Cordes-Tolosannes est-il l`ancien Cerrucium
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Cordes-Tolosannes est-il l`ancien Cerrucium
Cordes-Tolosannes est-il l‟ancien Cerrucium ? par Régis de La Haye L‟une des controverses qui occupent les historiens castelsarrasinois et régionaux depuis plus de deux siècles est celle de la situation du lieu de Cerrucium, figurant dans un acte de donation à l‟abbaye de Moissac, fait par Austorgue, au mois de mars 847. Plusieurs hypothèses ont déjà été avancées, dont aucune n‟a emporté l‟adhésion générale. Le problème n‟est pas simple. Aussi ne prétendons-nous pas le résoudre de façon définitive dans ces quelques lignes ; tout au plus voulons-nous apporter un certain nombre d‟arguments, que nous croyons assez solides pour avancer l‟hypothèse de la situation de Cerrucium à Cordes-Tolosannes. La donation d‟Austorgue est conservée aux Archives Départementales de Tarn-&-Garonne. Il s‟agit d‟une charte lacunaire de 42 x 29 cm.1 Le texte, qui a été édité en son temps de façon fort correcte par Levillain,2 n‟est pas du meilleur latin et comporte des incorrections grammaticales et syntaxiques. Certains passages sont grammaticalement poly-interprétables. Tentons tout de même une traduction : Puisque le cours de la vie humaine conduit inévitablement à la mort, et que tout homme ignore quand il doit quitter ce monde, voilà pourquoi, pendant qu‟il dispose de son libre arbitre, il doit rechercher attentivement ce qui peut contribuer à son salut après la mort. C‟est pourquoi, moi, au nom de Dieu, Austorgue, par amour pour le Christ notre Rédempteur, et pour que ce pieux Rédempteur m‟absolve des liens de mes péchés, je donne au vénérable homme Witard, abbé (entendez : du monastère de Moissac, mais le texte ne le dit pas), et aux moines par lui rassemblés en ce lieu (en quel lieu ? le texte ne le dit pas), présents et à venir, qui vivent sous la règle ou l‟ordonnancement de la vie régulière de saint Benoît, la fortification (castrum) qui est appelée Cerrucium, située dans le pagus de Toulouse, sur le fleuve Garonne, dans la viguerie de Garnès, située sur la terrasse dans la contrée au sud de l‟endroit où est situé ce monastère (quae in subdivali eius plaga australi ubi ipsud monasterium situm est), à laquelle (entendez : la fortification, mais le pronom relatif cui peut aussi bien se rapporter, grammaticalement, au monastère qu‟à la viguerie de Garnès) nous (au pluriel, donc Austorgue et l‟abbé Witard) imposons le nom de “Bonneval”, en l‟honneur de Dieu, de son très saint apôtre Pierre et de saint Avit, là où il (c‟est-à-dire l‟abbé Witard) sert Dieu avec les siens, et pour qu‟ils (entendez : les moines) intercèdent auprès de Dieu pour mes délits. C‟est pourquoi, cette fortification (castellum), qui m‟est venue par charte de la munificence de mon seigneur, le sérénissime roi Pépin, je la transmets de mon droit et de mon pouvoir au droit et au pouvoir de ceux-là, présents et à venir, en même temps que les maisons, les bâtisses, les terres cultivées et incultes, les vignes, les pommeraies, les bois, les prés, les pacages, les moulins, les pêcheries, les bergeries, le droit d‟entrée et de sortie, avec tous les droits et tout ce qui appartient à cette fortification (castrum), comme nous l‟avons aujourd‟hui en notre possession. Et nous (c‟est-à-dire Austorgue, le donateur, et Witard, le récipiendaire) l‟avons délimité vers l‟orient et le midi par la Garonne et le ruisseau qui coule en faisant la limite,3 et les bornes placées par nous jusqu‟au dit fleuve, la Garonne. Tout ce qui est renfermé dans ces limites, je le donne totalement et intégralement. 1 ADTG, G 570 (marqué au dos par Andurandy, archiviste du chapitre de Moissac au XVIIIe siècle : N. 5970). Notice : Jean Dufour, La bibliothèque et le scriptorium de Moissac (Genève - Paris 1972 = Centre de recherches d‟histoire et de philologie de la IVe Section de l‟Ecole Pratique des Hautes Etudes, V, Hautes Etudes médiévales et modernes, 15), p. 97. 2 L. Levillain, Sur deux documents carolingiens de l’abbaye de Moissac, in : Le Moyen Age 27 (1914), p. 33 - 35. 3 Il s‟agit du petit ruisseau coulant au sud-ouest de Cordes-Tolosannes, appelé au cadastre “Le Tailleur”. Je tiens à remercier M. le Maire de Cordes-Tolosannes de m‟avoir fourni ce renseignement. 1 Je [c’est Austorgue qui parle] cède également, en Villelongue, dans la villa de Saint-Porquier et dans la villa Couture, toutes les terres et les vignes qu‟Atilius Rodaldi possédait dans ces villae. Quand il quittera cette vie, nous voulons qu‟elles soient concédées pour toujours, pour qu‟à partir de ce jour, quand eux-mêmes et leurs successeurs voudront faire quoi que ce soit pour leur utilité, ils en profitent librement à leur guise. Et – ce qui n‟arrivera pas, je crois –, si j‟osais moi-même, sur l‟instigation du Diable, agir contre cette donation que j‟ai faite, ou si l‟un de mes héritiers le faisait, ou si quelqu‟un au nom de mes héritiers voulait jamais la briser, qu‟il encoure la colère de Dieu Tout-Puissant et qu‟il reste exclu des seuils de Sa sainte église, et qu‟avec Coré, Datân et Abiram, que la terre a englouti vivants à cause de leur crime,4 sa part soit dans l‟étang de feu et de soufre, et avec Balthazar qui, allant contre la prescription du Seigneur, manipulant les très saints vases de Dieu avec des mains indignes, en sacrilège, méritait une subite mort éternelle,5 et que son désaccord ne se réalise jamais. Accord fixé. Cette cession a été faite au mois de mars, en l‟an de l‟Incarnation du Seigneur 847, du règne de Lothaire, empereur, la sixième année.6 Austorgue. Signe d‟Austorgue qui a demandé de faire et de confirmer cette charte de donation. Signe de Daton, son frère. Signe d‟Oliban. Signe de Bertaire. Signe d‟Atilon Afer. Signe de Teadgaire. Signe de Doctriramne. Signe de Garinnomance. Signe de Sigwald. Signe de Costan qui est appelé Uciand. Signe de Dodoagnald. Signe de Dadulin. Signe de Boson. Signe de Wandaire. Signe de Dédon. Signe de Salomon. Signe d‟Uciand. Signe d‟Aguste. Signe d‟Ebelon. Signe de Dodon, à ce demandé. Signe de Rigon, prêtre. Sepparin, prêtre, fut présent. Witard, le récipiendaire de la donation, nous est bien connu. Il reçoit non seulement la donation d‟Austorgue, objet de cette étude, mais encore une donation en Auvergne en 837. Sa mémoire est restée vivace en l‟abbaye de Moissac. Au XIe siècle encore, son anniversaire était célébré le 28 mars. Il était inscrit dans le nécrologe de Moissac comme Guitardus abbas.7 Avec l‟abbé Witard, nous sommes donc sur un terrain historique sûr. Depuis le XVIIIe siècle, cet acte de donation a fait couler beaucoup d‟encre. On a commencé par mal lire le texte dont la syntaxe, il est vrai, n‟est pas limpide. On a cru lire dans le texte qu‟un monastère était établi à Cerrucium, mais le istud monasterium du texte doit se rapporter à Moissac. Il est vrai que le monastère de Moissac n‟est pas mentionné, mais il ne peut s‟agir que d‟une erreur de copiste, sous peine de ne pas pouvoir expliquer le mot ibidem, qui dans notre texte, tel qu‟il est rédigé, ne se rapporte à rien. Ensuite, on a cru y voir une donation double. Au XIXe siècle, Devals, croyant en une double donation, d‟une fortification et d‟un monastère, scindait la donation en deux parties. Il situait le monastère de Bonneval à Monestié, à 3 km au nord-ouest de Castelsarrasin, et le castrum Cerrucium à Castélus, à 4 km au nord-ouest de Castelsarrasin.8 Andurandy, au XVIIIe siècle, résumait l‟acte comme suit : 4 Voir : Nombres 16,1-35. Voir : Daniel 5. 6 Lothaire Ier, fils aîné de Louis le Débonnaire, empereur après la mort de son père le 20 juin 840. Décédé le 29 septembre 855. ─ Mars 847 n‟est donc pas dans la sixième, mais dans la septième année du règne de Lothaire. 7 Axel Müssigbrod, Zur ältesten Schicht der Toteneinträge im Necrolog von Moissac, in : Frühmittelalterliche Studien 19 (1985), p. 353 ; Axel Müssigbrod, Joachim Wollasch, Das Martyrolog-Necrolog von Moissac/Duravel. Facsimile-Ausgabe (München 1988 = Münstersche Mittelalter-Schriften, 44), facsimile f. 85v. 8 Devals aîné, Etudes sur la topographie d’une partie de l’arrondissement de Castel-Sarrasin pendant la période mérovingienne (Paris 1867), p. 24 - 26. 5 2 19. Amelius donna a L‟Abbé Abmar [...] un chateau dans le Dioceze de Toulouse sur la garonne dans la viguerie de Garnier ou il y a un Monastere appelle Bonneval ou Bonecombe Led. Amelius avoit obtenu led. Chateau de la liberalité du serenissime prince Le Roi Pepin, & le donna avec toutes ses appartenances & droits plus tout ce qu‟il avoit dans Villelongue, S.t Porquier & dans la ville des Gots (villâ gotorum) L‟an 847. regnant Lotaire.9 Andurandy se trompe dans les noms propres, mais au moins a-t-il bien vu qu‟il était question d‟un seul lieu, et pas de deux, et qu‟il était situé dans la viguerie de Garnier. Jules Marion, en 1852, lisait le nom du donateur comme Astanova. “Le monastère”, écrit-il, “fut plus tard le prieuré de Bonneval, et Cerrucium est la ville de Castel-Sarrazin”.10 Sans, bien entendu, préciser où se trouverait alors “Bonneval...”. Tous ces historiens ont été gênés par la localisation de Cerrucium. Lagrèze-Fossat prenait Witard comme l‟abbé du monastère inexistant de Saint-Pierre-et-Saint-Avit de Bonneval, sans d‟ailleurs préciser où ce monastère devait alors se trouver.11 Moulenq, en 1879, faisant le bilan des hypothèses avancées, laissait le choix entre Castelsarrasin, Monestié et Castelferrus.12 Rupin, en 1897, reprenant l‟opinion de Lagrèze-Fossat sur Witard, localisait Cerrucium à Castelferrus.13 Levillain penchait pour Castelferrus,14 mais ne se prononçait pas, préférant laisser planer le doute. Récemment, Axel Müssigbrod est revenu sur la question. Cet auteur, qui applique le nom de Bonneval au monastère, considère la situation géographique de la donation comme secondaire, et voit Bonneval comme un refuge temporaire des moines de Moissac, en fuite devant les Normands. 15 Cette hypothèse ne repose sur rien. D‟abord, on ignore tout d‟éventuelles invasions normandes à Moissac, mais encore, il paraît pour le moins curieux que les moines aient cherché refuge tout près de Moissac, au bord de la Garonne, que ce soit à Castelsarrasin, à Monestié ou à Castelferrus, où ils n‟étaient pas davantage à l‟abri des Normands que dans leur propre monastère. L‟hypothèse de M. Müssigbrod n‟aurait gagné en vraisemblance que si cet auteur avait localisé Cerrucium à un endroit ayant une réelle valeur stratégique. Sa thèse purement gratuite n‟est donc pas à retenir. Toutes les localisations proposées à ce jour appellent des réserves. Tout d‟abord, le texte ne permet aucunement de scinder la donation. Il n‟est pas question de la création d‟un monastère, mais d‟un nouveau nom, donné à la fortification existante de Cerrucium. Ensuite, pour en revenir à l‟hypothèse de Devals, il y a une parfaite incongruité à situer, au IX e siècle, un établissement, quel qu‟il soit, en zone inondable. Tous les villages d‟ancienne fondation en bordure du Tarn ou en bordure de la Garonne sont implantés sur les premières terrasses (Meauzac, Gandalou, Saint-Porquier, Escatalens, Finhan, etc.), à une altitude qui les mettait à l‟abri des inondations hivernales. Ils se situent tous entre 80 et 90 mètres d‟altitude, contre 65 à 76 mètres pour le niveau moyen de la Garonne (altitudes actuelles selon les cartes au 25.000e de l‟Institut Géographique National). L‟établissement d‟un monastère ou d‟une fortification au beau milieu des méandres d‟un fleuve comme la Garonne, dont chacun connaît les caprices, nous semble parfaitement invraisemblable. L‟altitude de Monestié, à 69 mètres, et de Castélus, à 72 mètres, exclut à notre opinion tout établissement. En fait, il n‟y a qu‟une seule exception, mais elle est de taille : l‟abbaye de Moissac, située à 72 mètres, se trouvait littéralement dans un marais, comme le constate encore à la fin du XIVe siècle le chroniqueur Aymeric de Peyrac.16 9 Moissac, Archives Municipales, Répertoire d‟Andurandy, 603, n. 19. Jules Marion, Notes d’un voyage archéologique dans le Sud-Ouest de la France (Paris 1852), p. 70. 11 A. Lagrèze-Fossat, Etudes historiques sur Moissac, t. 3 (Paris 1874), p. 17. 12 François Moulenq, Firmin Galabert, Documents historiques sur le Tarn-et-Garonne, t. 1 (Montauban 1879 = reprint Paris 1991), p. 148 - 150. 13 Ernest Rupin, L’abbaye et les cloîtres de Moissac (Paris 1897), p. 34 - 35. 14 Levillain, o.c., p. 29 - 31. 15 Axel Müssigbrod, Zu einer angeblichen Klostergründung des IX. Jahrhunderts, in : Revue Bénédictine 92 (1982), p. 317 323. 16 Régis de la Haye (éd.), Aymeric de Peyrac. Chronique des abbés de Moissac (Moissac/Maastricht 1994), f. 153vb - 154ra. 10 3 Castelferrus, à 80 mètres, conviendrait déjà mieux. Mais un argument historique décisif en défaveur de Castelferrus est le statut de son église, simple annexe de Saint-Aignan,17 ce qui dénote une fondation relativement récente. Un village remontant au IXe siècle aurait certainement eu une paroisse indépendante. En outre, le texte parle d‟un castrum. Or, ni Monestié, ni Castellus, ni Castelferrus ne sont des fortifications. La moindre des qualités d‟une fortification est tout de même d‟être défendable, et d‟avoir des qualités stratégiques. Situation géographique de Cordes-Tolosannes. Après ces arguments par la négative, avançons maintenant quelques arguments positifs. Cerrucium doit se trouver sur la rive gauche de la Garonne. Le texte le dit expressément : la Garonne passe à l‟orient de Cerrucium. Ce simple détail élimine déjà les endroits situés sur la rive droite. En outre, le texte dit avec autant de clarté que Cerrucium était situé dans la viguerie de Garnès. Le territoire de Garnès se situait dans les collines sur la rive gauche de la Garonne. Ces collines sont indiquées par le mot subdival, -is, qu‟à mon sens il faut traduire par „terrasse‟. La viguerie de Garnès18 a laissé son nom au village du Mas-Grenier (< Garnier),19 à Beaumont de Lomagne qui s‟appelait au XVe siècle Beaumont de Garnier ou de Grenier,20 et à Verdun qui, au XIIe siècle, était le chef-lieu d‟un domaine féodal appelé Guarn, Garnerium ou Garnesium, corruption du nom de l‟ancienne viguerie Garonensis.21 Le nom de Garnès est passé à l‟archiprêtré de Garnès, qui avait son siège au XIIe siècle à 17 Gayne, o.c., p. 30 - 31. Charles de Saint-Martin, L‟ancien “Garnesium” ou le pays de Grenier, in: BSATG 16 (1888), p. 210-211. 19 P. Gayne, Dictionnaire des paroisses du diocèse de Montauban (Montauban 1978), p. 110. 20 Moulenq, o.c., t. 4, p. 250 - 251 ; Edmond Cabié, Sur le pays de Garnès, in: BSATG 15 (1887), p. 135-136. 21 Moulenq, o.c., t. 4, p. 300 - 301 ; Georges Passerat, Mille ans d’histoire des Verdunois, in : BSATG 116 (1991), p. 164. 18 4 Verdun. Cet archiprêtré fut démembré lors de la création du nouveau diocèse de Montauban en 1317, en une partie montalbanaise (Beaumont) et une partie toulousaine (Grenade). 22 C‟est donc entre Gimone et Garonne qu‟il faut chercher le territoire de Garnès, et par conséquent Cerrucium. Ensuite, Cerrucium doit être un castrum, une fortification. Il faut donc trouver un site stratégique, aisément défendable, sur la rive gauche, en Garnès. Or, Cordes-Tolosannes correspond parfaitement. Excellent site stratégique, situé sur un raide coteau au bord de la Garonne, délimité à l‟est, au nord et au sud-est par la Garonne, au sud et au sud-ouest par le ruisseau du Tailleur, au sud par une dénivellation facilement défendable, Cordes-Tolosannes se prête admirablement à la construction d‟une fortification. Du haut de Cordes, on a une vue étendue sur toute la plaine de la Garonne, jusqu‟aux coteaux du Quercy et le pays toulousain au sud. On sait qu‟au XIVe siècle le village de Cordes était encore remparé.23 Enfin, l‟étude des possessions et des dépendances de l‟abbaye de Moissac apporte un argument de poids en faveur de Cordes. Dans mon ouvrage Apogée de Moissac, j‟ai consacré un chapitre entier à la localisation des dépendances de l‟abbaye de Moissac. Cette étude m‟a donné (de façon inattendue !) un argument de taille pour situer Cerrucium à Cordes-Tolosannes. En effet, en étudiant les listes des dépendances de l‟abbaye de Moissac, on découvre assez rapidement que celles-ci sont établies suivant une certaine structure rédactionnelle, et que les noms sont toujours copiés dans le même ordre. Autrement dit, on reprenait à chaque fois les mêmes listes, tout en les adaptant le cas échéant, en fonction des pertes, des acquisitions ou des échanges réalisés par l‟abbaye. Il s‟agit, pour le cas qui nous occupe, des textes suivants : a) la bulle de 1096 du pape Urbain II, texte qui ne donne pas de liste complète des dépendances de Moissac, mais seulement les dépendances tombées entre les mains de laïcs, et que le pape demande de rendre à l‟abbaye24 ; b) un état des églises, appartenant à Moissac, mais usurpées par des laïcs, dressé probablement à la même époque, conservé seulement en copie dans le Répertoire d‟Andurandy25 ; c) la bulle de 1240 du pape Grégoire IX, qui donne une énumération complète des dépendances de l‟abbaye, rangées par diocèse26 ; d) la liste des dépendances de l‟abbaye de Moissac, établie par Aymeric de Peyrac dans sa Chronique, sur la base, non seulement des bulles de 1096 et de 1240, qui ont été conservées, mais encore d‟autres documents d‟archives de Moissac, dont certains sont perdus. Cette liste est établie par ordre d‟importance des établissements : abbayes, prieurés conventuels, prieurés non-conventuels, églises et chapelles.27 Présentons-les sous forme synoptique pour la partie qui nous intéresse : a. ... ecclesiam de Afiniano, de Corduba, de Bisingis, de Monteberterio ... b. ... alia de Afiniano, ... alia de Corduba, alia de Besingis, alia de Monteberterio, ... c. .... d. ... de Affinianis, de Corduba, de Bisingis, de Affiniano, Sancti Petri et Sancti Aviti, de Besignis, de Monteberterio, ... de Monteberterio ... 22 Moulenq, o.c., t. 4, p. 315 - 316. F. Galabert, Villages fortifiés durant le XIVe siècle dans l’étendue du Tarn-et-Garonne, in : BSATG 29 (1901), p. 333 - 344. 24 On consultera la version originale, non-interpolée : Paris, Bibliothèque Nationale, collection Doat, vol. 128, f. 257r - 259r. 25 Moissac, Archives Municipales, Répertoire d‟Andurandy, 1655. 26 L‟édition la plus récente de ces bulles se trouve chez : Axel Müssigbrod, Die Abtei Moissac 1050 - 1150. Zu einem Zentrum Cluniacensischen Mönchtums in Südwestfrankreich (Münster 1988 = Münstersche Mittelalter-Schriften, Band 58), p. 337 351. Cet auteur ne fait pas d‟efforts pour localiser les possessions de Moissac. 27 Chronique d‟Aymeric de Peyrac, o.c., f. 162ra - rb. 23 5 On le voit : à l‟endroit précis où les textes parallèles de 1096 et de 1240, entre Finhan d‟un côté, et Bessens et Montbartier de l‟autre, portent Corduba (Cordes-Tolosannes), la Chronique d‟Aymeric de Peyrac donne “Saint-Pierre-et-Saint-Avit”, le vocable de Cerrucium ! Aujourd‟hui encore, CordesTolosannes possède une église Saint-Pierre.28 La question du vocable multiple ne doit pas nous obnubiler. La chose était très courante. Donnons pour exemple simplement l‟église Saint-Michel de Moissac, qui, dans un acte du 3 septembre 979/986, porte le triple vocable “des Saints Archanges Michel, Gabriel et Raphael”,29 mais qui continue tout au long de l‟histoire ultérieure de s‟appeler simplement „Saint-Michel‟. Il ne nous reste qu‟un problème. C‟est la question de la source d‟Aymeric de Peyrac. Notre chroniqueur, comme je l‟ai exposé dans l‟Introduction à l‟édition de sa Chronique, avait encore à sa disposition un certain nombre de documents d‟archives que nous ne possédons plus. Etant donné qu‟Aymeric de Peyrac travaille sérieusement, il y a de bonnes raisons pour accorder à notre abbéchroniqueur au moins un préjugé favorable.30 Avec Finhan et Bessens, donnés à l‟abbaye de Moissac en mai 680,31 Cordes-Tolosannes, donné en mars 847, appartient aux plus anciennes dépendances de Moissac. La mention dans la bulle de 1096 prouve que l‟église de Cordes était tombée entre les mains de laïcs. Sa mention dans la bulle de 1240 prouve qu‟elle avait été restituée à Moissac. Nous pouvons en conclure que Cordes-Tolosannes est bien une ancienne dépendance de l‟abbaye de Moissac. Mais, après le XIIIe siècle, les archives ne nous apprennent rien de plus. Cordes-Tolosannes a dû passer assez vite dans le giron de Belleperche. 32 Pourtant, au XVIIIe siècle, Cordes est toujours considéré par le chapitre de Moissac comme une ancienne possession moissagaise, usurpée, disait-on alors, par l‟évêque de Montauban.33 Regardons enfin le second dispositif de la donation d‟Austorgue. Celle-ci concerne deux villae en Villelongue, Saint Porquier et la villa Gothorum. Si Saint-Porquier ne pose guère de problèmes, la localisation de la villa Gothorum n‟est pas évidente. Devals la situait à Escatalens.34 Levillain prenait la villa Gothorum pour Goudourville.35 Cette dernière localisation est impossible, puisque Goudourville, situé en terre agenaise, ne se trouve pas en Villelongue. Le nom de Villelongue s‟appliquait au territoire s‟étendant dans la plaine entre Tarn, Garonne, Tescou et Tescounet. 36 Parmi les donations que reçoit l‟abbaye de Moissac, quelques-unes sont expressément situées en Villelongue : Saint-Germain près de Castelsarrasin,37 Saint-Martin-Belcasse,38 Escatalens,39 et Saint-Rustice.40 On voit que le nom de Villelongue ne se limite pas à Castelsarrasin, comme le pensait encore Devals.41 A mon avis (mais ce n‟est qu‟un avis) la villa Gothorum serait plutôt, vu le contexte géographique, Gudor(e) ou Couture, lieu dit à 2 km au sud d‟Escatalens, endroit qui fait l‟objet d‟une nouvelle donation à Moissac en 954/986.42 28 Gayne, o.c., p. 48. Original perdu. Copie XVIIe siècle : Paris, Bibliothèque Nationale, collection Doat, vol. 129, f. 11r - 14v. 30 Chronique d‟Aymeric de Peyrac, o.c., Introduction, II, 2. 31 Charte de Nizezius, ADTG, G 570 (Andurandy 5962). Notice : Dufour 1972, o.c., p. 69. 32 Gayne, o.c., p. 48. 33 ADTG, G 588 (Andurandy 1668), p. 5. 34 Devals, o.c., p. 29. 35 Levillain, o.c., p. 31 - 32. 36 Moulenq, o.c., t. 1, p. XLIV. 37 Acte de 1114 : ADTG, G 571 (Andurandy 5799) : “... medietatem ecclesie sancti Germani, que est iuxta Garonnam, in Villa Longa ...” 38 Acte de 1003/1031 : ADTG, G 569 II, f. 2r : “.. Et est illa terra in Villa Longa, in vocabulo de Illa Landa, in termino Sancto Martino ..” 39 Acte du début du XIIe siècle : ADTG, G 692 (Andurandy 5811) : “... in tota Villa Longa ...” 40 Acte de 1107 : ADTG, G 717 (Andurandy 6136) : “... Est autem ipsa ecclesia in episcopatu Tolosano, in confinio ubi dicitur in Villa Longa, edificata sive constructa in honore et nomine Dei Omnipotentis, et beate Marie semper Virginis, et beati Petri apostolorum principis, et beati Rustici Dei martiris atque pontificis ...” 41 Devals, o.c., p. 27 - 32. 42 Original perdu. Copie XVIIe siècle : Paris, Bibliothèque Nationale, collection Doat, vol. 129, f. 11r - 20v. 29 6 Tous les endroits cités dans la donation d‟Austorgue sont situés tout près les uns des autres : l‟observateur qui se trouve sur le piton de Cordes a une vue plongeante et panoramique sur SaintPorquier et Escatalens, à 3 km seulement de Cordes (notre photo). Si Cordes-Tolosannes me semble être une identification parfaite pour Cerrucium, je me garderai bien d‟être trop affirmatif. J‟ai seulement voulu apporter un certain nombre d‟arguments qui plaident en défaveur des localisations avancées jusqu‟à ce jour, et en faveur de Cordes-Tolosannes. Au lecteur d‟en peser le pour et le contre. Vue sur la vallée de la Garonne, du haut de Cordes-Tolosannes. Au milieu de la photo, la Garonne, aujourd’hui domestiquée par des berges empierrées (photo de l’auteur). 7