Société Civile et Communauté Religieuse dans la société libanaise
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Société Civile et Communauté Religieuse dans la société libanaise
Société Civile et Communauté Religieuse dans la société libanaise contemporaine. Étude anthropologique de deux communautés confessionnelles locales shi‘ite et maronite en milieu urbain. La présente étude a pour but l’exploration du rôle des communautés confessionnelles dans la constitution de cette société libanaise contemporaine. Cette problématique est menée en trois temps : il s’agit tout d’abord, d’explorer les rapports des communautés confessionnelles entre elles ; il est question, ensuite, d’examiner la nature des rapports de la communauté confessionnelle avec la société globale ; il apparaît nécessaire, enfin, d’analyser la constitution de la communauté confessionnelle en tant que groupe. Trois temps pour trois aspects d’étude donc, aspects dont la contiguïté impose une simultanéité de traitement. S’agissant d’une étude en anthropologie de la religion, le problème sera appréhendé avec les instruments de recherche de cette discipline, dont le point de départ est l’enquête de terrain sous ses deux volets : l’observation directe participante et l’observation de la production discursive des acteurs dans les situations d’interaction. Pour la présente recherche, le terrain sera constitué de deux groupements confessionnels concrets incarnés respectivement dans une paroisse maronite et une mosquée shi‘ite en milieu urbain. Les deux milieux de l’étude sont des sociétés locales, ou plutôt des groupements locaux, qui se sont formés, chacun, autour d’une institution de base qui réunit et qui fait le centre de leur vie religieuse. Du côté maronite, l’institution de base est l’église paroissiale de Saint Michel à Chyyah et les églises qui lui sont attachées (Chyyah / ‘Aïn el Remmaneh) une paroisse qui appartient au diocèse maronite de Beyrouth. Du côté shi‘ite, l’institution de base est la mosquée Al’Imamein El Ḥassanein à Haret Hreik, un quartier dans la Banlieue sud de Beyrouth. L’importance de cette mosquée réside dans le fait qu’elle fût le lieu d’enseignement du grand Āyatollāh Sayyid Mouhammad Ḥoussein Fadlallāh. Nos deux milieux ont été choisis après une réflexion sur les pertinences théorique et opératoire. Mais il est sûr que, à ce niveau, l’observation de la vie courante ne peut être garantie à priori. Tout chercheur qui enquête par observation directe ne sait pas bien à quoi s’attendre concernant la question qu’il pose. Il est dans une impossibilité de programmer les détails de l’enquête de terrain, ni de prévoir les situations à observer et les entretiens à mener ou à enregistrer. 1 Cette observation directe se déroule en principe, dans les situations habituelles des activités des groupes étudiés : activités sociales et religieuses. D’où l’importance du fait que le chercheur prévoie des situations types où il peut collecter des données discursives. Dans le cas de cette recherche, les visites de familles, les rencontres avec les groupes de jeunes, ou les rencontres avec les groupes d’adultes, les rencontres de groupe ou les rencontres personnelles à la suite d’une occasion religieuse (prière, funérailles, assemblées de condoléances, processions, etc.) constituent des moyens privilégiés de collecte d’informations intéressantes pour l’analyse. L’orientation principale de la recherche est l’exploration de la relation herméneutique qu’instaurent les individus – acteurs de chacun des deux groupements socio-religieux étudiés – avec leur réalité, que ce soit au plan théologique, confessionnel ou profane. L’exploration de ces types de relations supposera l’exploration de la structure interne de chacun des deux groupes socio-religieux et la nature de leur constitution. Cette relation herméneutique qu’instaurent les individus avec leur univers ambiant est leur expérience cognitive-spirituelle vécue, elle existe dans la mesure où ces acteurs prennent position par rapport aux situations vécues en y projetant un sens. L’interaction entre l’acteur et la situation vécue, entre des acteurs dans un face à face etc., est importante dans la mesure où l’acteur ou les acteurs (le groupe) donnent un sens à chaque activité sociale, et de la façon avec laquelle ils réagissent et ensuite, par l’interprétation qu’ils font de l’activité, de leur réaction et de tout l’ensemble interactif. Ce qui montre d’une façon assez claire la perception de « soi » communautaire, ce qui est formulé dans l’ensemble des entretiens par le terme « nous », l’image mentale du groupe que se forge la communauté confessionnelle et par conséquent ses membres. Aussi, la perception de l’autre groupe, c'est-à-dire l’autre communauté confessionnelle, l’image mentale du « eux » communautaire, est-elle mise en évidence. Les rapports qui existent entre ces deux communautés « nous » <vs> « eux », ainsi que les rapports de chacune de ces communautés avec la société globale libanaise, apparaissent aussi nettement. Cette compréhension du « nous » communautaire est mise en scène dans les différentes situations de la vie courante spécialement les situations d’ordre politique et/ou religieux, et elle est réinterprétée par le discours des membres de la communauté. C’est ainsi que nous sommes à fond dans une étude de l’activité cognitive-spirituelle, nous nous trouvons donc sur les pistes d’une étude socio-anthropologique phénoménologique qui se 2 situe dans le cadre de la sociologie compréhensive de Max Weber. Nous nous basons de même sur l’élaboration qu’a faite Schutz de cette sociologie compréhensive, de même que sur la catégorisation du discours qu’a élaborée Gabriel Le Bras. Ces trois sociologues sont à la base de notre cadre théorique conceptuel, certes avec les adaptations nécessaires pour le terrain libanais. Notre première partie divisée en deux chapitres contient le cadre théorique et la méthode de travail ; la deuxième partie, elle aussi divisé en deux chapitres, est une ethnographie du terrain et une analyse du discours officiel religieux ; alors que la troisième partie, divisée en quatre chapitres, fait la pointe de l’analyse du discours quotidien des membres des deux groupes étudiés. L’analyse du discours religieux des deux communautés a élucidé la structure de la pensée interne de chaque communauté et sa perception du religieux ainsi que sa conception de la vie comme elle devrait être ressentie, comprise et menée. Nous avons découvert dans ces discours le lien qui existe entre la religion et la politique, un lien très étroit du côté shi‘ite, moins accusé du côté maronite. La lecture de ces discours a été faite d’une manière horizontale et verticale. Horizontale, dans le sens où les thèmes récurrents ont été repris et analysés à partir des prêches et des homélies ; verticale, dans le sens où chaque discours a fait l’objet d’une interprétation du contenu à part. Cette manière de présentation montre, en réalité, la cohésion dans chaque discours et au niveau de l’enseignement global de chaque communauté. La troisième partie touche, en fait, au cœur de l’analyse, car elle montre la perception cognitive de l’expérience vécue par les individus membres des deux groupes étudiés. La théorie de l’« idéal type » de Weber adaptée à notre contexte, nous a aidé dans la compréhension interne de toute la communauté, chaque individu étant l’écho de son groupe. Nous risquons cette affirmation, car dans le groupe de référence shi‘ite étudié, nous avons remarqué une solidarité mécanique assez forte, ce qui dénote une cohésion sociale interne, qui fait que l’individu n’est pas perçu en tant qu’individu, mais en tant que membre du groupe, faisant partie de la dynamique interne de ce groupe. Du côté maronite, cette solidarité mécanique est moins perçue, toutefois, elle est décelée lorsqu’il s’agit d’assimilation et de rapprochement entre les deux groupes. La peur d’être assimilé par l’« autre », voire effacé, suscite des mécanismes de défense de l’ordre de la solidarité mécanique. 3 Ainsi, nous avons trouvé une similitude entre le discours quotidien des gens et le discours religieux officiel, au niveau de la structure et du contenu. Les croyants se réapproprient le discours de leur autorité religieuse et le reproduisent tel quel, c’est ce que nous avons découvert dans le discours shi‘ite, alors que dans le discours maronite, nous avons ressenti cette liberté d’expression propre aux homélies. D’un côté, les gens sont endoctrinés, d’un autre, ils sont poussés vers leur libre conscience. Les derniers chapitres, montrent la perception du « soi communautaire » et celle de l’« autre ». Nous avons pu réécrire d’une manière schématique le discours de chaque groupe : comment il se perçoit en tant que groupe socio-confessionnel, en tant que communauté religieuse et, enfin, en tant que partie indissociable de la société libanaise. Comme nous avons reformulé la perception des autres groupes qui font partie de la composition confessionnelle libanaise, notamment, du groupe opposé : maronite et shi‘ite respectivement, l’un pour l’autre. Les rapports qui lient ces deux groupes et qui ressortent du discours, sont de l’ordre de la courtoisie protocolaire. Cela s’expliquerait par le fait que ces groupes coexistent l’un à côté de l’autre, nous ne dirions pas « qu’ils vivent ensemble » ! Ils se côtoient sans réellement avoir une expérience civique commune. Chaque groupe vit enfermé dans son milieu socio-confessionnel, et cultive des préjugés sur l’autre. La connaissance mutuelle au niveau social-culturel est plutôt erronée, la connaissance théologique est quasiment nulle et l’interprétation historique est putative. Les rapports qui lient les membres de ces deux groupes à leur État sont, en effet, inexistants tel que nous concevons la citoyenneté. Dans le discours des deux groupes, il est question d’un État absent qui ne prend pas soin de ses citoyens, qui les laisse vivre dans l’insécurité et dans l’angoisse, d’être méconnus dans leurs droits et besoins primordiaux. C’est pourquoi, ils ont recours à leurs communautés confessionnelles, qui remplacent d’une certaine manière l’État. Ces communautés sont en fait, suprafonctionnelles, elles rassurent leurs membres à tous les points de vue : en matière d’éducation (écoles et universités) ; en matière de représentation politique, suivant le quota de distribution des postes dans les institutions de l’État ; en matière d’embauche, etc. L’État, quant à lui, traite avec les citoyens en tant que membres d’une communauté bien déterminée. Il ne voit pas en eux des citoyens mais des ressortissants d’une communauté confessionnelle. 4 Personnellement, tout au long de la recherche nous étions en quête de trouver des traits de ressemblance entre les deux groupes que nous étudions, croyant que ces traits étaient capables de former de ces deux groupes socio-confessionnels une entité sociale plus ou moins cohérente. De plus, l’idée de la présence des frontières entre les deux groupes nous paraissait illusoire. Nous désirions démontrer que ces frontières n’existent plus et que les lignes de démarcation, du temps de la guerre civile, sont devenues aujourd’hui de simples rues où l’on mène une vie normale. Mais, nous nous sommes affrontés à des frontières d’ordre psychologique qui sont encore plus pesantes que celles que les événements avaient tracées. Certes, le but de notre étude ne fut pas de donner des solutions ou des propositions pour un meilleur avenir du Liban, cependant, la recherche implicite d’un juste milieu guidait notre parcours. Nous dirions même que c’était dans notre inconscient, de trouver des parcelles d’unité et de ressemblance sur lesquelles, les communautés confessionnelles pourraient s’entendre pour reconstruire le pays. Mais, arrivés à l’analyse approfondie du discours religieux officiel et du discours quotidien du peuple, nous avons découvert le gouffre qui existe entre les deux communautés, gouffre qui n’est pas à résoudre par nous, anthropologue, mais à élucider et à mettre au service des gens spécialisés dans le domaine politique. Mots clés : Communautés confessionnelles, Maronites, Shi‘ites, sociologie compréhensive, expérience cognitive-spirituelle, analyse discursive, groupe de référence, anthropologie religieuse, méthode qualitative. 5