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Une certaine idée de la langue :
la correspondance d’Henri Pourrat
et de Lucien Gachon
SHIINE, Rina
[Mots clés : (1) Henri Pourrat (2) Lucien Gachon
(3) lexicographie (4) régionalisme (5) correspondance]
Introduction
C’est à Ambert, qui se situe en Auvergne, « entre les monts du Livradois à
l’ouest et ceux du Forez à l’est »1), qu’Henri Pourrat est né en 1887 et mort en
1959. Toute sa vie, il a aimé profondément cette terre qu’il n’a cessé de parcourir. Et en s’inspirant de son contact quotidien avec la nature et les gens du
pays, il a écrit de nombreux articles et ouvrages. En effet il a bien travaillé : ses
œuvres contiennent des poèmes, des contes, des romans, des essais, des biographies, des comptes rendus, etc. Pour son premier roman Gaspard des
Montagnes, il a obtenu en 1921 le prix du Figaro et en 1931 le grand prix du
roman de l’Académie Française, tandis que le prix Goncourt a été attribué en
1942 à Vent de mars. Malgré l’abondance de ses œuvres et les prix qu’il a reçus
et bien qu’il ait collaboré régulièrement aux journaux et aux revues importants
comme La Nouvelle Revue Française, il est resté longtemps méconnu.
Mais cela ne veut pas dire qu’il ne mérite pas d’être étudié. En effet,
depuis plusieurs années Henri Pourrat a fait l’objet de travaux universitaires de
haut niveau2). Cependant, grâce à la fécondité d’Henri Pourrat, le sujet est loin
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d’être épuisé. Car il reste encore bien des domaines peu exploités. Un des
domaines les plus intéressants à mes yeux est celui de sa langue et plus particulièrement celui des régionalismes dont fourmillent ses œuvres.
Qu’est-ce qu’un français régional ? Comme c’est un concept encore mal
compris, citons la définition rapide mais claire que donnent Claudine Fréchet et
Jean-Baptiste Martin :
[…] on peut dire que les régionalismes sont les variantes
géographiques du français qui ne se rencontrent que dans certaines aires et
qu’on ne retrouve pas, en particulier, dans la région parisienne.3)
Autrement dit, ce dont il s’agit est :
[…] les traits régionaux qui émaillent le parler des habitants [de tel
ou tel lieu] lorsqu’ils s’expriment en français.4)
Il ne faut donc pas confondre le français régional et le dialecte (ou patois).
Alors que celui-ci constitue un système et que les locuteurs sont conscients de
son existence, celui-là est composé des traits qui ont chacun une aire d’extension variable et que les locuteurs sont en général inconscients de son
existence5).
On trouve bien des auteurs modernes 6) qui ont eu recours aux mots
régionaux. Ils ont tous fait l’objet d’études lexicales qui soulignaient l’importance des éléments régionaux dans leurs œuvres. Et parmi ces auteurs étudiés
dans cette perspective figure Henri Pourrat. Effectivement, Jean-Pierre
Chambon a publié le résultat de son enquête sur les régionalismes contenus
dans un des romans d’Henri Pourrat sous le titre de « Koinè rustique ou français
de l’Ambertois ? Sur les régionalismes de Henri Pourrat dans Gaspard des
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Montagnes »7). C’est une étude très détaillée, qui est utile non seulement pour
lire ce roman mais aussi pour comprendre les autres ouvrages de notre auteur.
Mais comme Jean-Pierre Chambon l’admet lui-même, il ne tient compte ni « de
la mise en scène stylistique » ni « des variations entre les différents états de
l’œuvre »8) ni encore de la conception qu’Henri Pourrat se faisait des questions
de langue. Dans le présent article, je vais donc poursuivre le chemin ouvert par
le lexicographe en complétant un peu ce qu’il a laissé de côté.
Pour voir quelles idées Henri Pourrat se faisait de l’emploi de la langue
locale, j’ai choisi les lettres qu’il a échangées pendant plus de 30 ans avec son
ami Lucien Gachon. Non seulement cette correspondance est remarquable par
son abondance9), mais aussi elle est remplie de discussions littéraires. Les mots
régionaux ne manquent naturellement pas de figurer dans les discussions consignées dans leurs lettres. De plus, celles-ci sont restées peu étudiées jusqu’à
présent.
Lucien Gachon
Qui est Lucien Gachon ? C’est un géographe et romancier. Il est né le 21
septembre 1894 (donc sept ans après la naissance d’Henri Pourrat) à La
Guillerie de La Chapelle-Agnon (Puy-de-Dôme). Après avoir enseigné dans
plusieurs écoles en Auvergne, il a soutenu une thèse (Les Limagnes du sud et
leurs bordures montagneuses. Étude de géographie physique et humaine, 1939)
et il est devenu professeur de géographie à l’Université de Besançon puis de
Clermont-Ferrand. Tout en poursuivant sa carrière d’enseignant, il a aussi écrit
des romans qui décrivaient la vie rurale : Maria (1925), Monsieur de l’Enramas
(1929), Jean-Marie, homme de la terre (1932), La Première Année (1943),
Henri Gouttebel, instituteur (1960), etc. Il est mort en 198410).
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La correspondance d’Henri Pourrat et de Lucien Gachon
C’était Lucien Gachon qui a pris l’initiative d’envoyer une lettre à Henri
Pourrat le 11 juillet 1919. Son objectif était de lui demander de faire partie du
« comité de patronage » de l’association qu’il avait créée avec un certain nombre de ses collègues : « Association des Instituteurs et des Institutrices pour la
publication et la diffusion de leurs œuvres littéraires et la défense de leurs
intérêts dans le domaine artistique »11). Bien qu’il ne l’ait pas connu personnellement, Lucien Gachon témoignait dès le début d’un respect sincère pour
l’écrivain Henri Pourrat qui avait déjà publié Sur la Colline ronde (1912) et
différents contes et articles dans des journaux12).
Dès 1921, ils ont commencé à échanger des lettres. Leurs relations ainsi
établies sont restées solides jusqu’à la mort d’Henri Pourrat en 1959. Dans leur
correspondance, ils ont souvent parlé de ce qui leur tenait au cœur : littérature,
géographie, paysannerie, démographie. La question de la langue et du patois13)
occupait une place importante dans leurs lettres. Dans cet article, je vais examiner leurs points de vue. Étaient-ils toujours d’accord ? S’ils n’avaient pas une
même conception sur certains problèmes, d’où venait leur différence ?
Il faut remarquer tout d’abord que dès le début, Lucien Gachon s’adressait
à Henri Pourrat pour lui demander des conseils sur la rédaction de ses romans.
L’aîné avait déjà une position établie dans les éditions et il n’avait pas trop de
difficultés pour publier ses œuvres, tandis que le cadet n’avait encore publié
aucun roman et qu’il n’arriverait jamais à faire éditer ses œuvres facilement. De
cette différence de rang provient une différence d’attitude. Les remarques
qu’Henri Pourrat donnait sur la littérature et la langue avaient souvent pour
objectif de faire réécrire par son interlocuteur les textes qu’il était en train
d’écrire et d’amener ainsi les éditeurs à les accepter. Même pour les romans
publiés, Henri Pourrat n’hésitait pas à proposer des modifications à son ami.
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Par contre, quand Lucien Gachon parlait des œuvres d’Henri Pourrat, c’était (si
l’on met de côté les cas où, sollicité, il le renseignait sur la géographie) en tant
qu’un lecteur qui les a reçues après leur publication et qui tenait à lui témoigner
son admiration.
Commençons par citer la lettre d’Henri Pourrat datée du 12 décembre
1943, qui résume bien une « question vieille de vingt ans »14) que les deux amis
ont débattue. Dans cette lettre, l’aîné fait allusion à un article qu’il vient
d’écrire pour Le Petit Journal15) afin de rendre compte du roman de son ami La
Première Année.
[…] J’ai marqué fortement certaines choses. J’ai fait une réserve16),
celle que tu sais, sur la langue trop locale, trop exacte. J’ai noté pourtant
que je peux avoir tort, et que plus tard on peut aimer le livre pour cela.
Mais, si je t’en reparle aujourd’hui, c’est que je crois vraiment que tu fais
erreur, et que cela peut nuire beaucoup à tes livres. Augé-Laribé17) ne m’a
pas caché sa réaction. Il a dû te l’écrire. Menanteau18) me note d’un mot un
peu la même chose. Je me demande si Christian Melchior-Bonnet19) n’a
pas été arrêté par cela même pour ton Gouttebel, et hésite, sans trop oser
t’en parler ? Réfléchis, songe à Ramuz, à Giono, à ce qui fait leur force.
Quand ils sont très bons, c’est précisément parce qu’on ne les voit plus,
que leur langue devient invisible. Il faut moins renseigner que faire sentir.
Nous sommes fatalement des interprètes. Nous avons, au moyen de mots,
à rendre la vie et la vérité. Il faut choisir ses mots en fonction du lecteur,
c’est une fatalité. Voilà ce qu’il y a à admettre d’abord. Si j’y reviens, tu
comprends bien pourquoi : c’est parce que je crois que tu pourrais tellement mieux te faire entendre, en sacrifiant l’exactitude minutieuse à
quelque chose de plus important. […]20)
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Tout en faisant l’éloge de La Première Année, Henri Pourrat fait une
« réserve » sur l’emploi de mots trop locaux qu’affectionne son ami. Et ce n’est
pas pour la première fois (« celle que tu sais », dit-il) qu’il souligne l’importance du problème de la langue ; dès le début de leurs relations épistolaires, ils
en ont souvent discuté comme on le verra dans un instant.
S’il insiste pourtant sur ce point à ce moment-là, c’est qu’il veut donner
des conseils à Lucien Gachon pour son nouveau roman Henri Gouttebel, instituteur, qui a rencontré bien des difficultés auprès des éditeurs. Christian
Melchior-Bonnet à qui Lucien Gachon a demandé de le publier ne lui a pas
longtemps répondu clairement et il en refusera finalement la publication. Henri
Pourrat a ainsi raison de craindre que la langue trop spéciale de son ami ne
« [nuise] à [ses] livres ». C’est son attitude fondamentale.
Comme on le voit dans les passages que j’ai soulignés, Henri Pourrat n’est
pas d’accord avec son ami sur une présence trop voyante des mots locaux. S’il
lui conseille d’être un peu plus discret sur ce point, c’est qu’en tant qu’auteur
de plusieurs ouvrages, il connaît bien la réaction des éditeurs et des lecteurs
ordinaires. Pour ceux-ci, la langue des paysans auvergnats n’est pas facile à
comprendre et elle les détourne de la lecture des romans géographiquement
trop marqués. La Première Année a certes pu être publiée dans la collection
Campagne dirigée par Henri Pourrat. Mais si l’objectif principal d’un auteur est
d’atteindre les lecteurs à travers ses ouvrages, le roman qui s’avère trop difficile
d’accès n’est-il pas un échec ? Et quand Henri Gouttebel, instituteur continue à
être refusé par les éditeurs, ne doit-on pas dire que Lucien Gachon a négligé
son but essentiel en privilégiant une reproduction minutieuse des parlers
paysans qui ne sont finalement que des détails secondaires ? Conscient de cette
conséquence qu’entraîne l’utilisation trop fréquente des mots locaux, Henri
Pourrat dit clairement que son ami fait « erreur ».
Qu’est-ce qu’une « langue invisible » dont il parle dans cette lettre ? En
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prenant comme modèle un Ramuz ou un Giono, il pense aux passages de leurs
romans où ils réussissent à « faire sentir » plutôt que « renseigner ». La langue
de ces auteurs est pour lui un moyen de faire passer des choses essentielles et
elle ne doit pas être une matière qui accapare toute l’attention des lecteurs. Un
écrivain doit prendre soin d’effacer la visibilité trop grande de sa présence dans
son écriture pour conduire ses lecteurs à recevoir sans trop de difficultés ce qui
lui est le plus cher.
Sur les messages qu’il fallait transmettre au public à travers leurs ouvrages
(« rendre la vie et la vérité », « quelque chose de plus important »), Henri
Pourrat et Lucien Gachon étaient d’accord comme on le verra dans d’autres lettres qu’ils ont échangées. Ce qui distingue leur position respective, c’est la
place que la langue occupe dans leurs romans. Tandis qu’Henri Pourrat accepte
la situation (« une fatalité ») où se trouvent les écrivains qui doivent « choisir
[leurs] mots en fonction du lecteur », Lucien Gachon persiste à croire que la
langue des paysans est un élément constitutif de ses œuvres et qu’il ne peut pas
s’en passer. Dans sa réponse du 16 décembre 1943, il souligne ainsi son point
de vue :
[…] que jamais un mot local (?) [sic] n’arrive jamais dans ma phrase
comme pour se faire voir, pour surprendre, par coquetterie ou étalage de
savoir. Qu’il soit amené, nécessaire, irremplaçable, fondu, porté par le
contexte. […]21)
Pour Lucien Gachon, ce n’est donc pas « pour se faire voir », pour se rendre « visible » qu’il introduit des parlers paysans. C’était pour s’attacher le plus
possible à la réalité qu’il décrit. Intransigeant, il refuse donc de suivre docilement le conseil de compromis que son ami lui donne et d’adopter une « langue
invisible » même s’il consent à retoucher son texte dans plusieurs endroits. Le
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résultat sera, comme on le sait, un retard considérable avec lequel Henri
Gouttebel, instituteur verra le jour (ce sera un an après la mort d’Henri
Pourrat).
Pour voir combien et pourquoi Lucien Gachon tient au langage des
paysans, citons un passage de La Première Année. Si des mots locaux, trop
difficiles pour les lecteurs non auvergnats, y sont utilisés par un personnage,
c’est qu’ils révèlent bien une vision du monde des paysans et qu’ils doivent
bien être conservés et transmis aux enfants. C’est ce que nous explique ici l’oncle des jeunes apprentis paysans Jeantou et Adrienne.
[…] Le Marcel, l’André [= les deux enfants de Julie] décampèrent
bien vite avec l’Auguste [= orphelin qui travaille chez Jeantou et
Adrienne]. De vrais galapians, nos drôles, remarqua la Julie [= belle-sœur
de Jeantou]. Quand ils ont goûté leur saoûl, ils ne neibrent que d’aller
galampiner dehors.
Galapian, galampiner, neibrer : l’oncle admirait la Julie d’avoir des
mots si pittoresques. Neibrer : il y a le mot nerf là-dedans ; nerf qui, dans
la vieille langue, désignait les ligaments, les tendrons, les muscles. Aussi,
neibrer, ce n’est pas avoir ses nerfs, mais être impatient d’aller courir et
galampiner dehors, pour dépenser sa riche vitalité, sa vuto, sa gourdio,
dirait encore la Julie. L’oncle s’avisait, une fois de plus, que le vrai patois
— du vieux français le plus souvent — est une inépuisable mine.
Décidément, c’est sur le vieux français rural que l’enseignement au village
devrait être fondé. […]22)
En tant que professeur, le personnage pense à « l’enseignement » qu’il
faudrait donner aux jeunes campagnards. Enseignement qui s’oppose à la
langue française scolaire, trop éloignée de la vie des champs et qui puise dans
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la riche mine du français rural. Le verbe neibrer qu’on ne trouve ni dans le
Trésor de la langue française ni dans le Französisches Etymologisches Wörterbuch (il est donc difficile pour les lecteurs moyens) n’est pas employé seulement pour son effet pittoresque, mais il souligne comment les nerfs au sens
ancien de « muscles » conviennent à la vie des paysans et comment les nerfs au
sens moderne de « nervosité » n’ont pas leur place dans la campagne. Sans
doute l’auteur tient un peu trop à « renseigner » les lecteurs comme le dit Henri
Pourrat. Mais on voit bien que l’emploi de mots locaux est inséparable du projet didactique de l’auteur.
Sans anticiper trop, revenons à la correspondance. Voici une autre lettre
d’Henri Pourrat, datée du 8 juillet 1942, dans laquelle on retrouve sa conception fondamentale du langage romanesque avec des expressions semblables à
celles qu’on a vues plus haut dans sa lettre du 12 décembre 1943.
[…] À partir de la seconde moitié je crois bien qu’il y a encore trop
de mots patois. Il faut en être très sobre. Il suffit de si peu pour faire sentir
et donner le ton. Le danger, c’est qu’on risque de faire plus villageois que
paysan. Il faudrait toujours, surtout dans un roman de campagne et de
nature, user d’un langage quasi invisible, pour mettre le lecteur devant les
choses mêmes. Là, c’est bien ce dont il s’agit. Quand il n’y a guère qu’une
différence de prononciation, il ne faut pas s’y arrêter. Tu ne mets pas i
pour il, de même ne supprime pas le “ne” de la négation, ne mets pas
“egouttiere” pour gouttière. Faut-il mettre “un” tuile et “une” lièvre ? Je
continue à croire que cela accroche trop l’attention, détourne de
l’essentiel. Il y a un chapitre où tu dis très bien les choses, l’intérêt de la
vieille langue. Il faut en venir à cela, mais il y en a encore trop. Là où tu
peux, prends le mot français simple plutôt que le mot patois même. […]23)
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Ici, Henri Pourrat parle d’une version corrigée de La Première Année que
son ami lui a soumise en vue de la publication. Lucien Gachon lui en avait
montré la première version et, en tenant compte des remarques de son ami, il a
modifié l’ensemble qu’il vient de lui envoyer.
L’emploi de « mots patois » préoccupe ici aussi Henri Pourrat. Comme
dans la lettre citée plus haut, il préconise de se servir « d’un langage quasi
invisible » pour ne pas « [accrocher] trop l’attention » des lecteurs et pour leur
« faire sentir » ce qui est essentiel : « les choses mêmes ». Les cas à éviter qu’il
cite sont nombreux, mais ils se ramènent à un principe général : il ne faut pas
reproduire la prononciation des paysans auvergnats qui heurte trop le sentiment
linguistique des profanes. Lucien Gachon ne devra donc pas marquer dans son
roman la chute de l dans le pronom il, l’omission de ne dans les phrases
négatives, l’ajout de e dans le mot gouttière, le changement de genre dans les
mots comme tuile et lièvre.
Alors, quel est cet « essentiel » qu’au moyen du « langage quasi
invisible » l’écrivain devra faire sentir aux lecteurs ? On trouve une réponse
dans la partie de la même lettre du 8 juillet 1942 qui précède la citaion. Là,
Henri Pourrat félicite son ami pour les corrections qu’il a introduites dans sa
nouvelle version et il lui indique quels sont les passages qui lui ont plu.
[…] Tu as des passages splendides, qui donnent, comme on l’a
rarement donné, le sentiment des jours, de la vie des saisons, et celui aussi
de la vie de la campagne, de l’homme affronté à ce large travail, à cette
immensité, à ce silence. C’est beau ce que tu dis, lors de la montée, cette
grande impression de printemps et de campagne. Mais donne encore plus,
si tu le peux, ce sentiment-là, ce goût de départ, de jeunesse, d’espace
ouvert devant le pays. […]24)
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Si Henri Pourrat a aimé ces « passages splendides », c’est que son ami a
réussi à non pas « renseigner » mais à « faire sentir » aux lecteurs « la vie de la
campagne » à travers une description des efforts accomplis par Jeantou et
Adrienne dans la ferme abandonnée qu’ils ont remise en valeur malgré leur
manque d’expérience. Dans la nature immense où ils vivent les jours et les
saisons qui se succèdent l’un après l’autre, l’auteur montre la nécessité et la joie
du travail humain. Et les lecteurs, qui vivent souvent dans les grandes villes,
parviendront à apprécier tout ce que le jeune couple a réalisé comme apprentis
paysans.
Les qualités ainsi soulignées par Henri Pourrat ne suggèrent-elles pas ce à
quoi lui-même a voulu atteindre et ce qu’il a effectivement fait dans ses
ouvrages ? Sa correspondance avec Lucien Gachon nous renseigne-t-elle sur ce
point ? Essayons de répondre à la question en examinant quelques lettres
significatives.
Avant de citer des lettres d’Henri Pourrat lui-même, voici d’abord la lettre
que Lucien Gachon lui a écrite le 25 juin 1927 en recevant Dans l’herbe des
trois vallées (Paris, 1927) qui venait de paraître25). C’est comme un miroir
reflétant les images que l’aîné veut donner à ses œuvres. Le témoignage admiratif du cadet nous apprend quels sont les caractéristiques qu’il trouve essentielles dans l’ouvrage de son ami.
[…] Je pense déjà beaucoup de choses de ce dernier né [= Dans
l’herbe des trois vallées]. Je l’aime davantage que le Mauvais Garçon26).
Moins dense, moins savant, d’une veine plus populaire, avec une telle
discrétion d’intention, une telle simplicité d’allure. Certes, jamais vous ne
posez au prophète, vous laissez tout doucement l’amitié de vivre se
dégager de vos livres. Je vous vois vers une belle descente du côté de
l’humble travail, le plus humain peut-être, du côté de l’artisan cultivateur
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et pasteur vivant du pays, avec le pays, dans l’amour du travail bien fait.
Et ce que vous dites du bourgeois me fait tellement plasir !27) Nous nous
rejoignons par bien des points. Le plus curieux que j’aperçois c’est la
fusion dans la fontaine de jouvence de la science, de l’érudition, de l’histoire, de la géographie. Et vous aimez toujours aller par des chemins qui
s’enfoncent dans des ombres, dans du mystère ou bien par des sentiers qui
mènent vers des montagnes qui sont des Sinaï. Vous vous épaulez bien à
la montagne. C’est le modèle de vos livres sans prétention où par la simplicité de l’écriture, la fraîcheur du sentiment vous évoquez une charmante
atmosphère où il fait bien bon vivre. Je voudrais bien vous tenir compagnie dans cette oasis que vous créez. […]28)
À travers les éloges adressés à Henri Pourrat par Lucien Gachon, on comprend quel est le but essentiel que tous les deux ils se fixent dans la littérature.
Sur ce point, ils ont à peu près une même idée.
Au moment où il écrit cette lettre, le romancier géographe n’a lu que le
premier tiers29) de Dans l’herbe des trois vallées. Mais déjà il est enthousiasmé
et déclare à son ami qu’il préfère cet ouvrage au roman Le Mauvais Garçon,
dont pourtant il a parlé chaleureusement dans sa lettre du 29 juin 1926 avant
d’en rendre compte élogieusement dans La Montagne du 25 juillet 192630). Ce
qui lui plaît dans le dernier livre de son ami, consacré à l’histoire de la
papeterie en Auvergne, c’est qu’il a une « veine plus populaire » que le roman,
une remarquable « simplicité d’allure ». Lucien Gachon félicite donc son ami
d’avoir réussi à ce qu’il prônait dans ses lettres citées plus haut : écrire dans un
« langage quasi invisible » avec des mots français simples. Mais à quoi sert ce
style ? Il sert à décrire « l’humble travail […] de l’artisan cultivateur et pasteur
vivant du pays, avec le pays ». Cette « amitié de vivre » dans la nature que les
hommes façonnent, « l’amour du travail bien fait » qui anime les paysans
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comme les artisans sont les vertus que les deux auteurs essaient de mettre en
œuvre dans leurs ouvrages. Henri Pourrat devait y penser lorsqu’il parlait à son
ami de « la vie et [de] la vérité » à rendre « au moyen de mots » dans sa lettre
du 12 décembre 1943 que j’ai citée plus haut.
Mais Lucien Gachon voit que la « vérité » que vise son ami va plus loin
qu’un simple tableau de la vie de la campagne. Car Henri Pourrat conduit les
lecteurs vers du « mystère », « vers des montagnes qui sont des Sinaï ».
L’admiration qu’il exprime ainsi pour son élévation spirituelle rejoint ce
qu’Alexandre Vialatte dit d’Henri Pourrat : « Il parle de l’Auvergne en pensant
à la terre et de la terre en pensant au ciel. »31) Alors que Lucien Gachon a tendance à « renseigner » comme il se voit critiqué, son correspondant réussit à
« faire sentir » « une charmante atmosphère où il fait bien bon vivre » en utilisant une écriture simple dans laquelle on a une belle « fusion […] de la science, de l’érudition, de l’histoire, de la géographie ».
Comment alors Henri Pourrat formule-t-il lui-même les objectifs et les
qualités que son ami lui attribue ainsi dans ses éloges ? Citons une partie de la
lettre qu’il a écrite le 9 août 1928, soit un an après celle que je viens d’examiner.
[…] Vous savez ce que je vous ai dit des paysages de Jean-Marie32).
Vous devinez que j’aime bien Climats33). La langue me plaît beaucoup et
me gêne un peu. Sans doute vous avez raison de rester absolument sur le
plan de vos personnages, de parler comme ils parleraient ; seulement cette
langue assez particulière prend un peu figure d’argot, de jeu, nuit peut-être
à l’effet de largeur, de fraîcheur, de paysannerie, de nature. Ne faudrait-il
pas effacer un peu, rendre le ton plus général, ne laisser que quelque
rehauts, pour qu’on sentît moins un coin du Livradois et mieux l’homme
et la nature ? […]34)
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Dans cette lettre qu’il a écrite en apprenant l’incompréhension que JeanMarie, homme de terre de son ami rencontrait auprès des éditeurs, Henri
Pourrat revient à la question de la langue. Certes il accepte le style de Lucien
Gachon, qui a tenté de « rester absolument sur le plan de [ses] personnages, de
parler comme ils parleraient ». Mais il ne lui cache pas ses réserves (« La
langue […] me gêne un peu », dit-il) et précise pourquoi il trouve un peu
exagérée la tentative de son ami. C’est qu’il craint que sa « langue assez particulière » ne nuise « à l’effet de largeur, de fraîcheur, de paysannerie, de nature »
qu’il essaie de donner au roman. Ces qualités qui nous rappellent « une charmante atmosphère » que Lucien Gachon trouve chez son ami ne devraient pas
être négligées au profit d’une reproduction scrupuleuse des parlers paysans. Au
lieu de s’enfermer dans « un coin du Livradois », ne devrait-il pas exprimer
« l’homme et la nature » dans un langage accessible aux lecteurs ordinaires et
partant universels ?
L’idéal de l’universalité à laquelle les romans doivent atteindre est
exprimé dans une autre lettre d’Henri Pourrat. En parlant à Lucien Gachon de
la réticence que Franz Durif, lecteur chez Plon, exprime face au manuscrit
d’Henri Gouttebel, il insiste sur la nécessité de distinguer les romans et les
études (pour les premiers, « le grand point, d’après Vialatte, c’est l’intérêt »35)
dit-il) et poursuit ainsi :
[…] Songe à une vraie histoire, qui prenne, qui captive, qu’on veuille
savoir ce qui arrivera, qu’on s’intéresse aux personnages et qu’il y ait
autour toute la force de poésie des saisons de la terre. Songe à cela, à un
roman-roman, plutôt qu’à une étude quasi monographique. Peut-être
comme Molière dans ses farces, faire passer ce qu’on a à dire à travers ce
qui seul parlera aux humains ? Tu sens si fort les êtres, les choses, la campagne que je suis bien tranquille : raconte une histoire très attachante, sans
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aucun souci de renseigner, et tu feras sentir ce que sont les gens, leur vie,
et pour un roman, c’est là l’essentiel. […]36)
Comme dans les lettres déjà citées, Henri Pourrat souligne l’importance de
la vie de la campagne, « toute la force de poésie des saisons de la terre » qui
doit être exprimée dans les romans. Et il reconnaît bien que son ami « sent si
fort les êtres, les choses, la campagne » ; il ne s’inquiète pas sur ce point. Mais
il ajoute que ce n’est pas suffisant. Pour qu’un roman réussisse, il faut bien
établir une distinction. Dans la partie qui précède la citation, il insiste : « Distoi bien qu’un roman est autre chose qu’une étude. »37) Ce qu’il reproche à
Lucien Gachon, c’est qu’il reste trop pédagogique et qu’il se soucie trop de
« renseigner » au lieu de « [faire] sentir ce que sont les gens, leur vie ». Pour
atteindre à cet objectif, il faudra suivre l’exemple de Molière qui a fait « passer
ce qu’on a à dire à travers ce qui seul parlera aux humains », c’est-à-dire aux
lecteurs du monde entier. Captiver l’attention des lecteurs universels avec « une
vraie histoire » dans un « langage quasi invisible », voilà le but premier des
romanciers selon Henri Pourrat. Cette idée est exprimée d’une manière suggestive dans le même paragraphe de la lettre citée :
[…] Il nous faudrait tous être comme ces conteurs maures qui tâchent
de suspendre l’assistance à leur récit. C’est la loi et la condition première,
non pas tant que d’apporter des mots, ni même des petits faits significatifs
ou toute une documentation. […]38)
Ainsi, même s’ils sont des éléments que les auteurs trouvent indispensables ou précieux, l’emploi des mots locaux ou la description des détails des
travaux de la campagne ne doivent pas occuper le premier plan dans les
romans. Dans ces conditions, faut-il renoncer complètement aux variétés lin141
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guistiques ? Ce n’est évidemment pas ce qu’Henri Pourrat fait lui-même39) ni ce
qu’il conseille à Lucien Gachon.
Voici d’abord ce qu’Henri Pourrat a réalisé dans un de ses romans, tel
qu’a vu son correspondant. Celui-ci, qui vient de lire À la Belle Bergère, ou
Quand Gaspard de guerre revint (Paris, 1925), félicite son aîné d’avoir fait du
progrès dans le style et précise quel sens il donne au mot « progrès » :
[…] Pour le style vous êtes en progrès. Vous avez maintenant votre
langue [c’est Lucien Gachon qui souligne]. Vous avez réussi, dans le
domaine du parler local, la seule tentative légitime : infuser au français,
dans le moule de français, le suc du patois, rajeunir le français par le
patois, et rester pourtant en communication intelligible avec les Français
de langue française. […]40)
Lucien Gachon entend ainsi par le mot « progrès » le fait qu’Henri Pourrat
a maintenant son propre style, mais il souligne tout de suite que ce style particulier est le résultat d’un travail que son ami a accompli en « [rajeunissant] le
français par le patois ». Dans le paragraphe qui précède la citation, il avouait
que jusque-là son aîné lui paraissait « pittoresque, fleuri, diseur de bonnes aventures, et sans ces racines qui plongent au cœur de la terre »41). Touts ces défauts
disparaissent maintenant à ses yeux, car il voit que son ami puise dans « le suc
du patois » de l’Auvergne pour créer un style particulier. Il n’hésite pas à juger
ce travail le seul « légitime ».
Il est remarquable que Lucien Gachon souligne en même temps le fait que
la langue de son ami se comprend par « les Français de langue française ». Lui
qui a tendance, comme on l’a vu, à restreindre le nombre de ses lecteurs avec
un emploi massif des mots locaux admet et admire ainsi la tentative de son ami.
142
Une certaine idée de la langue (SHIINE, Rina)
Grâce au commentaire de Lucien Gachon, on voit bien que quand Henri
Pourrat lui a conseillé de ne pas utiliser les mots trop locaux et de se servir d’un
« langage quasi invisible », il ne voulait pas du tout dire que la traditionnelle
langue littéraire était le seul moyen d’expression acceptable, mais qu’il était
possible d’être tout près de la réalité de la paysannerie tout en restant accessible
aux lecteurs moyens. Il aurait pu lui alléguer ses propres œuvres comme
modèles.
Ce que Lucien Gachon a bien vu dès 1925 chez Henri Pourrat se trouve
formulé dans un autre contexte sous la plume de ce dernier d’une manière toute
proche. Dans la situation où le pays connaît un « grand malheur » qu’est la seconde guerre mondiale et où Henri Pourrat est confronté à un « malheur particulier », à savoir à la mort de sa fille aînée Françoise 4 2 ) , les deux amis
réfléchissent beaucoup sur les causes de la défaite et sur les remèdes à apporter
pour la résurrection de la France. Fort de ses expériences d’instituteur, le cadet
élabore un projet de réforme des écoles normales, tandis que l’aîné se demande
dans quelle mesure il peut y contribuer en tant qu’écrivain. Dans la lettre écrite
le 14 octobre 1940, Henri Pourrat déclare à son ami qu’il se considère comme
compagnon de combat et précise quelles sont les valeurs qu’il juge indispensables pour les jeunes générations :
[…] Je suis content d’être ton ami, de travailler avec toi, de marcher
avec toi. Il faudrait de la hardiesse d’imagination. Depuis la Renaissance,
pour des valeurs littéraires, on a trop négligé les valeurs orales, paysannes.
Il faut aller par-delà classicisme et romantisme, retrouver par-delà trois
siècles son génie français terrien, tenter peut-être une révolution dans la
culture, et là, précisément dans la formation des instituteurs. […]43)
La redécouverte du « génie français terrien » qui est fondée sur le refus du
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学習院大学人文科学論集Ⅹ
Ⅹ(2011)
classicisme et du romantisme et le retour aux « valeurs orales, paysannes » —
c’est ce qu’un personnage de La Première Année disait en entendant les mots
galapian, galampiner et neibrer44) — est, comme l’a bien vu Lucien Gachon
dès 1925, ce qu’Henri Pourrat n’a pas cessé de cultiver dans ses œuvres. Et son
projet de publier un Trésor des contes n’est naturellement pas étranger à ces
préoccupations pédagogiques.
Avant de terminer, citons une lettre, parmi bien d’autres, dans laquelle
Henri Pourrat explique à son ami d’une façon concrète ce à quoi il doit faire
attention pour écrire un roman (et non pas une étude) :
[…] Pour le reste45), oui ; donner au dialogue une allure plus vive et
parlée, parfois, — essayez de le dire à voix haute avec les sentiments des
personnages ; — supprimer les mots ou tournures qui ne seraient pas dans
le ton, veiller à une correction simple ; quant aux mots patois, je crois que
vous avez tort de les biffer, voyez seulement à être discret, vous n’en
abusez pas, il me semble ? doublez-les d’un mot français simple, qui
explique : une biche, un pot ; ajoutez pot une fois ou deux, à quelque distance ; puis employez carrément biche. […]46)
Cette lettre nous apprend ce qui importe pour Henri Pourrat dans l’élaboration d’une écriture romanesque : la langue parlée doit guider le romancier
pour animer ses personnages. Et en ce qui conerne les mots locaux, Lucien
Gachon n’a pas besoin de les supprimer mais il lui suffit de les traduire une ou
deux fois dans le texte même (et non pas dans les notes infrapaginales) avec
« un mot français simple ». De cette façon, il pourra se faire comprendre par les
« Français de langue française » tout en gardant une « allure vive et parlée ».
144
Une certaine idée de la langue (SHIINE, Rina)
Conclusion
Ainsi, Henri Pourrat n’était pas tout à fait en opposition avec Lucien
Gachon sur l’emploi de la langue locale. Pour « rajeunir le français », il considérait comme indispensable de puiser dans « le suc » de la langue régionale.
Mais il ne fallait pas oublier que leurs ouvrages devaient être lus non seulement
par les Auvergnats mais aussi par les Français d’autres régions. Il fallait donc
faire attention à la présentation des mots difficiles. Si l’on prenait soin de les
expliquer dans des endroits convenables, on réussirait à captiver l’attention des
lecteurs et à leur « faire sentir » ce qu’on voudrait leur transmettre. Sinon, ils
n’auraient plus envie de lire et l’on peut craindre que les éditeurs ne refusent de
publier.
La correspondance d’Henri Pourrat et de Lucien Gachon nous apprend
ainsi quelles idées ils se faisaient de la littérature et de la langue, quelles étaient
les convictions qu’ils partageaient, sur quels points ils étaient d’accord ou en
désaccord. Certes, elle contient encore bien d’autres lettres intéressantes, mais
j’y reviendrai à une autre occasion47).
Notes
1) Annette Lauras, « Henri Pourrat à la charnière de deux mondes », dans Cahiers
Henri Pourrat, t. 24, 2010, pp. 21-86 ; la citation est à la page 27. Sur les détails
de la vie de l’écrivain, voir Annette Lauras et Claire Pourrat, Les Travaux et les
Jours d’Henri Pourrat, Bouère, Dominique Martin Morin, 1996 ; on écoutera
aussi avec profit l’émission de Michel Zink (4 octobre 2009) sur « Henri Pourrat
et le Trésor des contes » (site Internet : http://www.canalacademie.com/).
2) Voir par exemple les thèses de Bernadette Bricout, de Claude Dalet, de MarieJoëlle Dudognon et de Roger Gardes. De son côté, la Société des Amis d’Henri
Pourrat ont organisé plusieurs colloques, dont les actes ont été publiés dans les
Cahiers Henri Pourrat.
3) Claudine Fréchet et Jean-Baptiste Martin, Dictionnaire du français régional du
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Velay, Paris, Bonneton, 1993, p. 3.
4) Id., Dictionnaire du français régional de l’Ain, Bresse, Bugey, Dombes, Paris,
Bonneton, 1998, p. 5.
5) Voir aussi Georges Straka, « Problèmes des français régionaux », dans Académie
royale de Belgique, Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences morales et
politiques, 5e série, t. 69, 1984, pp. 29-66 ; André Thibault, « Lexicographie et
variation diatopique : le cas du français », dans M. Colombo et M. Barsi (éd.),
Lexicographie et lexicologie historiques du français. Bilan et perspective, Monza,
Polimetrical International Scientific Publisher, 2008, pp. 69-91.
6) Rappelons-nous par exemple Stendhal, Balzac, Flaubert, Rimbaud, Proust, etc.
7) Article paru dans son recueil Études sur les régionalismes du français, en
Auvergne et ailleurs, Paris, Klincksieck, 1999, pp. 99-168.
8) Ibid., p. 100.
9) Cette correspondance échangée entre les deux amis de 1919 à 1959 qu’on peut
lire désormais dans l’édition procurée par Claude Dalet (Cahiers Henri Pourrat,
t. 9 et 12-16, 1991-1999) contient 1248 lettres ou cartes. On lit « plus de onze
cents » dans Cahiers Henri Pourrat, t. 9, p. 5, mais la dernière lettre publiée porte
le numéro 1228 dans l’édition et elle est suivie de vingt cartes retrouvées au cours
de la publication, voir Cahiers Henri Pourrat, t. 16, p. 245 et suivantes.
10) Voir Jean-Luc Zaremba, Lucien Gachon, pédagogue de la ruralité en Livradois,
Olliergues, Montmarie, 2007. La conférence que Catherine Brémeau a donnée le
9 avril 2011 à Clermont-Ferrand sur « En écho à Pourrat et Gachon, du Canada à
la Russie » suggère des pistes fructueuses à suivre ; je remercie vivement l’auteur
de m’avoir permis de consulter son texte.
11) Cahiers Henri Pourrat, t. 9, p. 9.
12) Voir Annette Lauras et Claire Pourrat, op. cit.
13) Les deux auteurs ne distinguent pas le patois (= dialecte) et le français régional.
14) Expression de Lucien Gachon dans sa lettre envoyée à Henri Pourrat le 16
décembre 1943 (Cahiers Henri Pourrat, t. 14, p. 83).
15) Le compte rendu paraîtra le 4 janvier 1944. Voir ibid., p. 79, n. 3.
16) Henri Pourrat revient aussi sur ce point dans son essai Le chemin des chèvres,
Paris, Gallimard, 1947 : « Gachon a une singulière infirmité : il ne veut plus
employer que les seuls mots justes. Mais si ces mots, du patois, au lieu de faire
voir au lecteur la chose même, l’accrochent par un certain pittoresque ? » (la citation est faite d’après la réédition, Genève, Slatkine, 1981, p. 15).
17) « Michel Augé-Laribé (1876-1954), secrétaire général de la Confédération
nationale des associations agricoles, puis directeur des études de la documentation
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Une certaine idée de la langue (SHIINE, Rina)
18)
19)
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21)
22)
23)
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25)
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27)
28)
au ministère de l’Agriculture (1945) : président fondateur de la Société française
d’économie rurale (1948) », Cahiers Henri Pourrat, t. 9, p. 273, n. 2.
« Pierre Menanteau (1895-1992) enseignant, poète vandéen », Cahiers Henri
Pourrat, t. 13, p. 18, n. 3.
« Christian Melchior-Bonnet, (1902-1995), littérateur, a été secrétaire de Pierre de
Nolhac, directeur de publications et rédacteur en chef du Petit Journal », Cahiers
Henri Pourrat, t. 14, p. 46, n. 1. Lucien Gachon comptait en vain sur lui pour
publier son roman chez Flammarion. Gouttebel ne paraîtra qu’en 1960 et dans une
autre maison d’éditions.
Lettre d’Henri Pourrat à Lucien Gachon, le 12 décembre 1943 (ibid., t. 14, p. 81) ;
c’est moi qui souligne.
Lettre de Lucien Gachon à Henri Pourrat, le 16 décembre 1943 (ibid., pp. 83-84).
Lucien Gachon, La Première Année, Marseille, Sagittaire, 1943, p. 89 ; c’est moi
qui souligne.
Lettre d’Henri Pourrat à Lucien Gachon, le 8 juillet 1942 (Cahiers Henri Pourrat,
t. 13, p. 164) ; c’est moi qui souligne.
Ibid.
Voici la dédicace-lettre d’Henri Pourrat reproduite dans Cahiers Henri Pourrat,
t. 9, p. 301, n. 1 : pour Lucien Gachon. Cher Lucien, j’ai eu votre mot ce matin,
avec le regret de vous avoir manqué à Ambert. Et je viens de voir Jean Prévost
(J. R. Bloch ne vient guère place St-Sulpice). Votre manuscrit [il s’agit de JeanMarie, homme de la terre qui après bien des difficultés paraîtra en 1932] est arrivé
le 1er mai, on l’a remis au lecteur, qui le rendra à la fin de ce mois. On vous écrira
alors, avec un vrai désir de le retenir. Mais tous les libraires se plaignent et on
édite peu. Dès à présent Jean Prévost conseillerait de ne le faire sortir qu’au printemps. J’espère que tout ira pour le mieux. / En hâte. Accueillez ce petit livre, et
parlez-en si vous pouvez dans la Montagne (j’enverrai un exemplaire au rédacteur
en chef avec des bonnes feuilles). Il ne sort d’ailleurs qu’à la fin du mois. / De
retour à Ambert quel tourbillon ça va être. Quand pourrai-je vous aller voir ?
Quand nous retrouverons-nous « Dans l’herbe des trois vallées » ? Votre ami,
Henri. 20-6-1927.
Roman d’Henri Pourrat paru en 1926 à Paris.
Les deux amis détestaient la bourgeoisie. En effet Henri Pourrat a écrit à son ami
dans sa lettre du 24 avril 1932 : « Vous savez comme je déteste le luxe et tout un
train de godaille bourgeoise. » (Cahiers Henri Pourrat, t. 11, p. 149).
Lettre de Lucien Gachon à Henri Pourrat, le 25 juin 1927 (Cahiers Henri Pourrat,
t. 9, p. 300) ; c’est moi qui souligne.
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学習院大学人文科学論集Ⅹ
Ⅹ(2011)
29) Voir le début de la lettre qui précède la partie citée (ibid.).
30) Ibid., pp. 269-270. Il est vrai que Lucien Gachon a surtout aimé dans le roman la
description de la fête champêtre.
31) Phrase citée par Michel Zink dans sa préface à la récente réédition du Trésor des
Contes d’Henri Pourrat (Paris, Omnibus, 2009), t. 1, p. II.
32) Sur les réserves que le manuscrit du roman Jean-Marie, homme de terre a suscitées aux éditeurs, voir la lettre de Lucien Gachon à Henri Pourrat, le 28 juillet
1928 : « […] J’aurais voulu vous donner de bonnes nouvelles de Jean-Marie. Et
je n’en ai que de mauvaises. Il a fallu l’obligeance d’Augé-Laribé pour me
prévenir de l’impression mélangée de D. Halévy. Même jugement en somme que
le lecteur de chez Gallimard. J. M. ne marque pas un progrès sur Maria. Je
demande aujourd’hui le manuscrit chez Grasset à Henry Poulaille. […] » (Cahiers
Henri Pourrat, t. 11, p. 24).
33) « Récits de L[ucien] G[achon] publiés dans L’Auvergne littérature, nº 33 (aoûtseptembre 1927), 38 (avril-mai 1928), 39 (juin-juillet 1928) », ibid., p. 10, n. 1.
34) Lettre d’Henri Pourrat à Lucien Gachon, le 9 août 1928 (ibid., p. 26) ; c’est moi
qui souligne.
35) Lettre d’Henri Pourrat à Lucien Gachon, le 30 juillet 1953 (Cahiers Henri
Pourrat, t. 15, p. 258).
36) Ibid. ; c’est moi qui souligne.
37) Ibid.
38) Ibid.
39) Voici un passage significatif de son essai Toucher terre, Uzès, La Cigale, 1936 et
1946 : « C’est à la langue paysanne qu’il faut toujours revenir, car elle est le
français même, base et sol, terrain de départ, cette terre qu’il faut toucher pour
reprendre force et vigueur. » (la citation est faite d’après la réédition, Paris,
Éditions Sang de la terre, 1999, p. 91).
40) Lettre de Lucien Gachon à Henri Pourrat, le 11 juillet 1925 (Cahiers Henri
Pourrat, t. 9, p. 195) ; c’est moi qui souligne « rajeunir le français par le patois ».
41) Ibid.
42) Voir la lettre d’Henri Pourrat à Lucien Gachon datée du 26 mai 1940 (Cahiers
Henri Pourrat, t. 13, pp. 20-21 ; les expressions « grand malheur » et « malheur
particulier » sont à la p. 21).
43) Lettre d’Henri Pourrat à Lucien Gachon, le 14 octobre 1940 (ibid., p. 47).
44) Voir plus haut.
45) Il s’agit de Maria que Lucien Gachon était en train d’écrire et de récrire ; Henri
Pourrat lui disait de reprendre le début et la fin.
148
Une certaine idée de la langue (SHIINE, Rina)
46) Lettre d’Henri Pourrat à Lucien Gachon, le 20 août 1922 (Cahiers Henri Pourrat,
t. 9, p. 97) ; c’est moi qui souligne.
47) Le présent article est une version remaniée du chapitre premier de mon mémoire
de master Étude sur Henri Pourrat : examen de ses régionalismes à travers sa
correspondance avec Lucien Gachon et les différentes versions de Sur la Colline
ronde, présenté à l’Université Gakushûin au mois de février 2011. Je remercie
sincèrement Catherine Brémeau, Bernadette Bricout, Jean-Pierre Chambon, Taro
Hyuga, Yoshiko Kobayashi, Annette et Jean Lauras, Takeshi Matsumura,
Fabienne Roy-Regnoux, et Michel Zink d’avoir bien voulu lire et commenter mon
mémoire.
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学習院大学人文科学論集Ⅹ
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ある言語観
―アンリ・プーラとリュシアン・ガションの往復書簡の考察―
椎根 里菜
アンリ・プーラ(1887―1959)はフランス中部のオーヴェルニュ地方
にあるアンベールという土地に生まれ、生涯をそこで過ごした作家であ
る。彼は自然との調和や農民の生活、民間伝承を関心の対象とし、小説
だけではなく詩・民話・随筆や伝記など多数の作品を遺しており、『山
のガスパール』ではフィガロ賞などを受賞している。しかし作品数と受
賞歴にもかかわらず、彼は今もなお認知度の低い作家といえるだろう。
しかし、フランスの大学や研究機関において、数は多くないが意義のあ
る研究がなされている。その中でも特に興味深いのは地方語の研究であ
る。
地方語を簡単に説明するならば、話者が意識せずにフランス語だと思
って使っているが実はそうではなく地域的に限定された言葉を指すとい
える。特にパリ地方においては見られないような昔の用法が残ったも
の、方言由来のものも多くある。地方語研究は既に100年前より着手さ
れており、有名な作家ではジャン = ジャック・ルソーを始め、スタンダ
ール、バルザック、フローベールやプルーストなども作品の中で地方語
を用いており、地方語研究の対象となっている。アンリ・プーラに関し
ては、『山のガスパール』を扱ったジャン = ピエール・シャンボンによ
って先鞭をつけられている。しかし彼も述べている通り、これまでプー
ラが何故地方語を重視するに至ったか、彼の言語観がどのようなものか
は明らかにされていない。本稿ではシャンボンの問題提起を受け継ぎ、
プーラの地方語観を親友のリュシアン・ガションとの書簡を通して明ら
かにすることを試みた。
二人の書簡は1921年から1959年まで1,200通以上に及んでいる。両者
ともに小説家として共通しているのは、自然や農民の生活・地方語に関
心を寄せ、ありのままに描き、伝えることである。しかしその手法は正
反対であったといってよい。ガションは地方語と方言を使用することに
こだわり、多用することで読者や編集者への配慮に欠ける難解な文章で
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Une certaine idée de la langue (SHIINE, Rina)
作品を著している。その結果出版を拒否されるガションに対し、プーラ
は自らの出版体験を基にした言語観を明示して相対している。プーラに
とって重要なのは地方語の使用自体ではなく、国内外を問わず読者にど
う読まれるかという意識であった。教師でもあったガションが陥りがち
であった「教える」意識の強い文章ではなく、読者に「感じさせる」こ
とが重要と説き、地方語の多用を控えるよう指摘している。地方語を使
用する場合は、読者にそれとなくわかるように標準フランス語と併用
し、そのあとは地方語だけ使うような手法を確立し、実際に自分の作品
においても実践するようになる。
今回は親友への助言を通してプーラの言語観を明らかにしたが、膨大
な書簡には他にも様々な事柄が言及されており興味深い。別の機会にそ
れらを研究したいと思う。
(平成22年度人文科学研究科フランス文学専攻 博士前期課程修了)
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