Echec et mat
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Echec et mat
Echec et mat Se lancer dans la lecture d’un récit intitulé Le Joueur d’échecs, alors qu’on n’a soi-même jamais pratiqué ce jeu fut un pari risqué. Mon audace fut toutefois récompensée, car j’ai beaucoup apprécié cette nouvelle psychologique de Stefan Zweig. C’est le film Stefan Zweig, Adieu l’Europe de Maria Schrader, paru récemment au cinéma (2015) qui m’a donné envie de mieux connaître l’œuvre de cet auteur. Ce film raconte comment le célèbre écrivain autrichien perd peu à peu espoir en l’humanité en apprenant les agissements des nazis durant la Deuxième Guerre mondiale, jusqu’à un malêtre tel qu’il va le conduire au suicide en 1942. Le Joueur d’échecs est le dernier récit que l’auteur autrichien va écrire avant de se donner la mort dans sa retraite de Petrópolis (Brésil). L’histoire se déroule sur un bateau qui navigue de New York à Buenos Aires. Le narrateur apprend que sur ce bateau se trouve le champion du monde des échecs, Mirko Czentovic. Cet homme est réputé invincible aux échecs, mais totalement idiot dans tous les autres domaines. De nature très curieuse, le narrateur souhaite rencontrer cet homme qui est « uniquement occupé à faire avancer et reculer trente-deux pièces sur des carreaux noirs et blancs, engageant dans ce va-et-vient toute la gloire de sa vie ! » (p. 26). Pour approcher cet être très solitaire, il organise des parties d’échecs avec d’autres passagers afin d’éveiller l’intérêt du champion. Cette stratégie porte ses fruits, car Czentovic accepte une partie face à tous les autres passagers. Contre toute attente, « Monsieur B. », un total inconnu, semble avoir les armes pour ébranler le maître. Cette histoire, d’apparence un peu banale, se trouve enrichie par les récits secondaires qui nous amènent à connaître la vie et la psychologie des deux joueurs, ainsi que les circonstances qui les ont amenés à pratiquer cette activité. Si le champion du monde est décrit comme un être détestable, l’inconnu, bien plus sympathique, révèle au narrateur comment la pratique des échecs lui a permis de se sauver de l’emprise des nazis. Ces personnages ne semblent pas crédibles me direz-vous… Mais Zweig apporte un soin méticuleux à tous les détails pour que la vraisemblance de l’histoire ne soit jamais mise à mal. Contagieuse, la curiosité du narrateur se transmet au lecteur. Cette nouvelle n’est pas lourde et pesante comme pourrait le laisser présumer l’état psychologique de l’auteur au moment de sa rédaction. Bien au contraire, ce récit se lit très facilement, car Zweig a introduit dès les premières pages un suspens intense. L’enquête du narrateur sur les deux joueurs éveille la curiosité. Celle-ci est sans cesse titillée par l’enjeu de la partie d’échecs, et bien plus encore par l’envie de découvrir les secrets qui se cachent dans la part d’ombre des deux joueurs. Bien mieux que n’importe quelle téléréalité, cette nouvelle satisfera votre envie de comprendre la psychologie des personnages en vous invitant à des réflexions profondes sur l’humanité.