En 2010, la productivité pharmaceutique a touché son plus
Transcription
En 2010, la productivité pharmaceutique a touché son plus
Tirage: 45883 Poids: Ouverture de la page de couverture/ des pages 28. juin 2011 PAGE UNE La pharma à la peine C’est une tendance lourde que révèle l’institut de recherche Thomson Reuters. La productivité pharmaceutique en 2010 est à son plus bas niveau depuis dix ans. Conséquence, les sociétés réduisent leurs budgets de recherche. L’effort financier pour trouver les molécules qui feront les nouveaux médicaments a baissé d’environ 3%. --ECONOMIE & FINANCE, PAGE 15 En 2010, la productivité pharmaceutique a touché son plus bas niveau depuis dix ans Willy Boder > Recherche Seules 21 nouvelles molécules ont été lancées l’an dernier > Plusieurs grandes pharmas réduisent leurs budgets scientifiques L’institut de recherche Thomson Reuters a confirmé lundi, dans son étude 2010, une tendance lourde qui inquiète les grandes entreprises pharmaceutiques. La productivité scientifique, mesurée au nombre de nouvelles molécules approuvées par les autorités d’homologation, continue à chuter. En 2010, seuls 21 nouveaux médicaments ont été lancés sur le marché mondial, contre 26 l’année précédente. «Il s’agit du niveau le plus bas depuis dix ans en provenance des grandes entreprises», constatent les auteurs du rapport. La tendance à la baisse de productivité se poursuit malgré le changement de stratégie des grands groupes qui ont multiplié, ces dernières années, les collaborations avec de petites unités de recherche situées dans d’autres sociétés. L’inefficacité de la recherche et développement (R & D) est-elle le reflet de la difficulté scientifique à trouver des médicaments plus efficaces, ou est-ce plutôt la conséquence administrative de la trop grande prudence des autorités d’homologation (FDA aux Etats-Unis, EMA en Europe et Swissmedic en Suisse) face aux effets secondaires de nouvelles molécules finalement interdites de marché? Ce débat fait rage depuis plusieurs années sans que partisans et adversaires tombent d’accord. Mais il existe, plus de six ans après l’affaire «Vioxx» – du nom de cet analgésique fabriqué par Merck & Co, retiré du marché suite à de graves effets secondaires dus à une médication prolongée – une chute statistique indéniable. «On peut effectivement parler d’effet «Vioxx», explique Jürg Zürcher, analyste de la biotechnologie européenne chez Ernst & Young. Depuis 2005, les exigences posées aux groupes pharmaceutiques sont plus élevées, et les procédures d’homologation sont devenues beaucoup plus longues, complexes et coûteuses.» Entre 1996 et 2004, la FDA a approuvé une moyenne de 36 nouveaux médicaments par an. Depuis 2005, 1/3 ce nombre se situe à moins de 25. Entre 2008 et 2010, 55 projets en phase finale III ont été brusquement arrêtés, soit deux fois plus que les années précédentes. Une autre donnée de l’étude Thomson Reuters est encore plus significative: le nombre de médicaments entrés en phase III a diminué de 55%. Cela montre la crainte des groupes pharmaceutiques d’affronter les experts de l’homologation, alors même que les études cliniques préliminaires ont démontré un bon niveau d’efficacité et de sécurité du médicament. Novartis a par exemple récemment reçu un avis négatif d’un groupe d’experts de la FDA à propos d’un médicament innovant contre l’arthrite, alors que les analystes constatent que des produits avec les mêmes effets secondaires, mais moins efficaces, se trouvent sur le marché. Cette tendance au durcissement a désormais des effets sur les dépenses de recherche. Pour la première fois depuis des décennies elles diminuent. En 2010, 68 milliards de dollars ont été dépensés, soit 3% de moins que durant les années 2009 et 2008. Un groupe comme Roche suit cette tendance (–5%), alors que le numéro un mondial, Pfizer, a décidé de couper les ailes de son centre de recherche européen à Sandwich (GB) et fera passer son budget annuel global R & D de 9 milliards à 3 milliards de dollars. L’analgésique Vioxx a été retiré du marché fin 2004. Entre 1996 et 2004, la FDA a approuvé une moyenne (archives - © HACHETTE PHOTOS PRESSE ) 2/3 --- > Commentaire Un nouveau modèle à inventer W. B. Quelque chose ne tourne plus rond dans le subtil modèle scientifique et commercial du développement et de la vente de nouveaux médicaments. Pour la première fois, les dépenses de recherche sont sacrifiées. Cela montre la soudaine perte de confiance des grandes «pharmas» dans leur capacité d’innover. Cette frilosité, en partie provoquée par la soif de sécurité quasi absolue des autorités d’homologation des médicaments, est peut-être salutaire. Elle offre la chance d’une remise en question pouvant déboucher sur un nouveau modèle scientifique. Le ver est dans le fruit depuis longtemps car les retombées économiques sont inégalement réparties. La majorité des grands groupes pharmaceutiques affichent des bénéfices record alors que de petites sociétés innovantes de biotechnologie tirent le diable par la queue. Sans compter que les universitaires ont toutes les peines du monde à faire fructifier leurs recherches. Il est temps de rassembler les forces scientifiques, d’améliorer la transparence sur toutes les études cliniques de développement des médicaments, pour aboutir à une sorte de partage du savoir et des retombées économiques du secteur pharmaceutique. L’augmentation de la productivité est à ce prix. Une ou deux grandes «pharmas», qui commencent à tourner le dos à une stratégie de concurrence scientifique acharnée, l’ont déjà compris. © Le Temps 3/3