexion, le jugement, la sensibilité et la volonté. A condition de ne pas se décharger sur des adolescents de la responsabilité, qui est et ne peut être que la sienne, un chef de maison peut associer des adolescents au maintien de l'ordre, de la discipline, du travail et de “l'esprit” de sa maison. Ce qui revient à dire qu'un chef de maison ne se sert pas de ses capitaines pour gouverner sa maison mais se donne comme règle de ne rien entreprendre d'important sans eux. Le premier devoir d'un chef de maison est donc d'accepter de ne rien faire d'important sans les avoir réunis en conseil de capitaines, non pas pour s'en remettre à eux des décisions à prendre ou des mesures à adopter, mais pour préparer, étudier, arrêter ces décisions et ces mesures avec eux. Un chef de maison n'a pas à rendre des comptes à ses capitaines : ses capitaines ne sont pas ses juges ; il n'oublie donc pas qu'il a à faire à des adolescents en mal de formation, mais pour les former il réfléchit avec eux, juge avec eux, décide avec eux. De fait, il n'est pas de meilleur moyen de former à la fois le jugement, la sensibilité et la volonté d'adolescents que de leur fournir des occasions de juger, de sentir, de vouloir, quitte à guider, contrôler, rectifier. En demandant à ses adolescents de participer avec lui à la construction de la maison, un chef de maison leur rend le service énorme de les obliger à s'élever audessus de leurs préoccupations personnelles, à observer, à juger dans l'objectif, c'est-à-dire en dépassant ses habitudes, ses préférences ou aversions, à agir avec suite et par conséquent à apprendre à organiser. Si vous comprenez ce que doit faire avec vous le chef de maison, vous ne risquez pas le contresens, fréquent il faut le reconnaître, qui consiste, parce 108 que vous êtes capitaines, à revendiquer que le chef de maison vous suive. C'est alors, et alors vraiment, que le reproche adressé à l'École de confier à des aveugles le soin de guider des paralytiques s'appliquerait à plein. Le chef de maison vous sert dans la mesure où il est votre guide, c'est-à-dire quelqu'un qui ne marche pas pour vous, mais quelqu'un qui, vous ayant jugé désireux de marcher et capable de marcher, vous propose de marcher avec vous en mettant sa réflexion, son savoir, son expérience, non pas à votre service, mais au service d'une fin commune à lui et à vous : la maison, dont il reste, en dernier recours, responsable. Les risques qu'il prend, mesurez-les bien : il accepte, d'avance, la lenteur, les découragements, les faux-pas. Il sait qu'il a à faire à des adolescents et non à des hommes, il n'attend donc pas de vous des jugements et des initiatives spontanément viriles. Le guide de montagne sait au départ que ses clients ne sont pas entraînés; il accepte cependant de lier son sort à leur sort : il n'y a pas d'autres moyens de faire des alpinistes. ■ Louis Garrone 26 octobre 1961. Extraits de l’adresse Aux Capitaines, publiée in extenso dans L’Ecole des Roches et Louis Garrone dans Les souvenirs de Tante Bob. Une capitaine de l’Ecole nous parle. Quand une année se termine, les élèves se sentent joyeux : finis les cours, finies les contraintes de la vie en collectivité, et bonjour les vacances ! Mais cette joie n'est pas dénuée de nostalgie. Une année scolaire à l'Ecole des Roches est un tout, une tranche de vie, riche en expériences variées, en rencontres, en découvertes, en réalisations. En victoires aussi, après avoir survécu à la tempête, nous avons survécu au passage dans le nouveau millénaire. Certains d'entre nous survivront même au bac ! Nostalgie donc d'un temps qui se termine, des amis et des professeurs que l'on quitte, de tout ce que l'on aurait voulu faire et que l'on n’a pas fait... Le Year Book est là qui témoignera du passé. Mais pendant les vacances cette nostalgie s'estompera pour faire place progressivement à l'anticipation de la rentrée : que sera pour nous cette nouvelle tranche de vie ? A l'Ecole des Roches nous apprenons une chose précieuse : ces tranches de vie à venir seront ce que nous en ferons nous-mêmes avec l'aide des adultes qui nous entourent. Pour ma part, j'ai entendu dire que le capitanat est une fonction en péril et les capitaines une espèce en voie de disparition. C'est vrai qu'il est difficile d'être capitaine. C'est vrai aussi que le capitanat fait partie des traditions de l'Ecole. Comme toute tradition, elle ne survivra que si elle est vivante et elle n'aura de sens que si elle vit. Au nom de toute l'équipe des capitaines, je remercie les élèves qui nous ont élus, je remercie l'administration qui nous a fait confiance, les chefs de maisons qui nous ont soutenus. Que vive l'Ecole des Roches et qu'elle sache allier tradition et modernité ! ■ Tatiana SANGLADE capitaine de l’Ecole Tatiana Sanglade lors de son intervention à la fête de l’Ecole, le 23 juin 2001. 109 110 Henri Trocmé un créateur en éducation (avec son épouse) “...ils construisent pendant 42 ans des générations de Rocheux...” Les Sablons sans arbres... ...et quelques années plus tard. L’année 1902 voit l’arrivée à l'Ecole des Roches d’un nouveau chef de maison dans une nouvelle maison en construction : Henri Trocmé (1873-1944), aux Sablons. Ancien élève du lycée Louis-le-Grand, à Paris, il a enseigné comme professeur de philosophie pendant deux ans à l’Ecole Préparatoire de Théologie des Batignolles. En 1898, il a fait deux voyages en Angleterre et a participé au “summer meeting” d’Edimbourg à l’occasion duquel il s’est initié à la science sociale. En janvier 1902, il a épousé Eve Rist, la fille du Docteur Rist, ami de Demolins. Les jeunes époux partagent la même passion : l’éducation. Ils construisent pendant 42 ans des générations de Rocheux jusqu'à ce qu'ils soient tués à la fin de la guerre. Il a vingt-neuf ans lorsqu’il entre aux Roches et fait le pari extraordinaire d’y former une jeunesse selon les principes de la science sociale. Educateur mais aussi entrepreneur, il n’hésite pas à investir une somme personnelle de vingt mille francs or (soit près de 400 000 francs actuels) dans la construction de la maison des Sablons qu’il meublera également avec ses propres deniers. Aux côtés de Georges Bertier qui prend la direction de l'Ecole en 1903, il devient, en plus de professeur et chef de maison des Sablons, Directeur des Etudes et sous-directeur de l’Ecole. De confession protestante, il incarne avec Bertier, catholique, un exemple à cette époque rare et inédit d’œcuménisme en éducation. Un de ses anciens élèves, Daniel Dollfus, est resté fidèle à sa mémoire. Sorti premier de l’Ecole des Roches, il eut le privilège de se voir offrir un voyage inoubliable de plus de trois mois à travers l’Amérique latine. Il témoigne : “Quelques vieilles photos nous permettent de mieux cerner sa forte personnalité ainsi que son charisme dans le cadre privilégié des Sablons. - D'abord la photo des Coteau-Sablons, à la fin de la construction. Il n'y avait pas encore l'annexe qui fut ultérieurement accolée. Et regardez les arbres : ils viennent d'être plantés. - Quelques années plus tard, la même photo de ces maisons jumelles mais les arbres ont grandi, comme l'Ecole, comme sa pédagogie nouvelle. - Vingt six ans ont passé. Voici la photo d’Henri Trocmé en 1928, il avait 55 ans et était père de neuf enfants. A 28 ans, il avait été professeur de philosophie à l'Université de Göteborg en Suède. A 29 ans, il fut nommé directeur des études de l'Ecole des Roches et chef de maison des Sablons tout en étant successivement professeur de Latin, de Philosophie et plus tard de Géographie. C'est à lui que revint la charge de créer, sur le terrain, la pédagogie, alors 111 Henri Trocmé sur le perron des Sablons. “...une étude des Sablons (...) Tous les élèves étaient en veston et cravatés...” Déjeuner sur la terrasse aux Sablons. 112 très spéciale de cette école. Malgré toutes les charges, je ne l'ai jamais vu débordé, jamais en retard à un seul rendez-vous. C'était à la fois un organisateur et un grand humaniste, toujours disponible, jamais négatif, toujours positif. - Sur une autre photo d'une étude des Sablons, vous en reconnaissez les murs,(au fond : un bureau de capitaine). Tous les élèves étaient en veston et cravatés. C'était l'époque. - Et voilà la dernière photo : le déjeuner, par beau temps, sur la terrasse des Sablons. Remarquez qu'à chaque table il y avait un professeur. Je me souviens très bien des conversations que nous avions, orientées par eux, toujours intéressantes. On était vraiment dans un bain agréable, d'ouverture d'esprit au monde. Quelles étaient, alors, les autres caractéristiques de cette école ? - D'abord une pédagogie très originale. Elle serait toujours valable actuellement ; mais il faudrait naturellement l'adapter à notre époque et particulièrement à l'informatique. - Puis une formation du caractère. C'était un facteur capital. Je ne vous citerai qu'une des maximes que nous nous efforcions de réaliser ; “Fais aujourd'hui ce que tu pourrais ne faire que demain”. Oui, pourquoi pas vous aussi, désormais, en souvenir de Henri Trocmé ? “Fais aujourd'hui ce que tu pourrais ne faire que demain”. - Il n'y avait que très rarement des punitions et même bien peu de reproches. Henri et Eve Trocmé faisaient en sorte que le jeune fautif se convainque de sa propre responsabilité et réalise sa propre amélioration. Et ça réussissait ! - Un moment capital de la formation du caractère et de la culture était le quart d'heure consacré, lors de chaque appel. Je me souviens, 65 ans après, de plus de cent thèmes tels que : “Le courage de Scott au Pôle Sud” ; ou bien : “Qu'est-ce que la beauté ?”, etc. - Je terminerai en évoquant des résultats des années 1930. Presque chaque année, un ou deux élèves, deux ans après leur Bac, entraient à Polytechnique et beaucoup dans d'autres grandes écoles. Monsieur et Madame Trocmé ne cessaient de nous conseiller : “Pensez, dès maintenant, au jugement que porteront sur vous vos enfants : admiration ou mépris”. Ils étaient, comme le furent les Demolins et bien d'autres, ainsi que les anciens d'il y a 60 ans, des passionnés. Oui, des passionnés de grandes créations”. ■ Daniel F. Dollfus (Sablons 1930-1934) Henri Marty une figure mondiale du scoutisme Le créateur de la première troupe des Eclaireurs de France. “Ce géant d’un mètre quatre-vingt-quatre” Henri Marty au camp-école de Cappy. Avec Georges Bertier et Henri Trocmé, Henri Marty (1887-1945) complète le trio de brillantes personnalités qui, aux côtés d’autres professeurs et chefs de maison non moins compétents, firent de l’Ecole des Roches un phare de l’éducation nouvelle. Henri Marty n’a que vingt ans lorsqu’il entre à l’Ecole des Roches en 1908. Il vient d’effectuer son service militaire après avoir obtenu sa licence ès lettres à la Sorbonne. Professeur de 5ème, il passe deux années à la Guichardière, puis part, pendant une année, en mission d’études aux Etats-Unis, à Boston et à l’université de Chicago. A son retour, à l’été 1911, il épouse Suzanna Flye-Sainte-Marie et revient à l’Ecole des Roches. Il loge au Vallon où il succède comme chef de maison, en octobre 1912, à Monsieur Coulthard. Ce géant d’un mètre quatre-vingt-quatre, père de huit enfants, devait rester fidèle à l’Ecole des Roches jusqu’en 1939. Professeur d’économie, d’histoire et de géographie, d’anglais et de science sociale, il est en outre directeur-adjoint, responsable des sports et des travaux pratiques ainsi que du contrôle médical. Il consacre aussi une grande partie de son activité à l’organisation de stages en Angleterre où il fait, au moins une fois chaque année, un voyage pour conserver le contact avec les écoles et les familles qui reçoivent les élèves. En 1931, il devient, avec son épouse, responsable de l’école élémentaire installée à la Guichardière. Simultanément, il se consacre à l’animation du scoutisme qu’il a contribué à introduire en France en créant à l’Ecole des Roches, dès son retour des Etats-Unis en 1911, la première troupe des Eclaireurs de France. Dans l’entre-deux-guerres, il s’impose aux premiers rangs de ce mouvement de jeunesse dont le fondateur l’honorait d’ailleurs de son amitié. Il est ainsi nommé au poste de “délégué au comité d’entente” lorsque le Bureau international des Eclaireurs est créé à Londres en 1920, sous la présidence de Lord Baden-Powell. Composée de neuf membres, cette institution a pour but d’encourager les relations amicales entre les Boy-Scouts du monde entier. Henri Marty y assume très activement sa mission. Il fait de nombreux voyages à l’étranger et ce, jusqu’en 1938. En effet, cette année-là, il rend visite au roi de Roumanie Carol II dans le but d’éviter que le scoutisme roumain, en pleine sécession du mouvement, ne bascule dans l’orbite des jeunesses nazies. Pacifiste convaincu, il a également participé à de grands rassemblements des Patrouilles de la Paix dans l’esprit de la Société des Nations, comme en 1936. En outre, en tant que Commissaire international des Eclaireurs de France, il préside les Foyers Internationaux Scouts de la Méditerranée dont les sièges sont situés à Nice, Marseille, Menton et 113 Henri Marty et la troupe des Eclaireurs de France. Lord Baden-Powell (au premier plan) en compagnie de Henri Marty. 114 Toulon. A ce titre, il écrit à l’un de ses grands élèves des Roches, devenu éclaireur, Philippe Kressmann (Guichardière 1930-1936), sur une petite carte de vœux datée du 25 décembre 1935 : “Prenons tous une résolution en cette fin d’année tragique : où que nous soyons, dans toute notre action, pensons à notre promesse et à notre loi. Grâce à cela, il y aura peutêtre un peu plus de justice et de charité dans la jungle des hommes. C’est notre vœu commun ; que la Paix de Noël soit en nos cœurs”. Il aspirait à la paix, mais restait néanmoins lucide sur le risque d’un conflit inévitable à venir. Ancien combattant de la Première Guerre mondiale, il reçoit, en hommage à ses différents services rendus à la nation, la Légion d’honneur à titre militaire en 1932. Catholique fidèle, il eut l’honneur de se voir attribuer par le Vatican le titre nobiliaire de comte. Titulaire de nombreuses distinctions civiles ou militaires, il s’est toujours voulu au service de son pays. Après avoir été Directeur de l’Ecole d’Education physique et sportive puis Directeur de l’Institut d’Education physique générale, il est nommé, lors de la Libération, commandant interprè- Henri Marty et ses cadres éclaireurs. De gauche à droite et de haut en bas : Claude de Lestapis, Gros, Édouard Huyghues Despointes, Waddington, Hubert Argod, Charles de Montalembert, Henri Marty, Gérard Van Hamel, Édouard Ziegler. te à l’armée américaine. Ainsi qu’en témoigne son épouse, il eut alors la satisfaction de pouvoir faire appel à de nombreux anciens des Roches. C’est à la suite d’une mission dans les ports dévastés de Cherbourg et du Havre qu’il meurt à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, le 6 juin 1945. ■ Nathalie Duval André Charlier le maître de Maslacq “...ne voir en lui qu'un bon professeur, c'est consentir à n'y rien comprendre.” Maslacq est un petit village du Béarn, situé près d'Orthez dans les Pyrénées. Pendant dix années, de 1940 à 1950, son château a abrité la communauté d'une petite centaine d'élèves rocheux dirigée par André Charlier et son épouse. L'un de ses anciens capitaines, Dom Gérard (Maslacq 1940- 1948), Père Abbé de l'abbaye Sainte-Madeleine du Barroux (84330), nous livre son témoignage. “Nous sommes arrivés la nuit tombée en suivant d'Orthez à Maslacq un char à mules qui avançait lentement sous une pluie fine. Comme le coeur me battait en entrant dans le grand château noir ! Heureusement, mon grand frère était là avec moi. Le soir même, Monsieur Garrone souhaite la bienvenue, mais il rappelle aussi que la France est en deuil et que cette rentrée ne doit ressembler à aucune autre. Tout le monde monte dans les dortoirs le cœur serré ; les petits eux-mêmes savent pourquoi il faut être triste, Maslacq est né sous le signe de la gravité 1.” Cette gravité est celle d'un pays qui vient d'être humilié, envahi par les troupes allemandes durant l'été 1940. Dans l'affolement du mois de mai, l'Ecole des Roches avait fermé ses portes, mais des enfants étaient restés sous la responsabilité de professeurs. Louis Garrone avait alors dû leur trouver un nouveau toit. L'occasion se présenta en zone libre, non loin de la frontière espagnole, dans ce petit village isolé au milieu des champs et des prairies dominés par les collines d'Orthez. Dom Gérard poursuit : “Et de la joie aussi. Car le lendemain matin un soleil éclatant fait briller les flaques d'eau que la terre argileuse n'a pas encore bues : sous un ciel tendu et bleu, le charme de Maslacq opère déjà. Pour aller du château au bâtiment des classes, il faut traverser le village. Là, élèves et professeurs de Verneuil se retrouvent et bavardent familièrement. Parmi ceux-ci, il y en a un qui ne parle pas beaucoup, c'est André Charlier. On sent confusément qu'il ne lui a pas été facile d'accepter la défaite. Il a gardé quelque chose de l'allure militaire avec ses bottes d'officier et son porte-carte en gros cuir, dans lequel il transporte maintenant des livres d'exercices latins et quelques bâtons de craie. De capitaine d'infanterie, le voilà redevenu professeur, un excellent professeur d'ailleurs, qui enseigne à ses élèves à parler en latin. Et pourtant ne voir en lui qu'un bon professeur, c'est consentir à n'y rien comprendre.“ En effet, le parcours tant professionnel que spirituel d'André Charlier est singulier. Il est entré aux Roches en 1924, recommandé par son frère Henri Charlier, sculpteur, qui avait réalisé la statue de Notre-Dame pour la chapelle de l'Ecole. L'Ecole des Roches lui apparut “comme une sorte d'atelier idéal, où le souci d'une culture authentique pouvait s'épanouir à l'aise dans un cadre naturel, où les maîtres, transmettant à leurs élèves bien plus un art de penser qu'une technique particulière. Un art de penser et un art de vivre. Atelier idéal, parce qu'il était possible que tout y fût fondé sur le vrai, si nous le voulions. Et nous avions trop souffert dans les ténèbres de l'incertitude pour ne pas vouloir de toutes nos forces amener d'autres âmes à la lumière. Péguy nous avait révélé le vrai visage de la France, un visage dont nous avions trouvé la ressemblance au fond de notre cœur. Nous ne pensions pas à autre chose qu'à refaire une France nouvelle, une France vraie. Et il nous semblait que tout pouvait partir des Roches, qui étaient pour nous quelque chose comme les Cahiers de la quinzaine pour Péguy ou le Vieux Colombier pour Copeau.” André Charlier entretenait une correspondance régulière avec Paul Claudel et Jacques Copeau, deux hommes dont la pensée était centrée sur la renaissance du théâtre chrétien, avec René Desgranges et Maurice Storez, qui lui avait ouvert les portes de l'Ecole, et avec Dom Romain, prieur de La Pierre-qui-Vire, son frère spirituel, "tous les deux éclairés par la même lumière de foi claire et solide, et tous les deux animés d'un même 115 Jeanne Duplâtre, future Madame Charlier. désir de sainteté. De grandes âmes.", précise Dom Gérard qui dresse ci-après la biographie de celui qui l'inspira dans sa vocation religieuse. André Charlier est né le jour de Noël 1895, dans une famille incroyante, dont le père était franc-maçon, mais qui gardait honnêtement la loi naturelle ; son éducation restait étrangère à toute vie religieuse. Pendant les vacances scolaires, l'enfant, devenu orphelin de sa mère dès l'âge de sept ans, partait chez ses grandsparents maternels, vignerons en Bourgogne, et reçut un commencement d'éducation chrétienne grâce au curé du village. Les confidences qu'il fit plus tard à l'un ou à l'autre de ses élèves laissent à penser que c'est le travail de la terre qui lui avait donné le goût des choses d'en haut. Les tâches paisibles de chaque jour dans le retour régulier des saisons conduisait doucement son âme à l'admiration de la nature : “cet immortel instinct du beau qui nous fait considérer la terre et ses spectacles comme une correspondance du Ciel.” (Baudelaire) Puis à l'âge de 17 ans eut lieu la rencontre inattendue et décisive avec la Grâce dans l'église SaintSéverin à Paris, événement silencieux qui appartient au secret des cœurs et qui bouleversa son existence. Dès la déclaration de guerre, âgé de 19 ans, André Charlier reçut le baptême des mains de Dom Besse, dans la chapelle des bénédictines de la rue Monsieur, et de là partit vers les premières lignes des tranchées sur le front. Blessé deux fois et incarcéré dans la forteresse d'Ingolstadt, son existence avivée par la souffrance et la méditation allait acquérir dès lors une maturité et une profondeur peu commune. A la fin de la guerre, dès qu'il fut arrivé aux Roches, on lui confia les cours de lettres. Sa grande culture littéraire lui donnait un rayonnement qui dépassait les murs de sa classe, au point qu'on a vu parfois d'autres professeurs se mêler aux élèves pour suivre un cours sur la poésie française. Il avait par-dessus tout l'art d'éveiller les sensibilités et plus encore d'élever les âmes à travers les grands chefs-d'œuvre de notre littérature. 116 Mais l'œuvre qui allait naître de lui prit naissance en octobre, au soir de la défaite, au moment où la France humiliée cherchait à revivre sous l'occupation allemande. Louis Garrone ayant été appelé à Vichy comme responsable des Mouvements de Jeunesse, c'est à André Charlier que fut confié la charge de continuer Les Roches, alors repliées à Maslacq, petit village du Béarn entre Pau et Orthez. Ce que fut la vie de ces jeunes gens au milieu des paysans est quelque chose d'inimaginable. Enfants et paysans se croisaient le matin, les uns allant en classe leurs livres sous le bras, les autres menant leurs vaches pacager. On apprenait la France ailleurs que dans les livres, ou plutôt les élèves faisaient le lien entre l'histoire de France et la vie. Mais celui qui faisait le lien, c'était l'homme aux racines terriennes et à l'âme très haute. Lorsqu'il fallut remonter en Normandie, André Charlier écrivit dans un Adieu à Maslacq des lignes où passe une émotion contenue : “Il y avait à Maslacq un charme que tous ceux qui y sont passés ont ressenti, et le propre d'un charme est qu'on ne sait pas de quoi il est fait (...) En somme, l'âme s'y sentait bien, parce qu'il y avait un accord secret entre une nature aimable et les habitations des hommes, entre les coteaux sans âpreté, mais aux lignes fermes, et les toits noblement incurvés.(...) L'ensemble du parc et du château, les terrasses et les escaliers, les hautes toitures, le pavillon des Muses l'ancienne orangerie -, l'horizon des toits du village et de la vallée contemplée des fenêtres du second étage, tout cela parlait aux esprits un langage plus intelligible que bien des livres. La chapelle construite par les religieuses espagnoles est sans doute un scandale pour un homme de goût, mais je n'en puis dire du mal : il s'y est passé trop de choses en dix ans. Dix années pleines. Dures ? Sans doute. Mais ces lieux harmonieux nous ont aidés à les vivre.” 1 Dom Gérard, “Histoire de Maslacq”, André Charlier, Itinéraires, chroniques et documents, n°266, septembre-octobre 1982, pp. 256296. Toutes les citations dans le texte sont extraites de cet article. Max Dervaux l’inoubliable chorale “...on l’aurait suivi au bout du monde.” Qui aurait oublié Max Dervaux ? Sans doute pas ceux qui l’ont connu et, surtout, qui ont chanté dans sa chorale ! En effet, Max Dervaux, responsable de la chorale et professeur de mathématiques, a laissé dans beaucoup de mémoires un souvenir prestigieux. L’un de ses anciens garçons des Pins, dont il fut le chef de maison de 1947 à 1969, tout en étant directeur adjoint des Roches à partir de 1955, se souvient : “On buvait une anisette lors des réunions de capitaines. On descendait dans la cave, dans son bureau (dans la cheminée). Il disait un sonnet, puis s’arrêtait quand des vers lui manquaient. Il disait qu’il allait s’en souvenir : “la prochaine fois, je vous le ramène”. Et, effectivement, le sonnet était complet au bout de la semaine car il avait retrouvé dans sa mémoire la totalité du poème. C’était un petit bonhomme de rien du tout qui avait une capacité d’écoute, donnait des conseils. Il avait un charisme extraordinaire : on l’aurait suivi au bout du monde. On avait une confiance totale en lui. C’était la sécurité, l’autorité aussi. Il était capable de faire une répétition générale la veille de la première avec un orchestre étranger à lui. Les répétitions avaient lieu à la chapelle. On était une bonne centaine. Il arrivait à la salle Gaveau et ne faisait qu’une ou deux répétitions générales”. Mais il est mieux encore de laisser la parole à Max Dervaux lui-même : “Je suis resté vingt-trois ans à l’Ecole. Une année à commencer par l’Iton et là j’ai beaucoup appris tout seul parce que j’étais à l’Iton avec chaque garçon : c’était beaucoup plus simple que dans une grande maison. Mais après ça, je suis arrivé aux Pins et je me suis trouvé devant 70 garçons. Evidemment je n’avais pas une formation spéciale, mais j’avais tout de même une chose, l’expérience du scoutisme. Quand je suis arrivé, Garrone m’a demandé si je voulais m’occuper d’une troupe scoute. A cette époque-là, je considérais qu’une troupe scoute était un mouvement dans l’Ecole, un Etat dans l’Etat et je n’étais pas du tout chaud. Je crois que Garrone n’était pas plus chaud que moi. Je lui ai dit : “Non, si vous voulez, je veux bien m’occuper d’une chorale”. Et, au premier appel des travaux pratiques sur la place du grand bâtiment des classes, j’ai demandé à tous les élèves rassemblés quels étaient ceux qui voudraient faire partie d’une chorale. Je n’ai eu qu’un candidat qui s’appelait Francis Roucher et qui était un peu mon filleul. Et s’il s’était avancé, c’était probablement pour me faire plaisir. Alors j’ai mené à ce moment-là une campagne personnelle, je suis allé de maison en maison et je suis allé leur demander et leur indiquer ce qu’on pouvait faire avec une chorale en leur disant qu’évidemment je ne pouvais pas prendre des élèves qui chantaient complètement faux mais que je pourrais prendre à peu près toutes les voix qui se présentaient et que j’en ferais quelque chose. Et nous avons chanté, pour la première fois à Gaveau, l’Oratorio de Noël (de Bach) devant des familles qui étaient assez ahuries de nous voir nous lancer dans un pareil pari. Nous avons parlé du scoutisme tout à l’heure : la vie d’une maison était la vie d’une troupe scoute. Mais on ne le disait pas. Il ne fallait pas le dire. En fait, le chef de maison était le chef de troupe et les capitaines étaient les chefs de patrouille. Or ça, sur cette matière-là, j’étais particulièrement formel, c’était essentiellement ça qui m’a permis de mener à bien la vie de la maison des Pins. Mais je ne vous cache pas que j’étais assez inquiet. Je me demandais comment j’allais mener cette bande de chenapans qui me regardaient en souriant et en attendant, le soir de ce premier dîner, la gaffe que j’allais faire éventuellement. Je 117 Les débuts de la chorale dans les années 49. crois que je n’en ai pas fait, mais j’en ai sans doute fait les années suivantes. Pour moi la vie de maison et le métier de capitaine, c’est la caractéristique même, c’est l’essentiel de l’Ecole des Roches. Sans maison comment voulez-vous qu’on vive une vie comme nous l’avons vécue à l’Ecole ? Il faut dire qu’il y avait un grand nombre d’exigences. On était, tout en paraissant libéraux, assez stricts mais ces trimestres entiers passés à l’école sans aller se perdre à Paris ou ailleurs en fin de semaine, c’étaient des trimestres extraordinaires pour la formation d’un garçon. C’est capital pour l’école. La fonction de capitaine dans la vie d’une maison, c’est l’essentiel de la vie de l’école. Une vie de maison, comment vous la définir ? C’est vraiment 70 garçons (car j’avais 70 garçons aux Pins, certaines années) qui sont groupés autour du ménage du chef de maison, car ma femme a joué un rôle très important. Je vais vous lire un papier car j’ai trouvé ça exceptionnel. Il y a peu de temps, je suis allé à une réunion d’anciens, au Scribe, et l’un d’entre eux m’a offert une cravate qu’accompagnait un mot rédigé à mon attention. Laissez-moi trouver ce petit papier que j’ai reçu : Max Dervaux a été aussi responsable des sports. Ici en compagnie de Claude Drappier, professeur d’éducation sportive. 118 “Très cher M. Max (ce qui est rigolo, d’ailleurs, comme interpellation), un jour vous nous avez dit que vous ne vous intéressiez surtout qu’à ce que nous, petits acnéiques impubères de l’époque, deviendrions trente ans après. Quarante années plus tard, avec une affection intacte, voici un modeste exemplaire du calvaire qui ne le fut pas moins, par la subtile exploitation de la paresse. C’est à vous que je dois, avec mon cher abbé Martineau qui avait été mon précepteur avant que je n’entre aux Roches, les seuls souvenirs émus et chaleureux de ma vie scolaire ; le frais sourire et les soins maternels de madame Dervaux me consolent encore de mes chagrins rocheux. Merci à vous d’avoir éclairé mon adolescence et de pouvoir encore émouvoir le vieux jeune homme que je suis ce soir et qui reste, grâce à vous, un enfant de chœur.” ...”cette bande de chenapans qui me regardaient en souriant.” (Réveil dans un dortoir des Pins). Je ne vous dis pas qui m’a écrit ce mot, mais j’ai été très ému quand je l’ai reçu. Ce garçon a fait une carrière très honorable, il travaille dans une fort grande maison de luxe qui s’appelle Hermès, on le reconnaîtra peut-être car il a dessiné beaucoup de foulards. Ce qu’il cite là dit bien la valeur que pouvait avoir un ménage de chefs de maison par rapport à ces garçons”. Les appels de “lecture” faisaient partie intégrante de la vie des Pins. Jacques Valode animateur d’un certain “climat de Il ne faut pas non plus oublier Jacques Valode (1923-1994) qui a laissé aussi un fort souvenir chez un grand nombre d’Anciens. Il était professeur d’histoire et a été chef de maison des Sablons de 1946 à 1959. Le 24 janvier 1993, un an et demi avant son décès, il a prononcé le discours suivant lors d’un dîner des Anciens des Sablons. “...le temps n’efface pas tout (...) surtout pas un climat de vie façonné par un certain nombre de valeurs.” Jacques Valode, chef de maison des Sablons de 1946 à 1962 (et professeur d’histoire), lors d’un appel en 1953. “Votre assistance nombreuse et chaleureuse – sans parler de tous ceux qui se sont excusés en des termes qui vont droit au cœur – est pour moi source d’émotion et de joie. Si l’on tient compte du fait que beaucoup d’entre nous se sont perdus de vue pendant de longues années, il faut bien admettre que le temps n’efface pas tout : il n’efface pas les amitiés, il n’efface pas les souvenirs, il n’efface surtout pas un ‘climat de vie’ façonné par un certain nombre de valeurs. Ces valeurs, nous les devons à Edmond Demolins qui a vu juste, à la fin siècle dernier, et dont l’Éducation nationale s’est aujourd’hui largement inspirée. Or ce n’est pas facile de voir juste à la fin d’un siècle, car chaque fin de siècle engendre son lot de craintes et d’incertitudes. J’ai été très intéressé par le livre récent d’un professeur d’université américaine, Allan Bloom, ‘L’âme désarmée’. Essai sur le déclin de la philosophie et de la culture générale. Il y retrace admirablement les incertitudes d’aujourd’hui. Sans aller chercher nos références aux U.S.A., il apparaît que notre fin de siècle est marquée par de nombreux bouleversements : une évolution technologique plus rapide que jamais, une mondialisation des problèmes et un ensemble de crises – le chômage en tête - dont on sent bien que les causes dépassent largement le niveau conjoncturel, touchent au structurel et risquent même de porter atteinte à l’organisation de notre société. Sans parler de telle ou telle secte qui nous prédit la fin du monde à court terme. Le mérite d’Edmond Demolins est donc grand, d’avoir vu juste et clair à la fin du XIXe siècle, en jetant les bases de la pédagogie de l’Ecole des Roches. Et je ne vois pas pourquoi, ni comment renier les valeurs qu’il a mises à l’honneur : - Je pense, tout d’abord, à la formation chrétienne qui vous était proposée. Laissez-moi évoquer le souvenir de nos aumôniers catholiques, de nos pasteurs protestants et de nos retraites qui, pour les plus grands surtout, constituaient d’irremplaçables occasions de recul, de réflexion et de maturation. Toujours en respectant la liberté de chacun. - Je pense à la devise de l’Ecole, moins au “bien armés pour la vie” qui me paraît très ambitieuse, qu’à “les Roches préparent à servir”. Lequel d’entre nous ne considère pas sa vie comme une somme de services ? - Je pense à l’apprentissage de la responsabilité, dans le travail scolaire comme dans la vie de tous les jours. Aux capitaines qui venaient me faire part des problèmes rencontrés dans leur dortoir, je m’efforçais évidemment de donner des conseils, mais je leur disais toujours qu’il s’agissait de leur responsabilité et que c’était à eux de prendre la décision. À côté des capitaines, je pense aux responsables des équipes sportives, mais aussi à toutes les petites responsabilités (la cloche, le gong, les carnets, les vestiaires, la bibliothèque, le courrier, etc.). Dans le domaine des responsabilités, il n’y avait pas de différence de nature, mais seulement des différences de degré. - Je pense à l’éducation de la capacité d’adaptation à l’avenir. Nos efforts tendaient certes à vous apprendre, mais surtout à vous faire réfléchir et à vous apprendre à apprendre. Puis-je ici saluer la mémoire de Louis Garrone dans ses cours de philosophie et Louis Viguier dans ses cours de mathématiques ? Et évoquer l’action pédagogique de monsieur Coupé dans ses cours de littérature et de latin ? - Je pense à l’appel fait aux différentes facultés de l’enfant et de l’adolescent : intellectuelles, évidemment, mais aussi physiques (l’éducation physique et les sports, quelle irremplaçable école de formation du caractère !), artistiques et manuelles. Le tout dans un souci d’équilibre. 119 Jacques Valode commentant les sujets à la sortie du Bac à Evreux en 1953. Jacques Valode à l’arrivée du car qui amenait les futurs bacheliers à Evreux. 120 - Je pense enfin à l’esprit de Maison et à l’esprit d’Ecole, dans la mesure où ils ouvraient la voie à la prise en compte d’une collectivité, avec ses exigences, ses contraintes, ses épreuves parfois, mais aussi ses satisfactions et ses joies. Si l’on me demandait de reprendre une responsabilité du style de celle que j’ai assumée aux Sablons - c’est une hypothèse d’école à mon âge - il y aurait évidemment bien des choses à moderniser et à actualiser, notamment le langage, mais je m’efforcerais de maintenir les valeurs dont je viens de parler. J’y ajouterais sûrement une plus grande ouverture au monde, un plus grand souci de l’information et de la communication et, enfin, un effort vers ce qu’on appelle aujourd’hui l’excellence”. Jacques Valode connaissait très bien l’Ecole. Avant d’en devenir l’un des principaux chefs de maison, il y avait grandi. Il y était né presque. En effet, comme on peut l’apprendre grâce à un ouvrage collectif, Notre Sillon, sur l’histoire de leur famille, il est né dans la maison familiale de la Ruchère, à Verneuil, alors que son père, Edmond Valode (1884-1961), était économe général de l’Ecole des Roches depuis 1921. Celui-ci joua un très grand rôle dans le bon fonctionnement financier de l’Ecole, notamment durant la guerre quand la survie des Roches semblait aléatoire. Ses deux garçons René, l’aîné, puis Jacques, ainsi que son neveu Robert, suivirent, comme les enfants des autres employés de l’Ecole, gratuitement leur scolarité à l’Ecole. Dans Notre Sillon, il raconte comment il est devenu chef de maison des Sablons à la suite de brillantes études à Sciences Po. alors qu’il hésitait entre s’inscrire à un DES d’Economie Politique et préparer le concours d’entrée à l’Ecole Nationale d’Administration. Nous sommes en été 1946 : “C’est alors que le directeur des Roches, Monsieur Garrone, me demande le service de prendre la charge de l’enseignement de l’histoire et de la géographie au cours de vacances qui prépare les bacheliers recalés en juillet, mais admis à se présenter à la session de septembre. J’accepte, poussé par ma formation historique et mon goût croissant pour cette discipline, et surtout très attiré par une expérience nouvelle. (…) Or, quelques semaines après la rentrée scolaire de septembre, Monsieur Garrone se trouve en face d’un grave problème pour la Maison des Sablons. Le nouveau chef de maison a totalement échoué, au point de s’enfermer dans son appartement en attendant son déménagement, et Monsieur Garrone, déjà chef de Maison du Vallon, est obligé de s’occuper également des Sablons. Il me propose alors de prendre la responsabilité des Sablons et de poursuivre mon enseignement d’histoire géographie dans les grandes classes, étant entendu que nous ferions un bilan de la situation au mois de juin 1947 et que nous conviendrions alors ensemble d’un engagement durable ou d’une séparation. J’hésite, j’hésite beaucoup, car c’est un tournant dans ma vie. Est-ce raisonnable de me détourner de la formation reçue aux Sciences Po. et de ne pas poursuivre la voie d’une carrière publique ? Je consulte les parents ; eux sont séduits de voir leur dernier fils se consacrer à une institution à laquelle ils ont donné le meilleur d’eux-mêmes et rester ainsi auprès d’eux, mais ils ne veulent pas m’influencer. En définitive, j’accepte, en me disant que j’aurai une année pour prendre une décision finale et qu’il faut savoir dire oui à des événements et à des opportunités quasi-providentiels”. Raphaël Boussion le seigneur du Petit-Clos Raphaël “...il apporta à ses élèves un encadrement quotidien, solide, exigeant et affectueux.” Boussion (1911-1983) est une des grandes figures de l’Ecole des Roches. Il était chef de maison du Petit-Clos, authentique maison normande qu’occupe aujourd’hui l’un de ses fils devenu à son tour professeur aux Roches. Il s’y installa en septembre 1946. Il en fut le maître jusqu’en 1972 et y accueillit, avec son épouse, chaque année un petit groupe de moins de vingt garçons auxquels il offrait une éducation des plus personnalisées. Il créait en effet dans la maison du Petit-Clos une ambiance attrayante et chaleureuse autour de ses six enfants qui vécurent en permanence au milieu des élèves. Ceux-ci étaient ainsi intégrés dans ce que souvent il leur manquait : une véritable famille. Raphaël Boussion, “Ralph” pour les siens, impressionnait d’abord par sa haute stature. Sans doute est-ce de son grand-père vendéen qu’il avait hérité cette carrure athlétique. Il s’imposait aussi par sa stature morale. Homme d’une prodigieuse culture, héritée de sa scolarité chez les jésuites, il apporta à ses élèves un encadrement quotidien, solide, exigeant et affectueux. Ainsi, l’un de ses fidèles amis aime-t-il à évoquer “sa haute et massive silhouette, sa démarche martiale, son visage carré où le regard sombre pouvait s’enflammer au moindre souffle de passion, sa crinière brune, parsemée de fils d’argent et son sourire magnétique empli d’un éternel humour. Tous ses élèves l’adoraient, tant il savait se consacrer à eux et tout particulièrement à tous les cas qu’il pouvait connaître présentant des difficultés. Il ne leur Raphaël Boussion chef de maison du Petit-Clos de 1945 à 1972. Responsable des langues vivantes de 1945 à 1965. Professeur principal des 2èmes, 1ères et terminales en francais et anglais. ménageait ni sa peine, ni son temps, car il savait sublimer toute chose”. Doté d’une licence d’anglais, il enseigna d’abord chez les jésuites à Reims, de 1937 à 1939, puis fut pendant la guerre directeur d’un établissement religieux, St-Dominique, à Vichy. Il entra à l’Ecole des Roches en septembre 1945, par l’intermédiaire de l’un de ses anciens élèves, le commandant de Tournemire, par ailleurs ami de Louis Garrone qui dirigeait l’Ecole depuis la fin de la guerre. Attiré par la pédagogie anglo-saxonne des Roches, il éprouva, ainsi qu’on peut le lire dans son Journal intime du Petit-Clos (1945-1949), une grande admiration pour Louis Garrone dont il jugeait la direction enrichissante et la pédagogie excellente : “Il connaît admirablement les adolescents et c’est merveille de le voir former les capitaines et 121 Madame Boussion toujours attentive au moment du retour des courses. A gauche Jean-Marie Boussion. A droite Lucien Gautier, le coursier. 1953 Accueil des Petits-Closiens (extrait) “... L’esprit et la charité des hommes profonds Ont fait l’histoire Nourris-toi de leurs livres Mais aussi de leur sacrifice Non pour t’en alourdir Mais pour retrouver la vigueur De leur esprit Et l’enthousiasme de leur cœur. Toi aussi, tu es cet anneau Au diamètre d’une hostie Par où passe la vie. Un instant, dans le temps, Tu es ce rendez-vous De l’âme du passé Déjà pleine de l’avenir triomphant Qui déjà surgit de toi ! Comme d’une délivrance ! Te voilà un sens ! La vie n’a pas de sens ? Mais si. Ecoute ta conscience”. d’entendre ses appels”. Sur les suggestions de ce dernier, Raphaël Boussion, en plus de ses cours d’anglais, créa un “club d’anglais” qui compta parmi ses premiers membres le so british Desmond Whitechurch (Pins, 40-47). Par la suite, il assuma des responsabilités supplémentaires telles que celles de responsable de l’enseignement des langues vivantes ou de cours de vacances. Michel Blanc, fils de l’ancien chef de la maison du Vallon, se souvient : “Il y a aussi quelqu’un qui m’a marqué, c’est Raphaël Boussion, chef de maison du Petit-Clos. Une année où je passais mon bac, j’ai été obligé de bachoter au mois d’août. Là, j’ai un souvenir extraordinaire du contact d’adulte à enfant. Boussion nous prenait en cours particulier avec deux ou trois élèves. Nous avons, par exemple, décortiqué avec lui l’Etranger de Camus ou reçu des cours d’espagnol : il s’était remis à l’espagnol pour nous. Ces cours de vacances étaient familiaux. En dehors du bachotage l’après-midi, on jouait au tennis avec lui. Ce qui est remarquable, c’est le travail psychologique qu’il accomplissait sur les enfants, un travail de motivation. Il avait affaire à des enfants qui avaient eu un premier échec au bac, il fallait les mettre en confiance pour le second passage. J’ai été alors beaucoup marqué pour ce que je fais aujourd’hui, dans le management. C’est quelqu’un qui apprenait aux gens à savoir se battre, à dépasser l’objectif”. Cette fougue et cette volonté farouche qu’il entendait transmettre à “ses” garçons se manifestent dans les poèmes qu’il aimait écrire comme celui destiné à l’Accueil des Petits-Closiens. En voici la fin, en hommage à un chef de maison resté plus de trente ans fidèle à l’Ecole des Roches et qui repose désormais dans le petit cimetière de Pullay, aux côtés de bien d’autres professeurs, bons serviteurs des Roches. ■ Nathalie Duval 122 Un moment de détente au Petit-Clos pendant les cours de vacances au mois d’août 1953. Philippe Blanc une vie dévouée aux autres Philippe Blanc a été professeur aux Roches et chef de maison du Vallon de 1956 à 1980 et a assumé parallèlement les fonctions de directeur adjoint de l’Ecole entre 1970 et 1980. Son fils Michel nous parle de son père, aujourd’hui décédé. “...une vie tournée vers les autres, à l’écoute des autres.” La classe de latin en 1ère avec Philippe Blanc en 1960. 2/Michel Bachelier. 3/Alain Laurent. 4/Jacques Lepice. 5/ Michel Grimbert. 6/ Jean Pierre Champeau. 7/Patrick Favreau. 8/ Claude Chapellier. 9/ Thierry de La Marnière. 10/ Edouard Manset. 11/ Gilles de Fouquières. 12/ Yves Champain. 13/ Eric Le Coq de Kerland. “Philippe Blanc était un homme tourné vers les autres. C’était un pédagogue hors pair, avec un grand charisme. Il s’est intéressé très jeune aux associations. Il a été chef scout. Pendant la guerre, il était dans le Vercors où il était responsable de la Croix-Rouge. Ensuite il a été pendant un certain temps professeur à Villard-de-Lans dans un collège privé. En 1956, il a rejoint l’Ecole des Roches où il est devenu chef de maison du Vallon, directeur adjoint, puis directeur par intérim. Ce qui est le plus marquant dans sa personnalité est le souci perpétuel qu’il avait de l’épanouissement de ceux avec qui il travaillait. Il était capable de traverser la France pendant les vacances pour voir un élève malade. J’ai été très touché par ce qu’un ancien des Roches, Xavier Camelin, qui nous a fait l’amitié de venir aux obsèques de mon père, il y a dix ans, avait écrit sur le registre : “vos enfants sont là”. On ne peut pas plaire à tout le monde, réussir avec tout le monde, mais un grand nombre d’anciens ont été ‘marqués’. Je me souviens de l’un d’entre eux, quand je lui ai dit que j'étais le fils de Philippe Blanc : il était ému jusqu’aux larmes. Il a vraiment réussi sa vie, une vie tournée vers les autres, à l’écoute des autres. Le soir, il réunissait les élèves. On chantait, on animait des spectacles tous les samedis soir. Mon père a succédé à Max Dervaux et, comme lui, a organisé des conférences et des concerts. A midi, il faisait une revue de presse, relatant les faits et événements importants. Il faisait aussi des lectures afin de développer en nous un certain nombre de valeurs. Après le repas, les élèves de terminale se retrouvaient autour du chef de maison et de son épouse. Nous avions alors souvent des discussions philosophiques animées par le chef de maison. Il y avait des échanges incessants entre les élèves et le chef de maison. La clef de voûte de l’Ecole était la famille, ce qui était un investissement énorme de la part des chefs de maison. 123 Un point qui m’a marqué est la mise en valeur de l’importance des responsabilités : le fait de se trouver, en première ou en terminale, capitaine, avec la responsabilité des élèves en étude, en dortoirs. C’est là que j’ai appris mon futur travail de manager”. Dans une lettre, un élève et disciple de Philippe Blanc nous livre un très beau témoignage sur cet homme qui a fait honneur aux Roches. Il s’agit de Jean-Noël Varenne (promotion 1963), qui a été en colonie de vacances à Villard-de-Lans où il a fait la connaissance de Philippe Blanc puis, sur l’invitation de ce dernier, est venu aux Roches. Voici quelques extraits du Journal de ses souvenirs (à Biviers, le 8 mai 2000) : “Ma rencontre avec Philippe. Juillet 59 à Villard-de-Lans. Le temps est radieux. Aucun nuage dans le ciel bleu lavande. Il est 10 heures du matin et l’on sent encore la fraîcheur de la rosée. La journée sera merveilleuse. Doucement, le clocher du collège Stella Matutina s’éveille. C’est aujourd’hui un grand jour, celui du démarrage de la colonie de vacances. Dans quelques minutes, je vais accueillir Philippe Blanc que je ne connais pas encore. C’est le directeur de cette colo. Il vient avec toute sa famille. Six enfants ! Paul Belmont, directeur de l’établissement pendant l’année scolaire, m’avait simplement dit que je m’entendrais bien avec Philippe, que c’était un homme généreux qui avait connu le Vercors au moment du maquis. Ce qui m’a frappé en premier, c’est que l’on entendait Philippe avant de le voir. Bien avant ! Non, il ne criait pas. Il parlait. Et même, il s’efforçait de parler doucement. C’est dire s’il avait une voix qui portait loin, voix profonde et riche, une voix de tribun. 124 Après la voix, c’est un bruit bizarre, celui de grosses chaussures qui bouleversent le gravier de la cour. Ah ! Voilà Philippe, un sacré bonhomme, carré, planté sur deux jambes robustes, équipé pour la traversée des Alpes : short, chaussures de montagne, grosses chaussettes de laine rabattues sur les chevilles, chemise col ouvert et haut de survêtement aux manches retroussées jusqu’aux coudes. Épaisses lunettes de myope. - C’est toi Jean Varenne ? - Oui, c’est moi, Jean-Noël (C’est curieux, Philippe avait déjà décidé de ne retenir que la moitié de mon prénom. Il ne m’appellera jamais autrement que Jean). - Paul Belmont m’a parlé de toi. On va bien s’entendre. En ce moment, c’est un peu le bordel. Je ne conduis pas et suis donc tributaire des autres. D’habitude, c’est ma femme qui conduit, Marinette. Mais elle vient d’accoucher et ne sera là que demain. Eh bien, en trois phrases, j’ai déjà appris pas mal de choses. Et puis, il est direct, Philippe. Pas de fioritures. J’ai bien aimé le mot de “bordel”. - Les premiers enfants sont arrivés au train de Paris ce matin. Ils doivent être dans le car et arriveront bientôt. Peux-tu les accueillir ? - Bien sûr, Philippe, tout est prêt. Cela me fait tout drôle de l’appeler Philippe, mais je le fais naturellement et facilement. Quelle différence avec Paul Belmont qui gardait la distance et se faisait vouvoyer par ses propres enfants ! (…) Les enfants, c’est bien connu, ont besoin de rêves, d’aventures impossibles, de peurs. Quel souvenir ils garderont de ces moments privilégiés et forts ! Ils en redemanderont avec des récits sur le Vercors et le formidable courage du Maquis, Valchevière et la résistance héroïque d’une poignée de jeunes hommes – presque encore des enfants – face aux troupes alpines aguerries du IIIe Reich ! Vassieux et le martyre de ses habitants, tous exterminés, du bébé au grand-père ; la grotte de la Cuire, transformée en hôpital par le Maquis, réduite par des soldats sans pitié qui achevèrent les blessés et déportèrent vers les camps de concentration tout le personnel hospitalier, infirmières, médecins. Très peu, ou peut-être personne n'en revint. Les enfants le comprenaient. Ce n’étaient pas de simples récits, mais des tranches de vie, d’une vie vécue avec une intensité exceptionnelle. Philippe racontait cela naturellement. C’était dur, mais c’était vrai. Il l’avait lui-même vécu. Jeune professeur de lettres à Villard-deLans au moment de la guerre, dans le lycée polonais qui avait accueilli des centaines d’enfants qui avaient fui l’avance nazie, il avait mis à profit sa liberté de mouvement pour transmettre des renseignements à la Résistance. Il s’était engagé dans la Croix-Rouge, ce qui l’amenait sur les lieux de combats, soigner ceux qui pouvaient encore être sauvés – peu hélas ! –, récupérer les papiers et objets personnels de ceux qui avaient été tués, garder en mémoire pour les transmettre aux jeunes générations tous ces faits de souffrance et d’héroïsme. J’avais trouvé un père que j’admirais, à la personnalité hors du commun, au charisme ravageur. (...) Sur sa proposition, en septembre, j’entrais à l’Ecole des Roches comme capitaine. Quarante années sont passées depuis cet été 1959. Pourtant je suis toujours aussi ému en racontant cette rencontre. Rien, aucun événement (même pas la difficile guerre d’Algérie) ne réussira à me faire oublier ces heures qui ont bouleversé ma vie”. Chef de maison à l’Ecole des Roches Les chefs de maison ont toujours joué un rôle essentiel à l’Ecole des Roches. Ils sont responsables d’une maison et des élèves qui y vivent. Ils les encadrent et surtout participent, en l’absence des parents qui les leur confient, à leur éducation. Roger Cacheux, chef de maison à la Prairie de septembre 1969 à fin août 1980 et au Vallon de septembre 1980 à l'été 1989, se souvient de ses vingt années consacrées à l’éducation de plusieurs générations de Rocheux. Père de cinq enfants dont deux conçus à la Prairie, il témoigne de ce qu’a été sa mission éducative en tant que chef de maison aux côtés de son épouse, Annie, qui l’a accompagné comme maîtresse de maison. Un témoignage éclairant sur les exigences de ce métier bien particulier, ses nombreuses difficultés mais aussi ses réelles satisfactions. “...pour moi, le chef de maison avec son épouse et son équipe de capitaines... est un éveilleur”. Roger Cacheux, professeur de français et chef de maison de 1969 à 1989. Lorsque nous sommes venus visiter les Roches pour un emploi de chef de maison en avril 1969, j'ai déclaré à mon épouse et aux amis qui nous avaient présentés : “Jamais je ne travaillerai là-dedans”. J'étais impressionné par la réputation de l'Ecole (plus que par ses locaux) avec ses grands noms et ses réalisations. Finalement, nous y sommes restés 20 ans... car la réputation des Roches, je l'ai découvert progressivement, était fondée sur le quotidien, assuré par chaque adulte jouant son rôle à sa place, soucieux ensemble de faire grandir les jeunes qui nous étaient confiés et avec lesquels nous bâtissions le quotidien. Ce fut une période de recherches et de transformations après la grande secousse de mai 68 et la disparition de Monsieur Garrone et de quelques grandes figures de l'Ecole. Période charnière donc. Ainsi, à la fin de notre 2ème année, nous en étions à notre quatrième directeur : Messieurs Viguier, Galitzine, Moorgat et... Monsieur Paillet qui s'est accroché. Cela destabilise un peu, cette valse... Ainsi nous avons vécu : - La fermeture de la Guichardière comme maison des petits garçons. Ils ont été placés à la Prairie et au Coteau, avec toutes les difficultés qu'entraine le mélange de tout jeunes et de grands : pas le même rythme de vie, pas les mêmes préoccupations. - L'arrivée des élèves de Clères qui nous en voulaient de la fermeture de leur Ecole. - L'arrivée progressive des jeunes filles, dans une Ecole somme toute plutôt machiste, et le changement d'atmosphère qui en découlait. Auparavant, la crainte de certains parents concernant l'internat se focalisait sur l'homosexualité possible... Nous n'avons plus eu les mêmes soucis... (J'étais devenu, au fil des ans, un “spécialiste de la chasse à courre” la nuit entre les maisons de garçons et celle des filles...) - L'arrivée massive de certaines communautés étrangères comme les Libanais, les Iraniens, les Gabonais, etc. avec le souci de les disperser pour éviter les ghettos actifs et nocifs et pour favoriser leur intégration, mais également pour bénéficier de l'enrichissement que leur présence fournissait sur le plan culturel et surtout sur le plan de la tolérance, du dialogue vrai et constructif plutôt que les conflits même motivés. Que de bagarres stoppées et transformées en débats animés et constructeurs de paix, grâce aux capitaines autour du chef de maison ! - La suppression des repas dans les maisons qui avaient chacune leurs particularités, leur style propre, pour se retrouver au restaurant central : les particularismes (et les jalousies qu'ils engendraient) se sont atténués ; les alentours du restaurant sont devenus lieux d'échanges. - Et surtout le changement du rythme de vie de l'internat. Lorsque nous sommes arrivés en septembre 69, élèves et chefs de maison savaient qu'ils étaient là ensemble pour 6 semaines : sorties uniquement aux demi-trimestres. Quand on est bloqué 6 semaines ensemble, 24 h sur 24, on peut plus difficilement fuir les autres, on a forcément des contacts plus approfondis, des échanges plus riches et on tisse des liens d'amitié (ou des haines...) qui perdurent. Cela permet aussi d'organiser des loisirs ou des activités périscolaires valables... L'intensité des compétitions inter-maisons, les passions déchaînées... inoubliables ! Inoubliables 125 De gauche à droite : Jeanne-Thérèse et Jean Floch, maîtresse et chef de maison de la Guichardière de 1971 à 1976. A droite le Colonel Petit, chef de maison du Vallon de 1950 à 1951, en conversation avec M. Dubois, chef de maison du Coteau (à gauche) et Jacques Valode (au centre), chef de maison des Sablons. Antoinette Marmara, épouse de Raphaël Marmara, maîtresse et chef de maison des Fougères de 1973 à 1986. 126 aussi les farces, les "bons coups" (pas forcément de bon goût...) préparés en maison ou à plusieurs maisons pour "animer la vie de l'Ecole" (surtout la nuit) ou les cafés qui réunissaient en maison garçons et filles en discussions interminables ou simplement en franches rigolades. Lorsque nous avons quitté l’Ecole, en 1989, les sorties avaient lieu officiellement tous les 15 jours et les non-sortants se retrouvaient regroupés dans une maison désignée de garçons ou de filles. L'esprit de corps, la certitude d'appartenir à un groupe solide et porteur, en était déjà très affaibli. Quel changement ! Enfin, autre évolution significative, sur le plan religieux cette fois. En septembre 69, la pratique religieuse était obligatoire, tous devaient se rendre au culte, protestant ou catholique, le dimanche, même en étant d'une autre religion. Grâce au Père Manet puis au Père Jean Michel di Falco, la religion a été proposée aux seuls volontaires et nous avons vécu des cérémonies vraies, vivantes et marquantes. Alors, le chef de maison durant cette période, son rôle ? Son rôle, du moins comme je l'ai vécu avec mon épouse et avec nos enfants (confiés à d'autres chefs de maison durant l'année scolaire mais autour de nous durant les vacances : temps sacré et consacré à la famille), c’est : - C'est celui qui est là, toujours, le permanent. Celui qu'on retrouve “à la maison” quand les cours sont finis et que les autres adultes partent. Quand on voit le déboussolement de beaucoup de jeunes qui se retrouvent seuls chez eux parce que leurs parents sont accaparés par leur vie, professionnelle ou autre, on admire cette trouvaille de Demolins de faire des maisons la base éducative des Roches. Et c'est toujours actuel. - C'est l'adulte responsable qui transmet les consignes de l'établissement et veille à leur application, consignes venant de la direction, mais élaborées, discutées et voulues ensemble en réunion de chefs de maisons, institution de base de l'Ecole. C'est d'ailleurs rassurant de travailler ainsi régulièrement en équipe. Cette confrontation (souvent animée car les personnalités s'expriment) permet de corriger ce que l'on peut avoir soi-même de réactions ou d'exigences excessives face aux événements et aux autres. Elle permet aussi de ne pas trop douter de la valeur des orientations prises ensemble. C’est donc celui qui assure le relais, la jonction entre les jeunes et la direction, les études, les sports, les travaux pratiques : porteur d'autorité qu'il partage avec la direction et avec son équipe de capitaines, il est essentiellement une courroie de transmission, un lien. Lien qu'il assure aussi entre l'Ecole et les parents et souvent entre les parents et leur enfant (information mutuelle et, à certains moments, rétablissement du dialogue familial rompu ou affaibli par l'absence). - C'est l'homme de la parole, soit qu'elle s'exprime à travers les temps forts comme les appels du soir (moments privilégiés où se passent les consignes, les remontrances aussi ; moments où se forge un esprit, une mentalité communautaire), mais également à travers toutes les conversations, les dialogues incessants avec tous en groupe ou individuellement. - C'est aussi un homme de parole, quelqu'un sur qui on peut compter car, avec ses qualités et ses défauts, il sait s'engager et rester fidèle à ses engagements, quoi qu'il en coûte ; quelqu'un qui ne triche Monsieur et madame Vasse, comptable et secrétaire-comptable de 1979 à 1998. pas avec la parole donnée car on ne peut pas tricher avec des jeunes, il faut être vrai sous peine de casser la confiance, indispensable en éducation, entre l’adolescent et le chef de maison. - C'est celui qui éduque au sens fort, c'est-à-dire qui conduit des jeunes à partir de ce qu'ils sont, en essayant : ■ de leur transmettre des valeurs vitales comme l'accueil, le respect de l'autre avec sa différence, donc la tolérance et l'obsession du dialogue, ■ de leur présenter un exemple, en visant soimême ces valeurs, ce qui n'exclut pas d'avoir des convictions solides, une foi profonde en la vie ou telle forme de vie, ■ de les former au sens de la responsabilité, c'està-dire savoir assumer ses propres actes, bons ou mauvais, ne pas se dérober, ne pas fuir, savoir payer la conséquence de ses actes et savoir assumer aussi un rôle public, collectif de prise en charge des autres, de certaines fonctions. C'est là tout le rôle du capitaine, autre pilier des Roches. Capitaine n'est pas un titre de gloire, c'est avant tout assumer une charge... charge qui, bien remplie, apporte à son auteur un peu de gloire, ■ de les éclairer un peu dans leur cheminement personnel (et pas seulement scolaire). - C'est aussi une oreille qui permet à un(e) jeune de s'épancher en étant sûr(e) de la confidentialité, et donc de se soulager et finalement de voir plus clair en lui (elle). Du reste, on conseille peu les jeunes, on leur présente tout au plus un éclairage, des perspectives ; mais exprimer ses problèmes, ses doutes permet à celui (celle) qui a été écouté(e) de mieux cerner ses difficultés donc de trouver les solutions. - Et c'est le regard chaleureux, attentif à tous ceux qu'il a en charge, un regard qui éclaire et fait vivre : j'existe parce que mon chef de maison me regarde et que je compte pour lui. Bref, pour moi, le chef de maison avec son épouse et son équipe de capitaines (car, seul, il n'est pas grand Roger Cacheux et son épouse Annie, professeur d’histoire et de géographie et maîtresse de maison de 1969 à 1989, au milieu des capitaines du Vallon le 11 novembre1983. De gauche à droite : Jean-Noël Bottari, Renaud Hiron, Henri Colombet, Nabil Schumann, Annie Cacheux, Evangelos Labropoulos, Roger Cacheux, Pascal Lautar. chose) est un éveilleur, c'est un catalyseur qui permet, par sa présence active et permanente, à la pédagogie voulue par Demolins, de devenir réalité dans les jeunes qui vivent à l'Ecole (et vivent en se donnant, pas en fuyant) à travers une alchimie quotidienne, mystérieuse. Lui absent, rien ne se fait plus. Quelle responsabilité ! Quel métier inquiétant (au sens latin, c'est-à-dire empêchant le repos, le confort). Il faut sans cesse se remettre en question ... Et il faut une sacrée santé physique et morale pour tenir. Si je fais le bilan de ces 20 années passionnantes... et usantes passées à l'Ecole des Roches, surtout à travers les témoignages des anciens, de leurs parents, de leur fidélité, de leurs parcours dans la vie (et même les réflexions de mes propres enfants), je pense pouvoir dire que j'ai été utile ici. Et je dois ajouter : en me donnant à fond, j'ai beaucoup reçu. ■ Roger Cacheux (Chef de maison à la Prairie, puis au Vallon, de 1969 à 1989) 127 Enfant de chef de maison Huis clos, juin 1987. A gauche : Nathalie Cacheux dans le rôle d'Inès. A droite Anne-Sophie Crantelle Dumesnil dans le rôle d'Estelle. Bernard, fils de Raphaël Boussion, chef de maison du Petit-Clos, et Catherine, fille de Max Dervaux, chef de maison des Pins. 1953. 128 Dans de nombreux romans, lors de l’arrivée d’un personnage dans un lieu important, on retrouve ces mots : “sa première impression fut…”, “ce qu’il vit en premier lieu…”. “ce qui le marqua tout d’abord…”. Je n’ai jamais eu de “première impression” sur les Roches, contrairement à la plupart des élèves qui y sont passés, pas de premier ressenti, de premier souvenir, pas de sentiment d’arrachement à ma famille, pas de déracinement. Mes parents étaient professeurs et chefs de maison. Je suis née aux Roches. Avec mes frères et sœurs, nous sommes conscients d’avoir eu une enfance particulièrement heureuse, grâce à mes parents bien sûr, mais aussi grâce à l’environnement dans lequel nous avons grandi : un “jardin” immense pour jouer ou grimper aux arbres, des “grands frères” pour veiller sur nous, une piscine, qu’il fasse beau ou pas (elle était encore couverte alors), une grande maison tout à nous, pendant les vacances, pour faire du patin à roulettes ou des parties de cache-cache géantes. En primaire, nous étions scolarisés à Verneuil mais, en CM2, j’ai passé quelques mercredis dans la 7ème des Roches et quelques nuits de week-end au Moulin : premiers contacts avec mes futurs camarades de 6ème ; j’avais hâte d’être aux Roches. Et si ma première année en tant qu’élève ne correspondait pas tout à fait à mes attentes, parce que je n’étais qu’en demi-pension, il y en a eu six autres pour me faire à la vraie vie de pensionnaire aux Roches avec tout ce que cela signifie : les cours, la vie de maison et ses codes, les week-ends école et les week-ends de sortie, les vacances… mais aussi les chahuts collectifs, les vidages du Bat’, les sorties de nuit, les rebellions en tout genre, les crises de fou rire et les drames : un microcosme de vie, un peu particulière certes. Et puis, vivre aux Roches, c’était aussi apprendre à vivre avec les autres, apprendre à respecter les autres et même savoir être au service des autres. Cet apprentissage se retrouvait dans les rôles des capitaines, des responsables, des délégués de maison, dans le roulement hebdomadaire des “maisons de service”, dans la préparation des fêtes d’école ou des fêtes de maison : chacun avait son rôle à jouer dans le bon fonctionnement de l’Ecole. Cet apprentissage fait partie de mon éducation. Il m’a servi et me sert encore dans ma vie de tous les jours et dans ma vie professionnelle. J’ai “fait” trois maisons : le Moulin, la Guiche et les Fougères. Je n’ai pas été une élève exceptionnellement brillante, je n’ai pas toujours été travailleuse mais j’ai trouvé ma place grâce aux atouts que nous offraient les Roches : la richesse d’une culture humaine pluri-ethnique, la possibilité de s’exercer quotidiennement aux langues étrangères, les moyens de pratiquer des sports différents et, ce faisant, développer un esprit sportif ainsi qu’un sentiment d’appartenance à une fratrie lors des compétitions inter-maisons ; la chance d’avoir des activités artistiques variées, certaines ayant été des révélateurs de talents, de passions, voire de vocations… En effet, c’est aux Roches que j’ai ressenti mes premiers frissons théâtraux, en tant que toute jeune spectatrice, et j’ai très vite compris que je ne resterais pas de ce côté-ci de la scène. Dès que j’ai pu, je me suis inscrite au Club Théâtre animé alors par M. Sénéchal. La première année, nous avons créé nous-mêmes la pièce Et un jour, la page quatre. La deuxième année, le groupe s’est partagé en deux : une grande partie a participé à la pièce Le roi se meurt, de Ionesco et, à quatre, nous avons monté et joué Huis clos, de Sartre. Ce fut un grand moment. Les deux années suivantes, le Club Théâtre devint un véritable cours de théâtre sous la direction de Janou Vaugeois-Belin. Nous avons, la première année, joué La croix et la bannière, écrite de sa propre plume ; aventure particulièrement gigantesque dans tous les sens du terme pour tous ceux qui ont mis la main à la pâte dans cette création. Parallèlement, nous avons énormément travaillé des scènes classiques aussi bien que modernes et le spectacle, la deuxième année, constitua à présenter certaines de ces scènes. C’est elle, Janou Vaugeois-Belin, qui m’a tout appris. Et si, par la suite, j’ai eu de nombreux professeurs d’art dramatique qui ont participé à mon évolution, je n’aurais jamais pu atteindre le niveau de jeu que j’ai aujourd’hui sans les bases qu’elle m’a apportées. Je suis comédienne. Je ne vis pas de mon art pour le moment et je ne sais pas si cela arrivera un jour bien que mon travail “alimentaire” le devienne de moins en moins, mais j’ai cette passion qui m’est vitale, passion que je n’aurais sans doute pas pu épanouir dans un autre cadre que celui offert par l’Ecole des Roches. ■ Nathalie Cacheux (Moulin, Guiche, Fougères 1982-1989) Les sports et les travaux pratiques Le sport occupe une grande place dans la vie des élèves. Chacun sait que les après-midi étaient, jusqu’à la fin des années 1980, occupés par les sports et les travaux pratiques. Pour ces derniers, pendant les années qui ont suivi la Libération, Georges Bazin s’occupait de la menuiserie et Gérard Colombeau enseignait les arts de la forge. Il y avait aussi le jardinage. On pouvait aussi opter pour les modèles réduits. Mais pour ce qui est du sport, on se doit d'évoquer Claude Drappier qui a été professeur d’éducation physique de 1948 à 1985. Il a d’ailleurs rappelé quelques souvenirs lors d’une petite réunion d’anciens au cours de laquelle il a expliqué comment il concevait son rôle de responsable d’éducation physique aux Roches. “...les après-midi étaient, jusqu’à la fin des années 1980, occupés par les sports et les travaux pratiques.” Paul Bora (à gauche) professeur d’EP de 1943 à 1962. Claude Drappier (au centre) professeur d’EP de 1948 à 1985, directeur des sports de 1968 à 1985, “Je suis arrivé aux Roches en mai 1948, aux Sablons : j’étais appuyé par M. Jacques Valode. Comme prof interne, j’y ai vécu jusqu’en 1953 participant à la vie des maisons, en découvrant ce que c’était que la vie avec les capitaines. C’était tout nouveau pour moi, comme une cellule familiale très soudée et très prenante. Pour ce qui concerne les sports, une chose très importante était la sélection. Il fallait que l’Ecole se montre à la hauteur, d’après sa forme d’éducation sportive, vis-à-vis des autres établissements du département. Nous avions fait une sélection entre le Collège de Normandie et l’Ecole des Roches-Verneuil, afin de faire une équipe commune Roches-Normandie pour rencontrer Saint-Martin de France dont les effectifs étaient beaucoup plus nombreux que les nôtres. Nous avons rencontré Saint-Martin de France plusieurs fois. Les premières fois, nous les avons assommés, écrasés, mais malheureusement, en retour, ils nous ont rendu la pareille. Et à l’étranger, nous sommes allés ‘matcher’ en judo et en escrime à Londres où nous avons rencontré l’Ecole de Westminster et l’Ecole de Saint-Paul. Et la boxe : tant que j’étais jeune, j’ai pratiqué la boxe ; j’avais une équipe de boxeurs. Les frères Roger, par exemple, se rencontrant sur le ring, c’était quelque chose à voir. Ils se tapaient et demandaient : “Je t’ai fait mal ?”. Dans le film qui a été tourné et dans lequel Claude Drappier s’exprime ainsi, il n’en dit pas plus sur le sport et c’est dommage. C’est pourquoi les souvenirs de Guy Rachet (Vallon, Coteau, 1946-1948) viennent à propos : “Pour ma part, je me rappelle divers aspects du sport, mais c’était avant l’arrivée de Drappier. Il a parlé du judo : c’était une discipline que j’avais choisie, avec la boxe. Notre professeur était un Turc qui se disait, si je ne me trompe, le vingt-septième à venir comme prétendant de la succession des sultans ottomans. Il s’appelait Fethy Sami et logeait aux Sablons, avec sa femme, une Anglaise. Il organisait des matchs de boxe. Le plus pénible souvenir que j’en conserve, c’est un match contre un égyptien de mon âge (j’avais alors dix-sept ans, c’était durant le printemps 1948, me semble-t-il), mais il était plus lourd que moi et râblé, tout en muscles. Cela s’est terminé par un KO, pour moi, et mon nez cassé, je ne sais plus à quelle manche. C’étaient d’ailleurs des rounds d’une minute et demie. Cela paraît court, mais lorsqu’on souffre sur le ring et qu’on reçoit de solides coups, c’est bien long. Au demeurant, mon vainqueur était un chic garçon avec qui j’étais ami, bien que j’aie oublié son nom. Il me parlait de l’Egypte et me racontait qu’il avait à plusieurs reprises traversé le Nil à la nage, ce que je crois volontiers, mais qu’il y avait parfois des crocodiles, ce qui me paraît moins vraisemblable. Je ne puis cependant dire que c’est lui qui a déclenché en moi une certaine passion pour l’Egypte qui a été l’un de mes pays et de mes sujets de prédilection. Plusieurs d’entre nous montaient aussi à cheval. Il y avait un manège, entre l’Ecole et Verneuil, sur le bord de la route. Il était tenu par un personnage au nom prédestiné, monsieur Lécuyer, grand gaillard qui portait un chapeau noir. Il avait une douzaine de chevaux. Lorsque le temps était beau, nous allions chevaucher dans la campagne et pratiquions le saut : il s’agissait de fossés ou encore d’arbres abattus : je compte parmi ceux qui se sont fait virer de la selle plusieurs fois. Il est vrai que Lécuyer déclarait qu’il fallait s’être fait vider au moins sept fois avant d’être réellement un bon cavalier. A ce compte, je puis assurer que j’étais un excellent cavalier!” 129 Louis Garrone remet la coupe au capitaine de l’équipe gagnante (Claude Marret, des Pins) lors du concours d’athlétisme inter maisons de la fête de la Pentecôte 1953. Georges Bazin, professeur de technologie, de mathématiques, de physique, de TP de menuiserie et de céramique, de 1949 à 1969. Fête de l’Ecole 1980. Monsieur Gerbault, professeur de TP et d’arts graphiques. Passage de relais Pentecôte 1953. (Michel Brice - Jean Loup Nicolle) ... ...et Pentecôte 1980. L’atelier de menuiserie vers 1922. 130 Le manège sur la route de Verneuil aux alentours de 1920. Les Roches, un espace de liberté A la faveur d'un entretien amical avec Nathalie Duval, Jean-Loup Nicolle raconte comment les Roches ont été pour lui, comme sans nul doute pour ses trois frères Christian (Guiche, Moulin, Coteau 1947-1953), Malo (Coteau 1950-1956) et Damien (Pins 1953-1960), un lieu idéal pour l'épanouissement de sa personnalité. Il insiste sur deux idées principales : l'espace et la liberté. “... un immense sentiment de libération.” “...nous partions, à trois ou quatre, pour de grandes randonnées vers Mandres qui nous semblait alors être le bout du monde”. Au centre Francis Vidal, à droite Stéphane Petit. Quelles différences notables entre ton ancienne école et l'Ecole as-tu remarquées à ton arrivée ? Je suis arrivé aux Roches à l’âge de 11 ans et j’y suis resté 10 ans, de 1945 à 1955 (à l’époque il y avait encore un mirador à la lisière du bois de la chapelle et la carcasse d’un char d’assaut dans les bois de la route de Mandres). C’est donc par la Guiche, qui était alors la maison des petits et dont le chef de maison était Gustave Coureau, que j’ai fait connaissance avec l’Ecole. Le premier souvenir qui me reste est un immense sentiment de libération. Les pêches à la grenouille dans l’Iton et dans l’étang, qui se trouvait derrière, ont avantageusement remplacé les tristes cours de récréation des “chers frères” et les sinistres préaux des “révérends pères” de Reims. J’ai eu l’impression enfin de respirer, on dirait maintenant de “m’éclater”. J’ai découvert, avec étonnement, que l’on pouvait occuper ses temps libres à autre chose qu’à tourner en rond en attendant la sonnerie de la prochaine heure de cours. Ce qui était aussi très surprenant pour moi, c’était de pouvoir se déplacer sans contraintes, sans être “en rangs”, et aller aux travaux pratiques, à la “grande école”, à pied sans être accompagné d’un “pion”. J’ai ensuite fait un court passage d’un an au Coteau avec Mademoiselle Conte avant d’aller aux Pins avec Max Dervaux. Les Pins sont devenus “Ma maison”. J’y ai découvert une autre spécificité de l’Ecole : la vie de famille des maisons. Cette ambiance familiale était tellement réelle que, depuis, lorsque je rencontre Max et son épouse Mimi, je suis tenté de les tutoyer comme je le ferais pour un autre membre de ma famille. Là aussi, c’est la liberté de mouvement qui me séduisait. Le dimanche après midi nous partions, à trois ou quatre, pour de grandes randonnées vers Mandres qui nous semblait alors être le bout du monde. Le Haut du Seuil, la ferme de Monsieur George Augst, professeur d’histoire naturelle, était aussi un espace que je découvrais avec ravissement en compagnie de mon copain Alain Bachelet (colombophile averti avec qui j’avais un élevage de pigeons dans un poulailler près du Vallon). Il suffisait de signaler où nous allions et de rentrer à l’heure. En quoi la liberté dont tu as joui à l'Ecole a contribué à l'épanouissement de ta personnalité ainsi que de tes prédispositions ou aptitudes naturelles ? Il y avait deux formes de liberté aux Roches. Celle qui découle de l’absence de murs dont je viens de parler et la possibilité, grâce à la nature qui nous environnait, de se livrer à des activités autres que celles des programmes scolaires. Le sympathique potache que j’étais n’a certainement pas fait progresser le coefficient des résultats de l’Ecole au Bac, au grand dam de mon ami Michel Merck, chargé par Max Dervaux de me motiver à un peu plus de sérieux en classe, mais il a épanoui sa personnalité en développant des dons naturels qui, sans cette liberté d’action, seraient restés sous le boisseau. 131 Monsieur Georges Augst, professeur d’histoire naturelle, père de Bernard Augst décédé tragiquement. “...une couleuvre que j’avais capturée dans le bois de la chapelle...”. Une partie de pêche avec Raphaël Boussion dans l’Iton pendant les cours de vacances au Petit Clos en août 1953. 132 Les anciens des Pins de l’époque se souviennent encore des corbeaux, des pies, des chouettes et des buses qui, entre les heures de cours, descendaient à mon appel des terrasses des Pins, où j’avais installé des nichées, pour se percher sur mon épaule. Certains se souviennent également des courses de vipères sur le tennis et du hérisson qui a animé, un temps, les nuits du dortoir du haut. Quant à Mademoiselle Chopin, elle a eu un jour la peur de sa vie en voyant, pendant un cours de français, la tête d’une couleuvre que j’avais capturée dans le Bois de la chapelle sortir par l’entrebâillement de ma chemise. L’espace de liberté se retrouvait également dans l’équitation que nous allions pratiquer dans le manège de Monsieur Lecuyer à l’entrée de Verneuil et dans les ateliers de travaux pratiques : dessin, modelage, menuiserie... sans oublier la chorale et le théâtre. Alors qu’il n’y avait pas encore de TP de photos, je faisais déjà de nombreuses images dont beaucoup figurent dans ce livre. Qu'est-ce que cela t'a apporté dans ta vie professionnelle et personnelle ? Je ne saurais trop remercier l’Ecole et les professeurs qui m’ont permis de trouver, dans ces espaces de liberté, la possibilité de m’exprimer et de me réaliser. Après l’Ecole, je suis entré aux Beaux-arts, dans la section publicité, et j’ai créé par la suite une agence de communication spécialement orientée vers le graphisme. Ce sont sans nul doute toutes les activités extra scolaires pratiquées aux Roches, que l’on qualifierait maintenant “d’éveil”, qui sont à la base de mon choix professionnel où les qualités d’observation et le sens artistique sont primordiaux. L’équitation et la photographie animalière sont restés mes passetemps favoris. En conclusion, selon toi et rétrospectivement par rapport à ce que tu as vécu, qu'est-ce qui fondamentalement fait toute la spécificité de l'Ecole des Roches ? S’il fallait résumer en quelques mots ce que je considère comme les points forts de l’éducation aux Roches je dirais : liberté et responsabilité. Points forts que j’ai retrouvés au sein du Rotary dont la philosophie est très proche de l’éthique rocheuse. Je voudrais, pour conclure, citer quelques mots de la dédicace que m’avait faite G. Augst, professeur d’histoire naturelle, sur un des livres qu’il avait écrits sur la nature : “A mon ami Jean-Loup Nicolle qui vient volontiers au Haut du Seuil, bon dessinateur, observateur intelligent (...) qu’il médite en face des manifestations de la vie animale et végétale ; il y trouvera des sources inépuisables de joie...” ■ Jean-Loup Nicolle (Guiche, Coteau, Pins, 1945-1955) Les activités artistiques “Par la plume, le pinceau ou l’archet...” Yves Hersent directeur des TP 1958 à 1986. “Yves a été comme un courant d’air innovant...” Les activités artistiques se sont particulièrement bien développées à l’Ecole des Roches parce qu’elles étaient, durant les longs mois d’internat permanent, le fruit d’un effort collectif entre les élèves et leurs professeurs. En effet, les enseignants s’investissaient personnellement dans la préparation et l’animation de ces diverses manifestations, car ils avaient conscience de toute leur portée éducative. Un chef de maison, François Gspann, a ainsi écrit à l’un de ses élèves, en l’occurence Louis Cosnier (Coteau 1953-1960), qu’il traitait en ami : “Il s’agit de maintenir nos forces créatrices, les plus pures, les plus personnelles et que soit multiplié le denier que chaque âme a reçu dès le début ; le plus difficile est sans doute de déceler en nous quel mode d’expression est le plus capable de révéler à soi-même et à d’autres le message informe qui nous habite. Car qu’importe le message lui-même : il prendra forme luimême, de par sa grâce même, pourvu qu’effort soit fait pour lui donner forme. Par la plume, le pinceau ou l’archet, qu’importe, mais il faut choisir la barque qui va dans le sens du fleuve et que les remous n’atteignent pas”. Un autre chef de maison, Max Dervaux, a contribué, par l’intermédiaire des activités culturelles, dont il fut le directeur adjoint, en plus des travaux pratiques et des sports, à ouvrir l’Ecole davantage sur l’extérieur. Il a multiplié les contacts, notamment avec le président national des Jeunesses Musicales de France, des orchestres privés ou municipaux et des musiciens, offrant à l’Ecole un programme musical riche et varié ; entre 1954-55 et 1968-69, pas moins de soixante-cinq concerts, récitals et conférences musicales ont été donnés aux Roches. De même, il a multiplié ses contacts avec le monde du théâtre : entre les mêmes dates, une soixantaine de pièces ont été jouées dont la majorité par des compagnies théâtrales qui passaient régulièrement à l’Ecole, dont l’une des plus célèbres compagnies provinciales, créée en 1949 à Rennes, la “Comédie de l’Ouest”. Cette relation entre l’Ecole des Roches et la “Comédie de l’Ouest” n’est pas fortuite car, au-delà du 1976. Le groupe des TP photo et dessin responsable du year book 76 devant l’atelier photo avec Dorothée Hersent assise dans la 2cv. “Ma 2cv sans toit ni portes, où je suis assise, résista vaillamment au poids de tous”. contrat scolaire et financier, de nombreux éléments, qui relèvent à la fois de la pédagogie et du théâtre, rapprochent ces deux institutions. En effet, le directeur-fondateur de cette compagnie, Hubert Gignoux, est un ancien comédien de la troupe des “Comédiens routiers” créée et dirigée dans l’entre-deuxguerres par un promoteur des principes du scoutisme dans l’éducation par le jeu dramatique, Léon Chancerel. Or ce dernier connaissait bien l’Ecole des Roches. En effet, il y est venu en personne assister à la représentation de la pièce Noé d’André Obey, mise en scène par l’un de ses collaborateurs, Olivier Hussenot, et jouée par des élèves du Vallon et des professeurs des Roches, le 19 mars 1938. Grâce à la venue de diverses compagnies théâtrales, le répertoire des pièces jouées aux Roches était d’une réelle qualité. Y dominaient surtout les comédies classiques des grands auteurs tels Shakespeare, Molière, Marivaux, Beaumarchais et Alfred de Musset, aux côtés des drames et tragédies de Sophocle, Corneille, Schiller ou Victor Hugo. Des pièces d’auteurs contemporains étaient aussi données telles que la trilogie Tobie et Sara, Le Pain Dur et l’Echange de Paul Claudel, La Cerisaie de Tchekov ou l’Ecole des Pères de Jean Anouilh. Les élèves n’étaient pas en reste non plus. Dans le cadre de leurs maisons, ils ont joué eux-mêmes dans des pièces comme Chantecler d’Edmond Rostand (Sablons), 133 1976, dessin sur le vif aux TP de dessin. Des élèves dans une réalisation théatrale en 1961. 134 L’Equipage au complet de Robert Mallet (Pins), Andorra de Max Frisch ou Caligula d’Albert Camus (Coteau). Leurs professeurs aussi montaient sur les planches : une année, à l’occasion de la fête de l’Ecole, ils ont joué et mis en scène le drame lyrique de Victor Hugo, Mille francs de récompense, dans lequel le directeur Louis Garrone était “peintre en bâtiment”, le professeur de sports Claude Drappier “son aide qui tient l’échelle”, le professeur de mathématiques Max Dervaux “le vagabond voleur” et Bernard Heroguel “le méchant policier”. La liste pourrait encore être allongée de nombreux titres comme, dans l’entre-deux-guerres, en décembre 1934, la première Jeanne d’Arc de Charles Péguy, pièce difficile dont la représentation par les élèves du Vallon révèle les choix ambitieux de leurs professeurs. Dans le domaine des activités pratiques et culturelles, un couple de professeurs a joué un rôle très actif pendant près de trente ans : Yves et Dorothée Hersent. Tandis que le mari était spécialisé dans l’animation théâtrale, la sculpture, le dessin et les médias visuels, sa femme dirigeait l’atelier photo. “Dot”, pour tous ceux qui l’ont bien connue, raconte comment, en octobre 1958, elle est arrivée à l’Ecole des Roches alors qu’elle avait 28 ans et son mari, 33 : “ Séduits par l’environnement, nous avons été accueillis aux Pins par Max Dervaux. Nous nous sommes tout de suite entendus avec Louis Garrone et sa ‘pédagogie de la réussite’. Nous allions dans le même sens au sujet d’une pédagogie conciliant les études, les sports et les travaux pratiques et artistiques. (…) Yves a été comme un courant d’air innovant dans l’Ecole. Appuyé par Louis Garrone, il a apporté une sorte de révolution car il avait une formation intellectuelle et une formation manuelle qu’a toujours appréciées Louis Garrone. En effet, son mari, diplômé de l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs de la ville de Paris, enseignait alors à l’Académie de la Grande Chaumière, qui formait des élèves aux Ecoles d’art, ainsi qu’au Centre international d’Etudes pédagogiques de Sèvres. Pendant trois ans, il enseigna simultanément dans ces deux ateliers à Paris ainsi qu’aux Roches où, avec sa femme, il venait deux fois par semaine, puis il a démissionné pour rester définitivement à l’Ecole. Dorothée Hersent poursuit : “Les premières années, nous participions le plus possible à la vie de l’Ecole des Roches (…) Les élèves nous surnommaient ‘Oncle Phot’ et ‘Tante Pellicule’. Moi aussi diplômée de l’Ecole supérieure des Arts décoratifs, j’ai animé, à partir de 1961, l’atelier photo. (…) Le but de cet atelier était non pas de faire des professionnels, bien que plusieurs élèves aient par la suite choisi cette voie, mais d’apprendre aux élèves à ‘voir’, leur apprendre aussi la patience, la méthode et la rigeur. (…) Les élèves qui avaient des difficultés dans les études trouvaient dans les T.P. des matières où ils pouvaient s’exprimer et réussir. J’ai suivi des enfants de la 5ème à la terminale. C’était passionnant de les voir progresser, grandir dans leur psychologie. Pour certains, j’étais une confidente ; ils me faisaient part de leurs problèmes”. Cette amitié entre les élèves et leurs professeurs de travaux artistiques et pratiques est née de tous les projets réalisés en commun : des revues, des expositions ou des films comme, par exemple, Er Luna, réalisé en 1969 par les 5èmes et les 1ères. Leurs travaux étaient également appréciés en dehors de l’Ecole. Ils ont ainsi été reçus à la mairie de Rouen et même aux Etats-Unis, à New York. Ils ont aussi beaucoup travaillé avec la ville de Verneuil : “Nous étions en relation avec le maire de Verneuil, Monsieur Demaire, pour sa revue. C’est lui qui nous a aidés quand mon mari a dû quitter l’Ecole en 1986”. ■ Nathalie Duval 1 4 Le Malade Imaginaire. 1937 3 2 Les professeurs aussi. 1000 Francs de récompense. Drame lyrique de Victor Hugo, monté, mis en scène et interprété par les professeurs et leur famille à l’occasion d’une fête de l’école. 1/ Louis Garrone, le peintre en bâtiment. 2/ Max Dervaux, le voyou au grand cœur. 3/ Claude Drappier, le commis. 4/ Bernard Heroguel, le méchant policier. Louis Garrone dans le rôle de Napoléon. L’Aiglon d’Edmond Rostand. Soirée déguisée dans une maison en 1923. Max Dervaux et Michel Merck à la “sono” dans les coulisses pour une représentation de Juda de Jean Anouilh. Tim Coco. 1954 135 136 Les aumôniers catholiques “...quelques une des grandes figures qui ont marqué l’histoire de l’aumônerie dans la première moitié de ce siècle.” L’année du centenaire de l’Ecole, il convenait d’évoquer les anciens aumôniers et les anciens pasteurs. Le 11 novembre 1998, des discours en leur hommage furent prononcés par des anciens élèves dans la chapelle, aujourd’hui disparue à la suite des dégâts irréparables causés par la dramatique tempête du 26 décembre 1999. Le premier à prendre la parole fut un petit-fils d’Edmond Demolins, Philippe Prieur. Il évoqua l’histoire des aumôniers catholiques. Je me garderai bien de faire une galerie de portraits, mais j’évoquerai quelques unes des grandes figures qui ont marqué l’histoire de l’aumônerie dans la première moitié de ce siècle, puis nous verrons que leurs activités, fort diverses, ont contribué à placer la chapelle au cœur de la vie rocheuse. Si l’Abbé Desmonts, curé de Notre-Dame de Verneuil, a, dès 1899, accueilli les élèves des Roches qui venaient suivre les offices dans son église, l’Abbé Gamble est le premier aumônier à avoir durablement marqué la mémoire de l’Ecole. Il arriva aux Roches en 1900, à l’âge de 42 ans, et y mourut après 24 années d’apostolat. Il est à l’origine de la construction de cette chapelle, en 1908-1909, et, avec l’architecte Storez, il l’a ornée de vitraux colorés (aujourd’hui disparus) qui représentaient des scènes des Evangiles, choisies pour symboliser ce qu’il considérait être les vertus essentielles du Rocheux : l’amour du prochain, le devoir du travail et une totale droiture. Soucieux de perpétuer la mémoire des anciens élèves morts au champ d’honneur pendant la Première Guerre mondiale, il avait apposé, entre les stations du Chemin de Croix, des cartouches où étaient incrits leurs noms. Il avait ainsi associé leur sacrifice au sacrifice du Calvaire. La chapelle catholique construite en 1908 -1909 a beaucoup souffert de la tempête de décembre 1999. “L’Abbé Gamble est le premier aumônier à avoir durablement marqué la mémoire de l’Ecole. Il arriva aux Roches en 1900, à l’âge de 42 ans, et y mourut après 24 années d’apostolat”. Et les Rocheux de ma génération pouvaient ainsi retrouver, sur ces panneaux, des noms qu’ils connaissaient bien car c’était ceux - prénom et nom de famille - de tel ou tel camarade auquel avait été donné le prénom de l’oncle disparu. A la mort de l’Abbé Gamble, en 1924, l’Ecole lui rendit hommage en l’inhumant ici même, au pied de l’autel, près de la tombe du fondateur, Edmond Demolins. Parmi les successeurs de l’Abbé Gamble, il convient de citer quelques noms restés gravés dans les souvenirs de générations successives de Rocheux. Entre autres, les Pères Pératé, Commauche (si aimé de tous ceux qui l’ont côtoyé), Enne, Souty, Cochon, Biard, Ruer, Simons, Barlier, de Rovier de Monier et Lagrée (qui quitta l’Ecole en 1969). La fin des années 60 vit une crise religieuse constatée et analysée en 1971 par un nouvel aumônier, l’Abbé Manet. A sa suite, pendant 14 ans jusqu’en 1988, l’aumônerie fut animée par le Père Jean-Michel di Falco, aujourd’hui évêque auxiliaire de Paris. Ces évocations conduisent tout naturellement à la question de savoir en quoi consistaient les activités des aumôniers catholiques aux Roches et dans quelle mesure elles évoluèrent au début des années 70. 137 L’abbé Paul Commauche, Aumônier catholique pendant plus de 40 ans de 1920 à 1962. “Si aimé de tous ceux qui l’ont côtoyé.” L’abbé Pierre Biard, aumônier de 1947 à 1951, en conversation, devant les Pins, avec Louis Garrone. 138 Sans doute, en leur qualité de prêtres, leur incombait-il de célébrer les messes. A l’époque que j’ai connue, les années 30, les messes quotidiennes étaient, pour les élèves, facultatives en semaine mais obligatoires le dimanche. Il y avait trois messes le dimanche : une matinale pour le personnel, une deuxième pour les grands, une troisième pour les moyens et petits; et, le dimanche soir, office de complies et salut. C’était inhérent à notre condition d’élèves catholiques de l’Ecole ; cela ne posait pas de problème et ne soulevait pas de discussion. C’était ainsi. Mais le rôle essentiel des aumôniers était d’assurer la formation spirituelle des élèves, en animant les cours d’instruction religieuse, des retraites et des pèlerinages, des réunions de réflexion. Toujours dans les années 30, il était consacré deux heures par semaine aux cours d’instruction religieuse; et, à la fin de la seconde (cela depuis 1920), il y avait un examen d’instruction religieuse sanctionné par un diplôme délivré par l’évêché d’Evreux (nous le surnommions “bachot de sacristain” !). Il y avait les retraites préparatoires à la communion solennelle et à la confirmation, en général animées par un prédicateur venu de l’extérieur. Il y avait aussi, en fin d’études, une retraite de quatre à cinq jours à l’Abbaye de la Grande Trappe. Bien sûr, plus d’un parmi les aumôniers reste dans nos mémoires pour son rôle d’animateur d’une chorale, en particulier, bien sûr, d’une chorale religieuse. L’Abbé Commauche marqua cette chorale de son empreinte et son nom lui resta fermement attaché. Ces chorales accompagnaient de leurs chants en latin, entonnés du haut de cette tribune, les cérémonies qui rythmaient la vie de la chapelle. Cette vie comportait aussi un petit caractère paroissial avec la célébration de cérémonies plus familiales pour lesquelles les aumôniers intervenaient évidemment toujours : baptêmes et communions, mariages et obsèques. L’oratoire de la Guiche en 1942. - Nombreux furent les enfants de chefs de maison, de professeurs, de membres du personnel ou d’anciens rocheux baptisés ici. - Tous les anciens rocheux ont dans leurs albums personnels des photos émouvantes où on les voit défiler en jeunes communiants, un cierge à la main. - Les confirmations avaient également lieu ici, Monseigneur l’Evêque d’Evreux se déplaçant pour la cérémonie. Je ne citerai que quelques mariages, plus symboliques : - En 1919, le premier mariage célébré en cette chapelle fut celui de mes parents : André Prieur, ancien du Coteau, y épousait Hélène Demolins, fille du fondateur; - Dix ans plus tard, en 1929, Monique Bertier, fille du directeur Georges Bertier, y épousait le professeur de philosophie, Louis Garrone ; - En 1964, c’était au tour de leur fille cadette, Nane, d’y épouser un ancien élève : Patrick Cognacq. - Et le dernier mariage catholique célébré à l’Ecole fut, en 1983, celui de deux de ses enseignants, Monsieur et Madame Maupas. En 1924 eurent lieu les obsèques solennelles de l’Abbé Gamble. Je vous ai dit qu’il repose ici, au pied de l’autel où il avait si souvent prononcé les paroles rituelles : Introibo ad altare Dei, Ad Deum qui laetificat juventutem meam. Je monterai à l’autel du Seigneur, Vers Dieu qui renouvelle la joie de ma jeunesse. ■ Philippe Prieur (Vallon 1931-1939) Départ pour un pélerinage à Chartres en 1924 Jean-Michel di Falco Photo J-P. Bousquel Le dernier aumônier des Roches Jean-Michel di Falco, aumônier catholique aux Roches de 1978 à 1985, devenu depuis évêque auxiliaire de Paris. La messe du dimanche dans la chapelle dans les années 50-60. Elle était chantée par la chorale qui se tenait sur la tribune, à côté de l’orgue. Les premières communions solennelles et les confirmations en 1925... ... et sortie de la communion solennelle en 1953. Mariage de Christian Calosci, le 23 septembre 1964 à la chapelle, par le R.P. Huer. Le témoin était Louis Garrone. Monsieur Venturini, actuel directeur de l’Ecole où il est entré comme professeur de mathématiques au début des années 1970, ajouta les quelques mots suivants pour nous livrer l’impression que la présence de Jean-Michel di Falco lui avait laissée. Jean-Michel fut le dernier aumônier installé aux Roches. Entre les années 1974 et 1988, il venait régulièrement passer le week-end aux Roches et rencontrait les élèves dans les maisons ainsi qu’au cours des repas et des cafés qui suivaient. La messe était célébrée à la chapelle en été et dans la grande salle du CAD en hiver ; les interventions du père Jean-Michel di Falco étaient toujours très vivantes et pédagogiques, il faisait participer les enfants transformant un sermon en échange. Il trouvait le lien entre le texte de l’Evangile et un fait d’actualité. Les enfants non catholiques, juifs, musulmans, protestants nous accompagnaient volontiers pour écouter Jean-Michel “raconter sa messe” et pour chanter ensemble. C’était à chaque fois la joie d’une vraie communion. ■ Daniel Venturini Directeur de l’Ecole des Roches depuis 1991. 139 140 Les pasteurs de l’Ecole C’est au tour de deux anciens élèves de confession protestante d’évoquer le souvenir des pasteurs qui ont marqué l’histoire de l’Ecole des Roches, à commencer par Daniel Dollfus pour ceux qui furent présents entre 1899 et 1945. “L’Ecole des Roches a été le premier internat libre œcuménique.” Chacune de ces personnalités a apporté aux élèves qui étaient en contact avec eux une tranche très importante de formation de leur personnalité et ceci dans un sens œcuménique. Je veux dire que l’influence de l’Abbé Commauche, par exemple, ne s’est pas limitée aux catholiques mais que les protestants ont bénéficié de son rayonnement et réciproquement pour certains pasteurs vis-à-vis de jeunes catholiques. L’Ecole des Roches a été, en effet, le premier internat libre œcuménique. Or la formation du caractère, à notre époque, est aussi importante, sinon plus, que la formation intellectuelle, les deux se complètant indispensablement. Pour être “bien armé pour la vie”, quel que soit son rôle, il faut, à la fois, avoir une très haute compétence grâce à la formation intellectuelle de base qui est capitale mais aussi la formation du caractère qui fera de vous un homme, une femme qui saura entraîner les autres. Si ces deux caractéristiques ne sont pas développées pendant vos années scolaires, vous demeurerez tout le reste de votre vie un passif médiocre, voire un magouilleur. Vous devez y penser chaque jour tant pour votre formation intellectuelle que caractérielle afin de préparer votre vie entière. (…) Or les pasteurs que je vais citer ont eu des influences déterminantes sur les élèves. 1913, le Pasteur Guinard est en place. Lui succède de 1913 à 1917, le Pasteur Cellérier. Une de ses caractéristiques fut qu’il a passé quatre ans à l’Ecole pendant la Grande Guerre et qu’il y est revenu de La chapelle protestante 1926 à 1930, pendant de nouveau quatre ans. Cela montre qu’il avait été apprécié et qu’il avait eu une grande influence. Il a en particulier influencé Daeschner qui fut, des années plus tard, PrésidentDirecteur Général de Peugeot et l’on sait quel est l’esprit moral, social de cette société, contrairement à bien d’autres. Le Pasteur Cellérier eut l’occasion de faire la formation religieuse de nombreux élèves issus de familles protestantes qui envoyèrent beaucoup de leur enfants aux Roches. Il y avait à cette époque entre 25 et 30% de protestants, quelque 70% de catholiques et quelques juifs ou des non pratiquants auxquels on demandait de choisir le service qu’ils voulaient suivre, catholique ou protestant. Ce fut par exemple le cas d’Olivier Bokanowski de famille juive, dont le père était ministre, dont le frère est 141 L’intérieur de la chapelle protestante. 1923. 142 devenu plus tard ministre et qui lui-même a été malheureusement tué en Tunisie en 1943. Citons aussi Henri Guiraud, Thierry-Mieg qui fut un des plus grands industriels d’Alsace, dirigeant une très importante société d’impression sur tissu et qui a fondé des succursales dans de nombreux pays du monde. J’ai eu l’occasion, quoiqu’il fût plus âgé que moi, de le rencontrer et de collaborer avec lui pendant quelques années. En 1918, le Pasteur Stuart Roussel n’est resté qu’un an avant d’être remplacé, de1919 à 1925, par le Pasteur Roger Thomas. Celui-ci qui a eu particulièrement une forte influence chrétienne sur Luc Durand-Reville, sénateur, Edmond Dollfus, Robert Thierry-Mieg, de nombreux enfants d’Henri Trocmé, protestant, alors directeur général adjoint, chargé particulièrement des questions de pédagogie, chef de maison des Sablons et professeur de différentes branches. Le Pasteur Cellérier revient de nouveau, entre 1926 et 1930, avec en particulier Max Cormouls- Houlès, un des nombreux membres des familles industrielles protestantes du Tarn qui se sont succédé, à peu près en permanence à l’Ecole, au cours des années 1920 à 1940. J’insisterai sur le sacerdoce du Pasteur Bonzon, de 1930 à 1936, car c’est l’époque où j’étais moi-même aux Roches. Je l’ai donc très bien connu. C’était un homme d’un rayonnement extraordinaire. Même après sa mort, il y a quelques années, son rayonnement se poursuit et j’en ai pour témoins plusieurs Rocheux et Rocheuses, en particulier Ginette Trocmé (il n’y avait à cette époque aux Roches que des filles de professeurs). Nombreux sont ceux qui ont vu naître chez eux une vocation sous l’influence de Charles Bonzon, celle-ci n’étant jamais coercitive. Elle émanait de son exemple lumineux. Il agissait sans aucune directive particulière, mais par diffusion d’idées et de sentiments au cours de multiples conversations avec chacun. En cinq ans, il a suscité six vocations, dont cinq sont restés pasteurs jusqu’à leur mort ou sont encore pasteurs et un a été jusqu’au bout de ses études de théologie de quatre ans tout en en parlant à Charles Bonzon et en faisant parallèlement des études de philosophie à la Sorbonne. Il n’a pas souhaité être ordonné pasteur mais s’est orienté vers la médecine, entre autres, pour des raisons philosophico-religieuses. J’ai eu l’occasion, des années après, de rencontrer fréquemment Bonzon qui était pasteur à Madagascar lorsque j’y faisais des séjours réguliers pendant trois ans, en tant que professeur à l’ENA de Madagascar. Si je vous en parle c’est que les différences d’optique de la vie philosophico-religieuse entre le Pasteur Bonzon et moi sont des facteurs qui devraient se rencontrer chez chacun, qu’il suive une voie religieuse dans sa vie quotidienne ou une voie plus philosophique. Ces problèmes devraient au moins se poser à la plupart, si une ouverture d’esprit leur était donnée mais on n’y pense pas. Il leur manque donc cette formation philosophico-religieuse nécessaire pour comprendre leur propre vie et son orientation. Une phrase du Pasteur Bonzon lors de nos conversations à Madagascar, avant qu’il devienne directeur de l’ensemble des missions protestantes dans le monde entier, se résume par cette phrase latine qu’il m’a dite et je le revois encore lors de cette conversation :”Credo quia absurdum est”, position que ma philosophie, quoique très ouverte, ne me permettait plus d’accepter. Le pasteur Henri Wullschleger, aumônier protestant de 1951 à 1957. L’instruction religieuse était organisée par Charles Bonzon et comprenait le culte du dimanche, le matin, et le soir ce que l’on appelait l’Ecole du Dimanche. Elle était faite par petits groupes par des élèves plus anciens, préalablement formés, chaque dimanche, à tel ou tel sujet, et par le Pasteur Bonzon, pour d’autres plus jeunes. Il y avait aussi des retraites soit dans la maison des Champs qui n’appartient plus à l’Ecole, mais qui est toujours située à 1 km à peine de l’Ecole, à gauche, sur la route se dirigeant vers Verneuil où le Pasteur Bonzon était en même temps chef de Maison. Enfin, après la confirmation, les élèves qui avaient fait leur première communion partaient en retraite, avec lui, à Port Royal. Je parlais de l’influence du Pasteur Bonzon sur des élèves. Citons Guy de Rouville que tout le monde connaît, car c’est un ancien qui venait très fréquemment à toutes nos réunions et les six théologiens dont cinq pasteurs qui ont découvert leur vocation à cause de la personnalité de Charles Bonzon, je les cite : Raymond Oberkampf, René Dollfus, Pierre Cormouls-Houlès, Ginette Trocmé et moi-même. J’ajoute Jean Arnold de Clermont qui, bien plus jeune, est actuellement le Président de l’ensemble de tout le protestantisme français. Clermont a été élève aux Roches et a subi une influence indirecte de Bonzon par l’intermédiaire de son père, ancien rocheux aussi. Entre 1937 et 1941, le Pasteur de Palezieux qui a été d’abord à Verneuil, puis aux Roches a eu comme catéchumènes : un Rist, de la famille de Madame Trocmé qui était née Rist, et à Maslacq un Sautter, membre de cette famille qui a suscité beaucoup de pasteurs, Edouard Sautter, Louis Sautter et Richard Sautter qui était lui, lorsque j’étais à l’Ecole Alsacienne, avant de venir aux Roches, un de mes meilleurs contemporains et avec lequel j’ai toujours gardé des liens très proches. J’ai rencontré quelques années plus tard, en Suisse, le Pasteur de Palezieux qui exercait à Genève, pendant un colloque des pasteurs et étudiants en théologie protestante de langues française et allemande. L’Ecole était pour lui son meilleur souvenir. Puis ont suivi, de1942 à 1944, le Pasteur Gross et de 1944 à 1945, le Pasteur Cremer, ce dernier étant un de mes anciens condisciples : nous étions ensemble à la faculté de Théologie de Paris en 1935. Remarquons que des aumôniers, que ce soit catholiques ou protestants, de l’Ecole des Roches sont devenus des personnages très importants, tel le Père di Falco, tant apprécié, qui est devenu l’évêque di Falco, c’est un homme remarquable. Le Pasteur Bonzon est devenu Directeur de toutes les missions protestantes dans le monde et Clermont est maintenant le Président de l’ensemble du protestantisme français. Il est certain qu’à leur tour ils ont bénéficié de l’atmosphère constructrice des caractères de l’Ecole d’alors. Eux-mêmes ont tous apporté une incontestable influence bienfaisante aux enfants et aux professeurs qui les ont connus, influence qui les a préparés à des rôles supérieurs. Espérons que tous les jeunes actuellement à l’Ecole bénéficieront indirectement de cet état d’esprit qui fera alors d’eux, véritablement, des hommes “Bien armés pour la vie et prêts à servir”. ■ Daniel Dollfus (Sablons 1930 – 1934) 143 Le pasteur Jean Letellier, dans la piscine. “...Jean Letellier qui nous fascinait tous par son dynamisme...” Philippe Guiraud poursuit l’évocation de ces pasteurs à partir de 1945 : Après la guerre, les aumôniers nommés à l’Ecole ont été, jusqu’en 1970, des pasteurs détachés par la Fédération Protestante de France ou par l’Eglise de Genève, avec le statut d’aumônier dépendant de l’Ecole, installés sur place et logés avec leur famille, puis, à partir de 1970, de jeunes pasteurs stagiaires vacataires ou des pasteurs en poste dans la région, venant assurer à intervalles réguliers le cathéchisme et les cultes. Ainsi se sont succédé Georges Reuss de 1945 à 1950 (à Maslacq), Jean Letellier de 1950 à 1956 (Verneuil), Jean Wullschleger de 1956 à 1960, René Muller de 1960 à 1966, Michel North de 1966 à 1969 et Gilbert Menneir de 1969 à 1971, puis des pasteurs en “ministère partagé” comme André Lanvin, Mlle Thobois, Alain Houziaux, Louis Pernot, suivis de bien d’autres. Depuis cette époque, l’évolution interculturelle de l’Ecole a rendu beaucoup plus difficile l’accompagnement spirituel des élèves. Dans les années 50, la proportion d’élèves protestants était relativement importante et les familles les inscrivaient de préférence aux Sablons, qui avaient, de tradition, conservé la réputation d’une maison protestante depuis l’époque de M. et Mme Trocmé. Jacques Valode, chef de maison catholique, veillait avec son épouse à l’épanouissement spirituel des élèves protestants dans la droite ligne de ses prédécesseurs. Ainsi, aux Sablons, les aumôniers étaient souvent invités à partager le repas des élèves et il était impensable de ne pas participer aux séances de recueillement et de méditation organisées par le pasteur. L’éducation religieuse des élèves, qu’ils soient catholiques ou protestants, était une préoccupation constante de la direction et des chefs de maison qui considéraient les aumôniers comme de véritables collègues de travail (leur épouse étant d’ailleurs la plupart du temps professeur à l’Ecole). Sans disposer pour autant d’un lieu de rassemblement et de prière aussi prestigieux que la chapelle catholique, la communauté protestante se réunissait dans un bâtiment modeste mais suffisant pour les offices auxquels assistaient les professeurs protestants ainsi que les paroissiens des environs ; un petit orgue en bois à trois jeux, confié à la femme du pasteur, soutenait les chants. Le ministère des aumôniers a été différent selon leur personnalité, leur autorité et leur sensibilité, mais chacun a marqué à sa manière les élèves dont ils avaient la responsabilité spirituelle. Je garde un souvenir très précis de deux aumôniers remarquables, le pasteur Georges Reuss dont j’ai suivi le catéchisme à Maslacq et le pasteur Jean Letellier qui nous fascinait tous par son dynamisme et par les efforts qu’il déployait pour nous aider à décourir les textes bibliques, à développer notre foi d’adolescents et à approfondir notre propre recherche spirituelle. En nous faisant sortir de notre confort tranquille, il nous a fait découvrir, sans doute plus tôt que nous ne l’aurions voulu, un monde différent de celui que nous connaissions, cherchant par là à nous donner le sens du service. Je pense que chacun d’entre nous a été plus ou moins marqué par le message et le témoignage de l’aumônier qu’il a trouvé sur son chemin ; cet accompagnement spirituel nous permet de rendre grâce aujourd’hui pour cette chance que nous avons eue de rencontrer ces hommes au moment de notre adolescence. ■ Philippe Guiraud (Maslacq, Sablons 1949-1954) 144 Les élèves rocheux Le recrutement de l’Ecole des Roches, tout en évoluant au fil des années et des générations, correspond à certains types d’élèves et de leurs familles. La fidélité de certaines a contribué à créer un esprit particulier, le fameux “esprit rocheux”. De 1899 à 1945, un rendez-vous bourgeois et aristocratique Dès sa création, l'Ecole des Roches accueille des protestants et des catholiques issus, pour la plupart d'entre eux, des bourgeoisies industrielles ou négociantes et de grandes familles terriennes, tournées vers l'exploitation agricole et plus ou moins liées à la finance. L'annuaire des anciens élèves publié en 1937 est particulièrement instructif à cet égard. Riche de 825 noms - ce qui correspond à la moitié du nombre des élèves sortis entre 1901 et 1936 inclus - on y relève des représentants de familles du Nord et de l'Est implantées dans l'industrie textile, telles que Ternynck (Roubaix) et Saint-Léger (Lille), les Alsaciens Schlumberger, Thierry-Mieg, Dollfus ainsi que les familles Witz dans les Vosges et Japy dans le Doubs. Apparaissent aussi des foyers normands, dans le tissage et le filage du coton (Deren à Barentin, Tetlow à Bolbec), rhodaniens (pour les soieries et les rubans) et un important noyau dans le Tarn, à Mazamet, avec plusieurs représentants des familles Guiraud, Prades, Tournier et CormoulsHoulès, implantées dans l'industrie de la laine. Parmi les familles spécialisées dans la fabrication, le commerce et le négoce, on peut citer : les Guichard, administrateurs co-gérants de la Société des Magasins Casino, les Augustin-Normand, des chantiers navals au Havre, les Maeght, joailliers dans les régions de Lille et Amiens, ou encore la famille Bohin dont le nom est devenu la marque des aiguilles, épingles et lames de rasoir que leurs établissements produisaient (Paris). En ce qui concerne les grandes familles terriennes, les plus célèbres sont représentées par plusieurs de leurs enfants portant les noms de Turckheim (Alsace), Huyghues Despointes (Martinique), de Yturbe, de Pourtalès... Certains de ces noms sont également attachés au monde de la banque et de la finance tels que ceux de Pourtalès, Schlumberger, Monod et Vernes. Au terme de ce bref inventaire, on ne peut s’empêcher de souligner le nombre important des noms de grandes familles aristocratiques françaises. Bien que la particule ne soit pas une preuve systématique d'appartenance à la noblesse, elle peut néanmoins être retenue comme critère d'évaluation dans les listes où elle émaille régulièrement les noms des membres de l’association des anciens élèves. Ainsi, dans ce même annuaire datant de 1937, elle apparaît 102 fois, ce qui représente 12 % de l’effectif. Cette proportion n'est pas négligeable, d'autant plus que ces noms relèvent de la vraie noblesse française d'Ancien Régime et d'Empire et que certains d'entre eux sont particulièrement célèbres. Citons en exemple : Guy, prince de Polignac ; Louis-Gabriel et Napoléon Suchet d'Albufera ; François et Jacques Delarue Caron de Beaumarchais ; six représentants de la famille de Turckheim, quatre de Montalembert, quatre de Boisgelin et l'on terminera avec Jean de Beaumont dont l'arbre généalogique est fleuri des noms historiques Colbert, Castre, Rohan et Harcourt. On peut y ajouter d'autres noms prestigieux comme Charles-Philippe d'Orléans (sorti en 1923) ou Olivier d'Ormesson (sorti en 1936) ainsi que des noms ne comportant pas de particule comme les trois frères Chauchat. 145 Au sein de ces familles de bourgeoisies et aristocraties parisiennes et provinciales se glissent également quelques noms étrangers qui témoignent d'un rayonnement certain de l'Ecole des Roches au-delà de nos frontières hexagonales. En nous appuyant toujours sur l'annuaire de 1937, nous pouvons montrer de manière éloquente le rayonnement national et international de l'Ecole à travers le domicile de ses anciens élèves. Sur le total des 825 noms, 87 % ont une adresse en France métropolitaine et 13 % sont éparpillés de par le monde dont 5 % dans les colonies et 8 % dans des pays étrangers. En France métropolitaine, la domination des Parisiens est écrasante avec 61 %, sur les provinciaux. Ces 441 Parisiens se répartissent principalement dans le 16ème arrondissement, regroupant à lui-seul le tiers de la population rocheuse, ainsi que les 7ème et 8ème arrondissements de sorte que 70% de la population rocheuse se concentre dans les beaux quartiers de l'Ouest parisien, entre Trocadéro, Monceau et Neuilly. Quant aux 280 provinciaux, ceux-ci se répartissent presque partout en France, principalement dans les départements économiquement dynamiques au niveau industriel et commercial où dominent les villes de Lille-Roubaix-Tourcoing (industrie textile), du Havre et de Rouen (import-export et industrie textile), les villes de Lyon et Mazamet, celles d'Alsace et des Vosges et, pour terminer, SaintEtienne ainsi que Bordeaux et ses voisines viticoles des Charentes. Enfin, les 104 Rocheux restants vivent et travaillent hors de France, dans ses colonies, en Europe, et de par le monde aussi bien en Amérique latine qu’aux Etats-Unis, au Proche-Orient, en Chine ou en Australie. Il convient de rappeler à ce propos que des élèves étrangers ont été présents dès l'ouverture de l'Ecole. Nous avons vu qu'ils représentaient 6 % des effectifs. Leur nombre se maintiendra à peu près à ce niveau, 146 entre 5 et 10 %. Le plus souvent, ce sont soit des enfants de grands propriétaires terriens en Amérique du Sud ou d'industriels (c'est le cas des Belges) soit des enfants de diplomates qui trouvent en l'Ecole des Roches une institution pratique et prestigieuse pour y placer leur progéniture qui ne peut les suivre dans leurs déplacements et leurs mondanités. Ce prestige lui vaut aussi la venue de rejetons princiers, voire royaux, tels que le prince Shriva Dahna, neveu du roi de Siam, les trois fils du Glaoui de Marrakech et même, en juin 1939, la visite du sultan du Maroc Mohammed V accompagné de son jeune fils, le futur Hassan II. Mais celui-ci, bien qu'inscrit pour la rentrée suivante, n'y participa finalement pas pour des raisons liées à la politique internationale et aux événements militaires. La Seconde Guerre mondiale eut des répercussions notables sur l'Ecole. L'année 1944-1945 ouvre une nouvelle période, celle des “dynasties rocheuses”. De 1945 à 1970 les “dynasties rocheuses” Les nouvelles générations se placent en continuité avec leurs aînées d'avant-guerre en célébrant, les 11 novembre et 8 mai de chaque année, le souvenir des anciens élèves tombés au champ d'honneur durant les deux guerres mondiales, plus ceux morts en déportation ou pendant la campagne d'Indochine et la guerre d'Algérie. Chaque année, ils entendent appeler les noms de 160 Rocheux et même de plus de deux cents si l'on compte les anciens de Maslacq et du Collège de Normandie. Ainsi est-ce à travers ses anciens, morts pour la patrie, que l'Ecole se construit une mémoire collective à laquelle s'identifient les descendants de ceux qui sont commémorés et à laquelle adhèrent les nouveaux venus. Les familles traditionnelles sont représentées par les enfants, petits-enfants, neveux et petits cousins de Rocheux passés avant-guerre. On retrouve des noms connus comme Huyghues Despointes, Schlumberger, Thierry-Mieg, de Turckheim, Yturbe, d'Harcourt et Hennessy dont plus de dix de leurs membres sont passés aux Roches. D'autres familles comme les de Barry, de Montalembert, Brueder, Dollfus, Cormouls-Houlès, Bohin, Toupet, Kressmann, Fraissinet, Vilgrain... sont également à l'honneur. Au total, on peut mentionner 55 noms de famille dont au moins cinq de leurs membres sont élèves aux Roches durant cette période. A la fin des années 1950, 60 % des élèves sont des fils de Rocheux. Les mêmes familles s'y retrouvent au fil des générations et finissent même par constituer de véritables dynasties au gré des unions matrimoniales. Le cas des Hervey, Thierry-Mieg, Kressmann et Oberkampf de Dabrun est tout à fait exemplaire. Les ramifications qui relient ces quatre familles rocheuses sont représentées dans un arbre schématique particulièrement intéressant dans la mesure où est placé à son sommet l'un des principaux promoteurs de l'Ecole (Maurice Hervey, sénateur de l'Eure et vice-président du Sénat) dont la descendance regroupe six familles et vingt-six Rocheux passés sur trois générations. Cet exemple peut être transposé à d'autres familles. Il n'était donc pas rare que tous les fils d'une même famille fussent simultanément présents aux Roches, ce qui contribuait à renforcer le caractère familial et convivial de l'Ecole. Celle-ci n'a cependant pas pour autant fonctionné en vase clos puisqu'elle a accueilli de nouvelles familles. Apparues avec les Trente Glorieuses, ces nouvelles familles sont souvent représentées par des enfants de chefs de petites et moyennes entreprises. A l'inverse de ces nouvelles familles issues de l'industrie du bâtiment ou des produits alimentaires, d'autres plus anciennes disparaissent, en particulier les grandes familles terriennes et immobilières comme les Corbin de Mangoux. De plus, ces années 1950 et 1960 sont marquées par, fait totalement nouveau, la venue d'enfants de célébrités du show-business, du cinéma ou de la littérature tels que les fils d'André Malraux, de Marcel Pagnol, du commandant Cousteau, du couturier Jacques Fath ou de l'actrice Michèle Morgan en plein divorce. Ce dernier constitue d’ailleurs un cas typique du nombre grandissant d'enfants de couples séparés qui trouvent alors en l'Ecole des Roches un établissement commode pour y placer leur progéniture devenue encombrante. L'Ecole des Roches apparaît aussi comme un lieu sûr, garant de sécurité, pour de hautes personnalités politiques étrangères, en particulier des anciennes colonies françaises, alors confrontées à des difficultés internes à leur pays et qui, par prudence, lui confient leurs héritiers. Ainsi, à la fin des années 1950, sont passés à Clères les deux fils du prince du Laos, Souvanna Phouma, et Philippe Bao-Long, fils de Bao-Dai, l'ancien empereur d'Annam. Toutes ces familles vont contribuer à alimenter le prestige des Roches qui peuvent ainsi se flatter d’inscrire à leur Panthéon des noms fort célèbres bientôt rejoints par d’autres de plus en plus étrangers. De 1970 à aujourd’hui une internationalisation dorée L'Ecole accueille un nombre grandissant de jeunes Africains, Maghrébins et Moyen-Orientaux. D'Afrique noire viennent des enfants de hauts fonctionnaires ou de membres de gouvernements tels que, à la fin des années 1980, cinq fils et filles du 147 président du Gabon, Omar Bongo. En 1988, les Africains, en majorité du Gabon, de la Côte d'Ivoire, du Sénégal et du Nigéria, totalisent 19 % des effectifs parmi les 228 élèves que comptent alors les Roches. Le Maghreb est surtout représenté par des Marocains et la part des Musulmans augmente en conséquence. Ils peuvent, librement, s'ils le désirent, pratiquer leur religion et suivre, en cours particuliers, des leçons d'arabe. Enfin, à partir de 1975, par contrecoup des guerres civiles qui éclatent au MoyenOrient, l’Ecole voit, à son avantage, un certain afflux en provenance du Liban, puis de l'Iran. Au fur et à mesure que le recrutement s'internationalise, les familles qui traditionnellement fréquentaient les Roches vont disparaître, aussi régulièrement que le prix des pensions augmente. Alors qu'en 1971, la pension trimestrielle s'élevait à 6700 F (soit 35 000 F actuels), à la fin des années 1980, l'Ecole des Roches avait la réputation d'être l'Ecole la plus chère de France avec une scolarité annuelle dépassant allègrement les 100 000 F. Déjà, en 1965, les Roches ne comptaient plus que 15 % de fils d'anciens pour 25 % d'étrangers. Vingt ans plus tard, les proportions s'élèvent respectivement à 3 % et 40 % (sur un total de 300 élèves en 1985 - 1986). Considérée désormais comme un internat international, elle accueille, aux côtés de nombreux enfants de parents divorcés, quelques figures princières telles que les deux fils de la reine Margrethe du Danemark et du prince consort Henrik. Ce rayonnement international se confirme dans les années 1990. Symboliquement, sur la carte de vœux que l'Ecole des Roches envoie en janvier 1998 est dessinée une boule de Noël aux couleurs bleue et jaune, au milieu desquelles se distingue, en rouge, un petit hexagone : il s'agit du globe terrestre avec ses mers et ses continents qui, situé au centre de la carte, 148 s'insère dans le nom même de l'Ecole auprès duquel a été représenté un ballon de football. Le message est clair : placé sous le signe du “Mondial”, il annonce que, à l'instar de la France qui “accueille le monde, l'Ecole des Roches le vit depuis...” sa création. Et tout autour de ce dessin rayonnent vingt-quatre phrases qui, chacune écrite dans une langue différente, nous présentent leurs vœux de bonne année. Ainsi l'Ecole des Roches affiche-t-elle fièrement, à la veille de la célébration de son centenaire, son rayonnement international. Cette fierté est fondée quand on sait, chiffres à l'appui, qu'au cours de l'année 1997-1998, elle a accueilli, sur un total de 268 élèves, 34 % d'étrangers, regroupant près de 29 nationalités. A la rentrée suivante de septembre 1998, l'Ecole a dépassé la barre des 300 élèves avec 174 Français et 129 étrangers venant de 40 pays différents dont la Russie et la Corée et, pour la première fois, 11 élèves chinois. Les drapeaux multicolores battant au vent en haut des mâts alignés sur le stade sont les témoins les plus visibles de cette Ecole des Roches qui, tout en restant bien ancrée dans son terreau normand, a choisi très tôt de se mettre à l’heure de la mondialisation. L’esprit “rocheux” a inexorablement évolué à l’instar de la devise qui, en complément de son traditionnel “Bien armés pour la vie”, s’est enrichie, l’année de la célébration du centenaire, d’un moderne “...et citoyens du monde”. ■ Nathalie Duval Une dynastie rocheuse Maurice Hervey et Valentine Raoul-Duval (Sénateur de l’Eure, Vice-Président du Sénat et fondateur de l’Ecole d’agriculture des Roches) Edouard Kressmann et Climène Bourcart Suzanne Hervey et Alfred Kressmann > Jacques Hervey * Antoinette Hervey Edouard Kressmann Gustave Kressmann* et Madeleine Bourcart > Jean Kressmann Henry Kressmann Marcelle Thierry-Mieg Climène Goinard > Robert Thierry-Mieg > Jacques Thierry-Mieg > Yves Thierry-Mieg > François Thierry-Mieg > Henri Thierry-Mieg > Raoul Hervey > Guy Kressmann Françoise Oberkampf de Dabrun Soit : 24 Anciens passés aux Roches depuis 1899 > 17 descendants Hervey > 3 descendants Raoul-Duval > 1 Dollfus > Philippe Kressmann > Eric Kressmann > Raymond Oberkampf de Dabrun > Yves Oberkampf de Dabrun > Bernard Oberkampf de Dabrun > Michel Oberkampf de Dabrun > Didier Kressmann Il convient d’ajouter les Rocheux : > Philippe Raoul-Duval (neveu de Valentine Hervey) > Claude Raoul-Duval (petit-neveu de Valentine Hervey) > Christian Raoul-Duval * > André (?) Boucart > René Kressmann Carole Dollfus épouse de : > Pierre Kressmann-Bourcart > Henry Kressmann-Bourcart > Francis Dollfus > Élève à l’École des Roches * Mort au champ d’honneur 149 Rocheux du “baby boom” Comme toutes les écoles dans les années 1950 et 1960, l'Ecole des Roches a bénéficié des vagues du “baby boom”. C'est pendant ces années que ses effectifs scolaires ont été les plus nombreux. Vers 1962, elle comptait plus de 420 élèves. Maurice Soustiel (Moulin, Guiche, Prairie, 1959-1969) est un représentant caractéristique de cette époque. Il fait partie de ces anciens qui sont restés le plus longtemps à l'Ecole : il a fini capitaine à la Prairie à l'issue de ses dix ans de scolarité, après avoir suivi son frère Jean (Guiche, Coteau, 1948-1956) qui représente, quant à lui, les générations nées avant guerre et qui, comme toutes leurs classes, “ont fait l'Algérie”. Il est entré en effet aux Roches au moment où son frère, de 12 ans son aîné, se confrontait au feu. Il lui paraît important d'insister sur la formidable cassure entre la génération de son frère, qui a connu la guerre et qui était pétrie de patriotisme et d'honneur, et la sienne née durant la prospérité économique des Trente Glorieuses : “Nous n'étions pas sensibles aux discours de Garrone, nous étions les enfants de l'après-guerre, plus concernés par les Beatles ou le Jazz que par les valeurs du Maréchal Lyautey”. Il reproche à l'Ecole des Roches de cette période d'avoir été “comme un monde décalé” où son premier choc fut de participer à l’envoi des couleurs à la Guichardière, quand il avait 9 ans, et d'entendre la liste des anciens morts pour la France. Il explique aussi très simplement comment sa scolarité aux Roches a été pour ses parents d'origine sociale simple - son père, antiquaire reconnu, était un immigré turc juif, venu en France en 1920 - un réel sacrifice financier qu’ils ont cependant estimé nécessaire pour apporter à leurs fils une éducation privilégiée et pour favoriser une assimilation rendue vitale après les traumatismes de l'occupation allemande. Cependant, il n'a jamais eu le sentiment pour autant d'être avec une élite aristocratique ou bourgeoise. Il était entouré d'une majorité de camarades dont les parents étaient séparés ou trop absorbés par des responsabilités professionnelles importantes et qui, pour ces raisons, avaient choisi de confier à l'Ecole des Roches l'éducation de leur enfant. Il considère ainsi, aujourd'hui, que l'un des grands privilèges de l'Ecole des Roches est de les avoir “vaccinés” de la possession matérielle : “Côtoyer des enfants de milieu aisé, d'horizon varié, ne manquant de rien, projette une ambition différente que le besoin de posséder : une certaine sérénité et une absence de désir de revanche, une certaine compétition avec un énorme respect de l'autre”. Son jugement devient sévère lorsqu'il déclare avoir été “ berné” : “on était en pleine guerre d'Algérie, des anciens mouraient et on ne nous en a rien dit. Pas un mot pendant la guerre des six jours… En mai 1968 j'ai 18 ans, c'est le grand réveil ! On apprend par la radio, dans le silence du dortoir, après l'extinction des feux, qu'il y a des barricades à Paris. La télé, pour nous, était limitée à Télé-Dimanche, Roger Lanzac ou le Tournoi des 150 Cinq nations, avant le film à la Grande Salle… D'un côté De Gaulle qui parle en noir et blanc, on comprend mal, tout est flou, on mélange -anarchie- et -monarchie-, c'est quoi être -réactionnaire-, être -bourgeois-, la -chienlit- ? Tous ces mots nouveaux pour nous. De l'autre côté : “Interdit d'interdire!”, “sous les pavés la plage”, “La Révolution permanente…” Quels slogans ! Sartre et Gide n'étaient pas enseignés à l'Ecole. Nous n'avions aucune clef pour comprendre ces événements, aucune conscience politique… Les professeurs sont passés complètement à côté de ce mouvement de la jeunesse. Certains parlaient même de prendre le maquis… C'est là qu'il y eu une “cassure” : “Bien armés pour la Vie”, mais quelle vie ? Bien sûr, on savait courir un 4 km le matin et nous excellions en travaux pratiques l'après midi, mais à quoi ça allait servir tout cela pour exister et participer dans ce nouveau monde qui s'ouvrait à nous ? Nos références étaient limités à celles de notre chef de maison, monsieur Amadieu : le Vercors, la campagne de Norvège et les fables de Samivel…”. En revanche, il reconnaît à l'Ecole de lui avoir inculqué une vraie force : un solide sentiment de camaraderie: “nous vivions ensemble, on ne sortait pas le week-end, notre solidarité était fraternelle… 300 garçons obligés de s'entendre pendant trois mois”. Il garde ainsi un bon souvenir de ses capitaines, Jean de Pardieu, Cyril Desprès. “Les capitaines, le dortoir, ce sentiment d'appartenir à une équipe, à un groupe solidaire, c'était bien et c'était fort. Bien que la sexualité fût un sujet tabou, nous ne souffrions pas de notre solitude “physique”. L'amitié de nos camarades et l'humour nous permettaient de passer ce cap difficile. Le respect de l'autre, et en particulier de son corps, était partagé par tous. La tentation de l'autre n'était pas absente dans cet univers masculin mais se limitait à des relations platoniques et à une sincère complicité amicale”. Il insiste sur l'idée d'avoir vécu la transition d'une école imprégnée des valeurs d'avant-guerre à une école non épargnée par Mai 68 : “l'année suivante, tout a explosé, les sorties le week-end, le tabac et enfin la mixité…”. Enfin, Maurice Soustiel ne cache pas d'avoir raté son bac aux Roches. Il l'a passé l'année suivante dans une boîte à bac à Paris, puis il a suivi des études de médecine. Docteur en médecine, puis anesthésiste-réanimateur, il a toujours privilégié le travail en équipe, d'abord au SAMU de Paris, puis en Afrique et en Chine. Aujourd'hui, après avoir développé une importante entreprise industrielle dans le domaine de la radiologie, il se consacre à l'intégration des innovations dans le domaine chirurgical. Trente ans après, ses meilleurs amis sont rocheux. Extraits de l’interview accordée par Maurice Soustiel à Nathalie Duval, le 26 février 2001. Ancien des Roches, qui es-tu ? Telle est la question que pose le secrétaire général “...plus qu’avoir été élève de l’Ecole des Roches, c’est être après avoir été” de l’association des anciens élèves dans la brochure publiée à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de l’Ecole. C’était en 1949 et il s’appelait Guy Miellet. L’association n’était pas l’AERN, mais l’AER. En effet, elle n’avait pas encore fusionné avec l’association des anciens élèves du Collège de Normandie. Elle était donc uniquement l’Association des Anciens Elèves de l’Ecole des Roches et c’est en 1952 qu’elle devait devenir l’Association des Anciens Elèves de l’Ecole des Roches et du Collège de Normandie, à la suite d’une opération immobilière qui rapprocha les deux établissements jusqu’alors totalement distincts. L’AER avait été constituée juridiquement en 1910, mais ses premières bases avaient été jetées dès 1905. Ainsi que le stipule l’article 2 des statuts qu’elle avait alors votés, elle se donnait “pour but d’établir des relations amicales et un lien d’aide mutuel entre tous les Anciens Elèves de l’Ecole des Roches”. Mais qu’est ce donc qu’un ancien des Roches ? Guy Miellet répond en substance : “Être ancien des Roches, c’est plus qu’avoir été élève de l’Ecole des Roches, c’est être après avoir été”. Il poursuit en énumérant trois critères de définition qui sont autant de principes d’identité : “un Ancien est un Rocheux qui le reste, (...) le Rocheux, pour devenir et rester un Ancien, fera nécessairement partie de l’Association (...) il faut faire rayonner autour de soi l’idéal rocheux”. Et de conclure : “Bref, l’Ancien Rocheux est un homme qui exige le respect parce qu’il a le respect de l’homme”. Cinquante ans après, qu’en est-il ? Durant l’année du centenaire de l’Ecole, les anciens élèves ont été invités à répondre à un questionnaire pour témoigner de ce que les Roches leur avaient apporté. Les réponses, plus d’une cinquantaine, si elles varient en fonction des personnalités et peuvent s’avérer parfois contradictoires, révèlent néanmoins des lignes de force dont un certain nombre sont communes aux différentes générations qui se sont succédé jusqu’à nos jours. Des différences notoires apparaissent aussi entre les promotions, de sorte que se dessinent des archétypes rocheux assez distincts les uns des autres, entre les anciens d’avant la guerre, ceux d’après 1945 et ceux qui ont connu les changements récents de ces trente dernières années, à la suite de ce que l’un d’eux qualifie de “bouleversement consécutif aux années 60”. Au–delà de ces évolutions inévitables, il est remarquable de constater que tous, du plus âgé, Charles Piat (Champs, Vallon, 1916-1929) à la plus jeune, Stéphanie Auger (Guiche, Vallon, 1994-1997), prônent deux valeurs principales comme étant les valeurs rocheuses par excellence, à savoir le respect des autres et le sens des responsabilités. Véritables leitmotive de leurs réponses, elles s’accompagnent d’autres valeurs telles que la droiture, le courage, le sens de l’honneur, la persévérance, l’engagement, la solidarité, l’écoute, l’ouverture d’esprit ou le bien-être. A noter d’ailleurs que ces valeurs, si elles sont toutes partagées, évoluent dans leur ordre de priorité en fonction des principaux groupes de promotions : aux valeurs de chevalerie succèdent celles de l’entraide puis celles de l’épanouissement personnel. Au don de soi suit la confiance en soi, puis l’épanouissement de soi. Toutes ont contribué à construire leur personnalité, à être les piliers de leur éducation, car être un “Rocheux”, c’est avoir reçu une certaine éducation, l’éducation spécifique de l’Ecole des Roches : “Cette éducation m’a appris la valeur du travail personnel, le respect de ceux qui s’attachaient à nous former comme celui de nos camarades, et le sens des responsabilités”, résume François Daeschner (Coteau, 1936-1940). “J’y ai appris la liberté de pensée, le dévouement aux autres, le sentiment de justice et d’équité”, écrit JeanMarie Trutat (Vallon, 1955-1959), lequel définit trois 151 axes qui paraissent fondamentaux dans ce qu’il appelle la “praxis” rocheuse : “former des hommes (repères), éduquer des esprits (valeurs), enseigner des méthodes (principes)”. Fouad Habis (Pins, 1976-1981) considère, quant à lui, que “l’éducation reçue aux Roches représente la base sur laquelle j’ai été formé. Sans ce que les Roches m’ont apporté et appris, je serais aujourd’hui aux antipodes de ce que je suis”. Et Daniel Dollfus (Sablons 1930-1934), de cinquante ans son aîné, d’abonder dans ce sens en affirmant : “un bénéfice colossal, toute ma vie, la vie de ma famille, l’orientation de pensée de mes enfants sont le fruit de l’éducation de l’Ecole des Roches”. Tous ces témoignages insistent sur l’imprégnation à long terme de l’éducation reçue aux Roches, une éducation qui s’intéresse d’abord à l’être. C’est ce qu’illustre l’anecdote suivante rapportée par le même Daniel Dollfus qui se fait fort de rappeler le rôle essentiel joué en la matière par le chef et la maîtresse de maison : “Mme Trocmé était autant chef de maison que M. Trocmé, c’était le couple qui nous formait, intellectuellement, culturellement, caractériellement. Un jour, Mme Trocmé me convoque dans le bureau commun qu’elle avait avec son mari et me dit : ‘Tu es un garçon très actif, y as-tu réfléchi ? Je me demande si tu n’es pas trop actif et si tu ne te disperses pas ; je laisse cela à ta réflexion, sous ta propre responsabilité comme toujours, mais je souhaiterais que tu lises ce petit livre’. Et elle me donna un petit livre en anglais ‘Doing and Being’. Tout le reste de ma vie, cette conversation, la lecture de ce livre, m’est demeurée… Chaque fois que se présente une activité qui m’intéresse, je repense à cet entretien et j’écarte ce qui n’est pas indispensable, ‘mieux vaut être un caractère, une personnalité’ me dit Madame Trocmé, ‘que de faire trop de choses’. Tel était le genre d’enseignement que, à plusieurs reprises en cours d’année, chaque chef de maison donnait, cas par cas, à ses élèves. 152 Sandrine Guillaume (Colline, Guiche, 1970-1975) témoigne aussi de cette reconnaissance à l’égard de ses anciens chefs de maison en les qualifiant de “personnes merveilleuses… qui nous faisaient confiance, nous rendaient autonomes”. Dans cet apprentissage du sens des responsabilités et du bon usage de l’indépendance, le capitanat joue un rôle important pour ne pas dire essentiel. Il convient d’ailleurs de préciser que ceux qui nous ont répondu sont dans leur majorité des anciens capitaines, à hauteur de 60 %. L’un d’eux, René Mari (Pins, 19331939), explique ainsi que le capitanat est à “100 % la spécialité des Roches. L’Ecole sans capitaines ne serait plus la même”. La capitanat est considéré comme un honneur, Thibaut de Reimpré (Prairie 1967-1968) n’hésitant pas à le présenter comme “une sorte de Légion d’honneur du système”. Relais entre les chefs de maison et les élèves, le capitaine a pour fonction d’encadrer son dortoir, d’assurer la surveillance dans les études ainsi que de “se faire apprécier tout en se faisant respecter” (Philippe de Montmort, Colline, Vallon, 1980-1986). Contribuant à ce que l’harmonie règne dans sa maison, il intervient “dans l’arbitrage des conflits” (Olivier Stern-Veyrin, Vallon, Pommiers, 1937-1940). Charge honorifique donc, mais aussi bien lourde à assumer pour ce jeune élève choisi par le chef de maison d’après ses qualités humaines et l’ancienneté de sa présence à l’Ecole. En aucun cas, le capitaine ne peut être confondu avec un “pion” (Philippe Mussat, Pins, Vallon, Guiche Sablons, 1939-1948), mais comme “un grand frère qui aide, qui assume les co…ies de sa chambrée quitte à user de son autorité ensuite ! ” (Georges-Antoine Flipo, Petit-Clos, 1966-1971). Ceux qui ont été capitaines disent n’avoir retiré que des bénéfices de ces lourdes responsabilités qui leur incombaient : maîtrise de soi, autodiscipline, devoir, partialité, en bref le sens du “commandement amical” assorti du sens “du service aux autres” (Emmanuel de Sartiges, Vallon, 1935-1943). Certains, à l’instar de Francis Tesseron (Maslacq, 1946-1950), résument leur héritage des Roches en une phrase lapidaire : “l’Ecole nous a appris à être des Hommes”. Si cette expression revient souvent sous la plume des anciens Rocheux et Rocheuses, elle revêt en fait des sens variables selon leurs années de passage. Ceux qui ont été élèves sous les directorats de Georges Bertier et de Louis Garrone ont souvent recours à la notion de “chefs” et même d’ “élite”. Tauno Jalanti (Coteau, 1953-1958) écrit ainsi que l’Ecole des Roches lui a apporté “la foi en la nécessité d’une élite responsable pour le bon fonctionnement de la société humaine (…) En tant que chef d’entreprise, j’ai le sentiment d’avoir gardé certaines attitudes rocheuses”. Les générations plus récentes, des années 1960 à aujourd’hui, préfèrent évoquer des personnalités équilibrées et épanouies tel que Fouad Habis (Pins, 1976-1981) : “Cela m’a apporté beaucoup de rigueur dans ma façon de penser, de voir les choses ; cela m’a aidé à développer ma personnalité, à apprendre à me débrouiller tout seul. Cela m’a aidé à apprendre à diriger les autres, à les écouter, à juger ; cela m’a appris à être un Homme, et cela vaut tous les diplômes de la terre”. L’interprétation de la devise de l’Ecole “Bien armé pour la vie” ne manque pas non plus d’intérêt. C’est à son sujet d’ailleurs que les avis divergent. Les inconditionnels l’approuvent totalement tel Jean-Marie Trutat (Vallon, 1955-1959) qui déclare “non seulement, je la pense ; mais, surtout, je la vis au quotidien”. D’autres lui prêtent des sens différents selon les deux courants qui ont marqué la vie de l’Ecole jusqu’en 1939 comme le rappelle très justement Patrick André (Coteau, 1935-1944) : “l’un venant directement de Demolins cherchait à construire une élite en développant l’individualisme, la responsabilité, le sport et le sens du pragmatisme ; l’autre privilégiait davantage l’ordre, l’obéissance, l’appartenance au groupe par le respect de son identité, la réussite scolaire, le sens de la patrie. Le premier était marqué par l’influence de l’éducation anglaise et luthérienne. Le second, incarné par Georges Bertier, était marqué par le souci économique de ne pas effrayer les parents en s’écartant trop de l’enseignement de type catholique déjà très lié à l’enseignement public”. Et si l’on estime que “cette devise correspond bien à l’ambition de l’Ecole”, on ne peut néanmoins s’empêcher de regretter le “manque d’émulation entre les élèves qui sont souvent nés avec une cuiller en argent dans la bouche. Trop de difficultés économiques sont gommées” selon Jean-Jacques Morel, (Coteau 1962-1963). C’est un avis qui revient fréquemment : une éducation trop idéale pour un monde qui est loin de l’être. Cette devise serait-elle, comme le pense Christian Burki (Vallon, Pins, 1931-1938), par trop “utopique” ? Benoît Garrone (Vallon, Colline, 19371956) résume : “La vie des Roches m’a paru presque idéale. Mais - est-ce pour cela ?- elle ne m’a pas bien armé pour la vie”. Patrick Guiraud (Colline, Sablons, 1947-1953) confirme en un jeu de mots “Bien armé… pour la vie de château”, tout comme Agnès GrueyChasson (Moulin, Fougères, 1974-1980) : “la devise est belle mais pas très réelle, en tout cas pour la période où j’y étais. On est surpris par la vie quand on sort, car on était trop protégé”. Enfin, il existe des contestataires, particulièrement nombreux dans les promotions sorties dans les années 1960, tel celui-ci qui ne sait pas “ce que ça veut dire. Quelle prétention !”, tel autre qui estime que “armé” est un mot “qui fait peur” ou celuilà, Terry Downs (Guiche 1958, Pins 1968), qui considère que “les inconvénients d’une telle éducation sont, justement, qu’elle ne vous “arme” pas très bien pour la vie parce que les élèves des Roches, issus de la ploutocratie française et internationale, restent entre eux”. On en vient alors à comparer l’Ecole des Roches à “une bulle” comme en a conscience la jeune Stéphanie Auger (Guiche, Vallon, 1994-1997) qui ne s’en plaint pas pour autant : “l’Ecole est comme une 153 LES PRESIDENTS DE L’ASSOCIATION DES ANCIENS ELEVES mini-ville et on vit par rapport à une certaine catégorie de gens qui ne représente pas la majorité de la population de la France”. Cette idée apparaît également à travers l’évocation du “réseau” que constitue l’AERN. Eric Le Coq de Kerland (Sablons, 1953-1961) affirme qu’il existe “un réseau rocheux (…) un réseau amical. Il y a des entraides professionnelles. Des Rocheux m’ont appelé pour des embauches. Quand je le pouvais, je les privilégiais… un peu comme une mafia”. Il compte beaucoup de Rocheux dans ses fréquentations et ses amitiés : “Je les vois beaucoup au golf… J’en vois en vacances à Arcachon, quand je vais à Paris, partout. Je les connais par leur nom. Je les tutoie, car c’est la règle”. Qu’attendent-ils de l’association ? Principalement, qu’elle assure “un lien permanent” (Claude Gemaehling, Sablons, 1934-1939). C’est pourquoi beaucoup ont décidé, dès leur sortie des Roches et par “fidélité” à leur Ecole, de s’inscrire à l’association. A l’unisson, chacun d’eux peut ainsi déclarer : “Je vis toujours l’Ecole. Elle fait partie de moi”. ■ Nathalie Duval AER. Jules Demolins (1910 à 1919) Pierre Lyautey (1919 à 1920) Serge André (1920 à 1923) Marcel Aube (1923 à 1938) Jean Terray (1938 à 1948) Antoine de Clermont (1948 à 1952) COLLEGE DE NORMANDIE Emile Fauquet (1905-1909) Raymond Badin (1911-1919) Louis Barbet Massin (1915 à 1922) François Mirabaud (1925-1930) AERN Antoine de Clermont (1952 à 1960) Louis Suchet d'Albufera (1960 à 1961) Jacques-Henry Forest (1961 à 1965) Jacques Paloume (1965 à 1968) Gilbert Cahen d'Anvers (1968) Louis Suchet d'Albufera (1968 à 1970) Daniel Beytout (1970 à 1972) Jean-Charles Raindre (1972 à 1975) Michel Le Bas (1978 à 1982) Michel Poutaraud (1982 à 1986) Jean Becq de Fouquières (1986 à 1987) Michel Vassiliades (1987 à 1991) Robert Glaenzer (1991 à 1994) Jean-Philippe Mouton de Villaret (1994 à 1997) Dominique Remont (1997 à 1999) Christian Calosci (1999 ...) MEMBRES FONDATEURS Mme Alexandre André M. Georges Bertier Jean de Beaumont M. Paul Bessand M. Maurice Bouts M. Philippe-N. Davey Mme Edmond Demolins M. le Chanoine Desmons Mme Louis Garrone Michel Le Bas 154 Entre mythe et réalité “Le mythe l’emporte sur la réalité” Ecole des Roches, école des riches ? Jeu de mots facile permis par un simple changement de voyelle. Mais dans quelle mesure se justifie-t-il ? Certes, l'Ecole des Roches figure régulièrement dans le Guinness des records comme “l’Ecole la plus chère de France” et elle a conservé, tout comme le Collège de Normandie, la réputation d'avoir été fréquentée par des enfants de rois, d'hommes célèbres, de grands industriels et de vedettes de cinéma. Tout un mythe s'est construit autour de cette école huppée. Les souvenirs de l'écrivain Lucien Bodard sont sur ce point explicites. Non sans ironie, il raconte comment ses parents, résidant alors en Chine, prirent la décision de l'inscrire aux Roches : “Il s'est trouvé qu'au Yunnan, une fois, on a reçu des gens de la meilleure société... Des fils des deux cents familles... Ils ont beaucoup vanté l'Ecole des Roches en disant que c'était vraiment parfait (...) à l'imitation des collèges anglais. Or ma mère a toujours donné dans le snobisme anglais”. Son père, qui était alors consul en Chine, lui aurait même dit : “Tu vas aller dans le meilleur collège de France, le plus cher, où tu auras pour compagnons les enfants dont les familles dirigent la France”. Cette image élitiste est véhiculée et entretenue moins par l’Ecole elle-même que par la presse. Des articles sont parus dans tous les types de journaux aussi bien les grands quotidiens nationaux (Le Monde, Le Figaro, La Croix ou France-Soir) que les journaux régionaux et locaux ainsi que les journaux économiques au sujet de chefs d'entreprise, anciens élèves des Roches (Le Carnet de l'entreprise, L'Argus de l'Automobile, Le Bâtiment et L'Union agricole). Les magazines ne sont pas en reste, en particulier ceux spécialisés dans les potins mondains comme Jours de France et Point de vue-Images du Monde ou encore Le Nouvel Observateur, Paris-Match et L'Expansion dans un numéro duquel, en septembre 1968, on peut lire que l'Ecole des Roches est “une pépinière de jeunes hommes formés à la vie des affaires”. Les journaux politiques et satiriques n'oublient pas non plus les Roches. Ainsi, La Tribune socialiste, le 16 octobre 1969, dénonce-t-elle cette “école de riches” qui, en mai 1968, était “pavoisée de fleurs et non de drapeaux rouges ou noirs” ou encore Charlie Hebdo qui, sans complaisance ni demi-mesure, écrit le 28 août 1972 : “Quant aux écoles Duchnoque ou Duconneaud, elles ne sont pas à créer... Elles existent, s'appellent les Oiseaux, Sainte - Geneviève ou les Roches ; et préparent l'élite...”. Que son image soit valorisée ou maltraitée, il n'en demeure pas moins que l'Ecole des Roches suscite toujours l'intérêt des journalistes. En février 1996, Le Nouvel Observateur a réalisé un dossier sur les “dynasties de l'argent” dans lequel il consacre un article aux Roches présentées comme une école “pour gosses de riches”, témoignant ainsi de la persistance de cette image caricaturale d'établissement “select”. Au demeurant, les journalistes reconnaissent son originalité pédagogique, “inspirée des public schools d'Outre-Manche... où règnent, à côté des études classiques, le sport, les travaux manuels et l'autodiscipline, par l'intermédiaire du système des capitaines, ces élèves chargés de contrôler les autres...”. Mais, ils ne peuvent s'empêcher d'ajouter sur un ton un tantinet sarcastique que “ce sont ces méthodes et cette non-confessionnalité qui longtemps ont fait des Roches l'internat de choix... de tout un petit monde trop réactionnaire pour mettre les enfants dans le public mais pas assez pour les mettre chez les pères”. Il est intéressant de remarquer que, dans ces extraits, les journalistes opposent de manière contradictoire l'esprit “réactionnaire” des parents aux méthodes originales de l'Ecole des Roches où ils placent leurs enfants. Force est de constater que, en dépit de l’affirmation de son ouverture internationale, perdure son image d’école d’héritiers. Le mythe l’emporte sur la réalité. ■ Nathalie Duval 155 156 Conclusion Ici, l’avenir a une histoire Arrivé à la fin de l’ouvrage, le lecteur est en droit de se poser la question : “Pourquoi ce livre ? Qu’apporte-t-il ?”. Il a été voulu par l’Association des Anciens Elèves, à l’occasion du centenaire de l’Ecole des Roches. Déjà la centième année scolaire, 1998-1999, avait été marquée par diverses manifestations s’y rapportant, notamment la conférence du 13 mai 1999, organisée par l’AERN, avec une douzaine d’intervenants, mais aussi, bien sûr, en apothéose, la mémorable journée du samedi 26 juin 1999, orchestrée par l’Ecole pour la célébration de son centenaire. Enfin, les anciens avaient voulu joindre un témoignage plus spirituel à leur démarche en organisant, le 11 novembre 1999, dans la chapelle catholique, une cérémonie œcuménique à la mémoire des aumôniers catholiques et protestants. Ce livre du souvenir est une œuvre collective. Le souci d’exactitude a poussé à une importante recherche historique, surtout pour l’époque de la fondation et les années anciennes dont les acteurs sont disparus. Pour les générations plus récentes, un maximum de témoignages a été recueilli, ce qui permet une lecture particulièrement vivante. Pour la dernière décennie, la direction de l’Ecole a grandement contribué à l’ouvrage en exposant le sens de la nouvelle orientation qu’elle a voulu donner à l’institution, maintenant largement tournée vers l’international. Ce travail considérable nécessitait une coordination scientifique ; elle a été assurée, avec une grande méthode et en concertation permanente avec le comité de l’AERN, par Nathalie Duval, doctorante en histoire contemporaine à la Sorbonne (Paris IV) où elle prépare une thèse sur l’Ecole des Roches et le Collège de Normandie ; elle est en outre membre d’honneur de l’Association des Anciens Elèves. Sa connaissance approfondie des archives de l’Ecole et de celles de l’association, son sens de la recherche historique, son souci de confronter les dires aux faits, sont de nature à donner une confiance totale dans la valeur historique de l’ouvrage. Qu’elle en soit ici remerciée. Qu’en est-il, alors, de l’Ecole des Roches, la centenaire ? Sa naissance fut le fruit de la rencontre entre un “penseur”, Edmond Demolins, historien, sociologue, écrivain, conférencier, auteur du livre A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons ? et un groupe de pères de famille qui souhaitaient faire bénéficier leurs fils des théories novatrices de l’auteur sur l’éducation. Comme l’écrit Monsieur le Professeur Antoine Savoye, “Les Roches sont la mise en pratique d’idées tirées d’un raisonnement scientifique”. Je précise à ce sujet que les travaux d’Edmond Demolins l’avaient en effet amené à attribuer la supériorité des sociétés de “type particulariste” sur celles de “type communautaire” au mode d’éducation dispensé dans les “new schools”, les “écoles nouvelles”, surtout anglaises. Il préconisait l’ouverture d’écoles analogues en France. Parmi ses théories, il estimait indispensable la connaissance de plusieurs langues étrangères par les jeunes à former et, dès ses débuts, l’Ecole des Roches fut à l’origine de nombreux échanges d’élèves avec des écoles anglaises et allemandes. De fait, il y a toujours eu des élèves (et souvent des professeurs) étrangers aux Roches. On constate là que, cent ans après la fondation de l’Ecole, les théories d’Edmond Demolins sont toujours d’actualité : l’étude des langues vivantes y est plus que jamais à l’honneur ; la présence d’élèves étrangers y constitue une ouverture sur le monde sûrement bénéfique à tous. Il est loisible de s’interroger sur ce qu’aurait été, à ce sujet, la position d’Edmond Demolins dans les premières années du XXIème siècle, alors qu’à la fin du XIXème il répétait si volontiers : “A monde nouveau, éducation nouvelle”. A qui, finalement, ce livre s’adresse-t-il ? Voulu par les anciens, il traduit leur “besoin de mémoire”. Et quel serait donc le rôle de cette mémoire, si elle n’était destinée qu’à eux et à se refermer sur eux ? Ce livre intéressera tous ceux qui ont un lien, de quelque nature qu’il soit, avec l’Ecole des Roches : élèves et professeurs, direction et gestionnaires, parents d’élèves et sans doute bien d’autres. Par-delà l’histoire des Roches, il fait ressortir la quintessence de “l’esprit rocheux” qui, ancré dans le sol de l’Ecole, se transmet de génération en génération et contribue à faire d’adolescents des adultes “bbien armés pour la vie”. ■ Philippe PRIEUR Petit-fils d’Edmond Demolins, ancien du Vallon. 157 158 Sources Bibliographie - Edmond Demolins, A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons ?, Paris, Firmin-Didot, 1897. - Edmond Demolins, L’éducation nouvelle. L’Ecole des Roches, Paris, Firmin-Didot, 1898. - Georges Bertier, L’Ecole des Roches, Juvisy, 1935. - André Charlier, Lettres aux capitaines, 1955. Il a été tiré de cet ouvrage cinquante exemplaires sur pur fil Lafuma (Imprimerie de Rouen, Editions du Phoque) et deux autres tirages aux éditions SainteMadeleine (Monastère du Barroux, 84330). - Robert, Jacques et René Valode, Notre Sillon, Imprimerie Eblé, Besançon, sans date (après 1985), 2 volumes, 196 et 215 pages. - “L'Ecole des Roches, creuset d'une éducation nouvelle”, Les Etudes Sociales, n°127-128, 1998. (Le numéro double de cette revue, riche d’une quinzaine d’articles inédits, est entièrement consacré à l’Ecole des Roches. Le succès de ce numéro a été tel qu’un retirage a été décidé ; des exemplaires sont encore disponibles). - Emilienne Boblet et Nathalie Duval, L’Ecole des Roches et Louis Garrone dans les souvenirs de Tante Bob, Nouvelle Imprimerie Laballery, Clamecy (58), 1999. - Nathalie Duval, “Le Collège de Normandie, un collège ‘à l’anglaise’ dans la campagne normande (1902-1972)”, Etudes normandes, n°3, 1992, pp. 3950. - Nathalie Duval, “L’Ecole des Roches : une école normande au rayonnement international”, Etudes normandes, n°4, 1999, pp. 35-62. Pour plus de renseignements sur chacune de ces publications, s’adresser à l’AERN, 88 rue de Miromesnil, 75008 Paris, tél. : 01 45 61 15 07. - Nathalie Duval, Régis de Reyke, “Georges Bertier. Un éducateur oublié”, Les Etudes Sociales, n°130, 2ème semestre 1999, pp. 83-94. - Bernard Kalaora et Antoine Savoye, Les Inventeurs oubliés. F. Le Play et ses continuateurs aux origines des sciences sociales, Seyssel, Champ Vallon (diff. PUF), 1989. - “L’éducation toujours nouvelle”, Cahiers pédagogiques, n° 395, juin 2001 (Un article est consacré à l’Ecole des Roches dans le dossier que cette revue éducative a préparé sur l’histoire de l’éducation nouvelle). 159 160 4 L’Ecole des Roches d’aujourd’hui et de demain 161 162 Les Roches : une école, une passion ! Bilan de la dernière décennie, présentée par Claude - Marc KAMINSKY, Président - directeur général. I “Rêve fou ? Rêve insensé ? Rêve pédagogique !” l y a cent ans s'éveilla dans l'esprit du sociologue Edmond Demolins, une école nouvelle : l'Ecole des Roches. Ses élèves, depuis un siècle, lui ont donné une âme ; l'Ecole des Roches, c'est à la fois un mythe et une école. - Un mythe quand défilent, tout au long de son histoire, les noms les plus prestigieux dans tous les domaines, économie, sciences, arts, lettres, politique : un délicieux mythe qui s'est forgé dans l'imaginaire avec de fausses histoires et de vraies légendes. - Une école dont le seul luxe est l'Espace. Les pères fondateurs y ajoutèrent, toutefois, une ultime utopie en prenant le risque de "confier des adolescents à d'autres adolescents", selon la formule de L. Garrone, ancien directeur de l'Ecole. Ainsi naquit le concept de capitaine qui, à la veille du 3ème millénaire, demeure toujours l'une des pierres angulaires de l'Ecole des Roches où l'on apprend, quotidiennement, à conjuguer la devise de Saint Exupéry: “Etre Homme, c'est être Responsable” (Extraits du discours d'ouverture des festivités du Centenaire) Du Collège International de BONNELLES à l'ECOLE DES ROCHES Quand, en 1974, je créai avec mon épouse le Collège International de Bonnelles, il fut construit sur le modèle idéal et imaginaire de l’Ecole des Roches, sans l’avoir jamais vue ! Claude-Marc Kaminsky. Président. L’Ecole des Roches était alors pour moi ce que j'ai évoqué dans mon discours du Centenaire : un mythe, un rêve pédagogique, une Abbaye de Thélème, où tout était possible… un paradis pour les élèves et les professeurs, la fusion des pédagogies de Rabelais, Montaigne et Rousseau, un lieu sacré pour la culture, un espace magique où l’on peut dire simplement et sans démagogie : “J’ai même rencontré des élèves, des professeurs, des parents et du personnel heureux !”. Ce dialogue des cultures, cette rencontre des traditions, cette symphonie des langues constituent le Moi profond et permanent de l'Ecole. En 1989, dans l’impossibilité d’amplifier les structures et les activités du Collège International de Bonnelles, je fis la connaissance des dirigeants de l’Ecole des Roches et leur proposais, tout d’abord, une fusion entre nos deux établissements. 163 “Implantation de nouveaux laboratoires...” On me présenta “la mariée” par l’intermédiaire d’un magnifique album photos en couleur. Je tombais amoureux de l’Ecole des Roches et très vite cet amour se transformera en passion. C’est cette passion pédagogique que je me suis efforcé de faire partager, avec mon épouse, aux 180 personnes qui œuvrent dans l’école et aux plus de 10 000 élèves français et étrangers qui l'ont fréquentée, depuis 1990, pendant l'année et en été. LE GOUT DU RISQUE “Création de nouvelles activités...” 164 L’Ecole des Roches était en faillite. Afin d’éviter tous les pièges financiers et juridiques d’un classique dépôt de bilan, les nouveaux animateurs - au sens étymologique du terme (anima : l'âme) - Madame et Monsieur KAMINSKY souscrivent à la totalité de l’émission. La “REPRISE” de l’Ecole des Roches n’a pas et n’a jamais eu comme objectif une rentabilité “capitaliste” au sens premier du mot puisque 10 MF ont été investis à l’ouverture du capital, suivis immédiatement de 6 MF pour la première phase de rénovation de l’Ecole et de 5MF pour son fonctionnement quotidien… Parmi les multiples candidats qui se présentèrent, pourquoi l’administrateur judiciaire a-t-il fait ce choix ? Parce que la nouvelle équipe n’a pas attendu le dépôt de bilan de l’Ecole des Roches, comme les repreneurs le font traditionnellement: 1. Elle a repris intégralement le passif de l’école et ses dettes vis à vis des banques. 2. Elle a intégré le personnel de l’Ecole des Roches et celui du Collège International de Bonnelles. 3. Les élèves du Collège International de Bonnelles viennent rejoindre ceux de l'Ecole des Roches. 4. Au lieu d'un actionnariat atomisé (1200 actionnaires) la souscription en totalité par les nouveaux acteurs de son redressement a inspiré confiance. 5. Elle a prouvé un professionnalisme certain : création de plus de 15 établissements d'enseignement (primaire, secondaire, technique, sportif, supérieur). 6. Enfin la volonté, le désir et l’enthousiasme de réussir ce défi pédagogique ont fortement pesé. L’école avait besoin d’élèves, d’un financement et d’une structure, elle souhaitait être rassurée, confortée, animée. Lors de la première rencontre avec l’ensemble du personnel, chefs de Maison, professeurs, équipe de cuisine, d’entretien et de ménage, on sent poindre l’angoisse et l’inquiétude pour l’avenir. En effet, selon les mots du représentant syndical : “Depuis plusieurs années et chaque année on annonçait la fermeture prochaine de l’école…” Il a donc fallu rasséréner, dynamiser, agir et faire rêver à des lendemains qui chantent ! “Maîtrise de l’outil informatique...” TEL LE PHENIX… “Encadrement et soutien spécifiques...” J’aime à répéter que l’Ecole des Roches est un lieu magique. En effet, l’Ecole s’est non seulement relevée, mais elle accomplit un parcours assez extraordinaire. Grâce à une équipe solidaire d’hommes et de femmes, dont plusieurs œuvraient à l’école depuis de nombreuses années (certains y étaient nés), l'Ecole, tel un phénix… ressuscita sur tous les plans : infrastructures scolaires, travaux pratiques, projet pédagogique, vie sportive, confort et agrément. infrastructures scolaires et travaux pratiques : “Pédagogie (...) axée sur la motivation...” “La réfection de la piscine...” 1. Implantation de nouveaux laboratoires de biologie, physique chimie, technologie. 2. Modernisation d’un centre audiovisuel, d’un espace livres, de salles spécialisées en histoire-géographie et économie. 3. Aménagement d’un laboratoire de langues ultra-moderne, d’une salle de concert, d'une salle de cinéma authentique avec écran géant, d'un studio d’enregistrement musical. 4. Multiplication des postes de télévision et magnétoscopes, introduction d’une salle d’informatique avec accès à Internet. 5. Re-naissance des travaux pratiques : arts plastiques, modélisme, photographie, théâtre, journal, year - book, atelier mécanique, atelier karting, aviation, golf, cuisine, etc. 6. Création de nouvelles activités : informatique, chorale, danse modern-jazz, danse classique, orchestre, Cadet’ Entreprise, photo numérique, VTT, moto-cross, auto-école avec apprentissage anticipé de la conduite dès 16 ans. LE PROJET PÉDAGOGIQUE Redéfinition et élargissement du projet pédagogique de l’école autour de 3 axes : ● Les langues 1. Intensification de l’enseignement en anglais. 2. Création de classes bilingues anglais. 3. Initiation dès la 6ème à 3 langues : l’anglais, l’allemand, l’espagnol, le russe. 4. Sept langues vivantes au choix : anglais, allemand, espagnol, italien, russe, arabe, hébreu (chinois en projet). 5. Classe de civilisation et culture russe pour les russophones. ● Une adaptation aux enjeux du XXIe siècle 1. Approfondissement de la culture générale et ouverture sur le monde. 2. Maîtrise de l'outil informatique avec, en parallèle pour les parents, la consultation des bulletins scolaires sur... le site Internet de l'Ecole ! 3. Développement de l'interdisciplinarité sous la forme de travaux croisés. 4. Encadrement et soutien spécifiques tous les soirs dans les Maisons par les professeurs de français, mathématiques, anglais, physique, biologie... 165 5. Redéfinition d’une Nouvelle Ethique Pédagogique : la "N E P", axée sur la Motivation, la Valorisation et la Découverte du talent ou de la passion cachée chez l'élève. ● La concertation et la participation “Modernisation du centre équestre...” 1. Interprétation et repositionnement du rôle et de la fonction du capitaine dans la modernité. 2. Association très étroite des élèves à la vie de l’Ecole. 3. Election de responsables de classe, de délégués culturels, sportifs, gastronomiques. 4. Création de la Cadet’ Entreprise, sur le modèle des "juniors entreprises" des écoles de commerce. 5. Coupe de l'Eloquence, créée en 1932 par Jean de Beaumont. 6. Conférences à thèmes : “Confé’ Roches”, débats “App’ Roches”. 7. Participation à la “Journée de la Culture” et à l'élaboration du Year-Book. 8. Fêtes trimestrielles : “Caba’ Roches”, une alternance de danse, théâtre, sketches, chansons… conçues et mises en scène par les élèves. 9. Réunions gastronomiques : “Gastro’ Roches”. ● la vie sportive La pratique sportive "rocheuse", encore citée en exemple aux futurs enseignants d'EPS, est proposée, selon “...Les meilleurs résultats au Bac sport de toute l’académie...” 166 un rythme hebdomadaire, de quatre heures de cours, d’une heure et demie d'entraînement et d’une compétition le mercredi après-midi. L'Association sportive regroupe 140 licenciés engagés dans une soixantaine d'équipes en sport collectif et individuel. Elle bénéficie d'équipements qui font l'objet de soins attentifs : 1. Réfection totale du gymnase et du court de tennis couvert, aménagement d'une salle de pingpong. 2. Modernisation du Centre Equestre : avec son manège couvert, son manège en plein air, son parcours de saut d’obstacles, son écurie (12 chevaux dans l’année, 25 pendant les vacances). Il est animé avec enthousiasme et compétence par un couple de professionnels qui fait participer les élèves les plus talentueux à des compétitions équestres renommées. 3. Grâce au dynamisme de l’équipe d’EPS, l’Ecole des Roches obtient les meilleurs résultats au BAC SPORT de toute l’Académie avec des moyennes de 17 à 18/20. 4. Elle ne compte plus les coupes, les finales et les brillantes performances obtenues dans tous les sports : basket, football, handball, volley - ball, tennis, natation, ping-pong, athlétisme. 5. Chaque année elle organise son tournoi “open” de tennis avec remise de prix et parrainage par des marques connues. 6. La réfection de la piscine (1 MF) en 2001 a été l’une des grandes joies de l’année. Le bâtiment des classes. ● le confort et l'agrément Une équipe d'entretien de plus de 20 personnes, rénove, réhabilite, transforme, construit et reconstruit l’Ecole des Roches en permanence. Un gros chantier est d'ores et déjà programmé : la remise en état de Maslacq. Il s'agit d'une véritable “entreprise” dans l'entreprise. À la bibliothèque du CDI. Chaque année plusieurs millions de francs sont consacrés à l’embellissement et à l’achat de mobilier d'internat, de matériel scolaire, d'équipement de restauration et d'entretien de la propriété. Chaque achat est significatif, il constitue un “Plus” pédagogique qui pénètre l’univers de l’Ecole des Roches. L’OUVERTURE SUR L’INTERNATIONAL : CREATION DE LA SECTION FLE L’une des grandes innovations qui marquent la période 1990 -2000 sera l’ouverture systématique de l’Ecole sur le monde. La création de la section spécifique F L E (Français Langue Etrangère) qui passe de 7 élèves en 1990 à plus de 90 pour l'année académique 2000 2001 est la preuve de ce dynamisme. En outre, pendant l’été, l’Ecole des Roches qui accueillait 50 élèves en 1990, en accueillera plus de 800 pendant l’été 2001 ! “...font que l’école est désormais connue dans le monde entier, de la Mongolie à la Nouvelle-Zélande en passant par la Yakoutie, Madagascar et les Seychelles”. Grâce à l'activité F L E, qui représente le tiers du chiffre d'affaires, l'Ecole des Roches assure sa stabilité et sa pérennité. L'ECOLE DES ROCHES, VECTEUR DE LA LANGUE FRANCAISE Depuis septembre 1991, de sa propre initiative et sans aucune subvention, toute une équipe s'est mobilisée, sous l'impulsion de son Président, pour amplifier le rayonnement de la France sur les 5 continents. Si les investissements les plus importants ont été dirigés vers la Russie, l'Ukraine, le Mexique, la Corée du Sud et la Chine, d'autres actions ont été et sont toujours mises en œuvre : ● pour les Pays de l'Est : en Bulgarie, Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque, ● pour l'Europe : en Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Hollande, Irlande, Italie, Suède, ● pour l'Asie : en Inde, Indonésie, Japon, Singapour, ● pour l'Afrique et le Moyen-Orient : aux Emirats arabes unis, Liban, Maroc, Quatar, Tunisie, Turquie, 167 “L'Ecole a pu prouver qu'il est possible d'éduquer ensemble des enfants d'autant de nationalités sans engendrer de conflit.” ● pour l'Amérique : au Brésil, Colombie, EtatsUnis, Pérou, Saint-Domingue, Venezuela. - Les nombreux voyages du Président de l’Ecole, chaque année dans le monde, Remise des prix lors de la fête de fin d’année. - Les salons, colloques, conférences, expositions, parrainages et accords de coopération, - Le site Internet lancé en 1999, de plus en plus fréquenté et en cours de réactualisation pour être encore plus complet (inscription en ligne) et attractif, font que l’école est désormais connue dans le monde entier, de la Mongolie à la Nouvelle-Zélande en passant par la Yakoutie, Madagascar et les Seychelles. Les télévisions d’une dizaine de pays sont venues la filmer ; elle a même été choisie comme modèle pédagogique dans plusieurs pays : Russie, Ukraine, Chine, Japon, Pakistan, Maroc. Pendant ces 10 années de promotion, l'Ecole des Roches a : ● offert 255 bourses d'études, signé 24 accords de coopération, sponsorisé plus de 15 concours, ● invité 70 professeurs, 90 directeurs et 30 personnalités, ● participé à plus de 50 salons et une quinzaine de colloques, ● accueilli sur ses 3 sites environ 10.000 jeunes, soit plus de 300.000 journées/stagiaires et 100 MF de devises. Daniel Venturini, Directeur de l’Ecole des Roches, a participé activement à la contractualisation. 168 Ces opérations ont représenté, chaque année, l'équivalent de 5 % de son chiffre d'affaires. LA MISE SOUS CONTRAT DE L’ECOLE DES ROCHES Pour la première fois de son histoire, en 1992, l’Ecole des Roches obtient le contrat d’association avec l’Etat. Cette officialisation est le fruit d’une mobilisation de toutes les équipes de l’Ecole. Après 15 inspections successives, la pédagogie et les structures de l’Ecole sont reconnues. Cette contractualisation progressive s'étend de la 6ème à la Terminale ES (Les séries L et S sont en attente). La signature du contrat a été un grand tournant dans la vie de l’Ecole. Les professeurs étant désormais rémunérés par l’Etat, les tarifs ont pu être diminués de près de 20.000 FF pour le Collège et le Lycée. Cette baisse s'est également accompagnée d'une augmentation significative du nombre de bourses pour les élèves méritants : 1,2 MF la dernière année. L'Ecole gagne en notoriété grâce à cette consécration officielle. Désormais, n’importe quel élève de l’Ecole admis à passer en classe supérieure peut intégrer tout établissement public de son choix. L’ECOLE LA TOURNELLE, Les Petites Roches Les Petites Roches, un parc de 15 hectares pour les plus petits (maternelle à primaire). Située à SEPTEUIL, à proximité de Versailles, elle assure l'enseignement, de la maternelle au cycle primaire. Parallèlement à son expansion, l’Ecole des Roches entreprenait le redressement de sa filiale... son contrat avec l’Etat ayant été malencontreusement rompu. Seul internat en FRANCE à proposer une section FLE pour les 6 à 11 ans, l’Ecole de La Tournelle s’efforce de modéliser le projet pédagogique de l’Ecole des Roches pour faciliter le passage de l’une à l’autre. Les élèves étrangers qui y séjournent (des Américains de New York, des Russes de Moscou, des Chinois de Shanghaï) ne peuvent que se réjouir de cette opportunité. PERL, un centre linguistique au cœur de Paris. PERL En août 1994, en créant l’Ecole PERL (Paris Ecole des Roches Langues), l’Ecole des Roches achevait, par ce triptyque, un enseignement allant de 7 à 77 ans ! Etablissement d'Enseignement Supérieur enregistré auprès du Rectorat de PARIS, PERL accueille, chaque année, des centaines d'étudiants et d’adultes, provenant de plus de 60 pays, qui viennent apprendre ou se perfectionner en français. Elle dispense des cours à la carte, intensifs, progressifs, particuliers… pour tenir compte des contraintes professionnelles ou universitaires; elle propose des clubs théâtre, civilisation, découverte du Patrimoine ; elle prépare au DELF, au DALF, à l’entrée en Sorbonne, ainsi qu'aux diplômes spécifiques de la Chambre de Commerce et aux certificats d’Hôtellerie et Tourisme. Ses brillants résultats : 100 % de réussite aux examens de la CCI, 90 % au DELF et au DALF, la convivialité des professeurs, le suivi des étudiants y compris pendant tout leur cursus universitaire en France, contribuent à asseoir la réputation naissante du centre, en particulier auprès de ressortissants peu habitués à notre mode de vie occidental. VITALITE ET RAYONNEMENT : quelques témoignages prestigieux ● La contractualisation de l'Ecole avec l'Etat engagée en 1992, ● le statut d'Ecole Associée à l’UNESCO, depuis le 3 septembre 1999, 169 Démonstration de Taekwondo au théâtre en novembre 2000. ● la médaille d’argent de la ville de Paris, décernée à son Président le 8 septembre 2000, pour “la promotion de la Langue Française dans le monde”, ont suscité l'intérêt de nombreuses personnalités qui ont apporté leur soutien moral : Le Ballet National de Kalmoukie en novembre 2000. “Monsieur Jacques Chirac, Président de la République, m'a prié de vous transmettre ses félicitations pour l'action que vous menez avec talent et efficacité, la démarche originale qui inspire votre projet pédagogique visant à rendre l'enfant Citoyen du Monde a retenu toute son attention” Présidence de la République 12/12/1997 “Je tiens à vous adresser mes félicitations les plus chaleureuses à l'occasion du Centenaire de l'Ecole des Roches dont j'apprécie la diversité culturelle de ses élèves et son projet pédagogique. …C'est pourquoi, je ne peux que vous encourager à poursuivre dans la voie qui est la vôtre depuis un siècle. En effet, seules l'Education, la Culture et la Science peuvent assurer à nos enfants la Liberté, la Justice et le Progrès” Abdou Diouf, Président de la République du Sénégal, 17/06/1999 Au club de théâtre. “J'ai été très sensible à votre invitation à participer à la célébration du Centenaire de votre prestigieuse école qui forme des élèves de toutes les régions du monde... C'est bien volontiers que j'accepte d'être le parrain de cette journée... Ne dit - on pas, souvent, que l'Ecole des Roches qui a reçu, depuis 100 ans des élèves de plus de 100 nationalités, est la fille spirituelle de l'UNESCO ?... Je souhaite que la philosophie profondément humaniste de l'Ecole des Roches puisse constituer un modèle culturel et pédagogique pour les écoles du monde entier...” Federico Mayor, Directeur Général de l'UNESCO, 10/06/1999 “L'Ecole des Roches : l'Ecole de l'Avenir” Evgueni Tkachenko, Ministre de l'Education de Russie, 22/12/1994 170 “La médaille d'argent de la Ville de Paris récompense les personnalités qui ont activement contribué au rayonnement de la langue et de la culture française sur les 5 continents… en attirant des jeunes du monde entier, vous confirmez à la fois le prestige de notre pays et de notre capitale et son pouvoir de séduction… Je ne saurais conclure sans vous remercier, encore une fois, d'avoir promu notre patrimoine et d'avoir contribué à lutter contre l'hégémonie grandissante de l'anglais dont j'ai ouï dire que vous l'aviez qualifié d'outil ! contrairement au français qui reste une langue”. Alain Destrem, Maire-adjoint de Paris, 8/09/2000 Grâce au dynamisme de l’Ecole, le redressement financier s’opérait. Le long reportage sur l'Ecole, diffusé en novembre 1996 sur la chaîne M6 dans le cadre de l'émission “Capital”, illustrait parfaitement cette métamorphose. En quelques années la S.A. Ecole des Roches avait non seulement comblé le déficit initial (12 MF) mais, fait rarissime depuis sa création, également versé des dividendes à ses actionnaires (certes extrêmement modestes, mais bien réels), pour la première fois depuis bien longtemps, en… 1999, année du Centenaire ! Evénement exceptionnel, qui engendra le reportage des pages suivantes par un des nombreux envoyés spéciaux en Normandie. La Fête du Centenaire C Un siècle en une journée e siècle avait 100 ans, déjà la pédagogie sommeillait sous les Roches ! Le 26 juin 1999, dans l'allégresse, l’Ecole des Roches a soufflé ses 100 bougies. Ils sont venus, ils sont tous là, même cet ancien de plus de 80 ans !… Toutes les générations s’étaient donné rendez-vous pour ce jour historique. Plus de 300 anciens venus de toute la France et du Monde Entier, venaient célébrer cet anniversaire hautement symbolique : le Centenaire. Joie, stupeur, exclamation, surprise, admiration, respect, émotion. 1600 personnes ont participé à cette immense garden-party. Devant la Prairie, avait été dressée une scène de 300 m2, en contrebas une centaine de tentes blanches accueillaient les invités. Une parade improvisée dans l’Ecole marqua le début de la cérémonie : chaque Maison, précédée du capitaine et de son fanion, allait rejoindre l’autre et ainsi de suite. Le temps perdu … le temps retrouvé ! “...une centaine de tentes blanches accueillaient les invités.” Un cortège coloré de 300 élèves, encadré et acclamé par des centaines de parents et amis se dirigea vers le stade pour la cérémonie officielle, marquée par les discours de circonstance du Président des anciens, Dominique Remont, du Directeur de l’Ecole, Daniel Venturini et de son Président, Claude-Marc Kaminsky. Souvenir ému, émotion profonde, devoir de mémoire, joie indicible ponctuèrent leurs paroles. Du matin jusqu’à l’aube, oui… jusqu’à l’aube, ce fut une suite ininterrompue d’événements : stands mettant en valeur le patrimoine normand, parade équestre, défilé de voitures anciennes, dont la réplique, construite par les enfants et leur professeur de karting, de la première automobile à avoir atteint le 100 km/h en... 1899. Le Président Claude-Marc Kaminsky lors de son discours d’ouverture des festivités du centenaire le 26 juin 1999. L’arbre du centenaire (qui a vaillamment résisté à la tempête de Noël 1999) fut planté solennellement par tous les anciens, avant d'être survolé par un nuage symbolique de... 100 colombes. En point d'orgue, une vibrante Marseillaise entonnée par plusieurs promotions de Rocheux et Rocheuses, heureux de se retrouver après tant d'années, prouva, s'il était besoin, qu'une scolarité aux Roches laisse des traces indélébiles. Plusieurs buffets savamment décorés offraient les saveurs aussi bien de spécialités françaises qu’internationales (clin d’œil aux élèves étrangers de l’Ecole qui proviennent de 50 nationalités). 171 5 heures de spectacle sur les 5 continents “...un cortège coloré de 300 élèves, encadré et acclamé par des centaines de parents.” “Plus de 300 anciens venus de toute la France et du Monde entier...” “Plusieurs buffets savamment décorés offraient les saveurs aussi bien de spécialités francaises qu’internationales...” 172 Chaque activité de l’après-midi était entrecoupée par le son nostalgique du Grand Limonaire de France et le roulement feutré de la calèche qui caracolait dans les allées du parc. Sur la scène, en hommage aux 5 continents, danseurs et danseuses, acrobates, magiciens, conteurs et comédiens ont enchanté les invités. - De jeunes artistes russes venus spécialement en car de Krasnoïarsk ont parcouru plus de 8000 Km pour offrir à l’Ecole un spectacle riche en couleurs. - De jeunes musiciens, musiciennes, danseurs et chanteuses ukrainiennes du Lycée de Zaporoge, jumelé avec l’Ecole des Roches, ont interprété, tels des professionnels, aussi bien du jazz que de la musique classique. - Une chanteuse de 15 ans bouleversa le public par sa voix et sa présence. - Puis se succédèrent, une troupe chinoise dans une chorégraphie de rubans, baguettes et éventails. - Un groupe brésilien qui nous fit frissonner avec la fameuse danse "Capoiera". - La Corée se livra à une démonstration de Tao, - Les plus jeunes enfants firent éclater la "Pinata" traditionnelle mexicaine. - L’Afrique fut représentée grâce à un conte très émouvant. - Enfin des musiciens d’Australie jouèrent d’un instrument ancestral, le Didgeridoo… à la sonorité étrange. La Revue du Centenaire : 100 ans, 100 élèves, dans une fresque grandiose - Les élèves et les professeurs de l’Ecole, mobilisés depuis des mois, s’illustrèrent par une magnifique rétrospective des événements les plus marquants des 100 dernières années dans les domaines de la vie quotidienne et des arts : musique, théâtre, danse, cinéma. Sur un rythme endiablé Charlie Chaplin côtoyait Pagnol, la revue nègre tutoyait les danseurs de West Side Story, Mickey annonçait Boris Vian… “L’arbre du centenaire fut planté solennellement par tous les anciens, avant d'être survolé par un nuage symbolique de 100 colombes.” - L’orchestre de jazz et la nouvelle chorale de l’Ecole enthousiasmèrent anciens, invités, élèves et parents avant de céder la place à l'humour: - Les grandes filles, dans le plus grand secret, avaient préparé un défilé de “Hot Couture” qui interpella fortement la gent masculine ! - Enfin, jusqu’à l’aube, garçons en tenue Ecole ou smoking et jeunes filles en robe longue dansèrent toute la nuit, sous l’œil tendre mais attentif de tous les adultes, sans doute quelque peu frustrés de ne pas avoir eu leur dose de valses, tangos et paso-dobles… ! mais ils laissèrent volontiers les futures stars de la chanson et de la danse exprimer leur talent et leur joie. A bientôt, certainement... pour un Bicentenaire déjà très attendu! “...défilé de voitures anciennes...”. “Sur la scène, en hommage aux cinq continents, danseurs et danseuses, acrobates, magiciens, conteurs et comédiens ont enchanté les invités.” “En point d'orgue, une vibrante Marseillaise entonnée par plusieurs promotions de Rocheux et Rocheuses, heureux de se retrouver après tant d'années, prouva, s'il en était besoin, qu'une scolarité aux Roches laisse des traces indélébiles.” Marseillaise impromptue dirigée de main de maître, du haut du podium, par Max Dervaux, créateur et animateur de la chorale dans les années 45-65. 173 174 Il n’y a pas de mauvais élèves ! Allocution de Claude-Marc Kaminsky, Président de l'Ecole des Roches, lors de la fête de l'Ecole, le 23 juin 2001 “Tout enfant a un talent, parfois du génie” Mes chers élèves, chers parents, mesdames et messieurs les professeurs, mesdames, mesdemoiselles, messieurs. Depuis plus d'un siècle, l'Ecole des Roches se donne pour mission de proposer une PEDAGOGIE de la REUSSITE ou, mieux, la REUSSITE d'une PEDAGOGIE… Chaque année, depuis un siècle, l'éternelle question est posée: trouver l'équilibre et l'harmonie entre l'exigence brutale des résultats, des statistiques et des pourcentages et l'épanouissement moral, intellectuel et sportif de vos enfants. Comme a coutume de dire le Directeur, Monsieur VENTURINI: “si vous souhaitez 100% d'élèves reçus au BAC, c'est très facile : je sélectionne et j'exclus une majorité d'élèves en seconde”, mais notre projet est autre, comme va l'illustrer cette anecdote: L'année dernière, une maman, surprise et interloquée par le succès inattendu de son fils au BAC, nous demandait naïvement si nous possédions un "secret pédagogique". Effectivement… nous avons un “secret pédagogique !” et je vais exceptionnellement vous le confier aujourd'hui parce que nous célébrons le 1er anniversaire du 3ème millénaire... FORMULE MATHEMATIQUE et POTION MAGIQUE Ce secret se présente comme une formule mathématique: POSTULAT : Il n'y a pas de mauvais élèves. THEOREME : Tout élève dont on découvre la passion devient un gagneur. HYPOTHESE : Tout enfant a un talent, parfois du génie. AXIOME : A l'Ecole des Roches, l'impossible nous le réalisons immédiatement … les miracles, désolé ! nous prennent un peu plus de temps ! Quelle est donc notre potion magique ? C'est une subtile alchimie qui anime notre projet pédagogique : Une base d'amour, + une pincée d'humour, + une couche de responsabilisation, + un nappage de stimulation, + une overdose de passion, le tout saupoudré d'esprit de compétition et d'un doigt de sanction positive. Mais le maître mot qui anime cette école est le mot: MO - TI - VA - TION. MOTIVATION : TOUT EST POSSIBLE ! Motivation des parents, motivation des enseignants, motivation des élèves et enfin motivation de tout le personnel de l'Ecole. ● C'est la motivation des parents qui font des sacrifices financiers pour assurer l'avenir de leurs enfants. ● C'est la motivation des enseignants qui accueillent votre enfant tel qu'il est, avec ses qualités ses défauts, ses forces et ses faiblesses, pour l'emmener le plus loin possible. ● C'est la motivation des élèves qui décident volontairement d'oublier, de rompre avec leur passé et de devenir conformes à l'image idéale qu'ils se font d'eux-mêmes. ● C'est la motivation de tout le personnel de l'Ecole, équipes de ménage, d'entretien, de cuisine, administrative qui embellissent, nourrissent, et gèrent avec compétence et talent cet énorme “navire de 60 hectares”. 175 La MOTIVATION c'est cette force supérieure qui nous entraîne à accomplir de grandes choses. C'est cette force qui nous arrache à notre condition actuelle pour nous propulser en avant. C'est le moteur de notre vie et qui lui donne un sens. C'est cette énergie fantastique qui est en nous, à laquelle on peut faire appel à chaque seconde de notre vie, qui nous permet de nous transformer immédiatement, qui peut changer notre destin et qui fait que TOUT DEVIENT POSSIBLE ! C'est la motivation qui aurait pu faire dire au poète Arthur Rimbaud qu'à chaque moment de notre vie "JE" peut être un autre ! Comment envisagez-vous l'avenir de l'Ecole des Roches nous demande-t-on souvent ? Quel sera son nouveau projet pédagogique ? Cherchez l'intérêt d'un adolescent, même dans des domaines insignifiants… qu'il soit collectionneur de papillons, joueur d'échecs, amateur de basket ou de football, épris de cuisine ou d'informatique, passionné pour le karting ou la batterie… et vous trouverez le ressort, le tremplin qui le sortira de l'anonymat. - Chaque enfant veut être unique, il veut être aimé, reconnu, il veut qu'on l'admire pour ce qu'il est et pour ce qu'il sait faire. Il faut lui donner cette satisfaction, cette joie. - Reconnu dans un domaine quelconque, auréolé de gloire, il sera confiant pour affronter les mathématiques, la biologie et la physique. Il faut lui prouver que, s'il est bon dans une discipline de la vie, il peut le devenir dans d'autres. On pourrait répondre sous forme de boutade : en faire une école de la MOTIVATION, une école d'ENERGIE, car la motivation transcende tout. A l'Ecole des Roches, le mot d'ordre est : VALORISER, ENCOURAGER. A l'aube de ce 3ème millénaire je veux adresser un message aux parents et aux enseignants réunis ce jour et je commencerai par vous annoncer le SCOOP du siècle : FAUT-IL PUNIR ? Existe-t-il un enseignement sans sanctions ? Seuls les démagogues répondront oui ! “Il n'y a pas de mauvais élèves !!!” L'élève doit avoir le sens de l'interdit, il doit savoir ce qu'est la règle. Votre enfant est peut être un génie ! Le saviez-vous ? A l'Ecole des Roches, il n'y a pas de mauvais élèves, je n'en ai jamais rencontré ! A l'Ecole des Roches, il y a de bons, de très bons, d'excellents élèves, quelquefois des génies. Ce que l'on appelle d'une façon classique et à tort de "mauvais élèves", sont des élèves dont on n'a pas encore découvert le talent ou la passion. 176 Il n'y a pas de loi sans règles et, paradoxalement, pas de loi sans transgression ! De même, il n'y a pas d'enseignement sans limites, sans frontières. La transgression des règles dans l'Ecole est symbolisée par la SANCTION - REPARATION. Mais pas n'importe laquelle ! Toute sanction doit être à la fois EDUCATIVE et/ou HUMORISTIQUE. Educative dans les cas graves : VOL, INSULTE, VIOLENCE, mais humoristique, car il ne faut jamais humilier un enfant. L'humilier c'est le mépriser. Le mépriser c'est l'exclure. L'exclure c'est renoncer. L'exclusion est le contraire même de la pédagogie. Ainsi tel élève ayant dégradé un bien matériel passera une journée avec un ouvrier de l'équipe d'entretien pour mesurer la valeur du travail manuel, tel autre élève ayant gaspillé de la nourriture sera affecté à la cuisine, tel autre coupable d'impolitesse devra préparer une intervention sur ce thème auprès des camarades de sa maison… Il faut à tout prix éviter la représentation théâtrale classique : le bourreau (professeur) et la victime (élève), sinon on risque de sombrer dans un jeu de rôle sado-masochiste… COM - PRENDRE Nous savons tous que le métier d'Enseignant et de Chef de Maison s'assimile au travail de "Sisyphe". Albert CAMUS écrivait "Il faut toujours remonter cette pierre qui retombe" Ici elle s'appelle … "Roches" et l'effort est peut être encore plus grand ! Professeurs et Chefs de Maison doivent donner d'euxmême l'image de quelqu'un qui COM-PREND, c'est-à-dire de quelqu'un qui "PREND AVEC" lui, qui va accompagner l'élève vers l'explication, vers la clarté. C'est la vertu de l'explication; elle est là pour illuminer l'élève, pour l'éclairer, c'est-à-dire l'aider à comprendre, à se comprendre. Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Pourquoi a-t-il menti ? Pourquoi s'est-il battu ? Pourquoi a-t-il manqué de respect à un adulte, à l'un de ses camarades ? Le but est que l'élève “s'objective”, en d'autres termes, qu'il devienne lui-même l'objet de sa propre étude. Il ne faut surtout pas le “culpabiliser”, parce qu'au lieu de le “libérer” de son acte, on renforcerait chez lui l'image confortable “de la victime passive et spectatrice” ! La “BIBLE” de l'Ecole des Roches : la NEP -Nouvelle Ethique Pédagogique➨ 14 “commandements” pour motiver, le 15ème , c'est le vôtre ! Professeurs, Chefs de Maison et Animateurs des clubs, lors de leur réunion pédagogique du 7 avril 2001, orchestrée par Monsieur Vincent ACKER - auteur de l'ouvrage “Ados, comment les motiver ?” - ont élaboré une nouvelle charte en 14 points : 1. “Ne jamais étiqueter” Nous avons tous tendance à coller des étiquettes sur nos enfants, c'est humain. Pourtant, cette attitude n'est pas efficace pour un enfant démotivé. L'adolescent vit toute “étiquette” négative (paresseux, turbulent, nul…) comme un “tatouage”, par définition indélébile. L'élève ne saurait se résumer à ses résultats. Si ses notes sont “nulles”, lui ne l'est pas. Les notes ne sont que la sanction d'un travail ou d'une absence de travail. ✖ Ne dites jamais à un enfant qu'il est mauvais, faible, nul... car il va le croire ! 2. “Avoir confiance dans la capacité à progresser” Les jeunes en difficulté ont besoin, plus que les autres, que l'on croie en eux. ✖ Soutenez le quand il vous confie “Je peux progresser, je veux m'améliorer”. 3. “Résultats = Travail” et non “Résultats = Intelligence” Pour redonner aux enfants démotivés l'envie de travailler, il faut subordonner leurs résultats scolaires au fruit de leur travail et non à des dispositions intellectuelles particulières. L'enfant démotivé est un élève qui ne travaille pas ou qui ne travaille pas régulièrement, donc efficacement. ✖ Revalorisez la notion de travail, vous entraînerez la mise en action. 4. “Le droit à l'erreur” C'est une dimension affective fondamentale. La perfection est difficilement, sinon impossible, à reproduire. L'élève démotivé éprouve beaucoup de difficultés à percevoir cette notion qui le replonge dans ses propres doutes. Elle le paralyse, tout en lui faisant croire qu'il ne pourra pas y parvenir. Le “droit à l'erreur” doit être vécu, non comme une excuse, mais comme une possibilité de “deuxième chance”. Refusant l'inertie, il autorise la prise de risque et induit la progression. 5. “Eviter les comparaisons” Inhérente à la nature humaine, la comparaison est omniprésente dans les rapports sociaux. Encore doit-elle prendre en compte les différences positives et ne pas être une victoire de l'un par rapport à l'autre. ✖ Si comparaison il doit y avoir, c'est par rapport à sa propre progression. Ne copiez pas ces parents qui, en nous présentant leur fille lors de l'entretien d'admission, nous déclarèrent : “Voici Déborah, je ne sais pas ce que vous allez pouvoir en faire, son cas est désespéré! Elle n'est ni comme son grand frère qui vient de réussir Polytechnique, ni à l'image de son père, ancien élève de Normale Sup”. 6. “Traquer les bonnes notes, même les plus modestes” Chaque victoire remportée est une victoire pour la vie. Une bonne note reste acquise et fait oublier les notes négatives. Chaque enfant doit élaborer son “tableau des victoires”, son panthéon personnel. Traquer les bonnes notes permet de mettre l'enfant en condition de réussite. 7. “Comprendre l'échec au lieu de le juger” En face d'un mauvais résultat, on a tous tendance (parents, enseignants, élèves…) à y associer un jugement forcément négatif. Ce dernier sera ressenti d'autant plus négativement par l'élève qu'il est peut-être faux : il a probablement travaillé mais mal. ✖ Cherchez à comprendre les raisons de l'échec, vous ferez sans doute émerger un besoin, facile à satisfaire. 8. “Etre un modèle imparfait” “Moi à ton âge, je ne savais pas si je serais capable d'être mécanicien, tailleur de pierre, astronaute ou président de la république…” En osant sortir du modèle du “parent parfait”, en s'impliquant par des exemples personnels de démotivation ou de manque de réussite (ça doit bien exister), le parent est plus proche de ses enfants. Il devient la preuve vivante que la réussite est reproductible, modélisable. ✖ Montrez, affichez vos faiblesses. 9. “Donner une image positive du monde” Plutôt que de souligner ce qui va mal, et ainsi alimenter la sinistrose, énumérer ce qui va mieux pour donner des raisons objectives d'espérer. ✖ Listez les progrès, soyez positif… “Tout va très bien, Madame la Marquise !” 10. “Saisir les occasions d'être fier de son enfant” Changer son regard, c'est inverser la polarité, c'est partir du positif pour aboutir au négatif. ✖ Commencez systématiquement par les “plus”, au lieu de vous attarder sur les carences. 177 11. “Se centrer sur sa progression personnelle” Même si l'enseignement est collectif, l'enfant est unique. Une note s'appréciera donc par rapport à celles qui l'ont précédée et non par rapport à la moyenne de la classe et encore moins par rapport aux performances des meilleurs. 12. “Valoriser la situation de difficulté” Passer de 3 à 6 est une réussite extraordinaire (même si elle n'est pas suffisante), sans doute bien plus importante que de passer de 12 à 16. Retrouver le courage et le désir de travailler, quand les notes habituelles sont de 2 ou 3/20, demande un réel effort. ✖ Mettez en relief l'importance du défi à accomplir. 13. “La communication non-verbale. Le regard” Plus de la moitié de la communication (certains évoquent le chiffre de 70 %) est non verbale. Les gestes, les attitudes, le regard en disent plus qu'un long discours. Or cette communication, tous les élèves la perçoivent, sans même que nous nous en apercevions. ✖ Joignez le geste à la parole, soyez un authentique acteur pour que votre corps soit en harmonie avec vos propos. 14. “Encourager : You are the best” Plus qu'aucun autre, l'élève démotivé a besoin de confiance et d'estime. Chacun trouvera les mots à dire avant une 178 échéance. (devoir, examen...). Dédramatiser réduit les blocages. ✖ Félicitez le, soyez son admirateur inconditionnel. 15. “.......... à compléter selon votre sensibilité....” Etre toujours positif avec un enfant, c'est créer un espace de parole, un espace de liberté. (Source : motiv@xion) “Si tu peux rester calme, alors qu'autour de toi, tous ont perdu la tête et crient que c'est ta faute, Si tu peux croire en toi quand tous doutent de toi et rester indulgent à leur manque de foi… Si tu peux méditer, observer et connaître, sans jamais devenir sceptique ou destructeur, Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître, penser sans n'être qu'un penseur… Si tu peux rencontrer triomphe après défaite et recevoir ces deux menteurs d'un même front, Si tu peux conserver ton courage et ta tête quand tous les autres la perdront… Alors, Tu seras un Homme, mon fils”. extraits choisis du poème “If” de Rudyard Kipling Ecole des Roches BP 710 - 27137 Verneuil-sur-Avre Cedex FRANCE Téléphone : 02 32 60 40 00 Télécopie : 02 32 60 11 44 Site internet : http://wwww.ecoledesroches.com E.mail : [email protected] 179 Crédit photographique. Pour les années 1990 : la photothèque de l’Ecole. Pour les années 1970 et 1980 : M. et Mme Cacheux, Nathalie Cacheux Dorothée Hersent, M. et Mme Marmara. Pour les années 1947 à 1967 : Max Dervaux. Pour les années 1947 à 1955 : Jean-Loup Nicolle. Avant 1940 : Laurent Giroud, Patrick Giraud, Gomis, Jean-Pierre Marty, Jean Mellon, Philippe Prieur, Eric le Coq de Kerland, ainsi que tous ceux qui ont eu la gentillesse de confier à l’AERN leurs documents iconographiques qui, en plus de ceux que possédait déjà l’association des anciens élèves, ont été numérisés sur le CDrom joint à cet ouvrage. Reproduction interdite. Tous droits réservés à l’AERN. Conception - Réalisation : Jean-Loup Nicolle Achevé d’imprimé le 9 novembre 2001 sur les presses de FROGER IMPRIMERIE - Chantonnay Dépôt légal : 4ème trimestre 2001 - N° 11.01 180