LE MARSIYYA - Ethiopiques - Revue negro-africaine

Transcription

LE MARSIYYA - Ethiopiques - Revue negro-africaine
LE MARSIYYA - Ethiopiques - Revue negro-africaine de littérature et de philosophie.
[ Article publié sur http://ethiopiques.refer.sn ]
1. Littérature
LE MARSIYYA
Par Cheikh Amadou Kabir MBAYE
Ethiopiques n°87.
Littérature, philosophie et art
2ème semestre 2011
Auteur : Cheikh Amadou Kabir MBAYE [1]
A la chute des régimes ceddo dans l’Ouest-africain, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, face à la supériorité militaire du
colonisateur, les Maîtres soufis reprennent le flambeau de la résistance devenant ainsi objets de panégyriques. Les cheikh (guides
religieux) cristallisent les valeurs du groupe nées de l’islamisation. Aussi les marsiyya qui les chantent supplantent-ils progressivement
l’épopée royale. Ainsi, après la définition du genre, nous examinerons les rapports de ces poèmes avec l’épopée avant d’indiquer les
traits caractéristiques du marsiyya.
Dans cette perspective, nous nous baserons essentiellement sur deux textes. D’une part, sur Marsiyya Seex Amadu Kabiir Mbay [2] qui
dépeint l’archétype du Cheikh et d’autre part, sur Marsiyya Seex Ibra Faal [3] qui indique le modèle de l’aspirant.
1. DEFINITIONS
Dans la littérature arabe, le Marsiyya ou Rasa est un texte écrit pour exprimer, sans exagérer, son angoisse, sa détresse voire sa
peur à la suite de la disparition d’une personne. Il met en exergue les qualités du défunt. Il chante son courage, sa bonne conduite, le
donnant ainsi en exemple à la postérité.
Il peut être composé :
- soit pour regretter un proche disparu. C’est le vrai marsiyya. Il naît de l’inquiétude, exprime la détresse sincère et communique
l’angoisse à l’auditoire ;
- soit pour célébrer, toujours dans un contexte de détresse, les rois et les peuples antérieurs valeureux rappelant ainsi le passé
glorieux ;
- soit pour présenter ses condoléances dans la douleur et les pleurs en insistant sur les qualités du disparu et l’angoisse suscitée par sa
mort ou plus fréquemment pour transmettre la sagesse populaire en abordant les thèmes de la vie et de la mort.
Dans le wolofal [4] mouride, le marsiyya reste un poème lyrique exprimant des sentiments mélancoliques provoqués par un deuil
mais réservé à la célébration d’un héros, un cheikh ou disciple très en vue, disparu.
Il s’inspire du Huqqal-buka-u [5] (Faut-il [les] pleurer ?). Ce poème mystique constitue le modèle fondamental pour le genre. Cheikh
Amadou Bamba y décrit les caractéristiques des Maîtres soufis.
2. MARSIYYA ET EPOPEE
Le marsiyya présente beaucoup de traits communs avec l’épopée. Nous avons montré que Marsiyya Seex Amadu Kabiir Mbay
respecte presque tous les critères retenus par L. Kesteloot et B. Dieng dans leurs Epopées d’Afrique noire [6], et caractéristiques du
genre épique négro-africain. En guise de systématisation, nous nous focalisons ici sur Marsiyya Ibra Faal.
D’abord, le panégyrique est énoncé sur « un ton élevé, clamé et scandé, un ton qui transmet l’enthousiasme ». Laissons, à ce sujet, la
parole à l’auteur du Marsiyya :
Seex Bamba dem ca wamsasin
Seex Ibra dem ca tamsasin
Moo ñii fi des ku ñuy dese
Yoonu murid naka pepxe
Cheikh Bamba est parti en 1927 _ Cheikh Ibra est parti en 1930 _ Et ceux qui restent qui va les guider ? _ O mouride que faire ?
C’est lui qui mérite qu’on le chante et qu’on le pleure _ Ah ! La vie ici-bas n’est que tromperie.
Amngay ngërëm ba am dërëm _ Fab nga dërëm njënde ngërëm _ Loo masa am tabbal kërëm _ Ay junni daal nga daan joxe Tu as
l’agrément, et tu as de la fortune _ Tu as échangé la fortune contre l’agrément _ Tout ce qui tu as possédé tu l’as investi dans sa
maison _ Ce sont des milliers [de francs] que tu donnais
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimer-article&id_article=1785[05/03/2014 10:01:30]
LE MARSIYYA - Ethiopiques - Revue negro-africaine de littérature et de philosophie.
Dans les trois premiers distiques, le récitant indique le contexte de production de son poème, contexte qui témoigne de la haute
importance du sujet. Le texte est proféré non seulement dans un ton qui transmet l’enthousiasme mais aussi qui suscite l’adhésion :
Ecoute, je vais énumérer ses réussites _ Jusqu’à ce que les gens connaissent mieux son statut _ Et que les cœurs se réjouissant
retrouvent leur foi.
Ensuite, le débit de parole y est surabondant. Il est expressif, s’exalte avec l’action :
Yendoo lëgéey fanaanee root
Gaa yay nelaw banaa xuréet
Ba ganaar ne kurkuréet
Moo ko xewal daawul ñox ñoxi
Passer le jour à travailler et la nuit à puiser de l’eau
Les gens dormant en faisant khouret
Jusqu’à ce que les coqs poussent leur cocorico
C’est lui qui l’a inauguré, il n’a jamais faibli.
Yaa yobbu Mbaaxaan ci Xafóor
Yaa tax ba xolba dóotu fuur
Yaa tax mu sanni yatu nguur
Fab yatu gëm di laaj texe
C’est toi qui as changé Mbakhane [7] en Hafûr _ C’est grâce à toi que son cœur ne bouillonne plus _ C’est grâce à toi qu’il a jeté son
sceptre _ Et a pris le bâton de la foi [recherchant] en quête de salut .
Yaa tax ba Abdulaay Xaar
Taxaw fi bunt di fa xaar
Woyaf lu bay lekk daqaar
Ngir sopp Bamba miy joxe
C’est grâce à toi que Abdoulaye Khar [8]
Attend devant une porte
Et est devenu si humble qu’il mange du tamarin [9]
A cause de son amour pour Bamba qui pourvoie [des faveurs].
Il s’entrecoupe également d’exclamations, d’interpellations. Dès la première strophe, le poète apostrophe ainsi son auditoire :
Est-ce la fin du monde ? _ Ou est-ce la fin de la lignée des saints _ Ou est ce que ce sont les petits lutteurs qui accèdent au statut de
cheikh _ O détenteur de savoir que faire ?
En fait, les apostrophes ponctuent le texte avec les questions directement posées à l’auditoire (« qui vous donnera la solution ? O
mouride quel est la solution ? »), les invites (« Ecoute, je vais énumérer ses réussites ») …
Parallèlement, l’ampleur du poème n’est pas négligeable même si avec ses 20 mn de récitation, il dure moins que la plupart des
épopées dynastiques.
Enfin, à l’instar des épopées wolof, le poème est déclamé sans musique et serait ennuyeux si Moussa Ka, comme c’est le cas dans
Marsiyya Seex Amadu Kabiir Mbaye, n’y avait introduit un rythme intérieur, une musique intérieure soutenue par l’assonance :
Jaaraa ma Seexi Ibra Faal
Lamp ba Seexi Bamba taal
Leeral nga réew mi yaay kamaal
Merci Cheikh Ibra Fall _ La lampe que Cheikh Bamba a allumée _ Tu as illuminé le pays tu es un être complet
Mas nay xibaar ak jébbalóom
Ba wax ne Yalla mi ko moom
Moo nek o Bamba moola moom
Une fois, il racontait son acte d’allégeance
Et il a dit que c’est Dieu qui est son Seigneur
Qui lui a dit que C’est Bamba ton maître.
Tektal ko yoon wa ab murid
Di aw ba raw pexeb mariid
Ba am ngërëm bariy murid
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimer-article&id_article=1785[05/03/2014 10:01:30]
LE MARSIYYA - Ethiopiques - Revue negro-africaine de littérature et de philosophie.
Il lui a indiqué la voie qu’un aspirant _ Emprunte jusqu’à ce qu’il devienne invulnérable aux agissements de l’égaré _ Jusqu’à ce qu’il
obtienne l’agrément et beaucoup de disciples
Ainsi les marsiyya présentent l’essentiel des caractéristiques de l’épopée négro-africaine. Seul leur contenu, en privilégiant le
soufisme (la guerre sainte suprême ou le parcours initiatique du disciple) sur la guerre, empêche son classement sans appel dans le
genre épique. En effet, ces textes marquent une évolution dans la production épique. Ils se libèrent de tout projet politique. L’auteur de
Marsiyya Seex Amadu Kabiir Mbay déclare sans ambages : Avant lui, ceux qui étaient là
Etaient étourdis, ils ne retrouvaient pas le chemin.
C’était le Kajoor et le Njambur [10] qui constituaient leur fierté.
Cela n’a aucun intérêt pour les contemporains.
Et par conséquent, se situent dans une perspective supérieure à celle de l’épopée :
Ton secret le xalam [11] est incapable de le rendre.
Une perspective édificatrice. Ousmane Niang indique :
J’ai allié histoire à apologie posthume _ Pour faire connaitre aux hommes et aux femmes _ Un héros de l’Islam, du Prophète. _ Mame
Cheikh, tu as honoré les contemporains.
Abondant dans le même sens, le récitant de Marsiyya Seex Ibra Faal précise :
Ecoute, je vais énumérer ses réussites
Jusqu’à ce que les gens connaissent mieux son statut
Et que les cœurs se réjouissant retrouvent leur foi.
Nous ne sommes plus dans « le discours du pouvoir », l’enjeu n’est plus la conquête ni la conservation du pouvoir mais plutôt
l’émergence d’un nouvel individu après deux siècles de traite négrière et bouleversements sociopolitiques.
Le nouveau type d’homme est dépeint comme quelqu’un qui a su se départir des déviances de la religion traditionnelle, d’une part :
Nous n’organiserons plus des séances de ndepp [12] ni ne planterons des pilons. _ Nous ne sacrifierons plus des moutons aux
génies. _ C’est Mame Cheikh qui nous a empêchés de porter des cuur [13]. _ Ta présence a honoré le siècle.
Et de l’époque ceddo, d’autre part. Dans ce cadre, Ousmane Niang s’exclame :
C’est toi qui as banni d’ici la razzia à l’image des dammel (roi). _ Le laawaan n’est-ce pas que c’est toi qui l’as aboli. _ Le rapt de
femme, c’est toi qui l’as interdit à l’homme noir. _ Ton savon a lavé le siècle.
Et comme en échos, Moussa Ka fait remarquer :
C’est toi qui as changé Mbakhane en Hafûr _ C’est grâce à toi que son cœur ne bouillonne plus _ C’est grâce à toi qu’il a jeté son
sceptre _ Et a pris le bâton de la foi en quête de salut.
Toutefois, les valeurs ceddo sont magnifiées : Pourtant c’est leurs ancêtres qui étaient les maîtres
En ce temps Faidherbe n’avait pas encore fait tonner ses canons
Quand tu les voyais à l’époque
Leurs cœurs ne faiblissaient pas.
L’homme nouveau intègre harmonieusement les valeurs de l’Islam et celles négro-africaines. En témoigne la description du modèle
donné par le panégyrique de Mame Cheikh Mbaye. Parallèlement à une sainteté incontestable :
C’est lui que les Haws [14] consultaient Et il décidait des arrêts du Gouvernement [15].
Il incarne les valeurs négro-africaines, des valeurs si attachées à la civilisation noire que leur conversion du wolof au français s’avère
ardue.
Il faisait preuve de kersa [16] et de teggin [17] _ Envers tous ceux qui habitaient aux alentours.
Il était armé de fulla et de Fayda. [18].
En définitive, le Marsiyya pose l’homme nouveau, un homme qui a recouvré sa civilisation, sa dignité. Ecoutons le poète décrire
l’action de Mame Cheikh Mbaye :
C’est toi la mer qui a étanché la soif de l’homme noir.
C’est grâce à toi qu’on ne réussira pas à passer sous silence notre valeur spirituelle. _ C’est grâce à toi que nous sommes sortis de la
situation de mépris. C’est toi qui es le Saint du siècle.
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimer-article&id_article=1785[05/03/2014 10:01:30]
LE MARSIYYA - Ethiopiques - Revue negro-africaine de littérature et de philosophie.
3. LES TRAITS CARACTERISTIQUES DU MARSIYYA
Nous retenons ici deux traits déjà isolés par les critiques arabes notamment Zamakhchari et Diawahari.
Le premier est caractéristique de l’élégie [19]. C’est l’expression des sentiments mélancoliques provoqués par un deuil. Celle-ci est très
marquée dans Marsiyya Seex Ibra Faal. Le récitant s’y livre à une véritable lamentation à la suite des disparitions du cheikh fondateur et
de son disciple le plus célèbre :
Est-ce la fin du monde ?
Ou est-ce la fin de la lignée des saints
Ou ce sont les petits lutteurs qui accèdent au statut de cheikh
O détenteur de savoir que faire ?
Cheikh Bamba est parti en 1927 _ Cheikh Ibra est parti en 1930. _ Et ceux qui restent qui va les guider ? _ O mouride que faire ?.
Dans la même perspective, Marsiyya Seex Amadu Kabiir Mbaye insiste sur le désarroi des hommes à la disparition de Mame
Cheikh :
C’est en 1946 qu’il a disparu. _ Toutes les âmes étaient inquiètes et sombraient dans le silence. _ Le monde se sentait orphelin et
tout somnolait. _ La peur paralysait tout le siècle
Toutes les personnes détentrices de secrets qui vivaient _ Dans ce pays semblaient dormir.
Même les animaux et le cosmos participent au deuil :
On ne voyait pas un seul oiseau voler. Toutes les âmes étaient noyées dans le siècle.
Les pauvres et les orphelins de l’époque _ Pleuraient tellement que la terre et le ciel _ Imploraient : « Dieu sauve et vite ». _ Ainsi, les
pluies ont revitalisé le siècle.
La terreur et le désespoir provoqués par la perte du guide est souvent rendu dans les deux poèmes par une métaphore récurrente
gëlëm (littéralement, perdre les repères).
Tous les mourides ont perdus les repères
Car personne ne sait plus qui était son guide
Tout le monde était parti
Le monde était en ébullition.
Le second trait, tenant du panégyrique, est lié à la louange des grands avec des thèmes soufis, dans un dessein d’édification. En
effet, l’homme nouveau décrit plus haut a besoin d’un initiateur de taille. Le héros de Marsiyya Seex Amadu Kabiir Mbay est décrit
comme un Maître hors pair :
C’est lui que les Haws [20] consultaient _ Et il décidait des arrêts du Gouvernement [21]. _ Et, pourtant, tu sais, il n’y occupait pas de
fonction. _ C’est lui qui détenait les secrets qui régissaient le siècle.
Ce distique, en présentant le cheikh comme celui qui inspire les décisions de l’Assemblée des saints, établit sa suprématie. Cette
primauté est confirmée par la précision « il n’y occupait pas de fonction » ; indication qui place le marabout dans une catégorie
supérieure, celui de Fard.
L’homme nouveau a également besoin d’un modèle. Cheikh Ibra Fall en constitue un :
Il nous a trouvé entrain d’apprendre de nos ancêtres _ Lui a choisi la voie de l’aspirant et est sauvé
A chaque fois que Bamba donne un ordre, il fonce _ Un grand savant de patronyme Sow _ Lui disait : « Tu es entrain de régresser _
Va apprendre la voie de l’aspirant n’est pas la solution.
Avec cheikh Ibra Fall, on assiste à un changement radical de perspective. Il promeut une nouvelle attitude, une nouvelle démarche
qui tranche avec la méthode traditionnelle africaine comme le montre le premier distique mais aussi avec la conception de l’Islam qui
était en vigueur jusqu’alors telle que l’indique la dernière strophe. Il est le prototype du disciple. Il est :
Celui qui a indiqué la voie du tarbiya Et Celui qui respectait scrupuleusement les règles du tarbiya.
En faisant preuve d’une dévotion sans faille à l’égard du cheikh Amadou Bamba :
Il est le premier à aller mendier en jeûnant
Et les gens riaient de lui aux éclats.
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimer-article&id_article=1785[05/03/2014 10:01:30]
LE MARSIYYA - Ethiopiques - Revue negro-africaine de littérature et de philosophie.
C’est lui qui a mis à la mode le salut en rampant
C’est lui qui nous a interdit de répondre [quand on nous appelle] par oui _ Lors de la mobilisation c’est toi qui as donné ton enfant _
Fallilou fall est sauvé.
Avec la description de son comportement, on est en plein dans le soufisme. D’ailleurs, la mystique musulmane constitue le thème
principal des marsiyya. Marsiyya Seex Ibra Faal comme Marsiyya Seex Amadu Kabiir Mbay, reprend les thèmes soufis traditionnels.
Parallèlement à celui qu’on vient d’aborder, la relation disciple maître qui est en fait le thème majeur de Marsiyya Seex Ibra Faal, le
récitant en aborde deux autres récurrents dans les panégyriques de Maîtres Soufis.
D’une part, le rejet du bas-monde. Le poète insiste sur le caractère éphémère, illusoire, futile de la vie ici-bas :
Cay Addinaa ma na naxe
Que le bas-monde est trompeur.
Aussi recommandent-ils instamment de prendre ses distances avec lui. Essayons de tourner le dos au bas-monde.
Rappelons que selon le soufisme l’homme doit affronter dans son ascension trois ennemis répertoriés, par procédé mnémotechnique,
dans le mot arabe nachhadu. Na pour figurer An nafsu (l’âme charnelle), Sh pour As shaytân (Satan), ha pour al hawa (la passion) et
du pour ad dunya (le bas-monde). Cependant, contrairement à Marsiyya Seex Amadu Kabiir Mbay qui dépeint un maître soufi et qui,
par conséquent, chante la guerre sainte suprême, ici Moussa ka prône l’acte d’allégeance conformément à la visée de son poème,
poser le modèle du disciple. Aussi, s’il conseille de n’accorder aucune importance aux futilités de la vie terrestre, c’est pour
Aller répondre [à appel du marabout] c’est cela la solution.
D’autre part, l’intercession. A ce propos, Moussa Ka use d’images fort saisissantes pour mettre en relief l’action salvatrice du Cheikh
en faveur de ses disciples, le jour du Jugement dernier :
C’est pourquoi tu es comme un train _ Quiconque doit voyager le prend nécessairement _ Que celui qui veut acheter un billet se
rende à la gare _ Attends pas jusqu’au moment où tu te demanderas que faire.
Si tu doutes du montant dont tu disposes pour acheter ton billet _ Les voitures sont à la gare routière
Considère ces propos et réfléchis
Si tu disposes de quelque chose à donner.
Dans ces strophes, le salut, l’accession au paradis est assimilée à un voyage sous la conduite du Cheikh représenté par le train. Et
les voyageurs qui « doutent du montant dont ils disposent pour acheter un billet » préfigurent les disciples qui ne sont pas surs d’obtenir
la félicité éternelle par leurs seuls mérites.
Le sacrifice du disciple en faveur du marabout ne sera donc jamais vain. Le bénéfice dépasse même largement l’effort consenti :
Celui qui sème un andar [22] récoltera un mata [23].
A la condition toutefois que le bénéficiaire soit vraiment un cheikh accompli :
Sème sous [quand]la pluie abondante.
Ainsi, le Marsiyya, à l’instar de tous les poèmes de la littérature wolof mouride, est à la croisée de deux cultures. En effet, les
populations noires, en adhérant à l’Islam, ont non seulement hérité de l’alphabet arabe mais également de sa littérature. Les
panégyriques mourides conservent les caractéristiques des poèmes chantant les saints musulmans. Seulement, héritiers également
d’une tradition épique plusieurs fois séculaire, ils marquent une évolution dans la production orale dans le nouveau contexte
d’islamisation.
Ce double héritage explique des rapports à l’épopée très variables. Si certains textes comme Marsiyya Seex Amadu Kabiir Mbay
présentent des traits épiques très prononcés et mettent même en scène le mythe d’origine, d’autres, par contre, et c’est le cas de
Marsiyya Seex Ibra Faal, tiennent plus de l’hagiographie musulmane.
Cependant, à l’état actuelle de la collecte qui est en cours (la source ne s’est pas encore tarie, de jeune poètes continuant d’investir le
genre), il paraît hasardeux de trancher le débat. Les études ultérieures devront non seulement établir les rapports entre marsiyya et
épopée mais surtout fixer définitivement le genre.
BIBLIOGRAPHIE
AL-GHAZALI, A.H., Initiation à la foi, trad. de l’arabe par Abou IIyâs et Mouhammed Diakho, Beyrouth, les Editions Al-Bouraq, 1996.
ATTAR, F.D., Le mémorial des saints, trad. par A. Pavet de Courteille, Paris, Seuil, 1982.
DIA, M., Islam et civilisations africaines, 3 tomes, Dakar, NEA, 1980.
DIOP, B., La société Wolof, Paris, Karthala, 1983.
FAYE, D., Jasaau sakkoor u géej gi de Moussa Ka, une épisode de l’épopée de Cheikh Ahmadou Bamba, mémoire de maîtrise, Faculté
des Lettres, Université Cheikh Anta Diop, 1992.
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimer-article&id_article=1785[05/03/2014 10:01:30]
LE MARSIYYA - Ethiopiques - Revue negro-africaine de littérature et de philosophie.
GUEYE, MB., « Les exils de Cheikh Bamba au Gabon et en Mauritanie (1895-1907) », in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences
humaines, n°25. 1995.
KESTELOOT, L. et DIENG, B., Les épopées d’Afrique noire, Paris, Karthala-UNESCO, 1997.
LO, M., Une grande figure de l’Islam au Sénégal : Cheikh Ahmad As-Saghir Mbaye de Louga, mémoire de maîtrise, Dakar, Faculté des
Lettres, 1987.
MASSIGNON, L., La Guerre Sainte suprême de l’Islam arabe, Fata Morgana, 1998.
MBACKE, C.A.B., (s.d), Massalik Al-jinan / trad. de l’arabe par Serigne Sam Mbaye.
MBAYE, C.A.K., Ilahi (O mon Dieu), Dakar, IFAN Ch. A. Diop, 2p. (manuscrit arabe).
Ma al-Karim (Non généreux), Dakar, IFAN Ch. A. Diop, 1p. (manuscrit arabe).
Qalu la anta sabiyun (Ils disent que tu es un enfant), Dakar, IFAN Ch. A. Diop, 8p. (manuscrit arabe).
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimer-article&id_article=1785[05/03/2014 10:01:30]

Documents pareils