Regard d`un juriste sur quelques questions soulevées dans le

Transcription

Regard d`un juriste sur quelques questions soulevées dans le
Regard d’un juriste sur quelques questions soulevées dans le
domaine de la bioéthique : mission de la loi civile, principes et
dérogations, souffrances individuelles et montée des droits
subjectifs 1
Par Laurent LEVENEUR
Professeur de droit civil
à l’Université Panthéon-Assas Paris II
Cette communication s'inscrit dans la préparation de la révision de la loi du 6 août 2004
relative à la bioéthique. On le sait, la technique de la loi révisable a été utilisée lors du vote de
cette loi : le législateur a prévu que le texte qu’il adoptait serait soumis à révision dans les cinq
ans après son entrée en vigueur ; il n’est pas exclu toutefois que le processus de révision dure
éventuellement longtemps : il suffit de se remémorer le précédent de la loi n° 94-654 du 29 juillet
1994, dont la révision était également prévue dans les cinq ans, mais qui finalement n'est survenue
qu'en 2004.
Le Président de la République et le Gouvernement ont fait savoir le 16 juillet 2008 qu'ils
voulaient un débat public avec la participation des citoyens : des états généraux de la bioéthique
ont été annoncés pour le courant de l'année 2009. On peut noter que cette volonté d'ouvrir le
débat est en pleine conformité avec l'une des exigences de la convention dite d’Oviedo de 1997 2 .
Il va donc de soi que l'éclairage et les positions de l'Eglise auront leur place dans ce débat.
En vue de la préparation à cette participation, Mgr Pierre d’Ornellas, qui préside le groupe
de travail « Bioéthique » de la Conférence des Evêques de France, a souhaité l’intervention d’un
juriste sur quelques grandes questions qu’il a décelées en ce domaine et que j'ai essayé de
regrouper en trois thèmes.
I Quelle est la mission de la loi civile de façon générale, et ici tout particulièrement ?
II On rencontre en matière de bioéthique de grands principes et des dérogations à ces
principes. Or principes et dérogations sont-ils toujours conciliables ?
III Enfin, quelle peut être la position de la loi civile face aux souffrances individuelles ?
Ce texte est issu d’une communication orale présentée devant l’Assemblée plénière de la Conférence des
Evêques de France, à Lourdes, le 6 novembre 2008.
2 Convention d’Oviedo pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard
des applications de la biologie et de la médecine, Conseil de l’Europe, 4 avril 1997 (convention entrée en
vigueur en 1999, signée par la France mais non encore ratifiée par elle), art. 28 : « Les Parties à la présente
Convention veillent à ce que les questions fondamentales posées par les développements de la biologie et
de la médecine fassent l’objet d’un débat public approprié (…) »
1
1
I.- Quelle est la mission de la loi civile ?
La question se pose de façon générale : quand et pour quoi légiférer ? Elle se pose tout
particulièrement en matière de bioéthique : faut-il légiférer en ce domaine ?
La question du but, des finalités du Droit est une question classique, mais très difficile.
On sait ce qu'est le Droit : un ensemble de règles de conduite applicables aux hommes vivant en
société et dont l'inobservation déclenche des sanctions étatiques. Mais quelles sont ses
fondements, ses finalités ? Il est beaucoup plus délicat de le préciser. Cependant, aussi difficile
qu’elle soit à cerner, c’est tout de même la finalité des règles de Droit qui contribue
classiquement à les distinguer des autres règles de conduite, spécialement de la morale.
On enseigne traditionnellement que le but du Droit est de régler les relations extérieures
des hommes entre eux, pour y faire respecter l'ordre, si possible la justice, et assurer le bien commun 3
(par exemple en cherchant à favoriser l'utilité économique afin que tous trouvent un emploi ; en
protégeant l'environnement dans l'intérêt de tous). Bref le juste et le bon (ce qui est bon pour la
société) : on rejoint là l'autre définition du Droit : Jus est ars aequi et boni.
La morale, ou l'éthique si le mot morale inquiète –mais c'est la même chose… ; le mot
inquiète pour tout ce qui touche aux personnes, à leur vie privée : on préfère parler d'éthique
dans ce secteur : éthique de la procréation médicalement assistée, bioéthique 4 ; en revanche le
mot n'inquiète pas s'agissant des affaires : on n’hésite pas à parler de morale des affaires, de
moraliser les affaires, de moraliser les rémunérations des patrons, etc.- a pour but, dit-on
lorsqu'on s'efforce de la distinguer du Droit, la justice, la vertu, la charité ; son domaine n'est pas
identique à celui du Droit, car elle vise à perfectionner l'homme ; elle attend de lui un
dépassement : il ne s'agit plus de s'intéresser seulement aux relations extérieures des hommes
entre eux, mais aussi à leur for intérieur.
Ainsi le Droit et la morale sont parfois représentés par deux cercles qui ne se recoupent
qu’en partie. Dans le domaine de chevauchement se trouvent toutes les règles qui sont à la fois
morales et juridiques, car elles représentent des devoirs moraux consacrés par le Droit et
sanctionnés étatiquement (par exemple la prohibition de l’homicide ou du vol). Dans le domaine
propre du Droit prennent place des règles juridiques qui ne correspondent pas à des
préoccupations morales, mais seulement à la finalité du Droit d’assurer l’ordre ou le bien
commun (par exemple la règle qui impose de circuler à droite sur les routes de France ; non pas
que rouler à droite ou à gauche soit une question de morale, mais il faut bien choisir une
organisation et l’imposer pour que la circulation puisse se dérouler harmonieusement). Dans le
domaine propre de la morale se trouvent des devoirs moraux qui ne sont pas juridiquement
consacrés (par exemple un précepte moral interdit de convoiter rien de ce qui appartient à son
prochain, tandis que le Droit ne s’intéresse pas à la simple convoitise, tant du moins qu’elle est
C'est-à-dire cet ensemble de conditions sociales qui permettent tant aux groupes qu’à chacun de leurs
membres, d'atteindre leur perfection d'une façon totale et plus aisée, selon la définition qu'en a donnée le
concile Vatican II.
4 C’est le mot, remarquons-le, qui a été employé dans le titre de la loi du 6 août 2004 « relative à la
bioéthique ». Expression pourtant étonnante, lorsqu’on y réfléchit, dans l’intitulé d’une loi, dont l’objet
est d’édicter des règles de droit : un droit de l’éthique ? Mais l’habitude avait été prise au lendemain des
deux lois du 29 juillet 1994 de les appeler lois bioéthiques, alors que tel n’était pas leur nom officiel : l’une
était « relative au respect du corps humain », l’autre « relative au don et à l’utilisation des éléments et
produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal ». C’est
l’appellation approximative (car ces textes sont bel et bien du droit, pas de la simple éthique !) de
regroupement qui a ensuite été reprise à son compte par le législateur.
3
2
restée dans le for intérieur et qu’il n’y a pas eu de passage à l’acte ! De même le Droit n’impose
pas de verser des aliments à ses frères et sœurs dans le besoin, alors qu’il s’agit d’un devoir
moral).
Une difficulté se pose s'agissant du Droit : l'identification du bien commun (on observera
qu'en matière de bioéthique, c'est le bien commun qui est en question : le but des règles de Droit
en ce domaine n'est ni l'ordre, ni la justice, mais ce devrait être le bien commun). Sur une
question donnée, plusieurs opinions peuvent s'opposer sur le sens à donner à la législation, sur ce
qui est bon, sur ce qu'est le bien commun : par exemple au sujet des organismes génétiquement
modifiés, un débat existe sur la mise en balance de leurs avantages et de leurs inconvénients et
l'on se demande si les premiers doivent conduire à l'autorisation de leur culture ou si les seconds
doivent conduire à leur interdiction, tout cela pour le bien commun.
Le phénomène est très classique du heurt des forces opposées au moment de légiférer :
c'est la lutte pour le Droit. De cette lutte, l'issue peut varier d'un pays à un autre, car les données
qui conduisent à faire jaillir le Droit (ce qu'on appelle les forces créatrices du Droit, les sources
réelles du Droit) varient. Pascal s'en est moqué : « Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité
au [en] deçà des Pyrénées, erreur au delà » 5 . Mais le Droit civil, le Droit positif, est le résultat de
diverses forces qui n'agissent pas toutes de la même façon d'un État à l'autre. D'où les variations
dans l'espace de la loi civile, à la différence du Droit naturel, droit idéal dont les règles seraient
dictées par la nature humaine (mais dont l'existence et le contenu sont controversés). Ainsi il n'y a
pas de déterminisme dans la règle de Droit. Celui-ci est toujours le fruit en définitive d'une
décision du législateur qui choisit de légiférer ou non, et dans quel sens.
Alors, faut-il légiférer en matière de bioéthique ?
Il est bien connu que les plus grands ont souvent prôné la sobriété législative de façon
générale. C’est le fameux conseil de Montesquieu : il ne faut légiférer « que d'une main
tremblante » 6 . Portalis, très grand civiliste, celui dont l'histoire gardera le nom comme le plus
célèbre des quatre rédacteurs du Code civil, a mis en garde contre les excès de la législation : « Il
ne faut point de lois inutiles, elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compromettraient la
certitude et la majesté de la législation » 7 .
Mais notre époque est celle de l'inflation législative. Un problème, une loi ! Le législateur
ne sait pas résister à la demande de loi.
Toutefois dans le secteur de la bioéthique, l’intervention législative est-elle un mal ? Ceci
est loin d'être sûr.
Aurait-on pu s'en tenir à de grands principes, non écrits dans la loi civile ? L'absence de
loi aurait laissé une grande latitude aux juges pour régler les difficultés. Or nous disposons d'une
expérience assez édifiante : c'est la mésaventure du transsexualisme.
En 1990, la Cour de cassation décide que le transsexualisme ne peut s'analyser en un
véritable changement de sexe, le transsexuel, bien qu'ayant perdu certains caractères de son sexe
d'origine n'ayant pas pour autant acquis ceux du sexe opposé ; et, dit-elle, l'article 8 de la
Convention européenne des droits de l'homme 8 « n'impose pas d'attribuer au transsexuel un sexe
Blaise PASCAL, Pensées, 230, in Œuvres complètes, La Pléiade, p. 1149.
MONTESQIUEU, Lettres persanes, CXXIX, in Œuvres complètes, La Pléiade, t. I, p.323 : « il est quelquefois
nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare, et lorsqu’il arrive, il ne faut y toucher que d’une
main tremblante ».
7 PORTALIS, Discours préliminaire sur le projet de Code civil présenté le 1er Pluviôse an IX.
8 CEDH, art. 8 : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa
correspondance ».
5
6
3
qui n'est pas en réalité le sien » 9 . Mais voici qu’à peine deux ans plus tard, la Cour européenne
des droits de l'homme condamne la France à ce sujet pour violation de cet article 8 de la
Convention européenne. Immédiatement, la Cour de cassation procède à un revirement : en
Assemblée plénière, le 11 décembre 1992, elle décide, en se fondant sur ce texte, que « lorsque, à
la suite d'un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne
présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe
d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe, auquel correspond son
comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique
désormais le sexe dont elle a l'apparence ; que le principe de l'indisponibilité de l'état des
personnes ne fait pas obstacle à une telle modification » 10 ...
Ainsi le principe du respect de la vie privée n'impose rien, puis deux ans plus tard ce
même principe impose au contraire la modification de l'état civil... Et le principe de
l’indisponibilité de l'état des personnes, triomphant en 1990, s'évanouit en 1992.
Il n’y a pas eu en France de réponse législative sur le sujet, seulement une réponse
jurisprudentielle. Mais le résultat n'est pas fameux, car le juge, lui, n’a pas pu poser de
conditions ; d'où toutes les difficultés ultérieures que l'on a vu apparaître : quid du transsexuel
marié ? quid du transsexuel ayant des enfants ? Quelles sont les répercussions de la modification
de leur état civil sur leur conjoint, leurs enfants ? A cet égard les choses ont été en définitive
mieux réglées par les pays qui ont légiféré sur le sujet 11 , car ils ont posé des conditions
restrictives au changement de sexe, notamment celle d’absence de mariage antérieur du candidat.
Une autre illustration de la nécessité parfois, souvent même, de légiférer se trouve dans
l'échec relatif de la doctrine du désengagement. On citera ce passage célèbre du doyen Jean
Carbonnier, écrit au sujet de la loi du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce : « De la tentative
nous retenons, en tout cas, l'indice d'une attitude nouvelle ; l'art législatif accepte de ne plus
regarder le droit comme un système clos se suffisant à lui-même. La reconnaissance, par dessus la
haie, de cette réalité multiforme qu’est le non-droit, pourrait bien être la clé d'une stratégie
législative. Ces lois que l'on dit permissives, que l'on dit de libéralisation, devraient être analysées
moins comme des lois de permission et de libéralisme que comme des lois de transfert : le
pouvoir d'interdire a été transféré du droit aux autres systèmes de normes : les mœurs, l'éthique,
la religion - ces systèmes dont aucun n'est d'ailleurs unifié dans une société telle que la nôtre. Le
législateur a délibérément escompté le relais du droit par le non-droit » 12 . Cependant l'expérience
a eu tendance à montrer, en matière familiale, que lorsque le droit reflue, ce sont tous les
systèmes normatifs qui refluent avec lui…
Le Droit est difficilement remplaçable s'agissant d'interdire, d'autant que lui seul peut
assortir les interdits de sanctions étatiques, spécialement de sanctions pénales lorsqu'il s'agit
d'assurer le respect de règles particulièrement importantes : « Nullum crimen sine lege », « Nulla poena
sine lege » 13 .
La question s'est en tout cas posée dans les années 1980-1990. Fallait-il légiférer dans le
domaine de la bioéthique ?
La réponse a été très consensuelle au sujet de la protection des personnes dans la
recherche biomédicale : la loi Huriet, en 1988, a été votée à l'unanimité.
La discussion a été beaucoup plus vive à propos de la procréation artificielle, la PMA
(procréation médicalement assistée). Les techniques de la fécondation in vitro (Louise Brown,
premier enfant qui en est issu, est née en 1979) et de la congélation d'embryons (Zoé, née en
Cass. 1re civ., 21 mai 1990 : JCP 1990, II, 21588.
Cass. Ass. Plén., 11 déc. 1992 : Bull. civ. Ass. Plén., n°13.
11 Comme l’Allemagne, l’Autriche ou les Pays-Bas .
12 J. CARBONNIER, Essais sur les lois, Defrénois, 1979, p.240.
13 Cf. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. 7 et 8.
9
10
4
1984) sont relativement récentes : elles ont été mises au point dans le dernier quart du XXème
siècle. Cependant il ne suffit pas qu'une technique existe pour que son utilisation soit
nécessairement admissible. À cet égard les positions les plus diverses ont été soutenues opposant
les partisans de l'admission à ses adversaires ; et à supposer le recours à ces techniques admis, au
profit de qui et pour quelles raisons l'autoriser ? et quelles conséquences en tirer sur la filiation
des enfants qui en seraient issus ? Sur aucune de ces questions l'unanimité ne s'est faite.
D'aucuns auraient préféré laisser la jurisprudence résoudre petit à petit les difficultés,
comme elle avait commencé à le faire. En effet, il y avait eu des décisions, du moins sur la
filiation des enfants nés de ces pratiques : en cas d'insémination avec donneur, la paternité fictive
de l’homme stérile pouvait être contestée ; les tribunaux l'admirent, mais en retenant aussi la
responsabilité de cet homme, qui avait été à l'origine de la naissance en donnant son
consentement à la réalisation de la PMA et qui, en reconnaissant l’enfant qu’il savait ne pas être le
sien, avait contracté l’engagement de subvenir aux besoins de l'enfant, engagement dont la
méconnaissance se traduisait maintenant par l'obligation de verser des dommages-intérêts 14 .
De même la Cour de cassation s'était prononcée sur la maternité de substitution dans la
fameuse décision du 31 mai 1991 : l'Assemblée plénière décida que « la convention par laquelle
une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à
sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain qu’à
celui d’indisponibilité de l'état des personnes » 15 . Ici une femme était stérile, tandis que son mari
ne l'était pas ; ce couple avait eu recours aux services d'une autre femme qui avait été inséminée
grâce aux gamètes du mari ; à sa naissance, l'enfant avait été déclaré comme étant né de cet
homme, sans indication de filiation maternelle. Pour parfaire le processus, il s'agissait de faire
adopter l'enfant par l'épouse du père. Alors que la cour d'appel de Paris avait admis cette
adoption, la Cour de Cassation décida au contraire que cette adoption « n’était que l'ultime phase
d'un processus d'ensemble destiné à permettre à un couple l'accueil à son foyer d'un enfant,
conçu en exécution d'un contrat tendant à l'abandon à sa naissance par sa mère, et que, portant
atteinte au principe de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, ce processus
constituait un détournement de l'institution de l'adoption ». Dans une autre décision intervenant
cette fois dans un contexte très contentieux, car le mari et sa femme stérile s'étaient séparés et le
mari (père biologique de l’enfant) s'opposait précisément à l'adoption de l'enfant demandée par
son épouse, la Cour de Cassation statua exactement dans le même sens 16 et cassa l'arrêt de la
Cour d'appel de Poitiers qui avait néanmoins prononcé l'adoption...
Voici certainement de bonnes décisions. Cependant on remarquera que l'on pouvait ici
faire obstacle à l'adoption, car celle-ci suppose toujours une décision de justice. On pouvait
provoquer la dissolution ou l'annulation des associations qui s'étaient constituées pour favoriser la
pratique de la maternité de substitution, ce qui a été fait 17 . On pouvait encore statuer sur la
filiation d’enfants nés après une insémination avec donneur et faire triompher le principe de
l'indisponibilité des actions relatives à l’état des personnes (C. civ., art. 311-9) : nécessairement
ceci conduisait à faire tomber la filiation fictive du mari (paternité a priori établie par le jeu de la
présomption de paternité) ou du concubin (auteur d’une reconnaissance nécessairement fausse)
stérile, à la demande de celui-ci ou à la demande de la mère d’ailleurs comme cela s'était vu dans
un nombre non négligeable de cas, après des mésententes.
Mais il n'était guère possible pour le juge de dire qui pouvait ou non avoir accès à la
procréation médicalement assistée et à quelles conditions, ni pour quelle finalité l'on pouvait
envisager de féconder des embryons in vitro : ceci est structurel ; le juge n'intervient que lorsqu'il
Cf . Cass. 1re civ., 10 juill. 1990 : Bull. civ. I, n°196.
Cass. Ass.plén., 31 mai 1991 : JCP 1991, II, 21752, avec communication J. Bernard.
16 Cass. 1re civ., 29 juin 1994 : Bull. civ. I, n° 226.
17 Cf. Cass. 1re civ., 13 déc. 1989 : Bull. civ. I, n° 387.
14
15
5
est saisi d'un contentieux 18 , d'un litige entre deux parties. Or il n'y a pas nécessairement de litige à
cet égard (le seul que l'on ait guère vu apparaître au sujet de l’accès à la PMA concernait
l’insémination artificielle post-mortem à laquelle des CECOS avaient refusé de procéder 19 ).
Seule la loi pouvait poser des limites, des interdits. C'est ce qu'elle a fait en 1994 et à
nouveau 2004. Elle l’a d'ailleurs fait très largement à la demande du monde médical qui souhaitait
qu'on lui dise ce qui était permis ou interdit. Rétrospectivement on peut constater que quelques
bonnes limites, quelques bonnes interdictions, ont été posées, même si évidemment certains
auraient souhaité encore plus de rigueur.
Au titre des bonnes limitations, des bonnes interdictions (pénalement sanctionnées et même
très sévèrement sanctionnées 20 ) on peut relever :
- la finalité strictement limitée de la procréation médicalement assistée : il s'agit seulement
de remédier à l'infertilité pathologique 21 d'un couple formé d'un homme et d'une femme
vivants et en âge de procréer (CSP, art. L.2141-1). Se trouvent du même coup interdites
l'insémination avec donneur ou la FIVETE (fécondation in vitro et transfert d’embryon)
au profit d'une femme seule, la procréation médicalement assistée dans les couples
homosexuels, la procréation médicalement assistée pour de simples raisons de
convenance, l’IAC posthume 22 , la procréation médicalement assistée avec un transfert
d'embryons post-mortem.
- L'interdiction de la fécondation d'embryons à des fins de recherche (CSP, art. L.2151-2).
- L’interdiction de principe des recherches sur l'embryon humain (CSP, art. L.2151-5 al.1)
: à titre exceptionnel, seules des études qui ne lui portent pas atteinte sont autorisées
(CSP, art. L.2151-5, al. 2), dans le prolongement du très beau principe posé à l'article 16
du Code civil : « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité
de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ».
- L'interdiction de la maternité de substitution, dans le prolongement direct de la solution
retenue par la Cour de cassation en 1991, interdiction cette fois expressément posée par la
loi à l'article 16-7 du Code civil et qui reçoit le renfort de sanctions pénales 23 .
- L'interdiction de toute pratique eugénique édictée à l'article 16-4 alinéa 2 du Code civil.
- L'interdiction du clonage en 2004 (C. civ., art. 16-4 al. 3 : « Est interdite toute intervention
ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne
vivante ou décédée »).
Sans aucun doute peut-on exprimer aussi quelques regrets.
Hors les rares cas où il est amené à exercer une juridiction gracieuse (donc sans contentieux, comme
lorsqu’il est appelé à prononcer l’adoption, après avoir vérifié que les conditions en sont réunies).
19 V. TGI Créteil, 1er aôut 1984 : JCP G 1984, II, 20321.-TGI Toulouse, 26 mars 1991 : JCP G 1992, II,
21807. V. aussi, pour un refus d’implantation d’un embryon congelé alors que le mari était décédé depuis
la fécondation in vitro, Cass. 1re civ., 9 janv. 1996 : Bull. civ. I, n° 21.
20 Les lois du 29 juillet 1994 et du 6 août 2004 ont créé un nombre considérable d’ « infractions en
matière d’éthique biomédicale » (c’est l’intitulé du nouveau chapitre du Code pénal qui a été ouvert pour
les accueillir : art. 511-1 à 511-28).
21 Voire d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière
gravité.
18
22
C’est-à-dire l’insémination au sein du couple (IAC), après le décès du mari ou concubin, avec les gamètes de
celui-ci.
C. pén., art. 511-24 (5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, pour le fait de procéder à une
activité d’assistance médicale à la procréation à des fins autres que celles définies par la loi), voire 511-16
(7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, pour le fait d’obtenir un embryon humain sans
respecter les conditions légales).
23
6
-
-
-
Ainsi l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples non mariés pouvait
paraître étonnante : voici un homme et une femme qui n'ont pas voulu prendre
solennellement, devant la société, l'engagement d'élever ensemble l'enfant 24 qu'ils
souhaitent avoir et que la nature ne veut pas leur donner, eh bien la loi accepte néanmoins
de leur fournir les moyens artificiels de l’obtenir (il est vrai que par la suite, la montée des
revendications émanant de couples formés de personnes de même sexe a conduit à
relativiser le premier regret).
N’apparaît pas non plus très heureux le caractère incontestable de la filiation des enfants
issus d'une procréation médicalement assistée avec donneur : c'est la plus solide de toutes
les filiations ; alors que les autres sont soumises à la dure loi de la vérité biologique, ici le
législateur civil interdit de proclamer la vérité biologique pourtant certainement contraire
au lien établi et de contester celui-ci (C.civ., art. 311-20).
La mesure la plus regrettable se trouve assurément dans l'admission de la fécondation
d'un nombre d'embryons supérieurs à ce qui est nécessaire pour une implantation
immédiate, car c'est ce qui conduit à affronter la redoutable difficulté du sort des
embryons surnuméraires.
Mais il faut bien voir que quelques bonnes limites ont tout de même été posées et qu'il faut
plutôt encourager le législateur à les maintenir (interdiction de la maternité pour autrui,
interdiction de tout clonage notamment). Cela apparaît bien préférable à la position qui
consisterait à se contenter de quelques vagues directives légales, dont l'application en pratique
serait confiée à des agences, à des spécialistes du monde médical. Non, il n’est certainement pas
mauvais que le Parlement ait jusqu'ici accepté de légiférer et avec précision.
Il reste qu'il a admis aussi des exceptions à certains des très beaux principes qu'il a posés et
ceci nous conduit à examiner maintenant le deuxième thème.
II.- Principes et dérogations sont-ils toujours conciliables ?
L'existence de principes auxquels des exceptions sont ensuite apportées est un
phénomène assez courant en Droit, dans la loi civile.
Par exemple, la loi fixe en principe l'âge nubile à 18 ans, sauf dispense par le procureur de
la République pour motif grave. De même le droit des contrats connaît un grand principe de
liberté contractuelle, ce qui n'empêche que, par exception, certains contrats soient rendus
obligatoires (comme le contrat d’assurance de responsabilité du conducteur d’une automobile).
Ou encore le droit français pose le principe de non-admission de la rescision pour lésion : la
lésion ne vicie pas de manière générale les conventions, sauf exceptions ; mais ces exceptions
sont très limitées, de telle sorte qu'elles laissent bel et bien subsister la règle de principe.
L'une des caractéristiques essentielles du mariage, qui différencie cette institution du concubinage, se
trouve en effet dans l'engagement en principe durable d'élever ensemble les enfants : lors de la célébration
du mariage, avant l’échange des consentements, l'officier d'état civil donne lecture aux époux de quelquesuns des textes fondamentaux qui les concerneront et tout particulièrement de l'article 213 du Code civil :
« Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l'éducation
des enfants et préparent leur avenir ».
24
7
Tout va bien tant que les exceptions restent d'ampleur limitée et de nombre réduit. Une
maxime d'interprétation y veille d'ailleurs : Exceptio est strictissimae interpretationis : les exceptions
sont d'interprétation stricte, de droit étroit. Ceci permet d'éviter précisément qu'elles n’entament
par trop la règle de principe, qui, elle, est d'interprétation large.
Cependant rien ne va plus lorsque que, par leur ampleur, les exceptions en viennent à
entamer par trop le principe, lui apportent une contradiction fondamentale qui le menace.
En matière de bioéthique, on a eu recours à des exceptions qui ont soulevé de vives
controverses d'ailleurs en raison de la contradiction par trop flagrante qu'elles infligent au
principe : ceci concerne l'eugénisme et de la recherche sur l'embryon.
A Principe et exception en matière d'eugénisme
L'article 16-4 alinéa 2 du Code civil est limpide : « Toute pratique eugénique tendant à
l'organisation de la sélection des personnes est interdite » 25 . Cette interdiction civile est
pénalement protégée : le législateur voit dans une méconnaissance de cette interdiction un crime
contre l'espèce humaine, punie de 30 ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 euros
d'amende 26 .
La proclamation du principe par le Droit est donc extrêmement forte.
Pourtant les lois de 1994 et de 2004 ont permis le diagnostic pré-implantatoire (sur
l’embryon in vitro), « à titre exceptionnel ».
En 1994, le cas exceptionnel visé est la forte probabilité que les parents donnent « naissance
à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité reconnue comme incurable
au moment du diagnostic » (article L. 2131-4 du Code de la santé publique).
Depuis la loi du 6 août 2004, les cas d'autorisation à titre exceptionnel sont multipliés par
trois :
Le recours au diagnostic pré-implantatoire est en effet également permis lorsque l'un des
parents aurait eu des ascendants immédiats victime d'une maladie gravement invalidante à
révélation tardive et mettant en jeu le pronostic vital (CSP, art. L.2134, al. 2 modifié).
Dans ce deuxième cas, comme dans le premier d’ailleurs, il s'agit exclusivement de détecter la
présence éventuelle de l'anomalie responsable d’une telle maladie pour décider de poursuivre ou
non le projet parental (et dans la négative des recherches sur l'embryon se profilent alors
éventuellement).
Le troisième cas ajouté en 2004 vise tout autre chose : il s'agit de la sélection de ce qu’on
appelle un « bébé médicament », permise par l'article L. 2131-4-1 du Code de la santé publique
:
« Par dérogation aux dispositions prévues par le cinquième alinéa de l'article L. 2131-4
[c’est-à-dire les dispositions qui limitent la finalité du DPI dans les deux premiers
cas], le diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l'embryon in
vitro peut également être autorisé, à titre expérimental, lorsque les conditions suivantes
sont réunies :
Cf. aussi l’alinéa 4 de cet article : « Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement
des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le
but de modifier la descendance de la personne ».
26 C. pén., art. 214-1.
25
8
- le couple a donné naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique entraînant
la mort dès les premières années de la vie et reconnue comme incurable au moment
du diagnostic;
- le pronostic vital de cet enfant peut être amélioré, de façon décisive, par
l'application sur celui-ci d'une thérapeutique ne portant pas atteinte à l'intégrité du
corps de l'enfant né du transfert de l'embryon in utero, conformément à l'article 16-3
du Code civil;
- le diagnostic mentionné au premier alinéa a pour seuls objets de rechercher la
maladie génétique ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter, d'une part, et
de permettre l'application de la thérapeutique mentionnée au troisième alinéa,
d'autre part.
Les deux membres du couple expriment par écrit leur consentement à la réalisation
du diagnostic.
La réalisation du diagnostic est soumise à la délivrance d'une autorisation par
l'Agence de la biomédecine, qui en rend compte dans son rapport public
conformément à l'article L. 1418-1 ».
Bref, il s'agit de sélectionner l'embryon qui sera implanté en vue de soigner un enfant
aîné. Assurément le dispositif est motivé par la compassion pour l'enfant né et malade. Mais ceci
instrumentalise l'enfant à naître. On peut se demander si la contradiction avec le principe de
l'interdiction de l'eugénisme n'est pas trop forte.
D'ailleurs, un tel principe peut-il supporter la moindre dérogation ? On peut penser qu'il
existe des principes auxquels on ne peut en aucun cas déroger. Par exemple le principe de nondiscrimination selon la race : il ne viendrait à l'idée de personne de lui apporter aujourd'hui la
moindre exception. La prohibition de l'eugénisme, qui représente selon la qualification donnée
par le législateur lui-même, un « crime contre l'espèce humaine », est sans doute de ceux-là 27 .
B Principe et exception en matière de recherche sur l'embryon
Là encore le principe est affirmé avec force par la loi civile : c'est l'interdiction de la
fécondation d'embryon en vue de la recherche et même l'interdiction de la recherche sur des
embryons déjà fécondés à d’autres fins.
Ainsi l'article L. 2141-3 du Code de la santé publique dispose qu'un embryon « ne peut
être conçu in vitro que dans le cadre et selon les objectifs d'une assistance médicale à la
procréation telle que définie à l'article L. 2141-2 ». Ceci signifie déjà, évidemment, que la loi ne
permet pas la conception in vitro à d'autres fins que les seules qu’elle permet et parmi lesquelles ne
figure pas la recherche.
Si l’on n’avait pas encore assez compris, le législateur prend le soin de le redire sous la
forme d’une prohibition expresse : « La conception in vitro d'embryon ou la constitution par
clonage d'embryons à des fins de recherche est interdite (article L. 2151-2).
Ceci rejoint d'ailleurs l'interdiction posée par l'article 18.2 de la convention d'Oviedo du
Conseil de l'Europe de 1997 : « La constitution d'embryons humains aux fins de recherche est
interdite ».
Cf. en ce sens N. MATHEY, Les contradictions de la loi bioéthique du 6 août 2004, Liberté politique,
juin 2008, p. 121.
27
9
On ajoutera encore l'article L. 2151-3 du Code de la santé publique : « Un embryon
humain ne peut être ni conçu, ni constitué par clonage, ni utilisé à des fins commerciales ou
industrielles ».
Tout est donc parfaitement clair : la fécondation in vitro est strictement destinée à faire
naître un enfant au sein d'un couple stérile ou qui risque de transmettre une maladie grave. Et
l'interdiction de tout ce qui ne correspondrait pas à cette finalité est pénalement sanctionnée 28 .
Et ce n'est pas fini. Car à supposer que la finalité soit respectée, un besoin de protection
se fait encore sentir.
La fécondation in vitro est en effet une technique relativement complexe, et l’implantation
in utero ne réussit pas à tous les coups. D’où le recours à la congélation : on concevra plusieurs
embryons en une fois et l'on conservera ceux qui ne feront pas l'objet d'une implantation
immédiate, mais qui seront destinés à une implantation future. La technique existe. En Allemagne
la loi en prohibe l'utilisation : il n'y est permis de concevoir que les embryons immédiatement
implantés, sans congélation, ce qui évite bien des difficultés. En France, le législateur permet d'y
recourir, sur consentement écrit du couple demandeur, après une information détaillée sur les
possibilités de devenir des embryons conservés qui ne feraient plus l'objet d'un projet parental
(CSP, article L. 2141-3 alinéa 2).
Voici par exemple que cinq embryons ont été fécondés in vitro ; l'un a été implanté avec
succès ; un second également un an plus tard ; maintenant il reste trois embryons et le couple à
l'origine de leur fécondation ne souhaite plus d'autres enfants. Que faire de ces « embryons
surnuméraires » ?
La loi leur assure une certaine protection. La menace vient du milieu scientifique, dont on
pressent qu'il pourrait être tenté de s'en servir comme des matériaux de recherche. Si ces
embryons n'étaient que des choses, ces recherches ne soulèveraient aucune difficulté. Mais
précisément elles en soulèvent, et la société n'est pas prête à les accepter si facilement, car ces
embryons, même s'ils ne sont peut-être pas encore juridiquement des personnes, sont tout de
même des êtres humains.
Ainsi l'article 16 du Code civil proclame que « la loi assure la primauté de la personne,
interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le
commencement de sa vie ».
Et l'article L. 2151-5 alinéa 1 du Code de la santé publique développe une application très
concrète de ce principe ici : « La recherche sur l'embryon humain est interdite ».
Tout au plus l'alinéa 2 prévoit-il une exception : « A titre exceptionnel lorsque la l'homme
et la femme qui forment le couple y consentent, des études ne portant pas atteinte à l'embryon
peuvent être autorisées sous réserve du respect [de diverses conditions] ». Il s'agit d'une
exception mineure, tolérable car elle n'atteint pas en substance le principe.
À nouveau un rapprochement peut être fait avec la Convention d'Oviedo dont l'article
18.1 proclame que « lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci
assure une protection adéquate de l'embryon ».
Le moins qu'on puisse dire est que la loi civile française, dans son principe, assure cette
protection adéquate, puisque ce qu'elle tolère sont exclusivement des études ne portant pas atteinte à
l'embryon. Et toujours sous la menace de sanctions pénales 29 .
Voici le principe très clairement posé en 1994 et maintenu en 2004.
Cf. C. pén., art. 511-24 (5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende) ; v. également art. 511-18
(7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, pour le fait de procéder à la conception in vitro
d’embryons humains à des fins de recherche).
29 C. pén., art. 511-19 (2 ou 7 ans d’emprisonnement et 30 000 ou 100 000 euros d’amende selon les cas).
28
10
Cependant, en 2004, lors de la première révision du dispositif législatif d'encadrement de
la bioéthique, un vif débat s'est élevé sur ce point 30 . Dans la préparation de la loi de révision, le
principe a bien failli basculer dans l'autre sens. Finalement il a été maintenu, mais avec une
exception bien plus importante que celle qui a été admise en 1994.
C'est l'alinéa trois de l'article L. 2151-5 du Code de la santé publique : « Par dérogation au
premier alinéa, et pour une période limitée à cinq ans à compter de la publication du décret en
Conseil d'État prévu à l'article L. 2151-8, les recherches peuvent être autorisées sur l'embryon et
les cellules embryonnaires ». Deux conditions sont posées par le texte : pour pouvoir être
autorisées les recherches doivent être « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques
majeurs » et elles ne doivent pas « pouvoir être poursuivies par une méthode alternative
d'efficacité comparable, en l'état des connaissances scientifiques. » Les parlementaires ont
beaucoup insisté sur ces deux conditions, et spécialement sur la seconde qui suppose que des
recherches sur des animaux aient déjà été entreprises et que les recherches sur des adultes ne
suffisent pas. Quels embryons sont susceptibles d'être concernés ? Il s'agit des embryons in vitro
(donc initialement conçus pour répondre à la demande parentale d’un couple, puisque c’est la
seule finalité admise par la loi du recours à la PMA, ainsi qu’on l’a vu) qui ne font plus l'objet d'un
projet parental (CSP, art. L. 2151-5, alinéa 4).
Ici l'exception apporte une contradiction radicale au principe qui est affirmé : la loi
garantit en principe le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, si bien que les
recherches qui porteraient atteinte à l'embryon sont interdites ; mais s'il ne fait plus l'objet d'un
projet parental, les recherches qui, concrètement, mèneront à sa destruction, sont permises. Bref
l'embryon n'a pas de dignité propre ; cette dignité est totalement dépendante d'autrui, du projet
parental. Comme l'a très bien dit un auteur « comment affirmer la dignité de l'être humain dès le
commencement de la vie et tolérer une telle atteinte ?» 31 .
Il y a là une contradiction que la nouvelle révision de la loi relative à la bioéthique pourrait
être l'occasion de faire disparaître.
Sans aucun doute certains scientifiques tenteront de pousser le législateur à assouplir
davantage encore l'exception et à la pérenniser.
Mais puisque la dérogation n'a été admise que de façon temporaire, le temps de voir et
d'acquérir une expérience, l'écoulement de la durée devrait conduire au moins à faire un bilan. Or
il semble bien que les recherches qui ont été entreprises sur les cellules souches embryonnaires
n'aient guère abouti à des résultats thérapeutiques concrets. En revanche les cellules adultes ont
donné quelques résultats plus réels. Surtout la voie de la recherche sur les cellules souches du
sang de cordon ombilical s'avère prometteuse et c'est une voie qui ne pose aucun problème
éthique. Dès lors, s'il apparaît que les conditions posées par la dérogation légale, à titre
temporaire, ne peuvent plus être respectées aujourd'hui (surtout la seconde, relative à
l’impossibilité de mener les recherches par une méthode alternative d'efficacité comparable), c'est
la suppression de l'exception et le retour au principe tout entier qu'il faut envisager. Voici un bon
moyen de supprimer la contradiction et de protéger la dignité propre de tout être humain dès le
commencement de sa vie !
Allant plus loin, c'est la question de la possibilité même de féconder plusieurs embryons,
en nombre plus important que ce que nécessite une implantation immédiate, qui est posée.
En 1994, la loi l'a admis pour des raisons pratiques et concrètement car la congélation des
ovocytes n'apparaissait pas possible à la différence de la congélation des spermatozoïdes ou
surtout des embryons.
Cf. sur ce point J-R BINET, Exceptio est strictissimae interpretationis : l’enfant conçu au péril de la
biomédecine, in Mélanges le Tourneau, Dalloz, 2007, p. 85 et s.
31 N. Mathey, article précité.
30
11
Mais aujourd'hui, quatorze années se sont écoulées et des progrès ont été accomplis sur
la voie de la congélation. Ne sont-ils pas suffisants pour justifier désormais une autre position du
législateur et rejoindre celle de nos voisins allemands qui n'ont jamais admis cette congélation
d'embryons ? On entend bien que la congélation d'embryons surnuméraires présente un grand
intérêt dans la perspective de la recherche… après l'abandon du projet parental. Mais si en
définitive, ces embryons surnuméraires ne servent qu'à cela, il faut arrêter l'hypocrisie, et puisque
la loi proclame l'interdiction de la fécondation à des fins de recherche, il faut mettre fin à cette
possibilité.
C'est la congélation des embryons qui est au centre des problèmes éthiques les plus
graves. Sans elle, ils s'évanouissent.
Et voici qu'un avenir moins sombre pourrait s'esquisser, celui de la recherche scientifique
sans ses inconvénients éthiques, tout spécialement sur les cellules de sang de cordon.
III.- Quelle peut être la position de la loi civile face aux souffrances
individuelles ?
Mgr d’Ornellas m’a en effet posé cette question bien délicate. Les souffrances
individuelles trouvaient autrefois une réponse dans le soutien que pouvait apporter la
communauté, le groupe social dont chacun faisait étroitement partie : la famille, même assez
étendue (lignage), le village (la tribu dans les temps les plus reculés). Aujourd'hui ces structures
intermédiaires se sont effritées : la famille s'est réduite souvent à un ménage, quand elle n'est pas
monoparentale, unilinéaire ; et que dire de la solitude absolue ! Aussi bien est-ce vers le législateur
que l'on a tendance à se tourner et l'on attend de lui qu'il réponde par la loi à ces souffrances
individuelles.
La compassion, c'est-à-dire l'émotion sentie qui fait apparaître comme un devoir social
prioritaire de trouver un mode de soulagement, exacerbe l'attente de loi en présence de telles
souffrances.
Et le législateur contemporain est plutôt enclin à y répondre positivement, lui qui ne sait
guère résister, de façon générale, à la demande de loi… Un problème apparaît, le corps social
demande une loi ; et le législateur la fait, sans se demander si elle est vraiment nécessaire ! Une
illustration éclatante en est fournie par la récurrence des interventions législatives au sujet des
chiens dangereux : pas moins de cinq textes sur cette question en l'espace de quelques années,
car chaque fois qu'un incident survient et émeut l’opinion les autorités annoncent qu'elles vont
légiférer, sans vérifier si les dispositifs antérieurs, bien appliqués, ne suffiraient pas.
En matière de bioéthique, on voit bien les souffrances individuelles dont il peut s'agir :
- celle du couple stérile : autrefois on prenait son mal en patience, on utilisait peut-être le temps
qu'eût pris l'éducation des enfants à faire du bien ici ou là. Aujourd'hui on veut un enfant à tout
prix. Et l'on voit monter la revendication « d'un droit à l'enfant ».
12
- celle de la personne qui souffre en fin de vie : c’est la revendication du droit de voir ses jours
abrégés par autrui, c'est-à-dire d'être tué, d'être euthanasié ou si l'on veut prendre un euphémisme
à la mode médiatique, le droit de mourir dans la dignité 32 .
Les souffrances individuelles débouchent donc bien vite sur la revendication de droits
subjectifs, des « droits à ».
Ceci rejoint un phénomène plus large, très contemporain, celui de la montée des droits
subjectifs : on réclame le droit à l'information, aux loisirs, on proclame le droit de l'enfant à
l'éducation, à l'expression, on parle du droit au mariage, du droit au divorce, du droit au respect
de la vie privée…
Ce phénomène ne s'est pas produit sans rencontrer de résistance, ni de critiques, car il y a
« dans l'exaltation du droit subjectif une philosophie individualiste dont les excès appelaient une
réfutation facile au nom de l'intérêt général» 33 .
Il reste que le phénomène a pris un réel essor dans l'après-seconde guerre mondiale. Déjà
le préambule de la Constitution de 1946 contient ce que l'on appelle les droits de l'homme de la
seconde génération, et qui sont précisément présentés sous la forme de droits subjectifs. Il
convient d'ajouter dans ce registre la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales de 1950. Et la subjectivisation n'a cessé de croître à la fin
du XXe siècle.
Apparemment, le fond des solutions ne change pas toujours 34 . Par exemple, la
présomption d'innocence veillait traditionnellement sur tous les citoyens dans la formulation
objective que lui avait donnée l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 : « Tout
homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable
de l'arrêter, toute rigueur, qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être
sévèrement réprimée par la Loi ». Voici que le législateur contemporain, pour l'exprimer a choisi
de distribuer à chacun un droit subjectif : « Chacun a droit au respect de la présomption
d'innocence », proclame depuis une loi du 4 janvier 1993 le nouvel article 9-1 du Code civil.
Mais le système a tout de même des effets pervers qu’a bien décrits le doyen Carbonnier
: « Le risque, c’est que tout besoin demande à être reconnu comme droit subjectif. Ce sera un
faux droit si, en vis-à-vis, n'est pas défini un débiteur qui y satisfasse » 35 . D'où d'ailleurs l'étape
suivante dans cette subjectivisation qui consiste à passer au concept a priori assez étrange de
« droit opposable », comme le « droit au logement opposable » 36 ; mais après tout les yeux se
décillent sans doute peu à peu et l’adjectif opposable vise surtout à faire la différence avec les faux
droits qui ont été proclamés sans avoir de réelle portée juridique.
Et comme l'a dit le grand philosophe du droit Michel Villey, c’est « aberration que de
prétendre mesurer un droit, qui est un rapport entre plusieurs personnes, en fonction d'un sujet
unique. Le système individualiste oublie la justice. L'effort vers le juste partage est escamoté ou
remis aux calendes grecques » 37 .
On prendra toutefois le soin d'observer que cette question ne fait pas partie du programme
gouvernemental de révision de la loi relative à la bioéthique (v. communiqué du Gouvernement après le
conseil des ministres du 16 juillet 2008). Il faut dire que le législateur est intervenu récemment (c’est la loi
dite Léonetti, du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie). Et pour une fois, il semble
vouloir prendre le temps d'attendre et d’observer avant de légiférer à nouveau, ce qui paraît sage.
33 J. CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la Vème République, Flammarion, 1996, p.122.
34 Cf. en ce sens, J. CARBONNIER, op.cit., p.123.
35 Op.cit., p.125.
36 Cf. Loi n° 2007- 290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable. Pourtant la législation
proclame solennellement depuis plus de 20 ans que « le droit au logement est un droit fondamental » (L.
22 juin 1982, puis L. 6 juillet 1989, art. 1) ; mais quelle est la juridicité exacte de ce prétendu droit, sans
débiteur ? Le « droit opposable » au logement a, lui, de véritables potentialités, car un débiteur est défini,
l’Etat ; bref c’est un vrai droit.
37 M. VILLEY, Philosophie du droit, I, définitions et fins du droit, Dalloz, 1982, p.162.
32
13
Il demeure que cette tendance à la subjectivisation est bien là et qu'elle peut avoir pour
effet d'affaiblir le poids de l'intérêt général, de l'intérêt collectif, si l'on voit tout à travers le prisme
d'une collection de droits individuels.
La réponse normale aux souffrances individuelles devrait être, lorsqu'il le faut, de pouvoir
opposer le bien commun chaque fois que celui-ci se verrait contrarié par la satisfaction du désir
de droits individuels. Mais la société actuelle a de moins en moins cette force. Ainsi en 2004, le
législateur a entendu consacrer le droit au divorce : en pratique il a fait disparaître tout obstacle
pour l’époux qui veut absolument divorcer, qui réclame son droit au bonheur individuel, quel
qu'en soit le coût pour les enfants, pour son conjoint 38 , et même pour la société (c'est l'épineuse
question du logement que la multiplication des divorces ne contribue pas à résoudre, c’est le
moins qu'on puisse dire ; c'est la question de l'éducation des enfants qui n'est pas assurée dans les
meilleures conditions, et là encore c'est un euphémisme, lorsque l'un des parents est absent, etc.).
Aussi bien, la parade la plus pertinente aux revendications des droits individuels excessifs
pourrait bien se trouver dans d'autres droits individuels eux-mêmes : ils sont si nombreux, qu'on
peut sans doute assez facilement en trouver qui contredisent ceux qui sont réclamés…
Ainsi la maternité pour autrui sera vraisemblablement présentée dans le débat de l'année
prochaine comme l'expression d'un prétendu droit à l'enfant d'une femme qui ne peut mener une
grossesse ; mais ce prétendu droit se heurte au droit de l'enfant de mener une vie familiale
normale, au droit de l'enfant de connaître sa vraie mère 39 et d'être élevé par elle 40 , droit qui est
proclamé par la Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant dans
son article 7.
De même l'anonymat du don de gamètes et l'interdiction de révéler à la fois l'identité du
donneur et celle du couple receveur qui sont actuellement organisés par la législation, participent
sans aucun doute de la satisfaction du désir d'enfant des couples stériles (un prétendu droit à
l'enfant ?), car la levée de l'anonymat pourrait entraîner une baisse des dons. Mais après tout ceci
s'oppose encore à l'article 7 de la Convention de New York : « L'enfant est enregistré aussitôt sa
naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et dans la mesure
du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux ». Ce texte proclame un droit très
puissant et qui pourrait bien nourrir des revendications de plus en plus fortes à l'avenir, d'autant
que la Convention de New York a été récemment reconnue par la Cour de cassation comme
d'application directe devant les juridictions françaises, avec une force supérieure à celle des lois
nationales 41 .
Il n'y a donc pas que de mauvaises choses dans la proclamation des droits individuels…
La loi du 11 juillet 1975 qui avait déjà libéralisé le divorce, avait tout de même laissé subsister ce que l'on
appelait la clause de dureté, qui permettait au juge de ne pas prononcer le divorce (pour rupture de vie
commune) lorsque celui-ci aurait eu pour le conjoint ou pour les enfants des conséquences d'une
exceptionnelle gravité (C.civ., art. 240). Le « droit au divorce » n’était donc pas assuré en toute hypothèse ;
c'est précisément cet obstacle que le législateur a entendu faire disparaître 2004.
39 C’est-à-dire celle qui l’a porté et mis au monde lors de l’accouchement (cf. C.civ., art. 325 et 332).
40 C’est d’ailleurs l’intérêt de l’enfant que le Professeur Jean BERNARD, invité par la Cour de cassation à
lui communiquer son avis avant qu’elle ne statue en 1991 sur la question de la maternité de substitution,
avait tout particulièrement mis en avant pour justifier son opposition à ce processus : l’enfant connaîtra
des troubles vers 14-15 ans ; il ira à la recherche de sa vraie mère ; il sera très malheureux, avait expliqué le
grand médecin qui présidait à l’époque le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie
et de la santé (v. la communication précitée, JCP 1991, II, 21752).
41 Cass. 1re civ. 18 mai 2005 : Bull. civ. I, n° 212.
38
14