Analyse filmique – séquence dernière du Voleur de bicyclette

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Analyse filmique – séquence dernière du Voleur de bicyclette
Analyse filmique –
séquence dernière
du Voleur de
bicyclette – De
Sica 1948
Durée de l’extrait – 6’45 minutes – 68
plans soit une moyenne de 6 secondes
par plan.
Figures essentielles : la profondeur – le
travelling/ l’angle de prise de vue pour
suggérer le jugement moral de l’enfant
Après guerre, Antonio Ricci, quarante ans,
vit dans une banlieue populaire de Rome
avec sa femme et ses deux enfants. Au
chômage depuis deux ans, on lui propose
finalement un emploi de colleur d’affiche, à
la condition qu’il possède une bicyclette
pour ses déplacements. La sienne est
gagée au Mont de Piété, mais Maria, son
épouse, y dépose les draps de leur
trousseau de mariage afin de récupérer
l’indispensable instrument de travail. Dès le
lendemain, Antonio Ricci quitte son
modeste domicile avec Bruno, son fils âgé
de dix ans, chacun commençant sa journée
de travail : le premier, dans l’enthousiasme
de sa nouvelle profession, le second, dans
le soulagement de la joie retrouvée de son
père. Ce bonheur naïf est de courte durée :
dès le premier jour, Antonio Ricci se fait
voler sa bicyclette sous ses yeux et voit, par
là même, tous ses espoirs anéantis.
Accompagné de Bruno, il se lance
éperdument, en dépit de maigres chances
de réussite, à la recherche de sa précieuse
bicyclette.
Plan 2
Contrechamp intégral. Nous étions derrière
les personnages, la caméra passe devant
pour nous offrir le visage d’Antonio. Plan
poitrine. Expression soucieuse du père.
Rumeurs et grondements du stade.
Plan 3
Nouveau contrechamp. Le plan présente
l’objet du regard d’Antonio. Le stade à
l’architecture fasciste. Solitude de l’individu
contre enthousiasme collectif de la foule.
Plan 8
Le père scrute les bicyclette et semble faire
demi-tour, c'est-à-dire renoncer.
Plan 9
La caméra lui fait à nouveau face, comme
si elle voulait nous montrer le plus nettement
possible
son
dilemme.
Légère
contreplongée.
Mais
un
nouveau
contrechamp va se faire jour.
Plan 10
Une bicyclette seule posée contre un mur.
Plan 4
Même prise qu’en 2. L’homme se retourne
vers son fils.
Plan 5
Bruno se prend le visage dans les mains.
Plan 11
Ce second moment est orchestrée comme le
précédent. Le personnage ne peut
échapper à la tentation du vol. Il se
détourne une nouvelle fois.
Plan 1
Départ de la séquence sur un volet
(procédé de transition très rare dans le
film). Le découpage est relativement
transparent et ne crée pas de
dramatisation.
La caméra suit les
personnages de dos en plan moyen et en
travelling. Le film de De Sica est un
parcours dans les rues de Rome, un
itinéraire erratique dans une société
italienne laminée par la guerre et le
chômage. Les personnages y sont
constamment en déplacement. La caméra
s’arrête comme s’interdisant de les suivre
davantage. Le cadre est composé, un mur à
gauche dessine une clôture qui permet de
renforcer la perspective. Dans la
profondeur apparaît le stade. Le plan est
long. Les silhouettes s’inscrivent dans ce
décor urbain et le réalisateur laisse les
corps agir : l’enfant s’assoit sur le trottoir.
Plan 6
Même prise qu’en 2 et 4. Le regard du
père alterne entre son fils et le stade.
Musique
dramatique.
La
séquence
fonctionne sur la tension qui anime le
personnage d’Antonio. On ne va pas tarder
à voir l’objet de son désir.
Plan 11
La caméra repasse une fois de plus devant
le personnage, accentuant l’impression
d’enfermement à la fois moral et
psychologique.
Plan 12
Même prise qu’en 7.
Plan 7
Les bicyclettes. Le spectateur comprend
parfaitement dans cette scène muette le
débat qui agite le personnage : voler un
vélo et perdre l’estime de son fils ou
renoncer et perdre son emploi. La rangée
de vélo dont le cadre est saturé est par
ailleurs gardée par un agent de la force
publique.
Plan 13
Nouveau renoncement.
personnage. La place s’encombre de vélos.
Pano gauche sur les Romains sortant du
stade.
Plan 14
Pour la première fois, la caméra saisit le
personnage de manière latérale. Travelling
d’accompagnement. Antonio s’arrête à
l’angle d’un bâtiment. Dans la profondeur
on aperçoit la bicyclette entrevue en 10.
L’espace est constitué de deux impasses.
Morales (deux possibilités tentatrices de
vol) Travelling dans le sens contraire. On
perçoit nettement l’hésitation du père sous
le regard du fils. Antonio s’assoit à côté de
Bruno. Hors champ sonore, et raccord
regard.
Plan 20
Antonio se retourne. La caméra le suit,
travelling d’accompagnement. Antonio
s’arrête mais la caméra effectue un
mouvement latéral de manière à bien
présenter l’objet de sa convoitise : la
bicyclette. L’espace est vide dans ce duel
moral qui oppose Antonio est sa conscience.
Le décor naturel ressemble à certaines
toiles de Chirico.
Plan 15
La place publique. Il y a un rapport
dialectique entre l’individu solitaire
(Antonio est en dehors de toute solidarité)
et la place publique.
Plan 16
Les personnages dans la position des
vaincus. Assis sur le trottoir. La référence à
Chaplin est évidente (La ruée vers l’or/ Le
Kid).
Plan 17
Comme par ironie grinçante du destin, une
course
cycliste
passe
devant
les
personnages. Un travelling avance resserre
le cadre pour capter les expressions des
personnages. Bruno et son père se
regardent. Antonio se redresse.
Plan 24
Antonio se retourne comme pour échapper
à cette vision, ôte son chapeau. Mais le
spectateur sait que l’espace est bouché.
Plan 25
Comme dans l’enchaînement 8-9 la caméra
passe à nouveau devant le personnage
dans un balai obsessionnel.
Plan 26
Antonio dans un espace vide d’une très
grande picturalité. Il se retourne. S’avance
vers la caméra et se retourne vers son fils.
Mystère et mélancolie d'une rue,
1914 huile sur toile, 87 x 71,5 cm
Plan 21
Retour su l’enfant dont la présence émaille
la séquence. La caméra est à sa hauteur.
Plan 27
L’enfant a tout compris des hésitations de
son père.
Plan 28
Antonio s’est décidé à agir. Il saisit son fils
par le bras. Il tend quelques billets à Bruno
pour qu’il prenne le tram et se dirige dans
cette profondeur fatale où le suivent la
caméra et son fils. L’angle du mur cache à
l’enfant la bicyclette. Travelling latéral
pour découvrir la profondeur.
Plan 22
A nouveau un plan poitrine sur Antonio.
Plan 18
Plan 29
Bruno se dirige vers le tram.
Plan 19
Raccord sur le regard dont on ne sait s’il
correspond à une vision subjective du
Plan 23
Le personnage ne sort pas d’une ligne bien
définie et pourtant les contrechamps
regard proposent chaque fois des objets
différents (faux point de vue). Ici nous nous
sommes rapprochés des cyclistes.
Plan 30
Plan large qui saisit l’action de loin sans
volonté de la dramatiser à outrance. Cet
éloignement lui confère une distance
morale qui est justement l’humanité que De
Sica met dans le regard qu’il porte sur ses
personnages. La musique tourbillonnante
souligne malgré tout la dramatisation du
moment. Antonio vole le vélo. Son
propriétaire surgit immédiatement en criant
au voleur. La thèse du film d’inspiration
marxiste est d’une atroce simplicité : les
pauvres pour subsister doivent se voler entre
eux.
Plan 36
Les passants se précipitent sur Antonio.
Plan 37
Contrechamp terrible sur le regard témoin
de l’enfant.
Plan 38
Plan 31
La foule qui s’apprête à juger Antonio.
Plan 32
Antonio tente de trouver un espace où fuir
dans la profondeur qui jusque là l’a
enfermé. L’espace se vide de ses habitants.
Plan 33
Raccord sortie/ entrée de champ. Pano
gauche.
Plan 34
Plan poitrine sur l’enfant. Travelling sur
l’expression de l’enfant.
Plan 35
Pano gauche d’accompagnement pour
suivre la fuite d’Antonio.
Plan 42
Plan 43
Antonio est giflé sous le regard de son fils.
Indifférent à la foule, c’est désormais entre
le fils et le père que la scène se déroule.
Le propriétaire du vélo accourt.
Plan 44
Plan d’ensemble sur la scène. Le tram
sépare le groupe qui emmène Antonio.
Plan 39
Gros plan sur Antonio soumis à la vindicte
populaire et débarrassé de son couvrechef dont l’importance symbolique est
primordiale (signe ici de statut social
perdu).
Plan 45
L’enfant
ramasse
le
chapeau
et
l’époussette. Travelling arrière.
Plan 40
Bruno se glisse dans le groupe pour
secourir son père. Les rôles s’inversent.
Travelling gauche.
Plan 41
Idem prise 39. A noter les nombreuses
contreplongées qui sont comme une
matérialisation du regard de l’enfant sur le
père. Selon Bazin, c’est l’enfant qui donne à
l’aventure de l’ouvrier sa dimension éthique
et fait de ce drame qui eut pu n’être que
social, un drame psychologique.
Plan 46
Plan moyen sur le groupe et son prisonnier.
Plan 47
Le plan le plus bref de cette séquence. On
délibère sur le sort du prisonnier.
Plan 48
L’enfant
assiste
impuissant
à
la
délibération.
La
caméra
se
met
littéralement à la hauteur de l’enfant
Force de la mise en scène qui met le
dialogue hors-champ en insistant sur les
réactions de l’enfant confronté à la
déchéance de son père.
Plan 62
Plan 49
Plan 57
Plan 63
Plan 50
Cette série constitue un triangle de relation
entre le groupe/ le père et l’enfant.
Plan 51
Plan 58
Il se joue quelque chose dans cette
latéralité très rare dans la séquence où la
caméra préfère se trouver dans l’axe du
personnage (devant ou derrière).
Travelling d’accompagnement. L’enfant
tend au père son chapeau. L’infortuné
Antonio est arrivé au terme d’une course au
cours de laquelle il s’est heurté à la loi
impitoyable du plus fort dans un monde qui
ne laisse pas de place aux humbles.
Réflexion sur le présent d’une époque
(l’Italie dévastée d’après-guerre), le film
qui parle des démunis touche à l’universel
en s’adressant, toujours pudiquement et
dignement, à notre compassion.
Plan 64
Plan 65
Plan 52
Plan 66
Plan 53
Le propriétaire renonce à porter plainte.
Une certaine issue dramatique est ici
évitée. De Sica renonce aussi bien au
tragique qu’au happy ending.
Plan 54
Plan 59
Sortie de champ à gauche. Le couple
réapparaît dans la foule, de face. L’homme
et son fils ne communiquent pas. Les poings
d’Antonio sont fermés.
Plan 60
Changement d’axe ( priori un des tabous
liés à la règle des 180°). Les personnages
se dirigent vers la gauche. L’enfant
s’éponge et regarde son père. Pano
vertical haut.
Plan 55
Plan 61
Plan 56
Plan 67
Toujours selon Bazin, l’enfant retourne au
père à travers sa déchéance, il l’aimera
maintenant comme un homme, avec sa honte.
La main qu’il glisse dans la sienne n’est ni le
signe d’un pardon, ni d’une consolation
puérile, mais le geste le plus grave qui puisse
marquer les rapports d’un père et de son
fils : celui qui les fait égaux.
Plan 68
Dernier plan de la séquence.
La caméra s’est remise dans le sens de la
marche, laissant partir le père et son fils
dans contrejour ambigu ; la dernière
image, très sombre, suggère-t-elle le
renouveau d’un jour plein d’espoir qui
commence ou au contraire des lendemains
qui pleurent ?