ResMusica - Opéra national de Lorraine

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ACCUEIL TRIOMPHAL POUR ARMIDE DE LULLY À NANCY
Le 23 juin 2015 par Michel Thomé
La Scène, Opéra
Nancy. Opéra national de Lorraine. 21-VI-2015. Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Armide, tragédie en musique en cinq actes avec prologue sur un livret de Philippe Quinault. Mise
en scène : David Hermann. Décors et vidéos : Jo Schramm. Costumes : Patrick Dutertre. Lumières : Fabrice Kebour. Chorégraphie : Petter Jacobsson et Thomas Caley. Avec : MarieAdeline Henry, Armide ; Judith van Wanroij, la Gloire / Phénice / Mélisse ; Marie-Claude Chappuis, la Sagesse / Sidonie / une Bergère héroïque / Lucinde ; Julian Prégardien,
Renaud ; Andrew Schroeder, Hidraot ; Marc Mauillon, Aronte / la Haine ; Patrick Kabongo, Artémidore ; Fernando Guimarães, le Chevalier danois / un Amant fortuné ; Julien
Véronèse, Ubalde ; Hasnaa Bennani, une Nymphe des eaux. Danseurs du CCN-Ballet de Lorraine ; Chœur de l’Opéra national de Lorraine (chef de chœur : Merion Powell) ; Les
Talens Lyriques, direction musicale : Christophe Rousset.
France
Lorraine
Nancy
La partie n’était pourtant pas gagnée d’avance. Après plus de
trois heures de texte classique déclamé en musique et
entrecoupé d’intermèdes dansés, c’est pourtant une salle
unanimement enthousiaste qui a fait un réel triomphe à
l’ensemble des participants à cette Armide nancéienne.
Bien sûr, Armide est un chef d’œuvre. Dernier opéra terminé par Lully
et dernière coopération avec Quinault, son librettiste de presque
toujours (hormis les deux infidélités de Psyché et Bellérophon), il
constitue une sorte d’apogée ou de bouquet final. Mais sa
représentation scénique demeure problématique car le public actuel a
perdu les codes de la tragédie en musique du XVIIème siècle. En dehors
de quelques érudits, qui connaît encore dans le détail les aventures
mythologiques ou les textes originaux de l’Arioste ou, pour Armide, du
Tasse dont sont tirés les livrets ? La langue somptueuse de Quinault ne
sonne-t-elle pas désuète voire sibylline à bien des oreilles ? Et que faire,
dans notre monde pressé, des divines longueurs des divertissements
qui suspendent l’action pour faire place aux danseurs et au chœur ?
Après avoir emmené l’Italienne à Alger dans la jungle et transformé
Iolanta en odyssée de l’espace, le metteur en scène David Hermann
résout la question de la temporalité d’une manière originale et
astucieuse. Ni siècle de Louis XIV, ni époque actuelle mais les deux à la
fois ou, plus précisément, deux trajectoires opposées. D’un côté,
Armide va tenter de s’émanciper de son statut de magicienne et d’être
aimée pour elle-même en abandonnant progressivement ses attributs
baroques (splendides costumes emplumés de Patrick Dutertre) et en se
modernisant. De l’autre, le corps de ballet contemporain et en tenues
actuelles commence à répéter en vue de représentations d’Armide et va
peu à peu se «baroquiser». Renaud suivra Armide dans son
cheminement tant qu’il sera sous son emprise puis s’en libèrera en
revenant à ses habits chevaleresques au dernier acte. Le décor à
transformation de Jo Schramm traduit lui aussi cette dualité,
alternativement perspective architecturale classique ou salle moderne
de répétition.
Le Prologue allégorique est entièrement occupé par une vidéo un peu
trop distendue, également de Jo Schramm, qui interpénètre à son tour
les époques en suivant un Stanislas Leszczynski /Louis XIV descendu
de son piédestal, de la Place Stanislas actuelle jusqu’à la salle de l’Opéra
en passant par les coulisses où il croise quelques gueux d’époque fort
peu sympathiques. Plus convaincant, l’usage de la vidéo au quatrième
acte donne de la réalité aux sortilèges et apparitions magiques
provoqués par Armide. Les chorégraphies complexes et atemporelles de
Petter Jacobsson et Thomas Caley, superbement réalisées par le Ballet national de Lorraine, jouent pleinement leur rôle de divertissement et
d’enrichissement. Enfin, les éclairages très étudiés de Fabrice Kebour font évoluer l’appareil scénographique (par exemple, au second acte, en
révélant dans la masse sculptée du décor des figures démoniaques chevauchant des dragons) et contribuent également à la réussite de cette mise en
scène plastiquement superbe.
Marie-Adeline Henry est une Armide de format vocal imposant, alternant parfois abruptement forte tonitruants et pianissimos délicats, tandis que
le mezzo forte fait cruellement défaut. On peut y imaginer moins de véhémence et plus d’égalité et de subtilité dans l’expression. Mais l’intensité
dramatique et l’éloquence séduisent et emportent l’adhésion, tout particulièrement dans une scène finale de grande tragédienne. Au travers de leurs
diverses incarnations, Judith van Wanroij et Marie-Claude Chappuis s’apparient admirablement et sont également délectables. Julian Prégardien
offre à Renaud toute la suavité et l’homogénéité d’une voix de haute-contre à l’émission haut placée et d’une parfaite égalité et en traduit avec
crédibilité l’immaturité et les tourments. Andrew Schroeder passe totalement à côté du rôle d’Hidraot, bien trop grave pour lui et où il sonne étouffé.
A l’inverse, Marc Mauillon donne un relief extraordinaire à Aronte et surtout à la Haine, vénéneuse et sardonique à souhait. Pour le reste, plus que
l’Ubalde un peu à la peine, plus que l’Artémidore ou le Chevalier danois moins décisifs, on retiendra la voix cristalline de Hasnaa Bennani en
Nymphe des eaux.
Absolu maître d’œuvre du spectacle, Christophe Rousset est aussi le principal responsable de son succès. Concentré, précis, énergique sans violence,
il assure tout autant vivacité (sans précipitation) que retenue (sans alanguissement), comme pour la scène du sommeil au deuxième acte aux alliages
de timbre fascinants et magiques. Il faut joindre à cette réussite l’orchestre, Les Talens lyriques, exceptionnel de qualité et d’investissement,
confondant de netteté aux cordes, de variété dans la basse continue, de couleurs et de poésie aux bois. Enfin, ultime satisfaction et fruit d’un intense
travail en amont, avec seulement quelques éléments extérieurs rajoutés, le Chœur de l’Opéra national de Lorraine parvient à sonner comme un
authentique choeur baroque. Grâce à tous, en ce jour de Fête de la Musique, la Musique était réellement à la fête à Nancy.
Crédit photographique : © Opéra national de Lorraine