Monday Morning
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Monday Morning
Semaine 15 Monday Morning L’aurore débute sous une pluie diluvienne. Une pluie à ne pas sortir, et pourtant, il le faut. Les obligations estudiantines n’attendent pas qu’il fasse beau. Il est donc 6h30 du matin et le soleil semble avoir quitté le ciel. Il fait noir, humide, et tout le monde est de mauvaise humeur. Un lundi matin, il est techniquement impossible d’être heureux à 6h30. Dès 7h, peut-être. Avant, non. Tous ces gens qui partent travailler ne rêvent que d’une chose à cet instant. Dormir. A 6h30, les gens sont des morts-vivants. Pourtant, l’activité débute à cette heure-ci, les cafetiers ouvrent, les serveurs servent, les chômeurs dorment. J’entre dans une boulangerie avec un garçon qui me sert de passe-temps le lundi matin. Chaque semaine, nous sommes dans le même bus, nous nous disons les mêmes choses, à quelques différences près, ensuite nous prenons le train, je supporte sa bêtise et lui, mon sommeil. Avant l’entrée en gare, nous disposons de quelques minutes. Nous en profitons pour déjeuner. J’entre dans la boulangerie, deux vieilles femmes sont à la caisse et ont un air blasé. Elles sourient, question de marketing. Un jeune homme d’une vingtaine d’année les accompagne, il est gros. Comment le décrire autrement ? Ses bourrelets dépassent de partout. Il semble vouloir se cacher derrière le comptoir mais c’est peine perdue, un miroir est placé dans son dos. Son visage est lisse, sans marques ni boutons, ses cheveux sont bruns et il est bien coiffé, avec du gel. C’est un garçon qui aurait tous les attributs recherchés s’il perdait 20 kilos. Je lui demande deux croissants et un beignet. Il est 6h34. Le garçon est poli, me sourit, mais je vois dans son regard qu’il est écoeuré, il s’imaginait certainement à une autre place. Mais il est là, dans cette boulangerie, il est triste, las, mais il sourit. Marketing. Je sors de cette boulangerie la boule au ventre. J’ai toujours une sensation bizarre après avoir pratiqué de telles analyses psychologiques sur ces gens que je m’imagine pouvoir décrire en un regard. Je me demande si je suis à mon tour, jugé d’une manière si partiale par d’autres. Je sors de la boulangerie avec mon « ami du jour », un petit rayon de soleil apparaît mais il est bien vite rattrapé par de gros cumulus grisâtres. Il pleut toujours beaucoup et comme si cela ne suffisait pas, le vent se lève. Nous sommes trempés. Glacés, nous montons sur le quai en feuilletant l’un de ces journaux gratuits pathétiques. Zahia a fait la couverture de Paris Match pour environ 50'000 euros. Le monde devient fou. Une femme couche avec un homme qui sait plus ou moins jouer avec un ballon de football, et la notoriété est acquise ! La civilisation occidentale est vraiment effroyable. Taille fine, jolie sourire, et surtout, par-dessus tout, très important, très grosse poitrine ! Marketing… Tout le monde sur le quai est plongé dans cet article, la blonde pulpeuse réveille en douceur les ardeurs de la gent masculine mais plus étrange encore, les femmes lisent, et ne semblent même pas moqueuses. Elles s’y intéressent aussi ! Dans les brumes matinales, il n’y a pas de place pour le féminisme. Le train entre en gare. C’est toujours le même rituel pour moi. Je m’avance de quelques pas, jusqu’à la ligne blanche de sécurité et je vois ce mastodonte d’acier approcher tout en appuyant sur les freins. J’avance de quelques centimètres encore, personne ne le voit mais j’ai dépassé la ligne. L’avant du véhicule est proche, là, un éclair me vient en tête, je pourrais sauter. La puissance de l’engin ne me laisserait aucune chance, je serais broyé dans l’énergie pure. Les gens ne sont pas sur leur garde, incapables de me retenir à temps, ce serait si facile. Cette idée traverse mon esprit à chaque entrée en gare. Je peux être très heureux, l’idée m’interpellera quoi qu’il arrive. Peut-être la soif de l’inconnu, l’envie d’aventure ? Je ne sais pas répondre à cette question. Pourtant je ne saute pas. Le train arrive, un frisson parcourt mon corps, j’imagine ma mort, le choc frontal avec cette masse indestructible, je repense à mes projets terrestres, aux gens que j’apprécie, et puis, je me retire. Le train est passé et se stoppe gentiment. Il me faut un instant pour reprendre conscience, dans mon cerveau, je suis passé près de la mort mais personne ne l'a vu. Un suicide intérieur et invisible pour commencer la semaine en beauté. Nils