Chercheur-es sous haute tension - Penser la science

Transcription

Chercheur-es sous haute tension - Penser la science
Les conditions du travail scientifique :
expériences de chercheur-e-s.
Bernard Fusulier (FNRS-UCL)
Contact:
[email protected]
Samedi 9 mai 2015 ULB
Penser la Science
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S’engager dans l’Université
 Traditionnellement
• Un champ scientifique (Bourdieu)
• Une "greedy institution" (Coser)
• Un modèle « ou ou »/division sexuelle du travail
légitime/ethos du devoir vs modèle « et et »/revendication à
l’égalité entre les sexes/ethos de l’épanouissement
 Avec en plus cette dernière décennie
• Une nouvelle régulation sous le leitmotiv de l’"excellence":
productivity (publish or perish), competitivity (mondiale),
accountability (rendre des compte en permanence), mobility
(inscription internationale).
• Précarité professionnelle et croissance du bassin de
concurrence pour les postes définitifs
2
Un programme de recherche
• L’expérience des postdoctorants
• Focus sur les chargé-e-s de recherches du FNRS
• Enquêtes par questionnaires et entretiens avec des chercheur-e-s
• Quelques publications qui en découlent:
Fusulier, Bernard ; Del Rio Carral, Maria. Chercheur-e-s sous haute tension. Vitalité,
compétitivité, précarité et (in)compatibilité travail/famille., Presses Universitaires de Louvain:
Louvain-la-Neuve, 2012.
Del Rio Carral, Maria ; Fusulier, Bernard. Jeunes chercheurs face aux exigences de disponibilité
temporelle. In: Temporalités : Revue de sciences humaines et sociales, Vol. 18, 2013.
Fusulier, Bernard et al. Conjugalité/parentalité et carrières scientifiques à l'épreuve de la
mobilité chez les couples de chercheur-e-s. In: Merla, L., François A. (dir), Distances et liens,
Academia-L'Harmattan S.A.: Louvain-la-Neuve, 2014
Barbier, Pascal ; Fusulier, Bernard. L’interférence parentalité-travail chez les chercheur-e-s en
post-doctorat : le cas des chargé-e-s de recherches du Fonds National de la Recherche
Scientifique en Belgique. In: Sociologie et sociétés, (2015) (Accepté/Sous presse).
3
Un métier prégnant avec un emploi
précaire
• Rapport au travail et relation de travail: ++
Extrait 15. Alors actuellement, plus exactement, je me force à ne pas travailler le week-end, parce
que c’est un métier qui est difficile pour ça, il n’y a pas vraiment de distance entre le travail,
entre le boulot et puis ce qu’il y a à côté, donc les loisirs. On est un peu tout le temps baigné
dans ce qu’on fait parce que la distance entre ce que l’on fait par passion ou par plaisir, ce qui
doit être un peu le cas, au début en tout cas quand on fait de la recherche, est tenue aux autres
activités qui nous occupent et qui ne touchent pas à notre boulot. Donc pour ça, je me force à
ne plus travailler le week-end, sauf exception, si on a une échéance, si on a un papier à rendre,
une conférence à faire, si on a un cours à donner le lundi matin et là alors, on doit bien travailler
le week-end.
• Rapport au salaire : + ou Commentaire 3. Les postes fixes sont rares et demandent des critères de sélection de plus en plus
difficiles à atteindre. Pour quelqu’un qui a fait près de dix ans d'études, le salaire n'est
absolument pas attrayant. Le privé offre des salaires de 1,5 fois à 2,5 fois plus importants.
Aucun avantage supplémentaire n'est accordé : assurance pension, assurance complémentaire,
chèques-repas, voiture de société, etc., avantages omniprésents dans le privé.
• Rapport au statut: Commentaire 16. La carrière scientifique est un stress permanent : « publish or perish », toujours
être dans le top de son domaine de recherche est assez pesant ‒ instabilité de l'emploi. Vivre
sur des contrats de deux ans, ce n'est pas une vie stable permettant d'avoir des projets à longs
termes. Les postes fixes sont rares et demandent des critères de sélection de plus en plus
difficiles à atteindre).
• Rapport à la concurrence entre jeunes chercheurs : pour un
chercheur sur deux c’est un frein dans sa volonté à s'engager
dans une carrière scientifique
• Plus de 90% visent un poste permanent dans la recherche
Tableau 3. Estimation de la probabilité (en %) d’obtenir un poste
• Mais …
permanent/Statut parental selon le sexe
Si vous visez un poste permanent dans la recherche universitaire, à quel pourcentage estimezvous la probabilité de concrétiser cet objectif professionnel ?
Situation privée
Moyenne N Écart-type
Mère
42,28 39
29,456
Femme sans enfant 52,26 42
25,633
Père
61,85 34
26,686
Homme sans enfant 54,80 70
24,390
Total
52,88 185 26,769
Médiane Minimum Maximum
30,00
5
99
50,00
5
99
65,00
10
100
50,00
10
100
50,00
5
100
Une tension travail/famille
• 67 % des répondants jugent que leur vie professionnelle
empiète sur leur vie privée et familiale, sentiment
présent chez 77 % des mères.
• Pour 44 % des mères, ce sentiment d’empiétement joue
aussi dans l’autre sens : un empiétement de la vie
familiale sur la vie professionnelle
• Pour un peu moins d’une mère sur deux, le vécu d’un
conflit entre la vie professionnelle et la vie familiale
constitue un facteur qui les inciterait à réorienter leur
carrière
• 82 % des mères et 71 % des femmes sans enfant
estiment qu’avoir un enfant est un obstacle pour le
développement de la carrière, mais ce taux tombe à 46 %
pour les hommes sans enfant et 41 % pour les pères
4 logiques dans le rapport à la carriere scientifique
CONTINUUM ENTRE ENGAGEMENT ET DÉSENGAGEMENT
1. Le rapport engagé au métier
la recherche comme priorité de vie
2. Le rapport optimiste au métier
la conciliation travail-famille
3. Le rapport ambivalent au métier
le conflit travail-famille
4. Le rapport désengagé et distant au métier
incertitude en relation à la carrière
7
La régulation de la carrière
scientifique …
Globalement, la carrière scientifique favorise chez les chargé-e-s de
recherches l’engagement couplé à une grande liberté de pensée,
d’action et d’organisation
C’est « un dispositif qui libère en même temps qu'il régule […] le rôle du
dispositif n'est pas de contraindre à un type de comportement
déterminé, mais d'organiser un espace d'effectivité de comportements
librement choisis, mais en accord avec les finalités déterminées »
FUSULIER/LANNOY, 1999 : 189-190
En ce sens, la politique scientifique organise la performance sans passer
par la contrainte directe
La combinaison du plaisir que procure le travail scientifique, de la liberté
qui le caractérise, du désir de rester dans le métier et de la mise en
concurrence pour des postes rares met ces chercheurs sous haute
tension
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Trois faiblesses du dispositif …
1) Du fait de la concurrence entre jeunes chercheurs, il crée une
inquiétude quant à la réelle opportunité d’obtenir un mandat
permanent/définitif.
2) Il engendre un tiraillement entre la temporalité professionnelle
et les temporalités privées, ce qui peut avoir des effets dissuasifs
sur des chercheurs qui ne sont pas disposés à faire tous les
sacrifices (et à les faire peser sur leurs proches) que requiert
aujourd’hui une hypothétique stabilisation professionnelle.
3) Il risque pour ces raisons de retenir dans son filtre des
chercheurs à très haut potentiel.
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Pistes de réflexion:
Comment contrer ces faiblesses ?
Ne faudrait-il pas …
mieux calibrer le bassin de concurrence ?
assurer la mise en place des fonctions intermédiaires alternatives?
revenir sur les critères d’évaluation du travail du chercheur –
notamment en matière des publications et de mobilité? Ex.
favoriser la figure du chercheur patient publiant à bon escient, reconnaître
mieux la multidimensonnalité, favoriser les brefs séjours…
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Merci pour votre attention !
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