Les Prix de Rome et Concours du Conservatoire - Bruges-la

Transcription

Les Prix de Rome et Concours du Conservatoire - Bruges-la
Le Conservatoire
Des concours pour le prix de Rome ont eu lieu aussi dans les sections de sculpture et de gravure.
Les élèves viennent de sortir des loges après quatre-vingt-dix jours de travail. Ce n'est pas peu de
chose que cette incarcération durant trois mois, hypnotisé par la même œuvre qu'il faut finir à date
fixe. L'art ainsi a ses travaux forcés.
Pour la musique c'est la même chose, et l'élève qui veut réussir aux concours du Conservatoire dans
une classe d'instruments, le piano par exemple, doit pendant des années faire chaque jour ses 6 ou 8
heures de clavier Même ceux qui sont devenus des maîtres doivent continuer cette forcenée
gymnastique des doigts. Rubinstein lui-même confessait un jour ceci : « Si je ne faisais pas deux
heures de gammes par jour, je m'en apercevrais le soir même ; mes confrères s'en apercevraient le
lendemain et le public au bout de huit jours ! »
Mais le travail ne suffit pas, et aux récents concours du Conservatoire, qui ont occupé toute cette
semaine, présidés par le grave Ambroise Thomas, on a pu se convaincre combien les tempéraments
sont rares et combien la plupart se contentent de s'assimiler l'enseignement reçu et d'en être un
fidèle décalque.
Jamais, en art, l'esprit, presque le génie de l'imitation n'a sévi comme aujourd'hui. M me Thénard
racontait un jour, dans une conférence, qu'il y a toujours en permanence au Conservatoire de Paris
un assortiment complet de petits Gots, de petits Delaunay, de petites Sarah Bernahrdt, même de
petits Coquelin, car il est loin le temps où M lle Brohan, voyant concourir Coquelin, encore élève,
jetait les bras au ciel et s'écriait, elle, l'amoureuse du grand art et des belles lignes : « Comment,
avec un nez pareil, oser concourir, ambitionner le théâtre ? « Le nez en trompette a fait depuis le
bruit de cent clairons, et Mlle Brohan est oubliée, presque.
Avec l'esprit d'imitation, ce qui est la caractéristique, c'est l'infatuation, car plus d'un convenant de
sa ressemblance avec son maître, ajoute : « Oui ! Mais je fais mieux que lui ! Je pousse plus loin sa
manière ! »
Au concours de cette année il y a eu peu de surprises ou de révélations ; tout au plus Mle Berting,
gracieuse et fière, premier prix de comédie que M. Claretie a engagée pour le Théâtre-Français, où
elle joue les rôles d'ingénue, et aussi M. Cocheris, premier prix de comédie, qui va entrer à l'Odéon.
La raison de la médiocrité des concours actuels est facile à saisir : l'art n'est plus une vocation, mais
un métier, qu'on enseigne, qu'on apprend. Tandis que Rachel, elle, sans leçons ni conservatoire,
révélait un beau soir, d'un seul jet et du premier coup, son génie !
Maintenant qu'on a réduit l'art en formules, en leçons, à la portée de tous, tout le monde est dans
l'art. L'encombrement règne ici comme dans l'administration. Il y aura bientôt 5,000 acteurs pour 10
rôles, comme on vient de voir à la préfecture de la Seine, pour 10 places vacantes d'employés, 5,000
demandes officielles, avec, toutes, des titres et des recommandations sérieuses.
Décidément l'encombrement fait de plus en plus que chacun met les pieds dans le plat de son voisin,
et Paris va définitivement se composer, comme Mürger le présageait déjà, d'une moitié de gens qui
passent leur vie à demander cent sous en prêt à l'autre moitié qui passe sa vie à refuser.