Autoformation et développement de compétences au travail

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Autoformation et développement de compétences au travail
L’Association Canadienne pour l’Etude de l’Education des Adultes - Actes du congrès 2003
Autoformation et développement de compétences
au travail
Le rôle des stratégies d’apprentissage
Mohamed Hrimech
Université de Montréal
Abstract : Self-directed learning in the workplace is common but the learning strategies used in
this situation are not well known. This paper presents some strategies reported by self-directed
employees to learn new competencies on their job.
Problématique
Aujourd’hui, les organisations des secteurs de pointe oeuvrent à la production et l’utilisation
de savoirs complexes et en évolution constante. Cette condition exige de la part des employés
une maîtrise rapide de connaissances et de compétences de haut niveau : ils doivent donc
continuellement apprendre et se perfectionner. Or, on ne connaît point les stratégies que ces
employés utilisent pour s’autoformer. Le but de notre recherche est justement d’étudier les
stratégies d’apprentissage spontanées utilisées pour l’autoformation et le développement des
compétences au travail.
Dans un contexte de développement accéléré des savoirs, la formation initiale qualifiante,
quoique incontournable, constitue un outil insuffisant pour atteindre les objectifs de formation de
l’organisation et lui permettre de rester compétitive. La formation continue, bien que mieux
adaptée, s’avère déficiente, ne répondant que partiellement aux besoins des organisations
(Hrimech, 2002). Par contre, l’autoformation s’illustre comme une approche complémentaire,
indispensable pour satisfaire les besoins de développement de compétences liées au travail et le
maintien de celles déjà maîtrisées. En effet, elle constitue une approche qui présente une
souplesse et une spécificité inégalables lorsque les tâches et les compétences sont complexes et
en constante évolution (Brown, 2000; Carnevale, Gainer et Meltzer, 1990; Garrick, 1998).
Mais, l’autoformation nécessite l’activation de stratégies efficaces (Hrimech, 2000), que
l’apprenant doit déployer pour créer, adapter et appliquer les savoirs disséminés dans une
multitude de ressources. Pour ces raisons, mieux connaître les stratégies utilisées avec efficience
par les travailleurs habiles aiderait à les inculquer aux moins habiles, en plus d’aider à mieux
comprendre le processus d’autoformation. La maîtrise de stratégies efficaces, transférables et
adaptables pourrait faciliter le développement et le maintien des compétences professionnelles
des travailleurs. Ces derniers pourraient s'appuyer sur un répertoire de stratégies éprouvées, sorte
de guide de ressources méthodologiques, qui les aideraient dans les tâches d’autoformation
reliée au travail. Or, il n'existe pas de répertoire méthodologique de stratégies d’autoformation et
cette absence fait cruellement défaut à ceux et à celles qui désirent ou sont dans la nécessité de
poursuivre des activités d'autoformation, mais rencontrent des difficultés qui les ralentissent et
les découragent (Foucher et Tremblay, 1993).
Cadre conceptuel
Le cadre de cette recherche réalise à l’intégration de la métacognition, de l’autoformation et
des stratégies d’apprentissage et fait ressortir l’aspect dynamique et l’importance des stratégies
pour le développement et le maintien des compétences professionnelles. Il se présente comme
suit.
La métacognition. C’est la capacité de réflexion sur soi en tant qu’agent cognitif, sur les
connaissances générées par cette réflexion ainsi que le guidage et l’autorégulation cognitifs. Ce
cadre postule que l’autoguidage de son propre processus d’autoformation joue un rôle essentiel
dans la sélection, l’utilisation et la régulation des stratégies.
Les stratégies d’apprentissage. Ce sont des opérations mises en œuvre pour faciliter
l’acquisition de connaissances ou de compétences. Elles prennent la forme d’habiletés
cognitives, métacognitives, sociales, affectives ou mixtes qui sont nécessaires pour
l'autorégulation et le contrôle des processus cognitifs et la réussite des apprentissages (Hrimech,
2000; Straka, 2000).
L’autoformation. C’est une approche dans laquelle l'apprenant prend l’initiative et choisit de
manière autonome ses buts et méthodes d’apprentissage, acquiert des connaissances en utilisant
ses propres ressources et celles de son milieu (Carré, 1992; Carré, Moisan et Poisson, 1997).
L'étude de l'autoformation constitue un changement de paradigme de la perspective de la
formation classique, fondée sur la transmission, vers une perspective d'apprentissage informel ou
auto-dirigé (Coffield, 2000 ; Long, 1989).
Les activités métacognitives influencent le développement, la sélection, l’activation et la
régulation des stratégies d’autoformation. Celles-ci à leur tour influencent l’efficacité et le
succès d’une démarche l’autoformation en vue de l’acquisition de connaissances et le
développement de compétences professionnelles. Le cadre accorde aussi une place importante au
milieu de travail ainsi qu’aux besoins des apprenants dans l’élaboration de projets et le
déploiement d’activités d’autoformation.
Figure 1 : Cadre conceptuel
Exigences/contraintes
de travail
Besoins d’apprentissage
Besoins d’autoformation
Réflexion métacognitive
MILIEU
DE
MILIEU
Projets d’autoformation
TRAVAIL
DE
TRAVAIL
Activités/Stratégies d’autoformation
Acquisition de connaissances liées au travail
Développement de compétences professionnelles
Méthodologie
Pour répondre aux questions de recherche formulées plus haut, nous avons adopté une
méthode qualitative classique. Les données ont été collectées par entrevues semi-dirigées. Le
protocole était constitué d’une trentaine de questions portant sur les points suivants : la
description du travail, la formation structurée reçue dans le courant de l’année, les besoins en
formation structurée, les besoins en formation autodirigée, les stratégies utilisées, les
apprentissages réalisés et les compétences développées par autoformation ainsi que les
préférences au sujet de l’approche d’apprentissage. Les entrevues ont été transcrites, l’analyse de
contenu et le codage ont été effectués à l’aide du logiciel Atlas-Ti.
Un échantillonnage de type intentionnel a été privilégié étant donné les caractéristiques des
sujets recherchés. Les répondants ont été choisis parmi les employés d’entreprises montréalaises
oeuvrant dans des secteurs de services. Le travailleur devait posséder un niveau de scolarité ou
l’expérience suffisante pour pouvoir décrire ses stratégies d’apprentissage. Notre échantillon
était composé de 19 cadres moyens provenant du secteur des services et âgés entre 26 et 55 ans;
14 hommes et 5 femmes; 2 travailleurs autonomes et 17 travailleurs salariés. Le choix des
entreprises de service quant à lui, a été dicté parce que nous avons postulé que ce secteur
impliquait des besoins de formation continue plus grands que dans les secteurs traditionnels ou
de faible valeur ajoutée.
Présentation et discussion des résultats
Nous présentons ici des résultats partiels en mettant l’accent sur deux dimensions
principales, soit les avantages et les inconvénients perçus de la formation formelle et de
l’autoformation et certaines des principales stratégies décrites par les sujets.
Avantages et inconvénients de la formation structurée
Au nombre des avantages de la formation formelle, on peut mentionner le fait qu’un
formateur prépare, planifie, organise et structure la formation, ce qui représente un atout
indéniable. Dans le même ordre d’idée, le fait que les recherches sur les sujets étudiés sont
préalablement effectuées par le formateur représentait un atout majeur. On apprécie que les
formations structurées apportent à l’apprenant une autre vision de la matière à apprendre. La
reconnaissance formelle des formations dispensées par un formateur (en termes de diplôme par
exemple), augmente la valeur de l’apprentissage réalisé. Enfin, le fait de ne pas apprendre de
manière isolée, serait un élément motivant pour l’apprenant.
Par contre, parmi les inconvénients les plus souvent évoqués figure le manque de
considération des besoins des apprenants. En effet, une dizaine de candidats ont souligné le fait
que les formations structurées étaient souvent hors sujet, et sept candidats pensent qu’elles ne
tiennent pas compte du niveau réel des apprenants. Certaines formations structurées seraient
ennuyeuses, notamment parce qu’elles ne prendraient pas en considération le niveau des
apprenants. D’autres inconvénients ont été invoqués, tels que l’existence de rapports de force
entre le formateur et l’apprenant, la perte de temps, l’endoctrinement et le coût élevé de la
formation.
Avantages et inconvénients de l’autoformation
Tous les sujets sont d’accord pour affirmer avoir des besoins de formation structurée et
d’autoformation, mais à différents degrés. Le premier avantage rapporté est le fait que
l’autoformation offrirait plus d’autonomie, en ce sens qu’elle n’imposerait pas de contrainte
spatiale ou temporelle. De plus, les domaines étudiés par autoformation correspondraient
davantage aux besoins de l’apprenant. La possibilité d’apprendre dans différents domaines serait
aussi un des grands avantages de l’autoformation. Les apprenants trouvent intéressant le fait de
pouvoir choisir les problèmes étudiés et les approfondir à leur gré. L’autoformation présenterait
plus de liberté et de souplesse quant à la gestion du temps. Elle serait plus ciblée, que la
formation structurée, permettrait d’aller droit au but, de se centrer sur ce qui est important ou
intéressant et enfin serait moins ennuyeuse et donc plus agréable.
Quant aux inconvénients, le premier serait le peu de temps disponible pour l’autoformation.
Les répondants seraient surchargés de travail et ne disposeraient pas du temps nécessaire pour
s’autoformer. Un autre inconvénient est l’insécurité au sujet de la valeur de leur apprentissage,
c'est-à-dire de ne pas être en mesure de savoir si l’apprentissage est adéquat. L’autoformation ne
donne pas lieu à une évaluation formelle et précise ce qui implique un doute au sujet de la
validité des apprentissages ainsi effectués. Les coûts engendrés par l’autoformation (les livres,
les revues spécialisées, le matériel, etc.) sont aussi un inconvénient. Livrés à eux-mêmes, les
répondants auraient tendance à se lasser d’étudier seuls, de plus, il y aurait un risque de perdre
des détails qui pourraient être importants. Finalement, l’autoformation demanderait plus d’effort,
car elle doit être organisée et structurée par l’apprenant lui-même.
Les stratégies d’autoformation
Nous avons identifié environ quinze stratégies rapportées par ces répondants pour leur
autoformation. Comme dans nos recherches antérieures, les stratégies sociales sont les plus
fréquemment mentionnées soit par la totalité des sujets. Ensuite, les stratégies cognitives sont
rapportées par 12 sujets et les stratégies métacognitives par 11 sujets et finalement, les stratégies
affectives par seulement 3 sujets. Nous allons présenter et discuter sept des stratégies les plus
fréquemment utilisées.
1- La lecture vient en première position (28 mentions) des stratégies cognitives privilégiées
par nos répondants. Les revues spécialisées et les documents écrits variés semblent fournir une
grande part des sources d’information. Internet est aussi utilisé, mais nous avons préféré coder
cette stratégie dans une catégorie à part, étant donné ses particularités techniques et son
développement. Dans nos recherches antérieures (Hrimech, 2002) avec des populations
semblables, la lecture a été rapportée parmi les stratégies d’autoformation les plus utilisées. La
grande disponibilité des écrits dans le monde d’aujourd’hui rend cette stratégie incontournable,
d’où l’importance pour les organisations de s’assurer du niveau de lecture de leurs employés et
de leur capacité à comprendre les écrits complexes en activant les connaissances antérieures
spécialisées.
2- L’apprentissage par l’expérience ou par la pratique est une autre stratégie
d’autoformation de choix pour des employés (26 mentions). Il est reconnu que le contact direct
avec les autres, avec la réalité du travail, avec les situations et les objets d’apprentissage
constituent une source majeure de connaissances et d’habiletés. Se retrouver constamment en
situation d’action exige des apprentissages ciblés, immédiatement validés par la réalité,
contrairement aux apprentissages symboliques et verbaux que nous retrouvons dans la formation
formelle ou dans la lecture. Il est intéressant de noter le caractère complémentaire des deux
premières stratégies ainsi que la suivante.
3- L’essai et erreur s’apparente à la deuxième stratégie et vient en troisième place dans la
fréquence des stratégies utilisées (24 mentions). Cette stratégie utilisée souvent dans le domaine
psychomoteur lorsqu’il s’agit de produire des réponses spécifiques, semble aussi être utile dans
les domaines cognitif et social puisque nos sujets travaillent essentiellement dans les services.
L’essai et erreur permet de résoudre des problèmes d’incertitude, de vérifier des hypothèses et de
guider sa réponse dans des situations incertaines et changeantes.
4- Le coaching et le mentorat est une stratégie assez répandue selon les sujets (15 mentions).
Cette stratégie sociale s’apparente au modeling ou imitation présentée plus loin. C’est aussi une
méthode de formation structurée. Elle consiste à mettre ensemble un employé novice et un
expert, à jumeler un senior et un débutant dans un but précis et pour une période de temps limité.
La distinction importante entre les deux se situe, à notre avis, sur le plan de l’initiative que la
stratégie implique lorsque l’employé sollicite l’aide et la guidance d’un expert. La demande
d’aide figure d’ailleurs parmi les stratégies identifiées antérieurement dans notre programme
(Hrimech, 2002).
5- La discussion et les échanges avec les collègues et les experts (15 mentions) : cette
stratégie sociale se retrouve aussi parmi les plus répandues dans nos recherches antérieures.
Justement, la discussion avec des spécialistes ou simplement avec des collègues, surtout
lorsqu’ils sont plus expérimentés, s’avère une stratégie d’apprentissage simple et efficace. Elle
permet d’obtenir des réponses rapides à des questions que la réalisation des tâches quotidiennes
ou inédites exige. Par la discussion, on réussit à clarifier des situations ambiguës, à préciser et à
trouver ensemble des solutions à des problèmes.
6- Internet est une technique d’autoformation qui prend de plus en plus de place puisqu’elle a
été mentionnée 7 fois. Elle peut être assimilée à la lecture, mais en même temps, elle en diffère
aussi par son caractère unique et novateur dont on ne peut discuter dans le cadre de ce texte. En
effet, elle est appelée à se développer de plus en plus étant donné le progrès fulgurant de la
technologie, des personnes branchées dans leur travail ou dans leur foyer et ses nombreux
avantages comme l’instantanéité, la disponibilité, son coût relativement réduit et la souplesse de
sa mise à jour.
7- Le modeling ou l’imitation des collègues plus expérimentés a aussi été rapporté (6fois).
Cette stratégie sociale est bien connue en éducation, surtout dans le domaine psychomoteur. Le
fait de calquer son comportement sur celui d’un modèle est une source d’apprentissage tant
intentionnel et planifié que fortuit. L’apprentissage par modèle a été largement étudié et de
nombreux écrits lui ont été consacrés. L’observation et l’expérimentation y jouent un rôle
important.
Conclusion
Savoir apprendre par soi-même, s’autoformer est une nécessité de notre temps. L’étude des
stratégies d’autoformation utilisées par les employés pour le développement de leurs
compétences au travail constitue une avenue de recherche fort intéressante étant donné le rythme
de croissance des savoirs et des technologies. Nous avons identifié un ensemble de stratégies
fréquemment utilisées par des travailleurs, stratégies développées de manière spontanée et
autonome. La lecture, l’apprentissage par l’expérience et l’essai et erreur ressortent comme des
stratégies de choix dans ce contexte. Ces stratégies complètent celles déjà identifiées dans nos
travaux antérieurs (ex. Hrimech, 2002). Il convient, pour les organisations qui désirent favoriser
l’autoformation de lui assurer des conditions favorables et d’aider les employés à développer des
stratégies adaptées et à les appliquer de manière efficiente afin d’augmenter leur efficacité
d’apprenants.
Références
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work. In Straka, G.A (dir.). Conceptions of self-directed learning : theoretical and conceptual
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Carnevale, P.A.; Gainer, L.J. et Meltzer, A.S. (1990). Workplace Basics : the Essential Skills
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sociologie. Paris : Presses universitaires de France.
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Hrimech, M. (2000). Les stratégies d'apprentissage en contexte d'autoformation In Foucher, R. et
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