Se donner à soi-même
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Se donner à soi-même
SE DONNER A SOI MEME ROSELINE LEVY-BASSE PIERRE MICHARD Ce travail souhaite ouvrir une réflexion sur la validité, la pertinence du « donner quelque chose à soi » : peut-on fonder théoriquement cette question et en faire un levier thérapeutique ? La question du donner, recevoir, rendre n’est pas nouvelle. Elle traverse l’anthropologie de Marcel Mauss, les psychanalystes ne l’ignorent pas. Winnicott, Lacan, Pommier font de nombreux apports théoriques sur don et dette sans que cette interrogation soit centrale dans la pratique analytique. Dans l’approche contextuelle de BoszormenyiNagy le thème devient essentiel au sein de la théorie et de la clinique. Cependant se donner à soi n’est pas théorisé chez cet auteur. La philosophie n’ignore pas cette thématique mais refuse qu’il soit possible de se donner quelque chose à soi même. Une main droite ne peut donner à une main gauche. La formulation n’a pas de sens pour Wittgenstein. Rassemblons l’hypothèse : Se donner quelque chose à soi même ne prend sens que dans un échange entre deux partenaires. L’événement s’inaugure dans une histoire toujours déjà commencée entre la mère et l’enfant. Histoire où le corps du bébé n’est pas un faisceau de besoins et de pulsions mais un corps dont existence et consistance sont traversés par l obligation du donner, du recevoir et du rendre ; obligation qui reste le socle de la vie humaine, selon Mauss. Se donner quelque chose à soi même viserait à anéantir le corps perdu cible de don afin qu’il ne soit plus annexé par l’oblativité maternelle. Il s’agit de sortir de l’impératif d’être un complément occupé ou alloué à recevoir : l’événement est tentative d’enrayer la première figure de la parentification où l’enfant s’abandonne à être un récepteur en répondant à la demande maternelle. L’enfant n’est rien pour que l’autre soit tout, il ignore sa valeur car peu crédité pour sa disposition à recevoir. Ce mouvement est un essai de « prendre sur soi » pour que le corps cesse d’être emprunté par un autre qui le comble par sollicitude. On voit l’enjeu vital : conquérir et habiter un corps propre. Etre propriétaire de soi <à son compte> nécessite une trahison du lien unilatéral, avec le risque de basculer dans une toute puissance et de s’auto engendrer comme vivant hors échange. Ce refus d’être comblé par le recevoir, entame et lèse la mère dans sa charge à donner. Emerge chez l’enfant une culpabilité à exister par soi même liée à une angoisse du manque à donner ressenti chez la mère. Ce manque à donner et cette rupture de recevoir s’accompagne chez les deux protagonistes d’une crainte d’un péril mortel. L’enfant a l’initiative, il fait le deuil de la contenter, érode sa légitimité en la délogeant d’être une permanente source de vie. L’enfant acquiert une dette, celle de ne plus accueillir le don maternel ; la dette de vie s’augmente. Le Symptôme Dans cette visée de nombreux symptômes peuvent être évaluer comme un essai de rompre l’échange unilatéral initié par la mère, pour faire émerger un sujet de plein droit capable de jouer sur tous les registres du donner, recevoir et rendre. Se donner quelque chose à soi interroge la question de l’équilibre de l’échange. Le refus de recevoir (nourriture, savoir, etc.) est toujours vécu par la famille comme un danger, un risque vital, alors qu’il sera pensé par les thérapeutes comme une expérience de compter sur soi, de prendre titre pour exister. La boulimie sera entendue comme une rupture avec la rage maternelle à faire vivre, pour que le sujet soit propriétaire de son corps. Le dialogue thérapeutique se déploiera au cœur de ce paradoxe. La dépendance à la nourriture contrecarre la dépendance à la mère <Se venger sur la nourriture, c’est récupérer le trop donné à l’un ou l’autre des parents.> Il s’agit de soutenir simultanément la contribution des parents et l’effort de l’enfant pour s’instituer. Se donner quelque chose à soi, est une étape nécessaire pour ouvrir le cycle d’échange et la possibilité de demander et de donner chez l’enfant. Demander introduit une vacillation dans la croyance parentale à posséder le don nécessaire et vital. Nous rencontrons dans les familles l’impossibilité pour des parents de répondre à une demande ressentie comme dérisoire ; un présent de pur plaisir, sans conséquence sur le futur, est exclu. Le CocaCola, la télévision, les habits militaires, T-shirt à tête de mort, sont refusés comme inappropriés, les parents ayant toujours d’autres idées de dons qui sont rejetés par l’adolescent en difficulté. Reconnaitre une demande de l’enfant dans sa spécificité et son imprévisibilité devient une étape de maturation dans le lien parents enfants. La demande de l’enfant peut prendre la forme d’un défi qui somme les parents à donner pour mettre à mal l’oblativité maternelle, sans limite. Précisons l’option théorique : le symptôme est une tentative de guérison vitale pour qu’un sujet apparaisse ; il n’est pas que le maintien de l’homéostasie familiale, comme le décline l’approche systémique. Dans un dialogue thérapeutique ouvert sur cette option, se noue un début de reconnaissance du sujet enfant ou adolescent qui se donne un soi sur lequel il peut compter. Ce début d’écoute et de reconnaissance d’une partie obscure de l’enfant construisant son chemin, est en même temps pour les parents une chute douloureuse d’une bienveillance comblante. Ce travail implique de se focaliser sur le déséquilibre de l’échange provoqué par le symptôme que celui-ci introduit dans la famille. Nous avons isolé cette question qu’il serait nécessaire d’articuler à la clinique du conflit et du clivage de loyauté, et l’apparition du tiers paternel.