Juliette Binoche et Marion

Transcription

Juliette Binoche et Marion
“ “JEUDI 3 MARS 2016
4
Interview de
deux grandes
dames
GRAND ANGLE
Juliette Binoche et Marion
RENCONTRE
L’icône du cinéma est en Valais cette semaine pour assister à deux
projections du film de sa sœur Marion Stalens «Juliette Binoche dans
les yeux» et visiter son exposition «Portraits de cinéma et d’ailleurs» à la Maison du diable à Sion.
ARTISTES ET SŒURS En
2008, après avoir déjà été couronnée aux César (en 1993 pour
«Trois couleurs: Bleu» et aux
Oscars (en 1997 pour «Le patient
anglais»), Juliette Binoche se
lance dans un défi qui paraît impossible: se lancer à corps perdu
dans la création d’un spectacle de
danse contemporaine avec le
chorégraphe Akram Khan, spectacle qui tournera mondialement. Ce fut là l’occasion pour
Marion Stalens, sa sœur photographe et documentariste, de
dresser un portrait passionnant
de cette figure iconique du cinéma mondial qui tourne bien sûr,
mais aussi danse, peint… De la
saisir dans la vérité fragile de la
création, dans ces moments rares
où l’artiste risque tout, se dévoile
totalement. Avant la projection,
hier à Sion, de ce documentaire
intitulé «Juliette Binoche dans
les yeux» (2009), Marion Stalens
et Juliette Binoche ont reçu «Le
Nouvelliste» pour revenir sur ce
tournage à part, et parler de ce
très beau lien qui les unit.
Ce film, «Juliette Binoche dans
les yeux», aurait-il été possible
sans ce lien, cette relation de
sœur à sœur?
Juliette Binoche: Peut-être, mais
différemment… On m’avait déjà
proposé de faire des documentaires, mais une caméra, c’est assez
intrusif, surtout dans un moment
de création. On a envie d’intimité, d’être seul, on n’a pas envie
d’être regardé, car c’est un moment où on doit s’oublier, plutôt.
Avoir ma sœur avec moi, c’était
une façon de prolonger naturelle-
ment cette intimité à travers le
risque d’une expression artistique nouvelle.
Surtout que vous avez été filmée au stade initial de vos
projets, quand tout est encore
fragile…
Quand
«
z
je regarde les
photos de
Marion, c’est
son regard
que je vois.»
JULIETTE BINOCHE
ACTRICE
Marion Stalens:
C’est vrai qu’il y a
eu un moment délicat, car Juliette
démarrait son
travail. Et être
face à la page
blanche, qui
plus
est
toute seule,
c’est difficile.
Comment
faire pour
ne pas
altérer
cette intimité?
C’est
pour-
tant cette intimité-là, celle du
moment de création, qui m’intéressait. Je ne voulais absolument
pas faire entrer ma caméra dans
sa vie privée. En revanche, il me
paraissait plus privé, plus rare,
d’être dans le moment où on
cherche, où on se perd, où on tâtonne et où on trouve… Faire
jaillir la parole dans ces instantslà me semblait plus profond.
Un travail comme celui-là a-t-il
apporté une dimension nouvelle
à votre relation?
JB: Pour moi, ce film parle autant de moi que de Marion. Parce
que c’est son regard. Elle a donné
et j’ai donné en retour. Ça n’a pas
marché que dans un sens. Et risquer de s’exposer publiquement,
c’est une générosité et non un
narcissisme. C’est vrai, je suis
actrice, mais il y a d’autres po-
tentialités à explorer. Marion a
été actrice, puis photographe, et
elle fait des documentaires, a envie d’aller vers la fiction. On est
toujours dans un mouvement.
C’est ça qui me passionnait dans
ce film. Donner envie à chacun
d’être dans son propre mouvement.
MS: C’est exactement ce que je
voulais accomplir. Transmettre
cet appétit, ce goût de l’audace et
du risque qui me sont propres
aussi. Parce que réaliser des documentaires, c’est toujours marcher au-dessus du vide. On peut
provoquer des situations, mais
l’inattendu surgit à chaque fois et
on tricote avec toute cette matière qu’on a récoltée. D’ailleurs,
le film commence par la fin, par
les paillettes et le tapis rouge, tout
ce que tout le monde connaît
de joli à voir mais finale-
REPÈRES
REPÈRES
JULIETTE BINOCHE a durant
MARION STALENS a d’abord
sa carrière obtenu un César,
un Oscar, le Prix Romy Schneider, ainsi que des prix d’interprétation dans les trois plus
grands festivals de cinéma,
Cannes, Venise, Berlin. Elle
sera cette année à l’affiche de
«Ma loute» de Bruno Dumont
et de «Polina» d’Angelin Preljocaj. En outre, elle vient de
lancer une société de production qui a pour vocation
de lutter contre la représentation souvent stéréotypée
de la femme au cinéma. }
exercé son regard sur les plateaux de cinéma, documentant les tournages. Puis, elle
a tourné son objectif vers
les gens du quotidien,
dans une approche
documentaire. Après
quoi, de l’image figée,
elle est passée au
film documentaire.
Aujourd’hui, elle travaille sur son prochain film et envisage de passer à
la fiction. }
ment superficiel. L’acte de création se passe dans l’ombre, dans
les soutes. C’est la sueur, les étincelles aussi…
J’ai voulu
«
z
montrer
Juliette artiste
en action,
artiste par
tous les pores
de sa peau.»
MARION STALENS
PHOTOGRAPHE, DOCUMENTARISTE
JB: Et une certaine nudité aussi. On s’épluche en
quelque sorte pour trouver une transparence,
pour se découvrir, finalement. Quand j’y repense, ça n’était pas
gagné… (rires)
S’exposer
en
train de chercher, d’essayer,
de ne pas y arriver… Parce
qu’on avait
une tournée
d’un an, tout
était signé, et
en commençant les répétitions, je me rends
compte que je ne
sais pas danser, et
qu’en plus je n’ai pas les muscles
qu’il faut. C’était une panique totale. Et avoir une caméra sur moi
¬ même si c’était celle de ma
sœur ¬ qui me montre quand je
suis au fond du trou, quand j’ai
mal aux pieds et que je me demande comment arriver au bout
des répétitions et de la tournée
qui nous attend… Et à la fois, être
toujours sur ce fil sans savoir si on
va tomber, c’est ce qui est grisant.
Vous avez déjà expliqué que très
tôt, votre positionnement face au
monde s’est manifesté différemment. Vous, Marion, étant plus
observatrice, en retrait, et vous,
Juliette, plus actrice, plongeant
au cœur des choses…
MS: C’est vrai que j’ai eu très tôt
le sentiment d’être un peu lectrice de la vie… Lire la vie, c’est
une autre façon de l’aborder. Je
me souviens avoir beaucoup observé les détails, un peu à la périphérie… Quand notre père nous
a offert un appareil photo, c’était
plus moi qui te photographiais
que l’inverse.
JB: Ce que j’aime dans le travail
de Marion c’est qu’elle photographie les gens comme ils sont.
C’est la personne qui l’intéresse,
pas ce qu’elle représente. Et souvent, elle s’approche des gens
avec cet œil très proche… Un
mélange d’amoureuse et d’inquisitrice… (rires).
Quel regard portez-vous sur votre travail respectif?
JB: L’image est au service de
quelque chose de plus grand.
C’est ce qu’il y a dedans qui
compte. Et c’est vrai qu’en écri-
PROJECTION PUBLIQUE DU DOCUMENTAIRE «JULIETTE BINOCHE DANS LES YEUX» AU CINÉMA ARLEQUIN
Le public sédunois réserve un accueil chaleureux aux deux sœurs
Juliette Binoche, Jean-François Albelda et Marion Stalens devant
le nombreux public du cinéma Arlequin. HÉLOÏSE MARET
FILM La Fondation Fellini
a réussi un joli coup en faisant
venir Juliette Binoche à Sion,
pour une visite de l’exposition de
photos de sa sœur Marion Stalens (lire ci-contre) et pour une
projection qui a fait salle comble, hier soir, au cinéma Arlequin. Le film vu par un public
très touché, c’était «Juliette Binoche dans les yeux», un documentaire réalisé par la sœur de
l’actrice en 2008.
Le film montre l’artiste Juliette
Binoche dans son quotidien, et
aussi en phase de création. Un
joli retour sur une grande carrière, mais surtout sur une démarche artistique qui sonne
vrai, comme lorsque l’actrice
s’adonne avec passion à la peinture, pour saisir le portrait des
cinéastes avec lesquels elle a travaillé au fil des ans.
A la fin de la projection, les
questions du public ont fusé.
Comment ont elles vécu cet instant face à l’écran? Juliette Binoche: «Je suis très émue et un peu
gênée parfois aussi. Je dis tout le
temps «je» dans le film... C’est un
très beau portrait. Il n’y a qu’elle
qui pouvait le faire comme ça. Je
suis émue par son regard et son
amour. On sent l’artiste Marion à
travers ce portrait.»
Marion Stalens, elle, a apprécié de revoir le film à côté de sa
sœur et «de ressentir ses émotions».
Une leçon de vie
Un autre spectateur a demandé aux deux sœurs comment el-
Passer à la réalisation
«demande
z
du courage.
On ne peut pas se cacher
derrière un film.»
JULIETTE BINOCHE ACTRICE
les concevaient la célébrité.
Pour Marion Stalens, pas de malaise avec la notoriété mondiale
de sa petite sœur: «La célébrité
est à côté de moi. J’aurais pu être
jalouse, mais j’ai choisi d’être heureuse. Cela m’a obligée à devenir
sage». Quant à Juliette Binoche,
elle a affirmé que sa célébrité l’a
forcée à faire un travail sur elle.
Histoire de rester sur terre.
Concernant son métier d’actrice, elle a encore lancé: «On
doit connaître qui on est pour pouvoir jouer un autre, pour pouvoir
recréer la vie.»
Juliette Binoche, habituée à
apparaître sur le grand écran,
A l’invitation
de la Fondation
Fellini
5
Un échange
nourri avec
le public
En visite
à Sion pour
une projection
Stalens en toute intimité
Le lien, très fort, entre les deux
sœurs, se voit sur la pellicule et
sur l’écran. CHRISTIAN HOFMANN
vant la préface du catalogue
d’exposition de Marion, en regardant ses photos, c’est son regard que j’ai vu, que je vois encore. L’image qui est imprimée
en moi quand je vois son travail,
c’est son regard, vraiment.
MS: Les films qui m’ont le plus
bouleversée sont ceux qui sont
nés de la rencontre entre Juliette
et de grands cinéastes porteurs
d’une vision. Ceux où je sens que
Juliette peut vraiment exister pleinement en tant qu’actrice au sens
pourrait peut-être un jour imiter sa grande sœur en passant à
la réalisation. «Mais il faut
d’abord savoir quelle histoire raconter. Il faudrait un film nécessaire pour les autres et pour soimême. Cela demande du temps,
de la capacité et du courage aussi.
Car on ne peut pas se cacher derrière un film.» Une dernière
phrase qui semble à peine masquer un bel hommage à sa réalisatrice de sœur.
Le public est reparti conquis
du cinéma. Comme cette dame
qui a lancé du fond de la salle:
«Ce soir, j’ai eu une vraie leçon de
vie: j’ai appris que tout est possible. Et je crois que je vais partir
avec ça.»
Elle n’est sans doute pas la
seule. } JOËL JENZER
noble, total du terme, c’est-à-dire
en tant que créatrice. Ceux où elle
est vraiment regardée par le réalisateur. Je rêve d’ailleurs de découvrir le prochain, qui devrait être
clownesque d’après ce que j’en
sais… Je suis constamment surprise de tout ce qu’elle traverse, de
ce qu’elle accomplit. C’est compliqué, je suis très souvent totalement liquéfiée en regardant ses
films… C’est étrange à vivre, cette
proximité avec Juliette et le sentiment de se faire totalement
emporter en la voyant à
l’écran… } JEAN-FRANÇOIS ALBELDA
Marion Stalens et Juliette Binoche seront
encore présentes à l’hôtel Bella Tola, SaintLuc pour une projection ce vendredi à
18h 30. [email protected]. 027 475 14 44
+
GALERIE PHOTOS
Retrouvez notre galerie
sur notre app journal.
Stéphane Marti, président de la Fondation Fellini, en compagnie
des deux invitées de la soirée. HÉLOÏSE MARET
INVITÉES DE LA FONDATION FELLINI POUR LE CINÉMA
L’EXPOSITION DE PHOTOS DE MARION STALENS
Une visite décontractée en famille
Hier après-midi, Juliette Binoche et
Marion Stalens étaient conviées
par la Fondation Fellini pour le cinéma à la Maison du diable. Elles
sont arrivées sous la pluie pour
une visite de l’exposition «Marion
Stalens, Portraits de cinéma et
d’ailleurs».
Lors de cette visite particulière,
sans aucun guide, l’intimité des
deux sœurs artistes était palpable.
Juliette Binoche s’est dite très
émue face au travail de sa sœur:
«Je connaissais déjà ses photos,
évidemment, mais les voir toutes
regroupées sur trois étages, c’était
vraiment impressionnant.»
Pour la photographe Marion Stalens, peu importe qui est le sujet
d’une image. «Pour moi, tous les
humains se valent. Quand je les
photographie, j’essaie de capter
un bout de leur beauté.» Ou
quand le regard sensible de la
photographe et réalisatrice se
pose avec douceur sur ses sujets.
De photos de tournage de films
avec - ou parfois sans - Juliette Binoche à des portraits de gens du
cinéma, c’est un joli univers qui se
dévoile au cœur de la Maison du
diable.
A un moment, Juliette Binoche dit
à sa fille «Oh! Johnny, Johnny!» en
montrant une photo d’elle et de
Johnny Depp sur le tournage du
Juliette Binoche et Marion Stalens, complices lors de la visite
de l’exposition à la Maison du diable. CHRISTIAN HOFMANN
film «Le chocolat».
Après cette visite en famille, juliette Binoche dira encore: «C’était
émouvant de voir tous ces tournages, avec Marion comme témoin.
J’ai aussi aimé voir les tournages
où je n’étais pas là.» Parlant des
artistes de cinéma exposés à Sion,
elle relève: «Dans ces photos, il y a
leur monde à eux. Tout l’art de la
photographe réside dans le fait de
les mettre en valeur par la lumière
ou par le cadrage.»
Le temps encore de se prendre en
photo en famille, de saisir avec le
téléphone portable des photos exposées que Juliette Binoche
n’avait pas dans sa collection, et
c’est déjà le moment de repartir
sous la pluie pour la suite de la
journée, qui conduira les deux
sœurs au cinéma de Sion pour la
projection du film que la réalisatrice a fait sur l’actrice. } JJ
L’exposition est à découvrir à la Maison
du diable, rue des Creusets 31 à Sion,
jusqu’au 27 mars. www.fondation-fellini.ch

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