Brumath Une sorte de proverbe venu du fond des âges entre de

Transcription

Brumath Une sorte de proverbe venu du fond des âges entre de
Dimanche 5 février 2012
Septuagesime
Jérémie 9/22-23
Jean Hadey
Brumath
Une sorte de proverbe venu du fond des âges entre de plein- pied dans nos réalités. À
condition de ne pas prendre un mot pour un autre.
Contexte :
Les conditions complexes de la composition du livre de Jérémie ne permettent pas de dater
ces deux versets qui, à première lecture, n’ont rien à voir avec le reste du chapitre. Leur ton
serein tranche en effet au milieu des violentes annonces de destructions. Cependant, leur
place n’est pas totalement due au hasard, puisque le chapitre est marqué (9/3,11,12…) par
le reproche de non connaissance de Dieu par son peuple et les conséquences de cette
« ignorance ».
De sorte que ces versets répondent à une situation fréquente dans la vie de Jérémie et des
prophètes en général : on refuse de les entendre au nom de la sagesse des conseillers
royaux, des moyens financiers et militaires disponibles et même au nom de la religion qui
assure aux hommes la protection divine.
Détails
se vante (TOB) le verbe hébreu est celui qui nous est resté dans Alléluia. Il a au verset 23
une valeur positive, contrairement au français « se vanter ». Il correspond ici à des
expressions comme « se féliciter, se louer », voire « se réjouir »
sagesse (TOB) : Le mot hébreu désigne ici l’habileté, la compétence, la capacité de parvenir
à la réussite – et à la richesse
homme fort (TOB) : Il ne s’agit pas de force aveugle, mais de cette virilité courageuse qui
fait les héros au combat
le riche (TOB) : Très précisément « le possédant ». L’hébreu colle aux réalités concrètes. Le
riche est celui qui possède des terres, des troupeaux, des serviteurs etc. … les moyens de
productions de l’époque… C’est le fruit de sa compétence (Proverbes 3/16 ; 14/24)
d'être assez malin (TOB) Hébreu : d’être perspicace, capable de discerner où est le vrai
connaître, (TOB) Bien que la connaissance fasse aussi partie de la sagesse antique, elle ne
se résume pas à un savoir. Le « sage » pouvait bien avoir un savoir sur Dieu, une théologie,
ce n’était pas encore une « connaissance de Dieu », car celle-ci implique une fréquentation,
une intimité qui ne s’enferme dans aucune formule, fût-ce un credo.
la bonté fidèle, (TOB) : Il s’agit là d’une solidarité constante avec Dieu comme avec les
humains
c'est cela qui me plaît (TOB) Littéralement : « c’est en cela que je prends plaisir, de cela que
je fais mes délices ». Il ne s’agit pas de ce que Dieu veut et qu’il imposerait dans des lois,
mais de ce en quoi il s’engage à fond.
Commentaire
Comme le suggère le contexte, mais aussi les termes mêmes de ces versets, ce qui
s’exprime ici c’est l’affrontement de la parole prophétique de Dieu aux savoirs et aux moyens
que l’homme met en œuvre pour assurer son existence personnelle comme celle de son
peuple. La parole prophétique bouscule toutes ces assurances, qui ne prennent pas en
compte le Dieu vivant et ses préoccupations fondamentales : la solidarité sans faille, le droit
et la justice. Voilà ce qui oriente la vie de celui qui à une véritable connaissance de Dieu.
Paul semble avoir repris en I Cor. 1/31 et II Cor. 10/17 un raccourci de nos versets, avec un
contexte assez proche pour le premier de ces passages.
Pistes de prédication
De quoi sommes-nous fiers ? Qu’est-ce qui nous rend, sinon heureux, du moins
satisfaits ? De notre travail – quand nous en avons. De notre maison, de notre
voiture, de notre silhouette, de nos diplômes et de notre savoir faire, et puis aussi de
notre ville ou de notre village –voire de notre quartier ou de notre rue. Et puis encore
de « notre » équipe de Foot…
Aujourd’hui, Jérémie rajouterait sans doute ces lignes : Que celui qui est beau /celle
qui est belle ne tire pas fierté de sa beauté. Que celui qui est jeune, en pleine forme,
ne tire pas fierté de sa jeunesse ou de sa forme physique ; que le supporter ne tire
pas fierté de la victoire de son équipe… Il n’y a rien de plus ridicule et de plus futile
que ces fiertés collectives dont les journaux et les télés nous abreuvent… , la litanie
pourrait être bien longue, si elle devait faire la liste de toutes ces fiertés qui reposent
sur choses futiles, passagères, qui bien souvent nous échappent...
Mais ce sont des fiertés qui nous semblent naturelles, normales dont nous parle le
prophète. Pourquoi ne pas être fiers de sa sagesse, de son courage, de sa richesse
quand elle est le signe de la réussite de nos efforts et d’une bonne gestion… Pourquoi
ne pas se réjouir des succès des chercheurs, médecins, techniciens, manager… de
toutes ces compétences qui devraient rendre la vie plus facile et rendre l’avenir
meilleur ?
Tu as vu ce que j’ai ? Tu n’en as pas autant… Toi, tu ne peux pas te payer ceci ou
cela… Tu es incapable de comprendre… tu es trop fragile ou trop lâche pour faire un
effort…. Le problème de nos fiertés, c’est qu’elles humilient les autres. Et cela
commence à l’école avec les bonnes et les mauvaises notes… avec les habits de
marque…et cela finit en violences parce que celui qui n’est pas mon égal devient
facilement le méprisé et le souffre douleur… Et cela finit dans une société terrifiante
ou seuls les meilleurs, les plus forts s’en sortent et où tous les autres sont des laissés
pour compte… Et chacun de se mettre en avant comme il peut, avec ce qu’il a, ce
qu’il est, avec au fond de lui le sentiment de n’être rien…
Et tout cela pour du vent, nous dit le prophète. Tout cela pour du vent, parce que la
seule chose qui compte, c’est le regard de celui que nous oublions tous quand nous
disons « moi, je ! «
Mais que celui qui veut se louer se loue d'avoir du bon sens et de me connaître,
moi, le SEIGNEUR. Louer le seigneur m’évite d’avoir à me louer moi-même. Connaître
Dieu, c’est se savoir aimé par celui qui donne du prix à ma vie. Devant lui, mes
connaissances sont nulles, ma vaillance ne vaut rien et ma richesse n’est que
pauvreté… Devant Dieu je ne suis rien, mais il m’assure que je compte pour lui, que
je lui suis infiniment cher. Devant Dieu, je ne suis plus le dernier de la classe, ni le
premier. Mais je suis l’égal de tous et de chacun. Alors le concurrent devient un frère,
un égal. Alors je suis en paix avec moi-même et en paix avec le monde entier.
Utopie dirons certains, cela ne marche pas ! Stupidité dirons d’autres qui veulent que
chacun soit classé selon ses mérites ou qui pensent que si nous perdons l’ambition de
devenir meilleurs – plus riches, plus malins, plus puissants que les autres, nous ne
ferons plus aucun effort… Ce n’est ni l’un ni l’autre. Mais au contraire la prise de
conscience du regard que jette sur nous celui qui possède la sagesse, la puissance et
la gloire. La découverte de ce qui a du prix à ses yeux, c’est la fidélité, l’équité et la
justice. C’est découvrir que la fidélité compte plus que la vaillance, L’équité plus que
la richesse, et la justice plus que toute connaissance Aux yeux de celui qui dit le
premier et le dernier mot sur nos existences. C’est reconnaître la futilité de nos
courses et de nos agitations humaines. Et la solidité de la promesse de Dieu qui nous
ouvre un chemin de vie et d’espérance qui va bien au delà de toutes nos prétentions.
Quand les prophètes, comme Jérémie invitaient les autorités et leur peuple à revenir
à Dieu pour éviter les catastrophes qui menaçaient le peuple, on leur répondait que le
roi avait de sages conseillers et diplomates habiles, de braves guerriers et que le pays
disposait d’une certaine aisance. Et même que les religieux les plus autorisés leur
assuraient l’indéfectible protection de Dieu
Attention à l’erreur ! dit Jérémie. La seule chose qui nous assure, c’est une véritable
connaissance de Dieu. Pas une théologie élaborée, pas un catéchisme enseigné de
génération en génération, quelle que soit leur utilité et leur bien fondé. Mais une
relation constante avec le Dieu vivant. Ce Dieu qui ne sera jamais prisonnier de nos
élucubrations, ni de nos calculs. Ce Dieu qui, toujours et partout prend plaisir à la
solidarité, au droit et à la justice. Et qui s’écarte donc de celui – et du peuple - qui
ne recherchent pas la même chose que Lui.
Les autorités religieuses et politiques d’Israël autrefois pouvaient se tromper sur
Dieu, tant on leur répétait que Dieu les avait choisis pour leur donner la paix par la
victoire. Nous ne pouvons plus faire cette erreur : La manifestation de Dieu en JésusChrist ne laisse aucun doute sur la démarche de Dieu, sur ce qui lui fait plaisir. Tout
ce que nous pouvons connaître de Jésus nous montre Dieu avide de solidarité fidèle,
de droit et de justice.
Face aux difficultés présentes nos paroisses, nos Eglises courent la tentation de s’en
remettre aux « compétences », aux « habiletés », aux croyants « vigoureux », aux
représentants reconnus dans la société…, pour rendre l’Eglise plus attractive, plus
attrayante. Mais n’oublions pas la remarque du prophète : l’essentiel est dans la
connaissance, la fréquentation intime de notre Dieu. Par la prière, la lecture de
l’Ecriture de préférence en Eglise, afin que soit constamment ravivé en nous le désir
de tirer notre joie dans la participation à ce qui est son œuvre première : solidarité
fidèle, droit et justice.
Car réintroduire, solidarité, droit et justice dans ce monde, réintroduire un peu de
cette divine humanité dans nos villes et nos villages pourrait bien redonner vie à
l’Eglise, et un avenir au monde.