Le suicide des adolescents Conférence du Pr. Xavier Pommereau

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Le suicide des adolescents Conférence du Pr. Xavier Pommereau
Le suicide des adolescents
Conférence du Pr. Xavier Pommereau
Le 30 janvier 2014 à Genève à la Haute Ecole de Santé
Xavier Pommereau est un psychiatre français,
spécialiste de l'adolescence en difficulté. Il est l'un
des pionniers de la prévention du suicide chez les
jeunes en France, et a ouvert il y a vingt ans la
première unité hospitalière spécifiquement dédiée
aux jeunes suicidaires. Il a également créé en 2000
une unité spécialisée dans la prise en charge des
jeunes souffrant de troubles des conduites
alimentaires (TCA). Le Dr Pommereau dirige le Pôle
Aquitain de l'adolescent au centre Abadie (CHU de
Bordeaux).
Parmi ses ouvrages :
•
•
L'adolescent suicidaire, Éditions Dunod 1996,
Nos ados.com en images. Comment les soigner, Éditions Odile Jacob, octobre 2011
Conférence sur le suicide à l’université de Bordeaux
u.tv/video/universite_bordeaux_segalen_dcam/le_suicide.1854
en
2005 :
www.canal-
Table des matières LES RESSORTS DE L’ACTE SUICIDAIRE ...................................................................................................... 2 ECHAPPER A UNE SOUFFRANCE INTOLERABLE ................................................................................................................. 2 REPRENDRE LA MAIN SUR SON DESTIN .............................................................................................................................. 2 REVENDIQUER SON IDENTITE………………………………………………………………………………………………………2 MOYENS ET MISE EN SCENE .................................................................................................................................................. 3 CONDUITES DE RUPTURE, SIGNAUX D’ALARME ..................................................................................... 3 LA FUGUE ................................................................................................................................................................................. 3 L’ABSENTEISME SCOLAIRE .................................................................................................................................................... 3 L’IVRESSE MASSIVE REPETEE ............................................................................................................................................... 3 LES SCARIFICATIONS .............................................................................................................................................................. 3 LES RACINES DES BLESSURES IDENTITAIRES ......................................................................................... 4 QUE FAIRE FACE A CES CONDUITES ? ......................................................................................................... 4 Xavier Pommereau ouvre sa conférence sur l’étymologie du mot suicide, inventé au XVIIIe siècle
par l’Abbé Desfontaines à partir du latin : tuer-soi. Le débat moral et religieux sur le suicide est
bien plus ancien : a-t-on le droit de s’ôter la vie / doit-on être libre de disposer de soi-même ?
La question du suicide est complexe car elle provoque toujours un drame chez les survivants : en
se suicidant, on « ampute les autres ».
Le deuil d’un enfant suicidé pour les parents est terrible, car au drame associé à la perte d’un
enfant s’ajoute la culpabilité de n’avoir pas pu éviter cette perte. Les survivants sont « hantés »
pendant de longues années par leur proche suicidé.
Ce drame est si difficile à appréhender qu’on essaie de trouver un sens à la conduite suicidaire, ce
qui amène souvent à des simplifications : « c’est la dépression » ( discours du corps médical) ou
« c’est le désespoir » (lié à un événement : décès, un divorce…). Mays ni le désespoir ni la
dépression en semblent suffisant pour expliquer les conduites suicidaires : de nombreuses
personnes sont dépressives ou désespérées et ne sont pas suicidaires pour autant.
Le professeur Pommereau tente de dégager, à partir de son expérience clinique auprès des
jeunes, les « ressorts » principaux de l’acte suicidaire chez les adolescents.
Les ressorts de l’acte suicidaire
Echapper à une souffrance intolérable
Les adolescents qui pensent au suicide sont indéniablement en souffrance. Cette souffrance
prend des proportions énormes et occupe tout l’espace mental du jeune. Pour arriver à l’envie
suicidaire, le jeune est convaincu que sa souffrance est intolérable et que le seul moyen d’y
échapper c’est la mort.
Reprendre la main sur son destin
Les adolescents suicidants ont également une volonté de reprendre la main sur leur destin ou sur
les raisons qui les ont amené à souffrir. Il s’agit d’une réappropriation de soi, de reprendre le
contrôle de sa vie et de son corps en le détruisant.
Cette reprise en main a une dimension manipulatrice, le jeune veut se contrôler et aussi contrôler
son entourage sans forcément en avoir conscience. (Par exemple, un adolescent qui souffre de
voir ses parents se séparer va tenter de se suicider avec le secret espoir qu’ils se remettront
ensemble)
Revendiquer son identité
Le ressort secret de l’acte suicidaire est la manifestation d’une revendication identitaire. C’est-àdire qu’à travers l’acte, l’adolescent recherche la reconnaissance et le renforcement de son
identité car il souffre d’une blessure identitaire profonde. Pour y arriver, il va jusqu’à se défaire de
sa corporalité en échappant à son corps et en le laissant en travers du chemin des vivants (Cf.
suicides marquants, corps retrouvés exposés ou mis en scène). L’objectif inconscient du suicidaire
étant de marquer à jamais son entourage et de rester pour toujours dans les mémoires des gens.
Moyens et mise en scène
Tout compte dans un passage à l’acte suicidaire pour comprendre les motivations conscientes et
inconscientes de la personne, notamment les moyens et la mise en scène de l’acte.
La manière d’échapper à la souffrance et de reprendre la main par le suicide est très genrée : les
filles et les garçons n’auront pas la même manière de faire. Les filles préfèrent les moyens qui
respectent l’intégrité corporelle. Elles essayeront de passer d’un état de misère à un état
d’endormissement en voyant si elles se réveillent ou non (cf. Belle au bois dormant), il ets courant
qu’elles se « parent » de leurs plus beaux bijoux et habits au moment du suicide. Elles choisissent
donc le plus souvent les médicaments ou, dans de rares cas, le saut d’une hauteur (sorte de
fugue, de libération, d’envol). Chez les garçons, les moyens choisis seront plus violents car ils vont
préférer les armes à feu ou la pendaison, « éjaculation » figurée, qui impressionnera pour toujours
ceux qui le découvrent.
Conduites de rupture, signaux d’alarme
Avant de passer à l’acte, les adolescents ont essayé d’échapper à leur souffrance autrement. La
plupart ont eu des « conduites de rupture » pour échapper à la souffrance et/ou attirer
l’attention, avec l’espoir secret que ces conduites provoqueraient un changement.
Ces conduites sont des « marqueurs de risque » ou signaux d’alarme, indiquant qu’un jeune est
en souffrance et qu’il attend que l’on reconnaisse cette souffrance, qu’on la prenne en compte.
Les conduites de rupture les plus courantes sont :
La fugue
La fugue est un acte suicidaire figuré : le but est de s’évader d’un lieu et ainsi de « semer » sa
souffrance en la laissant sur place. Le jeune a l’espoir qu’en partant de ce lieu, la souffrance
s’atténuera ou qu’il y aura un changement. 80% des adolescents ayant déjà tenté de se suicider
ont des antécédents de fugue. Le drame du fugueur, c’est quand personne ne remarque sa fugue.
L’absentéisme scolaire
L’adolescent n’est pas présent en cours mais reste devant l’établissement, entre caché et visible.
Inconsciemment, il attend qu’on vienne le chercher, ce qui dévoile son besoin de reconnaissance.
Il ne faudra donc pas hésiter à aller lui parler, lui poser des questions
L’ivresse massive répétée
Visible chez certains jeunes, qui vont toujours plus loin que les autres dans le but de s’oublier et
d’échapper à leur souffrance. Par ce biais, le jeune a le secret espoir qu’on le verra car il nous
montre directement que ça ne va pas, tout en faisant passer sa conduite pour un comportement
« festif ».
Les scarifications
Il ne s’agit pas de « conduite de rupture » à proprement parler, mais plutôt d’un signe de
crispation identitaire, par forcément d’une très grande souffrance. Il s’agit plutôt de filles, et plutôt
avec des outils banals. Se couper peut servir de nombreux buts : soulager une souffrance, se
punir, se calmer, se faire remarquer. Il s’agit d’un mécanime pour reprendre le contrôle sur son
corps, cela peut marquer la volonté de s’affranchir d’une dépendance. Quand les scarifications
sont profondes, qu’elles sont associées à des brulures ou des abrasions ou qu’elles sont dans des
endroits « non conformes » (les jambes…), il peut s’agir de troubles plus graves ou profonds.
Les racines des blessures identitaires
A l’origine de ces blessures identitaires, il peut y avoir de très nombreux facteurs. Certains sont
récurrents et méritent qu’on s’y attarde. Ils ne sont pas exhaustifs et peuvent se combiner à
d’autres facteurs. A ces raisons, s’ajoutent la dépression et des événements de vie
défavorables (harcèlements, rupture amoureuse etc.) qui accentueront la situation de
crispation identitaire et qui vont alors mettre les adolescents en situation de crise suicidaire.
1. Les violences sexuelles subies dans l’enfance. Ces violences créent des blessures
enfouies qui vont se ré-ouvrir pendant l’adolescence si aucun travail thérapeutique n’est
fait (haine de son corps, volonté de s’en défaire vue comme une solution donc un
marqueur de risque).
2. La maladie mentale : les schizophrènes par exemple ont 35 fois de plus de risque de
se suicider que les autres. Les vibrations identitaires des malades sont parfois
insoutenables pour eux-même.
3. Les questionnements sur l’identité sexuelle. Particulièrement si le contexte
(famille, amis) est homophobe, les jeunes vont avoir des difficultés à assumer leur
différence.
4. Les non-dits et les secrets de famille. Ceux-ci voilent, attaquent l’identité,
« brouillent le GPS identitaire ». L’adolescent aura donc de la peine à se retrouver parmi
les questionnements identitaires habituels (qui suis-je, d’où viens-je etc.)
5. Les changements de famille (adoption). Les identités des uns et des autres sont
ébranlées. L’enfant va avoir du mal à supporter l’écart de vie. D’abord, les violences subies
durant les premiers mois de sa vie vont le marquer, puis il sera à la recherche de son
identité. Du côté des parents, le fait de ne pas pouvoir avoir d’enfant a causé un trauma
(espoir déçu). Dans les premières années, il y a de la réparation et beaucoup de bonheur
à recréer une famille mais à l’adolescence, les blessures s’aiguisent.
Que faire face à ces conduites ?
Pour aider un adolescent en souffrance, avant même d’essayer de le comprendre, il faut le
reconnaître comme une personne souffrante, oser poser des questions claires. Lui parler
de suicide est également possible, c’est une porte ouverte, une perche qu’on lui tend pour sa
reconnaissance et nullement une incitation. C’est un premier pas pour pouvoir ensuite travailler
sur les causes de la blessure identitaire.
La pire conduite serait d’ignorer sa souffrance.
Les méthodes d’intervention psy « classiques » fonctionnent assez mal avec les adolescents. Au
centre Abadie, la méthode est basée autour de la médiation et d’ateliers, on utilise un tiers
(atelier, image, activités).