Idel Ianchelevici - Ville de Maisons

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Idel Ianchelevici - Ville de Maisons
■ Regard sur...
Idel Ianchelevici
1909-1994
L’Appel (1939)
Vivre à MAISONS-LAFFITTE n°87 - novembre 2009
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L’avion (1936)
Il y a 100 ans naissait
Idel Ianchelevici
notre ville au cœur de son œuvre
L
’artiste qui sommeille en lui se réveille très tôt puisqu’à peine âgé de 24 ans, il remporte le 1er prix de statuaire à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. Ce premier prix
inaugure une vie consacrée à l’art, qu’il soit sculpture ou dessin.
Maisons-Laffitte a eu, tout au long de son histoire, le privilège d’accueillir nombre d’artistes.
Idel Ianchelevici est l’un d’eux. Pendant plus de 40 ans, « Ian », comme l’appelaient ses amis,
a fait de Maisons-Laffitte le cœur de son œuvre. Dès 1951, attiré par le charme de notre ville,
il s’installe dans d’anciennes écuries qu’il transforme en atelier au milieu du Parc, atelier
qu’il ne quittera qu’à sa mort en 1994 et qui sera le point de rencontre de ses nombreux amis,
artistes, poètes, grands de ce monde ou simples admirateurs.
Nous lui avons rendu de nombreux hommages avec des expositions. Un Centre culturel et une
place portent son nom. L’une de nos entrées de ville présente l’une de ses sculptures phares,
Impatience d’avenir ; son attachement à Maisons-Laffitte l’a conduit à faire un don très
important de sculptures et de dessins à la ville : autant de traces vivantes et durables de la
présence de Ianchelevici parmi nous.
Il était donc naturel de lui rendre hommage dans notre magazine pour que tous les Mansonniens puissent découvrir ou redécouvrir son talent, son œuvre à la fois délicate, poétique et
puissante qui nous touche au cœur par la sincérité de son langage.
Jacques Myard
■ Regard sur...
Le pâtre (1956)
Lyliane (1933)
De Leova à Maisons-Laffitte
Idel Ianchelevici naît en 1909 à Leova en
Roumanie. À 20 ans, il quitte son pays pour la
Belgique et s’installe à Liège. En 1933, il entre
à l’Académie des Beaux-Arts et la même
année, remporte le premier prix de statuaire.
Il rencontre sa future épouse, Elizabeth
Frenay, s’installe à Bruxelles et est naturalisé
Belge. À partir de cette date et jusqu’à son
installation en 1951 à Maisons-Laffitte, il participe à de nombreuses expositions et salons
et réalise ses plus importantes sculptures
monumentales de plein air (L’Appel, le monument Résistant de Breendonk, Le Verbe...).
En 1952, il expose ses œuvres en Israël, puis
part en 1956 pour le Congo avec une bourse
de voyage du gouvernement belge. Il en
rapportera de nombreux dessins et de très
belles œuvres qui marqueront un tournant
dans sa manière de sculpter (Le pâtre).
Une reconnaissance
vite acquise
En France, Ianchelevici est de plus en plus
honoré dans les milieux artistiques. Il se lie
d’amitié avec Jean Cassou, écrivain et critique d’art qui fut de 1946 à 1965 conservateur
du Musée National d’Art Moderne de Paris.
Celui-ci acquiert en 1957 un marbre original.
Il continue à exposer régulièrement à
Bruxelles et en France, en particulier dans
son atelier de Maisons-Laffitte mais aussi
au Musée Rodin, à Royaumont, Aix-enProvence et au Salon des Indépendants à
Paris puis, en 1978, au Salon de l’Orangerie
à Versailles. Il réalise à cette époque les
portraits sculptés des souverains belges,
devenant en quelque sorte sculpteur officiel
de la Cour de Belgique.
La Ville de Maisons-Laffitte s’applique à
valoriser et à révéler au public l’œuvre et le
talent de Ianchelevici : en 1984, le conseil
municipal décide de nommer « Centre
Ianchelevici » l’ensemble culturel composé
de l’Ancienne Église de Maisons-sur-Seine
et de la demeure voisine. Anvers, en même
temps, expose le Don Ianchelevici au Musée
de la Vie Culturelle Flamande et Bucarest
rend hommage à l’artiste en lui consacrant
une salle dans son Musée des Beaux-Arts
en 1985. Quant à la Belgique, elle lui reste
fidèle et admirative avec la création à
Bruxelles de l’association « Les Amis de
Ianchelevici » et à l’université de Liège, la
création du « Fonds Ianchelevici ». Le musée
de La Louvière consacré à l’artiste ouvre ses
portes en 1987, présentant quelque 200
œuvres. L’admiration que lui portent le
public et le monde politique se concrétise
par sa nomination au grade de Chevalier
dans l’ordre des Arts et des Lettres (1990).
Lees amis
d’Idel Ianchelevici
A Maisons-Laffitte se constitue en 1987
l’Association Française des Amis de
Ianchelevici.
La très belle sculpture Joie (1933), offerte à
la Ville par l’artiste lors de l’exposition en
son atelier de ses œuvres de jeunesse, est
inaugurée en 1988.
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■ 16 Regard sur...
Des musées à son nom
En 1991, Ianchelevici recouvre la nationalité
roumaine, expose au Centre Culturel roumain à Paris et est nommé membre d’honneur de l’Académie des Beaux-arts de
Roumanie.
Cette même année est inauguré le Musée
Ianchelevici de Maisons-Laffitte qui poursuivra son activité jusqu’en 2004, date de la
fermeture du bâtiment pour travaux de
réhabilitation. Depuis l’installation de l’artiste à Maisons-Laffitte, de nombreuses
expositions ont été organisées au Château
de Maisons (1982) ou au Centre culturel
qui porte son nom : Ianchelevici et le cheval,
Les enfants de Ianchelevici, Portraits,
Ianchelevici et la beauté féminine.
En Belgique, Ianchelevici et le monde animal,
Morceaux d’enfance, Regards sur l’artiste au
musée de La Louvière.
En 1996, un 3e musée lui est entièrement
consacré à Goudriaan, aux Pays-Bas. Ses
œuvres sont présentes en Roumanie, son pays
natal, en Israël, au Congo, à Liège et chez de
très nombreux collectionneurs privés.
Son épouse Betty décède en 1993, Ianchelevici la suivra le 26 juin 1994. Ils reposent
tous deux au cimetière de Maisons-Laffitte.
Le parcours artistique de Ianchelevici
De très nombreuses publications, monographies ou films retracent le parcours artistique
de Ianchelevici. Son œuvre souvent assimilée
à de la poésie a fasciné nombre de ses
contemporains : Jean Cassou, Robert Vivier,
Roger Avermaete qui lui a consacré un ouvrage qui fait référence dans l’histoire de
l’art. Plus récemment, trois de ses amis les
plus proches ont publié en 2003 un ouvrage
très documenté sur sa vie et son œuvre :
Ianchelevici ou la matière transfigurée qui sera
suivi en 2009 d’un recueil de ses « petits
dessins » présentant quelques-uns de ses
croquis, pleins de vivacité et d’humanité :
Ianchelevici, le dessin ininterrompu. Un film est
en préparation, réalisé pour la RTBF.
Une œuvre qui évolue
Les œuvres de jeunesse de Ianchelevici sont
très influencées par le climat social de l’époque (Amitié, 1934). Ce sont des formes massi-
ves et des personnages imposants, aux traits
marqués, qui prédominent : L’avion (1936),
L’homme à la casquette. Puis, assez vite, ses
thèmes de prédilection seront les maternités,
la jeunesse, la beauté et la grâce féminines :
Maternité Césarée (1951), Lyliane (1933).
Au fil des ans ses sculptures vont s’idéaliser.
Partis de formes musclées, les corps vont
s’allonger avec des membres plus longs, plus
graciles, des formes très étirées, presque
asexuées ; mais ses figures seront douées
d’une singulière forme d’expression.
Dans les œuvres de dimensions modestes, il
transpose le corps humain dans des figures
davantage rêvées que montrant la réalité :
Longuelonne (1972).
Les moyens pour obtenir l’expression sont
simples, mais efficaces : inclinaison naturelle
d’une tête, main naïve qui lisse les cheveux,
bras maternels serrant une chair d’enfant,
doigts posés sur une épaule, parallélisme ou
Amitié (1934) – Bronze
Don de Mme Helmi Veldhuizjen
à la Ville de Maisons-Laffitte
Cette sculpture représente un
paysan roumain, souvenir d’enfance
de Ianchelevici, qui réchauffe les
jambes de son cheval avec son
urine… Amitié !
L’homme à la casquette
Ianchelevici dans son atelier sculptant Tendresse
Tendresse – Marbre blanc (inachevé)
Dessin 1945 – Ed. de Magneet, Anvers 1946
entrelacement des corps, jeu de bras et de
genoux, cohérence intime de tensions charnelles : Malgré moi (1971).
Il reste néanmoins attiré par la sculpture
monumentale. Avec ses « géants » de plein
air, il s’adresse directement au public en
abordant des thèmes éternels comme le
monument au Résistant de Breendonk, L’Appel
(plus de 4 mètres de haut), Le Verbe, Nous te
portons à jamais en notre esprit ou le Plongeur
et son arc (1939), installé en 2000 au bord de
la Meuse à Liège. Dans ces monuments, la
sculpture a pour mission de commémorer
l’événement collectif.
Dessins 1972, 1980 – Ed. asbl les Amis de Ianchelevici, Bruxelles
Le travail des matériaux durs
Petit à petit il se consacre plus à la pierre et
au marbre, toujours en taille directe et laisse
parfois ses corps à demi engagés dans la
matière. Par un jeu sur le lisse et le rugueux,
des parts de matériaux bruts sont réservées.
Harmonie, douceur et sérénité se dégagent de
ses rondes-bosses de pierre.
Avec le matériau dur, la correction est interdite, de même que pour le dessin au trait. Car,
parallèlement à la sculpture, Ianchelevici a
toujours dessiné ; le dessin pour ce qu’il est et
non pas un dessin préparatoire à l’élaboration
d’une sculpture. Avec le crayon ou la plume,
Maternité Césarée (1951)
DDes talents multiples
En marge de son activité de sculpteur et de
dessinateur, Ianchelevici a produit une très
importante création philatélique en Belgique,
en Allemagne et en Roumanie.
Par ailleurs, de nombreuses commandes de
médailles commémoratives lui ont été faites
dont la médaille de la Ville de MaisonsLaffitte.
Impatience d’Avenir (1991)
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■ 18 Regard sur...
Tjienke (1951)
Jeune fille qui se coiffe (1983)
Longuelonne (1972)
© X. Vandermeersch
Le Plongeur sur son arc (1939)
Félice (1958) – Marbre blanc du Portugal
Portrait d’Élisabeth Ianchelevici dont le second prénom était Félice.
Une copie unique de ce portrait autorisée par l’artiste se trouve sur la tombe
de Ianchelevici et de son épouse au cimetière de Maisons-Laffitte.
Ninon (1968) – Marbre
Hall d’accueil de la salle Malesherbes à Maisons-Laffitte.
« La force et la grandeur de Ianchelevici sont d’oser rester
dans la grande tradition de la sculpture européenne qui passe
par Donatello, Verrocchio, Michel-Ange, Puget et Rodin.
Oser : c’est le fait de qui se sent assez fort pour être la pulsation
nouvelle d’un flux prestigieux. » Fred Bérence, critique d’art (revue Synthèses, 1962)
il aborde surtout la vie quotidienne et le portrait. Une fois le reflet de ses modèles saisi,
après les avoir scrutés longuement, la main
levée, il esquisse sur le papier blanc la ligne
directrice de ses dessins. Jean Cassou a écrit
que « l’essence de l’art de Ianchelevici est un
dessin résolu et audacieux qui trouve en sa
liberté une singulière jouissance. Le dessin de
cet artiste fait songer à la liane ». Il n’y a, dans
son trait, dans sa ligne, aucune hésitation,
aucune rature, aucun repentir. Il fut un dessinateur à la fois réaliste et lyrique.
La vitalité de Ianchelevici, sa recherche toujours en éveil et ses dons multiples, l’ont
conduit à tenter sans cesse de nouveaux
modes d’expression. Avec aisance, il passait
de la glaise à la pierre, du bas-relief au buste,
du crayon au ciseau.
Pour la jeunesse, la beauté, la tendresse, la
douceur, il choisissait plutôt le marbre si dur
et si froid (Félice, 1958) mais pour le mouvement et surtout pour ses portraits d’homme
au caractère affirmé, il restait généralement
fidèle à la glaise. Quand il pétrit la glaise, qui
trouvera dans le bronze sa forme définitive, la
nervosité de la main imprime à la matière une
vibration que Ianchelevici peut qualifier d’impressionniste.
(1971) – Bronze
À son sujet, on trouve deux
annotations de Ianchelevici :
« Ces filles malgré elles dotées de
féminité débordante dont elles sont
embarrassées et même gênées » et
« Cette œuvre comme toutes mes
œuvres, fidèle à mon souhait. Elle
est comme ça, comme la nature l’a
pondue. Heureuse ou embarrassée
de sa structure. Je l’ai baptisée
Malgré moi ».
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■ 20 Regard sur...
Idel Ianchelevici à Maisons-Laffitte
Fontaine II (1949) – Bronze
Une conception de fontaine chère à
Ianchelevici. En 1949, il en fait deux
versions : la première version vient
d’être offerte à la Ville de MaisonsLaffitte par Mme Helmi Veldhuizjen.
En 1970, la Ville a utilisé une subvention
allouée pour la décoration du collège Cocteau
afin d’acquérir Jeune fille et enfant.
Cette œuvre se trouve actuellement exposée
dans le hall d’entrée de la bibliothèque municipale et une copie en plâtre peut se voir dans
l’Ancienne Église (Centre Ianchelevici). Lors de
l’agrandissement du collège, un buste d’enfant
est installé dans l’entrée, Claire.
En 1974, la ville a acquis un buste touchant de
petite fille, Ninon, exposé salle Malesherbes.
En 1978, la médaille de la Ville est créée : on y
voit le château de Maisons et l’Ancienne Église
et sur le revers, deux chevaux dans la forêt
montés par un garçon en tunique et une fille
aux longs cheveux entre les arbres. Cette
médaille tirée en « bronze », « argent » et
« or » est remise aux personnalités lors d’événement municipaux.
En 1990 Ianchelevici conçoit dans son atelier le
monument Impatience d’avenir et il faudra
attendre mai 2001 pour voir installer la sculpture en bronze sur le rond-point rebaptisé
« place Ianchelevici ».
L'oeuvre de Ianchelevici, gracieuse et légère,
qui dit « l'extraordinaire puissance tendre de
la créature », que Robert Vivier qualifie de
« pure poésie du rythme et de la forme »,
traduit avant tout son attachement à la vie
et à la réalité des sentiments humains.
« Il faut qu'une sculpture soit tellement
vivante, disait Ianchelevici, qu'elle descende
de son socle. » ■
Bibliographie succincte
Jean Cassou – Ianchelevici, Album – Édition Desache, Bruxelles, 1955
Robert Vivier – Ianchelevici, Monographie de l’art belge – Édition de Sikkel, Anvers, 1955
par Monique Pigé
Présidente de l’Association
française des amis de
Ianchelevici
Le public lors de l’exposition de septembre 2007
Dan Grigorescou – Ianchelevici – Tribuna romaniei, Bucarest, 1976
Roger Avermaete – Ianchelevici – Éditions Arcade, Bruxelles, 1976
Bernard Balteau, Luc Norin, Helmi Veldhuijzen – Ianchelevici ou la matière transfigurée –
Éditions La Renaissance du Livre, Tournai, 2003

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