actes du colloque

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actes du colloque
ACTES DU COLLOQUE
Tenu sous la thématique
« Lire sans frontières, parce que la lecture ouvre les horizons »
Le 15 octobre 2010
Lis avec moi
TABLE DES MATIÈRES
PROGRAMME DE LA JOURNÉE ............................................................................................................... 2
INTRODUCTION.......................................................................................................................................... 4
VENUS D’AILLEURS .................................................................................................................................. 9
LE LIVRE À PORTÉE DOCUMENTAIRE................................................................................................ 12
TABLE RONDE .......................................................................................................................................... 15
LIRE, EXPLORER ET JOUER AVEC LE KAMISHIBAÏ ......................................................................... 17
LIRE LA BD POUR DÉCOUVRIR LE MONDE ....................................................................................... 22
LIRE LA DRAMATURGIE ........................................................................................................................ 23
CONTE D’ICI ET DU MAGHREB............................................................................................................. 25
PROGRAMME DE LA JOURNÉE
8 h 30
Accueil des participants
9h
Mot de bienvenue
9 h 05
Introduction, par Jacques Pasquet
Amoureux du Grand Nord et passionné par l’univers des mots et des
histoires, Jacques Pasquet introduit la thématique : Lire sans Frontières!
9 h 45
Venus d’ailleurs, par Angèle Delaunois, auteure jeunesse
Angèle Delaunois fait place aux jeunes venus d’ailleurs; elle raconte les
Paysages et les valeurs du pays d’origine et de celui d’adoption.
10 h 25
Pause
10 h 45
Le livre à portée documentaire, par Susane Duschene, libraire
Genre littéraire populaire auprès des jeunes curieux, le livre a porté
documentaire permet l’épanouissement de l’identité culturelle des jeunes
et favorise la découverte des autres cultures.
11 h 30
La littérature, une terre d’accueil, par Communication-Jeunesse
Présentation du programme «Vivre la littérature d’ici pour les jeunes» qui
propose une approche visant l’intégration des immigrants et privilégiant
les contacts, les échanges et les interactions
12 h 00
Dîner
13 h 15
Table ronde
Quand le livre devient un pont entre les cultures
Avec Badiâa Sekfali, Kees Vanderheyden et Michel Noël, auteurs
jeunesse.
14 h 15
Ateliers –Bloc A- Un monde à lire
Communication présente les sélections du programme «Vivre la littérature
d’ici pour les jeunes » et quelques pistes d’exploitation de ces livres en
contexte d’immigration.
1er choix
2e choix
3e choix
14 h 45
Sélection 0-4 ans
Sélection 5-11 ans
Sélection 12 ans et plus
Pause
2
14 h 15
Ateliers –Bloc B- différents supports pour lire autrement
1er choix
Lire, explorer et jouer avec le Kamishibaï, théâtre d’origine
japonaise permettant de présenter une heure du conte dynamique par,
Marc-André Berthold
2e choix
Lire la BD, pour découvrir le monde par, François Mayeux
3e choix
Lire la dramaturgie : Aficion Ado et son comité de jeunes
lecteurs, par théâtre Bluff
15 h 45
Contes d’ici et du Magreb, Par Myriame El Yamani
Cet atelier pratique sert à se familiariser avec le conte, ses particularités et
sa signification dans la vie de chaque personne. Le conte est une parole
qui va plus loin que l’anecdote, le délire verbal, la menterie, la blague.
C’est un outil de communication et une aventure hors du quotidien. C’est
une porte ouverte sur le rêve et les philosophies de la vie.
Myriame El Yamani nous fera vivre cette expérience en nous racontant la
Légende du Huard (conte amérindien) et les Babouches d’Abou Kassen
(conte des mile et une nuits)
16 h 30
Tirage et clôture du colloque
3
INTRODUCTION
Jacques Pasquet, conteur et auteur jeunesse
Né en France, Jacques Pasquet a pas mal navigué avant d'adopter le Québec comme terre
de vie. Passionné par l'univers des mots et des histoires, il a partagé cet intérêt pendant
plus d'une décennie, tant avec ses élèves du primaire qu'avec ses étudiants de l'Université
du Québec à Montréal où il a enseigné l’univers du conte et de la littérature jeunesse.
Amoureux des espaces sans verticales, l'océan et le Grand Nord, il est très attaché au
destin d'un peuple qu'il a côtoyé régulièrement et dont il sait parler avec sensibilité.
Depuis plusieurs années, il sème ses mots et ses passions tant dans ses ouvrages que dans
ses spectacles, conférences, ateliers et rencontres avec divers publics.
Lire sans frontières
Le livre, un pont entre les cultures, une façon de découvrir l’autre dans nos ressemblances
et nos différences. Tout un programme! Dommage que les dirigeants de ce monde,
beaucoup plus soucieux de lire les résultats des sondages que des livres, ne s’en inspirent
pas.
D’emblée, je voudrais vous lire une histoire : Les enfants de la mer1. Le décor : une
plage. Des enfants jouent autour d’un bidon de métal. Un homme s’approche, un livre à
la main (lecture du texte). Une des premières grandes différences à accepter, je crois,
c’est que le livre n’a pas la même importance pour tous. Qu’il peut même, dans certains
cas, n’être qu’un luxe, un privilège. Il fut un temps où cette question ne se posait même
pas. Nous vivions dans une société où la culture littéraire allait de soi. Une bulle
confortable dans laquelle l’écrit primait sur l’oralité. Le premier étant l’apanage de la
classe dominante, la seconde stigmatisant le peuple. Les dernières décennies ont été
marquées par de grands mouvements d’immigration. Des pays sont devenus terres
d’accueil. De nouveaux termes ont fait leur apparition dans le langage, dont
l’incontournable multiculturalisme. Ces nouvelles réalités posent de nouveaux défis. Je
me souviens de cette époque, pas si lointaine, où notre souci, en littérature jeunesse, était
de veiller à ne pas se faire assimiler par la culture française de France. Il importait alors
de bien manifester et de mettre en évidence les spécificités de notre culture québécoise
afin que les lectrices et lecteurs d’ici puissent se reconnaître. À cette époque, on ne parlait
pas de pont, mais plutôt de clôtures délimitant clairement l’espace culturel de chacun. Se
posait-on la même question pour les enfants inuit ou montagnais qui, dans les écoles,
n’avaient pour lecture que des livres aux modèles de petits québécois du sud? L’un de
mes livres, L’Esprit de la Lune2 est né de ce constat et de mon désir de faire découvrir
aux jeunes du sud une autre réalité de ce peuple que celle des stéréotypes habituels. Voilà
en quoi ce livre et ceux qui ont suivi sont réellement des ponts qui ouvrent de nouveaux
horizons. Ainsi mon dernier ouvrage, Mon île blessée3 aborde une autre réalité à laquelle
sont confrontées aujourd’hui plusieurs communautés inuites de l’Arctique : les
conséquences du réchauffement climatique. Les temps changent heureusement, les
réalités aussi, malheureusement dans certains cas.
1
Les enfants de la mer, Jaume Escala, éd. Syros Alternative, Paris, 1991
L’Esprit de la Lune, J. Pasquet, Québec/Amérique, Montréal, 1992
3
Mon île blessée, J.Pasquet, éd. De l’Isatis, ill. Marion Arbonna, Montréal, 2009
2
4
Mais sommes-nous réellement prêts à jeter ces ponts vers l’Autre, d’où qu’il vienne?
Pour ma part, je peux vous dire que j’ai souvent le sentiment de vivre sur un immense
pont. On me fait souvent remarquer, certaines et certains d’entre vous d’ailleurs l’ont déjà
probablement relevé, que je n’ai ni le parler ni l’accent d’ici. Il m’arrive parfois, dans
certaines boutiques du centre-ville de Montréal fréquentées par les touristes de me faire
demander si je suis en vacances. Généralement, je réponds que oui, depuis 36 ans. À
l’inverse, lorsque je suis invité en France en tant qu’auteur ou conteur québécois, on
s’étonne régulièrement de ce que je n’ai pas cet accent qui plait tant aux Français par son
exotisme. Morale de ce bref constat personnel, n’étant finalement ni d’un bord ni de
l’autre, je me sens très circonflexe, syndrome fréquent pour les entre-deux auxquels
j’appartiens. Il n’est pas toujours évident de se trouver entre deux rives lorsqu’on a
parfois le sentiment que l’une ne nous appartient plus et que l’autre ne nous reçoit pas
pleinement. Il y a des frontières plus difficiles à faire tomber que d’autres. Je n’ai pas
encore trouvé le livre qui me rassurerait sur cette question.
Avant de m’engager plus loin sur cette thématique, je veux vous raconter une histoire :
«Un jour, pas beau du tout, une mère demande à sa fille de lâcher son ordinateur et
d’aller porter le souper à sa grand-mère. La pauvre est malade. La jeune fille répond
qu’elle est désolée, mais qu’elle ne peut pas. Trop occupée! La mère se tourne alors vers
son fils qui lui répond à peu près la même chose. Cette femme se rend donc chez ses
voisins, une famille d’immigrants. L’un des enfants présents, un jeune adolescent,
accepte sans broncher lorsque ses parents lui demandent de rendre ce service à leur
voisine. En traversant le parc, le jeune garçon croise un individu à l’allure plutôt louche
qui lui demande, sur un ton bourru, ce qu’il fait dans la forêt.
- Je vais porter le souper à la grand-mère de mes voisins, car elle est malade.
- Attends un peu, réplique l’individu! Tu te moques de moi? En principe, c’est une fille
qui fait ça, pas un garçon. Une belle petite fille adorée de sa mère et encore plus de sa
grand-mère.
- Comment le savez-vous? S’étonne le jeune garçon.
- Parce que je suis le Grand Méchant Loup ! D’où sors-tu pour être aussi naïf ?
Découragé, le Grand Méchant Loup décide de s’en aller ailleurs en regrettant que plus
rien ne soit comme avant :
- Pourquoi ne voit-on plus dans les forêts de belles petites filles à chaperon rouge dont les
mères sont folles et les grands-mères plus folles encore? Elles au moins, elles étaient
faibles, vulnérables et influençables. Quand je pense que la dernière à qui j’ai demandé,
poliment, ce qu’elle faisait dans la forêt m’a envoyé promener.»
Mettez-vous un peu à sa place. Essayez, pendant quelques secondes, d’imaginer la
violence du choc culturel que le pauvre doit affronter. Voilà ce que c’est que de ne pas
sortir de chez soi et de demeurer dans une forêt, accroché à de vieux symboles. Je ne
serai pas surpris d’apprendre dans quelque temps que le pauvre se tape une profonde
dépression. Ou bien qu’il doive s’allonger sur un divan de psychanalyste. Ce qui lui a
manqué? De bonnes lectures qui l’auraient aidé à réaliser que le monde avait changé et à
s’ouvrir à de nouvelles réalités culturelles et livresques.
5
On propose dans ce colloque de lire sans frontières parce que la lecture ouvre les
horizons. D’accord. Mais de quelles frontières parlons-nous? L’horizon peut, parfois, être
dissimulé. Ce qui est donné à entendre, à imaginer, à ressentir au fil des mots de l’histoire
qui tapisse le livre peut aussi nous enfermer dans notre propre territoire et ne pas nous
inciter à découvrir ce qu’il y a de l’autre côté du pont. Je voudrais, encore une fois, vous
lire une histoire : Une histoire d’éléphant4.
(Lecture) Il ne m’est pas difficile d’imaginer que pour certaines et certains d’entre vous,
il y a eu, probablement, une petite résistance à faire tomber la barrière d’une perception
culturelle assez évidente : « Tout de même! Une histoire de crottes… c’est assez
dégoutant. Il y a tellement d’autres belles histoires.» Encore heureux que je n’ai pas lu
l’histoire De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête5. Les frontières
à faire tomber pour mieux voir l’horizon ne sont pas toujours à l’autre bout du pays.
Parfois, elles ne sont que notre propre façon de voir le monde. Ainsi, une fois passée la
réticence esthétique, une autre barrière s’impose parfois entre le livre et le lecteur,
d’ordre didactique cette fois : « Est-ce vraiment un livre pour ce groupe d’âge? Que
fais-tu avec ce documentaire sur les volcans, tu ne sais pas encore lire? Viens avec moi,
on va t’en choisir un beau avec des images dans la section des livres pour ton âge. » En
dehors des livres pour bébé, peut-on réellement catégoriser les livres en fonction de ce
critère? Ne limite-t-on pas, dans ce cas, l’horizon d’accès? Pour ma part, je n’écris pas
pour un groupe d’âge, mais plutôt avec une sensibilité à l’enfance. Qu’est-ce qui fait la
force de l’histoire de l’éléphant que vous venez d’entendre? Le texte? Le thème? Certes
les deux y sont pour quelque chose, mais il faut un ingrédient supplémentaire qui ne se
trouve pas dans le livre. Si la barrière des préjugés n’est pas dépassée, il restera sur les
tablettes. Pour s’ouvrir à d’autres horizons, il faut savoir élargir et affiner nos points de
vue. Cette histoire d’éléphant je ne la lis ni à des enfants ni à des adultes : je la lis pour
qu’elle soit entendue et reçue avec ce qu’elle a éveillé en moi d’émotion. C’est ce qui fait
qu’elle laisse des traces chez ceux et celles qui l’ont écouté.
Dans cette même perspective, je voudrais relever une anecdote. L’un de mes livres les
plus récents L’Étoile de Sarajevo6 est un album qui traite de l’enfance dans un contexte
de guerre. Catalogué album pour enfants, j’ai pourtant l’habitude de le proposer au
niveau secondaire dans le cadre des rencontres du programme Culture/Éducation. La
réaction est souvent la même : « Qu’est que ce livre fait là? » À tel point que dans une
école, la boîte de livres à peine ouverte a été aussitôt refermée et retournée à l’UNEQ
avec une mention erreur de niveau et cela sans que personne se donne la peine de lire le
livre. Tant et aussi longtemps que cette barrière ne sera pas tombée, des enfants n’auront
pas accès à des livres qui pourraient pourtant, d’une façon ou d’une autre, ouvrir leurs
horizons. Pour moi, ce livre offre un autre regard sur des espaces d’enfance dont il est
important de parler. Pourquoi le seul type de lecture pertinent au secondaire, en dehors du
documentaire, serait-il uniquement le roman? Il existe de fabuleux albums tant du point
de vue du texte que de l’illustration qui y auraient leur place. Mais, là encore, il reste une
frontière à abattre. Celle de ce préjugé qui veut que l’illustration ne soit réservée qu’aux
livres pour enfants.
4
Un éléphant ça compte énormément, Helme Heine, Gallimard, coll. Folio-benjamin, Paris 1981
De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête, W.Holzwarth, éd. Milan, 1993
6
L’Étoile de Sarajevo, Jacques Pasquet, Dominique et Compagnie, Montréal, 2008
5
6
Finalement, l’illustration ne devient qu’un prétexte pour attirer le jeune lecteur vers la
lecture. Quel dommage! Car s’il y a bien un espace qui manifeste encore plus directement
que le texte les différences culturelles, c’est bien celui de l’illustration. Parfois, les ponts
qui unissent les deux rives que l’on souhaite relier sont à péage.
Parler d’horizon implique aussi pour moi de ne pas avoir peur de plonger vers un espace
qui, à l’occasion, dérange : l’imaginaire. Dépasser cette frontière que nous impose la
logique et s’élancer au-delà s’apparente à un véritable voyage de découverte. Dans notre
rapport au livre, si nous souhaitons qu’il devienne cet outil formidable d’ouverture, on ne
peut ignorer cet aspect. Si je vous présente ce petit livre et que je vous demande de dire
bonjour au brave ours qui en orne la couverture, je ne doute pas qu’il y en a qui
trouveront cela «bébé», qui seront mal à l’aise de le faire. Une petite un jour m’a dit :
« Tu parles au livre?» Je lui ai répondu que non, je ne m’adressais pas au livre, mais au
personnage du livre, l’ours, et qu’il méritait bien qu’on lui parle puisque, comme le dit le
titre, c’est l’histoire de L’ours qui voulait qu’on l’aime7. Trop souvent, notre culture
réduit à l’enfance l’espace de l’imaginaire. C’est dans cette réponse à la petite fille que se
trouve, à mon point de vue, la vraie magie de l’acte de lire et le partage qui en découle.
Alors, tous les chemins sont ouverts, tous les espaces peuvent s’offrir aux oreilles. Parler
d’horizons, d’absence de frontières, c’est inévitablement aller à la rencontre de l’univers
des contes. Là, je ne parle pas uniquement des prétendus contes merveilleux, mais de la
multitude de ces récits venus d’ailleurs. Car, s’il existe un genre littéraire propre à établir
un pont entre les cultures, c’est bien le conte. Quelle que soit son origine, le conte, dans
le fond, au-delà des décors et des spécificités de chaque culture, ne parle que d’une seule
chose : de l’être humain. Quelle que soit la race ou la religion, les humains vivent tous les
mêmes peurs, se posent tous les mêmes questions, vivent tous les mêmes bonheurs.
Alors, ne craignons pas de nous lancer sur le chemin des contes. Nous aimons parler des
contes et légendes de notre culture. Nous sommes impatients de les faire découvrir aux
nouveaux arrivants. C’est justifié. Mais y a-t-il de notre part un désir d’aller également
dans l’autre sens, vers leurs contes et légendes qui nous parlent d’eux et de leurs racines?
On peut le souhaiter et il le faut, car, hélas, je ne suis pas certain que cela fasse toujours
partie de nos intentions. Ce que ces récits permettent, c’est : « … une ouverture sur le réel
appelant une compréhension réciproque »8.
Avant de conclure, je veux vous raconter une histoire, celle d’un vieux conteur. Né dans
une communauté tzigane, il avait découvert pendant son enfance que l’humain est parfois
mauvais. Il avait entendu leurs insultes, reçu au visage leurs crachats de mépris, vécu la
honte de devoir s’installer au dépotoir lorsqu’ils voulaient s’arrêter. Devenu adulte, il
s’est donné comme mission de changer le monde, d’essayer de rendre les humains
meilleurs et pour cela, il allait leur raconter des histoires. Il s’installa au milieu de la place
principale d’une ville, grimpé sur une caisse en bois et se mit à conter. Au début, les gens
s’arrêtaient pour l’écouter, intrigués de le voir là. Mais ils se lassèrent vite. À la longue,
seuls les enfants qui se moquaient de lui et les chiens lui tinrent compagnie. On le traita
de vieux fou. Mais lui continuait, beau temps, mauvais temps, contant les yeux fermés.
Un jour, un petit garçon venu d'ailleurs lui demanda pourquoi il s’obstinait à conter alors
que personne ne l’écoutait. Le vieil homme lui raconta alors son histoire, ajoutant que
7
L’ours qui voulait qu’on l’aime, Claire Clément, Bayard jeunesse, Paris 2000
Jean Perrot, in La littérature de jeunesse au croisement des cultures, collectif, CRDP Académie de
Créteil, France, 1993
8
7
cela lui faisait rien que personne ne l’écoute. Que lui, il n’avait pas oublié son désir de
changer le monde et qu’il contait les yeux fermés pour que le monde ne puisse pas le
changer lui. J’aime ce vieux conteur, il m’inspire et j’espère qu’il en sera de même pour
vous. Mais une question demeure : comment sont-elles nées toutes ces histoires? Voici la
réponse.
Lecture de Voici comment sont nées les histoires9.
***
9
Voici comment sont nées les histoires, Catherine Gendrin, éd. Rue du Monde, Paris 2006
8
VENUS D’AILLEURS
Angèle Delaunois, auteure jeunesse
Angèle Delaunois est née à Granville (France) en 1946. Immigrée au Québec en 1968,
elle obtient un baccalauréat en Arts plastiques de l’Université du Québec à Trois-Rivières
(UQTR). Parallèlement à son professorat, elle poursuit une carrière spécialisée en murale
de haute laine. En 1982, Angèle Delaunois déménage à Montréal et aborde la littérature
en travaillant dans des magazines traitant de consommation. Depuis 1989, elle choisit
d'écrire à temps plein. Ses livres rejoignent les très jeunes enfants, les adolescents, et
même les adultes. Par goût et par intérêt, elle se consacre notamment au documentaire.
Plusieurs de ses ouvrages ont été sélectionnés au Palmarès Communication-Jeunesse des
livres préférés des jeunes.
Ma carrière
Je cumule 23 ans d’expérience en tant qu’écrivaine, responsable de collections chez
Héritage, Dominique et Compagnie, et comme éditrice pour la jeunesse chez Pierre
Tisseyre et Isatis. J’ai à mon actif plus de 65 publications en littérature jeunesse couvrant
un très large lectorat, de la maternelle aux jeunes adultes, dans les genres suivants :
nouvelles, romans, miniromans, contes, légendes, albums, poésie, documentaire, récit,
littérature engagée, livres de jeux. Plusieurs autres publications sont à venir.
Venus d’ailleurs, Hurtubise, 2010
Le point de départ de ce livre a été mon arrivée au Canada en 1968. La mosaïque
culturelle du Canada et celle du Québec en particulier ont été un facteur déterminant dans
la création de ce livre.
Genèse du livre
Le projet a pris naissance au Salon du livre de Montréal en 2007 à la suite d’une
rencontre avec Dominique Thuillot, éditrice jeunesse aux Éditions Hurtubise. Nous avons
rédigé le texte et soulevé les points qui me semblaient les plus importants. Entre autres,
nous tenions à la simplicité du texte. Celui-ci devait être abordable pour plusieurs
tranches d’âge et rejoindre également les classes d’immersion et les parents allophones
des enfants concernés.
Thèmes
Les thèmes que je voulais aborder sont la décision des parents, la peur, l’inconnu, le
grand voyage, le fleuve, les saisons d’ici, l’école, la scolarisation de tous les enfants,
l’eau, la guerre, la nourriture, les vêtements, les traditions, les fêtes, l’apprentissage d’une
nouvelle langue, l’accent, l’adoption, l’invisibilité, l’espoir, la nostalgie. Le lien est fait à
chaque page entre ce que l’enfant a laissé derrière lui et ce qu’il a trouvé dans son pays
d’adoption.
Les illustrations et la production
L’équipe d’Hurtubise a choisi de faire appel à une photographe de talent pour illustrer ce
livre : Martine Doyon. Les photographies ont été réalisées en collaboration avec le
9
Projet 80 et la ruelle de l’avenir, lieu d’apprentissage et d’accueil pour les allophones
nouvellement arrivés au Québec. Nous avons ensuite rencontré les parents et les
responsables du Projet 80 pour leur parler de l’album et obtenir les autorisations des
parents. Plus de 1000 photographies ont été prises. Nous avons ensuite fait le choix des
photographies en relation étroite avec le texte, ce qui s’est avéré être difficile. Il y a eu
par la suite le choix des tissus qui font les liens colorés d’une page à l’autre, la mise en
page et l’impression. Enfin, le lancement du livre a été réalisé au Projet 80.
La littérature engagée
1) Présentation de mes choix
Présentation et discussion autour de plusieurs albums aux thématiques engagées
s’adressant aux enfants.
Les enfants de l’eau
Le tour du monde de l’eau. Que représente l’eau dans différentes parties du monde? Le
vocabulaire de l’eau. L’eau c’est la vie… thème récurrent, exprimé en douze langues
différentes. Le choix d’une couverture en opposition avec l’eau telle que nous la
connaissons ici. Illustrations très travaillées de Gérard Frischeteau où tous les détails sont
authentiques.
Le pays sans musique
Un article de journal qui devient l’élément déclencheur. Le texte sous forme très
classique, conte ou parabole, avec une progression dramatique jusqu’à la fin qui est
volontairement laissée ouverte afin que l’enfant-lecteur conclue lui-même. Illustrations
magiques de Pierre Houde, dans des teintes dorées qui conviennent bien au contexte de
l’histoire.
Le mur
Un conflit qui dégénère, une amitié qui explose à cause d’intérêts divergents. La
dynamique est la même entre deux individus ou entre deux pays. Escalade dramatique
jusqu’à l’absurde puisque personne ne gagne. Illustrations saisissantes et classiques de
Pierre Houde, aux compositions audacieuses, souvent teintées d’humour malgré le
contexte.
La clé
Les réfugiés politiques chassés de chez eux par la guerre. Ici aussi, c’est un article de
journal qui a été l’élément déclencheur. S’adresse aussi bien aux élèves du 3e cycle qu’à
ceux du secondaire. Texte sophistiqué en rimes, aux images à la fois fortes et intimes
exprimant le désespoir, l’attente et la solitude. Illustrations saisissantes en mix-médias de
Christine Delezenne pouvant être décryptées de plusieurs façons puisque les messages
qu’elles portent ne sont pas tous visibles au premier regard.
Une petite bouteille jaune
En collaboration avec Handicap International la guerre après la guerre. Les bombes à
sous-munitions et les drames qu’elles provoquent. Le désespoir, la douleur, l’espoir. Une
narration toute simple, mais efficace. Illustrations de Christine Delezenne très fortes avec
collages de photos provenant des dossiers de HI, suscitant des réactions très émotives.
10
2) Pourquoi de la littérature engagée?
Parce que ça m’intéresse. Parce que nous vivons dans un monde de plus en plus dur dont
nos enfants hériteront. C’est une façon de les préparer en développant chez eux
l’empathie, la tolérance, l’entraide et la compassion.
Ces albums ne sont pas faits pour une lecture en solitaire. Ils ont besoin de passeurs qui
les expliqueront et les replaceront dans leur contexte. L’écriture de ces albums est
souvent exigeante et c’est voulu. Nos jeunes sont capables de comprendre et même
d’aller plus loin que ce qu’on aurait imaginé. J’en ai fait bien des fois l’expérience. Et si
d’aventure, ils ne connaissent pas un mot ou deux, ce sera pour eux l’occasion de les
apprendre. Je crois qu’il faut éviter d’être réducteurs en leur proposant des textes trop
faciles.
Fiches d’activités disponibles et
www.editionsdelisatis.com.
téléchargeables
gratuitement
depuis
le
site :
***
11
LE LIVRE À PORTÉE DOCUMENTAIRE
Susane Duchesne, libraire
Susane Duschene, libraire, est diplômée en bibliothéconomie de la Southern Alberta
Institute of Technology (SAIT). Elle possède aussi un Baccalauréat en anthropologie de
l’Université de Montréal. D’abord Bibliotechnicienne dans les écoles de l’Alberta (10
ans), elle est présentement vice-présidente de IBBY Canada (International Board on
Books for Young People).
Comment le documentaire permet-il l’épanouissement de l’identité culturelle et
favorise la découverte des autres cultures?
Le développement personnel et social de chacun permet la construction de l’identité.
C’est un processus au cours duquel la personne se reconnaît et se définit par sa façon de
réfléchir, d’agir dans le milieu où elle évolue. Cette construction identitaire se construit
tout au long de l’existence par l’observation, la perception et la curiosité. Par le
documentaire, le lecteur alimente cette curiosité et du fait permet la construction de
l’identité culturelle. Le documentaire permet de faire le lien entre l’ici et l’ailleurs. Les
autres cultures réveillent souvent un goût pour l’exotisme, la curiosité, mais aussi la peur.
Quand nous parlons des autres cultures, on ne parle pas nécessairement des peuples
d’autres pays. Ça peut aussi bien être les gens d’un autre quartier ou du village d’à côté
qui vivent différemment de nous à cause de leurs valeurs ou de leurs coutumes. Nous
insistons beaucoup sur la différence, mais très peu sur les ressemblances. Qu’avons-nous
de commun avec les Français, les Chinois, les Amérindiens? Il peut être très intéressant
de faire la liste des ressemblances que nous partageons. En regardant les ressemblances,
l’autre paraîtra plus près de nous, peut-être un peu moins perturbant. Le documentaire
nous permet soit géographiquement, culturellement, physiquement ou socialement de
comparer ces ressemblances et ces différences
Réseau de lecture
Un réseau, passons d’un livre à l’autre : un jardin grand comme le monde!
État de la situation du documentaire au Québec
Le documentaire au Québec n’est pas un médium très développé. Il demeure un outil cher
à réaliser compte tenu du coût des illustrations, des techniques de reproduction et de la
difficulté à trouver les spécialistes qui sont bons pédagogues tout en étant bons
vulgarisateurs. Les maquettes relèvent d’un travail très qualifié. Les éditeurs publient
donc souvent plusieurs titres sous forme de collection, cela permet de rentabiliser la
maquette, mais aussi à l’acheteur d’identifier le produit. Même les éditeurs européens ont
souvent recours aux achats de droit, coproductions internationales telles que
Dorling-kindersley/ Gallimard ou aux coéditions et à l’impression de faibles tirages afin
de réduire les coûts de production. Quelques éditeurs d’ici s’y attaquent quand même et
réussissent bien ce qu’ils font. On pense à Michel Quintin avec les Savais-tu? et les
Connais-tu?, Broquet, Québec-Amérique, Dominique & cie, Hurtubise et Héritage qui
font surtout des achats de droits.
12
Quelques inconvénients : Comme les tirages sont modestes, les livres sont rapidement
épuisés et rarement réimprimés. Les mises à jour sont peu fréquentes. Les mêmes sujets
sont repris d’un éditeur à l’autre, c’est ainsi que plusieurs collections nous offrent les
mêmes sujets tels que les dinosaures et l’Égypte.
Documentaires comme objet de lecture et non seulement de recherche
Avant de se lancer dans l’utilisation du documentaire et de voir comment il peut présenter
un intérêt pour la découverte de l’autre, l’autre se différenciant en fonction des
caractéristiques culturelles, géographiques et sociales, il est important de considérer
comment le documentaire est structuré.
Je ne m’attarderai pas ici à faire une grille d’analyse du documentaire, mais je présenterai
quelques pistes de réflexion afin de trouver des façons de construire une démarche qui
prend le temps de s’arrêter pour utiliser et apprendre à découvrir le documentaire.
Pourquoi et comment utiliser le documentaire comme objet de lecture?
Le documentaire peut servir d’approche pour emmener le jeune lecteur vers le plaisir de
lire tout en développant son esprit critique. On oublie souvent qu’il permet à l’enfant de
rêver. La lecture du documentaire est une lecture à part entière, il met en place des
situations de lecture intéressante. Lorsqu’on parle de lecture, le roman, l’album ou la BD
nous viennent à l’esprit, mais rarement le documentaire, son utilisation semble plutôt
secondaire lorsqu’on parle de lecture. On s’en sert pour faire de la recherche, mais
rarement pour lire. Sa lecture permet un échange qui peut être riche en interprétation,
débats et confrontation d’idées. Les garçons sont souvent attirés par le documentaire,
plusieurs se lassent rapidement à la lecture d’un roman, la lecture du documentaire
constitue donc une alternative très stimulante pour eux. On trouve plusieurs collections
qui réunissent le documentaire et la fiction (ex: Casterman et Albin Michel). On a aussi
de plus en plus recours au témoignage et à l’humour.
Comment choisir un documentaire et préparer un enfant à la lecture d’un
documentaire?
L’enfant a besoin de feuilleter le livre pour se familiariser avec l’objet, l’histoire ou son
contenu. Ça lui permet de se faire ce que le livre peut lui apporter en tant que plaisir et
connaissances.
Organisation générale
L’organisation du livre en chapitres, le nombre et l’importance de l’illustration, taille du
livre sont des éléments qui peuvent sembler anodins, mais qui en fait sont déjà un
élément déclencheur à la découverte. Si le livre n’attire pas, souvent on a tendance à n’y
rien trouver. D’où l’importance de présenter plusieurs livres traitant du même sujet.
Structure
Comment le livre est-il organisé? Y-a-t-il un index, une table des matières? Le titre, le
sous-titre et le nom de la collection sont-ils attrayants?
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Mode de présentation du texte
Contrairement au roman ou à l’album, le documentaire présente le texte de différentes
façons. Il n’y a pas un texte, mais des textes. On n’a pas à lire tous les éléments présents
dans le texte, on peut faire une lecture de survol. Cette lecture est bien différente de celle
d’un livre de fiction, elle peut être très stimulante pour l’enfant ou il peut se sentir perdu
dans cette façon d’aborder une lecture.
Présentation et construction de l’image
L’analyse de l’illustration peut s’avérer difficile. On remarquera d’abord le type qui a été
choisi, est-ce des dessins, des photos, des images numériques on peut discuter de la
pertinence du choix? On voudra travailler l’observation.
On devient lecteur quand on peut passer d’un livre à un autre. Ainsi se forme un réseau
de livres. Il y a une démarche qui nous permet de comprendre ce qu’on a lu et d’attendre
d’un prochain livre qu’il vienne compléter une lecture précédente. C’est cette démarche
que nous verrons dans quelques instants.
Les collections actuelles de documentaires sont très diversifiées et permettent la
comparaison, le lecteur s’aperçoit qu’il n’y a pas une vérité absolue, que les livres
apportent parfois plus de questions que de réponses, cela permet aux enfants de devenir
plus critiques face à ce qu’on leur présente. Même si les livres choisis s’adressent à un
certain groupe d’âge, on voudra présenter une vaste variété de titres à tout âge. Comme le
lecteur n’a pas à lire le texte en entier, il pourra choisir l’information qui lui convient et
peut-être y revenir plus tard.
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TABLE RONDE
Table ronde ayant pour thème « Quand le livre devient un pont entre les cultures »,
animée par Ariane Émond et avec la participation de Badiâa Sekfali, Kees Vanderheyden
et Michel Noël.
Badiâa Sekfali
Originaire d’Algérie, Badiâa Sekfali consacre sa vie à l’enseignement du français.
Comme cette langue est le véhicule d’une culture francophone aux multiples facettes
polies dans les différents pays traversés, elle permet la communication et la
compréhension entre les peuples. C’est dans ce but qu’elle écrit des contes algériens pour
enfants, pour faire connaître la culture de son pays d’origine et favoriser ainsi un
rapprochement culturel entre des lecteurs qui, se connaissant mieux, apprendront à
s’apprécier mutuellement.
Kees Vanderheyden
Kees Vanderheyden est né à Tilburg, dans les Pays-Bas. Sa famille a choisi d'émigrer
pour s’installer au Canada en 1954 grâce aux Canadiens qui ont libéré leur pays en 1944.
Aujourd'hui, la majeure partie de sa famille habite la région de Toronto. Pour sa part, il a
choisi de vivre au Québec. Il a fait ses études primaires et collégiales en Hollande, ses
études supérieures à Ottawa et à Montréal. Il fut professeur, journaliste, planificateur et
concepteur d'idées. Kees Vanderheyden a travaillé pendant 25 ans pour Radio-Québec,
principalement comme responsable de la planification et du développement. Depuis plus
d’un an, il est directeur du Centre de la Nature du Mont St-Hilaire. Sa vie est axée vers
deux grands pôles d’attraction : l’enfant et la nature.
Michel Noël
Michel Noël se définit lui-même comme étant « un Québécois d'origine amérindienne ».
Il considère que sa culture première est amérindienne, car il a vécu les 14 premières
années de sa vie en milieu algonquin dans le parc de La Vérendrye et la grande région de
l'Abitibi. Michel Noël, en plus d'être un universitaire, est aussi un homme de terrain : il
passe la majeure partie de son temps dans les réserves ou sur les territoires ancestraux. Sa
production littéraire est imposante et variée : plus de cinquante livres comprenant des
albums pour enfants, des livres d'art ou d'artisanat, des pièces de théâtre, de la poésie, des
romans pour adultes ou de littérature jeunesse. Il a remporté plusieurs prix au cours des
années, dont celui du Gouverneur général du Canada en 1997, pour l'excellence de son
oeuvre et sa contribution à l'harmonisation des relations entre les peuples. Michel Noël
est un excellent communicateur. Il se dit lui-même « conteur » comme l'étaient ses
ancêtres et il affirme que son rôle est de transmettre aux autres, particulièrement aux
jeunes, toutes les connaissances, la sagesse et le savoir dont il a hérité de ses parents et
grands-parents. Michel Noël a été nommé Citoyen du monde par l'Association
canadienne pour les Nations Unies (ACNU) pour son implication à la recherche d'une
meilleure entente entre les personnes et les peuples. En 2002, il reçoit la médaille de
reconnaissance du Sénat pour son apport à la promotion de la langue et de la culture
françaises. En 2008, il reçoit le Prix Saint-Exupéry, Valeurs Jeunesse 2008 pour la
catégorie « Francophonie ».
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Quarante-cinq minutes d’échanges s’ensuivent, obtenant le point de vue des participants
sur les questions suivantes :
#1 Nommez dans un premier temps quelques éléments de votre trajectoire
personnelle, où vous avez grandi, votre rapport aux livres, etc. Et pourquoi la
dimension interculturelle est-elle inscrite dans votre réflexion si profondément?
#2 Ensuite, pourquoi selon chacun de vous, le livre est un outil privilégié pour
construire des ponts interculturels?
#3 Enfin, donnez-nous des exemples d’utilisation du livre dans vos activités, ce qui
fonctionne le mieux, là où parfois ça va moins bien.
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LIRE, EXPLORER ET JOUER AVEC LE KAMISHIBAÏ
Marc-André Berthold, animateur
Marc-André Berthold est diplômé en interprétation de l’École supérieure de théâtre.
Marionnettiste depuis 2004 pour le Théâtre la Simagrée, il compte plus de
300 représentations comme manipulateur et interprète. Il a coécrit le livre pour enfant
La légende de Barbe d’Or publié en 2008 sous l’étiquette de Planète rebelle, livre dont il
signe également la composition musicale et l’adaptation pour la scène. Il parcourt
également depuis 2010 les festivals du Québec, avec les Cyclotraquées, une formation
artistique de la compagnie Espace Forain. Passionné par l’art du conte, Marc-André
collabore actuellement avec Lis avec moi pour explorer et faire découvrir le kamishibaï
au plus petit comme au plus grand.
Histoire du kamishibaï
Dans sa définition la plus simple, le kamishibaï est un support japonais servant à appuyer
visuellement un conte par un jeu d’image. D'ailleurs, le mot kamishibaï signifie « jeu
théâtral en papier. » Bien qu’on date l’invention du kamishibaï aux années 1930, il en est
l’héritier d’une longue tradition de conteur japonais. Dès le début du VIII siècle, les
bonzes bouddhistes racontaient, à l’aide d’images, des contes religieux pour convertir les
paysans illettrés. Au IX siècles Murasaki Shibiku, écrivit le premier roman japonais,
Genji monogatari, dont 94 illustrations précédaient le texte et le
complétaient. Cette importance accordée à l’image est une
caractéristique fondatrice du kamishibaï. Aussi, l’esthétique
théâtrale du théâtre kabuki aurait influencé l’évolution du
kamishibaï. En effet, les premières histoires racontées par ce
médium étaient des adaptations d’histoires tirées du théâtre
kabuki. Dans ce théâtre, chaque personnage avait un maquillage,
un costume et une posture stéréotypée qui permettait au
spectateur de le reconnaitre au premier instant du spectacle. La
grande codification du théâtre kabuki se retrouve sous différents
aspects dans le kamishibaï.
En 1660, une nouvelle technique arriva de Chine. Des
ombres étaient projetées sur un rideau blanc par des torches
allumées et servaient de support pour raconter une histoire.
Cette technique, appelée ombre chinoise, demandait une
salle sombre, plusieurs manipulateurs ainsi qu’un ou
plusieurs conteurs. Souvent, les figurines projetées étaient
d’ailleurs tirées de fable du kabuki. Ce médium a bien
évolué avec les années, mais a décliné avec l’arrivée du
cinéma en 1895 où les salles sombres ont été mutées en salle
de cinéma. Des dizaines de milliers d’artistes employés se
sont convertis. Certains devinrent benshi, c'est-à-dire
narrateurs pour les films muets et d’autres trouvèrent dans le
kamishibaï une technique pour continuer à gagner leur vie
en racontant des histoires destinées à un public adulte.
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Hautement inspirées du kabuki, leurs histoires reprenaient les fables, les personnages, les
décors de ce théâtre populaire.
C’est vers la fin des années vingt que le premier
Kamishibaï destiné aux enfants fut inventé. Le
gaïto, conteur japonais, se promenait de ville en
ville avec son kamishibaï fixé à l’arrière de son
vélo. Arrivé à l’endroit approprié, il fixait sa
bicyclette avec des béquilles et frappait deux
bouts de bois ensemble pour attirer les enfants.
Sous le kamishibaï, un tiroir renfermait beignets
sucrés et friandises à base de patates douces. En
échange d’une pièce de monnaie, les enfants
pouvaient acheter une friandise et ainsi avoir le
privilège de s’assoir devant pour écouter l’histoire. Empruntant les procédés du cinéma
populaire, les histoires de kamishibaï se terminaient au moment le plus dramatique et les
enfants devaient revenir le jour suivant pour savoir la suite. C’était le cinéma des pauvres
et des enfants.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le
gouvernement japonais utilise le kamishibaï
pour faire de la propagande militaire. Utilisé
dans les maternelles pour stimuler le patriotisme
des petits Japonais, il était également transporté
dans les tranchées antiaériennes et les quartiers
dévastés. Il pouvait s’adresser autant qu’aux
adultes qu’aux enfants. À l’arrivée des
Américains,
les
kamishibaïs
furent
systématiquement détruits, car ils étaient trop
associés à la propagande japonaise.
Après 1947, plusieurs jeunes sans-travail devinrent conteurs et le kamishibaï connut un
regain d’intérêt. Au début des années 1950, le kamishibaï était si populaire que la
télévision était appelée denki kamishibaï – électrique kamishibaï. Cependant, l’arrivée de
la vie moderne entraîna peu à peu la disparition des conteurs de rue.
Au fur et à mesure que le Japon s’enrichissait, le kamishibaï était associé aux idées de
pauvreté et de régression. Les bonbons distribués par les bonshommes kamishibaï étaient
considérés néfastes pour la santé, tout comme certaines histoires racontées. Les parents et
les éducateurs exigeaient que le kamishibaï serve plutôt à des fins éducatives. C’est
pourquoi, de nos jours, les planches kamishibaï publiées au Japon sont principalement
vendues aux écoles et aux bibliothèques.
Caractéristique du Kamishibaï
On nomme butaï le castelet en bois dans lequel on glisse les
images une à une. L’arrière du butaï est ouvert pour laisser la
possibilité de lire le texte et l’avant dévoile l’image au
spectateur. Trois portes permettent de cacher l’image aux
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spectateurs ajoutant des possibilités pour raconter l’histoire, mais également pour faire du
bruitage. Parfois, il se ferme complètement et se transporte comme une valise. Les
matériaux utilisés pour construire un butai sont
multiples : bois, contre-plaqué, carton. Il serait bien sûr
possible de lire les histoires de Kamishibaï sans butaï
en tenant les images dans les mains, mais cela
enlèverait une grande théâtralité à ce type de conte. En
effet, le butai sépare de façon claire le monde de la
réalité extérieur et celui de la fiction. En encadrant
l’image, il focalise l’attention du spectateur. D’ailleurs,
il est important que les portes soient neutres pour ne pas
distraire l’attention du spectateur.
Les dimensions du butaï sont multiples, mais correspondent toujours au format d’image
pour lequel ils sont construits. Les éditions Callicéphale publient leurs histoires en format
37 x 27,5 cm. On peut les retrouver facilement au Québec. Chaque image est conçue sur
un carton assez rigide et est numérotée, afin de vérifier l’ordre avant la représentation.
Pendant que le recto du carton montre une illustration au public, le verso comporte une
image miniature ainsi que le texte associé à cette image permettant au conteur de faire
des allusions à l’image sans la regarder.
Jeu d’image
L’une des spécificités du kamishibaï est la possibilité de superposition d’images. La
transition d’une image à l’autre peut se faire de diverses façons. Le conteur qui retire
rapidement l’image pour dévoiler la suivante offre un effet de surprise. Parfois, la
transition peut se faire très lentement, en douceur pendant que le narrateur raconte ce qui
donne l’effet d’un fondu enchainé. À ce sujet, des didascalies indiquent parfois la façon
de procéder au conteur. Parfois, l’image doit être retirée en plusieurs coups. Une ligne à
l’arrière du carton indique les endroits où arrêter pour bien réaliser le jeu de superposition
d’images. UN autre procédé intéressant, est de faire des aller-retour avec la même image
pour créer un effet de répétition. En ce sens, il est important que le conteur soit attentif
aux indications, car parfois la compréhension de l’histoire en dépend. Il sera profitable
d’utiliser différents rythmes pour captiver son auditoire.
Le spectacle
Voici les étapes de préparation avant de présenter un conte.
1) Prendre connaissance de l’histoire
2) Se pratiquer devant un miroir pour pratiquer les transitions
3) Bien vérifier l’ordre des images
4) Raconter
D’autres aspects doivent être pris en considération pour maximiser votre présentation.
L’ambiance et le décor sont très importants. Éviter un endroit trop encombré d’objet et de
distractions visuelles. Un fond neutre serait le meilleur choix, et si cela est possible vous
pouvez installer un drap noir suspendu pour créer une ambiance théâtrale. Le butaï doit
être installé sur une table à bonne hauteur pour le confort des enfants, mais également
pour le vôtre, afin d’avoir une lecture et une manipulation faciles. Une petite lumière
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dirigée vers le butaï avec une ambiance sombre rajoutera une ambiance qui aidera à la
concentration des enfants.
Raffinez vos présentations par ce que vous savez faire. Changez votre voix pour
interpréter différents personnages. La musique et le bruitage se prêtent aussi très bien au
kamishibaï. Vous n’êtes pas musicien? Installer un lecteur CD ou mp3 à l’arrière du butaï
et accompagner certains passages avec de la musique. Aussi, vous pouvez ponctuer votre
présentation par des questions et des échanges avec les enfants. Tout est possible, il suffit
de laisser libre cours à votre imagination. L’important est de vous amusé et les enfants
s’amuseront avec vous. Aussi, si vous vous sentez à l’aise, il peut être très bénéfique
d’adapter l’histoire à son propre langage. Le texte sera plus encré dans votre oralité
personnelle et les enfants plus suspendues vos lèvres.
Porter la plus grande attention au commencement de votre spectacle. Anciennement, les
bonshommes Kamishibaï heurtaient deux bouts de bois ensemble pour attirer les enfants.
À ce propos, vous pouvez vous procurer des claves pour moins de 20$ pour ainsi
commencer votre présentation par ce rituel. L’ouverture des portières ne doit pas être
dénudée de sens. Théâtraliser chaque mouvement. Par exemple, faites souffler les enfants
pour ouvrir les volets ou bien allez-y avec de grands mouvements lents pour donner un
caractère sacré à l’histoire que vous allez conter. Le kamishibaï offre beaucoup de
possibilités de création artistique.
Si jamais la mise en scène et l’expression orale ne sont pas votre force. Le Kamishibaï
peut vous être fort outil pour rendre vos lectures plus dynamiques. Cacher derrière le
Kamishibaï, vous vous sentirez moins intimidé par les enfants et vous aurez toujours le
texte pour vous appuyer
Adaptation pédagogique
En plus d’être un médium pour raconter et divertir, le kamishibaï est un outil
pédagogique extraordinaire. Le pédagogue peut développer un long projet
multidisciplinaire avec les enfants où chacun pourra exprimer ses forces.
1. Écriture de l’histoire
L’élève apprend à structurer son histoire dans le but d’en faire un spectacle. Il
peut même intégrer des dialogues.
2. Recherche
L’élève peut enrichir son histoire avec une recherche historique ou géographique.
Aussi le Kamishibaï peut être un outil formidable pour présenter une recherche
sur un sujet donné par le professeur.
3. Le découpage de l’histoire
L’élève apprend à structurer sont histoire en choisissant quelle image il décide
d’illustrer. L’élaboration d’un plan, d’un « story-board » peut être très utiles et
permet de faire des parallèles avec le monde du cinéma.
4. Le bricolage et le dessin
La construction et la décoration d’un butaï ainsi que le dessin des images intègre
les arts plastiques au projet.
5. La mise en scène du spectacle
L’élève peut intégrer bruitage, musique, dialogue.
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Fabrication d’un kamishibaï par des enfants
http://solaize.elementaire.free.fr/images/stories/Harris_Burdick/Kamishibai/index.html
Commande d’histoire
Référez-vous à votre libraire, mais voici un site formidable pour la recherche d’histoire :
http://www.callicephale.fr/
Pour commander un butaï au Québec, contactez Lydia Turgeon du réseau BIBLIO
Abitibi-Témiscamingue Nord-du-Québec. Par téléphone au 819-762-4305 poste 22 ou
par courriel : [email protected].
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LIRE LA BD POUR DÉCOUVRIR LE MONDE
François Mayeux, libraire spécialisé en bandes dessinées
François Mayeux, oeuvre depuis plus de 20 ans dans le milieu de la bande dessinée
comme libraire spécialisé, attaché de presse, membre de différents jurys. Il a également
été collaborateur aux ouvrages La Bibliothèque des enfants et La Bibliothèque des jeunes
pour la section Bande dessinée.
Découvrir les autres à travers la Bande dessinée
1) Découvrir les autres : premiers lecteurs
Suggestions : Polo, Max et Lili, Tao le Samouraï
2) Découvrir le monde qui change
Suggestions : Boule et Bill, Cédric, Titeuf
3) Découvrir l’univers des personnages féminins
Suggestions : Lou, Les Nombrils, Les Sisters
4) Découvrir qui nous sommes
Suggestions : Paul, Magasin Général, Radisson
5) Découvrir le monde
Suggestions : Jules, Ensteban, Agaguk, Aya de Yopougon, Persepolis, Carnets
d’Orient
6) Découvrir la différence
Suggestions : Des mots pour le dire, la Fille invisible, Tout Seul, Là où vont nos
pères, Journal d’un remplaçant
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LIRE LA DRAMATURGIE
Aficionado et son comité des jeunes lecteurs
Valérie Charland, représentante pour le Théâtre Bluff
Comédienne de formation, Valérie Charland a un amour indéfectible pour le public
adolescent. Elle collabore, depuis 2006, au développement de public et à la médiation
culturelle pour 2 organismes lavallois s'adressant à eux: La Rencontre Théâtre Ados et Le
Théâtre Bluff. C'est avec le Théâtre Bluff, qui fait du théâtre de création s'adressant aux
14 ans et plus, qu'elle développe pendant la saison 2008-2009 le projet AFICIONADO :
Comité des jeunes lecteurs. Un prétexte formidable pour lire du théâtre, échanger,
communiquer et rêver avec les adolescents, groupe d'âge qui fait peur à certains, et qui
nous pousse sans cesse au dépassement
Présentation de l’organisme
Théâtre Bluff a 20 ans cette année! Fondé en 1990, le Théâtre Bluff est une compagnie de
création contemporaine qui privilégie la prise de parole d’auteurs abordant les grands
enjeux actuels et susceptibles de rejoindre, par leurs préoccupations thématiques ou
esthétiques, les adolescents et les jeunes adultes. Convaincue que la dramaturgie
contemporaine constitue la meilleure voie pour intéresser la jeune génération au théâtre,
la compagnie, par ses activités de recherche, de création et de médiation artistiques,
invente constamment de nouvelles avenues pour que naisse un dialogue fécond entre les
artistes qu’elle accueille et ses divers publics.
Axes d’intervention
Tradition de directeurs artistiques dramaturges
Recherche et développement dramaturgique. Par des projets de résidences, des ateliers de
développement, des lectures publiques et un suivi dramaturgique rigoureux, la compagnie
contribue de façon active à l’émergence de voix neuves et singulières.
S’embrasent
La production et la diffusion de spectacles. Ayant créé au total dix spectacles, la
compagnie a mis sur pied un vaste réseau de tournée qui lui permet de diffuser ses
créations au Québec et au Canada francophone. Avec S’embrasent, on ajoute l’Europe,
deux sorties cette année avec 70 représentations.
Aficionados
La médiation artistique. Il y a avait déjà eu des projets de médiation. Lectures,
laboratoires, plus de la transmission qu’un projet soutenu.
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Un comité de lecteurs, qu’est-ce que c’est?
• Modèle des théâtres professionnels
• Aficionado - Le comité des jeunes lecteurs
Définitions d’Aficionados
À l'origine, passionné de courses de taureaux. Désigne maintenant dans le langage
courant quelqu'un qui aime quelque chose avec ferveur et de dramaturgie (techniques de
composition et d'écriture de l'art dramatique)
Aficionado - Comité des jeunes lecteurs du Théâtre Bluff
• En quoi la dramaturgie est-elle un support qui intéresse les ados?
• Médium qui donne la parole à..
• Beaucoup de place à l’interprétation, ils n’y sont pas habitués, mais lorsqu’ils
comprennent, ils apprécient davantage le médium.
Quel est le véritable enjeu d’un tel choix pour les jeunes lecteurs? Tous et toutes étaient
unanimes : « faire prendre conscience aux ados que le théâtre n’est pas une affaire de
bourgeois; que ça fait appel aux émotions, que c’est bon! » Pour ce faire, les critères
retenus pour la sélection ont d’abord été l’originalité et le sens du texte. Plus précisément,
comment les auteurs ont-ils abordé les thèmes? Comment les spectateurs, dont les jeunes
lecteurs font également partie, risquent-ils de recevoir la proposition?
Les étapes d’implantation
• Web 2.0
• Ce que ça implique pour l’organisme
Accès aux textes et aux professionnels
Discussion
• Comment percevez-vous une initiative comme celle-là chez vous?
• Quelles sont vos difficultés à rejoindre le public adolescent?
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CONTE D’ICI ET DU MAGHREB
Myriame El Yamani, conteuse
Originaire du Maroc, nomade dans l’âme et pour vrai, Myriame El Yamani a flâné sur
plusieurs continents à la recherche de ce métissage des cultures et des rêves de
l’humanité. Elle en a ramené des sons et des images uniques qu’elle partage avec passion.
Tour à tour journaliste, critique de cinéma, chercheuse, conférencière, chargée de cours,
animatrice, conteuse et écrivaine, la parole est au centre de sa vie.
Elle nous fait partager entre autres les contes : Les Babouches d’Abou Kassem et La
petite souris bilingue.
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