Robert Wilson met en scène et interprète La Dernière Bande de
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Robert Wilson met en scène et interprète La Dernière Bande de
Un génie de la scène, un génie de l’écriture Théâtre Photo © Lucie Jansch Robert Wilson met en scène et interprète La Dernière Bande de Samuel Beckett THÉÂTRE FORUM MEYRIN – PLACE DES CINQ-CONTINENTS 1, 1217 MEYRIN-GENÈVE WWW.FORUM-MEYRIN.CH – BILLETTERIE DU LU AU VE DE 14H À 18H / +41 22 989 34 34 Accueil réalisé avec l’aimable soutien de Meyrin Centre, le centre commercial de Meyrin 22 et 23 février à 20h30 La Dernière Bande Krapp’s Last Tape Samuel Beckett – Robert Wilson Le spectacle La Dernière Bande est une pièce de Samuel Beckett en un acte, écrite en anglais sous le titre de Krapp’s Last Tape. La première de la pièce a été donnée le 28 octobre 1958, au Royal Court Theatre de Londres, dans une mise en scène de Donald McWhinnie et jouée par Patrick Magee. Krapp, un vieil homme, est assis seul dans sa chambre tard dans la nuit. C’est son soixante-dixième anniversaire. Il se prépare à enregistrer ses souvenirs de l’année écoulée, comme il a l’habitude de le faire pour chacun de ses anniversaires depuis sa jeunesse. Les événements enregistrés sur chaque bande sont méticuleusement notés dans un grand livre qui lui permet d’accéder facilement aux souvenirs de son passé. S’apprêtant à enregistrer une nouvelle bande, il écoute un enregistrement qu’il a réalisé trente ans plus tôt. C’est alors la voix d’un homme confiant, optimiste, dans la force de l’âge, qu’il entend. C’est à peine s’il se reconnaît. Il rit, avec ironie, en entendant ses ambitions passées et ses vieux rêves. Il réécoute de nombreuses fois un passage, dans lequel le jeune Krapp parle calmement et avec philosophie de la fin d’une relation avec une femme, qui pourrait être appelée Effi. À l’époque, il envisage cette rupture comme inévitable et se réjouit des nombreuses conquêtes et triomphes à venir. À présent, avec du recul, il se rend compte qu’elle était le dernier grand amour de sa vie, et qu’en la perdant il y a tant d’années ses chances de bonheur se sont envolées. Spectacle en anglais surtitré en français La Dernière Bande Les notes d’intention Pour l’une de mes premières pièces, Une lettre de la reine Victoria, j’ai été honoré que Beckett vienne me voir en coulisses. Il m’a complimenté sur mon texte fragmenté et non séquencé, qu’il trouvait formidable. Finalement, c’est Eugène Ionesco qui a fait la critique de ma toute première pièce Le Regard du sourd et a écrit « Wilson est allé plus loin que Beckett. » C’est pour cela que j’ai été très intimidé lorsque je l’ai finalement rencontré. J’ai toujours senti une parenté avec le monde de Beckett. Il est, d’une certaine manière, trop proche de mon travail. Mais maintenant, après 35 ans, j’ai décidé de relever le défi et de me lancer. Lorsque je dirige un travail, je crée une structure installée dans le temps. Enfin, lorsque tous les éléments visuels sont en place, je crée un cadre que les interprètes remplissent. Si la structure est solide, alors chacun s’y sent libre. Ici, pour la plupart, la structure est donnée, et je dois trouver ma liberté au sein de la structure de Beckett qui indique à quoi elle doit ressembler, quels sont les mouvements, etc. Tout est écrit. Robert Wilson Non seulement Robert Wilson conçoit la mise en scène et la scénographie de ce spectacle, mais il y joue également. Sa première apparition en tant qu’acteur remonte en 2000, lorsqu’il interprète Hamlet : un monologue. Ce travail complet offre une opportunité unique à son art de la scène – qui est le mélange d’une intégration rigoureuse et précise du mouvement, de la lumière et du son – d’afficher au sein de ce cadre, une structure qui laisse une grande liberté à la spontanéité. C’est ce qui rend sa performance si passionnante. Robert Wilson a souvent été comparé à Beckett, tous deux excellant dans la maîtrise de l’austère simplicité, réalisation artistique des plus difficiles. Rien n’est superflu, pas un mot, pas un mouvement. En l’espace d’une brève heure Beckett et Wilson peignent en quelques touches une vision du monde à la fois particulière et universelle. Sue Jane Stoker, Collaboratrice à la mise en scène La Dernière Bande Les biographies Samuel Beckett Samuel Beckett est né à Dublin le 13 avril 1906. Issu d’une famille protestante, il étudie le français au Trinity College de Dublin. En 1928, il est nommé lecteur d’anglais à l’École normale supérieure de Paris, et fait la connaissance de James Joyce, dont il traduit en 1930 Anna Livia Plurabelle. De 1931 à 1937, il effectue de nombreux voyages, résidant tantôt en France, tantôt en Angleterre, mais se fixe définitivement à Paris à partir de 1938. Il écrit son premier roman, Murphy, en 1935. Jusqu’au début de la guerre, il écrit ses livres en anglais. Pendant la guerre, il s’engage dans la Résistance et rejoint le Vaucluse où il écrit son deuxième roman, Watt, et invente la figure du « clochard » que l’on retrouvera constamment dans son oeuvre. Après 1945, il commence à traduire ses ouvrages antérieurs – notamment Murphy – en français, et à écrire des poèmes et des nouvelles dans cette langue. Par la suite, il écrit la majeure partie de son oeuvre en français, choisissant ainsi volontairement de travailler avec et sur une langue qui n’est pas la sienne. Il retourne ensuite à Paris où il écrit romans (Premier amour, Molloy), pièces de théâtre (Eleuthéria), mais aussi recueils, poèmes, essais… C’est en 1953 avec la pièce En attendant Godot, représentée à Paris dans une mise en scène de Roger Blin qu’il acquiert sa renommée mondiale, consacrée par le prix Nobel de littérature en 1969. Les quinze dernières années de Beckett sont marquées par des oeuvres minimales et courtes comme Catastrophes et autres dramaticules (1982). Le 22 décembre 1989, il décède à Paris à l’âge de 83 ans. À la question « Pourquoi écrivez-vous ? », Beckett répondait : « Bon qu’à ça. » Robert Wilson, mise en scène et rôle de Krapp Le New York Times décrit Robert Wilson comme « une figure majeure dans le monde du théâtre expérimental ». Son travail scénique intègre une large variété de moyens artistiques, combinant le mouvement, la danse, la peinture, les lumières, l’esthétique du mobilier, la sculpture, la musique et le texte, ces éléments se fondant en un ensemble unifié. Né à Waco (Texas), Robert Wilson fait ses études à l’Université du Texas et au New York City’s Pratt Institute. Dans les années 60, il est reconnu comme l’une des figures de proue de l’avantgarde théâtrale de Manhattan. En collaboration avec la fondation Byrd Hoffman School of Byrds, il crée des spectacles tels que Le Regard du sourd (1970) et The Life and Time of Joseph Staline (1973). En 1976, son opéra Einstein on the Beach, sur la musique de Philip Glass, reçoit la consécration mondiale et fait basculer la perception conventionnelle de l’opéra. Cette oeuvre a été présentée en 2012 dans une nouvelle version. La Dernière Bande Robert Wilson réalise dans le monde entier (Festival d’Automne à Paris, Berliner Ensemble, Schaubühne de Berlin, Thalia Theater de Hambourg, Festival de Salzbourg, Brooklyn Academy of Music) la mise en scène d’oeuvres originales comme d’ouvrages du répertoire traditionnel. À la Schaubühne, il crée Death Destruction and Detroit (1979) et Death Destruction and Detroit II (1987), au Thalia Theatre, il présente The Black Rider (1991) et Alice (1992). Dans le domaine de l’opéra, il met en scène Parsifal à Hambourg (1991), Houston (1992) et Los Angeles (2005), La Flûte enchantée (1991), Madame Butterfly (1993), Pelléas et Mélisande (1997) à l’Opéra national de Paris, Lohengrin au Metropolitan Opera de New York (1998, 2006). Parmi ses dernières productions, citons La Galigo (basée sur le folklore épique d’Indonésie), créée au Muziektheater d’Amsterdam en 2004 et présentée en 2005 au Lincoln Center de New York et Les Fables de La Fontaine à la Comédie-Française. Il continue à superviser la reprise de ses plus célèbres productions, telles The Black Rider à Londres, San Francisco, Sydney et Los Angeles, La Tentation de Saint Antoine à New York et Barcelone, Erwartung à Berlin, Madame Butterfly au Bolchoï de Moscou, la Tétralogie au Théâtre du Châtelet. En 2010, Robert Wilson met notamment en scène Krapp’s Last Tape (La Dernière Bande) qu’il tourne à Séoul, à Rome et à Lodz, ainsi que la pièce de Samuel Beckett Happy days (Oh les beaux jours), présentée en France à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet. Le spectacle The Threepenny Opera (L’Opéra de quat’sous), programmé au Festival d’Automne à Paris en 2009, poursuit sa tournée mondiale. En 2010, Robert Wilson signe également KOOL : dancing in my mind, film qu’il réalise en hommage à la danseuse Suzushi Hanayagi. Théâtrale, l’œuvre de Robert Wilson est aussi ancrée dans les beaux-arts (peinture, sculpture, dessin et photographie). Ses réalisations dans ce domaine ont été exposées dans les plus grands musées et galeries du monde entier. Le Centre Georges Pompidou et le Boston Museum of Fine Arts ont présenté des rétrospectives Robert Wilson. Il réalise des installations pour le Stedelijk Museum d’Amsterdam, le Boymans Van Beuningen Museum à Rotterdam, le London’s Clink Street Vaults, MASS MoCA et les musées Guggenheim de New York et Bilbao. Son travail sur les œuvres d’Isamu Noguchi et de Giorgio Armani est présenté au Noguchi Garden Museum de New York et à Rome. Chaque été, Robert Wilson dirige une académie d’été au Watermill Center à Long Island, centre expérimental d’art pluridisciplinaire dédié à la création collective, qui réunit professionnels confirmés et jeunes artistes. Il a reçu de nombreux prix dont un Obie Award pour la mise en scène, le Golden Lion pour la sculpture à la Biennale de Venise 1993, le Dorothy and Lilian Gish Prize, le Premio Europa Award de Taormina Arte, deux Guggenheim Fellowship Awards, le Rockfeller Foundation Fellowship Award, une Nomination pour le Prix Pulitzer, le National Design Award for Lifetime Achievement. Robert Wilson est membre de l’ American Academy of Arts and Letters et Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres. La Dernière Bande Yashi Tabassomi, costumes et collaboration à la scénographie Yashi Tabassomi étudie les costumes et la scénographie au Berlin UdK (Université des Beaux-Arts) avec pour professeurs Martin Rupprecht et Vivienne Westwood. En 1999, elle rencontre Robert Wilson lors d’un séjour au Centre Watermill à Long Island. Elle intègre son équipe et travaille, en collaboration avec les costumiers Jacques Reynaud et Bickel Moidele, sur les productions internationales de White Raven (New York), Woyzeck (Copenhague), Frau ohne Schatten (Paris) et Dreigroschenoper (Berlin). Elle achève ses études à l’été 2000 avec la conception des costumes pour l’opéra Pelléas et Mélisande dirigé par Jörn Weisbrodt. Depuis, elle travaille comme costumière et scénographe pour le théâtre, l’opéra et le cinéma. En 2009, elle reçoit le prix Heinrich Heckroth de la scénographie pour les jeunes artistes. Pour Robert Wilson, elle conçoit les costumes de Rumi – In the Blink of the Eye (à Athènes), La Dernière Bande au Festival de Spoleto en 2009. Elle travaille avec des réalisateurs variés tels que Daniel Schmid, Hans Neuenfels, Adriana Altaras et Ullrich Rasche. La Dernière Bande A J. Weissbard, lumières Le créateur de lumières américain A. J. Weissbard mène une carrière internationale et intervient dans de nombreux domaines artistiques : opéra, danse, théâtre, vidéos, expositions, événements, installations architecturales, etc. Ses collaborations incluent de nombreux artistes, entre autres, Robert Wilson, Peter Stein, Luca Ronconi, Daniele Abbado, Bernard Sobel, Peter Greenaway, William Kentridge, Fabrizio Plessi, Giorgio Armani, Gae Aulenti, Pierluigi Cerri, Richard Gluckman, Matteo Thun, Fabio Novembre, et David Cronenberg. Il travaille pour de nombreuses institutions, des opéras, des festivals et des théâtres comme le Lincoln Center de New York, le Los Angeles Opera, le Brooklyn Academy of Music, l’Opéra Garnier et le Théâtre du Châtelet à Paris, l’Opéra La Monnaie à Bruxelles, le Teatro Real à Madrid, le Teatro alla Scala, le Piccolo Teatro à Milan, le Schaubühne à Berlin, l’Esplanade à Singapour et le Bunka Kaikan à Tokyo. Il travaille également pour des créations multimédia et des expositions dans des musées tels que le Guggenheim à New York et Bilbao, la Royal Academy à Londres, le Petit Palais à Paris, le Vitra Design Museum, la Triennale de Milan, le Palazzo Reale à Milan, le Kunstindustrimuseum à Copenhague, le Shanghai Art Museum, et pour des événements uniques tels que l’Aichi Expo en 2005, la Biennale de Venise, le Salone del Mobile de Milan, et la Biennale de Valence. Il a récemment reçu le premier prix Lighting Design au IFSArts-International Festival of Scenic Arts. Peter Cerone, son Peter Cerone est compositeur et concepteur sonore. Il vit au Canada, à Montréal. Il travaille dans le monde entier pour le théâtre, la création vidéo et pour des expositions. Depuis 1983, il collabore avec de nombreux réalisateurs et artistes, tels que Robert Wilson (VOOM Portraits, Giorgio Armani, un événement à Koi Pond pour l’Aichi Expo 2005, I La Galigo, The Temptations of Saint Anthony, Domus 70 Angels in The Façade, Lady From The Sea), Peter Greenaway (Wash & Travel, 100 objects to Represent the World), Michael Galasso, Vadim Fishkin (O Kuadrat), Karole Armitage (Yo, Giacomo Casanova), Dumb Type (Cascade), Luca Ronconi (Ruy Blas , Quer Pasticciaccio Brutto de via Merulana, Peer Gynt, King Lear), Massimo Castri (Ecuba), Federico Tiezzi (Ebdomero, Adelchi) et Maurizio Scaparro (Le Memorie di Adriano, Vita di Galileo) en Europe, aux USA, en Amérique Latine et au Japon. Peter Cerone travaille pour des opéras, des théâtres, des festivals et des musées, notamment au Het Musiek Theater à Amsterdam, au Lincoln Center Festival à New York, au Ruhrtriennale à Duisbourg, au Megaron à Athènes, au Piccolo Teatro à Milan, au Teatro Argentina à Rome, au Guggenheim à New York et à Bilbao, au Reina Sofia à Madrid, à la Paula Cooper Gallery à New York ainsi qu’à la Triennale de Milan, à la Biennale de Venise et à la Biennale de Valence. La Dernière Bande Entretien avec Bob Wilson A Paris, trois jours avant la première de Krapp’s Last Tape et tout juste de retour de Karlsruhe, Bob Wilson accordait quelques entretiens. Il y mettait un peu plus que de la politesse, de la malice, avec sa façon d’imiter soudain accents et attitudes de ceux qu’il évoque, comme si le monde était décidément son théâtre. René Solis : Il y a plus de quinze ans, vous jouiez Hamlet : a monologue, et vous étiez comme un petit garçon qui s’amuse au grenier. Aujourd’hui, vous vous sentez assez vieux pour interpréter un vieil homme ? Bob Wilson : J’étais l’enfant dans le grenier et là je suis le vieillard dans la cave ! Bon, j’ai 70 ans. Et j’oublie complètement mon âge. L’enfant revient toujours. Baudelaire l’a magnifiquement écrit : « Le génie c’est l’enfance retrouvée à volonté. » Quand on regarde un acteur, il faut qu’on voit l’enfant. Quand j’ai fait Salomé avec Montserrat Caballé, vous pouviez voir la petite fille, vraiment la voir. Quoi qu’on fasse, l’enfant est là. Pour Madame Butterfly de Puccini, comment peut-on faire ressentir une rédemption possible pour Pinkerton, ce salaud qui abandonne Madame Butterfly et la condamne au suicide ? Pour que l’émotion naisse, il faut qu’on puisse voir le petit garçon, c’est le moyen d’envisager de lui pardonner. Le chanteur avait compris cela. Si vous êtes le roi Lear, sur le point de mourir sur la falaise, il faut que le rire et l’enfant soient là. R.S : Pourquoi le rire ? B.W : Avant de jouer Hamlet, j’avais fait I Was Sitting on My Patio This Guy Appeared I Thought I Was Hallucinating… C’était un texte totalement absurde. Il ne faut surtout pas chercher du sens où il n’y en a pas. Chez Beckett, tout repose sur le silence. Dans ma version de La Dernière Bande, vingt-cinq minutes s’écoulent avant que j’ouvre la bouche. Comment faire pour que ce temps demeure vivant ? C’est un gros défi. La plupart des gens ont peur du silence. Alors qu’il faut faire confiance au silence, sinon, cela ne marche pas. Le deuxième élément, c’est l’humour. Si tu appuies cette histoire de vieil homme qui réécoute sa vie ( il prend soudain une voix mélodramatique, avec des trémolos ), c’est complètement ridicule. R.S : Comment s’est passé votre rencontre avec Beckett ? B.W : Il est allé voir A Letter for Queen Victoria [en 1974, à Paris, ndlr]. C’était aussi du « nonsense ». Après la représentation, il est venu me voir en coulisses et il m’a dit qu’il avait beaucoup aimé le texte, qu’il avait été « fasciné à quel point c’était vivant ». J’étais très surpris. Nous sommes allés dîner et nous avons parlé de Madeleine Renaud dans Oh les beaux jours, que j’avais vu plusieurs fois. Il m’a dit qu’elle était vraiment remarquable dans le rôle et je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu : parce qu’elle n’y comprend rien, mais qu’elle a le bon timing. ( Il marque soudain un rythme, avec des claquements de langue et de doigts ). Quand j’ai rencontré Heiner Müller et qu’il est venu à New York voir ma version de Hamlet Machine [en 1986, ndlr], il disait exactement la même chose : La Dernière Bande « C’est bien quand ils n’ y comprennent rien. » Il était ravi, il prétendait que ces jeunes Américains qui ne connaissaient pas l’Europe de l’Est, pour qui Prague, Berlin ou le communisme n’évoquaient rien, étaient les meilleurs interprètes qu’il ait jamais eus. R.S : Mais d’Isabelle Huppert, votre actrice fétiche en français, vous ne diriez pas qu’elle n’y comprend rien… B.W : Isabelle pense de façon abstraite et ne demande jamais le pourquoi des choses. Ce n’est pas fréquent. ( Il se penche sur le bloc-notes de son interlocuteur, dessine au crayon un grand C et un grand E, entoure le C puis remonte vers le E, s’arrête, et refait le dessin en sens inverse ). La plupart des acteurs, français, américains, allemands, les Allemands encore plus peut-être, partent de la Cause pour arriver à l’Effet. Mais c’est le contraire. Il faut partir de l’Effet pour remonter à la Cause. Isabelle connaît et accepte le formalisme et la distance. C’est une façon de respecter le public, de ne pas remplir tout l’espace. Montserrat Caballé disait : « Je ne donne jamais plus de 66%, 67%. » Isabelle, c’est exactement pareil. Elle garde toujours une part de mystère. Elle n’est jamais dans le trop. La plupart des acteurs ont peur de la froideur. J’ai souvent raconté ma rencontre avec Marlène Dietrich et dit qu’elle avait changé ma vie. Nous étions en train de dîner, un homme s’est approché de notre table et lui a dit : « Vous êtes tellement froide. » Et elle lui a répondu ( il imite la voix de Dietrich ) : « Mais vous n’avez pas entendu ma voix. » Tout son pouvoir de séduction était dans le décalage entre le feu de la voix et la glace du physique. R.S : Et Madeleine Renaud avait cela aussi ? B.W : La petite fille était là. Quand j’ai travaillé avec elle à Paris [en 1972 à l’Opéracomique pour le festival d’Automne, où elle traversait la scène à quatre pattes, dans le cadre d’une performance qui durait vingt-quatre heures, ndlr], j’étais terrifié et je lui ai dit que j’étais timide. Elle m’a répondu : « Le metteur en scène a toujours raison. Demandez-moi ce que vous voulez ! » Je lui ai dit qu’elle pouvait faire le chat. Elle était ravie ( il imite Madeleine Renaud imitant le chat ). R.S : Quand vous êtes vous-même interprète, est-ce que vous arrivez à avoir un regard extérieur sur ce que vous faites ? B.W : Plus je vieillis, plus j’ai du mal à voir à quoi cela ressemble. J’essaye de faire le vide. En 1984, jai rencontré Greg Louganis, le champion olympique de plongeon. Il était différent de tous les autres. Quand je voyais ses images à la télévision, je me demandais comment il faisait pour donner une telle impression de lenteur. Je lui ai posé la question : à quoi pensez-vous avant et pendant le plongeon ? Il m’a dit que dans le vestiaire, avant de sauter, il repassait tout dans sa tête : départ pied gauche, vingt-sept pas jusqu’à la ligne, le pied droit parfaitement équilibré… « Quand je suis en l’air, me disait-il, j’ai le sentiment de monter, pas de tomber. Et je dois être débarrassé de toute pensée. » Je crois que pour moi c’est un peu pareil, avant d’entrer en scène, je repasse tout dans ma tête, mais une fois que j’y suis, je me vide. R.S : Mais où êtes-vous pendant les vingt-cinq minutes où vous gardez le silence ? La Dernière Bande Même si tu fais exactement la même chose, c’est comme ouvrir un livre aux pages blanches. Une séquence de silence n’est jamais semblable à une autre, elle ne se répète pas. L’une des clés quand on joue, c’est de savoir écouter. Mieux tu écoutes, meilleur tu es. Beckett adorait les acteurs comiques, les acteurs de vaudeville. Il adorait Charlie Chaplin ou Buster Keaton, qui étaient capables de répéter sans cesse les mêmes gestes. Chaplin est venu voir le Regard du sourd [en 1971, ndlr]. Après le spectacle, j’étais avec lui, et une jeune fille de 17 ans est venue lui demander : « Le numéro de dressage de puces, dans Limelight [Les Feux de la rampe, ndlr], comment avez-vous fait ? » Et lui ( il imite la voix grave de Chaplin ) : « Ma chère, je l’ai travaillé pendant quarante-cinq ans. » Mais il y a aussi des choses que l’on apprend et que l’on n’oublie jamais, comme la bicyclette. Et qui vous permettent de penser à autre chose. Ma mère savait très bien taper à la machine, et elle disait qu’elle aimait ça parce que pendant ce temps, elle pouvait réfléchir. Mais pour revenir à Chaplin, il était capable de faire 150 prises de la même scène. Imaginez ! La spontanéité est longue à apprendre. Ce qui est beau dans un acteur, c’est toujours la danse ; le timing, pas la psychologie. Chaplin, Keaton : le visage blanchi, le maquillage, les yeux surlignés, et le mouvement. De la danse pure. Aujourd’hui, avec le naturalisme, la psychologie, les acteurs pensent beaucoup trop avec leur tête. La pensée devrait être dans le corps, l’esprit est un muscle. Si, avant de vous mettre en marche, vous vous mettez à réfléchir à comment marcher, vous n’y arriverez pas. Propos recueilli par René Solis, « La clé, c’est savoir écouter », Libération, 3-4 décembre 2011 La Dernière Bande La presse en parle Bien que spectaculaire, sa mise en scène ne prend jamais le pas sur le texte dont chaque mot frappe au cœur comme un grêlon. [...] C’est l’humanité d’un artiste qui sert l’humanité d’un auteur. Le temps jamais retrouvé s’est arrêté aussi pour nous, spectateurs. Dans nos têtes, la sublime bobine de cette «Dernière Bande» n’a pas fini de tourner. Philippe Chevilley, «Beckett illuminé», Les Echos, 6 décembre 2011 Pas de nostalgie, mais une distance avec soi, un œil et une oreille lucides, presque de l’autodérision, c’est le regard non pas d’un sourd, mais celui d’un metteur en scène accompli et d’un interprète en connivence avec un auteur. On ne pourra l’oublier. Annie Chénieux, «Une saisissante interprétation de Robert Wilson», Le Journal du Dimanche, 6 décembre 2011 S’emparant de Krapp’s Last Tape (La Dernière Bande) de Samuel Beckett, Robert Wilson se l’incorpore, en fait littéralement sa chose. [...] S’il suit à la lettre les indications vétilleuses de Beckett, il les traduit en signes majeurs et les orchestre sur le mode grandiose. Jean-Pierre Léonardini, «La Chronique Théâtre», L’Humanité, 5 décembre 2011 Le savoir-faire de Wilson dans l’usage de la lumière et de la bande-son est d’une précision à couper le souffle. [...] Vieux cabot simultanément comique et glaçant, on peut imaginer que Beckett aurait aimé Krapp selon Wilson. René Solis, «La Dernière Bande à part de Bob Wilson», Libération, 5 décembre 2011 Un spectacle époustouflant, une interprétation magistrale. On sort de cette heure dix minutes bouleversé par la profondeur d’un regard et d’un jeu, d’une manière d’être au plus près de la vérité d’une écriture, d’une pensée. Au cœur des ténèbres, dans le malheur d’être né. [...] Ce qui est extraordinaire dans le spectacle dont Robert Wilson signe la mise en scène, la conception des lumières et l’interprétation, c’est qu’il est d’une profonde fidélité à Samuel Beckett et aux indications ultra précises de l’écrivain, mais que, en même temps, il dilate la matière textuelle d’une telle façon que l’on a le sentiment d’un opéra fabuleux. [...] Aucun mot, aucun description, aucune tentative de traduction peut donner une idée de ce qui se produit là. C’est de l’ordre de la rencontre d’une sensibilité avec une écriture. [...] Par-delà le dispositif, ce qui fascine, subjugue, déchire le coeur, illumine en soi l’entendement d’un monde sombre, noir et lumineux comme le blanc fluo, c’est l’interprète Robert Wilson qui maîtrise au soupir près cette partition. Armelle Héliot, «Le prodigieux Krapp de Robert Wilson», Le Figaro, 3 décembre 2011 La Dernière Bande Distribution Texte Samuel Beckett Mise en scène Robert Wilson Avec Robert Wilson Mise en scène, scénographie et conception lumières Robert Wilson Costumes et collaboration à la scénographie Yashi Tabassomi Lumières A.J. Weissbard Son Peter Cerone et Jesse Ash Un projet de Change Performing Arts Commandité par Spoleto 52 Festival dei due Mondi et Grand Théâtre de Luxembourg Production CRT Artificio, Milan Crédits photos Lucie Jansch Durée 1h10 Théâtre partenaire Théâtre de Carouge – Atelier de Genève Accueil réalisé avec l’aimable soutien de Meyrin Centre, le centre commercial de Meyrin Location et renseignements Théâtre Forum Meyrin Place des Cinq-Continents 1 1217 Meyrin (GE) Billetterie Du lundi au vendredi de 14h à 18h ou par téléphone au 022 989 34 34 Achat des billets en ligne sur www.forum-meyrin.ch Prix des billets Plein : 60.-/ 50.Réduit : 55.-/ 45.Mini : 40.- / 30.Avec le Pass Forum : 40.- / 30.Autres points de vente Service culturel Migros Stand Info Balexert Migros Nyon-La Combe Partenaire Chéquier culture Les chèques culture sont acceptés à nos guichets Relations presse Responsable : Ushanga Elébé [email protected] Assistante : Delphine Neuenschwander [email protected] T. 022 989 34 00 (10h-12h et 14h-18h) Photos à télécharger dans l’espace Médias: http://www.forum-meyrin.ch/media/spectacles