Un malheur de vient jamais seul

Transcription

Un malheur de vient jamais seul
Mortel Polar un projet de Mortelle Soirée
Écriture participative et interactive
d'une nouvelle policière
Carte Cimes
Mortel Polar 2
Chapitre 2
© Ludi Sensu 2016
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Un malheur ne vient jamais seul
Jean-Luc renversa presque sa tasse en entendant le cri.
Il sortit, déterminé à remonter les bretelles à celui qui avait hurlé, troublant son second ca fé du matin, le plus sacré, celui qui signifiait que le petit-déjeuner était terminé, que les
clients allaient partir et qu’il pourrait profiter de quelques instants de calme avant le repas
du midi et les arrivées de fin de matinée.
Parvenu à la terrasse en bois du refuge, il remarqua que tous les membres du petit groupe
de fêtards regardait dans la même direction, interloqué pour la plupart, amusé pour
quelques-uns.
Il se tourna vers le lac et vit un jeune remonter en courant, visiblement paniqué. Jean-Luc
dévala les marches qui menaient au chemin. Il avait toujours été un homme d’action, impulsif, fonçant sans réfléchir – ce pouvait s’avérer bien utile en cas de danger. Et la frayeur
que dégageait le visage blême du jeune homme certifiait que quelque chose de grave
s’était produit.
La dernière marche franchie, Jean-Luc croisa le regard de Sanjay. Ils travaillaient en semble depuis assez longtemps pour ne pas avoir besoin de discuter dans ces cas-là. La
décision fut partagée et immédiate : Jean-Luc descendrait voir ce qui s’était passé, Sanjay
ferait parler le garçon.
Jean-Luc se précipita vers le lac que pointait Adrien d’un doigt tremblotant. Il ne lui fallut
pas une minute pour arriver au corps et s’arrêter net.
Jean-Luc observa l’homme qui gisait dans l’eau, sans oser s’approcher.
Il n’avait été confronté qu’une fois à un cadavre dans sa vie. Il n’était encore qu’un gamin
de sept ans, en vacances dans de la famille, dans une campagne aride et vaste. L’été
s’était montré presque caniculaire et les champs jaunes, desséchés, s’étendaient à perte
de vue. C’était un spectacle irréel pour un enfant qui n’avait jamais connu que la montagne grise et blanche qui s’élevait sans fin vers le ciel. Ici, du plat, partout, couvert d’une
végétation qui souffrait de la température.
Il se trouvait chez un oncle ou un cousin de ses parents, il n’avait pas bien saisi à
l’époque. Tout ce qu’il savait, c’est que ces gens qu’il voyait pour la première fois vivaient
très différemment et étaient occupés à travailler du matin au soir, ne ménageant pas leur
peine pour aller arroser, vérifier, couper, s’activer dans tous les sens…
C’était en fin d’après-midi que l’oncle – ou le cousin, il n’avait finalement jamais vraiment
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su – s’était effondré en se tenant la poitrine. Il ne paraissait pas vieux et on lui avait expli qué ensuite que le surpoids ne faisait pas bon ménage avec la suractivité.
Jean-Luc était là quand l’imposante carcasse s’était affaissée. Il avait tout de suite senti
que ce n’était pas un jeu mais il n’avait pas su que faire. Trop jeune pour réagir impulsive ment, à l’époque… Il s’était contenté de regarder le corps inerte, n’osant pas le toucher,
n’osant pas le quitter des yeux.
Il en avait fait des cauchemars pendant des mois, se réveillant trempé après avoir cru que
le mourant se retournait brusquement, tendant les bras vers lui pour l’emmener vers l’audelà…
Si Jean-Luc avait passé l’âge de croire aux morts-vivants et croquemitaines, le corps sans
vie le mettait tout de même mal à l’aise. Ici, des accidents pouvaient survenir, surtout en
hiver. Un skieur qui voulait attirer l’attention en allant trop vite, un débutant qui ne parve nait pas à éviter un arbre… Mais ce n’étaient jamais que de petits incidents... Au pire, des
fractures…
Il prit sur lui pour s’en approcher, persuadé que cela ne servait à rien. Les chairs qu’il pouvait apercevoir avaient blanchi et l’homme était indéniablement mort. A tous les coups, le
PGHM allait débarquer : Sanjay n’allait pas manquer de les prévenir en écoutant l’histoire
d’Adrien… Jean-Luc avait déjà hérité du sobriquet « la buvette des alpages », il n’imaginait
pas ce qu’il allait devoir endurer désormais…
Il s’en voulut d’avoir ces préoccupations face à un défunt et se concentra sur l’homme. Il
s’agissait d’un des deux caméramen. Jean-Luc l’avait déduit à ce qu’il pouvait voir du vi sage, des habits, mais surtout de la caméra qui dépassait à peine de l’eau.
Ses pensées tournaient rapidement tandis qu’il regagnait le refuge. Qu’est-ce que ce type
pouvait bien faire là à cette heure-là ? Il avait filmé le ravitaillement, avait décidé de profiter
d’une nuit aux frais de sa chaîne… Il avait bien demandé l’autorisation de filmer le bâtiment, les convives et les employés mais du lac, la vue n’était pas la meilleure. Ni sur la
bâtisse ni sur le lever du soleil…
La vivacité d’esprit de Jean-Luc était à l’image de son impulsivité corporelle. Il réfléchissait
toujours vite à tous les cas de figure. Et il écarta très rapidement celui de l’accident.
L’homme avait de la cervelle qui lui sortait à l’arrière du crâne, bon sang ! Près d’un lac !
Aucun obstacle à l’horizon ! Il fallait que quelqu’un l’ait frappé par-derrière, c’était obligé…
Quelqu’un qui se trouvait encore ici. Ou qui était parti tôt ce matin ?
Il pressa le pas, cherchant à se débarrasser des pensées folles qui le traversaient. Il réflé chissait toujours trop vite, allait souvent trop loin et avait besoin du calme de Sanjay pour
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ne pas imaginer n’importe quoi. Même si, au vu de la caméra immergée, il paraissait parfaitement logique que le pauvre caméraman avait filmé quelque chose qu’il n’aurait pas dû
voir… Et que la personne concernée était prête au pire pour cacher la vérité…
Etonnement, les gens ne paraissaient pas choqués – sûrement parce qu’ils n’avaient pas
vu le corps… Le jeune Adrien avait presque retrouvé son calme et se faisait moquer par
ses amis pour son manque de courage.
Les touristes qui avaient dormi ici s’étaient regroupés à quelques pas. Les discussions
semblaient avoir pris un ton badin. Personne ne sachant ce qui s’était réellement passé,
tous retombaient dans les débats de la veille, cette mort donnant de nouveaux arguments
aux dangers de la montagne, les bons et les mauvais alpinistes… La technologie, elle, regagnait des points puisqu’elle permettait de prévenir les autorités rapidement…
Sanjay s’approcha de Jean-Luc.
- Le PGHM va arriver.
Comme prévu, pensa Jean-Luc. Ce Sanjay était définitivement une perle rare, à la réacti vité particulièrement efficace.
- Ils m’ont demandé de ne laisser partir personne.
- Ils sont gentils… Je ne vais pas m’amuser à aller chercher les Catalans et la Tchèque.
Et… Il en manque deux autres, non ?
- Oui, deux personnes qui s’étaient montrées discrètes durant la soirée. Je les ai aperçus
se disputer près du lac mais je ne connais pas leur nom. Ils ont réglé en espèces…
- On est bien, avec ça, tiens… Bon, on va proposer à tout le monde un truc chaud pour se
détendre…
Jean-Luc avait déjà fait un pas mais Sanjay l’arrêta, tournant le dos aux membres pré sents. De cette façon, ils ne pouvaient pas le voir discuter d’eux et Jean-Luc pourrait les
étudier naturellement.
- Il faut que je te dise… Tu vois le grand rouquin ? Le type qui parle anglais et qui est ran donneurs comme moi je suis danseuse au Bolchoï…
- Ouais…
- Je ne sais pas ce qu’il vient faire ici mais certainement admirer les petits oiseaux… Il
cache un fusil à lunette dans son sac à dos. Et ça, c’est généralement pas pour aller offrir
des cadeaux à de bons amis…
Jean-Luc observa le groupe, espérant qu’on ne remarquerait pas trop qu’il fixait attentive -
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ment celui que Sanjay lui avait décrit. Un caméraman mort, c’était bien assez, il n’avait
pas besoin en plus d’un tireur d’élite venu jouer au sniper à la montagne.
Il envisageait déjà les raisons possibles de sa présence dans ces lieux – un assassinat du
maire, l’arrivée de quelqu’un d’important – mais le visage de Sanjay changea. Il se
concentrait sur un point, loin derrière Jean-Luc. Les unes après les autres, toutes les per sonnes dans son champ de vision regardaient au même endroit.
Il se retourna et vit, comme tout le monde, les Catalans remonter en courant, faisant de
grands gestes. Mais ils n’étaient que trois hommes : le couple gay et le mari, les suivant à
quelques pas. Aucune trace de la femme.
Jean-Luc frissonna. Il ne le sentait pas du tout, ce coup-là. Les choses tournaient mal depuis le matin et il était persuadé que ça allait continuer. Ce qui s’avéra vrai.
L’un des deux homosexuels accéléra pour rejoindre le groupe. Il s’exprima dans un fran çais parfait que seul le manque de souffle rendait difficilement compréhensible.
- Il faut… Il faut venir… Sa… Elle est… Un accident… Sa femme… Probablement morte…
La journée s’annonçait longue et Jean-Luc regrettait amèrement de ne pas avoir fini son
second café.
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