Le féminisme : Comprendre, agir, changer

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Le féminisme : Comprendre, agir, changer
Le féminisme : Comprendre, agir, changer - Conférence de Florence
Montreynaud à l'occasion du 30e anniversaire du CSF
Conférence de Florence Montreynaud à l'occasion du 30e anniversaire du CSF - Le féminisme :
Comprendre, agir, changer. Mai 2003.
Date de publication : 2003-05-01
Auteur : Conseil du statut de la femme
LE FÉMINISME : COMPRENDRE, AGIR, CHANGER
Conférence de Mme Florence Montreynaud, écrivaine française et fondatrice de plusieurs
mouvements féministes tels que les Chiennes de garde (défendre des femmes insultées en
public) et La Meute (contre la publicité sexiste), à l’occasion du colloque « 30 ans d’action,
ça porte fruit ! », marquant le 30e anniversaire du Conseil du statut de la femme du
Québec, à Montréal, le 23 mai 2003.
Vous m’avez invitée à prendre la parole en tant qu’historienne et aussi en tant que féministe. Je
vais développer des raisonnements fondés sur des faits vérifiables, mais je dirai parfois « nous »,
car je fais partie de l’objet étudié.
Le féminisme est un projet politique mixte porté par le rêve d’un monde où femmes et hommes
seraient égaux en dignité et en droits, et où ces droits seraient appliqués. C’est une aspiration à un
changement radical, fondée sur une exigence de respect de la dignité humaine.
Pour transformer ce monde, il importe de prendre d’abord conscience qu’il repose sur un système
machiste de violences, d’inégalités et d’injustices s’exerçant principalement au détriment des
filles et des femmes, même si des garçons et des hommes en sont eux aussi victimes, par exemple
ceux qui ne sont pas conformes aux stéréotypes.
Le féminisme est le contraire d’une culture de résignation à l’ordre machiste établi, d’exaltation
masochiste d’une souffrance rédemptrice, d’attente naïve que « les choses s’arrangent d’elles­
mêmes », par la magie de l’évolution. Il est une école de lucidité et d’exigence personnelle, une
démarche volontaire, progressiste et solidaire. Il est aussi et depuis toujours une pratique non
violente, ce qui est d’autant plus extraordinaire et admirable qu’il répond à un système parfois
d’une extrême violence.
S’il y a moins d’hommes que de femmes engagés dans le féminisme, c’est qu’il est plus difficile
pour eux – et plus original – de s’élever contre un système fonctionnant apparemment à leur
bénéfice.
Si le féminisme part le plus souvent d’une révolte individuelle, il veut aboutir, par une démarche
collective, à une révolution au sens politique fort du mot : un bouleversement des fondements de
violence et d’injustice sur lesquels repose notre monde. Dans son principe, le féminisme ne peut
être que révolutionnaire puisqu'il met en cause non seulement les mentalités, mais les structures
qui produisent l’oppression des femmes.
Je vais analyser les trois temps d’une dynamique féministe, à la fois individuelle et collective. Ils
concernent autant le féminisme individuel que le féminisme dit d’État, dans les rares pays, dont le
vôtre, où il a pignon sur rue et quel magnifique pignon au Québec que le Conseil du statut de la
femme dont nous fêtons les 30 ans !
Je vous propose donc de réfléchir à trois notions : comprendre, agir, changer. Autrement dit,
l’intelligence, le travail, le résultat de l’action, le moteur de l’ensemble restant le rêve d’un
monde d’égalité, de justice et de paix.
1. Penser par soi-même : les mots et les idées
Penser par soi-même est la plus haute exigence humaine. Le mot russe inakomysliaiuchtchie, qui
désignait les dissidents, les opposants au régime communiste, signifie « qui pensent autrement »,
autrement que la pensée unique dans les dictatures, autrement que l’opinion répandue dans les
démocraties.
Être féministe, c’est d’abord penser par soi-même, ce qui suppose de se penser soi-même comme
une personne autonome, un être humain libre et non comme une femme relative à un homme,
définie socialement par rapport à lui – fille, épouse, sœur, mère –, ce qui est caractéristique de la
tradition machiste où le masculin est la référence.
Penser par soi-même, c’est résister au prétendu bon sens. C’est contester les pseudo-évidences
machistes, par exemple :
« la prostitution est le plus vieux métier du monde » ;
« les femmes sont le sexe faible » ;
« c’est un bon salaire pour une femme ».
C’est aussi critiquer les préjugés transmis de génération en génération :
« les hommes ont des besoins sexuels » ;
« daddy knows best » (Écoute ton père, il sait !) ;
« il faut souffrir pour être belle » ;
« une femme n’est pleinement femme que si elle a des enfants ».
Bref, c’est n’admettre que ce qu’on a reconnu soi-même pour vrai, pratiquer l’examen
méthodique et le doute systématique avant d’adhérer à quoi que ce soit.
Ne rien accepter comme allant de soi, ni l’hétérosexualité, ni les métiers ou occupations dits
« féminins » ou « masculins », ni la tyrannie de la minceur, etc., car la liste est longue de toutes
les contraintes qui pèsent plus spécifiquement sur les femmes.
Une femme qui a cette indépendance d’esprit est un oiseau rare. Rarissime jusqu’au XXe siècle et
pour cause : pour penser, analyser, comparer, comprendre, il faut disposer d’instruments
intellectuels, ceux qu’on acquiert par l’éducation et par l’instruction. Pendant des siècles, on a
élevé les filles pour en faire des servantes des hommes, des mères, des secondes, on les a
conditionnées à penser aux autres avant de penser à elles-mêmes. On a rationné les connaissances
qu’elles avaient le droit d’acquérir. Aujourd’hui, dans le monde, deux tiers des analphabètes sont
des filles et des femmes : cette entrave au développement intellectuel est un crime contre
l’humanité, une confiscation du savoir au profit de ceux qui ont déjà le pouvoir.
Dans les pays riches, même dans les milieux privilégiés, même avec des gens ouverts, bien
disposés, proches politiquement, même avec un compagnon aimant, féministe déclaré, père
responsable, partageant équitablement les travaux ménagers, aucune femme ne devrait relâcher sa
vigilance, car il faut toujours penser par soi-même. Il nous faut continuer à nous méfier de ceux
qui prétendent savoir mieux que nous ce qui est bon pour nous, tels les clergés, car presque tous
légitiment l’infériorisation des femmes. Ceux qui pensent à notre place, ceux qui prétendent
vouloir notre bien ne veulent-ils pas nous « libérer » à leur idée, pour nous utiliser à leur profit ?
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L’expérience de la prétendue « libération sexuelle » en a échaudé plus d’une ! « Ne me libère pas,
je m'en charge », répond le slogan féministe.
Penser par soi-même, se servir de la réflexion pour élaborer de nouveaux outils intellectuels,
dépasser les acquis des sciences humaines ou les contester à partir de leurs propres méthodes,
prendre appui sur des expériences d’oppression ou de souffrance encore jamais considérées
comme dignes d’intérêt scientifique et développer une pensée sur des bases entièrement
nouvelles : depuis toujours, c’est ce que font des féministes isolées pendant des siècles et
regroupées depuis un siècle et demi.
Je discerne trois types de démarches intellectuelles féministes, qui correspondent à trois moments
de la pensée, individuelle ou collective. En cela, les féministes ont accompli une œuvre
pédagogique immense.
NOTE. Je n’oublie pas qu’il y a des hommes féministes. Dans ce texte, si j’appelle les féministes
« elles », ce féminin pluriel embrasse le masculin.
Voici les trois principaux types de démarches :
a)
dénoncer des idées reçues;
b)
inverser le point de vue habituel;
c)
développer des concepts nouveaux et leur trouver un nom efficace.
a) Dénoncer des idées reçues
J’ai déjà cité quelques idées reçues. En voici d’autres exemples; il y avait l’embarras du choix
tant les préjugés sont hélas ! enracinés dans l’inconscient avec une solidité extrême et donc très
difficiles à déloger.
La prétendue « guerre des sexes » n’a pas été déclarée par les femmes, mais ce sont elles qui
souffrent et qui meurent de la violence masculine, en nombre considérable : pour le seul exemple
de la violence masculine conjugale, d’après des enquêtes concordantes menées dans les pays
occidentaux, dans un foyer sur dix, l’homme commet des violences graves sur sa femme ou
compagne. Parmi les femmes assassinées, les statistiques de la police montrent que la moitié le
sont par leur conjoint ou ex-conjoint : au total, 15 000 par an en Russie et plusieurs centaines
dans chacune des démocraties occidentales.
Autre cliché. Qui n’a entendu dénoncer les « excès des féministes ? » Auraient-elles tué, violé,
pillé, torturé, obligé à nettoyer les toilettes ou à repasser sa chemise sous peine d’horribles
punitions ? Pas à ma connaissance ! Bien que nul n’ait jamais pu citer un seul cas concret et
vérifié, cette légende est pourtant très vivace. Dans la ville où a eu lieu le 6 décembre 1989, le
massacre de la Polytechnique, au cours duquel un homme a tué 14 jeunes femmes au cri de : « Je
hais les féministes », je rappelle avec émotion la phrase de l’écrivaine française Benoîte Groult :
« Le féminisme n’a jamais tué personne. Le machisme tue tous les jours. »
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b) Inverser le point de vue habituel
Outil d’une extraordinaire efficacité, l’inversion du point de vue est pratiqué avec bonheur par
des féministes, ce qui leur permet de faire la preuve de l’une de leurs plus grandes qualités :
l’humour. Un exemple ancien, tiré du discours de Charlotte Perkins Gilman lors de la Journée de
la femme à Chicago (25 février 1912) :
« Imaginons la situation sociale actuelle en renversant les rôles. Les femmes
possèdent, distribuent et administrent tout le capital et toutes les industries.
Dirigez maintenant votre regard sur Wall street : les capitaines de l'industrie et
les habitués sont tous des femmes. Seules exceptions : quelques jeunes hommes
sténographes qui bavardent et quelques hommes de ménage assez âgés avec leur
seaux et leurs balais. Cela vous permet de mesurer l'absurdité ridicule de la
situation actuelle. »
De nombreuses œuvres de femmes sont construites sur ce schéma et utilisent ce ressort dont la
puissance comique renforce l’efficacité.
Pour faire prendre conscience à l’opinion de ce qu’elles dénoncent, les féministes parlent de
violence masculine conjugale et non de femmes battues. Alors que les médias multiplient les
reportages ou les articles voyeuristes sur les personnes prostituées, elles mettent l’accent sur les
clients de la prostitution – pour ma part, je préfère les appeler des viandards –, sur cette demande
masculine qui entretient l’offre, sur cette « sexualité payante » qui serait l’un des droits de
l’homme.
Dernier exemple. Depuis que le nombre de femmes salariées s’est accru, on ne cesse de
culpabiliser les mères de jeunes enfants continuant à exercer leur métier en leur demandant :
« Comment conciliez-vous vie professionnelle et vie familiale ? » Les maîtresses femmes
répondent avec aplomb que c’est une question d’organisation comme si être pauvre, débordée,
déprimée, divorcée, habiter loin de son lieu de travail, avoir une nourrice malade ou être sur la
liste d’attente pour une place de crèche relevait uniquement de la responsabilité personnelle.
Quant aux féministes, elles rappellent que les enfants ont généralement un père qui devrait
prendre sa part de travail et elles demandent aux pouvoirs publics des crèches collectives.
Néanmoins, la plupart des femmes restent tourmentées par cette question : or, la pose-t-on aux
pères de famille ? C’est comme si le verbe concilier ne se conjuguait qu’au féminin, comme si
seules les mères vivaient des conflits de devoirs. En réalité, ne poser la question qu’à elles, c’est
penser le problème en termes d’aménagements du temps – le travail à temps partiel, très
majoritairement féminin – au lieu de contester la responsabilité écrasante que la société machiste
fait peser sur les femmes. Alors que les hommes gagnent 20 % de plus qu’elles, en moyenne,
pour un travail équivalent, ils n’assurent que 20 % des tâches ménagères et des soins aux
personnes dépendantes. Donner la priorité à la lutte contre cette énorme injustice est déjà une
réponse politique. Que font les syndicats ? Quand comprendra-t-on que « le privé est politique »
(concept-clé du féminisme) ? Qui plie le linge, qui s’absente du travail pour rester près de son
enfant malade ? Ce sont des questions politiques.
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c) Développer des concepts nouveaux et leur trouver un nom efficace
C’est l’apport théorique du féminisme, et il est considérable. Il a contribué à moderniser à la fois
la pensée et la langue. C’est seulement en nommant correctement les problèmes qu’on se donne
une chance de les résoudre. Pour cela, il faut déjà apprendre à bien les poser. Les mots sont bien
plus que l’habillage d’une idée, ils sont des outils.
Ces innovations sont très nombreuses. Voici quelques exemples.
L’évolution de l’intitulé de titres officiels est pleine d’enseignements : dans les pays d’Europe du
Nord, dès la fin des années 1970, ministre des Femmes a fait place à ministre de l’Égalité. En
Allemagne, il y a dans de nombreuses structures publiques un poste de responsable de l’Égalité
des droits (Gleichberechtigung) et non des droits des femmes. On est ainsi passé du concept
général de condition féminine à celui d’égalité des droits, puis d’égalité des chances.
À propos de titre, l’invention du Ms. en anglais, pour remplacer Mrs et Miss, a résolu le problème
du « Mademoiselle ou Madame » et a permis de se débarrasser de la question du cadre, marital ou
non, dans lequel s’exerce la sexualité féminine.
Dans ce domaine, deux concepts-clés : la maman ou la putain (the madonna-whore complex),
stéréotype à double face, concept binaire réducteur du féminin selon le machisme; et la double
norme (double standard), concept mis au point par des féministes britanniques des années 1860
et toujours actuel, hélas ! Avoir une vie sexuelle variée et aventureuse, cela se dit au masculin
« être un don Juan ou un tombeur », et au féminin « être une pute ou une salope ».
La domination masculine : cette expression courante chez les féministes et qui a remplacé
patriarcat, caractéristique des années 1970, s’est enfin imposée, mais – quelle injustice ! – grâce
au prestige de Bourdieu dont le dernier livre porte ce titre; or, il s’est largement inspiré des
travaux de chercheuses féministes, sans leur rendre pleinement justice.
Le concept de sexisme est fondamental. Le mot date seulement des années 1960 et il vient des
États-Unis, où il a été formé en un calque du mot racisme. Il a permis d’insister sur le
parallélisme entre les mécanismes de l’oppression raciale et ceux, jusque-là ignorés ou
minimisés, de l’oppression exercée sur les femmes. Dans les deux cas, des différences physiques
visibles – la couleur de la peau ou le sexe – sont utilisées pour justifier une hiérarchie de statut
entre des groupes sociaux et leur assignation à des rôles différents.
Quant à ces rôles, un apport capital est la notion de rôles sociaux de sexe, ce que les anglophones
ont nommé gender. Cependant, l’équivalent français, genre, ne s’emploie couramment en France
que dans les milieux universitaires. C’est pourtant un mot efficace et utile : il permet de penser la
construction sociale des rôles traditionnels qui paraissent à beaucoup si évidents. Montrer qu’ils
sont construits, qu’ils sont un fait de culture et non de nature, rend possible de les déconstruire et
de les penser sur de nouvelles bases.
Enfin, je cite mon slogan préféré, parce qu’il marie l’humour et la profondeur de la réflexion
politique, l’allusion historique à une figure illustre et la trivialité de la vie des femmes :
« Travailleurs de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? » (vu le 1er mai 1977 et
le 17 octobre 2000 à Bruxelles).
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Voici encore des titres célèbres et d’une profondeur quasi inépuisable. Les énoncer est déjà tout
un programme : Une chambre à soi (Virginia Woolf, 1929); Le Deuxième Sexe (Simone de
Beauvoir, 1949); Quand céder n’est pas consentir (Nicole-Claude Mathieu, 1985); The
Feminine Mystique (Betty Friedan, 1963) (littéralement la mystique féminine, mal traduit en La
Femme mystifiée).
C’est dans ce livre que Betty Friedan examine « le malaise qui n’a pas de nom » des femmes au
foyer qui « ont tout pour être heureuses ». Ce « qui n’a pas de nom » n’existe pas et n’est donc
pas reconnu comme un problème : c’est pourquoi la sexualité, encore souvent désignée par
« ça », ou « cette chose-là », reste un lieu-clé de l’oppression des femmes et c’est pourquoi mon
prochain livre sur l’histoire du vocabulaire de la sexualité a pour titre Appeler une chatte…
En tant qu’écrivaine, je suis sensible à l’emploi du mot juste et c’est pourquoi j’attache tant
d’importance à cet aspect créatif du féminisme. Je suis très pointilleuse sur des tournures
incorrectes hélas ! fréquentes, comme le fait de désigner une femme enceinte comme « la mère »
et l’embryon ou le fœtus comme « le bébé ».
Une faute très courante est de dire d’une femme « elle s’est fait violer », ce qui implique qu’elle
était volontaire, au lieu de « elle a été violée », tournure passive qui est la seule correcte.
Pour conclure, je vous propose un nouveau mot, pour désigner une notion à inventer, un
sentiment entre fraternité et sororité. En français, sœur et frère proviennent de deux mots
différents. J’ai formé le mot adelphité sur la racine grecque adelph- qui a donné les mots grecs
signifiant sœur et frère.
2. Compter sur soi-même : des stratégies inventives
Je parlerai surtout des pays occidentaux. Plus les pays sont pauvres, non démocratiques, en proie
à des violences, menacés par l’intégrisme religieux, plus les femmes souffrent, car elles sont les
plus pauvres des pauvres : par exemple, parmi les millions de réfugiés, 80 % sont des femmes et
des enfants. Respecter leur dignité et leurs droits est tout aussi nécessaire pour elles que pour
nous, même si ce respect commence pour elles par la satisfaction de besoins vitaux élémentaires.
Pour des femmes abruties par la fatigue des travaux physiques, la corvée d’eau ou de bois, ou
épuisées par les grossesses, la priorité des priorités va à l’allègement de ces fardeaux.
Je reviens aux pays occidentaux, et je distingue trois façons de compter sur soi-même :
a) des formes rénovées d’action politique; b) une grande diversité dans les stratégies : de la demande de droits aux actions solidaires, des manifestations locales aux réseaux internationaux;
c) la peau dure.
a) Des formes rénovées d’action politique
Depuis deux siècles, des féministes engagées bravent le ridicule, affrontent les insultes sur leur
sexualité supposée, supportent l’ingratitude. Elles ont toujours été considérées comme
excessives et ringardes. On ne les prend pas au sérieux ou on les attaque pour ce qu’elles n’ont
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jamais dit ni pensé. Cette agressivité peut se comprendre, car les réactionnaires perçoivent bien
quelle subversion elles représentent pour l’ordre établi.
Elles répondent à la violence, à la bêtise, à la mauvaise foi par l’intelligence, la solidarité, la
fermeté. Depuis un siècle, elles ont fait des recherches approfondies dans de nombreux domaines
et elles ont produit un corpus solide de travaux écrits, réfutant les préjugés machistes et proposant
des théories nouvelles. Elles se sont organisées avec souvent peu de moyens et beaucoup
d’efficacité.
Elles dépensent des trésors d’imagination et d’énergie. Telles des David astucieuses visant le
Goliath du machisme, elles ont inventé un humour propre. Elles ont rénové les formes de l’action
et de la protestation politiques (manifestations, grèves, graffitis, fêtes, célébration du 8 mars –
Journée internationale des femmes, commémoration d’événements de l’histoire des femmes), tout
en utilisant aussi les moyens classiques de pression politique et sociale pour demander des
réformes statutaires ou l’application de lois votées.
Voici une manifestation exemplaire : celle, en 1996, des ouvrières d’une usine Mitsubishi de
l’Illinois en lutte contre le harcèlement de leurs collègues. Elles ont lancé une procédure
judiciaire et elles ont manifesté avec des pancartes expressives comme « real men don’t pinch
their coworkers » (les vrais hommes ne pincent pas leurs collègues), quelques mots dénonçant
efficacement la virilité machiste. Je cite cette histoire, parce qu’elle se termine bien, ce qui est
très rare : elles ont reçu 34 millions de dollars de dommages et intérêts.
Autre milieu, mêmes injustices, et une révolte originale : celle des Guerilla Girls, des femmes du
milieu artistique new-yorkais qui se définissent comme « la conscience du monde de l'art ».
Utilisant l'humour et la dérision pour dénoncer le pouvoir mâle dans le monde de l'art, elles font
des interventions fortement symboliques en portant des masques de gorille. Elles ont réussi à
conserver leur anonymat depuis leur première manifestation en 1985 : au cours d’une réception
au Metropolitan Museum, elles arborèrent des pancartes avec l’image de l'odalisque nue d’Ingres,
la tête remplacée par celle d’un gorille et la question « Est-ce que les femmes doivent être nues
pour entrer au Metropolitan Museum ? »
Un masque de gorille : voilà qui n’est guère féminin au sens traditionnel ! Guenon, n’est-ce pas
une injure adressée aux femmes qu’on juge laides ? Précisément, c’est une démarche fréquente
chez des féministes engagées d’utiliser un nom injurieux pour s’en faire une bannière : ainsi, un
périodique féministe créé en Hongrie après la chute du mur porte le beau nom de Nöszemely
(harpie) et ses initiatrices expliquent qu’elles ont voulu se réapproprier le mot pour exprimer leur
révolte. Autre cas, celui de la proscrite du Bangladesh, l’écrivaine Taslima Nasreen qui se dit
(interview du 15 mars 1996) « a rotten woman » (une femme perdue) : elle revendique cette
insulte, car elle ne veut pas adopter le système de défense traditionnel des femmes, posant à
l'ange, à la chaste créature sans sexualité, se présentant comme dévouées aux autres et sacrifiant
leur propre vie. De même, certaines des 343 Françaises qui ont signé le fameux manifeste sur
l’avortement en avril 1971 ont repris le nom de « salopes » dont on les a affublées. De même, j’ai
choisi de donner le nom de Chiennes de garde au mouvement que j’ai lancé en mars 1999 pour
défendre des femmes insultées publiquement de manière sexiste. Ce nom, qui a semblé à
beaucoup violent ou péjoratif, a grandement contribué à la notoriété de cette action.
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b) Une grande diversité dans les stratégies : de la demande de droits aux actions solidaires,
des manifestations locales aux réseaux internationaux
Les stratégies des mouvements féministes ont varié selon les pays et selon les époques, et les
problèmes ont été abordés dans un ordre différent. Parmi les grandes questions stratégiques, celle
des priorités, par exemple au sujet du droit de vote : pendant des décennies, des congrès
féministes ont débattu pour savoir s’il fallait demander le droit de voter à toutes les élections ou
d’abord aux élections municipales. Pendant ce temps, des militants et militantes socialistes
stigmatisaient ces préoccupations réformistes et accusaient les féministes d’être des bourgeoises,
ce qui m’a toujours paru être un argument de type raciste. Pourquoi serait-ce une faute de jouir
d’avantages depuis la naissance si, du fait qu’on a des facilités pour penser et pour agir, on en
profite pour œuvrer de manière solidaire ?
Depuis les années 1970, parmi les débats stratégiques qui agitent les mouvements féministes,
celui de l’intérêt de la non-mixité dans les groupes de prise de conscience, de la place des
hommes sympathisants et aussi la réflexion sur la création d’un parti politique spécifique,
féministe ou de femmes.
Aujourd’hui, une question se pose aux féministes dans nos deux pays : faut-il répondre aux
attaques antiféministes, dont la virulence s’est considérablement accrue au Québec depuis
quelques années, et en France depuis quelques mois ? Comme cela neutralise nos forces, en les
occupant à un travail de défense et de justification, ne faut-il pas plutôt continuer d’agir selon les
stratégies que nous avons choisies, en ne laissant pas nos adversaires décider de nos priorités ?
Nous avons assez à faire avec nos propres débats internes, car le féminisme est lui-même riche et
divers, et traversé par des contradictions. Il n’y a pas consensus autour de questions comme la
maternité ou la prostitution, par exemple.
Dans une perspective historique, à travers la diversité des stratégies et des priorités selon les pays,
je retiens une tendance en Occident : après un siècle de luttes pour obtenir les droits civiques et
civils, l’accent a été mis à partir des années 1970 sur la lutte contre des violences et sur la
demande de droits liés à la sexualité : contraception, avortement, viol, viol par inceste, excision,
stérilisation, harcèlement sexuel, etc.
En 2003, de la Pologne aux États-Unis, l’avortement reste un sujet crucial et la pierre de
touche de la tolérance des conservateurs à la liberté des femmes. Aujourd’hui, c’est dans
54 pays, soit 40 % de la population mondiale, que l’avortement est autorisé sans restrictions,
(http://www.reproductiverights.org/publications.html), mais il y a encore 74 pays, groupant un
quart de la population mondiale, qui interdisent totalement l’avortement ou ne l’autorisent que
pour sauver la vie de la femme.
Les féministes ont agi et agissent toujours au sujet d’autres violences. Violences réelles,
physiques : celles du mari, celles sur les vieilles femmes et sur les infirmes, celles de la
prostitution. Violences symboliques dans les représentations : pornographie, publicité sexiste, ou
de manière plus atténuée, mais non moins pernicieuse, reproduction de stéréotypes sexistes dans
les manuels scolaires ou dans les livres pour enfants.
Elles agissent aussi sur d’autres inégalités et injustices, notamment dans le domaine du travail,
mais c’est là que les résultats sont les moins satisfaisants, malgré le vote de lois sur l’égalité
professionnelle. Ce n’est pas faute d’avoir dénoncé les salaires inférieurs, le temps partiel
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imposé, les promotions freinées, les difficultés de futures mères potentielles à être embauchées,
les allocations qui incitent les mères faiblement qualifiées à quitter leur emploi alors qu’elles ne
retrouveront pas de travail ensuite, etc. Ce n’est pas faute d’avoir demandé des congés de
maternité ET de paternité payés, des équipements collectifs, etc. Même dans les pays les plus
avancés, comme la Suède, où la différence moyenne des salaires à travail équivalent n’est QUE
de 10 %, l’emploi féminin a ses spécificités : temps partiel, postes de fonctionnaires, etc.
Les féministes s’organisent sur le plan régional et mondial et c’est une constante de leur histoire :
dès la fin du 19e siècle, des congrès féministes internationaux se sont réunis, notamment pour
demander le droit de vote. Aujourd’hui, en Europe, beaucoup participent au lobby européen des
femmes qui groupe 3 000 associations de femmes et qui a pris, en 2002, une décision collective
marquante en demandant la pénalisation des clients de la prostitution. Enfin, de nombreux
réseaux féministes ont une dimension mondiale. Cette internationalisation a été favorisée par
Internet; par sa facilité d’accès, il a en quelques années transformé le travail militant.
La notion de groupe et de réseau, de collectif plutôt que d’individuel, est fondamentale pour
apprécier la nature des stratégies et des tactiques des mouvements féministes. Par rapport aux
autres mouvements sociaux, c’est une particularité de l’action féministe et de l’histoire des
femmes que les groupes sont connus par leur nom, souvent provocant ou marquant, ou par leur
action spécifique (suffragettes, Planning familial, Mères de la place de mai, Femmes en noir qui
manifestent pour la paix en Israël, etc.), bien plus que par celui de leurs chefs.
Certes, il y a aussi des organisations traditionnelles, avec chef à vie et luttes de clans, et je ne
prétends pas que les féministes soient des anges désintéressés et ne recherchant pas le pouvoir.
Pourtant, au-delà des inévitables querelles de personnes, des affrontements et des désaccords
propres à toute structure humaine, malgré les difficultés de toutes sortes, souvent avec un
tragique manque de moyens, elles ont su tisser des solidarités locales ou internationales, pour
mener des campagnes efficaces : parmi d’innombrables exemples, je citerai celui des Afghanes
ou de Safiya Hussaini, Nigériane, qui a échappé en 2002 à la lapidation pour adultère.
Événement marquant de l’histoire des femmes, en 2000, la Marche mondiale des femmes contre
la pauvreté et les violences, lancée et organisée par la Fédération des femmes du Québec, a
rassemblé des millions de marcheuses à travers le monde et sa dynamique continue.
Participer à de tels événements renforce l’espoir de changer la vie, de changer le monde et les
rapports entre les êtres humains. Cela aide à développer une force intérieure qui permet de
résister aux critiques. Tel est le dernier point de cette réflexion sur l’action, avec cette
particularité – triste et si injuste – du mouvement féministe : il est l’objet d’attaques d’une
violence extrême.
c) La peau dure
« Il faut être économe de son mépris en raison du grand nombre de nécessiteux. » Mieux
vaut adopter cette devise, si on veut continuer son action féministe dans la voie et avec les
moyens qu’on a choisis. Pour éviter de se laisser décourager, mieux vaut être affectée d’une
surdité sélective, bref se foutre des insultes. J’ai employé un gros mot à connotation sexuelle.
Nous en sommes là, dans la grossièreté, dans l’ordure, dans la bassesse.
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Au début du siècle, des journalistes décrivaient des militantes féministes comme « sevrées
d'amour et de volupté ». Dans les années 1950, l’écrivain Jean Lartéguy se moquait des « vieilles
suffragettes aux souliers plats et au cul trapézoïdal ». Depuis trente ans, chaque fois qu’une
féministe, ou même une femme, ose adopter en public un comportement légèrement différent de
la carpette, la sanction publique tombe : l’insulte « mal-baisée ! »
Nous demandons que femmes et hommes soient égaux en dignité et en droits et on nous répond :
« Cul serré ! Peine-à-jouir ! Vous détestez les hommes ! » Nous demandons que les lois soient
appliquées et on nous traite de puritaines ou de lesbiennes. Nous dénonçons les publicités sexistes
et on nous dit que nous sommes moches, donc jalouses de ces belles femmes nues. Quel rapport
entre notre action et ces réactions ? Aucun ! Quel point commun entre ces insultes ? Le plaisir,
avec un homme – un vrai -, qu’on prétend nous imposer comme condition préalable, référent
unique et horizon absolu de toute action de femmes.
Jamais un homme, un militant, un penseur n’a à subir ce genre d’attaques lorsqu'il expose ses
idées. Nous, nous sommes en priorité sommées de jouir et de jouir dans les normes !
L’historienne Christine Bard a traité ce thème dans l’ouvrage collectif Un siècle d'antiféminisme;
elle y explique (p. 311) qu’en France, érotisme et féminisme sont considérés comme
incompatibles, que selon certains le féminisme vient désenchanter le jeu de la séduction entre
hommes et femmes.
Nous, des puritaines ? Je pense à mes compagnes d’action depuis des décennies, aux jeunes filles
qui rejoignent La Meute, le mouvement que j’ai lancé en 2000 contre la publicité sexiste : des
peine-à-jouir ? Ils ne nous ont pas regardées ! Nous sommes des femmes – et des hommes –
réjouies, de bonnes vivantes, nous aimons la vie et nous partageons de merveilleux souvenirs de
gaieté et de joie.
La peau dure, enfin, est indispensable si on veut résister à l’ingratitude.
Même Simone de Beauvoir, en 1949, déclarait que le féminisme avait fait son temps, mais elle a
changé d’avis ensuite. Voici sa phrase, au début du Deuxième Sexe : « Nous ne sommes plus,
comme nos aînées, des combattantes : en gros, nous avons gagné la partie. » Bien des féministes
aimeraient croire que c’est gagné, même si c’est en très gros, et se reposer. Non seulement cela
leur est impossible si elles ont un minimum de lucidité, mais elles doivent, quand elles vivent
assez vieilles, supporter l’ingratitude, ou même pire, l’équivalent de ce que les Romains
nommaient damnatio memoriae : ainsi Octave fit-il marteler le nom de Cléopâtre pour l’effacer
de tous les monuments et faire disparaître jusqu’à son souvenir. Appliquée aux féministes, cette
démarche n’est pas toujours aussi volontaire, car elle s’explique plutôt par l’ignorance, mais le
résultat est le même : le gouffre de l’oubli.
En pratique, cela consiste à apprécier les acquis obtenus par les féministes en oubliant que c’est à
elles qu’on les doit ou, pire, en les rejetant. On affirme, dans un discours : « Le général de Gaulle
a donné le droit de vote aux Françaises en 1944 », sans mentionner que des groupes féministes le
réclamaient depuis… 1848, avec manifestations, campagnes de pétitions, groupe féministe de
parlementaires hommes, etc. Quand Beauvoir publie Le Deuxième Sexe, le droit de vote est
acquis et l’égalité des sexes est inscrite dans la Constitution de 1946. Mais qu’est-ce qu’elles
veulent encore ?
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Autre exemple d’aujourd’hui : les mêmes qui disent « La pilule, ou le droit à l’avortement, ben
quoi, on l’a, c’est normal ! » reprochent aux féministes d’être agressives et ne se rendent pas
compte qu’aucun droit n’est jamais acquis, gravé dans le marbre pour l’éternité, et que ceux des
femmes le sont encore moins que les autres. Un droit se protège, se défend, se cultive. Surtout le
droit à l’avortement. Les féministes, plus lucides, plus averties, le savent et restent vigilantes,
même si on les traite d’anciennes combattantes scrongneugneu (ronchonnes).
Contre les attaques, contre l’ingratitude, contre l’oubli, une seule démarche : persévérer. Malgré
les échecs, les déceptions, les haines, per-sé-vé-rer. Je suppose que c’est cette analyse qui a
conduit les conceptrices d’un remarquable site féministe québécois à choisir pour nom Sisyphe !
Roulons notre pierre et poursuivons notre tâche !
3. Changer soi-même et le monde
Je conclurai sur les résultats de l’action féministe, depuis un siècle et demi qu’elle est organisée
collectivement. Je conclurai avec un rêve, un bilan et un salut.
Un rêve
Outre la persévérance, une autre qualité est indispensable aux féministes qui gardent l’espoir
chevillé au corps : la patience.
« Personne n'abandonne facilement ses privilèges », a dit le leader antiraciste et non violent
Martin Luther King dans son discours « I have a dream » (Je fais un rêve). Tout cet admirable
texte serait à citer, car le rêve du pasteur noir est proche de l’utopie féministe. Je vous en cite des
extraits, quelques mots forts : « Les Blancs sont nos frères; nous répondrons à la force physique
par la force morale, la force de nos âmes; vous nous faites violence et nous continuons à vous
aimer. »
Transposé au rêve féministe et énoncé prosaïquement, cela donne : une société sans domination
masculine ni structure patriarcale, sans violence quotidienne, sans guerre, sans exploitation des
autres peuples, sans destruction de la nature. Une société dans lequelle chacun-e choisira sa vie,
sera économiquement indépendant-e, une société de justice sociale pour tous et de solidarité avec
les plus faibles, une société où femmes et hommes participeront à égalité aux décisions dans tous
les domaines. Je rêve ? Oui ! et je dis avec Victor Hugo : « L’utopie d’aujourd’hui est la réalité
de demain. »
Le slogan « Bread and Roses » (Du pain et des roses), nom repris par la Marche québécoise de
1995, rend bien compte du rêve féministe. Quand, dans les États-Unis du début du XXe siècle, les
grévistes du textile manifestaient avec ces mots, elles revendiquaient à la fois de meilleures
conditions de vie matérielle – du pain –, mais aussi des roses, représentant l’aspect spirituel
indispensable à une libération complète. Les roses ne viendront pas d’une loi, mais d’un
changement des mentalités. Il est en marche…
Après bien des rébellions individuelles et des révoltes annonciatrices, la révolution féministe a
été lancée il y a deux siècles. L’humanité, dont l’organisation repose depuis des millénaires sur
l’infériorisation et sur la domestication des femmes, est en voie de transformation radicale. Ce
fondement a été ébranlé quand l’égalité a été proclamée comme un principe fondamental de la
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démocratie. Reste à passer du mot à la réalité, à matérialiser une idée. Nous disposons déjà de la
force et de la légitimité du mot. Sans elles, nous ne pourrions rien. Avec elles, nous sommes sur
le chemin de la justice et nous pouvons opposer à nos adversaires leur propre principe.
Où en est-on ? Esquisse d’un bilan.
« Quand sera brisé l'infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle (…) » Où
en est-on de cette brisure nommée par Rimbaud et qui est nécessaire à l’émancipation de toute
l’humanité ?
Les progrès sont lents, les régressions souvent tragiques, mais sur le long terme, l’amélioration
est réelle et donne des raisons d’espérer. Même si ces changements considérables sont
généralement attribués à l’air du temps, ou à l’évolution naturelle, ils résultent très largement du
travail féministe.
Quelques exemples :
Contraception et avortement
La mise sur le marché de la pilule contraceptive (1960) est reconnue comme l’un des faits
marquants du XXe siècle. Les femmes disposant d’une contraception efficace peuvent se penser
comme sujet, se projeter dans l’avenir. Il faut encore qu’elles se libèrent des stéréotypes sur
l’amour et sur la maternité, qu’elles échappent à l’intégrisme religieux. Encore quelques
générations !
Le droit à l’avortement, plus ou moins restreint, est acquis dans les démocraties, sauf en Irlande
et en Pologne, mais il reste fragile et d’une application très inégale.
Travail
Au XIXe siècle, on considérait comme normal qu’une ouvrière gagnât la moitié du salaire
masculin pour faire le même travail. C’était un salaire féminin, un salaire d’appoint. Aujourd’hui,
en Occident, le fait que les hommes gagnent 20 % de plus que les femmes, en moyenne, pour un
travail équivalent, commence à être connu et surtout reconnu comme inacceptable.
Violences
Même si la victime doit encore trop souvent se justifier, en Occident, le viol est enfin considéré
comme un crime, y compris le viol commis par le mari ou compagnon. Quant aux autres
violences, la prise de conscience de leur caractère insupportable progresse dans l’opinon, hélas !
très lentement.
Affirmation de soi
Les filles et les femmes sont davantage encouragées à exister par elles-mêmes. Elles y sont aidées
par des hommes non sexistes, par exemple ceux qui prennent un congé de paternité pour
s’occuper de leur enfant (deux mois payés pour les pères suédois) ou par ceux qui ne trouvent pas
normal que leur compagne nettoie leurs saletés.
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Reconnaissance du féminisme
Dans tous les pays, les mouvements féministes ont toujours été très minoritaires et les personnes
engagées très peu nombreuses. Depuis son origine, le féminisme est considéré comme dépassé,
agressif, inutile. C’est seulement au Québec ou en Suède qu’on trouve une majorité de personnes
se disant féministes; ailleurs, c’est encore une étiquette infâmante pour beaucoup. Tragique
injustice, qui contraste avec la considération dont jouissent les militants antiracistes, les
personnes engagées dans des mouvements humanitaires ou à Amnistie International !
Au XXIe siècle, le féminisme, demande de respect et d’égalité, est de nouveau porté par un
mouvement mixte. Malgré des résistances acharnées, il est de mieux en mieux reconnu comme
l’une des forces de changement social. Reste à venir à bout d’un ennemi perfide, cousin de l’ange
du foyer de Virginia Woolf, un démon qui se trouve en nous-mêmes : la tentation de la
perfection, le désir de bien faire, de tout réussir, de plaire et d’être aimée. Comme si la demande
de justice et de dignité était incompatible avec l’amour…
Un salut
Je termine en adressant un salut à nos prédécesseurs, à toutes ces bonnes femmes ridicules, à
toutes ces emmerdeuses magnifiques, à ces obstinées de l’égalité, à ces anciennes petites filles
révoltées qui ont dit un jour « c’est pas juste », puis qui ont œuvré pour un monde plus juste,
qu’elles n’ont pas vu, et que nous commençons à entrevoir.
Je dis merci à toutes ces féministes du passé qui ont changé notre vie. Je remercie celles grâce à
qui nous pouvons voter, travailler sans l'autorisation du mari, ouvrir un compte en banque, nous
habiller à notre guise, ne plus porter de chapeau, nous couper les cheveux, nous maquiller, faire
du sport, étudier dans tous les domaines, exercer tous les métiers et fonctions, choisir d'avoir ou
non un enfant, en avoir sans être mariée.
Je remercie celles grâce à qui nous pouvons créer, publier des livres, tourner des films, composer
de la musique ou chanter en public.
Je remercie celles à qui nous devons d’avoir appris à résister à la violence, de sortir seule dans la
rue, même la nuit, de voyager, de mettre en œuvre notre solidarité avec des femmes du monde
entier, de nous entraider en formant des groupes de femmes actives et responsables.
Par-dessus tout, merci à celles à qui nous devons la fierté d'être femmes, que nous transmettrons
aux générations suivantes avec la conviction de la dignité égale qu'il y a à être né-e femme ou
homme.
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