Fiche du film
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Fiche n° 1249 VINCENT N’A PAS D’ECAILLES 18 AU 24 MARS 2015 VINCENT N’A PAS D’ECAILLES de Thomas Salvador Avec Thomas Salvador, Vimala Pons, Youssef Hadji 1H18 – Français Vincent a un pouvoir extraordinaire : sa force et ses réflexes décuplent au contact de l’eau. Pour vivre pleinement ce don, il s’installe dans une région riche en lacs et rivières, et suffisamment isolée pour préserver sa tranquillité. Lors d’une escapade aquatique, il est surpris par Lucie dont il tombe amoureux. Fan de comics et de films de super-héros, le réalisateur a voulu contourner les codes du genre. Il ne donne par exemple aucune explication sur la provenance des super-pouvoirs du personnage principal : "Peu importe d’où viennent les forces fantastiques de Vincent, ce qui compte est ce qu’il décide d’en faire et où cela le conduit." déclare-t-il. Le cinéaste ne qualifie d’ailleurs d’ailleurs par son personnage de super-héros dans la mesure "où il ne considère pas ses aptitudes extraordinaires comme un pouvoir, et n’envisage pas qu’elles lui aient été « données » dans un dessein précis. Il est pris dans sa propre vie d’homme, sa nécessité de composer au quotidien avec ce qui le différencie, et ne se sent donc investi d’aucune mission." Le quotidien et l’environnement précaires du personnage donnent au film une dimension sociale inattendue : "Elle découle de la nature même de Vincent, dont l’intégration au monde passe par la marge, l’itinérance et une certaine forme de précarité", déclare le réalisateur. Cependant, il ne voulait pas que la dimension sociale occupe une place trop importante du récit : "J’ai cependant tenté d’équilibrer cette dimension du film, pour qu’elle ne devienne ni un « message » ni un simple arrière-plan, mais une réalité liée aux personnages." allociné Un premier long métrage éclaboussant d’inventivité et de grâce poétique sur l’histoire d’un garçon beaucoup plus fort quand il se mouille. Vincent n’a pas d’écailles mais il aime l’eau. Et celle-ci le lui rend bien : lorsqu’il en est recouvert, sa force décuple. Dans les lacs, il nage comme un dauphin ; sur terre, pour peu qu’il soit mouillé, il perce des murs, soulève des bétonneuses, saute comme un cabri. De lui, on ne saura rien d’autre : d’où vient-il ? pourquoi est-il ainsi ? qu’a-t-il fait avant ? Mystère. A la question “que veut-il ?”, en revanche, Thomas Salvador, qui interprète lui-même le personnage principal, apporte une réponse : Vincent veut vivre tranquillement, travailler un peu, se faire éventuellement un ou deux copains, nager beaucoup, pourquoi pas tomber amoureux et, peut-être, partager son secret. C’est tout. Rien de très compliqué, mais pas besoin de faire compliqué pour voir grand. Thomas Salvador n’est pas tout à fait un inconnu. Depuis 2000, il a réalisé une demi-douzaine de films courts, certains primés en festival (à Pantin, à Belfort, à Vendôme), composant une œuvre absolument singulière, d’une rare cohérence, tout entière construite autour du burlesque dans sa plus pure essence : effet comique produit par le déplacement d’un corps (celui, filiforme et hyperagile de Salvador luimême) dans l’espace. Attendu, son premier long métrage poursuit cette quête tout en la reconfigurant. Pour “tenir la distance” du long, lui qui faisait généralement primer le dispositif sur la narration, le cinéaste a en effet dû, à l’instar de son personnage, s’ouvrir, accepter de s’adjoindre des forces extérieures : d’autres acteurs (notamment l’incendiaire Vimala Pons) ; une romance, tout en plaisirs simples et caresses (dont “la plus longue du monde”) ; et un genre a priori américain, le film de superhéros, auquel il rend un hommage décalé. Après le Ch’tider-Man de Bruno Dumont, place à Speedoman ! A la dépense du film de superhéros américain, Salvador oppose une économie toute française – économie au double sens : financier et visuel. Réalisé pour un budget modeste et sans palette graphique (si ce n’est pour gommer efficacement les câbles, plus vieux trucage du monde), avec pour seules armes une prodigieuse ingéniosité et une merveilleuse générosité, Vincent n’a pas d’écailles vient du cinéma primitif, celui de Méliès et de Keaton, lorsqu’il n’y avait ni Dolby ni effets spéciaux numériques pour clouer les spectateurs sur leur peu confortables fauteuils. Merveilleux, prodigieux, sont à lire au sens propre : il y a de la magie chez Salvador, de la magie mais nulle esbroufe, juste un émerveillement face aux puissances du cinéma. Un parallèle se fait ainsi jour entre les superpouvoirs de Vincent, fort peu commodes et requérant beaucoup d’astuce, et ceux de Salvador, qui passent par ce vieil outil de la mise en scène et nécessitent eux aussi mille combines pour fonctionner. Un superpouvoir ne fait cependant pas le bonheur. De mares en piscines, de ruisseaux en océans, il est toujours question pour Vincent de trouver la meilleure place. Condamné à l’exil dès le premier plan, trop à l’étroit dans un cadre souvent serré (pour donner plus de poids aux effets spéciaux), il n’apparaît bien nulle part, sauf dans les bras de sa dulcinée. Mais il s’en accommode. Cependant, un événement malheureux, une bagarre inopinée, va attirer sur lui l’attention de la police et l’obliger à fuir. Le film devient à partir de là une longue course-poursuite, où l’inventivité visuelle se démultiplie, et le propos politique peu à peu s’affine, jusqu’à un dénouement inouï qui rejoue une situation vécue par nombre de sanspapiers, mais toujours sous le prisme du superhéroïsme. Si la France passe, bon an, mal an, pour un pays de cocagne, prête à accueillir toutes sortes d’êtres (de films ?) singuliers, elle sait aussi se montrer obtuse à leur égard, dès lors qu’ils entendent sortir de la minuscule case qui leur est assignée. Entre Vincent et Thomas, entre l’exilé permanent et le cinéaste indépendant, semble ainsi s’instaurer un destin commun : nager, toujours plus vite, toujours plus loin. Jacky Goldberg, Les Inrocks Nature souveraine. Thomas Salvador imagine ce premier film de super-héros français sans trucage autre qu’acrobatique, Batman des Bouchesdu-Rhône ou Daredevil provençal, depuis bien longtemps. Appuyé par Luc Besson, le projet aurait pu montrer les muscles, devenir une folle aventure copiant la démesure américaine. Finalement, Vincent n’a pas d’écaille est resté à taille humaine, planté non sur fond vert numérique mais dans une nature souveraine et ensoleillée. On saura peu de chose sur ce personnage que l’on saisit d’entrée de jeu dans son activité quotidienne de nageur solitaire. Il demeure énigmatique, ne parlant presque pas, muré dans une attitude où se mêle la vigilance, la réserve et la maladresse. Il veut entrer dans le cercle des relations amoureuses, amicales, professionelles mais son secret le tient toujours et durablement en dehors de la norme. En même temps, son «pouvoir» ne lui est pas véritablement utile car il ne se sent aucune vocation de justicier. C’est pourtant en voulant porter secours à un ami attaqué qu’il blesse un des assaillants et se retrouve pourchassé par la police. Le cinéaste et acteur français Thomas Salvador tente le film de super-héros à taille humaine : «Vincent n’a pas d’écailles»… mais des pouvoirs une fois trempé. Inversant les signes de faiblesse attachés à la figure de la «poule mouillée», Vincent est un homme étrange que l’eau dote d’une force surhumaine. Se baignant dans un lac, prenant la pluie, ce marginal qui dort dans une caravane et fait le manœuvre sur les chantiers, décuple sa puissance physique dès lors qu’il est trempé, nageant à l’allure d’un hors-bord (ou un dauphin sous MDMA) et défonçant un mur de brique d’une simple poussée des deux mains (après un genre de ice bucket challenge improvisé et loin des regards interloqués). Le film investit le naturalisme hexagonal si violemment décrié par un public que ne comble que les exploits graphiques des personnages Marvel ou DC en le colorant d’incongruités à la fois drôles et poétiques. Bondissant tel un Harold Lloyd fondateur, agile dans l’eau à l’image délavée du Patrick Duffy de l’Homme de l’Atlantide (sans les doigts palmés), pliant une pièce de monnaie à la manière d’un Hercule de fête foraine, Vincent, qui à l’âge du cinéaste (42 ans) puisque c’est lui qui tient le rôle principal, ressemble à un gamin batifolant dans sa tête, se racontant des histoires et se fabriquant un monde. Le comique décalé se mue en autre chose, de plus indécis encore, où entre le désenchantement narcissique d’un homme qui se valorise et se dévalorise au rythme de l’évaporation de l’eau sur sa peau, son visage dégoulinant et/ou démuni. Champ de force. Ce qui est beau au fil des turpitudes du récit, c’est la manière dont se dessine autour de Vincent un champ de force qui interdit l’approche. Il peut aimer, socialiser, danser, travailler avec les autres, de ces épisodes de nages synchronisées avec le monde ambiant, il ressort toujours égal à lui-même, nimbé d’isolement rêveur et d’antimatière narcissique. Semblable au personnage fou de Burt Lancaster dans The Swimmer de Franck Perry qui décide de rentrer chez lui en nageant de piscine en piscine jusqu’à sa propre maison, Vincent, lui, s’éloigne et accompli sa métamorphose, sautant de cours d’eau limitrophes en fontaines municipales au gré d’une course ivre qui le conduit du miroir lacustre où il jouissait de luimême aux vagues océaniques où il ne sait plus qui il est. Didier Péron, Libération A suivre: HUNGRY HEARTS et LA RANCON DE LA GLOIRE