1 Michaël Jeremiasz Tennis en fauteuil Entretien : Paris, Août 2009

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1 Michaël Jeremiasz Tennis en fauteuil Entretien : Paris, Août 2009
Michaël Jeremiasz
Tennis en fauteuil
Entretien : Paris, Août 2009
2 – Le sport (partie 1)
Le tennis, tout le monde connaît. Quelles sont les différences avec le tennis en
fauteuil ?
Le tennis en fauteuil est né il y a vingt-cinq ans. Il faut avoir un handicap moteur, ne
pas avoir la possibilité de courir. Ce sont les mêmes règles, les mêmes terrains, les
mêmes raquettes, les mêmes balles, avec des matchs en trois sets. La seule différence,
c’est la possibilité d’avoir deux rebonds, sachant que le premier rebond doit être dans
le terrain.
C’est la seule différence ?
Oui. Et comme ton fauteuil est l’équivalent de tes jambes, tu peux faire une faute de
roue au service, ou perdre le point si la balle rebondit sur ton fauteuil.
Les fauteuils sont spéciaux ?
Oui, les fauteuils de sport ont un carrossage particulier, les roues sont inclinées, vingt
degrés en moyenne, ce qui permet un meilleur pivot. Les fauteuils sont sur mesure,
pour ceux qui sont au meilleur niveau, car le coût est important : quatre ou cinq mille
euros. Plusieurs athlètes au top niveau sont sponsorisés par les équipementiers
fauteuil. Ils sont plus légers, souvent en titane pour la résistance.
Et concrètement, en voyant quelques vidéos sur Internet, j’avais l’impression
qu’il y avait plus de points gagnants, et que les échanges étaient plus courts.
C’est une impression ?
Cela dépend des types de jeu et de surface. Certains vont ramer trois mètres derrière
la ligne de fond de court. Certains font presque service-volée. Moi, je suis dans le
terrain, c’est comme cela que je joue le mieux. Par rapport aux valides, même si cela
sert de mieux en mieux, il y a mois d’aces (N.d.A. : Un service que le retourneur ne
touche pas).
La balle tombe de moins haut…
Debout, je fais un mètre soixante-dix huit. Sur mon fauteuil, je fais un mètre trentehuit. Karlovic fait deux mètres huit, plus le bras tendu, plus la raquette : la balle
tombe de très haut.
C’est donc plus équilibré entre le serveur et le retourneur ?
Cela l’a été. Je suis la seule exception : je dois avoir le plus mauvais service du top
dix mondial, parce que j’ai des problèmes d’épaule depuis quelques années.
Heureusement qu’il y a le reste, sinon je n’aurais pas ce niveau. Mais, pour les
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meilleurs mondiaux, le service est vraiment une arme, et on parle de se faire breaker
(N.d.A. : quand le serveur perd son service), ce qui n’était pas du tout le cas quand
j’ai commencé, il y a dix ans. C’est le cas de quelques joueurs qui ont des gros
services.
Tu es sur le circuit depuis combien de temps ?
J’ai commencé le tennis en fauteuil depuis 2001, et je me suis lancé sur le circuit
européen en 2002, et sur le circuit international en 2003, et je suis pro. depuis 2004,
au moment où j’ai signé mon premier contrat avec le team Lagardère. Je pouvais dire
que j’étais pro. puisque mes revenus provenaient uniquement de mon sponsor et de
mes gains en tournoi.
C’est toi qui es allé à Lagardère ou c’est Lagardère qui est venu à toi ?
(Rires) C’est Lagardère qui est venu à moi. Le directeur du Paris Jean Bouin, avec
lequel Lagardère était partenaire, Richard Warmoes, m’avait appris à jouer au tennis
quand j’avais six ans. Il est ensuite parti enseigner à Jean Bouin, quand j’avais seize
ans. Quand j’ai commencé le tennis en fauteuil, j’étais au club de Montreuil, et je
cherchais un club, des partenaires. Il m’a proposé de venir à Jean Bouin, et il m’a
présenté Arnaud Lagardère. Il était partant tout de suite, et il m’a sponsorisé. D’année
en année, le sponsoring a augmenté. Lorsque j’ai gagné les championnats du monde
en 2005, il y a eu cette pleine page dans l’Equipe, que Lagardère avait achetée, avec
ma photo en grand. Quand on connaît le prix d’une page centrale, on se rend compte
de l’investissement.
C’est une vraie reconnaissance.
Oui.
T’arrive-t-il de t’entraîner avec des joueurs valides du team Lagardère ?
Je les croise tous les jours. Je connais Gaël Monfils depuis qu’il a cinq ou six ans. Il a
le même âge que mon petit frère qui joue au tennis aussi. Nous avons fait une petite
démo. à Roland Garros, en fauteuil tous les deux… Amélie Mauresmo, Richard
Gasquet, je les connais. Maintenant, cela n’a aucun intérêt, à part pour le fun, de
m’entraîner avec eux.
Combien de tennismen ou tenniswomen au fauteuil sont au team Lagardère ?
Au team Lagardère, je suis seul. Au Lagardère Paris Racing, il y a aussi mon
partenaire de double avec lequel j’ai gagné une médaille d’or aux Jeux, Stéphane
Houdet, et Florence Gravellier, la numéro un française de tennis en fauteuil.
Tu as joué au tennis en valide avant ?
Oui, j’ai joué entre cinq et dix-huit ans. J’ai eu un accident de ski à dix-huit ans, que
je pratiquais depuis l’âge de deux ans.
En loisirs ou en compétition ?
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À un très bon niveau amateur. Je n’étais pas très intéressé par la compétition, mais
nous pouvions partir avec un ami prof de ski, à Tignes ou à Val d’Isère, sur des
couloirs d’avalanche. J’avais un niveau qui me permettait de faire tout et n’importe
quoi, ce qui m’a d’ailleurs fait prendre des risques… J’ai pris un tremplin et je me
suis cassé les deux jambes et la colonne vertébrale. À dix-huit ans, j’étais
paraplégique. J’ai un peu récupéré, puisque je peux mettre debout et marcher un peu
avec un appui.
Quel était ton classement en tennis à ce moment-là ?
J’étais 5/6 (N.d.A. : deuxième série) ; je perfais à 3/6. Objectivement, si j’avais
continué, j’avais le potentiel pour être à la limite des classements négatifs (N.d.A. :
seconde série négative) : 0, dans ces eaux-là, peut-être pas -2/6 ou -4/6.
À ce moment-là, pensais-tu à devenir professeur de tennis ou…
Non, non, je ne voyais pas mon avenir dans le tennis. J’avais commencé une fac de
langues et je m’orientais plutôt dans cette direction.
Nous y reviendrons si tu veux bien, mais pour rester dans le tennis : tu as gagné
beaucoup de tournois, y compris des Grands Chelems, en simple et en double
avec des partenaires différents (au moins une fois tous les tournois du Grand
Chelem). Tu as aussi gagné le bronze en simple et l’argent en double à Athènes,
puis l’or en double à Pékin. Qu’est ce qui est le plus important pour toi ?
Les Jeux. Nous n’en sommes pas au même point que les valides… Encore que :
Federer a pleuré lorsqu’il a eu sa médaille d’or aux Jeux en double, et il n’a pas pleuré
quand il a gagné Wimbledon. Bon, il a pleuré à Roland Garros… Nous, ce sont les
Jeux Olympiques. La reconnaissance et la couverture médiatique sont beaucoup plus
importantes que pour n’importe quel autre tournoi du Grand Chelem. À Roland
Garros, les jours où nous jouons, beaucoup ne sont même pas au courant qu’il y a un
tournoi de tennis en fauteuil. Il y a un problème de communication au niveau du
tournoi et des médias.
Je ne regarde pas beaucoup la télévision, mais je n’en ai jamais vu. C’est
retransmis ?
Parfois oui. Plus à l’étranger, la BBC en Angleterre par exemple. Aux Jeux, France
Télévisions a couvert quelques instants, suite à notre médaille d’or. Il y a aussi
quelques images à l’Open de France. Sur Internet, on peut voir quelques petits clips
rapides. Il y a un gros déficit en termes de communication.
Tu as l’impression que cela s’améliore ?
Oui, oui, cela s’améliore depuis des années. Il y a plus d’investissement de nos
partenaires techniques, aussi parce que les médias sont plus présents. D’année en
année, les évènements sont un peu plus médiatisés, et il est maintenant possible de
trouver des sponsors, des partenaires qui nous suivent dans nos carrières. Nous
sentons une vraie volonté… La Fédération Française Handisport est un peu en train de
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lâcher du lest, parce que je crois que la FFT est également intéressée, pour nous
intégrer à la fédération avec les valides.
Ce serait un bien pour toi.
Oui, forcément. C’est une fédération riche et puissante, ce qui nous permettrait
d’avoir des conditions d’entraînement, de déplacement et d’accompagnement bien
meilleures. Avec leur réseau, cela permettrait aussi de développer le tennis en fauteuil
sur tout le territoire.
Tu as une idée du nombre de pratiquants en France ?
Il y a quelques centaines de licenciés. Il y a aussi pas mal de gens qui ne sont pas
licenciés parce qu’ils ne savent pas que cela existe. Quand j’ai tapé mes premières
balles, je ne savais même pas que c’était un sport qui se pratiquait en fauteuil.
Pour les Jeux Paralympiques, le tennis est assez « facile » à suivre. En simple
messieurs, il n’y a qu’une seule catégorie. Il n’y a pas…
Il y a en effet un gros problème avec les sports comme la natation ou le ping-pong,
qui ont plus de dix catégories.
D’un autre côté, c’est compréhensible…
Oui, c’est un vieux débat. Certains diront que c’est totalement injuste de faire
concourir un paraplégique et un tétraplégique. C’est vrai. Maintenant, toute personne
ayant un handicap a-t-elle la légitimité de prétendre à une médaille d’or. Je ne sais
pas. D’un côté, je trouve cela génial que la société dans laquelle nous vivons puisse
investir autant d’argent dans les Jeux Paralympiques – parce que cela coûte quand
même très cher – pour encourager et honorer la pratique du sport chez des athlètes
ayant des handicaps parfois très lourds. D’un point de vue purement professionnel, un
médaillé d’or, alors qu’ils ne sont que cinq dans la piscine… Que fait-on ? Du sport
de haut niveau ou on donne une médaille à un athlète parce qu’il est courageux ? Je ne
sais pas. Je pense que ce n’est pas à nous de le définir. Si j’étais tétraplégique et que
l’on me disait : « Tu vas nager avec les paraplégiques », j’aurais dit : « OK, je vais
nager pour le plaisir alors » et je ne ferais pas de compétition. D’un autre côté, c’est le
cas de toutes les personnes valides : il y a un million de licenciés en France au tennis ;
combien sont champions ? La base, c’est que le sport est fait pour le loisir, pour le
fun. En handisport, il y a beaucoup moins de concurrence que chez les valides, à
cause du nombre, si bien qu’on se dit : « Il n’y en a pas des millions devant moi,
seulement des centaines ». C’est « moins dur » ; on peut se projeter. Et comme il est
possible de gagner un peu d’argent dans certains sports, on se dit : « Tiens… ». Cela
pose un vrai problème.
En handisport, quels sont les sports pour lesquels la couverture médiatique est la
meilleure ?
Le tennis, je pense.
Peut-être l’athlétisme ponctuellement ?
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Oui, ponctuellement. Parfois, ils font des pics d’audience bien plus importants,
notamment avec Oscar Pistorius. Des athlètes peuvent concourir, plus ou moins, en
valides. Arnaud Assoumani, qui était aussi au Team Lagardère en saut en longueur, a
fini troisième aux championnats de France valides. Il est amputé au niveau de l’avantbras, ce qui ne lui a pas permis de développer le haut du corps d’une manière
symétrique. Ce n’est pas non plus une amputation de la jambe, même si c’est énorme
de faire cela... Ce sont des personnes dont on peut entendre parler. Le basket aussi,
parce que c’est le premier sport que l’on te fait pratiquer en centre de rééducation,
avec la natation. Mais si tu prends toutes les heures de médiatisation sur une année, la
couverture presse, le tennis occupe sans doute la première place.
Prochaine lettre :
Michaël Jeremiasz
3 – Le sport (partie 2).
© Loïc Henry / 2009 – 2010.
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