Envisager les rencontres transculturelles Brésil
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Envisager les rencontres transculturelles Brésil
Sous la direction de Patrick Imbert Zilá Bernd Envisager les rencontres transculturelles Brésil-Canada La collection Américana s’ouvre au dialogue des Amériques. Ce dialogue s’intensifie aujourd’hui à la mesure des politiques d’intégration continentale, mais il n’a en réalité jamais cessé d’alimenter la formation et les transformations des sociétés et des cultures du Nouveau Monde. Témoin de ce mouvement où se redessinent à nouveau des positions sociétales inédites, la collection Américana accueille des ouvrages et des essais qui portent un regard sur l’ensemble des Amériques, d’un point de vue compréhensif des grands enjeux historiques, culturels, sociaux et politiques qui nous rejoignent en ce moment crucial de notre propre évolution. Envisager les rencontres transculturelles Brésil-Canada Sous la direction de Zilá Bernd et Patrick Imbert Envisager les rencontres transculturelles Brésil-Canada Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition. Maquette de couverture : Laurie Patry Mise en pages : In Situ © Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés. Dépôt légal 3e trimestre 2015 ISBN 978-2-7637-2790-5 PDF 9782763727912 Les Presses de l’Université Laval www.pulaval.com Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval. Table des matières Remerciements...................................................................................XI Présentation........................................................................................1 Zilá Bernd et Patrick Imbert Chapitre 1 Comparer le Canada et le Brésil : de l’exclusion au transculturel...................................................................................13 Patrick Imbert Chapitre 2 Analyse de la vocation transculturelle de la revue Interfaces Brasil-Canadá (2001-2014)...............................................................37 Zilá Bernd Chapitre 3 Topologie imaginaire des Amériques : espaces amérindiens dans des romans brésiliens et québécois.........................................53 Rita Olivieri-Godet Chapitre 4 Vers une écologie de l’altérité au Brésil et au Canada : une analyse sémiotique comparative des représentations indicielles dans le film documentaire..............................................73 Fernando Andacht Chapitre 5 Notre diversité créatrice : objectifs internationaux et intérêts politiques du Brésil, du Canada et du Québec dans la Convention de l’Unesco.....................................................................101 Lucas Graeff et Oscar Berg VII VIII Envisager les rencontres transculturelles Brésil-Canada Chapitre 6 Obstacles au transculturalisme dans le dialogue Québec-Brésil : du multiculturalisme de Darcy Ribeiro à l’interculturalisme de Gérard Bouchard................................................................................121 Jean-François Côté Chapitre 7 L’enseignement des cultures afro-brésilienne et indienne au Brésil : une étude à partir de la politique de la reconnaissance de Charles Taylor................................................................................139 Cleusa Maria Gomes Graebin et Cristian Graebin Chapitre 8 Les arrière-pays de l’Amérique dans quelques œuvres de Pierre Yergeau et Milton Hatoum...............................................163 Simon Harel Chapitre 9 Identités transmigrantes : Sergio Kokis et P. K. Page.....................177 Adina Balint-Babos Chapitre 10 Passages transculturels chez des auteurs migrants d’ascendance arabe au Brésil et au Canada.............................................................197 Ana Maria Lisboa de Mello Chapitre 11 Expérience touristique dans des circuits patrimoniaux : une approche interculturelle Brésil-Canada...................................213 Nádia Maria Weber Santos et Luciana Gransotto Notices biographiques.......................................................................237 Remerciements Nous aimerions remercier la Fundação de Amparo à Pesquisa do Rio Grande do Sul (Fapergs), le Centre universitaire La Salle (Unilasalle, Canoas) et la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa « Canada : enjeux sociaux et culturels dans la société du savoir » pour leur aide concernant le développement de la recherche et la publication de cet ouvrage. Le projet « Multi, inter, trans-culturalité, gérer les rencontres c ulturelles Brésil-Canada » a été financé par le Programme d’internationalisation de la postgraduation des universités du Rio Grande do Sul de la Fapergs et s’est tenu d’avril 2014 à mai 2015 avec des activités à l’Université Unilasalle et à l’Université d’Ottawa. Zilá Bernd et Patrick Imbert ont coordonné le projet. IX Les cultures ne sont pas des entités autonomes ou statiques. Comme les personnes humaines, les cultures n’existent qu’en relation les unes avec les autres. Unesco, Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel, Paris, Rapport mondial de l’Unesco (rapport intégral), 2009, p. 9. Présentation Zilá Bernd et Patrick Imbert The concept [of culture] is characterized by three elements : by social homogeneization, ethnic consolidation and intercultural delimitation... All three elements of this traditional concept have become untenable today. Wolfgang Welsch, « Transculturality : the puzzling form of cultures today », dans Mike Featherstone et Scott Lash (ed.), Space of Culture : City, Nation, World, Londres, Sage, 1999, p. 194-195. Contrairement à toi, je me sens à ma place partout. Kim Thúy et Pascal Janovjak, À toi, Montréal, Libre Expression, 2011, p. 63. Envisager les rencontres transculturelles Brésil-Canada s’inscrit dans cet ouvrage en fonction de tout un corpus de livres produits par des chercheurs brésiliens, canadiens, colombiens, états-uniens, mexicains, etc., qui savent qu’il est possible de comparer les cultures des Amériques sans passer par des comparaisons avec l’Europe, ce qui tendait à activer le célèbre paradigme barbarie/civilisation de Sarmiento (1845) ou ses avatars, centre/périphérie. Désormais, comparer les Amériques selon des perspectives culturelles ne s’insère pas directement dans un discours historique qui a toujours eu tendance à ne retenir que des différences. Les comparaisons tendent à reposer sur des paradigmes binaires glissant vers le fluide et le multiple, plus on approche du contemporain. Ces paradigmes1 sont évoqués de façon explicite ou implicite par des essayistes, 1. Depuis une quinzaine d’années, nombre de chercheurs comme Gérard Bouchard, Marie Couillard, Patrick Imbert, Yvan Lamonde, Djelal Kadir, Licia Soares de Souza, Zilá Bernd, Winfried Siemerling, Jean-François Côté, Nestor García Canclini, G. Perez-Firmat, Jean Morency, Fernando Andacht, Annette Paatz, Barbara Buchenau, Maximilien Laroche, Seymour Martin Lipset comparent 1 2 Envisager les rencontres transculturelles Brésil-Canada des écrivains, des artistes ou des penseurs des Amériques, du Facundo de Sarmiento à Imagining Canada de Pico Iyer, de l’American Scholar d’Emerson au Siècle de Jeanne d’Yvon Rivard, de Philosophy of Railroads de T. C. Keefer à La Globalización imaginada de Néstor García Canclini, de Zilá Bernd dans Dicionario de Figuras e Mitos Literarios das Américas ou dans Glossaire des mobilités culturelles à Patrick Imbert dans Comparer le Canada et les Amériques. Ces paradigmes sont liés au paradigme de base intérieur/extérieur synonyme de soi/les autres et, jusqu’à récemment, de civilisation/barbarie qui fondent les enjeux de rencontres avec l’altérité s’alignant soit sur l’inclusion, soit sur l’exclusion selon des processus apparentés aux dynamiques mises au jour par René Girard dans Things Hidden since the Foundation of the World. Dans cet ouvrage les concepts clés sont ceux de la mimésis d’appropriation et du bouc émissaire permettant de fonder toute communauté en fonction de qui on se met d’accord de rejeter. Les paradigmes qui intéressent donc les chercheurs de Canada-Brésil de façon implicite ou explicite sont liés ainsi à inclusion/exclusion, altérité unique liée à l’Europe/altérités multiples des Amériques, temporalité longue/ temporalité courte/instant, passé/futur, coïncidence/hasard/causalité, pureté/métissage/hybridité/créolité, faits/promesse, frontier/frontière2, simultanéité/historicité, protection/rencontre, jeu à somme nulle/jeu à somme non nulle (Imbert : 2013), continu/discontinu, logique territoriale/logique de la société des savoirs, appartenir/s’appartenir, résoudre/ ne pas résoudre les contradictions, identité stable/images de soi multiples, statisme/nomadisme, créer/générer, orphelin/bâtard, homogénéité/relationalité. Les textes qui suivent explorent ainsi des transformations dans les relations et les rencontres culturelles des Amériques, ici dans celles du Canada et du Brésil sur lesquelles s’embranchent des séries textuelles, des métaphores, des arguments, de nouveaux récits, des vocations artistiques, 2. les discours littéraires, médiatiques et politiques dans les Amériques sans passer nécessairement par une comparaison avec l’Europe. Il faut noter qu’en anglais la frontier est un espace ouvert, sans fin et que sa signification est l’opposé de la frontière en français. Cette acception se retrouve aussi dans certains pays d’Amérique latine : « Históricamente, la tenancia de la tierra era más amplia en Costa Rica y hasta hace poco una frontera agricola daba la posibilidad de colonizar nuevas tierras. » Bridget Hayden, Salvadoreños en Costa Rica : Vidas desplazadas, San José, Universidad de Costa Rica, 2005, p. 130. Nous traduisons : Historiquement, la propriété de la terre était plus large au Costa Rica et jusquà récemment une frontier agricole donnait la possibilité de coloniser de nouvelles terres. Présentation 3 des visées politiques, sociales ou économiques. Ces transformations ouvrent sur les dynamiques de la « glocalisation » et sur des réflexions envisageant les connexions entre l’inter, le multi et le transculturel dans le but de gérer les nouvelles rencontres mondialisées façonnées dans l’indétermination, le nouveau Nouveau Monde et la transition permanente. C’est bien sûr quand certains principes propres sont connus et perçus comme des valeurs importantes, telles la croyance dans la pensée rationnelle, l’égalité des hommes et des femmes et l’affirmation, et qu’il existe des droits personnels qu’aucune société, aucun État ni aucune religion n’a le droit de contester et encore moins de supprimer, que peuvent se développer de véritables rencontres multiculturelles, interculturelles ou transculturelles. À ce sujet, il est bon de rappeler quelques éléments de base liés à des recherches, à des politiques et à des conceptualisations déjà bien établies, celles par exemple concernant le multiculturalisme tel qu’il est analysé par Will Kymlicka (2007). Il souligne qu’il faut protéger le groupe minoritaire des fonctionnements homogénéisants du groupe majoritaire, mais qu’il faut simultanément protéger l’individu par rapport au groupe protégé, ce que refuse par exemple un théoricien musulman du multiculturalisme comme Modood (2007) (Imbert : 2014a). Si un individu veut avoir accès à d’autres fonctionnements, il faut lui permettre de sortir du groupe. En effet, le pluralisme doit tenir compte de la promesse de base des Amériques qui est celle de s’appartenir individuellement. Tout en tenant compte de rapports de pouvoirs non dualistes, Kymlicka a cependant tendance à présenter les individus comme ayant une identité définie et stable liée à un groupe particulier lui-même défini par des références à des contenus issus d’un passé perçu comme relativement homogène, ce qui est différent du transculturalisme qui saisit que depuis toujours les individus et les cultures sont en contact, donc sont toujours métissés. De plus, dans la société des savoirs, gérer les rencontres est lié à la capitalisation de savoirs techniques, technologiques et intellectuels, de diplômes et de certificats, c’est-à-dire à des cultures qui évoluent en fonction d’un avenir à inventer dans le présent. En ce sens, dans une optique contemporaine, la culture est de plus en plus tournée vers l’avenir, l’innovation (création + commercialisation), la production de nouveau dans la compétitivité. La dynamique transculturelle est inscrite dans cette société des savoirs et insiste plus que le multiculturalisme (ou l’interculturalisme québécois de Gérard Bouchard) sur la gestion du changement perçu comme perma- 4 Envisager les rencontres transculturelles Brésil-Canada nent. Par contre, multiculturalisme et interculturalisme sont souvent liés à la permanence d’un ordre établi à défendre, une optique qui fut critiquée par Neil Bissoondath dans Le marché aux illusions. Le transculturel vise la recomposition du monde dans la reconnaissance des exclusions commises par la domination des mythes des origines comme du mythe du progrès. Ces mythes, d’après René Girard, se définissent comme suit : « […] myth is a text that has been falsified by the belief of the executioners in the guiltiness of their victims […] » (1987, p. 148). Ces mythes définissant la légitimité et l’homogénéité des groupes qui tombent d’accord sur celui qu’il faut exclure sont déplacés en récits historiques légitimateurs par les États-nations diffusant aux scolarisés un récit homogène hégémonique. Ainsi, le transculturel tient certes compte de la présence des récits de légitimation hégémoniques, mais en les couplant à la mémoire de l’exclusion présente chez tout individu. Cette mémoire, comme le souligne Girard, c’est, face à la durée longue des grands récits mythiques ou historiques dont parle Gérard Bouchard (1999), l’effet de l’instant qui contient tout, celui où, par exemple, Jésus se fait fermer la bouche. La transculturalité pose donc, comme base de la culture, la relation comme effet de l’autre sur soi et de soi sur l’autre, soit dans la violence négative, soit dans celle de la séduction comme coup de foudre ainsi qu’on le voit dans Alléluia pour une femme-jardin de René Depestre, comme cheminement amoureux dans Le singe grammairien d’Octavio Paz ou comme relation d’apprentissage à l’instar de la relation Piscine Patel/le tigre dans Life of Pi de Yann Martel. Ainsi, la transculturalité est très différente d’une conception de la culture ethnicisée, communautarisée, territorialisée et aseptisée de tout rapport fort à l’autre. Le transculturel mène donc à une relecture et à une recontextualisation des perspectives. D’abord celle de la croyance qu’il y aurait une origine. Croire en une origine, c’est croire en l’unité primordiale d’un monde consensuel édénique qu’il faudrait retrouver et qui définit le groupe dans ses particularités tandis que les autres sont différents et considérés dans l’erreur. Le transculturel pousse à enclencher des relations personnelles comme institutionnelles pratiques menant à ce que des gens différents aient une influence efficace et positive les uns sur les autres. Le transculturel se manifeste comme une promesse. Il n’est donc pas lié à un constat d’un état de fait, celui que critique René Girard, c’est-à-dire le « constat » que la victime est coupable de ce qu’on l’accuse, en raison d’une culture mythique établie telle qu’elle est liée à un groupe, à une Présentation 5 religion ou à un État-nation projetant une stéréotypie identitaire sur des peuples. Le transculturel implique une promesse de mieux vivre, un acte de langage performant qui mène à créer des relations moins conflictuelles, plus attentives, plus à l’écoute. Parler de transculturel, c’est négocier un rapport dialogique avec un acte qui affirme que, même si je passe par des codes particuliers à un groupe pour m’exprimer, ainsi que l’affirme Kymlicka au sujet du multiculturalisme, je suis aussi en train d’accomplir une promesse, celle d’appartenir à distance à des mythes et des grands récits de légitimation et celle de reconnaître que les autres aussi s’appartiennent dans tout leur être. J’ai droit à mon indépendance et à ma place au soleil car je m’appartiens est la base du transculturel qui dynamise les interactions groupe/individu, en fonction d’une vitalité expansive où tous méritent d’avoir accès aux biens de cette planète. Cet acte de langage, cette déclaration affirmant que je m’appartiens, crée une situation bien réelle et nouvelle où les parties concernées sont modifiées par cet acte linguistique qui échappe à la victimisation par l’histoire ainsi qu’à la mémoire de l’acte violent pour ouvrir sur la possibilité d’inventer un nouveau récit des Amériques comme pour Piscine dans Life of Pi ou Édouard Glissant dans Pour une poétique du divers où la créolité comme réalisation du transculturel est égale à l’hybridité plus l’imprévisibilité. C’est en fonction de ces perspectives que les auteurs de cet ouvrage ont exploré les rencontres Canada-Brésil. Ainsi, Adina Balint-Babos cherche à voir comment une nouvelle identité peut venir à la rencontre de l’autre sans qu’il y ait répétition complète des dualismes : de souche/ venu d’ailleurs, local/étranger, riche/pauvre, intérieur/extérieur, inclusion/ exclusion. Elle analyse les productions de Sergio Kokis et de P. K. Page, tous deux écrivains et peintres, l’un immigrant brésilien au Canada, l’autre femme de diplomate canadien au Brésil. Elle constate les particularités des artistes et des écrivains de la migration et du voyage, notamment des surprises négatives mais qui sont surmontées par le passage à d’autres codes sémiotiques. Ainsi, P. K. Page au Brésil ne trouve plus les mots pour dire et se dire face à l’influence de la langue portugaise. Elle passe au pictural oscillant entre le figuratif et le surréalisme pour inventer ce qui se transforme en elle dans cet effet de l’autre. Une dynamique de recréation emporte aussi Kokis dans l’effet de Montréal sur ses instabilités identitaires. Tous deux, comme le souligne Adina Balint-Babos, « opèrent le passage de l’identité assignée à celle de la traversée » des limites entre le biographique et le fictionnel, la fiction et la métafiction, le texte et l’image. 6 Envisager les rencontres transculturelles Brésil-Canada Cette traversée, Simon Harel nous la propose à partir d’une réflexion sur l’arrière-pays, car les littératures québécoise et brésilienne lui semblent manifester des préoccupations communes. Celles-ci sont explorées par l’entremise de deux auteurs qui prennent en charge l’arrière-pays : Milton Hatoum et Pierre Yergeau. Simon Harel montre alors que l’arrière-pays, au lieu d’être l’espace de la barbarie comme pour Sarmiento (face à la ville civilisée) ou celui d’un village homogène protégé du pouvoir maléfique des villes remplies d’étrangers comme dans le roman de la terre au Québec, est un lieu de rencontres interculturelles. C’est le cas de l’Abitibi où les immigrants sont venus travailler dans les mines. Même chose pour l’Amazonie et Manaus où le métissage est la norme, ce qui mène à la dispersion de tout point de repère dans l’espace. Cette dispersion dans un espace, Fernando Andacht l’explore à partir de Bateson et de Peirce en cherchant à savoir « comment les idées interagissent, comment les signes fonctionnent comme des éléments régulateurs de cette écologie où l’autre circule ». Pour cela, Fernando Andacht retient un film brésilien et un film canadien, tous deux explorant le monde des petits métiers où des hommes et des femmes se consacrent à réguler les espaces sales pour en tirer profit par la propreté : Lixo Extraordinário (2010, Brésil) et Ballades de minuit (2007, Canada). Le film brésilien montre le labeur éreintant de ceux qui travaillent au milieu des montagnes de déchets, dans la municipalité de Duque de Caxias, dans l’État de Rio de Janeiro. Le film canadien explore l’environnement des immigrés de l’Amérique latine qui nettoient les immeubles du centreville de Montréal, pendant la nuit, et qui sont invisibles au reste du Québec. Fernando Andacht en conclut que les exclus de la société brésilienne peuvent entrer dans un dialogue enrichissant avec l’autre, et dans le film par la médiation de l’artiste avec le spectateur. Les immigrés dans la société canadienne sont condamnés à rester dans la solitude une fois que la caméra quitte leurs visages visibles et leurs voix audibles. Ainsi, l’autre est loin d’être toujours un interprétant au sens peircien, c’est-à-dire un signe qui rencontre le signe produit avant pour en tirer la signification, c’est-à-dire, chez Peirce, ses conséquences pour la suite. C’est alors que Jean-François Côté pose le problème de la rencontre, tiraillé entre inter, multi et transculturalisme, en analysant les positions respectives de Gérard Bouchard et de Darcy Ribeiro au sujet du développement passé et présent des Amériques. Où en est donc le dialogue hémisphérique ? Il reprend Ortiz et son idée de transculturation. En tant Présentation 7 que processus sociohistorique, elle produit des formes culturelles qui n’appartenaient ni à l’une ni à l’autre des cultures mises en cause dans les échanges. Mais, pour Ortiz (1947), la transculturation agit dans un espace en gestation où aucune culture n’est véritablement établie même si, en fait, la culture blanche sert de point de référence pour exclure ce qui n’est pas civilisé, c’est-à-dire les cultures des Afro-descendants. C’est ce que souligne Mark Millington en commentant Ortiz et le mexicain Rama (1982) : « Where Ortiz was concerned with the effects of multiple cultures all being introduced into Cuba more or less simultaneously without an established local culture, Rama is concerned with defined national situations in which there are well-established internal structures and divisions which come into contact with external practices – in other words, a clearly delineated internal/external polarity » (2005, p. 209). Comme le souligne Jean-François Côté, nous sommes désormais dans un monde plein où les cultures établies se rencontrent toutefois à une vitesse de plus en plus grande tandis que ces rencontres concernent de plus en plus de gens, éduqués ou non, qui sentent la nécessité, en tout cas dans les démocraties, de produire quelque chose d’efficace et de positif à partir de ces rencontres. C’est pour cela qu’on tend à choisir des perspectives gérables à l’intérieur de nations établies, comme pour Gérard Bouchard qui privilégie le discours des élites en fonction duquel les formations nationales se sont édifiées dans l’invention de « mémoires longues » aussi bien que du point de vue d’inventer des projets de société générant le bien-être dans le compétitif. On retient alors que les enjeux qui se mettent en place pour le transculturel doivent composer nécessairement avec les obstacles que sont nos limites présentes pour en appréhender la forme et le contenu ; ce n’est en effet que dans un contexte transnational que les conditions transculturelles peuvent s’éclaircir, une idée que partage non seulement Fernando Andacht de concert avec Will Kymlicka, mais la majorité des auteurs des textes publiés ici. C’est le cas de Patrick Imbert qui explore les modalités des rencontres pour les minoritaires et les exclus déterminées par des paradigmes dualistes comme intérieur/extérieur ou barbarie/civilisation, mais qui, dans le contexte de la mondialisation, parviennent parfois à reconfigurer les codes et les mythes qui les déterminent. Ainsi s’explorent les catégories de la coïncidence comme du hasard, la capacité à inventer de nouveaux récits et des techniques fictionnelles et argumentatives qui déplacent les cohérences établies, celle des qualités définitives des personnages par exemple, pour jouer de la réincarnation ou le soi est en l’autre 8 Envisager les rencontres transculturelles Brésil-Canada et l’autre en soi, pour reprendre le célèbre titre d’Emmanuel Lévinas (1961). Ainsi, on saisit bien que les relations interaméricaines dans le contexte de la gestion des relations Canada-Brésil mènent à des surprises qui transforment les cultures et les créolisent constamment. Zilá Bernd, qui a conçu la revue Interfaces Brasil-Canadá qui diffuse, depuis 2001, les projets comparatistes Brésil-Canada des chercheurs des Amériques, a travaillé sur l’analyse d’environ 200 articles publiés dans cette revue dans les quatre langues prédominantes des Amériques, en cherchant à vérifier sur quelles bases ce comparatisme a été pratiqué. Elle conclut que les articles ont présenté, depuis le commencement, une vocation transculturelle et que la polarisation Brésil-Canada ne caractérise pas une opposition binaire, mais un détour dans les travaux du domaine des sciences humaines au Brésil qui avaient tendance à prendre les paradigmes européens comme base de l’exercice comparatif. En conclusion, elle affirme que la revue exerce un rôle qui dépasse largement celui de la diffusion des études canadiennes. Elle assume la fonction de producteur de savoir et se constitue en lieu privilégié d’interlocution inter et trans-américain établissant les relations entre les Américains du Nord et du Sud. Le texte de Rita Olivieri-Godet dessine la topologie de l’imaginaire des Amériques en dévoilant les espaces amérindiens tels qu’ils sont décrits dans des romans brésiliens et québécois. Il porte sur l’analyse de l’Habitante irreal (2011) du Brésilien Paulo Scott, et Uashat (2009) de l’écrivain québécois Gérard Bouchard, qui problématisent la question du passage des indigènes des grands espaces des « confins » aux espaces confinés des réserves ou de la périphérie des grandes villes. Les deux auteurs privilégient la description des espaces réduits proches des villes ou des villages et ciblent la problématique de la cohabitation des autochtones avec les non-autochtones. Les deux romans dénoncent donc le processus d’exclusion et intègrent des discours qui soutiennent une nouvelle politique de la spatialité. Rita Olivieri-Godet conclut sur l’importance de ces deux romans qui contribuent de façon indéniable à transformer les relations entre les sociétés amérindienne et occidentale en se détachant d’une tendance de l’imaginaire occidental à insister sur le « syndrome de l’extinction ». La thématique de la diversité créative et les prétentions internationales du Brésil, du Canada et du Québec dans la Convention de l’Unesco sont développées par Lucas Graeff et Oscar Berg du Centre universitaire