exposition chimique et troubles de la reproduction
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exposition chimique et troubles de la reproduction
rapport greenpeace © DIMITRIJE OSTOJIC 2006 EXPOSITION CHIMIQUE ET TROUBLES DE LA REPRODUCTION une synthèse des preuves scientifiques sur les liens entre troubles de la reproduction humaine et exposition aux substances chimiques dangereuses ATTENTION FRAGILE ! Publié par Greenpeace International Date Avril 2006 (Juillet 2006 pour la version française) Auteurs Michelle Allsopp, David Santillo, Ulrike Kallee & Martin Hojsík note technique des Laboratoires de Recherche de Greenpeace 02/2006 Remerciements Un grand merci à Fawaz al Bitar, Helen Perivier et Nadia Haiama pour leurs commentaires, Madeleine Cobbing pour la relecture, et Helen Perivier et Martin Hojsik pour la coordination de la production de ce rapport Version française Céline Farchi et Yannick Vicaire Graphisme et maquette Tania Dunster, onehemisphere, Suède Ce rapport s’appuie sur des informations mises à jour provenant de deux rapports publiés précédemment par Greenpeace Royaume-Uni en 2003 : Dorey, C.N. (2003) Chemical Legacy – Contamination of the Child, Greenpeace UK, October 2003: 54 pp http://www.greenpeace.org/international/press/reports/chemical-legacy-contaminatio Greenpeace UK (2003) Human impacts of man-made chemicals, Greenpeace UK, September 2003: 17 pp http://www.greenpeace.org.uk/MultimediaFiles/Live/FullReport/5988.pdf Nous leur devons beaucoup. ATTENTION FRAGILE ! rapport greenpeace 2006 EXPOSITION CHIMIQUE ET TROUBLES DE LA REPRODUCTION une synthèse des preuves scientifiques sur les liens entre troubles de la reproduction humaine et exposition aux substances chimiques dangereuses Résumé du rapport 1 2 3 4 4 PRESENTATION DES ENJEUX 6 1.1 1.2 1.3 1.4 6 6 7 9 L’empreinte croissante de la chimie industrielle Croissance des troubles de la reproduction Interférences avec le développement de l’appareil de reproduction Protéger la génération à venir TROUBLES DE LA REPRODUCTION ET EXPOSITION AUX SUBSTANCES CHIMIQUES : LE LIEN 10 2.1 Troubles de l’appareil de reproduction masculin 2.2 Troubles de l’appareil de reproduction féminin 2.3 Modification du ratio sexuel 10 12 13 D’AUTRES SOURCES DE PREUVES : MESURE DIRECTE DE LA TOXICITE POUR LA REPRODUCTION ET EXPOSITION AUX SUBSTANCES CHIMIQUES 14 3.1 Alkylphénols 3.2 Phtalates (esters de phtalates) 3.3 Retardateurs de flammes bromés (RFB) 3.4 Composés organoétains 3.5 Bisphénol A 3.6 Muscs artificiels (muscs nitrés et muscs polycycliques) 14 15 17 18 19 20 CONCLUSION 21 Références 22 ATTENTION FRAGILE ! | 3 rapport greenpeace résumé du rapport Un nombre croissant de travaux scientifiques démontrent une augmentation inquiétante des troubles de l’appareil de reproduction humain. Par exemple : * le compte spermatique a brutalement chuté au cours des 50 dernières années dans de nombreux pays ; * les cancers des testicules sont en forte augmentation ; * la stérilité peut aujourd’hui affecter 15 à 20% des couples dans les pays industrialisés contre 7 à 8% au début des années 1960 ; * les jeunes filles atteignent la puberté à un age précoce dans certaines régions du monde ; * l’incidence des endométrioses chez les femmes est très élevée dans certains pays ; * le rapport des naissances masculines sur les naissances féminines est en diminution dans plusieurs régions du monde, avec des changements très marqués dans certaines zones. Les causes exactes de l’augmentation de ces troubles de la reproduction sont encore méconnues.Toutefois, on peut remarquer que ce phénomène s’est développé en parallèle à l’augmentation de la production et de l’utilisation des produits chimiques. On estime qu’aujourd’hui plus de 100 000 substances chimiques différentes sont produites et utilisées à l’échelle mondiale. L’usage de certains toxiques a provoqué une contamination inévitable de l’environnement et en conséquence une exposition permanente des êtres humains. Certains produits chimiques, connus pour leur caractère persistant et liposoluble, ont même contaminé les tissus humains. Même le fœtus dans le ventre maternel est exposé à une multitude de substances qui polluent le corps humain. Bien qu’elles n’aient pas levé tous les doutes, des preuves s’accumulent sur les liens possibles entre les augmentations conjointes des problèmes de reproduction et de l’exposition à de nombreuses substances chimiques. La présence de nombreux produits chimiques de synthèse dans l’environnement au niveau actuel est peut-être déjà responsable de conséquences négatives sur la reproduction humaine et animale. Les fondements de telles hypothèses sont tirés d’un certain nombre de preuves, comme des études en laboratoire des effets des produits chimiques sur les animaux, la mesure directe de l’exposition humaine à des substances chimiques (et en particulier la présence de substances chimiques dans les tissus du corps humain) et la mise en évidence de corrélations entre le niveau d’exposition à des substances chimiques et l’incidence de certains troubles sanitaires. 4 | ATTENTION FRAGILE ! Des études en laboratoire ont montré de façon irréfutable que certaines substances chimiques sont capables de causer des troubles de la reproduction chez les animaux. Dans cette perspective, certaines substances sont particulièrement préoccupantes, comme les polluants organiques persistants (POP) et d’autres substances chimiques dangereuses à forte dispersion, connues pour leur toxicité pour la reproduction et/ou leur capacité à interférer sur le fonctionnement du système hormonal (endocrinien). Alors que certaines substances chimiques, en particulier les POP régis par la Convention internationale de Stockholm (2004), ont été interdites ou soumises à de sévères restrictions, les autres substances toxiques pour la reproduction et les perturbateurs endocriniens sont encore couramment utilisées par l’industrie et incorporées comme ingrédients ou additifs dans une grande variété de produits de consommation. Le tableau 1 liste quelquesunes des substances chimiques préoccupantes pour la reproduction humaine. De nombreux troubles de la reproduction dont l’incidence a augmenté sont soupçonnés de trouver leur origine dans les étapes du développement intrautérin du fœtus. Les nourrissons peuvent aussi être vulnérables. Il est donc très préoccupant de constater que certaines des substances chimiques répertoriées ci-dessus sont capables de traverser le placenta et de contaminer le lait maternel. Par exemple, la présence d’alkylphenols, de retardateurs de flammes bromés, de muscs artificiels, de phtalates et de bisphenol A a été relevée dans le sang du cordon ombilical. De plus, deux études portant sur les phtalates dans les bébés humains ont apporté les preuves que ces substances chimiques sont associées à une perturbation hormonale bien que des études approfondies seraient nécessaires pour confirmer ces conclusions. La toxicologie traditionnelle s’est longtemps focalisée sur les effets létaux provoqués sur les animaux de laboratoire par de fortes doses de produits chimiques, administrées sur de courtes périodes de temps. Pourtant, invariablement, des effets sub-létaux (c’està-dire des effets nocifs autres que la mort) d’une exposition aiguë, ainsi que des effets létaux et sublétaux d’une exposition à long terme (chronique) finissent par être observés à des doses bien inférieures à la fameuse DL50 (la dose tuant 50% des animaux exposés au cours d’un même test). Peut-être ne parviendra-t-on jamais à prouver avec certitude que l’augmentation actuelle des problèmes sanitaires de reproduction s’explique par des causes chimiques. Mais il serait irresponsable d’ignorer les éléments d’explication disponibles à ce jour, qui rendent urgente l’adoption d’une politique de précaution face à ces substances chimiques préoccupantes. Nous avons un besoin urgent de lois qui nous protègent de l’exposition permanente à de tels produits chimiques. Une nouvelle législation européenne est en cours d’élaboration pour réglementer la fabrication et l’utilisation de produits chimiques, la réforme REACH (Enregistrement, Evaluation, Autorisation des substances chimiques). Les institutions européennes, Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, ont cette année l’opportunité de rédiger une réglementation fondée sur le principe de précaution et le principe de substitution, afin que les substances chimiques dangereuses (dont les toxiques de la reproduction et les perturbateurs endocriniens) soient progressivement remplacées par des alternatives plus sûres. Si l’Union européenne devait s’engager sur cette voie, elle créerait un précédent mondial, indiquant aux autres gouvernements la voie à suivre pour protéger la santé des citoyens et l’environnement, et pour mettre un terme global à l’emploi de substances dangereuses. TABLEAU 1 : SUBSTANCES FAMILLE CHIMIQUE De plus, les décideurs politiques doivent s’assurer que la réforme chimique relève aussi le défi de l’information. REACH doit exiger des producteurs et importateurs de substances chimiques des données sur les propriétés de leurs molécules, afin d’établir un panorama complet des risques et d’identifier les perturbateurs hormonaux et les autres toxiques pour la reproduction. CHIMIQUES PRÉOCCUPANTES POUR LA REPRODUCTION HUMAINE USAGES COURANTS PRÉOCCUPATIONS POUR LA REPRODUCTION Alkylphénols et substances * anciennement dans les secteurs de * action similaire à celle des hormones apparentées (en particulier l’entretien industriel et institutionnel * infertilité masculine accrue, éthoxylates d’alkylphénol, (y compris l’entretien domestique) diminution de la taille des testicules ou APE) et de la qualité du sperme * finition textiles et cuir * produits de toilette 1 * production de pesticides Phtalates (esters de phthalate) * plastifiants du PVC et certaines applications pour polymères * toxique pour les testicules * distance anogénitale réduite, fissure de la verge, hypospadias et absence de descente des testicules chez les jeunes garçons * agents gélifiants * solvants et fixateurs dans les cosmétiques et autres produits de soin du corps * réduction de la fertilité chez les hommes et les femmes * toxique pour le fœtus (susceptible d’entraîner la mort ou des malformations) Retardateurs de flamme * retardateurs de flamme dans appareils industriels et électriques, bromés (en particulier les véhicules, éclairage, câblage, et diphényl éthers polybromés, textiles, matériaux de rembourrage ou PBDE, et d’isolation (polystyrène) l’hexabromocyclododécane, ou HBCD, et le tétrabromobisphénol-A, ou le TBBPA) * imitation des œstrogènes * malformations congénitales observées chez les rongeurs * impacts sur le système nerveux et le développement comportemental Composés organoétains (dont mono, di et tributylétain et triphénylétain) * inhibition de la production d’hormone * stabilisateurs UV du PVC stéroïde * produits agrochimiques et biocides * impact négatif sur le développement * revêtements anti-salissures in utero du fœtus, dont anomalies du développement génital chez le fœtus mâle * catalyseurs Bisphénol-A et ses dérivés * production de plastique polycarbonate utilisé par exemple pour les biberons, les CD, les parebrises de véhicules légers, etc * activité œstrogénique * altération des organes de reproduction mâles * production de résines époxy utilisée * induction de puberté précoce par exemple dans les revêtements * réduction de la capacité d’allaitement des emballages alimentaires maternel Muscs artificiels (dont * activité œstrogénique * mélanges de fragrances pour détergents, tissus, aprèsles muscs nitrés tels que * activité anti-œstrogénique shampoing, agents nettoyants, le musc xylène et le musc rafraîchisseurs d’ambiance et cétone, ainsi que les autres produits domestiques muscs polycycliques tels que le HHCB, ou galaxolide, et l’AHTN, ou * produits cosmétiques tels que savons, shampoings et parfums tonalide) 1. Plusieurs usages du nonylphénol et de ses composés ont été récemment interdits par l’Union européenne (26eme amendement de la directive 76/769). De nombreux usages de l’octylphénol et de ses composés font apparemment l’objet d’abandons volontaires de la part de l’industrie, avant même les résultats de l’évaluation des risques conduite par l’UE. En dehors de l’Europe, il existe peu de restrictions et l’usage de ces deux composés et de leurs dérivés demeure répandu, en particulier dans des détergents industriels et ménagers. ATTENTION FRAGILE ! | 5 rapport greenpeace présentation des enjeux 1 1.1 L’empreinte croissante de la chimie industrielle On estime à 100 000 le nombre de substances chimiques produites chaque année dans le monde et destinées à un large éventail d’utilisations (EEA, 1999). Les estimations pour l’Union Européenne (UE) varient entre 30 000 et 70 000. Une grande partie de ces produits chimiques, en particulier ceux utilisés en grande quantité et pour des applications “ouvertes” (par opposition à certains systèmes fermés industriels dans lesquels une molécule ne quitte pas le réacteur où elle est mise en œuvre) finissent par échouer dans l’environnement. D’autres substances chimiques, interdites de fabrication et d’utilisation depuis des années, continuent à migrer des articles de consommation commercialisés avant ces restrictions ou ont une durée de vie si longue qu’on peut encore les détecter dans l’environnement. Parallèlement, de nouveaux produits sont synthétisés et mis sur le marché régulièrement. En conséquence, nous sommes aujourd’hui exposés à des dizaines de milliers de substances chimiques qui n’existaient pas sur cette planète il y a encore quelques dizaines d’années. Des études montrent que beaucoup de ces substances chimiques se retrouvent dans les tissus corporels des animaux et des hommes. Dans certains cas l’exposition à ces substances peut se produire à l’étape la plus sensible de la croissance : lors du développement in utérin du fœtus. Alors que nos grands-parents, lorsqu’ils se trouvaient dans le ventre de leur mère, n’ont pas été exposés à ces nouvelles substances chimiques. 2. Il est largement reconnu que l’allaitement maternel apporte des bénéfices importants au nourrisson, surtout dans les premiers mois après la naissance, par le transfert de nutriments vitaux et d’anticorps de la mère vers l’enfant. Il joue aussi sur le développement du lien entre mère et enfant. Par conséquent, malgré les préoccupations générées par la contamination chimique, l’allaitement demeure recommandé par les scientifiques et les professionnels de santé publique. Plutôt qu’un motif pour cesser d’allaiter, la présence actuelle de contaminants chimiques dans le lait maternel illustre l’urgence de maîtriser la pollution chimique à la source. 6 | ATTENTION FRAGILE ! Plusieurs études récentes, telles celles effectuées par l’Environmental Working Group aux EtatsUnis et par le WWF et Greenpeace en Europe, rapportent la présence d’un large éventail de substances chimiques de synthèse dans le sang d’adultes et d’enfants (WWF Royaume-Uni 2003, 2004, WWF 2004a, b, Greenpeace Pays-Bas 2004, Greenpeace/WWF 2005). Aucun des adultes volontaires n’était exposé régulièrement à des produits chimiques dans le cadre de son travail, et pourtant aucun n’échappait à une contamination chimique du sang, ce qui illustre bien l’ubiquité de notre exposition quotidienne aux substances chimiques. Le placenta ne fait en général pas office de barrière contre les produits chimiques qui polluent déjà le corps de la mère. Le fœtus en développement peut ainsi être exposé aux substances chimiques présentes dans le sang maternel. En sus d’être exposé quotidiennement aux mêmes substances chimiques que sa mère, le fœtus en développement est aussi exposé aux substances chimiques qui se sont accumulées dans les tissus maternels et qui sont remis en circulation pendant la grossesse. Le liquide amniotique dans lequel baigne le bébé tout au long de sa croissance s’est aussi révélé contenir des substances chimiques dangereuses, ainsi que le sang acheminé par le cordon ombilical (Greenpeace/WWF 2005). Après la naissance, le nourrisson continue d’être exposé aux substances chimiques contenues dans le lait maternel2. Ces études examinent la distribution de plusieurs familles clés de substances chimiques qui soulèvent des préoccupations de par leur capacité à engendrer des effets négatifs (dont la capacité d’interférer avec le système hormonal).Toutefois, de nombreuses autres substances chimiques de synthèse sont susceptibles d’être également présentes mais n’ont pas été ciblées dans ces travaux. 1.2 Croissance des troubles de la reproduction La croissance de l’incidence de certaines atteintes à l’appareil de reproduction (à l’instar d’autres effets sur la santé) s’est effectuée parallèlement à l’augmentation de la production et de l’utilisation de substances chimiques. Par exemple, dans de nombreuses régions en Europe, le compte de spermatozoïdes a diminué radicalement au cours des 50 dernières années, les cancers des testicules sont en augmentation importante et le ratio sexuel, la proportion entre les naissances de garçons et de filles, semble s’inverser en faveur des dernières. Ces augmentations en parallèle de tels phénomènes sanitaires pourraient n’être qu’une coïncidence. Les méthodes dont nous disposons pour déterminer les causes de maladies telles que les cancers, ou les impacts intergénérationnels des substances chimiques qui interfèrent avec les hormones, sont limitées et ne peuvent nous fournir des réponses claires. Ce qui est certain, néanmoins, c’est que de nombreuses substances chimiques, retrouvées couramment dans l’environnement et dans le corps humain, ont montré à travers des tests de laboratoires leur capacité à causer le type d’effets qui peuvent être à l’origine des tendances de la reproduction humaine que nous observons à l’échelle mondiale. Nous ne serons peut-être jamais certains que des causes chimiques sont à l’origine de ces tendances, mais les éléments de preuves disponibles méritent d’être traités avec sérieux et responsabilité. 1.3 Interférences avec le développement de l’appareil de reproduction De nombreux produits chimiques sont préoccupants au regard de leurs impacts sur la reproduction. Un peu plus de 50 substances chimiques sont officiellement classées comme toxiques pour la reproduction en Europe (étiquetées R60 “peut altérer la fertilité”, ou R61 “risque pendant la grossesse d’effets néfastes pour l’enfant”) sous la Directive 67/548 concernant la classification et l’étiquetage. Des dizaines d’autres substances sont reconnues comme potentiellement toxiques pour la reproduction (étiquetées R62 ou R63). Mais il s’agit sans aucun doute d’une fraction seulement des substances chimiques sur le marché qui peuvent interférer dans le développement de l’appareil de reproduction animal, y compris chez les humains. De nombreuses autres substances sont connues ou suspectées pour leur capacité d’interférer avec le système endocrinien (hormonal), ce mécanisme de régulation chimique qui, chez chacun d’entre nous, est si vital pour contrôler la croissance, le développement et la santé. Mais la plupart des substances n’ont tout simplement jamais été testées pour ces effets. Jusqu’à une époque relativement récente, les inquiétudes se concentraient sur un petit nombre de polluants environnementaux de synthèse bien connus, tels que les pesticides chlorés (DDT, dieldrine, chlordane, hexachlorobenzène, …) ou certains produits chimiques jadis très employés comme les biphényles polychlorés (PCB). En plus de s’être répandues dans l’environnement, jusqu’à atteindre des écosystèmes très éloignés de leur source d’utilisation et de diffusion, ces substances chimiques sont connues depuis des dizaines d’années pour leurs effets toxiques variés sur les animaux et, dans certains cas, sur les humains y compris l’altération du développement de leur système de reproduction (Allsopp et al. 1999). Ce n’est que récemment que les détails des mécanismes responsables de leur toxicité ont été découverts, comme le phénomène de perturbation hormonale ou endocrinienne. Même dans ce cas, les chercheurs ne se sont intéressés qu’à un effet particulier, en l’occurrence la capacité de ces substances chimiques de synthèse à agir comme des hormones stéroïdes femelles naturelles connues sous le nom générique d’œstrogènes. Leurs effets sur d’autres parties du système endocrinien ont été très peu étudiés. Et, lorsqu’il s’agit de prendre en compte l’ensemble des autres substances chimiques dangereuses auxquelles nous sommes exposés tous les jours, les frontières de la compréhension scientifique sont largement dépassées. Le consensus international sur les dangers que présentent certaines substances chimiques très répandues et persistantes pour l’environnement et la santé humaine, désignées sous le terme de Polluants Organiques Persistants (POP) dont les PCB et les pesticides chlorés répertoriés ci-dessus, a fini par aboutir à la préparation de la Convention de Stockholm (2001). A quelques exceptions près, cette poignée de substances chimiques (12 en tout) sont aujourd’hui bannies ou leur usage est sévèrement restreint dans la plupart des pays du monde, bien que nous continuions à y être exposés à cause de leur durée de vie et, dans les cas des dioxines et des PCB, parce qu’ils continuent à être produits en tant que sous-produits involontaires de l’incinération et de l’enfouissement des déchets et de certains procédés industriels. Même si quelques substances supplémentaires sont actuellement sur la table des négociations pour leur inscription sur la liste POP de Stockholm, elles ne représentent jamais qu’une faible part des substances chimiques capables d’altérer le développement de l’appareil de reproduction. D’autres substances chimiques aux propriétés similaires de persistance dans l’environnement (résistance à la dégradation), de capacité d’accumulation (accumulation dans les tissus corporels et à travers la chaîne alimentaire) et de toxicité (y compris pour la reproduction) continuent à être couramment utilisées aujourd’hui. Certaines d’entre elles sont même utilisées comme additifs dans des produits largement distribués en Europe. Par exemple : ATTENTION FRAGILE ! | 7 rapport greenpeace présentation des enjeux suite 1 TABLEAU 2 : SUBSTANCES CHIMIQUES PRÉOCCUPANTES POUR LA REPRODUCTION HUMAINE FAMILLE CHIMIQUE USAGES COURANTS PRÉOCCUPATIONS POUR LA REPRODUCTION Alkylphénols et substances apparentées (en particulier éthoxylates d’alkylphénol, ou APE) * anciennement dans les secteurs de * action similaire à celle des hormones l’entretien industriel et institutionnel * infertilité masculine accrue, (y compris l’entretien domestique) diminution de la taille des testicules finition textiles et cuir et de la qualité du sperme * 1 * produits de toilette * production de pesticides Phtalates (esters de phthalate) * plastifiants du PVC et certaines applications pour polymères * agents gélifiants * toxique pour les testicules * distance anogénitale réduite, fissure de la verge, hypospadias et absence de descente des testicules chez les jeunes garçons * solvants et fixateurs dans les cosmétiques et autres produits de soin du corps * réduction de la fertilité chez les hommes et les femmes * toxique pour le fœtus (susceptible d’entraîner la mort ou des malformations) Retardateurs de flamme * retardateurs de flamme dans appareils industriels et électriques, bromés (en particulier les véhicules, éclairage, câblage, et diphényl éthers textiles, matériaux de rembourrage polybromés, ou PBDE, et d’isolation (polystyrène) l’hexabromocyclododécane , ou HBCD, et le tétrabromobisphénol-A, ou le TBBPA) * imitation des œstrogènes * malformations congénitales observées chez les rongeurs * impacts sur le système nerveux et le développement comportemental * inhibition de la production d’hormone Composés organoétains * stabilisateurs UV du PVC stéroïde (dont mono, di et produits agrochimiques et biocides * tributylétain et * impact négatif sur le développement triphénylétain) in utero du fœtus, dont anomalies du * revêtements anti-salissures développement génital chez le fœtus mâle * catalyseurs Bisphénol-A et ses dérivés 3. Plusieurs usages du nonylphénol et de ses composés ont été récemment interdits par l’Union européenne (26eme amendement de la directive 76/769). De nombreux usages de l’octylphénol et de ses composés font apparemment l’objet d’abandons volontaires de la part de l’industrie, avant même les résultats de l’évaluation des risques conduite par l’UE. En dehors de l’Europe, il existe peu de restrictions et l’usage de ces deux composés et de leurs dérivés demeure répandu , en particulier dans des détergents industriels et ménagers. 8 | ATTENTION FRAGILE ! * production de plastique polycarbonate utilisé par exemple pour les biberons, les CD, les parebrises de véhicules légers, etc * activité œstrogénique * altération des organes de reproduction mâles induction de puberté précoce * production de résines époxy utilisée * par exemple dans les revêtements * réduction de la capacité d’allaitement des emballages alimentaires maternel Muscs artificiels (dont les muscs nitrés tels que le musc xylène et le musc cétone, ainsi que les muscs polycycliques tels que le HHCB, ou galaxolide, et l’AHTN, ou tonalide) * mélanges de fragrances pour détergents, tissus, aprèsshampoing, agents nettoyants, rafraîchisseurs d’ambiance et autres produits domestiques * produits cosmétiques tels que savons, shampoings et parfums * activité œstrogénique * activité anti-œstrogénique On sait depuis un certain temps grâce à des études de laboratoires que ces substances chimiques, parmi d’autres, ont la capacité inhérente d’interférer avec le système endocrinien (hormonal) des animaux, et en particulier des mammifères. Dans certains cas leurs effets négatifs sur la reproduction sont bien documentés, plus spécifiquement, leurs impacts sur le développement des organes reproducteurs à des étapes précoces. Les hormones contrôlent le processus de développement chez le fœtus et l’enfant en bas âge à des niveaux très bas (ppt soit un millionième de millionième). Comme nous allons le voir plus loin, de nombreux polluants de l’environnement peuvent être trouvés dans les fluides ou les tissus corporels chez l’homme à des niveaux bien supérieurs, si bien que même l’activité des substances chimiques ayant une action de perturbation hormonale qualifiée de “faible” doit être considérée. A cause de la nature complexe du système endocrinien (hormonal) chez les animaux et les humains, et du fait qu’il soit contrôlé par de très faibles doses d’hormones naturelles qui circulent dans le corps, la toxicologie des perturbateurs endocriniens s’est montrée particulièrement difficile à prévoir, à décrire et à quantifier. Néanmoins, étant donné la variété des processus du métabolisme et du développement qui sont contrôlés par des hormones, l’importance de l’exposition à des substances chimiques capables d’interférer avec les mécanismes naturels de signalisation ne saurait être suffisamment soulignée. Un autre constat préoccupant peut être dressé sur notre ignorance des implications sanitaires de l’exposition à des combinaisons de plusieurs substances chimiques. En général, dans les études de laboratoires, les effets d’une exposition chimique sont testés individuellement, substance par substance. Nous restons très démunis pour tester les impacts toxiques d’une exposition à des combinaisons de substances chimiques, en particulier lorsque ces “cocktails” chimiques rassemblent des dizaines, voire des centaines, de substances individuelles. A Prague en mai 2005, un groupe international et interdisciplinaire d’experts et de scientifiques réunis au sein d’un symposium du CREDO, un programme de recherche européen, a publié en clôture la Déclaration de Prague. Les experts y affirment : “Les Européens sont exposés, à de faibles niveaux, à un grand nombre de perturbateurs endocriniens qui peuvent agir de concert. Beaucoup de ces substances chimiques, médicaments ou produits naturels se retrouvent dans les tissus humains et dans le lait maternel. Les êtres humains sont exposés à ces substances chimiques dès leur plus jeune âge lorsque l’organisme en cours de développement peut être particulièrement sensible.” (Déclaration de Prague 2005) 1.4 Protéger la génération à venir Nous nous trouvons actuellement à un tournant de l’histoire de la réglementation chimique. A la fin de l’année 2006, le Parlement et les gouvernements européens devront statuer sur une proposition de loi connue sous le nom de REACH (enRegistrement, Evaluation, Autorisation des substances CHimiques) qui vise à améliorer de manière significative la façon dont les substances chimiques sont réglementées et utilisées en Europe. REACH promettait à l’origine d’importants changements afin de garantir un haut niveau de protection de la santé publique et de l’environnement en contraignant l’industrie à fournir des informations sur la sûreté des produits chimiques qu’elle fabrique et à remplacer les substances les plus problématiques dites “extrêmement préoccupantes” (dont les toxiques pour la reproduction) par des produits chimiques ou des technologies de remplacement plus sûrs. Cependant, au cours de sa rédaction, la législation est progressivement devenue moins contraignante et moins ambitieuse, au point que le degré de protection qu’elle sera susceptible d’offrir est très sérieusement remis en cause. Ainsi, l’Union européenne semble aujourd’hui vouloir renoncer à la protection du public vis-à-vis des perturbateurs hormonaux en incluant cette catégorie explicitement dans la liste des propriétés “extrêmement préoccupantes”. Une question apparemment très technique mais sans doute cruciale est également au cœur du débat sur la réforme chimique : faut-il ou non faire reposer ou non le sort réservé à ces substances (à l’instar de certains CMR) sur l’établissement de niveaux considérés comme “sûrs” alors que ces produits chimiques sont actifs individuellement à des niveaux infimes et pourraient, combinés, présenter des effets additifs ? Tous ces points sont largement discutés dans un autre rapport de Greenpeace, “Failles et échappatoires de la procédure d'autorisation de REACH dans la position du Conseil de l'UE” (Santillo et Johnston 2006). Notre rapport analyse les conséquences de la faillite de la maîtrise de l’exposition à des substances chimiques toxiques pour la reproduction, et, en conséquence, des implications futures si REACH n’assure pas le niveau de protection nécessaire. Il passe en revue les travaux scientifiques sur l’évolution des troubles de la reproduction et les preuves des contributions à ces tendances de l’exposition quotidienne aux substances chimiques dangereuses, au travers d’exemples liés aux substances chimiques répertoriées ci-dessus.Y figurent aussi des informations plus complètes sur la toxicité de ces substances pour la reproduction, telle que mise en évidence en laboratoire, ainsi que les preuves disponibles de leur présence abondante en tant que contaminants dans les tissus humains. ATTENTION FRAGILE ! | 9 rapport greenpeace 2 troubles de la reproduction et exposition aux substances chimiques : le lien Les preuves directes d’impacts sanitaires sur les êtres humains dus à l’exposition aux substances chimiques préoccupantes discutées dans ce rapport sont, et resteront sans doute, difficiles à établir. Cela est du au fait qu’il n’existe pas de groupe témoin vierge de toute exposition chimique auquel se référer – de fait, nous sommes tous exposés à de multiples substances chimiques et à des niveaux très variables. De plus, certaines maladies et autres problèmes de santé peuvent ne se manifester que plusieurs années, voire des dizaines d’années, après la période clé d’exposition. Même si le dommage s’effectue à un très jeune âge, les conséquences sanitaires peuvent ne se faire sentir qu’à l’adolescence ou l’âge adulte, ce qui complique davantage l’investigation du lien entre l’exposition chimique et les effets sur la santé. Des études en laboratoire peuvent servir à déterminer si une substance chimique peut affecter les hormones, en cherchant les indicateurs d’une perturbation endocrinienne et/ou d’un trouble de la reproduction dans l’ensemble de l’organisme. Les études sur l’homme sont rares, et ne peuvent de toute évidence pas impliquer une exposition délibérée à des substances chimiques suivie d’un relevé des effets. Les études portant sur les impacts sur les êtres humains se sont donc concentrées inévitablement sur l’identification de relations (corrélations) entre des concentrations de différentes substances chimiques dans le corps et l’incidence des maladies atteignant le système de reproduction. L’exposition durant les étapes les plus précoces de la vie sont particulièrement préoccupantes. Les bébés, avant et après la naissance, sont considérés comme plus sensibles à l’exposition chimique car ils métabolisent et éliminent les substances chimiques plus lentement de leur corps que les adultes, et parce que ces périodes comptent parmi les plus complexes et les plus fragiles en terme de développement corporel. Les hormones jouent plusieurs rôles critiques dans le contrôle de la croissance et du développement au stade précoce de la vie ; c’est pourquoi toute interférence pourrait générer des effets graves et irréversibles sur le développement de l’enfant avec des conséquences n’apparaissant que plus tard dans sa vie. Cette section présente plus en détails les preuves des évolutions des troubles de la reproduction humaine et leurs liens possibles avec une exposition à des substances chimiques. 10 | ATTENTION FRAGILE ! 2.1 Troubles de l’appareil de reproduction masculin 2.1.1 Evolutions des troubles de la reproduction et de la perturbation endocrinienne chez l’homme Un certain nombre d’évolutions inquiétantes des troubles de l’appareil de reproduction masculin ont été identifiés dans les pays industrialisés : * Un article publié en 1992 rapporte que la quantité de spermatozoïdes dans le sperme a baissé à l’échelle mondiale de 50% entre 1940 et 1990 (Carlsen et al. 1992). Depuis, d’autres études ont aussi montré une baisse de la quantité de spermatozoïdes dans plusieurs pays. Cette chute du compte spermatique a été décrite comme évoluant de 1% par an (Swan et al. 2000). En moyenne, un homme occidental moyen produit seulement la moitié des spermatozoïdes que produisaient son père ou son grand-père (Carlsen et al. 1995, Swan et al. 1997, Swan et al. 2000). Par exemple, une étude menée au Danemark révélait que les jeunes de 18-20 ans nés dans les années 1980 avaient la quantité de spermatozoïdes la plus basse jamais enregistrée chez des hommes danois normaux (Andersen et al. 2000). Des études réalisées en France, en Ecosse et au Danemark ont aussi montré que la qualité du sperme se dégrade chez les jeunes hommes (Carlsen et al. 1992, Auger et al. 1995, Irvine et al. 1996, Carlsen et al. 1999, Andersen et al. 2000, Skakkebaek et al. 2001). Les faibles quantités de spermatozoïdes touchent environ 20% des jeunes hommes dans certains pays européens (Sharpe 2005). La stérilité affecterait aujourd’hui 15-20% des couples dans les pays industrialisés, comparée à 7-8% au début des années 1960 (Saradha et Mathur 2006). * Des études menées dans trois centres d’accueil sur la stérilité en Allemagne (Hambourg, Leipzig et Magdeburg) révèlent aussi une baisse significative de la qualité du sperme au fil des années (Licht 1998, Glockner et al. 1998, Thierfelder et al. 1999). Réalisées auprès de plusieurs milliers d’individus dans chaque cas, ces études comptent parmi les plus importantes réalisées dans le monde à ce jour. * L’incidence d’une malformation du pénis à la naissance, où le canal de l’urètre ne s’ouvre pas au sommet du pénis mais le long de la verge ou du scrotum (hypospadias), a doublé aux EtatsUnis entre 1970 et 1993 (Paulozzi et al.1997). * La cryptorchidie, qui consiste en une absence de descente des testicules dans le scrotum avant la naissance, se produit chez 2 à 5% des naissances mâles, dans les pays occidentaux, et est en augmentation. Les garçons nés avec ce défaut encourent aussi de plus grands risques de cancer des testicules et du sein plus tard dans leur vie (Paulozzi, 1999). * L’incidence du cancer des testicules augmente dans certaines régions du monde. C’est le cancer le plus commun chez les hommes âgés de 20 à 34 ans (Huyghe et al. 2003). L’incidence du cancer des testicules chez les hommes de type caucasien a augmenté progressivement au cours des 50 dernières années ou plus (Sharpe 2005). En ex-RDA, l’incidence du cancer des testicules a quadruplé en 28 ans, entre 1961 et 1989, ce qui représente une augmentation moyenne de 5% par an, avec les augmentations les plus importantes observées chez les populations urbaines (Rosch et al. 1999). Les scientifiques pensent que les maladies et les anomalies du système de reproduction masculin listées ci-dessus peuvent être les symptômes d’une seule et unique maladie testiculaire appelée syndrome de dysgénésie. Cette anomalie du développement des testicules chez le fœtus est susceptible d’être générée par une perturbation des hormones sexuelles au cours du développement (Skakkebaek et al. 2001). Précisément, on pense que ce syndrome implique un dysfonctionnement hormonal des testicules du fœtus, en particulier une réduction de la production de testostérone. Cela entraîne une “démasculinisation” du petit garçon. Il existe une hypothèse selon laquelle les substances chimiques qui interfèrent avec les hormones au cours du développement, y compris en contrant l’action des hormones stéroïdes mâles (les fameuses substances chimiques anti-androgyniques), pourrait aboutir à ces impacts néfastes sur le système de reproduction masculin. Puisque les humains sont exposés à des substances chimiques qui peuvent interférer avec l’action des hormones, il est possible que l’exposition intra-utérine à de telles substances chimiques perturbatrices endocriniennes puisse constituer un facteur favorisant l’augmentation de l’incidence des troubles du système de reproduction masculin. Un groupe international et interdisciplinaire d’experts et de scientifiques s’est réuni à Prague du 10 au 12 mai à l’occasion d’un symposium sur les substances chimiques perturbatrices du système endocrinien (le CREDO Cluster Workshop). La déclaration suivante, formulée par les scientifiques lors de cette réunion, appelée Déclaration de Prague, souligne la très forte préoccupation qui entoure le déclin de la fertilité masculine et la possible contribution à ce phénomène de l’exposition aux substances chimiques perturbatrices du système endocrinien : “Nous sommes très préoccupés par la prévalence importante des troubles de la reproduction chez les jeunes garçons et les jeunes hommes européens, et concernant l’augmentation des cancers touchant les organes reproducteurs, tels que les seins et les testicules. Le mode de vie, l’alimentation et la contamination de l’environnement jouent un rôle dans les différences régionales observées quant à ces maladies et leur évolution dans le temps” …et…, “L’action hormonale joue un rôle important dans l’origine ou la progression des troubles ci-avant mentionnés. Ainsi est-il plausible que l’exposition à des perturbateurs hormonaux soit impliquée, mais il existe des difficultés inhérentes pour établir de tels liens de causalité chez les humains.” (Déclaration de Prague 2005) La grande majorité des substances chimiques en circulation n’ont jamais été testées pour leurs effets possibles sur le système androgène (hormones stéroïdes mâles), malgré le rôle fondamental de ce système dans le contrôle de la croissance et du développement chez les animaux et les humains. 2.1.2 Exposition chimique de l’enfant en bas âge : le cas des phtalates A ce jour, très peu d’études se sont directement intéressées aux impacts possibles des substances chimiques perturbatrices du système endocrinien sur l’appareil de reproduction masculin. Deux d’entre elles, parmi les plus récentes et les plus reconnues (Main et al. 2006, Swan et al. 2005) se penchent sur l’exposition aux phtalates (esters de phtalates) in utero et peu après la naissance. Prises ensemble, ces études suggèrent que l’exposition aux phtalates au cours des premières stades de la vie est associée à une perturbation hormonale et à des impacts sur la reproduction masculine. L’étude réalisée par Main et al. (2006) a exploré la possibilité d’une influence des phtalates dans le lait maternel sur les niveaux d’hormones de reproduction chez les garçons âgés de trois mois. Soixante-huit garçons en bonne santé ont été comparés à 62 garçons atteints de cryptorchidie, trouble impliquant une absence de descente des testicules dans le scrotum avant la naissance. Bien que l’étude ne révèle pas de lien direct entre l’exposition aux phtalates et l’incidence de la cryptorchidie, elle montre que des taux plus élevés de métabolites des phtalates comme le monométhyl phtalate (MMP), le monoéthyl phtalate (MEP), le ATTENTION FRAGILE ! | 11 rapport greenpeace 2 troubles de la reproduction et exposition aux substances chimiques : le lien suite mono-n-butyl phtalate (MnBP) et le monoisononyl phtalate (MiNP) dans le lait maternel, et par conséquent, une exposition plus importante des nouveaux-nés, étaient associés à des altérations de leurs niveaux d’hormones de reproduction. Ces résultats confirment l’hypothèse selon laquelle les testicules humains peuvent être vulnérables à l’exposition aux phtalates lors de leur développement, même si la cryptorchidie n’est pas une conséquence prévisible. Les auteurs de cette étude affirment qu’il est urgent de mener des études supplémentaires pour confirmer ces résultats et soulignent que, bien qu’il n’y ait aucun lien apparent entre exposition et cryptorchidie, le groupe d’enfants étudié constituait peut-être un effectif insuffisant pour mettre en évidence un tel effet. Des tests sur animaux de laboratoire ont montré de façon concluante que l’exposition de femelles de rats enceintes à certains phtalates entraîne une série de troubles de la reproduction chez les petits mâles similaires à la dysgénésie testiculaire chez l’homme (c.f. section 3.2). L’étude de Swan et al. (2005) a cherché à savoir si l’exposition humaine à des phtalates in utero était également associée à des effets sur l’appareil de reproduction masculin chez l’enfant exposé. Cette étude contrôlait les concentrations de plusieurs phtalates dans les urines de la mère comme indicateur de l’exposition du fœtus dans le corps maternel. Afin de vérifier l’impact des phtalates sur l’appareil de reproduction masculin, la distance anogénitale a été mesurée chez 134 garçons âgés de 2 à 36 mois. La distance anogénitale est définie comme la distance entre l’anus et la base du scrotum qui, chez les rongeurs, est connue pour être une mesure révélatrice de l’exposition prénatale aux antiandrogènes, cette distance diminuant avec l’augmentation de l’exposition. L’évaluation a révélé que, comme dans les études animales, une exposition plus importante aux phtalates in utero chez ces petits garçons se traduisait par une réduction de la distance anogénitale. Une plus forte exposition entraînait aussi un défaut de descente testiculaire. Ces résultats confirment l’hypothèse qu’une exposition aux phtalates chez les humains aux niveaux environnementaux actuels peut avoir des effets négatifs sur le système de reproduction masculin. En d’autres termes, l’exposition à des phtalates peut être l’une des causes qui contribuent au syndrome de dysgénésie testiculaire. Des recherches approfondies doivent être menées pour confirmer ces résultats (Sharpe 2005, Swan et al. 2005). 12 | ATTENTION FRAGILE ! Les impacts de substances chimiques combinées sur le système de reproduction masculin ont été le sujet d’une conférence récente organisée par le Comité sur la Toxicité, une structure qui conseille le gouvernement du Royaume-Uni concernant les impacts sanitaires des substances chimiques dans l’environnement (ENDS 2006). Les résultats d’une étude encore non-publiée ont été livrés lors de cette rencontre. Dans ces travaux de recherche, des femelles de rats enceintes ont reçu des mélanges chimiques capables de provoquer des effets antiandrogyniques, dont les phtalates DBP, DEHP et BBP, et quatre pesticides. L’étude montre que l’exposition à ces mélanges chimiques a induit des impacts additionnels chez le système de reproduction de la descendance masculine de ces rongeurs. Ces résultats peuvent expliquer comment l’exposition à un cocktail de substances chimiques présentes dans l’environnement, chacune à faible dose, peut avoir des implications pour la viabilité de l’appareil de reproduction masculin. 2.1.3 Autres causes possibles de la diminution du compte spermatique Une étude récente réalisée aux Etats-Unis cherchait à savoir si les polluants atmosphériques avaient un impact sur la qualité du sperme (concentration et mobilité des spermatozoïdes) (Sokol et al. 2006). L’étude a découvert que l’augmentation de la concentration d’ozone s’accompagnait d’une réduction de la qualité du sperme, ce qui indique que l’ozone peut être un agent toxique pour la reproduction. L’ozone est le principal oxydant présent dans la pollution photochimique de basse altitude, un phénomène courant dans l’environnement urbain. Il est admis que le mécanisme qui permet à l’ozone d’exercer des effets sur la qualité du sperme repose sur le stress oxydant, un mécanisme déjà connu pour perturber les fonctions testiculaire et spermatique. Fumer peut entraîner une légère diminution de la concentration du sperme couramment associée au stress oxydant, bien qu’aucune étude n’ait exploré l’association plus large entre fumée de cigarette, pollution et qualité du sperme. Au fil du temps, de nombreux autres facteurs ont été considérés pour expliquer la baisse du nombre de spermatozoïdes et de la qualité du sperme observées chez les humains, y compris les changements de régime alimentaire, des facteurs liés au mode de vie et même le port de vêtements près du corps. Si l’influence de tels facteurs, pris individuellement ou combinés, ne peut être ignorée, cela n’annule pas les preuves apportées par ailleurs qui indiquent que l’exposition à des substances chimiques de synthèse peut aussi contribuer à cette diminution, ni l’urgence qu’il y a en conséquence à se préoccuper de cette exposition. 2.2 Troubles de l’appareil de reproduction féminin Au cours des 50 dernières années, les femmes des pays industrialisés ont connu une hausse des anomalies affectant leur système de reproduction. De plus en plus de femmes souffrent d’endométriose, l’ostéoporose reste un problème, et dans certains pays les jeunes filles atteignent la puberté plus tôt. 2.2.1 L’endométriose 2.2.2 Puberté précoce L’endométriose est une maladie qui fait que les tissus de l’endomètre, qui recouvrent l’intérieur de l’utérus, grandissent hors de l’utérus et s’attachent aux autres organes, en général dans la cavité pelvienne, tels que les ovaires et les trompes de fallope. Ces tissus demeurent sous contrôle hormonal normal, donc croissent, se rompent et saignent comme à l’intérieur de l’utérus. Ces saignements internes dans les cavités pelvienne ou abdominale, sont alors prisonniers à l’intérieur du corps et entraînent des inflammations, douleurs et la formation de tissus cicatriciels. Les tissus de l’endomètre peuvent aussi se retrouver dans un ovaire, où ils peuvent former des kystes. L’endométriose est une source de douleurs chroniques intenses. Selon des estimations, une femme sur dix aux Etats-Unis souffre de cette maladie, obligeant plus de 100 000 d’entre elles à subir une hystérectomie (retrait de l’utérus) chaque année (Rier 2002). Un certain nombre de substances chimiques de synthèse sont connues pour accroître la prévalence et la gravité de l’endométriose, bien que l’on ignore si ces substances sont responsables de l’augmentation de l’endométriose dans la population générale. Par exemple, chez les singes, les PCB et les dioxines causent des endométrioses et aggravent celle-ci chez les animaux déjà atteints. D’autres recherches suggèrent que les PCB et les dioxines pourraient augmenter les risques d’endométriose chez les femmes. La population est régulièrement exposée à des doses de dioxine bien au-dessus de celles qui sont reconnues comme entraînant l’endométriose chez les singes (Rier 2002). TABLEAU 3 : TAUX DE DEHP DANS LE SANG CHEZ LES FEMMES GROUPE PLAGE DE MÉDIANE CONCENTRATIONS FEMMES ATTEINTES 0-3.24 ug/ml 0.57 ug/ml 0-1.03 ug/ml 0.18 ug/ml D’ENDOMÉTRIOSE FEMMES NORMALES Une étude a mis en évidence le fait que les femmes atteintes d’endométriose ont dans leur sang des taux de phtalates DEHP supérieurs à la normale des autres femmes. De plus, on a détecté du DEHP et/ou le métabolite MEHP dans le liquide péritonéal de 92,6% de ces femmes (c.f. Tableau 3). Cela suggère que le DEHP peut participer à provoquer l’endométriose (Corbellis et al. 2003). Source: Corbellis et al. (2003). ug/ml = microgrammes par millilitre Dans certaines régions du monde, les jeunes filles atteignent la puberté beaucoup plus tôt que par le passé, et entament parfois leur développement sexuel plusieurs années en avance sur la normale. Une étude menée en 2001 sur les enfants immigrés d’Europe provenant de pays d’Amérique Latine et d’Asie a montré que certaines jeunes filles commençaient à avoir de la poitrine avant huit ans et avaient leurs règles avant dix ans (Krstevska-Konstantinova et al. 2001). Bien que les scientifiques ne soient pas sûrs de l’origine de cette précocité, l’exposition dès le plus jeune âge à l’insecticide DDT avant leur immigration en est une cause possible ; des niveaux élevés de DDE, un produit issu de la décomposition du DDT, ont été mesurés dans le sang de trois-quarts des enfants immigrants montrant des signes de puberté précoce. Le DDT est interdit dans les pays développés, mais de nombreux pays d’Amérique Latine, d’Afrique et d’Asie continuent à l’utiliser contre les moustiques porteurs de malaria. On pense que l’effet de cet insecticide provient de la capacité du DDE à imiter les œstrogènes, les hormones féminines. Une étude de la répartition de la puberté précoce chez les garçons et les filles, en Toscane (Italie), suggère que les facteurs environnementaux, dont la pollution due aux perturbateurs endocriniens, pourraient être responsables de l’incidence plus élevée de puberté précoce dans certaines régions (Massart et al. 2005). Une étude portant sur les jeunes filles portoricaines a relevé une recrudescence du développement précoce de la poitrine avant huit ans (prémature thélarche), et suggère que ce phénomène est peut-être lié à une exposition importante aux phtalates (Colon et al. 2000). Des taux de phtalates significatifs ont été relevés dans des échantillons de sang chez 28 des 41 jeunes filles atteintes de prémature thélarche, soit 68%. En comparaison, de hauts niveaux de phtalates n’ont été détectés que dans 1 échantillon sur 35 chez des jeunes filles au développement de la poitrine normal. Cette étude suggère une association possible entre phtalates connus pour leur activité œstrogènique et anti-androgénique et la cause du développement précoce de la poitrine. Il a été remarqué que Porto Rico importe beaucoup de nourriture emballée dans du plastique qui, combiné à d’autres facteurs, pourrait contribuer à une exposition globale importante à des ATTENTION FRAGILE ! | 13 rapport greenpeace 2 troubles de la reproduction et exposition aux substances chimiques : le lien suite phtalates. Un biais possible dans cette étude est que la période d’exposition aux phtalates est inconnue et que ces taux élevés peuvent n’être que le reflet d’une contamination des échantillons de sang par des phtalates (Swan et al. 2005). 2.2.3 Autres effets sur la reproduction Dans une autre étude, un lien significatif a été établi entre des problèmes gynécologiques et les taux de musc xylène et de musc cétone dans le sang de femmes, suggérant que ces muscs peuvent avoir une toxicité pour le système de reproduction et des effets sur le système endocrinien chez les humains (Eisenhardt et al. 2001). Encore une fois, il n’a pas été possible à ce stade de déterminer s’il s’agit ou non d’une relation de cause à effet. 2.3 Modification du ratio sexuel Le sexe d’un individu est génétiquement déterminé et la proportion de naissances de garçons par rapport aux naissances filles, désignée sous le terme de ratio sexuel, devrait en théorie être à peu près égale. En réalité, les garçons sont en très léger surnombre par rapport aux filles : un fait qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs, y compris l’âge des parents et le moment de l’insémination pendant le cycle (Moller 1996). Cependant, des signes commencent à apparaître qui indiquent que le ratio sexuel est en train de changer. Le nombre de garçons diminue par rapport aux filles (Allan et al. 1997, Davis et al. 1998,Vartianen et al. 1999). Par exemple, on estime que les Etats-Unis ont “perdu” 38 000 garçons entre 1970 et 1990. Une tendance similaire s’est amorcée dans les années 1950 aux Pays-Bas et au Danemark. Depuis, les Etats-Unis, le Canada, la Suède, l’Allemagne, la Norvège, le Japon, la Finlande et l’Amérique Latine ont tous observé un changement de la proportion garçons-filles. Dans certaines régions du Canada, il “manque” presque six garçons pour mille. Dans certaines régions rurales des Etats-Unis, trois filles naissent pour deux garçons. 14 | ATTENTION FRAGILE ! Il est possible, bien que cela n’ait pas été prouvé, que les substances chimiques de synthèse soient impliquées dans la diminution du taux de naissances de garçons en provoquant la mort sélective des fœtus mâles. Des travaux de recherche publiés dans The Lancet indiquent que les fœtus mâles meurent dans une proportion sans précédent dans les tous premiers mois après la conception, et ce, de plus en plus tôt (Mizuno 2000). Cela pourrait expliquer, au moins en partie, les “disparitions” de garçons. The Lancet avait enregistré qu’en 1966 2,52 fœtus mâles mourraient contre un fœtus femelle, entre la 12e et la 15e semaine de grossesse. En 1986, ce pourcentage était passé à 6,16. En 1996, plus de dix fœtus mâles mourraient contre un fœtus femelle. Au total, durant la grossesse, plus du double de fœtus mâles meurent par rapport aux fœtus femelles. La cause de la diminution du nombre de garçons par rapport aux filles est inconnue mais pourrait être liée à l’exposition de la population générale aux substances chimiques. Par exemple, un article paru dans le Canadian Medical Association Journal met en garde : “Il a été observé que l’exposition à des toxines environnementales altère le ratio sexuel des naissances viables, à la fois chez des populations humaines et chez les modèles animaux… Il est possible que certains indicateurs biologiques tels que le ratio sexuel et la qualité du sperme soient en cours d’altération à cause de facteurs jusqu’ici non identifiés, qui peuvent inclure les toxines environnementales.” (Allan et al. 1997) Les substances chimiques perturbatrices du système endocrinien pourraient être responsables mais il n’existe pas de preuve concluante. Une étude sur les modifications du ratio sexuel aux Pays-Bas conclut : “Nos découvertes sur la diminution de la proportion des garçons nouveaux-nés par rapport aux filles aux Pays-Bas ne peut qu’ajouter aux préoccupations que suscitent les dangers potentiels des perturbateurs endocriniens environnementaux.” (van der Pal-de Bruin et al. 1997) Contredisant cet avertissement, une étude récente sur les évolutions du ratio sexuel menée entre 1960 et 1996 en Californie, n’a pas trouvé de liens entre changement du ratio sexuel et substances chimiques perturbatrices du système endocrinien. Cette étude a mis en évidence des différences en fonction de l’origine ethnique montrant qu’il y avait une diminution de la naissance des garçons d’origine caucasienne, mais cette tendance n’était pas observée voire était inversée pour d’autres origines ethniques. Un examen approfondi des résultats suggère que tous les changements de ratio détectés dans cette étude étaient vraisemblablement attribuables à une modification de la démographie californienne plutôt qu’à une exposition aux substances chimiques perturbatrices du système endocrinien (Smith et Von Behren 2005). Il est clair que, comme dans tout ensemble de données épidémiologiques, les relations de cause à effet sous-jacentes sont sans aucun doute extrêmement complexes et à plusieurs facettes, et resteront donc dans un avenir proche impossibles à définir précisément. Encore une fois, cependant, la contribution possible d’une exposition à des substances chimiques dangereuses ne peut être ignorée et demande un examen minutieux. rapport greenpeace d’autres sources de preuves : mesure directe de la toxicité pour la reproduction et exposition aux substances chimiques 3 L’hypothèse selon laquelle les substances chimiques auxquelles nous sommes exposés quotidiennement pourraient être à l’origine de problèmes de reproduction ne provient pas seulement des observations et corrélations présentées ci-avant. Les résultats d’études de laboratoires qui ont démontré la capacité de plusieurs substances répandues et très utilisées à interférer avec le système endocrinien ou, par d’autres façons, avec le développement du système de reproduction, fournit aussi une autre source importante de preuves, tout comme les mesures directes de la présence de ces substances chimiques dans les tissus corporels animaux et humains. Les preuves de l’exposition de l’enfant à des substances chimiques au cours de son développement proviennent d’études qui ont identifié les substances chimiques dans le sang maternel, dans le sang du cordon ombilical et des tissus, et dans le lait maternel. De plus, les jeunes enfants peuvent absorber plusieurs fois plus de nourriture et d’eau que les adultes proportionnellement à leur taille et, en conséquence, ils peuvent ingérer plus de substances chimiques par unité de masse corporelle durant les premières années de leur vie. En prenant de nouveau pour exemple les six familles de substances chimiques répertoriées ci-dessus, cette section développe une analyse des résultats d’études de laboratoire sur les perturbations du système endocrinien et sur la toxicité pour la reproduction chez les animaux ou pour des systèmes de culture cellulaire, et passe en revue les preuves de la présence de ces substances chimiques dans le corps humain, en insistant particulièrement sur l’exposition dans le ventre maternel. prédominants une réduction de la taille des organes génitaux mâles, une détérioration de la qualité du sperme et une augmentation de la stérilité. Une étude menée in vitro sur des cellules issues de gonades de fœtus humains montre que le 4octylphénol affecte la vitesse de prolifération des gamètes et peut donc interférer avec les fonctions testiculaires (Saradha et Mathur 2006). 3.1.2 Exposition Malgré des restrictions de plus en plus nombreuses de leur utilisation en Europe, les alkylphénols restent des contaminants répandus dans notre environnement, y compris dans notre alimentation. Par exemple, une étude sur 60 produits alimentaires distribués en Allemagne illustre la nature de la contamination aux alkylphénols (Guenther et al. 2002). Il s’agit d’aliments très populaires et courants en Allemagne, TABLEAU 4 : EXEMPLES DE TAUX DE NONYLPHÉNOL DANS DES ALIMENTS DESTINÉS AUX JEUNES ENFANTS, ET DANS DES ALIMENTS COURANTS SUSCEPTIBLES D’ÊTRE CONSOMMÉS PAR DES ENFANTS. ALIMENT TAUX DE NONYLPHÉNOL (ug/kg) Lait maternel (mère de 35 ans) 0.3 Lait en poudre pour bébé 11.6 Lait en poudre pour bébé 22.1 Compote de banane lactée 0.2 Compote de pêche au miel 0.4 Purée de carottes 0.8 3.1 Alkylphénols Semoule vanillée 1.8 3.1.1 Effets Purée de brocoli, pomme de terre et dinde 1.4 Purée de boeuf, pomme de terre et riz 3.1 Nouilles à la sauce tomate et au jambon 4.0 Yaourt pêche-passion 0.6 Lait entier (3,5%) 0.4 Lait concentré (10%) 3.8 Oeuf de poule 1.5 Thon 8.1 Le nonylphénol et l’octylphénol présentent tous deux des activités oestrogéniques et anti-androgéniques (Lee et al. 2003a; Paris et al. 2002). On a démontré que les alkylphénols pouvaient provoquer le changement de sexe chez l’huître et le danio zébré (brachydanio rerio) (Nice et al. 2003). On dénombre dans la littérature scientifique deux études portant sur la reproduction et le développement des rongeurs suite à de faibles expositions à des alkylphénols. Sharpe et al. (1995) ont montré que, sur une période relativement courte, l’exposition prénatale et postnatale à des octylphénols entraînait chez les rats une diminution de la taille des testicules et de la production quotidienne de sperme. Une étude effectuée sur plusieurs générations de souris démontre que le nonylphénol affecte à la fois les parents et leur descendance (Kyselova et al. 2003), avec pour effets Pommes 19 .4 Jus d’orange 0 .1 Source: Guenther et al. 2002. ug =microgramme ATTENTION FRAGILE ! | 15 rapport greenpeace d’autres sources de preuves : mesure directe de la toxicité pour la reproduction et exposition aux substances chimiques suite 3 dont 39 aliments pour adultes allant de la confiture jusqu’aux saucisses, de 20 aliments pour bébés, et d’un échantillon de lait maternel (cf.Tableau 4 pour une sélection de résultats). Du nonylphénol a été détecté dans chaque échantillon à des taux variants entre 0,1 et 19,4 microgrammes/kg, sans corrélation avec la teneur en graisse. L’auteur souligne que, puisque les aliments étaient de nature, origine, méthode de préparation et emballages variés, les points d’introduction du nonylphénol dans l’alimentation humaine sont vraisemblablement multiples. Peu d’études ont été réalisées sur les niveaux de contamination humaine par des alkylphénols, mais celles qui existent montrent clairement que les enfants sont contaminés avant la naissance (cordon ombilical) et après celle-ci (lait maternel) (cf.Tableau 5). Du nonylphénol a été détecté dans des cordons ombilicaux humains (Takada et al.1999), ce qui confirme qu’il traverse le placenta et passe de la mère contaminée au fœtus pendant sa croissance. Cela a récemment été de nouveau confirmé par une étude de Greenpeace/WWF sur les contaminants présents dans le sang de cordons ombilicaux, donnés par des mères volontaires aux Pays-Bas (Greenpeace/WWF 2005). Du nonylphénol a été détecté dans 12 des 17 échantillons de sang de cordons ombilicaux analysés pour cette étude. TABLEAU 5 : CONTAMINATION HUMAINE PAR DU NONYLPHÉNOL. ORIGINE Cordon ombilical Lait maternel TAUX SOURCE 2 ng/kg de tissu Takada et al.1999 0.3 mg/kg de lipide Guenther et al. 2002 3.2 Phtalates (esters de phtalates) 3.2.1 Effets Les phtalates, et plus spécifiquement les diesters d’acide phtalique, sont généralement considérés comme des perturbateurs hormonaux “faibles” qui peuvent agir comme des oestrogènes mais aussi, peutêtre avec plus d’intensité, comme des anti-androgènes. Leur toxicité testiculaire est causée en partie par l’interférence avec la fixation de l’hormone stimulatrice du follicule (FSH) à son récepteur sur les cellules de Sertolli, qui sont des cellules impliquées dans la production du sperme (Boiter et al. 2003). Une grande partie de la toxicité liée à la présence de phtalates dans le corps humain peut en fait être causée par les métabolites primaires ou produits de la décomposition des composants originaux du diester de phtalate, appelés monoesters. 16 | ATTENTION FRAGILE ! Les phtalates se fixent peut-être aussi sur les récepteurs d’oestrogènes, et soit imitent les hormones oestrogènes soit en diminuent l’efficacité. Ceux dont les activités sont anti-oestrogéniques présentent en général la forme monoesters. Par exemple, une étude des effets de 19 phtalates ou métabolites de phtalates sur les cellules cancéreuses du sein humain (Okubo et al. 2003) montre que : * le dicyclohexyl phtalate (DCHP), le bis(2ethylhexyl) phtalate (DEHP) et le benzylbutyl phtalate (BBP) sont oestrogéniques * le monomethyl phtalate (MMP), le monocyclohexyl phtalate (MCHP), le monobenzyl phtalate (MBzP) et le monoisopropyl phtalate (MIPrP) sont anti-oestrogéniques. Après leur conversion en formes monoesters, les phtalates peuvent entraîner la mort du fœtus, des malformations, une toxicité pour la reproduction d’après des études animales en laboratoire, à puissance variable et avec des types d’effets correspondants à chaque phtalate. Chez les petits des rongeurs, l’exposition de la mère au couple DEHP/ MEHP cause la réduction de l’implantation embryogénique, l’augmentation des résorptions, la mort intra-utérine et une augmentation de la mort post-natale (Gray 2000, Moore et al. 2001). Une toxicité pour le fœtus peut intervenir sans qu’une toxicité pour la mère ait été mise en évidence. Le canal génital chez le mâle immature semble toujours être le système le plus sensible. Des modifications pathologiques des testicules et une baisse du nombre de spermatozoïdes sont des effets souvent enregistrés chez les animaux exposés à des phtalates. D’autres modifications peuvent être une distance anogénitale réduite, des fissures de la verge, l’hypospadias et les testicules qui ne descendent pas (Fisher 2004). L’exposition prénatale et postnatale entraîne une stérilité féminine totale et réduit la fertilité masculine. Les cellules de Sertoli dans le testicule et les cellules granulosa des follicules préovulatoires dans l’ovaire semblent être les cellules principalement ciblées par le DEHP/MEHP. D’autres phtalates semblent avoir les mêmes formes de toxicité mais à plus haute dose. Par exemple : * Le DBP est un toxique testiculaire qui cause des malformations du canal génital chez le rat mâle après exposition in utero (Lovekamp-Swan & Davis 2003). * L’exposition de la mère à de faibles doses de BBP (125–370 microgrammes/kg/jour) entraîne une réduction du poids des testicules chez les descendants mâles suite à une exposition prénatale et postnatale (Sharpe et al. 1995). * Le DPP et le DHP entraînent une atrophie testiculaire et sont des toxiques pour les systèmes de reproduction masculin et féminin (Lovekamp-Swan & Davis 2003). 3.2.2 Exposition L’exposition aux phtalates est répandue et continue, en conséquence de leur utilisation en larges quantités dans le PVC et dans d’autres applications, ce qui a conduit à leur transformation en une substance chimique parmi celles qui font le plus preuve d’ubiquité dans notre environnement. Notre exposition à ces phtalates peut provenir du lessivage de produits tels que les sols en PVC souple (vinyle), les meubles, les vêtements etc. ainsi que de l’inhalation de l’air intérieur vicié, de l’exposition aux poussières domestiques et/ou du lieu de travail, la consommation d’aliments contaminés ou, dans certains cas, l’absorption d’eau potable contaminée. La concentration de phtalates dans les poussières domestiques peut atteindre plusieurs milligrammes par gramme de poussière. L’utilisation des esters de phtalates dans des produits tels que les parfums, qui peuvent contenir en particulier de forts taux de phtalate DEP utilisé comme solvant et dénaturant de l’alcool (Greenpeace 2005), peut aboutir à une exposition supplémentaire. Concernant la voie alimentaire, la présence de phtalates dans des matériaux en contact avec les aliments est une source particulière de préoccupation. Selon une étude, la simple opération de frire et emballer du poulet augmentait sa teneur en phtalate DEHP de 0,08 à 16,9 mg/kg, dont on estime que la principale source de contamination était les gants en PVC utilisés par les employés qui manipulaient les aliments (Tsumura et al. 2001b). Plus récemment, une étude publiée par des bureaux de Greenpeace en Europe Centrale et Europe de l’Est documentait la présence d’un éventail d’esters de phtalates dans la chair (tissu musculaire) de carpes d’élevage achetées dans des supermarchés autrichiens, tchèques, polonais et slovaques (Greenpeace CEE 2005). Les taux de plusieurs phtalates, en particulier de DiBP (diisobutyl phtalate), DBP et DEHP, étaient étonnamment élevés dans le poisson, bien qu’il ne soit pas évident de déterminer si cette contamination provenait en majorité de l’environnement dans lequel les poissons étaient élevés ou des matériaux utilisés lors de la transformation et de l’emballage du poisson pour sa commercialisation. L’utilisation de tubes en PVC a aussi été dans le passé une source importante de contamination des aliments pour bébés (Tsumura et al. 2001a). Les métabolites des phtalates peuvent être détectés dans des échantillons d’urine d’adultes et révèlent leur exposition aux phtalates (Barr et al. 2003, CDC 2003, Koch et al. 2003). Des études menées sur des animaux montrent que les phtalates traversent le placenta et passent dans le lait maternel (Dostal et al. 1987; Parmar et al. 1985; Srivasta et al. 1989). Une étude effectuée sur des humains a détecté six monoesters de phtalates dans le lait maternel, soit du monomethyl phtalate (mMP), mono-ethyl phtalate (mEP), mono-n-butyl phtalate (mBP), monobenzyl phtalate (mBzP), mono-2-ethylhexyl phtalate (mEHP), mono-isononyl phtalate (miNP) (Main et al. 2006). Leur capacité à traverser le placenta humain et ainsi à atteindre l’enfant pendant sa croissance dans l’utérus a été confirmée par la mise en évidence répétée d’esters de phtalates, en particulier de DEHP, DBP, BBP et DEP, dans des échantillons de sang de cordons ombilicaux (Greenpeace/WWF 2005). Le DEHP, de loin le plus courant, était présent dans 24 des 27 échantillons de sang de cordons analysés à des niveaux de concentration pouvant atteindre plusieurs parts par million dans le sérum sanguin du cordon. Les enfants peuvent être davantage exposés aux phtalates que les adultes. Par exemple, dans une étude où des tests étaient effectués pour détecter sept métabolites de phtalate, les taux les plus élevés correspondant aux métabolites de DEHP, DBP et monobenzylphtalates ont été trouvés dans la tranche d’âge la plus jeune : les enfants de 6 à 11 ans (CDC 2003). Le phtalate di(2-ethylhexyl) phtalate (DEHP) est utilisé pour plastifier des produits médicaux fabriqués en PVC, par exemple les tubes d’alimentation, et il peut être lessivé de tels produits. Une exposition particulièrement importante au DEHP, le seul phtalate actuellement utilisé pour plastifier des équipements médicaux, peut se produire au cours d’interventions médicales (EC 2002). Une étude a évalué si l’utilisation de tels équipements entraînait l’exposition des nouveaux-nés recevant des traitements d’unités de soins intensifs néonatals (Green et al. 2005). L’étude a mesuré le taux de mono(2-ethylhexyl) phtalate (MEHP), un métabolite du DEHP, chez 54 bébés potentiellement exposés au DEHP par le biais des équipements médicaux. Les résultats montrent que l’utilisation intensive d’équipements médicaux contenant du DEHP entraînait une exposition accrue au DEHP, reflétée par des taux plus importants de MEHP dans les urines. ATTENTION FRAGILE ! | 17 rapport greenpeace d’autres sources de preuves : mesure directe de la toxicité pour la reproduction et exposition aux substances chimiques suite 3 3.3 Retardateurs de flammes bromés (RFB) 3.3.1 Effets Un éventail de PBDE (diphényléthers polybromés) et de composants bromés du bisphénol A, tels que le TBBP-A (tetrabromobisphenol-A), se comportent comme des œstrogènes dans les cellules humaines et s’attachent aux récepteurs d’œstrogènes (Meerts et al. 2000). Les métabolites des PBDE, les PBDE-hydroxylés produisent des effets œstrogène-like plus puissants. Les composés bromés du bisphénol A les moins bromés présentent les effets les plus puissants, tandis que parmi les PBDE, ce sont le BDE- 100, le BDE-75 et le BDE-51 qui montrent la plus forte activité (Olsen et al. 2003). Les études portant sur la toxicité des RFB pour les animaux sont limitées et n’ont couvert principalement que des expositions à de fortes doses de PBDE. Néanmoins, il est prouvé qu’une exposition chronique aux PBDE peut provoquer des malformations de naissance chez les rongeurs (Darnerud et al. 2001, Darnerud et al. 2003), et avoir des impacts sur le système nerveux et le développement comportemental. 3.3.2 Exposition L’exposition aux PBDE peut provenir de sources variées, similaires à celles des phtalates. L’alimentation constitue très probablement la principale source d’exposition à certains des PBDE les plus bioaccumulables (les moins bromés). Des PBDE ont été mesurés dans des poissons et crustacés dans une proportion allant de 21 à 1650 pg/g de produit frais (Ohta et al. 2002). En comparaison, le bœuf, le porc et le poulet en contenaient entre 6,25 et 63,6 pg/g, et trois légumes entre 38,4 et 134 pg/g. Ohta et al. (2002) ont montré une forte corrélation entre les TABLEAU 6 : CONTAMINATION PBDE 18 | ATTENTION FRAGILE ! niveaux de PBDE dans le lait maternel et la consommation de poissons et de crustacés. Pour des substances chimiques comme le décabromodiphényl-éther (BDE-209 ou “deca”), cependant, une exposition plus directe par exemple aux poussières contaminées de l’air intérieur ou même un contact direct avec des produits peuvent être relativement plus significatifs en termes d’exposition humaine. On a relevé la présence de PBDE dans du lait maternel, du sang et des tissus adipeux humains (par ex. Hardell et al. 1998, Schroter-Kermani 2001, Guvenius et al. 2003). Les taux de PBDE relevés dans le lait maternel et les cordons ombilicaux figurent dans le Tableau 6. Des études suédoises approfondies portant sur le lait maternel montrent une augmentation exponentielle des PBDE dans le lait maternel (une augmentation moyenne de 0,07 à 4,02 ng/g de graisse entre 1972 et 1997) (Meironyte et al. 1999). Toutefois, un article récent fait état d’une diminution des PBDE dans le lait maternel en Suède depuis 1997, peut-être due à une élimination volontaire du penta-PBDE (Hooper & She, 2003). Les bébés nés de mères états-uniennes sont peutêtre exposés à une contamination aux PBDE plus importante qu’en Suède ou en Norvège. Mazdai et al. (2003) ont découvert que des concentrations de PBDE dans des échantillons de sérum maternel et foetal à Indianapolis aux Etats-Unis, étaient 20 à 106 fois plus importantes que les taux précédemment rapportés chez des mères et des nouveaux-nés suédois (Guvenius et al. 2003) et 20 fois plus importants que les échantillons de sang norvégiens (Thomsen et al. 2002). HUMAINE PAR LES DIPHÉNYL ÉTHERS POLYBROMÉS ORIGINE TAUX RÉFÉRENCE PBDEs (8 identifiés, dont le BDE-47) Lait maternel 4.02 ng/g de graisse (moyenne) Meironyte et al. 1999 PBDEs Lait maternel 0.67–2.84 ng/g de lipides Ohta et al. 2002 PBDEs Lait maternel 75.0 pg/g poids frais Guvenius et al. 2003 PBDEs Sang de cordon ombilical 4.3 pg/g poids frais Guvenius et al. 2003 PBDEs (6 dont le BDE-47) Sang de cordon ombilical 14-460 ng/g de lipide Mazdai et al. 2003 3.4 Composés organoétains 3.4.2 Exposition 3.4.1 Effets La présence de TBT dans les produits de la mer, qui résulte principalement de son utilisation par le passé comme agent anti-salissures dans les peintures des coques de bateaux, a entraîné, dans certaines régions, une augmentation de leur ingestion. Au Japon, par exemple, où le poisson est un élément de base de l’alimentation, on estime que la quantité d’organoétain TBT absorbée quotidiennement est relativement élevée (2.5 microgrammes/kg du poids corporel pour une consommation de poisson de 150 g/jour) (van Heijst, 1994). Les organoétains sont des perturbateurs hormonaux, surtout connus pour les effets dévastateurs du tributylétain (TBT), utilisé dans des peintures antisalissures, sur certains mollusques marins. Cependant, on a observé que le TBT comme le pesticide triphénylétain (TPT) agissent comme agents inhibiteurs d’une variété d’enzymes responsables de la production d’hormones stéroïdes sexuelles mâles et femelles dans d’autres organismes, y compris la testostérone et l’œstradiol (Doering et al. 2002, Lo et al. 2003, Steckelbroek et al. 2001). Malgré l’absence d’études sur les conséquences de faibles doses sur le développement des mammifères, on sait qu’une activation insuffisante des hormones mâles est responsable de troubles du développement du canal génital mâle. Une étude récente suggère que les organoétains, à des doses relativement faibles, sont peut-être aussi à l’origine d’effets sur le développement in utero en ciblant la glande thyroïde de la mère (Adeeko et al. 2003). Les effets varient selon le dosage mais semblent être liés à la diminution de la thyroxine et de la triiodothyronine dans le sérum de la mère durant la gestation. Les effets sont une réduction de la prise de poids de la mère, l’augmentation des pertes post-implantation, une réduction de la taille de la portée, une réduction du poids du fœtus, un retard de développement du squelette du fœtus, et des anomalies du développement génital chez les fœtus mâles. En même temps, nous pouvons subir une exposition au TBT et à d’autres composants d’organoétains, comme les formes monobutyl et dibutyl (MBT et DBT) utilisées entre autres comme additifs stabilisateurs dans le PVC, provenant d’un éventail de sources parfois inattendues. Par exemple, il a été rapporté que les TBT, DBT et MBT sont tous relâchés par certaines marques de papier de cuisson, et que les DBT et MBT sont relâchés par certains gants de cuisine, des éponges pour faire la vaisselle et du film cellophane pour couvrir les aliments, vendus au Japon (Takahashi et al.1999). Bien que la présence d’organoétains, et de TBT en particulier, ait été détectée chez une large variété de mollusques, poissons, oiseaux de mer, mammifères marins et oiseaux d’eau douce (IPCS, 1999), en dehors de quelques rapports, les niveaux de contamination humaine restent en grande partie inconnus et il n’existe pas de rapport immédiatement TABLEAU 7 : COMPARAISON DES DOSES CONSIDÉRÉES SÛRES DE BISPHÉNOL ET DES FAIBLES DOSES PRÉSENTANT UNE TOXICITÉ SUR LES RONGEURS. A DOSE (mg/kg/jour) RÉFÉRENCE Dose considérée sûre pour les animaux 5.0 US EPA 1993 Dose considérée sûre pour les humains* 0.05 US EPA 1993 0.1 Schonfelder et al. 2002a Augmentation de la taille de la prostate 0.05 Gupta et al. 2000 Altérations à long terme des schémas comportementaux chez l’adolescent et l’adulte 0.04 Adriani et al. 2003 Développement anormal de la prostate 0.025 Ramos et al. 2001 et 2003 Croissance anormale de la glande mammaire 0.025 Markey et al. 2001 0.02 Vom Saal et al. 1998, Sakaue et al. 2001 0.02 Honma et al. 2002 0.01 Palanza et al. 2002 0.0024 Howdeshell et al. 1999 0.002 vom Saal et al. 1998 0.002 Nagel et al. 1997 et 1999 0.002 Kawai et al. 2003 EFFETS Effets sur le vagin Réduction de la production de sperme Puberté précoce féminine Altération des soins maternels Puberté précoce féminine Altération des glandes génitales masculines Augmentation du poids de la prostate chez l’adulte Réduction du poids des testicules *Dose orale de Référence (RfD) est une estimation de l’exposition quotidienne de la population humaine (y compris des groupes sensibles) qui n’aura vraisemblablement pas de risque mesurable d’effets délétères sur la durée d’une vie. ATTENTION FRAGILE ! | 19 rapport greenpeace d’autres sources de preuves : mesure directe de la toxicité pour la reproduction et exposition aux substances chimiques suite 3 3.5 Bisphénol A 3.5.1 Effets Le bisphénol A se lie aux récepteurs d’œstrogènes des cellules humaines et imite tous les paramètres oestrogéniques, ce qui confirme son statut de substance chimique œstrogènique parmi les plus puissantes (Meerts et al. 2000, Olsen 2003). Les effets du bisphénol A sur la santé ont été démontrés par un nombre croissant d’études sur les animaux, à des niveaux jusqu’à 2 500 fois plus bas que la dose “la plus basse présentant des effets” mesurée par l’EPA, l’agence états-unienne de l’environnement. Les effets nocifs vont de l’altération des organes génitaux masculins et l’induction d’un comportement agressif, à la croissance anormale des glandes mammaires, une puberté précoce et une diminution de l’allaitement maternel (Tableau 7). L’induction d’une puberté précoce chez les animaux de laboratoire peut se produire à des doses extrêmement faibles (Howdeshell et al. 1999). Les enfants humains en bas âge ingèrent du bisphénol A dans le lait en poudre dans des quantités quotidiennes estimées à 1.6 microgrammes/kg/jour, ce qui laisse peu de marge de sûreté en comparaison des doses qui entraînent des effets sur les animaux (aussi basses que 2 microgrammes/kg/jour) (Houlihan et al. 2003). 3.5.2 Exposition Bien qu’il existe de nombreuses voies potentielles d’exposition, la préoccupation principale concernant l’exposition au bisphénol A et ses dérivés reste la contamination des aliments. Le bisphénol A peut imprégner la nourriture à cause de la présence dans les emballages à contact alimentaire de composés libres ainsi que par la dégradation de polymères tels que le polycarbonate (plastique couramment utilisé dans les biberons). On a découvert qu’il migrait des produits et des films plastiques utilisés dans des applications au contact de nourriture (LopezTABLEAU 8 : CONTAMINATION SOURCE Les effets du bisphénol A sur les humains ont fait l’objet de controverses. Il a été suggéré que celui-ci n’est que partiellement absorbé, qu’il se transforme rapidement en monoglucuronide de bisphénol A, biologiquement inactif, qu’il est rapidement excrété et que son accumulation dans les tissus n’est pas prouvée (Schonfelder et al. 2002b). C’est pour cela que, jusqu’à une époque récente, de nombreux scientifiques pensaient qu’on ne trouverait pas la forme active du bisphénol A dans le plasma humain, et qu’en conséquence les taux susceptibles d’atteindre le fœtus ne seraient pas significatifs. Néanmoins, des études allemandes et japonaises ont aujourd’hui confirmé que les enfants sont exposés au bisphénol A avant la naissance. La première, une étude japonaise, a mis en évidence la présence de bisphénol A dans des cordons ombilicaux (Takada et al.1999). Des études effectuées sur des souris et des singes ont ensuite montré que ces substances chimiques peuvent traverser le placenta (Uchida et al. 2002). D’autres études ont aussi rapporté la présence de bisphénol A dans le sang de cordons ombilicaux (Tableau 8). Les données présentées par Ikezuki et al. (2002) suggèrent que le bisphénol A pourrait se concentrer dans le liquide amniotique, car on l’y trouve dans des concentrations environ 5 fois plus importantes, entre la 15e et la 18e semaine de grossesse, que dans d’autres fluides. Schonfelder et al. (2002b) ont aussi HUMAINE PAR DU BISPHÉNOL A RÉFÉRENCE 1,6 ng/g poids humide de tissu Takada et al. 1999 Sang de cordon ombilical 2,9 ng/ml (médiane) Schonfelder et al. 2002b Sang de cordon ombilical 0,2-9,2 ng/ml Liquide amniotique entre la 15e et la 18e semaine ATTENTION FRAGILE ! Dans certains cas, une contamination a même été détectée en provenance de filtres à eau (Inoue et al.2000). De plus, des patients sous dialyse des reins peuvent être fortement exposés du fait de l’utilisation dans l’équipement de pièces en polycarbonate (Yamasaki et al. 2001). TAUX Cordons ombilicaux 20 | Cervantes & Paseiro-Losada, 2003, Ozaki & Baba, 2003), ainsi que du film de protection à l’intérieur de nombreuses boîtes de conserve. Le taux de migration du bisphénol A des produits plastiques vers les aliments pour bébés augmente après lavage, mise à ébullition et nettoyage à la brosse (Brede 2003). Liquide amniotique 0,62 +/- 0,13 ng/ml (moyenne) 8,3 +/- 8,7 ng/ml (moyenne) 0,26 ng/ml (médiane) Kuroda et al. 2003 Izezuki et al. 2002 Yamada et al. 2002 montré que dans 14 cas sur 37, les taux de bisphénol A dans le plasma fœtal étaient plus élevés que ceux du sang de la mère. Les taux de bisphénol A chez le fœtus sont aussi significativement plus élevés chez les garçons, ce qui pourrait indiquer des différences sexuelles dans le métabolisme de cette substance chimique.Takeuchi et Tsutsumi (2002) ont aussi noté cette différence en fonction du sexe lors d’une étude menée sur des adultes, et suggèrent qu’elle peut être due au fait que le métabolisme du bisphénol A est lié aux androgènes (hormones mâles). 3.6 Muscs artificiels (muscs nitrés et muscs polycycliques) 3.6.1 Effets Les muscs artificiels sont des substances chimiques persistantes et bioaccumulables. Le musc xylène (MX) et le musc cétone (MC) présentent des activités œstrogéniques in vitro, le MC montrant une affinité pour les récepteurs d’œstrogènes trois fois plus importante que le MX (Bitsch et al.2002). Cependant, lorsque le MC est réduit à son métabolite il perd son activité, tandis que lorsque le MX est converti en p-amino- musc xylène, ses capacités œstrogéniques augmentent (Bitsch et al. 2002). 3.6.2 Exposition Bien que, historiquement, les muscs nitrés (dont le MX et le MC) aient dominé le marché européen en tant qu’additifs de fragrance, leur place a depuis été remplacée par les muscs polycycliques, en particulier le tonalide, AHTN, et le galaxolide, HHCB. On estime que leur utilisation dans les produits d’entretien et d’hygiène est toujours répandue, bien qu’il y ait peu de données disponibles spécifiant dans quels produits. Dans ce qui demeure l’une des rares études disponibles, Greenpeace a publié en février 2005 un rapport qui quantifie la présence de différents composés musqués synthétiques, dont l’AHTN et le HHCB, dans des parfums vendus en Europe (Greenpeace 2005). Des muscs nitrés ont été détectés dans le tissu adipeux et le sang d’adultes (Rimkus and Wolf 1996, Kafferlein and Angerer 2001). Plusieurs études ont rapporté la présence de ces substances chimiques dans le lait maternel (Tableau 9). De plus, le HHCB et l’AHTN sont tous les deux fréquemment détectés dans des échantillons de sang de cordons ombilicaux humains aux Pays-Bas (Greenepace/WWF 2005), quoiqu’à des niveaux de l’ordre de quelques ppb dans le sérum. Le HHCB fut détecté dans 26 des 27 échantillons analysés. Les muscs polycycliques, AHTN et HHCB, induisent à la fois des activités œstrogéniques et antiœstrogéniques selon le type de cellule et le sous-type de récepteur ciblé. De faibles effets oestrogéniques sont observés à des concentrations relativement élevées (10 uM) tandis que les effets antioestrogéniques sont observés à 0.1 uM (Schreurs et al. 2002), dont des effets dans tout l’organisme. TABLEAU 9 : CONTAMINATION MUSC Xylène HUMAINE PAR DES MUSCS ARTIFICIELS SOURCE TAUX RÉFÉRENCE Lait maternel (n=391) 100 ug/kg de graisse (moyenne) Liebl et Ehrenstorfer 1993 40 ug/kg de graisse (moyenne) Cétone Tonalide Lait maternel (n=5) 8-58 ug/kg de graisse Rimkus et Wolf 1996 Mosken Lait maternel (n=53) 64 ug/kg de graisse (moyenne) Zehringer et Hermann 2001 Tibeten 25 ug/kg graisse Xylene 35 ug/kg graisse HHCB 73 ug/kg graisse AHTN 44 ug/kg graisse Traseolide 74 ug/kg graisse ug = microgrammes ATTENTION FRAGILE ! | 21 rapport greenpeace conlusion 4 * Les preuves de l’augmentation des maladies liées à la reproduction chez l’être humain sont de plus en plus nombreuses et devraient constituer une source sérieuse de préoccupation concernant les capacités futures de l’être humain à se reproduire. * L’exposition à des étapes précoces de la vie est particulièrement inquiétante. On considère que les bébés, que ce soit avant ou juste après la naissance, sont plus sensibles à l’exposition chimique. Les hormones jouent de nombreux rôles cruciaux dans le contrôle de la croissance et du développement au début de la vie, de sorte que la moindre interférence peut avoir des effets graves et irréversibles sur le développement de l’enfant, dont ce dernier pourrait subir les conséquences tout au long de sa vie. Certaines maladies et problèmes de santé peuvent se développer des années, voir des dizaines d’années après la période clé d’exposition aux substances chimiques ; même si les dommages peuvent être infligés à un très jeune âge, les conséquences sur la santé peuvent n’apparaître qu’à l’adolescence, voire à l’âge adulte. * De nombreuses substances chimiques de synthèse, dont les propriétés sont souvent dangereuses, sont fabriquées et utilisées chaque jour en Europe et ailleurs. Cela entraîne une contamination à grande échelle de l’environnement et du corps humain par certaines de ces substances chimiques. * De nombreuses substances chimiques de synthèse d’utilisation très répandue, y compris en tant qu’additifs présents dans des produits que nous utilisons quotidiennement, se sont montrées toxiques pour la reproduction et/ou ont des propriétés perturbatrices du système endocrinien, selon des études de laboratoires. * Il existe aussi une quantité croissante de recherches qui documentent la présence de substances chimiques dangereuses chez les humains (par ex. dans le sang et les tissus corporels) et la découverte de corrélations (des associations statistiquement significatives) entre les taux d’exposition et l’incidence de certains problèmes de santé. 22 | ATTENTION FRAGILE ! * Bref, bien que cela n’ait pas été prouvé de façon certaine, il existe de plus en plus de preuves d’un lien possible entre l’augmentation des problèmes de santé qui touchent la reproduction humaine et notre exposition accrue à de nombreuses substances chimiques. La présence de nombreuses substances chimiques de synthèse aux niveaux actuels environnementaux a peut-être déjà un impact négatif sur la reproduction des animaux et des hommes. Malgré ces préoccupations, de nombreuses substances chimiques dont la toxicité suspectée ou avérée pour la reproduction ou les systèmes hormonaux sont toujours utilisées. De plus, on ignore la véritable ampleur du problème puisqu’il existe un manque substantiel d’information même sur les propriétés de base de la plupart des substances chimiques couramment fabriquées, vendues et utilisées en Europe à ce jour. La proposition REACH de l’UE devrait ainsi renforcer ses exigences concernant les données à fournir au cours de la procédure d’enregistrement, de façon à ce que même les substances chimiques de faible tonnage puissent être évaluées pour leurs propriétés potentiellement toxiques pour la reproduction et perturbatrices du système endocrinien. En réalité, notre exposition aux substances chimiques dangereuses est multiple et très complexe. La connaissance des effets de ces mélanges, ou “cocktails” de substances chimiques, qui peuvent se produire même à faibles doses, reste très limitée. Dans des systèmes aussi complexes que notre environnement et notre corps, des approches régulatrices qui tentent de fixer des doses “maximum” ou des risques “acceptables” et ainsi de “contrôler” l’exposition à des substances chimiques soupçonnées ou connues pour leurs effets nocifs sur la fertilité ou sur les enfants pendant la grossesse, seront inévitablement dans l’incapacité de garantir un niveau élevé de protection pour l’environnement et pour la santé humaine. Pour de telles substances chimiques, la seule approche viable serait d’empêcher toute exposition en se fixant pour objectif d’éliminer la fabrication et l’utilisation de ces substances chimiques chaque fois que possible. Cet objectif pourrait être atteint en exigeant la substitution obligatoire des substances chimiques dangereuses par des alternatives plus sûres, ce qui inciterait aussi l’innovation à se tourner vers une chimie verte. La situation décrite dans ce rapport indique clairement la nécessité d’agir suivant le principe de précaution, afin d’empêcher qu’humains et animaux ne continuent à être exposés à des substances chimiques dangereuses, en particulier celles qui ont des impacts sur la reproduction. La proposition de législation européenne REACH possède ce potentiel si l’on s’accorde sur une formulation exigeant au minimum : * la fourniture d’informations en qualité suffisante pour identifier les propriétés des substances chimiques avant toute commercialisation ou utilisation, * et la substitution obligatoire des substances chimiques les plus dangereuses, en particulier des CMR (cancérigènes, mutagènes, et substances chimiques toxiques pour la reproduction) et des perturbateurs endocriniens. rapport greenpeace références Adeeko A, Li D, Forsyth DS, Casey V, Cooke GM, Barthelemy J, Cyr DG, Trasler JM, Robaire B, Hales BF (2003). Effects of in utero tributyltin chloride exposure in the rat on pregnancy outcome. Toxicol Sci;74(2):407–15. Adriani W, Seta DD, Dessi-Fulgheri F, Farabollini F, Laviola G (2003). Altered profiles of spontaneous novelty seeking, impulsive behavior, and response to D-amphetamine in rats perinatally exposed to bisphenol A. 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