Livre d`Or de l`Exposition Universelle de 1889

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Livre d`Or de l`Exposition Universelle de 1889
Livre d’Or de
l’Exposition Universelle de 1889 – Extrait
Compte rendu de la présentation de Maman Poydenot
Livre d’Or de l’Exposition Universelle de 1889 - Extrait
Il est un peu plus émouvant de s’arrêter un instant à
regarder la Maman Poydenot. La Maman Poydenot,
c’est en chair et en os - en toile et en bois, veuxje dire, - avec tous ses agrès et engins, un brave
bateau de sauvetage qui a Saint-Guénolé pour port
d’attache et pour théâtre de ses exploits. C’est la
Société centrale de sauvetage des naufragés qui a
exposé ce canot. Cette société est connue de tous
nos marins; son pavillon vert, couleur d’espérance,
timbré d’une étoile d’or - Stella maris, - est salué
très bas de Dunkerque à Biarritz et de Nice au cap
Cerbera. Il a si souvent apporté avec lui le salut!
Savez-vous que, depuis 25 ans qu’elle existe, cette
société a secouru 474 navires et sauvé près de 5,000
personnes ! Savez-vous qu’elle entretient sur nos
côtes, rien qu’à l’aide de souscriptions volontaires,
des postes où le dévouement est tellement dans les
usages que l’on n’y fait plus attention? La devise de
la société est Virtus et Spes, courage et espoir; il en
est peu de mieux réalisées. Un poste comprend un
canot sur chariot, ce qui permet de le transporter au
point du littoral où son aide est nécessaire, un canon
porte-amarre et des engins de sauvetage, boîtes de
secours, etc. Cela coûte 30,000 francs pour installer
un poste, avec un canot comme Maman Poydenot;
il y a des cœurs généreux qui trouvent bon de faire
de temps à autre, cadeau à la Société d’un poste
complet, mais le gros des offrandes vient des petits
sous glissés dans les troncs de là Société - des petits
canots tricolores - par la reconnaissance des sauvés.
Il fait sombre et gros temps. Un navire est à la côte,
désemparé, sans croix ni pile. Il va sombrer. Voici que
sous les embruns, sous les coups de mer qui déchirent
la figure comme un coup de fouet, le canot est lancé
à la mer. Douze hommes le montent. Des braves
et des durs, croyez-moi; ils savent que, malgré leurs
ceintures de sauvetage et l’insubmersibilité de leur
canot, la mort peut payer chacun de leurs coups
d’aviron. Le patron, c’est un loup de mer cuit par
tous les soleils, hâlé par toutes les brises, souvent vieux,
toujours solide comme un pont, quelquefois avec
le ruban rouge sur son tricot bleu. Hardi, les enfants!
souquez! et l’on souque. Ah ! ce n’est pas du rowing,
ça; c’est la lutte pour la vie des autres, une bataille où
chaque sauveteur met sa peau pour enjeu. On arrive
au navire en détresse, on lui jette une amarre, on
embarque ce que l’on peut embarquer , femmes ou
enfants, et l’on repart à terre, pour revenir encore, et
comme cela jusqu’à la fin. Des fois la mer est par trop
en débâcle; impossible d’y mettre le canot à flot. Alors
le canon porte-amarre envoie sa flèche, qui dévide
en route une corde ingénieusement lovée, la flèche
arrive dans la mâture. Après cette première corde
une autre est envoyée, plus solide, puis une définitive
en double. Cela constitue un va-et-vient. Une bouée
avec un sac glisse sur l’eau guidée par la corde, et
arrache un à un les naufragés à la mort. Quand vous
le rencontrez, saluez le pavillon vert à l’étoile d’or.
C’est un crâne chiffon que celui-là, allez, et il vaut
bien ceux des champs de bataille.