CONTRAT D`ÉDITION
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CONTRAT D`ÉDITION
PHOTOS OLIVIER DION CONTRAT D’ÉDITION Auteurs/éditeurs : A nouveau dans l’impasse, les négociations entre auteurs et éditeurs sur le contrat numérique ont buté sur la durée de cession des droits et la rémunération. La ministre de la Culture veut reprendre le dossier mais, faute de consensus, la réunion du CSPLA qui devait approuver le projet est repoussée à l’automne. HERVÉ HUGUENY 14. A la fin de juin, le projet d’accord « sur le contrat d’édition à l’ère numérique » était plus proche de la reconversion en confettis que de la consécration au champagne, alors qu’il était annoncé quasi signé au Salon du livre. Au lieu d’en arriver à d’aussi regrettables extrémités, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), qui supervise les discussions entre le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le Syndicat national de l’édition (SNE), a sagement décidé de repousser sa réunion plénière prévue le 12 juillet prochain. Auteurs et éditeurs s’y seraient renvoyé la responsabilité de l’impasse dans laquelle se trouvent de nouveau leurs négociations, relancées en septembre 2011 après quatre années d’échanges infructueux. Dans son discours suivant l’assemblée générale du SNE, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, a aussi jugé bon « de marquer une pause », en rappelant les éditeurs à leurs responsabilités, notamment en matière de rémunération, et en s’inquiétant de la radicalisation des auteurs (qu’elle n’avait pas encore rencontrés). 1. Pourquoi rediscuter le contrat d’édition ? En novembre 2007, Alain Absire, alors président de la Société des gens de lettres (SGDL), avait ouvert le débat dont les termes ont peu évolué depuis. Faut-il un contrat séparé pour le numérique ? La durée d’exploitation concédée doit-elle rester identique à l’usage établi pour Livres Hebdo n° 917 - Vendredi 6 juillet 2012 pourquoi ça coince? Livres Hebdo n° 917 - Vendredi 6 juillet 2012 LaurePécher:ilfautpouvoir reprendrelesdroitssilesventes passentsousles50exemplaires DR l’imprimé, soit toute la durée de la propriété intellectuelle prenant fin soixante-dix ans après la mort de l’auteur ? Enfin, pour l’auteur, qu’estce qu’une rémunération « juste et équitable » ainsi que le stipule le récent article L132-5 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) ? La loi de 1957 ne prévoyait évidemment pas la commercialisation d’un livre sous forme numérique, pas plus que le Code des usages signé en décembre 1980. La fameuse clause d’avenir, introduite au début des années 2000, affirmant que l’exploitation est concédée sur « tous supports et par tous procédés actuels et futurs », est pour le moins incertaine juridiquement. Et de toute façon, elle ne définissait pas de montant de rémunération pour lesdits moyens encore inconnus au jour de la signature. Il fallait donc discuter d’un avenant. Depuis la fin des années 2000, les contrats d’édition contiennent des clauses relatives à l’exploitation numérique, d’abord alignées sur celles du livre imprimé. Quelques éditeurs proposent maintenant une rémunération à peu près égale en valeur absolue entre les deux /// Laure Pécher, agence Pierre Astier. Au cœur de l’ultime différend entre le CPE et le SNE, la notion d’épuisement d’un livre papier ne peut plus s’analyser de la même façon, estime Laure Pécher, responsable des questions juridiques à l’agence Pierre Astier. « Avec l’impression à la demande, qui permet de maintenir un ouvrage en disponibilité permanente, le stock n’est plus un critère d’appréciation. Ce qui compte, c’est la commercialisation », souligne-t-elle. Dans les contrats, elle négocie donc une clause prévoyant qu’un auteur pourra récupérer ses droits si les ventes de son livre passent sous les 50 exemplaires pendant deux années de suite, après les deux premières années d’exploitation. Avec des modalités différentes, cette disposition existe d’ailleurs dans le code des usages signé en… 1980. « L’activité du fonds et la façon dont l’éditeur l’entretient est la question importante », insiste Laure Pécher. Elle dispose d’exemples de titres relancés dans de petites maisons (Murambi, le livre des ossements de Boubacar Diop, 4 000 exemplaires depuis sa réédition chez Zulma), après avoir été oubliés dans une grande, mais l’inverse existe aussi (Meurtres pour rédemption de Karine Giebel, 15 000 exemplaires depuis sa reprise chez Fleuve noir). La gestion du fonds deviendra une part grandissante du métier d’agent, estime Laure Pécher, réservée quant à l’autoréédition numérique, qui suppose aussi un gros travail d’autopromotion par l’auteur. « Mais surtout, plus les éditeurs rigidifient leur position, plus ils nous donnent du travail », constate-t-elle. < 15. ÉVÉNEMENT Tombés d’accord en mars sur les principes d’un contrat d’édition à l’ère numérique, le CPE et le SNE ont divergé en mai sur la modification d’un seul article du Code de la propriété intellectuelle (CPI), le L132-17, qui n’est pas qu’un détail. Ses 2e et 3e alinéas actuels définissent les modalités de reprise des droits d’un livre épuisé, sans distinguer sa forme : ils datent de l’ère anténumérique. Laissé en l’état, ce texte rédigé en 1957 pouvait entraîner, en cas d’épuisement du seul livre imprimé, la récupération des droits numériques, même s’ils étaient bien exploités. Ayant pris conscience du risque, les éditeurs juridiques et scientifiques ont fait ajouter un alinéa clarifiant la situation. Les auteurs littéraires se sont sentis coincés : avec des contrats calés sur toute la durée de la propriété intellectuelle, ils se voient liés à vie, pour l’exploitation numérique, à des éditeurs qui leur abandonneraient éventuellement des droits imprimés dont ils ne sauraient que faire. Ne pas dépendre des droits imprimés. Pour les éditeurs de tous les secteurs, il est utile de préserver un avenir qui verrait une œuvre maintenue disponible en ebook, après une première phase de vie commerciale sous la forme classique d’ouvrages imprimés qu’il ne serait ensuite plus indispensable de conserver en stock. Mais pour les groupes d’édition scientifique, juridique et technique, cet avenir se conjugue déjà au présent : la nature de leurs contenus est plus adaptée à un support numérisé qu’imprimé, moins indispensable en lecture professionnelle. Il est donc primordial pour eux de ne pas dépendre des droits imprimés pour conserver ceux du numérique, d’autant qu’une partie de leurs auteurs, en science notamment, sont en révolte contre les tarifs d’abonnement aux contenus dématérialisés. < supports. Les jeunes auteurs signent tout sans discuter. Ceux qui ont déjà quelques livres au compteur se montrent méfiants. Daniel Pennac, auteur de la saga Malaussène et d’un récent prix Renaudot, a ainsi confié à son avocat la négociation de ses avenants avec Gallimard. Paul Fournel n’a pas plus cédé l’exploitation numérique d’Anquetil tout seul, qui vient d’être publié au Seuil, et refuse tout avenant sur ses livres antérieurs. « Triste mais pas surpris de l’échec des discussions entre auteurs et éditeurs », il a fait une exception pour La liseuse, publié chez P.O.L, eu égard au thème du livre – le portrait d’un éditeur confronté à l’irruption d’une machine à lire. C’est pour éviter cette disparité que les repré- /// 16. 2. Sur quoi sont-ils d’accord ? Auteurs et éditeurs ont accepté le cadre et le principe des discussions. Instruits par l’échec des échanges précédents, ils se sont placés sous l’égide du CSPLA, qui dépend du ministère de la Culture. Celui-ci a désigné une commission de 36 membres, présidée par Pierre Sirinelli, professeur de droit spécialiste de la propriété intellectuelle, secondé par Anissia Morel, conseillère d’Etat. Ramenée à un groupe restreint de négociateurs uniquement concernés par le livre (car l’article « contrat d’édition » du Code de la propriété intellectuelle s’applique aussi aux œuvres audiovisuelles et musicales), cette commission s’est réunie jusqu’à deux fois par mois depuis septembre. Auteurs et éditeurs se sont aussi entendus pour limiter les modifications du CPI, nécessitant une loi et donc un vote au Parlement, et pour renvoyer les modalités d’application du nouveau contrat dans un code des usages, validé par le ministère de la Culture et qui s’imposerait à tous. Les représentants du CPE et du SNE s’accordent à dire qu’ils ont consenti de nombreuses et considérables concessions, en sous-entendant, chacun de leur côté, que les leurs sont plus importantes que celles de leur vis-à-vis. « Les auteurs ont abandonné leur souhait d’avoir deux contrats séparés, avec des droits numériques à durée limitée », souligne Jean Claude Bologne, président de la SGDL, un groupement d’auteurs qui compte, mais qui doit aussi composer avec les 16 autres organisations constituant le CPE. Auteurs et éditeurs ont néanmoins trouvé un terrain commun à propos d’une clause de rediscussion des conditions économiques du contrat. Ils ont aussi approuvé la création d’une commission de conciliation. Ils ont évacué un différend surgi à propos du caractère automatique de l’éventuelle reprise des droits numériques. Et ils ont défini l’exploitation permanente et suivie d’un ebook : l’œuvre doit être exploitée dans sa totalité sous une forme numérique, figurer au catalogue de l’éditeur, dans un format technique compatible avec les usages du marché et accessible sur un ou plusieurs sites – la non-observation d’un de ces critères entraînant la perte des droits numériques par l’éditeur. droits numériques ne sont pas exploités, l’éditeur peut garder les droits imprimés ; par contre, si les droits imprimés ne sont pas exploités, l’éditeur perd tout le contrat », déplore le SNE, qui juge ce point non négociable. Pour les auteurs, il ne s’agit que d’une bonne logique juridique, découlant de la volonté des éditeurs de maintenir un seul contrat, à partir des droits imprimés qui commandent tout le reste. Derrière cette crispation, c’est la question de la durée qui resurgit : la fluidité du numérique ligote les auteurs qui ne pourront plus compter sur les ruptures d’exploitation du papier pour récupérer des droits que leur éditeur conserverait soixante-dix ans après leur mort… « On enlève une soupape de sécurité », analyse Jean Claude Bologne. Philippe Robinet, récent cofondateur de Kero, entend cette préoccupation Pour les maisons de littérature générale, cet usage très français de cession des droits pour la durée de la propriété intellectuelle est une garantie de stabilité à laquelle il apparaîtrait aberrant de renoncer, alors que se profile une grande période d’incertitude. 3. Sur quoi ça bloque ? Tout s’est grippé à propos de la réciprocité de récupération des droits : « Certains représentants d’auteurs ont contesté la symétrie et la cohérence du contrat : selon eux, si les OLIVIER DION L’ARTICLE DE LA DISCORDE sentants des auteurs souhaitent une adaptation du Code de la propriété intellectuelle, à laquelle les éditeurs ont aussi intérêt, pour lever les blocages exercés par leurs auteurs les plus expérimentés. ÉVÉNEMENT et propose un contrat de vingt ans renouvelable pour l’imprimé, et une clause de rediscussion pour le numérique. Mais le SNE, comme le CPE, doit aussi faire la synthèse d’approches différentes. Pour les éditeurs juridiques et techniques, le numérique est déjà primordial, et il n’est pas question d’en soumettre l’économie à celle de l’imprimé (voir encadré p. 16). Pour les maisons de littérature générale, cet usage très français de cession des droits pour la durée de la propriété intellectuelle est une garantie de stabilité à laquelle il apparaîtrait aberrant de renoncer, alors que se profile une grande période d’incertitude. Dans l’interview ouvrant le numéro de la revue Le Débat consacré au livre et au numérique, Antoine Gallimard explique ainsi la longévité de la maison qu’il dirige : « La clé de voûte d’un tel dispositif, son principe de stabilité, c’est la nature et la durée des droits cédés par l’auteur dans le cadre du contrat d’édition. » Alors président du SNE, le P-DG de la première maison française par la nature de son fonds s’était montré très attentif à cette question, tout comme Paul Otchakosvky-Laurens. Président du groupe Littérature au SNE, éditeur représentant ses pairs au CSPLA, patron d’une maison aussi très littéraire et filiale de Gallimard, attaché à l’intégrité de son catalogue, « P.O.L » est assurément plus sensible à la durée des droits qu’un de ses homologues spécialisés dans le pratique ou les documents d’actualité. Mais ce qu’ils refusent aux auteurs indigènes, les éditeurs français l’accordent aux auteurs américains ou anglais, pour lesquels il serait ahurissant de céder leurs droits numériques, et même imprimés, jusqu’à la deuxième ou troisième génération de leur descendance. Avec leurs agents, Antoine Gallimard estime même qu’un contrat « d’au moins dix ans » serait un progrès par rapport à la brièveté des engagements actuels. 4. Quels scénarios pour la sortie de crise ? « Les éditeurs gardent l’espoir qu’un accord reste possible », selon le SNE, qui maintient cependant sa position concernant la rétrocession des droits. Aussi en désaccord avec certains points concernant la rémunération des auteurs, le CPE a pour sa part déclaré qu’il ne voit d’autre solution que le retour à ses demandes initiales : « un contrat séparé pour l’édition au format numérique et une durée limitée (trois ans) pour la cession des droits numériques ». Une position qui inquiète la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, à qui son administration déconseille de se lancer dans un projet de loi non consensuel : « Les amendements des parlementaires partiraient dans tous les sens, ce serait ingérable », prévient-on au Service du livre et de la lecture. La ministre veut donc reprendre le dossier et espère revenir « après l’été avec de nouvelles propositions ». La réunion du CSPLA serait reprogrammée, dans une atmosphère pacifiée, début octobre. < Livres Hebdo n° 917 - Vendredi 6 juillet 2012 Editer c’est un métier, même pour les auteurs S ur le Kindlestore d’Amazon, sœur Blandine et ses enquêtes policières menées en bord de Saône retrouvent une seconde vie, et caracolent depuis trois mois en tête des meilleures ventes de livres numériques du site. « J’avais récupéré mes droits assez rapidement, après avoir rompu avec Le Masque, éditeur de mes premiers titres avec ce personnage, au début des années 2000. De nombreux lecteurs me redemandaient ces livres, qui n’étaient plus exploités. Amazon m’a contacté, et m’a proposé de les reprendre en version numérique », explique simplement Philippe Bouin, auteur de romans policiers, maintenant publiés à L’Archipel. « Plusieurs autres éditeurs numériques m’ont contacté », assure-t-il. La reprise d’ouvrages épuisés au potentiel oublié est une des facettes de l’édition, mais Amazon dispose d’avantages inconnus à ce jour, en raison de la dimension de sa base clients. « Nous observons les demandes des lecteurs », mentionne le service de presse du site. Englué dans des problèmes d’accès à Internet depuis quelques semaines, Philippe Bouin ne sait pas ce que lui ont rapporté ses trois Blandine numérisés (4,48 euros l’aventure), et s’en préoccupe modérément. Jean-Claude Dunyach : « Avec une demi-douzaine de livres, je réalise environ 150 euros de ventes mensuelles, dont je perçois 70 %. » Philippe Bouin : « Amazon m’a contacté, et m’a proposé de reprendre mes romans en version numérique. » Recettes encore faibles. Focalisée sur la nouveauté, la littérature de genre (polar, SF, senti- nophiles, Thierry Crouzet, auteur récent de J’ai mental) entretient peu ses fonds et se prête donc débranché : comment revivre sans Internet après à ces expérimentations qui supposent quelques une overdose (Fayard), avait posté l’an dernier compétences technologiques. Elles ne rebutent sur son blog « Comment publier sur Apple pas Jean-Claude Dunyach, parolier, auteur de iBookstore ». « L’autopublication demande du nouvelles et de romans de SF (publié à L’Ata- temps, c’est la leçon ; soit tu vends beaucoup et tu lante, au Fleuve noir et chez J’ai lu), et égale- embauches quelqu’un pour la gestion, soit tu ment ingénieur chez Airbus. « J’ai récupéré les passes par un éditeur… et tu te simplifies la vie », explique aujourd’hui ce midroits de titres épuisés lorsque litant du projet Indisponile numérique n’existait pas enSoit tu vends bles.fr, qui dit être revenu à core. J’aurais peut-être plus de l’écriture de livres. François difficultés aujourd’hui. » Debeaucoup et tu puis six mois, il a entrepris embauches quelqu’un Bon, qui avait aussi commencé par reprendre ses leur réédition au format pour la gestion, textes, a créé Publie.net, emePub, et non leur autoédisoit tu passes bauché, continué d’écrire et tion, insiste-t-il, pour se dépar un éditeur... d’être publié. marquer des auteurs soliMais chez les littéraires, ces taires dont les textes n’ont et tu te simplifies expériences technico-éditojamais été validés par un édila vie. riales soulèvent encore peu teur. L’essentiel des ventes THIERRY CROUZET d’appétence. D’une part, les vient d’Amazon, même s’il a fonds sont en général mieux aussi déposé ses ePub (de 2,66 à 3,20 euros) sur Lulu.com et l’iBookstore suivis, reconnaissent Paul Fournel et Hervé Le d’Apple. Il reconnaît volontiers que les recettes Tellier, dont la quasi-totalité de la bibliographie sont encore faibles. « Avec une demi-douzaine de est toujours disponible. « Les auteurs sont très livres, je réalise environ 150 euros de ventes men- loin de vouloir la mort des éditeurs ; je préfère continuer à travailler avec le mien, au lieu d’essuelles, dont je perçois 70 %. » L’auteur d’Etoiles mortes est apprécié dans le mi- sayer de le contourner via Amazon », ajoute Hervé lieu de la SF et du polar, car il partage volontiers Le Tellier, pourtant cosignataire, dans Le Monde, son expérience sur des salons du livre ou sur son d’une tribune très irritée contre les « inéquitasite Internet. Autre spécialiste connu des tech- bles droits du livre numérique ». < “ ” 17.