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Journal d’investigation sur
LA FRATERNITÉ DE LA VAGUE
Par Tina Ragnaroëker
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Nous sommes aujourd’hui le cinq du mois du Fagot de l’an 1111.
Depuis quelques mois, mes compagnons et moi avons découvert l’existence
d’une secte secrète extrêmement dangereuse : la Fraternité de la Vague. Il me
semble judicieux d’écrire ici tout ce que nous avons déjà découvert à son sujet.
Je compléterai ce journal au fur et à mesure de nos investigations futures.
J’espère qu’il n’aura jamais besoin d’être lu. Cette éventualité ne
pourrait survenir que dans deux cas : soit notre mort prématurée, soit la
nécessité pour d’autres, dans le futur, de devoir recourir aux informations
qu’il contient. Aucune de ces deux possibilités n’est évidemment souhaitable !
Avant de passer à la relation de nos découvertes, je me permets
d’apporter quelques précisions plus générales, sans savoir si elles sont d’une
quelconque utilité…
Tout d’abord, qui sommes-nous ?
Ian est un prêtre de Malkus, un arrière-petit-fils de Nim ; Arnem un
membre de la Confrérie des Voleurs, un arrière-petit-fils de Gütveuc’h ; et moi
une arrière-petite-fille de Jorus. Nous ne nous connaissions que très
vaguement avant d’être tous trois mêlés à cette histoire. Or Nim, Gütveuc’h et
Jorus ont été liés à des événements très importants au cours de la quatrième
décennie du siècle dernier. Mon arrière-grand-mère les a relatés dans un
volume intitulé « Ceux qui viennent d’Ailleurs ». Ils ont eu, sans le savoir, une
approche indirecte des événements qui nous préoccupent aujourd’hui.
Certains passages de ses mémoires nous aident à mieux appréhender les
événements actuels.
Deux autres compagnons se trouvent avec nous dans cette galère : Ioghi
– diminutif de Iogwahir ! –, un très jeune ensorceleur, et Anya, une rôdeuse
rônirienne. J’ai du mal à penser qu’ils sont là par hasard, mais je n’en
comprends pas, ou pas encore, les raisons.
Je tiens également à préciser que suis saine d’esprit. Ce n’est donc pas
folie de penser que le Destin nous a impliqués dans cette histoire. Que ceux
qui commenceraient à sourire d’un air entendu en se rappelant mon nom
oublient leur raillerie. Avant même de découvrir l’existence de cette
Fraternité, quelques événements, que je ne peux pas imputer au hasard, se
sont produits.
Tout d’abord, quelques jours à peine après notre départ de Port-Ker,
nous avons trouvé Souffleuse. Oui, la troisième épée forgée par Iogha, censée
avoir disparu depuis des siècles, et dont les runes gravées en nordique ancien
signifient : « Le vent me portera ». Je la porte depuis.
Nous avons ensuite rencontré Katrilia, une prêtresse d’Adhara, et Sylla,
une prêtresse de Vallinouë. Adhara est apparue dans nos rêves la nuit
suivante, nous transmettant ce message : « Ne vous inquiétez pas, je suis là. » Puis
Sylla a annoncé, à la manière de ses sœurs : « Les étourneaux volent vers le bleu »
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et « Le vent souffle à nouveau ». Comme de bien entendu, nous avons commencé
à nous inquiéter… Et, si les premiers humains auxquels nous avons fait part
de nos découvertes n’ont pas prêté une grande attention à notre histoire de
secte pratiquant des sacrifices, il paraît assez évident que les dieux s’en
préoccupaient déjà.
Maître Fillouz in Tillouz
Tout a commencé avec la rencontre de maître Fillouz, marchand
karamite, un soir au bord du Long Chemin. Rien de particulier ne s’est passé,
excepté que nous avons appris qu’il revenait d’Althor.
Lorsque nous l’avons revu quelques jours plus tard, c'était sous forme
de cadavre. Son corps semblait comme explosé de l’intérieur. C’était horrible à
voir. Cette mort n’avait rien de naturel mais, d’après certains mages, elle
n’était pas due non plus à un sortilège connu. Nous avons retrouvé les restes
de ses deux gardes du corps : l’un écorché au sommet d’un arbre, comme s’il
était tombé du ciel ; le second éventré, ses tripes se déroulant sur une
vingtaine de mètres.
L’après-midi même, nous avons été attaqués, dans la cour de mes
grands-parents, par une créature écailleuse et ailée, inconnue. Pas seulement
inconnue de nous – qui ne connaissons pas grand-chose –, inconnue du
Premier Conseiller lui-même, ce qui est plus significatif.
Durant la nuit, une douzaine de ces créatures ont pénétré dans notre
maison après avoir retiré quelques tuiles de la toiture. Nous avions beau être
presque aussi nombreux qu’elles, certains membres de ma famille – qui se
défendent pourtant bien avec une arme – ont failli mourir. Heureusement, une
jeune guerrière des Filles de la Lune, Silva, est intervenue, comme par
miracle.
Découverte d’une secte
Le lendemain, un employé de la Maison du Conseil1 nous a appris d’une
part que Maître Fillouz travaillait parfois pour son service, d’autre part
l’existence d’une « secte adorant un ou plusieurs dieux, pas très sérieuse mais
potentiellement dangereuse ». Il nous a communiqué l’adresse de l’un de ses
membres, un marchand port-kérien : maître als Kfir.
Nous avons visité sa demeure en son absence et découvert dans sa cave
:
- un pentacle recouvert de signes incompréhensibles,
- une robe de cérémonie noire portant divers symboles et une tête de
bouc,
- un autel en chêne,
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- un poignard, sans doute sacrificiel, gravé d’une tête évoquant celle
d’une pieuvre,
- un livre écrit dans un langage incompréhensible.
Nous n’avons pas su déterminer s’il s’agissait d’un alphabet inconnu, de
runes ou de symboles. Un sortilège de lecture de la magie ne nous en a pas
appris davantage. Certains dessins étaient plus explicites : ils représentaient
des têtes de pieuvres et des monstres à têtes de poissons.
Ce livre était annoté, en rônirien. Rien de fascinant, les délires d’un
fanatique. Les mots « lumière » et « de l’autre côté de l’enveloppe charnelle » ont
retenu notre attention. Ainsi que deux noms semblant correspondre aux dieux
adorés par le marchand : Dagon et Shub-Niggurath.
À Althor
Le Bois Doré
Supposant que Fillouz avait été assassiné par des membres de la secte
pour l’empêcher de révéler ce qu’il avait découvert à Althor, nous avons
décidé de nous y rendre.
Un voleur rencontré là-bas nous a appris qu’il avait connaissance d’une
société secrète nommée La Fraternité de la Vague. D’après lui, cette secte «
qui fait apparaître des monstres et des démons » avait sacrifié un enfant. Il nous a
communiqué la date probable de sa prochaine réunion, et le lieu : un manoir,
Le Bois Doré, à quelques kilomètres de la ville.
Tyram Lors, le marchand propriétaire de ce manoir, semblait avoir à
demeure trois créatures ailées telles que celles qui nous avaient déjà attaqués à
la maison. Elles « nichaient » dans le grenier de son ancienne écurie. Ses
chevaux avaient été relégués dans une ferme voisine, la proximité des
monstres devant les rendre nerveux.
Nous avons tué deux de ces créatures et blessé la troisième... qui est
alors allée gratter à la porte de la demeure. Une vieille femme lui a ouvert,
comme s'il s'agissait d'un animal domestique. Elle s’est apitoyée sur la bestiole.
Bestiole qui pourtant l’a déchiquetée peu après.
Lors a ensuite invoqué une créature énorme dotée de tentacules
gigantesques. Ce monstre, jailli du sol, a littéralement défoncé la cour. Il était
très coriace et je pense que nous aurions eu du mal à le vaincre. Il a
heureusement disparu lorsque l'un de nous a réussi à tuer le marchand de
deux coups de dague bien placés.
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Comme à Port-Ker, nous avons découvert dans le manoir un pentacle,
un bol, un couteau de sacrifice couvert d’inscriptions incompréhensibles, une
robe de cérémonie, bleu sombre cette fois. Et trois livres.
Le premier était écrit avec les mêmes symboles que celui de Port-Ker
Le second, intitulé La merveilleuse cité de Ts’gghk’th, traitait d’une
cité située au fond de l’océan de Cth’rrll – autrement nommé l’Océan des
Mille Vagues – habitée par de merveilleux êtres tentaculeux et – ou –
Écailleux.
Le troisième avait pour titre La vague. Il s’agissait d’un traité sur la
résurgence des vrais dieux qui n’allaient faire qu’une bouchée des faux dieux
actuels et qui délivreraient l’humanité de leur asservissement. L’humanité en
question étant bien entendu réduite aux fidèles servants les vrais dieux
transformés alors en merveilleuses créatures…
Nous avons également récupéré chez Lors plus de deux cents
couronnes helvellyniennes. Ça peut toujours servir !
Certes, tout cela peut paraître totalement ridicule au premier abord.
Une secte d’illuminés, pratiquant des sacrifices, vénérant un culte marin,
rêvant de dieux puissants qui détruiraient l’humanité et feraient de leurs
suivants les maîtres d’un nouveau monde.
Il n’empêche qu’un simple marchand adepte de cette secte pouvait
invoquer des créatures monstrueuses sans, visiblement, aucune connaissance
en magie. Et, si Adhara et Vallinouë s’étaient manifestée alors que
l’anéantissement des « faux dieux » – dont elles – était prévu, ce n’était sans
doute pas si risible que ça.
À ce propos, j’ai oublié d’indiquer que Sylla nous avait retrouvés,
guidée par Vallinouë, porteuse d'un message de la déesse : « Mais sombre est
l’abîme ». Elle ne nous quitte plus et nous aide, même si, bien entendu, nous
avons parfois du mal à interpréter ses paroles sibyllines… La jeune prêtresse a
changé depuis notre première rencontre. Elle est maintenant aveugle et,
visiblement, plus proche de sa déesse.
L’enquêteur
L’homme chargé de l’enquête sur la mort de Lors a disparu sans laisser
de trace.
Lorsque nous avons pénétré dans sa demeure, nous avons découvert le
cadavre de sa mère, morte noyée dans son lit trempé d’eau salée. Il n’y avait
cependant aucune trace d’eau sur le sol.
Nous avons également trouvé des notes sur l'une de ses enquêtes
concernant divers crimes liés par des points communs. À chaque fois, la
victime était une femme, souvent prostituée, retrouvée atrocement mutilée.
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Ces crimes avaient eu lieu tous les deux mois, les nuits de pleine lune. Nous
avons calculé la date probable du sacrifice (?) suivant.
Un autre document a retenu notre attention. Seuls quelques mots y
étaient inscrits :
- Fraternité de la Vague
- croissant de lune en argent
- Turil
Le croissant de lune en argent nous a fait penser aux Filles de la Lune.
Et à l’intervention plus que bienvenue de leur guerrière…
« Turil » ne nous évoquait rien de particulier, excepté un nom cité dans
les mémoires de mon arrière-grand-mère : celui d’un dieu – de la même
époque que ceux que nous connaissons, donc « nouveau » – lié à la terre. Ce
Turil et un autre dieu, nommé Io et lié à la mer, auraient suivi l’enseignement
d’Ozymandis un moment avant de partir faire leur vie ailleurs.
Pour mémoire : Ozymandis, le père des dieux, était un être venu d’ailleurs,
aux pouvoirs incommensurables. C’est lui qui a choisi nos dieux alors qu’ils
étaient encore enfants et leur a appris leur métier.
Le magicien Sallis Vitras
Nous avons découvert et tué celui qui semblait être « Le Maître » de la
secte à Althor. C’était un magicien assez puissant qui n’a invoqué aucune
créature particulière.
Chez lui aussi, nous avons fait des découvertes intéressantes. Je passe
sur le pentacle et autres objets de culte qui commencent à nous devenir
familiers pour aborder directement les livres trouvés.
Tout d’abord deux livres anciens, rédigés en karamite ancien, qui
comprenaient des textes rituels, les procédures d’invocation de créatures
(entre autres les créatures ailées déjà rencontrées) et un rituel de
communication avec un être non nommé – et « qu’il ne faut pas nommer de peur
qu’il vienne ».
Nous avons brûlé ces livres dans le temple de Malkus.
Un autre gros livre recensait cinq cent quatre-vingt-dix noms et
localisations. Nous avons supposé qu'il s'agissait d'un registre des membres de
la secte. Le marchand de Port-Ker (numéro 316) et celui du Bois Doré (63) y
étaient mentionnés, ainsi que le magicien (29). Aucun nom ne faisait face aux
huit premiers chiffres.
Nous avons remis ce livre à un employé de la Maison du Conseil 1.
Pour terminer, un journal d’enquête en six volumes résumait
visiblement vingt ans de recherches du magicien. Nous avons compris qu’il
souhaitait trouver un texte nommé Le très ancien et horrifique rituel des
abysses, rituel dont le but serait de réveiller un dieu très ancien. Ce dieu lui-
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même aurait laissé ces instructions aux humains afin qu’ils puissent le réveiller
« lorsque le temps sera venu ».
Le journal du mage traitait à la fois de ses recherches pour tenter de
reconstituer ce rituel et de son enquête pour en retrouver un exemplaire, a
priori unique. Il en aurait suivi la trace à travers tout le Continent, y compris à
Gefn et à la bibliothèque de Scyld, pour la perdre à Karam. Enfin, pas
totalement, puisqu’il soupçonnait une femme d’en avoir pris possession en
1040. Le nom de cette femme, Raÿanne al Mabdn, ne nous est pas inconnu :
c’était une Fille de la Lune, amie de nos arrière-grands-parents. Une phrase
de Sallis Vitras a retenu notre attention : elle précisait qu’une grande force
morale était nécessaire pour lire ce livre et que beaucoup en étaient devenus
fous.
Le retour
Sylla nous a appris un soir que l’Océan des Mille Vagues était tout
bêtement la mer Aspharienne. N’étant pas très calée en géographie, je ne sais
pas où elle s’arrête pour laisser place à la mer Zalurienne. Mais elle baigne
quand même presque toute la côte ouest du Continent et une bonne partie de
la côte est d’Helvellyn. Vaste terrain d’investigation !
Nous sommes passés voir les parents d’Anya. Sylla lui a annoncé que sa
mère allait mourir dans l’année et qu’il n’y avait rien à faire. C’était compter
sans l'intervention de Zhôr, apparu en rêve à notre amie désespérée pour lui
dire : « Je t’ai entendue ». Nous n’avons plus d’inquiétude pour la survie de sa
maman2.
Nous avons alors compris que Zhôr aussi surveille ce qui se passe. Tout
comme Iogha, passé nous voir un soir. Il ne nous a rien appris sur les sujets
qui nous préoccupent. Par contre, durant sa brève visite, Sylla a
annoncé : « Le signe est sur Port-Ker aussi ».
À Port-Ker
Nous nous sommes renseignés sur Raÿanne. Elle est morte en 1072.
Elle était apparemment devenue incapable de se déplacer et avait perdu toutes
ses facultés intellectuelles. Est-ce parce qu’elle avait lu le livre recherché par le
magicien althorien ? Les traces de sa famille se perdent juste après sa mort.
Nous avons visité sa tombe afin de nous assurer que le livre ne s’y trouvait
pas. Je tiens à le préciser ici afin que personne ne perturbe de nouveau son
sommeil éternel. Que les os veillent sur elle…3
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Nous avons découvert qu’à Port Ker aussi des crimes rituels avaient lieu
toutes les deux nuits de pleine lune. Nous n’avons pas pu réussi à contrer le
dernier, malgré l’aide de la Confrérie. En effet, notre calcul était faux : les
femmes disparaissent la veille de la pleine lune.
Par contre, les auteurs du crime ont été identifiés. Le registre trouvé
chez le magicien indiquait le nom de maître Varus, le Septième Conseiller (67
dans le registre). Il a avoué et dénoncé ses complices.
Il semble que nous soyons loin de « la secte adorant un ou plusieurs dieux,
pas très sérieuse mais potentiellement dangereuse » évoquée au début de nos
recherches.
Nous avons rencontré Melkarth, un homme puissant, ami de mon
arrière-grand-mère et lié aux événements du siècle dernier4. J’espère qu’il
pourra nous aider, tant par ses compétences que par ses connaissances.
Un vieil homme, Jarrod, accompagné par sa petite fille, Ilyria, est venu
nous rendre visite. Il nous a appris qu’il avait été mage. Quelqu’un l’avait
informé de nos investigations et il pensait que ses connaissances pourraient
nous être utiles. Il avait effectué, autrefois, des recherches ésotériques qui
dépassaient le cadre de la magie. Il a précisé qu’il ne s’agissait pas de
nécromancie. Il avait fait cela durant une trentaine d’années et avait découvert
des choses « plus dangereuses et plus puissantes que la magie ». Il avait expérimenté
et dirigé des rituels. D'après lui, tout le monde pouvait diriger un rituel à
condition de posséder une forte volonté et d'accepter de « donner de soi ». Il
nous a expliqué que les plus importants rituels nécessitaient un
« focalisateur ». Nous en avons déduit qu’il parlait des jeunes femmes
sacrifiées les nuits de pleine lune.
Nous lui avons parlé du livre recherché par le mage d’Althor. Il s’est
inquiété, affirmant que, s’il était retrouvé, le monde courrait le plus grand
danger qu’il ait jamais connu. Il a ajouté : « Ils ne sont pas de ce monde. Parmi eux
s’en trouve un qui a plein de noms. Il ne faut pas le (lequel ?) prononcer sinon il risque de
venir. Il marche sur les vents. Il rentre dans les rêves. Ou pire ». Ça m’a rappelé un
passage des mémoires que je citerai en annexe5.
Nous avons appris qu’il pourrait y avoir une vingtaine de dieux anciens.
Et que le fils de Jarrod, le père d’Ilyria, était mort en combattant des
créatures monstrueuses.
Le vieil homme a soudain commencé à se transformer. Il avait du mal à
respirer, des ouïes s’ouvraient dans son cou. Sa peau est devenue écailleuse.
Des palmes ont poussé entre ses doigts. Ilyria s’est inquiétée de son bien-être
mais il était évident que ce n’était pas la première fois qu’elle le voyait faire ça.
Puis il a repris son apparence normale. Et il nous a raconté qu’il était
allé à Aza, un village de pêcheurs à deux ou trois jours de cheval au nord de
Port-Ker. Il y était resté six mois. Il y avait fait des choses terribles, avait
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participé à des rituels. Il était devenu « la moitié de l’un d’eux ». Tous les
habitants du village, qui se nommaient Ceux des Profondeurs ou Les
Plongeurs, étaient comme « ça ». Nous avons supposé qu’il faisait allusion à sa
faculté de métamorphose. Il a expliqué que leurs enfants naissaient humains
mais se transformaient naturellement, et rapidement. Il a terminé en
affirmant : « Tout ce qui se passe à Aza est lié aux dieux anciens ».
Aza
Djoulio
De la plage d’Aza, nous avons remarqué un homme dans une barque
qui hurlait, dans un langage inconnu de nous, quelque chose comme : « Itsse
taill’me tou daille ». Il tirait sur un pêcheur avec une arme qui crachait du feu. Il
était bizarrement vêtu et portait un étrange chapeau.
Note : mon arrière-grand-mère et ses amis ont fait un bref séjour dans un
monde différent du nôtre, La Mérique, dans des villes nommées Lasse
Végasse et Le Bronsse. Ses habitants portaient des vêtements identiques et
étaient armés de fingues (entre autres).
Ian a pu discuter avec l’homme, grâce à un sortilège. Il s’appelait
Djoulio et venait aussi de La Mérique. Il était envoyé par Malkus. Malkus,
qui est apparu le matin pour récupérer Djoulio. Il nous a expliqué qu’il avait
fait « une erreur d’aiguillage » et qu’il n’aurait jamais dû se trouver ici. Il était
censé combattre ailleurs, des créatures identiques à celles d’Aza.
Nous avons ainsi appris que, dans d’autres mondes également, des
individus cherchaient à réveiller les anciens dieux. Anciens dieux identiques
pour tous. A priori, il suffit qu’ils soient réveillés quelque part pour sévir dans
tous les mondes.
Malkus a affirmé qu’il nous aidait, même si nous n’en avions pas
conscience. C'était toujours bon de le savoir...
Le village
Aza sent abominablement le poisson. Même le pain et le fromage ont un
goût de poisson !
Le village comprend une centaine d’habitants.
Nous avons visité le cimetière surplombant la mer du haut d’une falaise.
Sur certaines tombes très anciennes, rien n’est lisible. Sur d’autres sont
indiquées les dates de décès, mais aucune date de naissance. Sur toutes est
gravé un symbole : une vague (?) dans un triangle. Il y a étonnamment peu de
décès, même pour un village de cette taille, le dernier remontant à trente-sept
ans.
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Un brouillard épais s’était répandu partout. Nous n’avons pas pu
déterminer s’il était naturel.
À l’auberge, nous avons été attaqués par cinq hommes, dont le patron.
Tous s’étaient transformés en hommes-poissons, comme Jarrod. Ils n’ont pas
montré de résistance particulière aux rayons magiques envoyés par Ioghi ou
au feu invoqué par Sylla. Pas plus qu’aux coups d’épées ou de masse. Juste
avant la métamorphose de nos attaquants, Sylla a prononcé ces mots : « Les
écailles, les autres écailles ». Nous avons supposé que « les écailles » étaient les
dragons et « les autres écailles » les hommes-poissons, les Plongeurs comme
avait dit Jarrod.
Pendant que nous étions à l’auberge, nous avions remarqué une
douzaine de barques s’éloignant vers le nord.
Après le combat, Arnem est parti visiter le village déserté par toute sa
population. Anya et moi avons longé la côte pour repérer l’endroit où se
rendaient les Plongeurs.
Arnem a pu constater qu’il n’y avait plus personne, pas même un
vieillard ou un enfant. Il a repéré, sur un atelier de fabrication de barques, le
même symbole que celui remarqué au cimetière. Il a également visité une
vaste salle dallée qui devait servir de lieu de réunion, meublée d'une grande
table, de chaises et d'un lit. Il a découvert, dans une cache secrète et
poussiéreuse sous l’une des dalles, une dague gravée d’une tête de poulpe et
les phrases (?) suivantes :
Ph’nglui mgln’ nafh Cthulhu
R’lyeh wah’ nagl fhtagn
Ioghi a identifié la dague, magique. C’est bien entendu une dague
sacrificielle, mais elle permet aussi de faciliter l’ouverture de portes entre les
mondes et la venue de « choses ». Elle est « à sens unique ». Nous l’avons
remise à la Maison du Conseil.
Anya et moi avons découvert les barques des Plongeurs, amarrées et
vides, à l’aplomb du cimetière. Nous avons supposé qu’un lieu de culte était
dissimulé là, probablement dans une grotte.
La transformation de Ian
Nous avons quitté le village avant le retour de ses habitants. Deux
kilomètres plus loin, le brouillard commençait à s'effilocher pour disparaître
totalement.
Au matin, Ian parlait d’embruns et voulait se rapprocher de la mer – ce
que nous pensions faire de toute façon en allant louer une barque dans le
village le plus proche, au nord d’Aza.
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Le pêcheur ne voulait pas que nous utilisions son embarcation pour
aller au sud, prétextant de mauvais courants.
Nous ne sommes allés nulle part. Une demi-heure à peine après notre
embarquement, Ian a commencé à souffrir atrocement, son cou le brûlait, il
respirait de plus en plus difficilement. Des ouïes commençaient à s'ouvrir dans
son cou.
Note : Anya, Ian et moi avions été blessés par les griffes des Plongeurs lors du
combat de la veille, mais Ian était passé à un doigt de la mort. C’est sans doute
la raison pour laquelle lui seul commençait une transformation en hommepoisson.
Nous avons regagné la côte, puis Port-Ker, au plus vite. Il nous a
néanmoins fallu plusieurs jours. Tout d’abord, son cheval ne voulait plus se
laisser monter par Ian. Ian qui devait se baigner toutes les trois heures pour
éviter de souffrir.
À notre retour, un prêtre de Varzach’ a réussi à le ramener à son état
normal. Nous supposons qu’il faut malgré tout qu’un soin soit rapidement
effectué pour être efficient. Après ses six mois passés à Aza, sans doute était-il
trop tard pour guérir Jarrod.
Le lieu de culte
Nous sommes retournés au cimetière d’Aza pour descendre le long de la
falaise. Nous avons trouvé une ouverture, environ un mètre au-dessus du
niveau de la mer.
Après avoir suivi des tunnels, nous sommes arrivés dans une grotte où
nous avons été attaqués par deux créatures à têtes de pieuvres, un peu plus
grandes que nous. Elles disposaient d’une forte puissance mentale à laquelle
Arnem et Anya n’ont pas résisté. Ils se sont retrouvés débiles durant un bon
moment.
Dans une autre grotte, nous sommes tombés sur un petit bassin d’eau
salée surplombé par un ponton. Une grande statue y était dressée,
représentant une créature à tête de poulpe sur un corps humain. Les mêmes
inscriptions que celles de la dague étaient gravées sur la stèle. Nous avons
détruit cette statue.
Les parois d’une dernière grotte étaient gravées de dessins anciens
représentant des humanoïdes ressemblant à des calamars. Certains semblaient
enserrer la tête d’humains avec leurs tentacules. Quelque chose en jaillissait :
leurs cerveaux ? Les créatures s’apprêtaient-elles à les manger ? L’un de ces
humanoïdes était représenté face à un humain qui nous a rappelé Djoulio :
mêmes vêtements, même fingue.
Note : boyaux et grottes étaient entièrement naturels.
Les créatures à tête de pieuvre
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Mon arrière-grand-mère et ses compagnons ont rencontré de telles
créatures lorsqu’ils ont affronté Zorthram6, un être venu d’Ailleurs, comme
Ozymandis.
Elle décrit deux types de créatures à tentacules : des « petites », à taille
presqu’humaine et des « grandes ». Ces dernières étaient dotées de pouvoirs
mentaux colossaux. Melkarth et Jorus se sont écroulés à la première attaque.
Ils ont été soignés par Iogha et Malkus. Impossible de savoir si un simple
prêtre y serait parvenu. Nim et Gütveuc’h se sont retrouvés avec les
tentacules des monstres s’enfonçant dans leurs crânes, comme sur les dessins
de la grotte. Heureusement, les créatures ont été tuées avant de leur causer
trop de mal.7
La mention de tentacules revient plusieurs fois dans les mémoires, liées
à chaque fois à Zorthram. La première mention faite par mon arrière-grandmère est une vision dans la tête d’un guerrier le combattant, peut-être
indirectement, en compagnie de Skuld et Iogha. Peut-être Zorthram avait-il
invoqué de tels monstres. Ensuite, de nombreuses représentations de
créatures à tête de pieuvre étaient visibles dans sa demeure. Enfin, il
apparaîtrait que lorsque mon arrière-grand-mère lui a coupé la tête, avec
Tueuse (petite sœur de Souffleuse), cette tête se soit transformée… en tête
pourvue de tentacules. Jorus n’en ayant aucun souvenir, aucune description
précise n’est faite dans ses mémoires. Elle a simplement indiqué que Nim et
Gütveuc’h avaient évoqué ce fait, quelques années plus tard.
Le Nécronomicon
De retour à Port-Ker, Kirèn, la belle-fille de Jarrod – encore une Fille
de la Lune – nous a remis un livre « dangereux » appartenant à son beau-père.
D’après Ian, ce livre, intitulé Le Nécronomicon, est mauvais et semble
avoir une volonté propre. Il est relié en peau humaine.
Il a une particularité singulière : il s’adapte à celui qui le lit, à deux
niveaux. D'une part la langue change selon le lecteur, d'autre part le nom de
l’auteur est celui de l’un de ses ancêtres.
Pour Ian, il était écrit en karamite ancien par « Le Karamite fou Abdul
al Rahzad ».
Pour Arnem et moi, en nordique, par « Le Nordique fou, Bjorn
Hildorfson pour lui, Skulf Ragnaroëker pour moi ».
Pour Ioghi, en rônirien, par « L’Althorien fou Kès Vers ».
Anya, qui ne sait pas encore lire, a néanmoins très bien déchiffré : par
« Le coureur fou Lari Yggsyl ».
À chaque changement de lecteur, les lettres se transforment. Pour ma
part, elles s’étaient tout d’abord formées en nordique ancien – que je maîtrise
assez mal – avant de se modifier en nordique moderne.
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Ian et moi avons commencé la lecture de la première page : « Bienvenue à
toi qui cherches la vérité. Tu es au centre de toutes choses, tout te sera révélé. Au début
était le Grand Cthulhu qui a créé l’univers en le rêvant. »
Nous avons interrompu notre lecture ici : la suite du texte ressemblait à
un début de rituel.
Note : ce nom, Cthulhu, fait partie du texte gravé sur la dague et la stèle
découvertes à Aza.
Anya a lu, au hasard : « Rituel pour appeler des êtres venus d’ailleurs pour
t’aider à avoir une vie meilleure ». Enfin, de mémoire. Puis elle nous a suggéré, à
Ian et à moi, de regarder la dernière page. Nous avons été frappé par une
vague de mal absolu. Le texte est devenu illisible, tout s’est brouillé. Il nous
est pourtant apparu que cela signifiait quelque chose, mais nous n’avons rien
compris.
Nous avons décidé d’enterrer cet ouvrage maléfique.
La mort de Jarrod
Alors que nous étions penchés sur le Nécronomicon, nous avons appris
la mort de Jarrod. Son corps avait été retrouvé dans la baie.
Nous avons pu l’examiner. Il était peinturluré de bleu, excepté dans le
dos. Sans doute de vieil homme s’était-il fait cela lui-même. Au milieu des
étranges arabesques, nous avons remarqué le symbole de la vague dans le
triangle. Il avait un visage serein.
Nous avons appris qu’il avait laissé une lettre pour sa famille.
Tout laisse à croire qu’il s’est donné la mort et n’a pas été assassiné.
Cependant, son corps ne portant aucune trace de couteau, de noyade, de
chute ou autre, il nous a été impossible de déterminer la cause de son décès.
Ce soir-même, un vampire nommé Lars nous a amené Ilyria. Elle se
trouve dans un état de régression totale, elle est incapable d’avoir une pensée
cohérente ou de s’alimenter seule. Elle n’a prononcé que deux mots :
Nyarlathotep et Shub-Niggurath. Pour le moment, elle dort.
Je dois préciser que, n’ayant aucune confiance en ce vampire, je lui ai
demandé à voir Luw8, le frère de sang de mon arrière-grand-mère. Il est arrivé
immédiatement. Il pense que nous avons plus de chance de faire quelque
chose pour Ilyria qu’eux et que sa place est parmi les humains. J’espère qu’il a
raison.
•••
Scyld, le 10 Fagot 1111
14
Je n’ai rien écrit depuis quelques jours… Ça commence mal mon
affaire !
Nous avons découvert qu’Ilyria porte un étrange tatouage au creux des
reins. Il est impossible de déterminer ce qu’il représente. Il se brouille dès
qu’on croit commencer à y discerner quelque chose. Lorsque Ioghi a détecté
qu’il était magique, son esprit a été violemment agressé. Il semble que ce
tatouage puisse faire des dégâts mentaux.
Un prêtre de Varzach’ est venu soigner Ilyria. Elle a retrouvé un état
normal mais, après un ultime souvenir où elle était en compagnie de son
grand-père, elle s’est retrouvée totalement amnésique. Le prêtre a détecté du
mal dans le tatouage, au prix, comme Ioghi, d’une forte agression mentale.
Les nœuds d’énergie
Lars est venu récupérer Ilyria pour la sécurité de tous. Nous avons
appris qu’il l’avait trouvée dans les collines, en compagnie de son grand-père,
peinturluré et ayant perdu l’esprit (peu avant la découverte de son corps sans
vie) et d’une horrible créature que Jarrod devait avoir invoquée.
L’endroit dans les collines correspondrait à un « nœud d’énergie » : un
lieu de pouvoir permettant d’entrer en communication avec des « choses », et
de les faire venir. Lars nous a expliqué qu’à sa connaissance il existerait une
vingtaine de nœuds de ce genre dans notre monde. Ils existaient déjà alors que
« ses ancêtres marchaient encore à quatre pattes et se nourrissaient de lapins ». Quel
humour ! Ces lieux sont liés aux dieux anciens et surveillés par les vampires.
Sans doute est-ce une bonne chose puisque, une fois de plus, il semble qu’ils
n’apprécient pas plus que nous ce qui se passe.
Il a confirmé certaines craintes que nous avions : d’autres sectes comme
La Fraternité de la Vague ont existé par le passé.
Nous sommes allés voir ce nœud d’énergie. Il se trouve dans un endroit
charmant. Une source claire y jaillit dans un bassin de roche. Nous avons
découvert, au fond de ce bassin, un dessin gravé représentant un poisson à un
œil. L’endroit sent la magie sur un diamètre d’une dizaine de mètres.
Nous y avons également repéré des traces de pattes griffues, plus
grandes que celles des créatures ailées que nous avons déjà rencontrées.
Des rituels
Kirèn a découvert, dans le bureau de son beau-père, deux livres, chacun
comprenant un rituel d’invocation.
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Le premier, un rituel d’acolyte, se nomme : Appel d’Horreur ailée ; le
second, un rituel de maître : Appel de T’sakk’h – une créature tentaculaire
sortant de terre.
Apparemment, ils correspondent aux monstres que nous avons
affrontés. Nous avons obtenu dans ces livres la confirmation que les créatures
disparaissent à la mort de leur invocateur.
Nous avons également trouvé (chez Jarrod) un petit manuscrit en
rônirien intitulé « Les rituels de guérison ». Ces rituels sont au nombre de trois :
celui de l’acolyte, de l’adepte et du maître. Tous nécessitent une bougie noire,
et au moins une demi-heure d’incantation. Ils font appel aux puissances de la
terre.
Nous avons eu l’occasion d’essayer peu après le rituel de l’acolyte. Il
fonctionne parfaitement. Cependant, à la différence d’un sort de prêtre, il ne
peut pas être effectué sur quelqu’un d’autre que soi. Le blessé doit donc être
en état de se concentrer le temps de l’incantation. Et il ne doit pas être trop
faible. En effet, le rituel fait perdre de l’énergie vitale avant d’en redonner.
Peut-être est-ce ce que voulait dire Jarrod en évoquant le fait de « donner de
soi ». Ceci dit, les blessures se referment instantanément, sans laisser la
moindre cicatrice. Ce premier rituel est au moins aussi efficace qu’une grande
potion de soins. Nous ne connaissons pas encore les effets des rituels de
l’adepte et du maître. Sans doute drainent-ils encore plus d’énergie et sont-ils
à réserver aux fortes constitutions. Il est à noter qu’une fois appris, le rituel
peut être réalisé sans le manuscrit.
Des recherches livresques
Nous avons décidé de poursuivre nos investigations dans des livres.
À la bibliothèque du Conseil, nous avons étudié un volume traitant « Des
croyances et cultes arriérés autour d’Althor ». Après quelques évocations de
croyances liées à la nature – esprits des plantes et des animaux –, nous avons
découvert l’existence d’un culte semblant se rapprocher de nos recherches.
L’auteur parle d’adorateurs d’un dieu primitif représenté par un bouc ou une
chèvre nommé Shub-Niggurath, ou La Chèvre aux mille Chevreaux – sans
doute le dieu adoré par le marchand port-kérien. Les membres de cette secte
lui font des sacrifices.
Nous avons relu plus attentivement le journal de Sallis Vitras. À Scyld,
il a découvert un livre mentionnant les enfants des profondeurs et les fils de
la terre. Lors de son passage à Karam, il a noté : « Il est probable qu’un
exemplaire des manuscrits pnakotiques soit à Karam. À voir. » De temps en temps,
il évoque La Chèvre aux mille Chevreaux. Tout ça ne nous a pas avancés à
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grand-chose. Et aucun d’entre nous ne connaît la signification de
« pnakotiques ».
Sylla a trouvé le moyen de nous emmener à Scyld... en passant par un
chemin étrange : le monde gris, celui des rêves. Il est éternel, sans temps, sans
lieu.
Mais il est assez peuplé...
Nous y avons rencontré Bréchet, un vieux chaman khircasien. D’après
lui, « le Marcheur est réveillé et il chasse ». Il nous a confirmé qu’il ne parlait pas
de Zorthram – ainsi décrit dans les mémoires de mon arrière-grand-mère –
qui n’était qu’un « petit chasseur ». Non, là il s’agit d’un être bien plus
puissant. Et plus méchant. Ça promet... Il l’a appelé : Le Chasseur, Le
Marcheur et Ithaqua. J’ai cité le nom de Wendigo – nommé dans les
mémoires par un chaman de La Mérique. « C’est aussi l’un de ses noms », a
affirmé Bréchet.
Là-haut, nous avons été attaqués par deux grands serpents ailés : des
Horreurs chasseresses.
À Scyld, nous avons déjà étudié plusieurs documents.
Un parchemin datant de trois siècles, signé avec du sang et portant des
sceaux : « Je soussigné Baron dan Astoril accepte et veux faire un pacte avec ShubNiggurath de façon qu’il me donne vie et pouvoir éternels et qu’en échange je le serve dans
certaines limites ». Et un second parchemin dans la langue incompréhensible
portant, en signature maladroite, les lettres SN.
Nous avons trouvé des mentions de Shub-Niggurath, Cthulhu et Yog
Sothoth, des dieux anciens autrefois vénérés.
Ce Yog Sothoth « est le dieu qui est tout dans l’unité, il est le vrai grand dieu,
celui qui est d’ailleurs, qui va d’un monde à l’autre et règnera un jour sur tous les
mondes ». Ce passage m’a désagréablement rappelé le titre des mémoires de
mon arrière-grand-mère...
Cthulhu est nommé dans un volume intitulé Le culte de T’ssa Goltoth.
Ses adeptes seront les plus puissants, les plus forts : ils seront sauvés... Et,
plus intéressant : « Ses adeptes n’aiment pas les quarante-cinq de Malkus ». Est-ce
parce que Malkus a quarante-cinq guerriers ou parce que ses guerriers sont
armés de quarante-cinq – qui, si j’ai bien compris, sont une catégorie de
fingues ?
Même s’il ne s’agit pas de dieux anciens, nous avons effectué quelques
recherches sur Turil et Io. Nous n’avons découvert que les écrits d’un adepte
de Io qui disait que son dieu l’avait abandonné. Il avait plusieurs fois,
rencontré sa sœur, Turil.
Ce soir, un sale bonhomme a voulu nous vendre des renseignements sur
Shub-Niggurath. Trop chers. Au cours de la conversation, il a évoqué les
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Horreurs chasseresses et les Mi-gos, créatures selon lui plus terrifiantes que
les précédentes. Il a également fait mention de Ithaqua et NA (?).
•••
Mont Thauban, le 20 Fagot 1111
Nous n’avons pas trouvé grand-chose de plus à la bibliothèque de Scyld
à part une petite monographie en rônirien intitulée « La terre était ma mère » et
sous-titrée « Confession d’un ancien adepte », datant d’environ un siècle et demi.
Cet ancien adepte, un petit nobliau, s’est laissé entraîner à « des pratiques contre
nature » et a été sauvé par l’amour d’une femme, une prêtresse ayant
abandonné ensuite cet état. Ses initiateurs à ce culte – l’une des sectes des Fils
de la Terre, équivalent pour la terre des Enfants des Profondeurs, liés à la
mer, – lui avaient fait miroiter un pouvoir incommensurable. Ces Fils de la
Terre adorent Shub-Niggurath.
Il a appris des rituels et fait apparaître des monstres avant de réaliser
que certains de ces rituels nécessitaient des sacrifices d’enfants. Il a précisé
dans ce petit recueil que certains des rituels permettent de communiquer avec
les dieux et que le but ultime de tout ça est de faire venir « la plus grande de
toutes ces entités ». En gros, rien de nouveau sous le soleil.
Nous avons tenté de découvrir la signification du mot pnakotique : « Qui
se rapporte aux manuscrits pnakotiques, vieil ouvrage ésotérique rédigé en karamite »…
Un adepte de Nyarlathotep
De retour à Port-Ker, un certain Yul Sertoris, mage de son état et
sentant le mal, a voulu nous vendre des informations. Il appartenait (il est
mort depuis) à une secte des Enfants des Profondeurs, à Karam, et adorait
Nyarlathotep.
Il nous a donné trois noms d’adeptes port-kériens, membres des Fils de
la Terre, adorant également Nyarlathotep qu’il a nommé Le Chaos rampant.
Après recherches, nous avons appris que ces trois hommes étaient morts, ou
disparus, depuis une bonne dizaine d’années.
En tout cas, nous en avons conclu que ce Nyarlapthotep devait être
assez balèze puisqu’il est adoré par ceux de la terre et ceux de la mer...
Sertoris nous a proposé de nous guider jusqu’à un temple de
Nyarlathotep désaffecté depuis deux siècles, à trois jours de cheval au nordest de Port-Ker, à la lisière du désert de Zalurie. Il a affirmé que nous y
ferions des découvertes intéressantes. Et nous, on a marché...
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Durant le voyage, nous lui avons soutiré le plus d’informations possible.
Comme il était certain de notre mort prochaine, je ne pense pas qu’il nous ait
menti. Je ne vais noter ici que les quelques généralités qu’il a daigné nous
transmettre mais je récapitulerai tout à l’heure l’état de nos connaissances sur
tous ces dieux étranges. Ils sont nommés Grands Anciens, ce sont des
extérieurs... qui viennent d’Ailleurs. Certaines prospectives affirment qu’il
existerait des dieux encore plus anciens. Les manuscrits pnakotiques sont des
textes très anciens et très dangereux dont la lecture rend fou. La Fraternité de
la Vague regroupe des adorateurs de Cthulhu, « bien braves et pas très
méchants »...
Le temple de Nyarlathotep
C’est un ensemble de plusieurs bâtiments : quatre en ruines qui devaient
être des logements d’adeptes et un temple, au centre, intact.
Ce temple, ovale, d’environ vingt-cinq mètres de long sur dix de large,
ne possède qu’une seule entrée. Il est constitué de trois salles, deux grandes de
part et d’autre servant sans doute à réunir les fidèles, la dernière, centrale,
dédiée aux sacrifices. Outre l’inévitable autel de pierre, elle contient une
immense ouverture au sol, en fait un puits profond de quelques mètres dans
lequel il semblerait que soient jetés en pâture à des créatures monstrueuses les
corps des suppliciés.
De charmantes gravures ornementent cette salle : représentations de
Shub-Niggurath (apparemment), d’espèces de méduses géantes, de grandes
choses rampantes et d’humains – sans doute pour indiquer une échelle de
taille – qui se font déchiqueter et dévorer par les monstres. De nombreux
textes, toujours dans la même écriture inconnue, sont également gravés sur les
murs.
Bien sûr, nous n’avons détaillé la décoration de la pièce qu’après la mort
de Sertoris qui, à peine arrivé, a paru très inquiet et a souhaité effectuer un
rituel de protection. Près de l’autel, il a commencé à prononcer d’une voix
forte des paroles incompréhensibles – peut-être dans la langue correspondant
à l’écriture inconnue. À ma grande honte, j’ai été saisie d’une terreur
irrépressible et je me suis enfuie.
Lorsqu’Arnem m’a retrouvée, il m’a raconté que Sertoris avait en fait
invoqué une créature tentaculaire encore plus grande que celle que nous
avions vue à Althor. Et qu’il s’était transformé en créature affreuse, à longues
griffes acérées. Le monstre a disparu lorsque mes amis sont venus à bout du
mage. Et Anya a parfaitement résumé la situation : « Nous sommes tombés dans
un piège à cons ! ». C’est on ne peut plus certes, comme aurait dit un ami de mon
arrière-grand-mère...
Excepté deux anneaux magiques, le mage n’avait sur lui qu’un livre de
rituels comprenant, outre les rituels de guérison déjà connus :
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- un rituel (d’adepte) permettant d’invoquer un serviteur des Grands
Anciens,
- un rituel (de maître) de métamorphose en Serviteur sombre – définitif,
c’est sans doute ainsi que Sertoris s’est transformé,
- un rituel (d’adepte) de dépouillement – qui permet en fait d’écorcher
vif un individu comme le garde du corps de Maître Fillouz,
- un rituel (d’acolyte) d’augmentation rendant un individu plus robuste
pendant un moment.
À notre retour à la maison, Sylla a prononcé ces mots :
« L’os est (et ?) la porte
La vierge est (et ?) la clé »...
Il doit y avoir un rapport avec Yog Sothoth, mais lequel ?
État de nos connaissances actuelles
Shub- Niggurath
La Chèvre aux Mille Chevreaux
Représentée avec une tête de bouc
Féminine, liée à la terre
Épouse de « Celui qu’il ne faut pas nommer »
Adorée par les Fils de la Terre
Cthulhu
Représenté avec une tête de poulpe
Lié à la mer.
« Rêve le monde »
Nyarlathotep
Le Chaos Rampant
L’Homme Noir
Messager d’Azatoth
Il semble au-dessus de Shub-Niggurath et de Cthulhu, plus puissant en tout
cas.
Shub-Niggurath, Cthulhu et Nyarlathotep sont « compatibles ».
Azatoth
Celui du Gouffre
Le Sultan des Démons
Le Chaos atomique bouillonnant
Il est plus puissant que Nyarlathotep.
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Dagon
Entité mineure liée à la mer
Père des hommes-poissons : les Écailleux, ou Plongeurs
Celui qu’il ne faut pas nommer
Époux de Shub-Niggurath
Ithaqua
Le Marcheur des Rêves, le Chasseur, le Wendigo (?)
Sertoris a paru effrayé et a préféré ne pas en parler
Yog Sottoth
La Clé et la Porte
Vient d’Ailleurs (comme tous apparemment)
Fait le lien entre les mondes (des Grands Anciens ? le monde des Grands
Anciens et le nôtre ?) ainsi que le lien entre les Grands Anciens et nous dans
notre monde
•••
Désert du Mojave, le 19 novembre 1937
Les Mi-gos
Il y a quelques jours, Sylla a été prise d’une soudaine envie de
« marcher ». Un coyote nous a guidés dans le monde des rêves et nous avons
débarqué dans un autre monde : celui de La Mérique, mais soixante-dix ans
environ avant nos ancêtres (en 1937 de leur calendrier). Et à un endroit
différent : La Laska. Deux hommes, en vêtements blancs impeccables, se
trouvaient là : des amis de Djoulio, ritaux et quarante-cinq de Malkus, comme
lui.
Note : Ils sont bien armés de « colts 45 ». J’ai d’ailleurs appris à me servir de
ces petits bâtons de feu : ils font beaucoup de bruit et des gros trous.
Ces deux hommes, Viny Kolayouto et Ouaren Koukouroullo, avaient
été envoyés là par Helen – la secrétaire de Malkus, qu’ils appellent toujours
Marcus9 – pour détruire un nid de Mi-gos. Deux cadavres de ces bestioles
gisaient dans leur campement. Il s’agit d’espèce de guêpes géantes d’un mètre
de long, pourvues d’antennes et de pattes crochues. Elles n’ont heureusement
pas de dard.
Ian avait disparu lorsque nous nous sommes réveillés. Nous n’avons
trouvé aucune trace particulière.
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Nous avons trouvé le nid de ces Mi-gos au bout de quelques jours,
après avoir éliminé certains de leurs éclaireurs. Il ressemble à une fourmilière
géante. Nous avons éradiqué plusieurs dizaines de ces étranges animaux, dont
une bonne partie détruite par des boules de feu de Ioghi. Puis nos amis ritaux
ont utilisé une autre sorte de bâtons de feu pour détruire le nid : de la
dinamite. C’est très pratique et très efficace. Un peu trop même : nous n’avons
pas pu détailler l’organisation de ce nid.
Par contre, nous avons découvert qu’il existait deux sortes de Mi-gos :
certains ont des poils dorés, d’autres des poils argentés. Ces derniers sont
beaucoup plus coriaces.
Nous avons fait un tour dans les environs.
Dans la forêt, accrochée à un arbre, nous avons trouvé une poupée en
branchages qui sentait la magie. Ioghi a commencé à l’identifier. Il a
brutalement interrompu son sortilège après avoir eu l’impression que quelque
chose cherchait à le posséder.
Nous avons visité une mine d’argent désaffectée dont un boyau était
muré. Dans un bâtiment en bois, une soixantaine de cadavres d’oiseaux
desséchés étaient accrochés aux solives du plafond. Cette mine est la propriété
de la « Winnigo Mining Compagnie », nom qui nous a désagréablement évoqué
celui du Wendigo.
Fait étonnant, sur une surface de plusieurs kilomètres de diamètre
autour de la mine, nous n’avons trouvé aucune trace d’animaux.
Puis nous nous sommes rendus dans un village indiqué sur la carte de
nos amis. Nous y avons rencontré un prêtre qui nous a présentés à un très
vieil Indien, Bill.
Les Indiens
Cet homme est un sage. Contrairement à ceux qu’il nomme « les
Blancs », ceux de sa race connaissent les vieilles histoires. Ils y croient. Et,
comme les Khirkasiens, ils ont des chamans. Il reste malheureusement très
peu d’individus comme eux dans leur monde.
Bill nous a expliqué que la mine se trouvait sur un territoire sacré –
pour les Indiens. C’est un endroit dangereux fréquenté par le Wendigo /
Ithaqua, un démon qui s’empare des âmes. Les Indiens le craignent
énormément.
Une cinquantaine d’années auparavant, en creusant un nouveau boyau,
les mineurs sont tombés sur quelque chose de bizarre. L’un d’eux a été envoyé
plus avant : il est devenu fou après avoir vu « un démon, un esprit de la terre, un
serviteur du Wendigo ». Bill a appelé cet esprit Shatak. Il l’a décrit comme un
gros ver pourvu de plumes et de grandes dents, assurant qu’il habitait dans la
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montagne. Les mineurs ont muré soigneusement le boyau et continué leur
tâche.
Le vieil Indien nous a affirmé que les esprits étaient partout, avec une
présence moindre dans les grandes villes des Blancs, qui puent et n’ont ni
arbre, ni herbe. Il a ajouté que les Blancs étaient maléfiques, même pour les
esprits mauvais.
Bill nous a donné une explication à l’absence de présence animale : elle
est due à un ancien pacte entre le Wendigo et les « Esprits des animaux ». S’il
n’y avait plus d’animaux dans cette zone, le Wendigo ne leur ferait plus de
mal. Apparemment, ça marche... Il nous a donné, d’un ton méprisant,
l’explication de la présence des oiseaux morts : certains de ses compatriotes
accrochent les oiseaux en offrande au Wendigo croyant ainsi s’en protéger.
Question : les propriétaires de la mine avaient-ils, eux aussi, passé un pacte
avec le Wendigo (ou l'un de ses suivants) pour protéger la vie de leurs
ouvriers ? Cela expliquerait peut-être l’étrange consonance du nom de leur
compagnie...
Un objet en osier aux formes compliquées était accroché près du vieil
Indien. Il l’a appelé « attrape-rêves » et a assuré qu’il protégeait du Wendigo.
Il a été fabriqué pour lui par le dernier chaman de la région, mort depuis. Ce
chaman lui a également enseigné une petite chanson de protection qu’il nous a
transmise et qui, en gros, signifie : « Viens pas me faire chier ! ».
Le vieux Bill a paru étonné que des Blancs comme nous accordent foi à
leurs vieilles croyances. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas.
Un don de Zhôr ?
Il est arrivé une chose bizarre à Anya lorsque nous nous trouvions dans
La Laska. Notre amie a maintenant la faculté d’apprendre à comprendre et à
parler une langue étrangère en deux ou trois jours. Elle a ainsi acquis le
langage parlé dans La Mérique et j’ai commencé à lui apprendre le karamite.
L’idée que Zhôr n’était pas étranger à ce prodige m’a effleuré l’esprit. C’est
assez son genre – il a bien conféré deux dons à Jorus, et un à Inwë et
Gütveuc’h. Il a l’air d’aimer qu’on l’aime... Et il a déjà mis le doigt sur Anya
en sauvant la vie de sa mère. Pourquoi ?
Le désert du Mojave
Dans ses mémoires, mon arrière-grand-mère a évoqué leur passage dans
le désert du Mojave et leur rencontre avec un chaman indien. Nous avons
décidé de nous y rendre à notre tour. Nous y sommes allés en navion : une
espèce de grand tapis volant clos tiré par des chevaux invisibles – de la race
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vapeur, peut-être une espèce de chevaux ailés ? – bruyant et malodorant, mais
très pratique.
Note : ce navion était conduit par un djack, comme le djette qui avait
transporté nos aïeux. Peut-être est-ce une tradition des éleveurs de chevaux
vapeur ?
Vieille Épine
Grâce à son don, Anya a pu apprendre la langue des Indiens. Nous
avons donc longuement discuté avec leur chaman, Vieille Épine. C’est un vieil
homme très compétent qui connaît des tas de choses. Et « voit » des tas de
choses, comme « les yeux derrière la tête de Sylla, fille de la Grande-Mère » ou le fait
qu’Anya soit « un petit chaman ». Il connaît Malkus10.
En gros, et si j’ai bien compris, Vieille Épine a affirmé que les mondes
étaient rêvés. Ils naissent de l’imagination de certains êtres. La plupart des
dieux anciens – que certains prêtres de chez nous qualifieraient sans doute de
« mineurs » – sont également rêvés, tout comme nous. Par contre, Ithaqua et
Azatoth ne sont rêvés par personne. Ils sont, en quelque sorte, au même
niveau que ceux qui rêvent les mondes. Pour le moment, ils sont plus ou
moins en sommeil. S’ils se réveillent et entrent dans les rêves des entités qui
rêvent les mondes pour les modifier, c’est la catastrophe assurée dans toutes
nos réalités.
Nous lui avons demandé à quel niveau de réalité se situaient Gulzar et
Ozymandis. D’après lui, ils sont comme Ithaqua et Azatoth, c’est-à-dire qu’ils
ne sont / n’étaient rêvés par personne.
Des attrape-rêves, fabriqués par Vieille Épine, sont accrochés à l’entrée
de toutes les maisons du pouéblo. Nous lui avons demandé comment il était
possible de s’en procurer, il a proposé de nous en fabriquer. Je ne sais pas
comment nous pourrons le remercier. Il a par ailleurs confirmé l’efficacité de
la petite chanson de Bill. Il a ajouté qu’il pouvait nous enseigner d’autres
méthodes pour apprendre à marcher et à nous protéger dans le monde des
rêves. Nous avons accepté avec gratitude. Nous allons donc passer ici
quelques lunes.
•••
Désert du Mojave, fin janvier ou début février 1938
Ça y est, nous allons repartir demain. Durant environ dix semaines,
Vieille Épine nous a enseigné des techniques de protection contre les attaques
mentales. Il nous a également appris à revenir à notre point de départ, au
moment du départ, lorsque nous marchons dans le monde des rêves.
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Évidemment, nous ne savons toujours pas arriver en marchant à l’endroit et à
l’époque de notre choix. Il faut sans doute être un dieu, ou un mystique très
puissant, pour pouvoir réaliser ce prodige. Le vieil homme nous a expliqué
que ces techniques, transmises de chaman en chaman, ont une réelle efficacité
mais ne fonctionnent que lorsqu’on y croit. Je trouve cela un peu
contradictoire mais j’espère y croire suffisamment pour qu’elles fonctionnent...
Il nous a appris qu’il était possible de marcher dans le monde des rêves sans
avoir préalablement absorbé de tisane mais que « c’est mieux avec ».
•••
Nouillorque, le 13 mai 2007
Eh oui, nous ne sommes pas à la maison ! Nous sommes chez la sœur et
le beau-frère d’Helen – la femme très gentille qui travaille avec Malkus –, à
Longaïlande, soixante-dix ans après notre départ du désert...
Lorsque nous avons fait nos adieux à Vieille Épine, il nous a offert à
chacun un attrape-rêves – superbe – en nous appelant par des noms étranges
mais très poétiques :
- Cri dans la Brume, pour Sylla
- Cactus hardi, pour Anya
- Petit Serpent agile, pour Arnem
- Petit Coyote gourmand, pour Ioghi
- Eau salée, pour moi – alors que ces indiens-là n’ont jamais vu la
mer...
Le vieux chaman nous a rappelé que les attrape-rêves empêchent les
mauvais esprits de venir voler, durant leur sommeil, les âmes des habitants de
la maison où ils sont accrochés.
Nous avons bu la tisane avant de faire l’exercice de concentration d’une
demi-heure appris par Vieille Épine. Tout aurait dû bien fonctionner...
Malheureusement, nous avons rencontré un être hantant le monde des rêves,
une espèce d’horreur noire intangible – les coups d’épée lui passent à travers –
qui a attaqué nos esprits. Sylla n’a pas résisté et s’est retrouvée amnésique.
Nous étions perdus là-haut. Nous avons erré un moment, ne nous décidant
pas à essayer de retourner dans le désert. Et nous nous sommes retrouvés à
Nouillorque, grâce à Malkus qui avait prévu une procédure d’urgence. Je ne
raconterai pas ici nos mésaventures, ce n’est pas l’objet de ce journal.
•••
Grynfielde, le 4 février 1938
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Lorsque Sylla a repris ses esprits, sans doute grâce à sa déesse, nous
sommes retournés dans le monde des rêves. Un peu avant, elle a prononcé ces
mots, en karamite : « La peau sur les os ». Comme d’habitude, nous n’avons rien
compris.
Nous sommes repartis, mais nous ne sommes toujours pas arrivés à la
maison. Nous nous sommes retrouvés de nouveau en 1938, non loin d’un
grand bâtiment très laid appelé Conserverie de New Providence. Des panneaux
semblaient indiquer des distances mais nous ne savons pas à quoi elles
correspondent :
- New York : 250
- Arkham : 150
- Boston : 45
L’Homme Vert
Nous avons passé la nuit dans une petite forêt et avons tenté un
nouveau départ le lendemain. Encore raté ! Le moral de Sylla a commencé à
faiblir gravement. Elle craignait de ne plus pouvoir nous ramener chez nous.
Nous nous sommes encore retrouvés en 1938, près d’un village nommé
New Providence. Ce n’est sans doute pas un hasard puisque nous avons déjà
vu ce nom à notre étape précédente. Sans doute avons-nous quelque chose à
faire là, mais quoi ?
Nous avons établi un campement où nous avons été attaqués par des
morts-vivants qui ressemblent à des zombies, enfin d’après ce que nous en
savons. Nous avons fouillé les parages et en avons trouvé d’autres, dans un
cimetière. Après avoir tué tout ça et découvert une tombe tout juste vidée de
son occupant – un certain Joshua Abercomby –, nous sommes retournés
nous coucher.
Dans la nuit, Sylla, en lévitation, a prononcé ces mots : « L’Homme Vert,
il est de retour. Il faut le renvoyer à sa nature ». Puis elle a poussé un grognement
avec une voix grave et rauque qui n’est pas la sienne.
Lorsque nous avons répété ses mots à la prêtresse, elle a répondu qu’elle
pensait que nous devions rester. Elle avait la désagréable impression que
quelqu’un avait utilisé son esprit et se sentait souillée. Pas terrible tout ça.
En tout cas, nous en avons déduit que nous ne pourrions
vraisemblablement pas rentrer chez nous avant d’avoir réglé le problème de
cet Homme Vert.
Après avoir patouillé un moment, nous avons fini par trouver sa trace,
grâce à de la réclame – pour une auberge nommée L’Homme Vert –, un vieux
manuscrit et... un chaman – encore ! Heureusement qu’ils sont là !
Le problème vient d’un certain Joshua Abercomby, un ancêtre de celui
dont la tombe a été vidée – le dernier de sa lignée. Cet homme, ayant vécu il y
26
a plus de deux siècles et demi, s’intéressait à l’alchimie et à la démonologie.
Ses recherches n’ayant rien donné, il s’est tourné vers les croyances indiennes.
Il a découvert que les Indiens révéraient deux êtres incarnant – si j’ai bien
compris – le Bien et le Mal. Ils assimilent le second, qui vient voler les âmes,
au vent et à la tempête. Ça sent furieusement son Ithaqua...
Ce Joshua a mis le doigt sur l’existence d’une entité locale issue de la
nature servant cet être mauvais et appelée Homme Vert par les Indiens. Ce
crétin a décidé de la réveiller pour passer un pacte avec elle, avec « cette chose
puissante que rien ne peut arrêter physiquement ». Sa dernière note indiquait qu’il
avait trouvé une statuette et que « ce soir, ce sera fait ».
Il a sans doute réussi et mis ses descendants dans un sacré pétrin. En
tout cas, l’Homme Vert est revenu où nous sommes, près de l’ancienne maison
de Joshua. Il a tué un chat qui l’avait attaqué pour défendre sa petite
maîtresse. Près du cadavre du malheureux animal, nous avons trouvé
quelques feuilles.
Le chaman rencontré a confirmé toutes nos déductions. Nous allons
donc attendre cet Homme Vert pour le « renvoyer à sa nature ».
•••
Mont Thauban, le 22 Fagot 1111
Au réveil, Sylla, radieuse, nous a annoncé qu’elle avait reçu un message
de Vallinouë contenant des instructions. Bien sûr, nous devions régler son
compte à l’Homme Vert, mais ce n’était pas l’objet principal de notre présence
ici. Nous devions retourner à New Providence pour trouver un « nœud ». La
déesse allait nous y guider. Pourquoi pas, mais que devrions-nous faire à ce
fichu nœud ? Le détruire, fermer cette porte entre les mondes ?
Chaque chose en son temps.
Nous avons commencé par l’Homme Vert. Nous avons trouvé sa trace,
nous l’avons suivie et il nous est tombé dessus. C’était un être de près de deux
mètres cinquante au corps constitué de feuilles et de brindilles. Comme prévu,
il n’a pas du tout apprécié les boules de feu de Ioghi. Mais les coups de
bâtarde tranchants et la dinamite ont bien aidé à le renvoyer à sa mère
nature...
Nous ne savons pas s’il est définitivement éliminé ou si l’éventuel
possesseur de la statue peut l’invoquer de nouveau.
L’église Saint Joakim
Nous sommes retournés à notre auberge de New Providence. En
attendant que Vallinouë nous emmène à ce fameux nœud, nous avons traîné
27
en ville. Et, même si c’est un peu hors sujet, je ne peux pas m’empêcher
d’écrire que nous avons fait une affaire telle que personne n’en avait jamais
réalisée avant nous. Chez un antiquaire – une boutique qui vend de vieux
objets –, nous avons dégoté une parure magique extrêmement puissante : une
rapière et une dague qui, non seulement ont des pouvoirs impressionnants
mais sont, de plus, de très belle facture et d’excellent acier. Le tout pour...
trois xolts ! Chez nous, ces objets en auraient coûté plus de cent mille. Le
marchand nous a expliqué qu’elles avaient été fabriquées à Tolède, en
Neurope, plusieurs siècles auparavant. Que quelqu’un ait été capable de
réaliser de tels enchantements dans un monde où la magie semble ne pas
exister nous a fort étonnés.
Peu après, Vallinouë a guidé Sylla jusqu’à une petite église (un temple)
coincée entre deux bâtiments. Elle était fermée à clé. Nous sommes revenus
dans la nuit pour y pénétrer discrètement.
Effectivement, cet endroit était lié au culte des Grands Anciens. D’après
Ioghi, il sentait vaguement la magie, sous l’autel.
Tout d’abord, nous avons trouvé une inscription gravée dans une pierre
dissimulée sous une tenture, derrière cet autel : Iä iä Cthulhu fhtagh. Nous
avons appris peu après que cela signifie « Cthulhu rêve », mais peut également
vouloir dire « Cthulhu se réveille ». Bon...
Ensuite, nous avons repéré une espèce de pentacle gravé au sol, en fait
deux triangles inversés dans un cercle. Chacune des six pointes de cette étoile
était entourée par deux noms. Certains semblaient d’origine : Jésus, Gabriel,
Marie et Moïse. D’autres, dont la plupart nous sont connus, avaient été gravés
sur des noms effacés : Shub-Niggurath, Cthulhu, Azatoth, Nyarlatotep,
Itaqua, Dagon, Lloïgor (?). Un espace, sans doute dédié à Celui qu’il ne faut
pas nommer, ne portait pas de nom.
Un mécanisme judicieux permettait de faire pivoter l’autel, dévoilant un
étroit escalier aboutissant dans une crypte d’une trentaine de mètres carrés,
entièrement taillée dans la roche.
Note : New Providence se trouve au bord de la mer.
Un cercle de trois mètre de diamètre était gravé au sol, son centre
correspondant, à vue d’œil, au centre de celui du dessus. Des mots, dans le
langage incompréhensible habituel, étaient inscrits sur toute sa circonférence.
Ioghi nous a expliqué qu’il s’agissait d’un cercle de protection. Il permet
d’invoquer une créature dans le cercle tout en ne risquant pas de se faire
attaquer – tant que l’invocateur reste à l’extérieur du cercle bien entendu. À
part ça, la seule décoration était une statue d’homme-poisson comme ceux que
nous avons vus à Aza. Une ouverture avait été murée. Nous ne savons pas où
elle mène mais il paraît évident que la statue a été apportée par là.
Une fois tout bien observé, nous ne savions plus quoi faire.
28
La lecture des mémoires nous avait appris que la création de ces portes
ne pouvait être effectuée que par des dieux, qui mettaient alors en péril
l’équilibre du (des ?) monde (s)11. Peut-être leur annihilation était-elle aussi
dangereuse. De toute façon, nous ne savions pas comment nous y prendre.
Heureusement, Vallinouë a donné la réponse à Sylla : « Le gardien des vieilles
lettres a la solution ».
Nous en avons déduit qu’il nous fallait dégoter un bouquin avec un
mode d’emploi. Pourquoi pas en commençant par le plus évident : une
bibliothèque ?
Effectivement, nous avons trouvé ce que nous cherchions. Et nous
avons appris que seuls de puissants chamans ou des prêtres élevés dans leur
hiérarchie connaissaient un rituel de fermeture.
Nous ne connaissions qu’un prêtre, dans La Laska, qui, bien que très
sympathique, n’avait pas l’air très puissant. Nous avons décidé d’aller trouver
Vieille Épine.
Nous sommes passés par le monde gris. Pour une fois, nous sommes
arrivés à destination sans rencontre désagréable. Malheureusement, le vieux
chaman n’a pas voulu nous accompagner : il ne voulait pas laisser sa tribu sans
protection. Nous sommes rentrés sans problème à New Providence.
Le Marteau des Justes
Nous avons décidé de nous rendre à la plus grande église de la ville
pour demander à rencontrer un grand-prêtre. Nous étions malgré tout un peu
dubitatifs, certains qu’au mieux on nous prendrait pour des fous, qu’au pire
on nous ferait arrêter. Mais tout s’est passé mieux que prévu.
Nous avons rencontré un certain Julius, de son vrai nom père Gérard
Dorville. Il fait partie d’un ordre un peu particulier, le Marteau des Justes,
qui semble lutter contre les adeptes des Grands Anciens. Ses gardes du corps,
tous prêtres, sont armés de quarante-cinq. Un bon point pour eux. En gros,
les membres de ce Marteau sont plus près des aumôniers du Fléau que des
prêtres de Zhôr12. S’ils révèrent leur dieu – qu’ils appellent Dieu tout court –,
ils n’hésitent cependant pas à employer des méthodes musclées et nous ont
semblé assez ouverts d’esprit.
En tout cas, notre histoire de Saint Joakim a intéressé Julius. Il était à
la fois choqué que de telles pratiques aient lieu dans un de leurs temples et un
peu dégoûté de n’avoir pas trouvé ça tout seul.
Ce prêtre connaît plein de choses sur les Grands Anciens. Il comprend
même leur langue bizarre. Il nous a traduit les mots gravés derrière l’autel et
ceux notés à Aza : Ph’nglui mgln’ nafh Cthulhu R’lyeh wah’ nagl fhtagn
signifie : dans sa demeure de R’lyeh la ville morte, Cthulhu attend et rêve.
Julius nous a même prêté un livre dans lequel, grâce au nouveau don d’Anya,
29
nous avons pu clarifier certaines de nos connaissances. Je résumerai cela
après la fin de l’histoire de Saint Joakim.
Nous avons accompagné Julius et ses gardes du corps à l’église
profanée. Nous lui avons demandé la signification du texte courant le long du
cercle de protection, dans la crypte : il s’agit de la consécration de la porte.
Puis Julius a effectué le rituel de fermeture. Il a enfilé un drôle de
vêtement portant un symbole identique au soleil de Zhôr13. Il a allumé six
bougies en cercle, trois noires et trois blanches intercalées – symbolisant le
Bien et le Mal. Et, après une demi-heure de parlote en un langage bizarre (du
latin), il a sacrifié un agneau. Puis il s’est écroulé, inconscient. Sylla a
annoncé, satisfaite : « La porte est fermée, on peut rentrer ».
C’est étonnant comme ce rituel ressemble à ceux des adeptes des
Grands Anciens. On aurait dit que Julius aussi avait donné de lui-même –
comme aurait dit Jarrod.
Le lendemain, nous avons pu rencontrer le prêtre de Saint Joakim,
après l’interrogatoire des hommes du Marteau des Justes au cours duquel il
n’avait rien dit. Il était très clair qu’ils allaient le renvoyer à son dieu après
notre entrevue. Nous avons à notre tour tenté de le faire parler mais Ioghi
s’est rendu compte qu’il incantait silencieusement un rituel. Chose que nous
avons pu constater juste après : comme Sertoris – d’après mes amis –, il a
commencé à se transformer et un monstre a pointé le bout de ses gigantesques
tentacules. Nous l’avons tué et la créature a disparu dans le sol éclaté.
Lorsque nous avons pris congé de Julius, appelé « l’Envoyé » par un
prêtre n’appartenant pas à son ordre, nous lui avons demandé qui contacter
sur son monde en cas de problème. Il nous a donné un nom, « Son Excellence
le cardinal Savinius », qui se trouve au Vatican, à Rome, en Neurope. Il a
précisé qu’il fallait bien annoncer que nous venions de sa part. Ça peut
toujours être utile, même si nous ne savons pas où ça se trouve.
À part ça, nous avons également appris que les morts-vivants tués au
cimetière s’appellent des goules. Il y en a parfois dans le coin, qui est une
région particulièrement bien pourvue en adeptes des Grands Anciens.
Résumé de nos nouvelles connaissances
Le livre prêté par Julius traite du culte des Grands Anciens dans la
Terre, le monde de Malkus. Il n’y a cependant aucune raison qu’il n’en soit
pas de même dans le Kersh.
Bien avant l’apparition des hommes, la Terre était dominée par des
puissances astrales sans âmes : les Grands Anciens. Des restes de leur culte se
trouvent encore dans des tribus reculées ou encore dans les pays industrialisés
(?) chez des sorciers qui se cachent sous l’apparence de gens normaux.
30
Une conjonction astrale favorable est censée déclencher une
réapparition des Grands Anciens.
Les sectes et sorciers tirent leurs pouvoirs de ces Grands Anciens et leur
activité permet à ceux-ci d’avoir une plus grande emprise sur le monde. Dans
la Terre, les phénomènes étranges deviennent de plus en plus fréquents, signe
que la conjonction astrale approcherait.
Note : nous devrions peut-être nous renseigner pour savoir s’il en est de même
chez nous ou s’il s’agit seulement là de suppositions sans fondement.
Azatoth, le maître des Grands Anciens, est appelé le Dieu aveugle et
idiot ; il serait responsable de la création de l’univers. Viennent, juste en
dessous de lui : Nyarlatotep le messager, Cthulhu qui sommeille dans la cité
de R’lyeh, Hastur – Celui qu’il ne faut pas nommer dont nous connaissons
enfin le nom – et Shub-Niggurath, la Chèvre aux mille Chevreaux. À eux
s’ajoute Yog-Sothoth – le Gardien – qui est la porte entre le monde des
humains et le monde des Grands Anciens, mais également la clé qui ouvre
cette porte.
Il y aurait aussi un autre genre de dieux, au-dessus des Grands anciens :
les Dieux Très Anciens. Ennemis des premiers, ceux-là n’auraient rien contre
nous, les humains, et nous prendraient même en pitié quand ils en ont le
temps. Ils interviennent rarement mais, quand ils viennent, c’est du sérieux.
Je ne sais pas s’il faut souhaiter qu’ils s’en mêlent...
Le retour à la maison
Nous sommes enfin rentrés et nous ne sommes pas au bout de nos
surprises. Pourtant, nous sommes partis depuis moins d’une heure...
Tout d’abord, Zhôr a offert à Anya – qu’il appelle « ma fille » – une
superbe armure de cuir magique arborant son symbole.
Puis nous avons trouvé Louella (la tante de Ian) morte, découpée en
plusieurs morceaux – que nous avons tous retrouvés excepté un bras,
découvert plus tard à l’écart. Sa maison (celle de Nim) a été dévastée. Il est
clair que tout a été mis en scène pour inspirer la terreur. Mais à qui ? Qui est
responsable et que fabriquait la magicienne pour mériter ça ? Elle craignait
pour sa vie et venait tout juste de nous envoyer un appel au secours.
Enfin, Malkus s’est pointé ce soir, une fois toute ma famille couchée.
Demain, il va nous présenter des gens comme nous qui se démènent pour
sauver le monde. J’avoue que je suis assez curieuse !
À part ça, il ne sait ni ce qui est arrivé à Ian, ni où il se trouve. C’est
pourtant l'un de ses prêtres.
La soirée a été longue et la rédaction de tout ceci aussi. Je tombe de
sommeil. Mais vivement demain !
31
•••
Karam, le 26 Fagot 1111
Les amis de Malkus
Ils sont tous surprenants mais je ne les décrirai pas ici14. Je me bornerai
à récapituler les compléments d’informations recueillis au cours de nos
différentes discussions.
Les nouveautés les plus stupéfiantes viennent de Geoffrey, originaire de
l’Archipel du Rêve. Tout d’abord, nous avons appris l’identité de Lloïgor : làbas, il porte également le nom de Zorthram ! Il s’agirait d’un être de près de
deux mètres de haut au visage joliment agrémenté de tentacules... Nous
pouvons donc espérer que celui-là ne nuira plus puisqu’il a été – normalement
– tué par nos aïeux. Par contre, le fait qu’il soit assimilé à un Grand Ancien
nous interpelle sur Ozymandis qui, lui, n’est pas mort. D’autant plus que,
d’après Vieille Épine, Gulzar et Ozymandis se trouvent dans le gratin des
Grands Anciens, ceux qui ne sont pas rêvés.
Pour comprendre la seconde information, je dois tout d’abord dresser
une rapide description du monde de Geoffrey, des mondes plus exactement.
L’Archipel du Rêve est constitué d’un nombre indéfini de mondes, chacun
rêvé par un dragon – encore quelque chose à essayer de comprendre. Il est
possible de passer d’un monde à l’autre en empruntant des portes à sens
unique qu’ils appellent « déchirures » : elles sont nimbées de mauve
lorsqu’elles permettent que quitter un monde, de jaune lorsqu’elles
représentent des arrivées. Geoffrey sait, si j’ai bien compris, voyager à travers
ces mondes en passant par le monde gris : c’est un marche-rêves.
Note : nos aïeux ont rencontré trois personnes originaires de cet Archipel du
Rêve : Zerbinette, guerrière et herboriste, son amie Dame Sihaya, magicienne,
et Tom, son fils, lui-même père de notre Premier Conseiller. Mon grand-père
nous a appris que c’était Ozymandis en personne qui leur avait montré le
chemin du Kersh. C’est étonnant comme tout se recoupe toujours.
Pour en revenir à notre sujet, Geoffrey nous a appris que, selon les
mondes de l’Archipel, Cthulhu peut être endormi, réveillé ou inexistant. Je
me demande bien quel genre de dragon peut rêver une horreur pareille !
En tout cas, le Grand Ancien le plus apprécié dans l’Archipel est ShubNiggurath.
Après avoir évoqué tous les Grands Anciens dont chacun avait entendu
parler – aucun de nouveau, c’est déjà ça –, nous avons récapitulé les créatures
connues qui leur sont liées.
32
Note : nous nous sommes demandé si elles étaient « naturelles » ou si elles
avaient été fabriquées, comme Gulzar a créé chez nous les trolls et les wargs.
Bien entendu, personne, pas même Malkus, ne connaît la réponse.
Geoffrey nous a parlé de Chiens de Tindalos : des chiens gris,
intangibles, couverts d’une sanie bleuâtre, très difficiles à tuer et qui, en
prime, se baladent en meute. Ces bestioles sont capables de voyager dans le
temps. Notre « confrère » en a rencontré aussi bien dans le monde réel que
dans le monde gris.
Jim et Max, qui viennent du monde « futur » de Malkus, nous ont
donné des précisions sur les Mi-gos.
Ici aussi, je dois donner quelques informations sur l’endroit où ils
vivent, enfin, si j’y arrive ! Ils ne viennent pas de La Terre mais d’une planète
colonisée par leur peuple. Une planète est un monde sur lequel vivent parfois
des gens. Le Kersh, d’après eux, est une planète. Il ne faut pas confondre une
planète et une étoile. Une étoile est un soleil (!) sur lequel il fait bien trop
chaud pour vivre. Donc, a priori, notre soleil doit être perçu comme une étoile
par les habitants d’autres planètes... Ces habitants de La Terre du futur savent
se déplacer d’une planète à une autre : ils utilisent des vaisseaux spatiaux, des
espèces de gigantesques automobiles en forme de courgette. Et toutes les
planètes ne sont pas vraiment hospitalières. Jim nous a raconté que sur
Marse, l’endroit d’où ils viennent, il n’y avait pas d’air. Les gens y vivent sous
terre ou dans des bulles (?) avec de l’air fabriqué par des machines. Je ne vois
franchement pas l’intérêt.
En tout cas, ce manque d’air ne semble pas gêner les Mi-gos qui ont
installé sur Marse des colonies entières pouvant compter jusqu’à dix mille
individus. Là-bas, les humains s’installent à cinq cents kilomètres de ces
colonies et ne les approchent jamais, au cours de leurs déplacements, de moins
de cent kilomètres. Ces Mi-gos seraient une race interstellaire, ce qui signifie
qu’ils seraient originaires d’une étoile. Là, je n’ai pas tout compris Si les soleils
brûlent, ces bestioles devraient plutôt venir d’une autre planète – nous avons
pu constater qu’elles n’appréciaient pas du tout les boules de feu... Mais bon.
Max a évoqué deux autres races interstellaires. Les Vagabonds
stellaires, capables de se promener dans l’espace – le nom donné, je crois, à
l’ensemble des soleils et des planètes. Il ne nous en a pas donné de description
précise. Et les Vampires des Étoiles, sorte de masse de gelée rouge
translucide palpitante, pourvue de plein de tentacules se terminant par des
suçoirs en forme de griffe leur permettant de pomper le sang de leurs victimes.
Cette description peut paraître étrange mais je suis sûre de répéter fidèlement
ses propos. Ils arrivent – difficilement – à les éradiquer avec des fusils à
plasma, les quarante-cinq de leur époque.
33
Nous avons terminé notre réunion en évoquant les différents documents
ou livres dont nous avions entendu parler. Seuls, les Manuscrits pnakotiques ont
fait réagir nos amis ritaux : ils ont affirmé qu’ils se trouvaient à la bibliothèque
d’Arkham – une ville dans la région de New Providence15. Nous avons
suggéré à Malkus d’aller les subtiliser.
La maison als Jhita
Nos recherches sur la mort de Louella – que nous n’avons toujours pas
élucidée – nous ont conduits ici, à Karam.
Tout d’abord, nous y avons découvert qu’il y avait deux factions de
vampires : une liée à la famille als Jhita, une autre liée aux familles als Kéfir et
als Sarrayade. Als Jhita et als Sarrayade sont Conseillers Municipaux, le
second étant nécromancien de surcroît. Cela n’aurait aucun intérêt pour nous
si ce n’était pas lié à nos recherches. Or il se trouve que la première faction est
celle de Luw : c’est chez als Jhita qu’Ilyria était cachée, sous la protection de
Lars. Lorsque nous y sommes arrivés, Sylla a prononcé ces mots : « La peau est
ici ».
Cette phrase nous en a rappelé d’autres : « La peau sur les os », « L’os est la
porte, la vierge est la clé ».
Supposant qu’Ilyria est vierge, nous en avons déduit que c’était sa peau
qui intéressait les adeptes des Grands Anciens, et plus particulièrement son
étrange tatouage qui pourrait bien être la clé... De quoi ?
Nous avons laissé nos réflexions en plan lorsque Lars s’est inquiété,
nous a dit de nous préparer à combattre et s’est précipité hors de la pièce pour
mettre Ilyria à l’abri. Effectivement, nous avons été attaqués par deux
vampires de l’autre faction dont un, malheureusement, a réussi à se volatiliser.
Une invocation
Puisque nous étions à Karam, nous sommes allés visiter les maisons des
adeptes mentionnés dans le livre de Sallis Vitras. Nous avons ainsi découvert
qu’une « réunion » était en cours, à moins de deux kilomètres de la cité. Nous
avons foncé.
Dans une clairière au milieu d’un bosquet, une vingtaine de personnes
se tenaient en cercle, psalmodiant des trucs incompréhensibles en faisant de
grands gestes. Leur invocation a fonctionné : une grande créature, mi-homme,
mi-bouc est apparue au milieu d’eux. Une joie mystique teintée d’effroi s’est
emparée d’eux jusqu’à ce que la créature, au sexe énorme, se jette sur une
femme, déchire violemment ses vêtements et commence à la violer
frénétiquement. Là, tous ces crétins se sont enfuis, terrorisés. Nous n’avons
hésité que le temps de nous demander si l’invocation était Shub-Niggurath
avant de nous précipiter sur elle. La créature était morte avant de comprendre
34
ce qui lui arrivait. Nous ne savons pas ce que c’était. Lorsque nous avons
réussi à discuter avec la femme, une fois soignée, elle nous a annoncé qu’il
s’agissait de... Nyarlathotep ! Si tous les adeptes sont aussi stupides que cette
bonne femme, ça promet. Enfin, ce n’est pas parce qu’ils sont crétins qu’ils ne
peuvent pas faire apparaître un Grand Ancien. Et là, ça pourrait faire un sacré
grabuge. En tout cas, ceux-là n’était pas très doués : leur cercle de protection,
tracé à la va-vite sur le sol, n’était même pas fermé.
Nous avons réussi à tirer des informations de la mémère, aussi
nymphomane que futile. Elle est entrée dans cette secte grâce à Nazir als
Sarrayade, le fils du Conseiller. Au cours de leurs réunions, ils auraient parlé
à Cthulhu, Nyarlathotep et je ne sais plus qui d’autre, et ils auraient fait
« apparaître des trucs, c’était amusant et excitant ». Quelle idiote !
En tout cas, entre le fils qui appartient à la secte et le père qui fricote
avec les « mauvais » vampires, je pense qu’il va falloir étudier cette famille de
plus près...
•••
Mont Thauban, le 4 Cascades 1111
Le très ancien et horrifique rituel des abysses.
La surveillance de la maison als Sarrayade nous a permis d’élucider
deux problèmes.
Tout d’abord, nous avons dégoté un bateau en attente... d’Illyria. Enfin,
d’une « jeune fille » que le capitaine (un très sale type) devait conduire en
Helvellyn, un peu au-dessous d’Ozir. Très lié avec le fils als Sarrayade, il nous
a indiqué le moyen de pénétrer dans sa demeure.
Après avoir évité la demi-douzaine de vampires qui se reposaient dans
la cave, nous avons fouillé la chambre du fils et trouvé le très célèbre rituel des
abysses. En plus d’une petite fortune amassée grâce à ses divers trafics, entre
autres de poison à Helvellyn...
Nous sommes rentrés à la maison pour étudier ce rituel.
Son usage est simple : il permet de réveiller Cthulhu. Pour que ce
Grand Ancien débarque, il faut « la clé ». Et cette clé, comme nous le
supposions, est bien le tatouage d’Illyria. Il suffit donc d’écorcher vive la
porteuse et d’étaler sa peau sur les os (les siens ?) pour réaliser ce rituel qui
doit se dérouler à un endroit précis, certainement en Helvellyn puisque c’est là
que la malheureuse devait être conduite.
Outre le rituel lui même – dont nous avons brûlé les pages –, le
manuscrit comprenait une description de Cthulhu : un être au visage
35
tentaculaire, d’une vingtaine de mètres de haut et vivant dans la mer.
Impossible à tuer pour des humains.
Nous pouvons donc espérer que cette créature ne débarquera pas dans
le Kersh, enfin s’il n’existe pas d’autre exemplaire de cet horrifique rituel...
Donc, c’est déjà ça de fait !
Suite de nos investigations métaphysiques
Le bibliothécaire de la Maison du Conseil a terminé les recherches que
nous lui avions confiées. Un seul livre correspondait à notre demande :
« Entretien avec un chaman », écrit il y a environ un siècle par un certain Diram
Bazouk, secrétaire de mage de son état.
Lors d’une expédition en Khircasie, cet homme a discuté avec plusieurs
chamans puis il a consigné leurs propos dans ce recueil. Bien que nous n’en
ayons rien tiré de vraiment neuf, je vais résumer ce qu’il rapporte.
Les chamans parlent des mondes rêvés. Il existe deux types de rêves :
les monde rêvés proprement dits, et le monde gris autrement nommé monde
interstitiel. Cependant, tous les mondes ne sont pas rêvés. Quant aux mondes
rêvés, ils n’en sont pas moins réels jusqu’à ce que leurs rêveurs se réveillent...
Les chamans connaissent les anciens dieux. D’après eux, ils dorment
tous – du moins à l’époque de l’auteur – et c’est très bien ainsi parce qu’ils ne
sont pas commodes. Bien sûr, il ne faut surtout pas les réveiller. Certains
d’entre eux sont rêvés – comme nous le savons déjà – mais parmi eux, certains
rêvent aussi des mondes. D’anciens dieux se promènent dans le monde gris :
ceux-là sont forcément rêvés. Les chamans disent qu’ils peuvent ressembler à
plein de choses différentes et évoquent même la possibilité qu’ils soient
multiformes. D’après Diram Bazouk, soit les chamans délirent, soit il existe
des centaines de dieux anciens. Espérons qu'il ait un peu exagéré !
En tout cas, ils parlent régulièrement de serpents ailés qui rêvent des
mondes.
Il nous a paru évident que ces serpents ailés évoqués étaient les
dragons. Nous sommes donc allés quêter quelques informations auprès de
l’individu le plus compétent au monde pour nous renseigner16. Il nous a
confirmé que certains dragons rêvaient des mondes, d’autre non. Pour le reste,
nous avons tourné en rond.
Par contre, il nous a appris que les pouvoirs magiques innés de Ioghi lui
venaient d’un ancêtre dragon.
Côté famille, nous avons eu confirmation, par les parents d’Anya, que
son vrai père est effectivement Zhôr.
Peut-être faut-il trouver dans les ascendances surprenantes de nos amis
la raison de notre rencontre...
36
Je pense que nous allons laisser tomber toutes ces interrogations dont
les réponses, lorsque nous en obtenons, ne font que susciter d’autres
questions. Finalement, cela ne nous mène pas à grand-chose.
•••
Ozir, le 11 Cascades 1111
Les os
Nous sommes venus en Helvellyn pour tenter de trouver des
informations sur l’endroit où devait avoir lieu le rituel d’invocation de
Cthulhu. Sans Illyria, et sans le rituel lui-même, la cérémonie ne donnerait pas
grand-chose, mais bon.
Et nous avons trouvé.
Les os, d’abord : une vieille adepte complètement fanatique, très fière de
devoir être « les os ». La pauvre folle n’avait même pas compris qu’elle devait
payer cet honneur de sa vie.
L’officiant ensuite. Là, nous en sommes restés sur le cul. Le pépère était
un Grand-Prêtre de Zhôr du temple d’Ozir. Il s’est échappé, mais nous avons
réussi à le retrouver dans un immense dédale de grottes situé près du village
de Tantris, à deux heures de cheval au sud d’Ozir. De nombreuses
représentations de Cthulhu gravées dans la roche agrémentent l’austérité du
lieu, et depuis belle lurette.
Le Grand-Prêtre (dan Valdor) nous a donné du fil à retordre. Non
seulement il cumulait les rituels de sa secte et ses sortilèges de prêtre, mais il
combattait à partir du monde gris... Anya a failli perdre la vie et sa chevelure
n’a pas résisté à une colonne de feu venue de nulle part. Heureusement,
quelques sortilèges de Ioghi pouvaient l’atteindre et Sylla m’a emmenée avec
elle dans l’autre monde pour que je puisse le frapper. Il n’empêche que nous
avons été assez imprudents. Nous savions pourtant qu’il venait d’anéantir à lui
seul une quarantaine de soldats, dont bon nombre de paladins. Enfin, avec
cette saloperie de monstre tentaculaire qu’ils invoquent tous.
Nous avons réussi à apprendre que près de trois cents adeptes seraient
présent à la cérémonie qui doit avoir lieu le 21 de ce mois, jour de l’équinoxe.
Le Fléau va se charger d’eux.
•••
Harmyr, le 20 Cascades 1111
37
La famille d’Anya
Anya a souhaité rencontrer ses grands-parents maternels, dans leur
baronnie située en Harmyr, voisine de celle revenant légitimement à son père.
Nous avons découvert là-bas aussi des indications permettant d’affirmer
qu’une secte adorant Shub-Niggurath existait autour de l’an 1000. Parmi ses
adeptes se trouvait... un prêtre de Zhôr, qui s’est pendu en 1002. Décidément,
le vrai père d’Anya ferait bien de surveiller son clergé !
À cette même période, la mortalité infantile a triplé, de nombreuses
femmes sont mortes en couches et de nombreux bébé sont nés avec des
malformations. Selon un prêtre de l’époque, certains « sentaient le mal ».
Nous nous demandions comment en apprendre plus sur le sujet
lorsqu’un nouvel événement nous a détournés de nos recherches. Nous avons
découvert les origines de Sylla – confiée anonymement, à un an, au temple
d’Adhara. Elle est l’enfant du frère de la mère d’Anya et de la fille du duc
d’Harmyr. Décidément, toutes ces histoires de famille deviennent de plus en
plus surprenantes. Je pense qu’il n’est pas besoin d’être Ragnaröeker pour
penser que le destin y est pour quelque chose : qui pourrait affirmer que le fait
qu’Anya et Sylla soient cousines est dû au hasard ?
Cette nouvelle découverte nous amène à d’autres questions. Familiales
pour le moment, mais qui sait... Pourquoi le père d’Anya, paladin de son état,
s’est-il laissé virer de sa baronnie par son frère – en 1092 je crois – pour aller
se terrer sous un faux nom dans la forêt Dakoté ? Et pourquoi les parents de
Sylla se sont-ils enfuis en l’abandonnant, en 1090, sans donner aucun signe de
vie depuis ?
•••
Chez nous, le 28 Cascades 1111
Arnem a voulu rester à Harmyr un moment. Sylla, Ioghi et moi avons
récupéré Anya chez ses grands-parentsen passant par le monde gris. Nous y
avons rencontré une dizaine d’Horreurs chasseresses, genre moyen modèle.
Pas terrible. Heureusement que Sylla et Ioghi peuvent faire des dégâts à de
nombreuses créatures en même temps !
Anya a été épastrouillée par nos découvertes. Nous sommes partis chez
ses parents quêter des informations. Dans le monde des rêves, nous avons fait
une étrange rencontre : une espèce de démon avec un trou noir à la place du
visage, très impressionnant. Il ne sentait pas le mal et sa seule attaque, avant
que nous nous en débarrassions, a été de chatouiller Ioghi, qui se tordait de
rire. Ça nous a collé des frissons dans le dos, pires que s’il s’était battu.
38
Dans la forêt Dakoté, le père d’Anya nous a juste fait comprendre que,
comme les parents de Sylla, sa femme et lui avaient quitté Helvellyn sur
l’ordre de Zhôr pour protéger les filles. Il nous a appris une triste nouvelle :
les parents de Sylla sont morts. Il nous a aussi mis en garde contre les prêtres
de Zhôr dans lesquels nous n’avions, de toute façon, aucune confiance.
Chez nous
De retour à Port-Ker, nous avons appris que Iogha était à notre
recherche. Nous l’avons trouvé et avons obtenu de lui quelques informations.
Le premier prêtre de Zhôr appartenant à une secte a été repéré il y a
trois cent cinquante ans. Louella a été assassinée par des adeptes parce qu’elle
jouait avec le feu et n’avait pas les reins assez solides. Cette vieille truie leur
vendait des informations sur nous.
Plus surprenant, nous avons appris que les dieux préparaient notre petit
groupe depuis une vingtaine d’années. Ça veut dire, en gros, que le choix de
nos actions actuelles était déjà décidé avant notre naissance. Assez mauvais
pour l’égo tout ça ! Je n’ai pas résisté à l’envie de demander à Iogha s’ils
avaient une équipe de secours : non. En tout cas, nos dieux se sont bien
impliqués dans la constitution de notre équipe : une fille de Zhôr, une fille
adoptive de Vallinouë, un descendant de dragon, une Ragnaroëker donc liée,
d’après Iogha, à Skuld et à lui-même. Reste à connaître le lien divin qui a
décidé du destin d’Arnem... Nous avons également évoqué la disparition
incompréhensible de Ian. Iogha nous a asséné froidement qu’il l’avait envoyé
« ailleurs », n’ayant pas une totale confiance en lui.
Et nous en sommes arrivés à la raison de notre rencontre. Si j’ai bien
compris17, nous devons taper plus haut dans la hiérarchie des cultes dédiés
aux Grands Anciens. Nous allons servir d’appât pour de plus gros poissons,
poissons n’étant pas un terme inapproprié puisqu’il s’agit, a priori, de Dagon
ou de ses sous-fifres. Ce rôle de Biquette attendant le loup attachée à un
piquet n’étant évidemment pas sans risque, Iogha nous a proposé de louer une
maison afin de ne pas mettre en danger la vie de ma famille. Délicate
attention, dont je lui suis fort reconnaissante. Il nous a précisé que Sylva se
joindrait à nous, qu’elle avait un peu changé depuis notre dernière rencontre
mais qu’elle restait de toute confiance. Il avait déjà en vue une maison
appartenant à un mage qu’il n’aimait pas trop. Donc, pas de problème pour les
éventuelles déprédations !
Avec lui, ça ne traîne pas, nous nous sommes installés le lendemain. Je
ne vais pas rentrer dans les détails, même si nous avons eu quelques surprises.
Dans la cave, nous avons découvert un cercueil contenant, évidemment,
un peu de terre. Nous avons eu confirmation peu après qu’il s’agissait bien de
la chambre de Silva. Elle rêvait de devenir vampire depuis toujours et s’était
décidée à demander à Luw d’être son nouveau père. Je suppose que ce n’est
39
pas un hasard et qu’elle était également prédestinée à cette folle aventure. En
tout cas, me voici, moi aussi, dotée d’une cousine. En quelque sorte...
Décidément, tout le monde se mobilise pour ce combat : dieux, dragon et
vampires. Ça me rappelle quelque chose !
•••
Chez nous, le 19 Lézard 1111
Il ne s’est pas passé grand-chose ces derniers temps. Nous en avons
profité pour nous faire fabriquer un beau bateau et prendre quelques cours de
navigation. Ça peut toujours servir.
Cependant, ça commence à bouger. Un dénommé Teilo – alias Savius
Mavius – a été grassement payé pour nous éloigner de la maison pendant
quelques jours. Nous avons appris le nom de son commanditaire : un certain
Klusk dan Irell auquel il manquerait le petit orteil gauche. Il semble se trouver
à Althor et, las de notre inactivité, nous allons y faire un saut. Même si c’est
sans doute ce qu’il souhaite...
Le Membre de Malkus
Je ne résiste pas à l’envie de porter ici une anecdote découverte durant
notre enquête sur Savius Mavius. Cet homme est en charge de la gestion de
plusieurs maisons, dont une demi-douzaine qui appartiennent à un marchand
de meubles nommé Keryl Strassk. Ce marchand, par ailleurs grand
collectionneur d’armes, a une vision très romantique de « l’Aventure »... Il est
fort sympathique. À la vue de nos armes, il a voulu nous montrer la plus belle
pièce de sa collection : une masse puissante aux pouvoirs très particuliers. Je
n’ai eu aucun doute sur le fait qu’il s’agisse là de la masse de Gütveuc’h,
l’arrière-grand-père d’Arnem. Gêné, notre bon marchand a reconnu qu’elle
avait été volée, sans en connaître la provenance. Certainement le château de la
famille rônirienne d’Arnem. Keryl, déchirée entre sa passion pour l’arme et
son intégrité, était prêt à la rendre à ses légitimes propriétaires. En l’absence
d’Arnem, nous sommes donc allés voir sa grand-mère pour lui raconter tout
ça. La légèreté de sa famille du nord a un peu déprimée la vieille dame.
Comme nous, elle a pensé que cette arme légendaire était sans doute plus en
sécurité dans le coffre de Keryl. Du coup, tout en sachant qu’elle ne lui
appartient pas, il en est le gardien. Comment rendre un homme heureux à peu
de frais !
•••
40
Mon Repos, le 25 Lézard 1111
Oui, « Mon Repos » est le nom dont nous avons baptisé notre nouvelle
demeure. Qui a parlé d’humour noir ?...
Nous sommes donc rentrés, mais avec bien du mal. Ce salopard de dan
Irell ne souhaitait pas nous éloigner de notre maison : il voulait nous envoyer
dans un piège qui devait être mortel.
Je reprends mon récit à notre arrivée à Althor. Dans la nuit, nous avons
eu le plaisir de voir débarquer Malkus qui nous ramenait Arnem. Ce dernier
nous a baratinés avec une histoire d’amour qui nous a laissés sceptiques. Nous
avons profité de la présence de Malkus pour lui demander quelles origines
d’Arnem expliquaient son appartenance à notre petite troupe. Eh bien, c’est
simple : notre ami a du sang nain ! Du côté de Gütveuc’h, évidemment, dont
le nom signifie « le ver qui creuse ». Avec ça, nous représentons vraiment tous
ceux qui se bougent dans le Kersh depuis des millénaires !
Le château dan Irell
Une petite enquête nous a appris que Klusk dan Irell était un « fils de
pute », dont le château se trouve à une dizaine de kilomètres à l’est d’Althor.
Nous nous y sommes rendus de nuit, évidemment, afin que Silva puisse
nous accompagner. Alors qu’elle survolait le château – petit et construit sur un
éperon rocheux –, elle s’est fait attaquer par une grande créature ailée. Sans
doute un magicien métamorphosé puisqu’il lui a envoyé des éclairs. Elle a
répliqué avec je ne sais quoi et les boules de feu de Ioghi sont venues à sa
rescousse. La créature s’est écrasée au sol, morte, et a repris sa forme
humaine. Avec l’intégralité de ses orteils.
Nous avons pénétré sans problème dans le donjon après avoir neutralisé
son seul garde, un dénommé Tarp. Nous avons tout fouillé pour ne trouver
qu’une chasuble de cérémonie et une dague sacrificielle. Et pas d’or, ce qui
nous a étonnés. Le garde ne savait rien sur les activités de son maître. Il ne
connaissait même pas le nom de son ami qui avait fini carbonisé peu avant. La
seule information qu’il a pu nous donner était qu’il avait un jour suivi son
maître en douce jusqu’à une grotte proche du château où il semblait
rencontrer des amis. Bien sûr, nous y sommes allés. C’est là que tout s’est
gâté.
Le Vide
La grotte était toute petite. Une partie de la paroi du fond s’est avérée
bizarre. On pouvait passer la main à travers, avec l’étrange impression de
l’enfoncer dans de la mélasse. Nous avons demandé à Sylla ce qu’il y avait de
41
l’autre côté : le Vide. Nous n’avons pas compris. Anya a traversé. Nous
l’avons appelée. Elle n’a pas répondu. Ioghi l’a suivie. Et nous tous dans la
foulée, sauf Tarp, terrifié.
Bien sûr, une fois de l’autre côté, impossible de revenir. Nous nous
trouvions dans une nouvelle grotte. Un seul tunnel permettait de la quitter.
Nous l’avons emprunté. Rapidement, nous avons été attaqués par des milliers
de rats, qui sentaient le mal – les animaux normaux sont en général neutres.
Ioghi en a carbonisé des tonnes, l’étrange bouclier18 de Silla en a détruit
d’autres. Mais il en arrivait toujours. Nous avons voulu fuir dans le monde
gris : impossible. Heureusement, les rats ont fini par refluer dans le couloir
alors qu’un amas immonde nous entourait.
Déprimés, nous avons entrepris notre exploration de l’endroit. Je vais
le décrire assez précisément, tout en espérant que cela n’aura jamais besoin de
servir...
Au bout du couloir, une arcade, gravée du langage inconnu et d’un
symbole représentant une tête de poulpe stylisée, était flanquée de deux
gargouilles. Bien sûr, elles se sont animées à notre approche.
Nous avons débouché ensuite dans une espère d’antichambre d’une
centaine de mètres carrés. De nombreuses patères étaient accrochées aux
parois, sans doute pour déposer des vêtements « civils » avant de les échanger
pour des tenues cérémonielles. Nous avons trouvé là de nombreux pendentifs
ornementés de la tête de poulpe ou d’humanoïdes aux pieds palmés et à la
gueule de brochet. Des Écailleux.
Trois couloirs permettent de quitter cette pièce. Ceux de droite et de
gauche aboutissent chacun à une chambre confortable. Dans l’une d’elle, nous
avons trouvé trois livres anciens, toujours rédigés dans le langage inconnu.
Leurs couvertures de cuir étaient ornementées, l’une par un portrait de
Cthulhu, la seconde par un de Dagon et la dernière par un poisson. Nous les
avons glissés dans un sac. Dans la deuxième chambre, nous avons découvert,
dans la poche d’un vêtement, un devis de maçonnerie concernant un chais
pour la famille dan Talodar. Sujet à creuser. Hum, assez mauvais comme jeu
de mots...
Le couloir central mène à une grotte circulaire d’une dizaine de mètres
de diamètre. Une statue d’Écailleux de deux mètre cinquante se dresse au
centre, entourée d’offrandes... de poissons ! C’est à ce moment là que nous
avons fait le rapprochement avec Dagon.
Un seul couloir quitte cette pièce pour rejoindre une seconde salle
circulaire, trois fois plus grande que la précédente. Avec cette fois, au fond,
une statue de quatre mètres cinquante, du même. Cinq couloirs de part et
d’autres mènent à divers endroits.
Le premier sur la gauche aboutit sur une porte en fer de plusieurs
centimètres d’épaisseur, lourdement barrée. Nous avons vu plus tard qu’une
espèce de salamandre géante et monstrueuse pouvait arriver par là. Elle y est
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encore... Le second conduit à une cellule avec des chaînes scellées à la paroi, le
troisième à une réserve, le quatrième à un vestiaire. Je reviendrai sur le
cinquième plus tard. Le sixième couloir sur la droite est muré au bout de
quelques mètres. Le septième mène à une pièce renfermant trente sarcophages
en pierre, portant noms et dates toujours dans cet agaçant langage. La pièce
où arrive le huitième couloir contient vingt-cinq sarcophages – l’un de ses
murs est encore inoccupé, celle du neuvième couloir en contient quatre,
beaucoup plus ornementés et arborant sur leurs couvercles des gisants... à
têtes de poissons et mains palmées croisées sur la poitrine.
La pièce du dernier couloir n’abrite qu’un seul sarcophage. Il était gardé
par un monstre enchaîné. Ou plutôt, un humanoïde d’un quintal et demi qui
avait dû être humain. Il se tenait à quatre pattes, possédait une dentition
impressionnante dans une bouche énorme et écumante de rage. Des restes de
poissons l’entouraient, preuve que ses geôliers n’oubliaient pas de le nourrir. Il
n’avait cependant qu’une idée en tête : nous bouffer ! Nous l’avons tué
rapidement pour mettre fin à son calvaire. Il portait à l’un des doigts une
chevalière qui s’est avérée être un sceau représentant un agneau stylisé.
Je reviens maintenant au cinquième couloir. Il aboutit à une immense
grotte naturelle. En faire le tour nous a pris deux heures. Nous y avons tué
plus tard deux énormes vers blancs, dépourvus d’yeux, qui mesuraient une
vingtaine de mètre de long pour quatre de large. Nous avons également
découvert un boyau, à une vingtaine de mètres de haut, avec un petit (!) ver.
Peut-être plusieurs, mais nous n’avons pas pu avancer. Une fois tout le
complexe visité, nous avons dû nous rendre à l’évidence : il n’y a aucune
sortie.
Nous avions déjà passé une nuit dans l’une des deux chambres. Silva
était partie sous forme gazeuse visiter une aération et n’était pas revenue.
Sylla avait perdu une partie de ses pouvoirs et était « redevenue » aveugle.
Anya ne pouvait lancer aucun sortilège lié à la nature. Heureusement, les
pouvoirs de Ioghi étaient intacts, le tranchant de nos armes aussi.
C’est au cours de la deuxième nuit que nous avons commencé à recevoir
de la visite. Un homme d’abord. Il a voulu incanter une de ces saloperies
d’invocation et nous avons dû le bâillonner. Il s’est transformé en Écailleux
rageur et fanatique. N’arrivant pas à le convaincre de nous indiquer un moyen
de quitter les lieux, nous avons fini par profaner devant lui le sarcophage
solitaire près du cadavre du monstre. Ça n’a pas modifié son attitude. Par
contre, nous avons découvert, sous le squelette qui reposait là, un énorme
rubis magique, protégé par je ne sais quoi qui avait jusque là empêché Ioghi
de le détecter. Anya a approché la pierre brillante du visage de notre
prisonnier dont les ouïes ont commencé à s’affoler. Il s’est mis à suffoquer, et il
est mort. Nous avons dû abandonner cet espoir de sortie.
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Nous ne nous sommes pas recouchés longtemps. Un vacarme s’est
bientôt fait entendre dans la première salle circulaire. Un bref coup d’oeil
nous a permis d’identifier six wargs19. Ioghi en a immobilisé quatre en
invoquant de grands tentacules noirs, nous avons tué les deux qui s’étaient
avancés dans le couloir. La fin de la nuit a été délicate, perturbée par les
hurlements d’agonie des bestioles.
Au réveil – je ne peux pas dire au matin, nous n’avions aucune notion de
jour et de nuit –, le moral était au plus bas. Nous avions la désagréable
impression d’être observés depuis un moment par quelqu’un qui se fichait de
nous. Aucune idée géniale ne nous venait à l’esprit. Nous craignions de
continuer à être harcelés par des visiteurs jusqu’à ce qu’ils viennent à bout de
nous. Et si Ioghi et Sylla n’arrivaient pas à dormir, nous ne pourrions plus
compter sur leurs pouvoirs magiques. Le fait que Sylla n’ait plus de contact
avec Vallinouë laissait aussi supposer qu’aucun de nos dieux ne pouvaient
nous venir en aide.
Mais bon, malgré notre abattement, nous avons ressorti les bouquins.
Ioghi a lancé un sortilège lui permettant de comprendre le langage abscons
durant un certain temps. Finalement, il a dégoté un rituel – nécessitant du
sang de vierge, mais il en coulait dans nos veines – nous permettant de quitter
ce sale endroit.
Il l’a presque réussi... Nous nous sommes retrouvés ailleurs, au beau
milieu d’une cérémonie regroupant plusieurs centaines d’adeptes près d’une
immense statue – de Cthulhu ou de Dagon, personne n’a pris le temps de la
détailler – au fond de la salle. Nous avons pressé Sylla de tenter un départ
dans le monde gris. Et, cette fois-ci, ça a marché.
Le retour
Dès notre arrivée, nous sommes allés voir Oxus, le prêtre défroqué de
Varzach’. J’avais été mordue par un warg et je savais qu’il y avait des risques.
Il m’a fait un puissant sort de guérison puis nous l’avons invité à dîner.
Je l’ai interrogé sur la Maison de Vâhtrà. En effet, j’avais été très
surprise lorsque nous nous étions fait envoyer sur les roses quelques mois
auparavant. Les prêtresses de cette déesse sont en général très sympathiques,
ouvertes et prêtes à toute collaboration. Le brave homme nous a rassurés.
Vâhtrà avait fait le ménage. L’ancien Grand Œil (la Grande-Prêtresse) avait
été envoyée ailleurs, avec quelques-unes de ses suivantes, pour non respect
des principes de leur culte. Le nouveau Grand Œil était très bien et Vâhtrà
avait même rendu à Oxus les pouvoirs que lui avait retirés Varzach’, voire
plus. Et elle l’avait autorisé à conserver sa masse. Il avait maintenant en
charge certains cours et enseignait de nouvelles techniques martiales aux
Lames.
44
Ces événements entraînent une interrogation : les prêtresses de Vâhtrà
virées s’étaient-elles laissées tenter par le pouvoir facile des sectes ? Si c’était
le cas, elles n’étaient peut-être pas les seules... En tout cas, Vâhtrà,
contrairement à Zhôr, avait bien fait le ménage chez elle. Et un nouvel âge
commençait peut-être avec l’élévation d’un homme au rang de prêtre dans un
culte exclusivement féminin. Enfin, côté prêtresses, puisqu’il y avait, depuis
l’exil de la Maison de Vâhtrà dans le Nord, quelques Haches, pendant
masculin des Lames. Peut-être faut-il voir là une preuve de l’inquiétude de nos
dieux face à la menace des Grands Anciens.
Arnem a demandé au bon père Oxus s’il pouvait tenter de voir Silva. Il
a pu. Notre amie est assez mal en point mais vivante, enfouie sous de la paille
– il fait encore jour – quelque part dans le Kersh. Il ne nous reste plus qu’à la
retrouver.
Lorsque ce sera fait, nous aurons quelques recherches à effectuer.
Une identification de Ioghi nous a permis de connaître le nom du rubis
magique : le Cœur d’Ahriman. Mais nous savons seulement qu’il peut être
mauvais pour les Écailleux et nous pourrions peut-être obtenir des précisions
à son sujet au Démon de Midi.
Nous avons recopié tous les noms et les dates inscrits sur les
sarcophages : leur traduction nous procurera peut-être des informations
intéressantes. Comme celle des livres, principalement celui contenant le rituel
de retour.
Une petite visite au nouveau chais des dan Talodar peut s’avérer utile.
Peut-être ce chais est-il en fait un nouveau lieu de culte. Et, même si ce n’est
pas le cas, il y a là-bas quelqu’un d’important adepte des Grands Anciens. Il
serait bien de découvrir son identité.
Enfin, qui peut avoir comme sceau un agneau stylisé ?
Et puis, dan Irell court toujours et il me semble que nous avons un
compte à régler avec lui.
J’oubliais : il serait tout de même intéressant de savoir où se trouve ce
« Vide ». Si Silva est dans le Kersh, il doit y être aussi. Mais quel puissant
sortilège, indiscernable à une détection de magie, le protège de nos dieux ?
Une dernière question : comment se fait-il qu’on nous ait envoyé des
wargs, créatures créées par Gulzar – normalement mort, du moins dans ce
monde – et, en principe, éradiquées par les nains ?
•••
Quelque part à Shalimar, le 3 Épis 1111
Le cœur d’Ahriman
45
Nous sommes actuellement dans le complexe des archives de la faction
« neutre » des vampires, sous les montagnes situées au nord de Shalimar.
Avant de raconter les événements plus qu’inattendus qui nous ont conduits
ici, je vais résumer brièvement nos dernières recherches.
Tout d’abord, nous avons bien récupéré Silva, mais nous n’avons pas
encore eu le temps de localiser l’endroit où elle est sortie du Vide.
Ensuite Ioghi, qui progresse sans cesse en magie, est maintenant
capable de lire et de comprendre en permanence n’importe quel langage. Il
nous a traduit les dates et noms gravés sur les sarcophages. Beaucoup sont
d’origine helvellynienne, dont un dan Irell. La date la plus ancienne remonte à
759 ans, la plus récente à 43 ans. Le sarcophage qui se trouvait sous la garde
du « monstre » ne portait ni nom, ni date, mais seulement ce texte : « Ici
repose le servant de Xiurhn ». Les trois bouquins récupérés ne contiennent
rien d’intéressant, excepté le rituel de translitération qui nous a permis de
sortir du Vide. À part ça, nous connaissons enfin le nom des armes d’Arnem :
sa rapière se nomme « Riccio » – hérisson – et sa dague « Riccio di mare » –
oursin. Et nous savons à quelle famille appartient le sceau trouvé sur le
monstre : les dan Parthal, dont le chef est vicomte d’un très grand domaine à
Rônir.
Nous envisagions d’aller quêter des informations sur le Cœur
d’Ahriman au Démon de Midi quand il s’est de lui-même rappelé à notre
attention. Il a commencé à irradier un mal diffus et un simple regard sur lui
nous a permis de constater qu’il n’était plus terne. Il avait pris de l’éclat et n’a
cessé de continuer.
Myrelle ne savait rien à son sujet et son frère était absent. Nous avons
décidé de laisser l’objet à sa garde, mais le quitter nous a été impossible. Anya,
Arnem, Ioghi, Silva et moi avions visiblement été « choisis » par lui comme
gardiens. Sylla, elle, ne peut pas le toucher. Il nous a été ensuite impossible de
parler de lui à quiconque pour essayer d’obtenir des informations à son sujet.
Alors que je le remettais à Arnem, sur la place du marché, un voleur
s’en est emparé. Le malheureux avait eu raison de penser que le petit paquet
soigneusement emballé était précieux, mais cette déduction lui a coûté la vie :
il s’est embrasé comme une torche à moins de dix mètres de nous. Et cette
saloperie de pierre a roulé jusqu’à nos pieds...
Aucun dieu ne passant par notre charmante demeure, Silva est allée
quêter des informations auprès de son nouveau père. Elle est revenue très
perturbée. Elle n’avait pas appris grand-chose si ce n’est que cette pierre, très
puissante et très dangereuse, était peut-être très importante pour la nation
vampire. Cependant, Luw lui avait demandé de ne rien nous répéter. Il lui
avait même dit de nous mentir, ce qui créait chez notre amie un fort sentiment
46
de malaise. De plus, elle nous a raconté qu’au nom de la pierre, Luw avait été
un instant terrifiant et empli de joie.
Arnem est retourné à la bibliothèque du Conseil. Cette fois, il n’a pas
essayé de se renseigner auprès du bibliothécaire – ce qui nous avait été
interdit par la pierre – mais il a effectué des recherches seul. Il est tombé sur
un bouquin, Histoire maudites des suceurs de sang, écrit il y a près de deux siècles.
Le Cœur d’Ahriman serait donc le cœur de l’un des premiers grands vampires
– ou d’un démon. Il existe en effet un rituel nécromantique, évoqué dans les
mémoires de mon arrière-grand-mère, grâce auquel un nécromancien peut
enlever son cœur pour gagner des pouvoirs. Pourquoi le Cœur d’Ahriman estil devenu si puissant ? Mystère. Mais l’auteur du bouquin affirme qu’il aurait
le pouvoir de focaliser et de multiplier les pouvoirs des vampires. Ce qui est
effectivement le cas, comme je l’expliquerai plus loin. J’ai oublié de préciser
qu’Arnem s’est fait attaquer par de pseudos mendiants en allant à Port-Ker. Il
a failli mourir empoisonné. Des gens des sectes ?
De notre côté, nous étions allés faire un tour sur notre superbe bateau.
La veille déjà nous en avions eu l’intention. L’aube était magnifique, le soleil
incendiait la mer semblable à un océan de lave. Mais Sylla avait prononcé ces
mots : « L’aube rouge », et ça nous avait refroidis.
Quatre Écailleux nous ont attaqués. Ioghi s’est emparé – je regrette que
ce soit sur mon conseil ! – du Cœur d’Ahriman et en a menacé les créatures.
Elles sont mortes en quelques instants. Mais l’avant-bras de Ioghi également.
Même si Sylla a dit : « La vision n’est pas dans l’œil », phrase sybilline que nous
avons traduite par « Le pouvoir n’est pas dans la main », nous ne pouvions pas
laisser notre jeune ami ainsi. Il a donc subi une opération très délicate à la
Maison de Vâhtrà : amputation de la partie morte puis régénération. Inutile de
dire que plus aucun d’entre nous ne va se servir du joyau pour lutter contre
les créatures liées aux Grands Anciens.
Le Cœur a, par contre, eu des effets bien différents sur Silva. Comme
indiqué dans le livre, il a multiplié ses pouvoirs. Elle a maintenant une force
colossale et ne craint plus la lumière du jour. De plus, elle semble posséder un
certain pouvoir charismatique sur ses congénères, du moins sur certains.
La suite des événements atteint des sommets d’absurdité. Dans la même
soirée, nous avons reçu la visite de trois factions vampires. Nous n’avons
évidemment fait entrer personne.
L’envoyé de la première faction, très imbu de lui même et très
désagréable avec Silva, nous a bien sûr demandé le Cœur d’Ahriman. Ces
vampires-là n’ont qu’une idée : virer Luw et venger Miriath – son frère tué
par nos ancêtres. Grâce à lui, nous avons obtenu une information sur Xiurhn :
il serait Le Gardien du Sombre Joyau. Le vampire nous a donné l’adresse
d’un contact à Karam : Azir als Rihad.
47
Par l’envoyé de la seconde faction – qui attendait poliment son tour un
peu à l’écart –, nous avons appris le nom du chef de la première : Koch. Il
commande les vampires du nord du Continent et de Khircasie. Cette seconde
faction quant à elle ne souhaite pas récupérer le Cœur d’Ahriman. Son
envoyé, représentant des vampires de Shalimar, nous a expliqué qu’ils étaient
peu nombreux et ne faisaient pas le poids contre Luw et Koch. Ils craignent, si
l’une des deux grosses factions entre en possession du joyau, d’en faire
gravement les frais. Ce vampire-là nous a donc offert leur aide pour obtenir
des informations sur l’objet en question. Il nous a proposé de consulter leurs
archives et nous a quittés en nous donnant le nom d’un contact, lui aussi à
Karam : Syrâhvahià.
À peine avait-il disparu que notre troisième visiteur nocturne a pointé le
bout de sa canine... khirkasienne. Surprenant ! Lui s’est présenté comme
Gramush de Lâhbà, en mission diplomatique pour Kurgish, chef de la faction
regroupant tous les petits clans. En gros, tous les vampires barges de la
création, des Khircasiens aux Nazuréens – des cannibales vampires, amusant
non ? Il souhaitait lui aussi le Cœur d’Ahriman, mais ne se souvenait plus très
bien de ce qu’il devait nous dire. Nous lui avons suggéré de revenir quand il
en saurait plus.
Nous nous retrouvons donc avec quatre factions de vampires sur le dos
– il nous est apparu évident qu’un vampire de Luw devait traîner dans les
parages... Nous sommes en possession d’un objet incroyablement puissant qui
assurerait à celui qui s’en emparerait la suprématie sur la nation vampire.
Alors, pourquoi ne pas s’en débarrasser en le donnant à Luw, le plus proche
de nous « familialement » parlant ? Lui au moins a déjà prouvé qu’il pouvait se
battre aux côtés des humains pour défendre notre monde. Parce qu’il y a fort
à craindre que le Cœur d’Ahriman ne prenne possession de son esprit pour
servir ses propres desseins. Et si Luw perd son libre arbitre, il n’y a pas que la
nation vampire qui est mal barrée... Nous n’avons donc qu’une seule solution :
trouver le moyen de détruire ce satané joyau. En attendant, il est impensable
de le sortir de la maison où il est en relative sécurité puisqu’aucun vampire,
excepté Silva, n’y est entré. Ce qui implique que l’un d’entre nous doit rester
en permanence près de lui, vu son attachement à nos petites personnes.
La première piste qui s’offre à nous – la seule pour le moment – est la
consultation des archives de la faction neutre. Après un petit tour à Karam,
nous avons obtenu de Syrâhvahià le nom d’un contact à Shalimar : Maître
Sihr.
Anya, qui voue une haine farouche à tous les morts-vivants, est restée à
la maison avec le Cœur d’Ahriman, sous la protection de Sean, un soldat que
Zhôr lui a envoyé. Luw l'a « rassurée » en affirmant que ses gars veilleraient
également sur elle. Nous pouvons être sûrs qu’ils ne seront pas les seuls.
48
Espérons qu’aucun n’aura suffisamment de pouvoir pour la convaincre de
sortir avec le joyau. Il y aurait sans doute un chouette combat dans la cour,
mais les vainqueurs s’empareraient de la pierre.
Quant à nous – Sylla, Silva, Arnem, Ioghi et moi –, nous voilà donc au
milieu de centaines de vampires et de milliers de bouquins. Nous avons
discuté avec un sage de la faction neutre qui, comme nous, pense que la seule
solution est de détruire le Cœur. Mais pourra-t-il nous aider à en trouver le
moyen ?
•••
Quelque part à Helvellyn, le 7 Épis 1111
Le cœur d’Ahriman, suite
Je vais rapidement résumer les derniers événements car je ne sais pas si
je vais disposer d’assez de temps pour entrer dans les détails.
Nous avons obtenu quelques précisions sur ce fichu Ahriman dans les
archives des vampires. Précisions complétées un peu plus tard par Jon.
Ahriman est un Grand Ancien. Il a enlevé (peut-être) son cœur et (c’est sûr)
emprisonné sa force vitale dans un joyau afin de devenir invincible. Il ne peut
être annihilé que si le joyau lui-même est détruit. Il est parfois considéré
comme un démon très puissant et comme le « Patron » des vampires – qui
n’ont pas de dieux. Ahriman a confié ce joyau à la garde d’un autre Grand
Ancien, Xiurhn, qui se l’est fait dérober par l'un de ses suivants, a priori à la
solde de Dagon, lui-même à la botte de Cthulhu.
Nous avons été attaqués à la maison par des centaines d’Écailleux.
Devant leur multitude, nous avons dû abandonner le combat et déguerpir
après avoir récupéré tous les documents et livres importants. Sachant
maintenant que Dagon aimerait sans doute récupérer le Cœur d’Ahriman – et
ayant donc une nouvelle raison d’en avoir après nous –, il est possible
d’envisager que lui aussi aurait débarqué à Mon Repos. Il ne faut pas oublier
que les Écailleux ne peuvent pas s’emparer du joyau, mortel pour eux.
Nous sommes partis par le monde gris pour le château de dan Irell. Il
était absent, la porte était ouverte et le pont-levis abaissé. Le lendemain, Sylla
a « regardé » notre maison, dévastée.
Nous sommes rentrés récupérer les chevaux – pour les conduire à
Mont-Thauban – et le bateau, laissé à Port-Ker.
Puis Sean, le « chien » de Zhôr20, a appelé son maître. Nous avons
envisagé de lui confier le Cœur d’Ahriman : cela s’est révélé impossible.
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Lorsqu’il s’est téléporté, nous nous sommes retrouvés avec lui. Bien sûr, il ne
connaît rien de cette histoire et ne sait pas comment détruire le joyau. Et
Iogha est très occupé.
Zhôr nous a conduits à Jon qui a complété nos informations. Nous
avons également envisagé de laisser le Cœur d’Ahriman à sa garde, mais il a
sagement refusé après avoir réalisé l’effet qu’il aurait sur lui. Il est entièrement
d’accord avec nous sur le fait que cet objet doit être détruit. Il va tenter d’en
découvrir le moyen.
En attendant, Zhôr nous a déposés dans un soi-disant havre de paix,
paumé dans la campagne helvellynienne : une ferme en ruine.
Sylla, Ioghi et moi avons fait un saut à Port-Ker pour acheter quelques
outils et des provisions. Au retour, nous avons rencontré dans le monde gris
cinq Chiens de Tindalos, correspondant en tous points à la description de
Jeoffrey. Ce qu’il avait omis de nous dire, c’est qu’un coup de langue de ces
immondes bestioles affaiblit considérablement...
La nuit a été terrible. Un orage violent – et inexplicable – a menacé,
prémisse de l’arrivée de deux créatures humanoïdes ailées d’environ deux
mètres cinquante. Le combat a été rude. L’orage se faisant plus menaçant,
nous avons attendu la suite. La terre s’est bientôt soulevée devant nous et une
immense goule a émergé, répugnante et redoutable. Là, ça a été bien pire.
Seuls, les missiles magiques de Ioghi et les coups d’épée d’Anya et moi
arrivaient à infliger des blessures à cette créature. Visiblement, elle résistait à
des armes magiques moins puissantes que les nôtres. Heureusement, Sylla a
réussi à me soigner plusieurs fois durant le combat ! La goule a également
invoqué six de ses congénères, par chance moins puissantes.
L’orage s’est calmé, nous nous sommes recouchés. La fin de la nuit a été
calme. Mais Anya et moi, malgré les rituels de soins, nous sentions encore loin
de notre état habituel, comme si la goule avait absorbé une partie de notre
énergie vitale en nous infligeant certaines blessures.
Ce matin, nous sommes venus à Ozir afin de demander son aide au
Grand Aumônier. Il nous a remises d’aplomb. Nous avons échangé quelques
nouvelles.
Conclusion de tout cela : nous sommes dans une situation encore pire
qu’avant. Nous ne pouvons apparemment être nulle part en sécurité. Les
vampires sont sûrement à notre recherche, s’ils ne savent pas déjà à tout
moment où nous nous trouvons. Dagon nous cherche également. Avec lui,
nous pouvons peut-être espérer un peu de répit côté Écailleux si nous restons
assez éloignés de la mer. Mais il reste ses suivants, mages et prêtres compris,
et lui-même en personne. Nous pouvons aussi supposer que les morts-vivants
de la nuit dernière n’étaient envoyés ni par les vampires, ni par Dagon. Par
Xiurhn peut-être, ravi que le joyau confié à sa garde ait refait surface ? Ou
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par Ahriman lui-même, bien qu’il soit sensé dormir. Ou encore par je ne sais
qui dont nous n’avons pas encore entendu parler.
Voilà pour ce soir. J’espère que la nuit sera tranquille, mais je n’y crois
pas trop...
•••
Baronnie dan Talodar, nuit du 12 au 13 Épis 1111
Le chais
Nous avons commencé notre enquête sur le nouveau chais du baron
dan Talodar. Son intendant responsable du vin, Joran Salnikor, fait partie des
adorateurs des Grands Anciens. Il porte un anneau magique afin de
dissimuler son âme mauvaise. Nous avons trouvé une petite pièce creusée sous
son bureau – celui du chais – protégée par une boule magique en pierre
rendant toute détection impossible. Un texte est gravé en cercle dans les dalles
de cette salle. Il s’agit d’un baratin à la gloire de Shub-Niggurath et de
Nyarlathotep qui utilise leur pouvoir pour se protéger d’autres choses.
Nous avons également découvert que Salnikor a un frère – ou
quelqu’un se faisant passer pour tel – nommé Syrel. Ce dernier lui rend visite
chaque mois mais les deux hommes se retrouvent à l’auberge du village, Le Cep
Vaillant, et non au château. Le frangin passe ensuite une nuit chez une putain
du village. Grâce à elle, nous avons appris que ce Syrel a quatre tatouages :
- sur la hanche gauche : un serpent de mer qui engloutit une galère,
- au milieu du dos : un cercle de mots dans une langue inconnue au
centre duquel se trouve une tête de chèvre – son plus ancien tatouage effectué
lorsqu’il avait quinze ans,
- sur le bras gauche : un texte qui « fait venir des démons qui rendent
fou »,
- sur la verge : un serpent enroulé à la tête ornée de crocs.
Maître Carioculinus, le maître d’œuvre de la construction du chais, est
totalement innocent. Par contre, deux ouvriers ayant travaillé sur des finitions
dans la petite cave spéciale de Salnikor sont morts d'infection (!) une semaine
après. Ces deux hommes venaient d’on ne sait trop où et n’étaient trouvés
sympathiques par personne. Leurs femmes ont disparu après leur mort.
Nous n’avons rien tenté contre Salnikor. En effet, nous avons rencontré
Sarn Sorel, le Grand Vérificateur du Fléau, qui nous a demandé de remonter
la piste de Syrel. Disons qu’il manque un peu d’effectifs pour être sur tous les
mauvais plans !
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Note : les Vérificateurs sont une douzaine d’aumôniers du Fléau – choisis par
Zhôr lui-même – chargés de faire le ménage dans le clergé. Ils arborent bien
évidemment le soleil de Zhôr, mais un soleil rouge. Et, lorsqu’ils découvrent
un prêtre renégat, ils le tuent. Le roi a promulgué un décret donnant tous
pouvoirs au Grand Vérificateur.
Nous avons également rencontré Sa Majesté Aldus V d’Helvellyn, en
voyage dans tout Helvellyn, et Jyrel dan Torelys, le Grand Commandeur du
Fléau. Et nous sommes dorénavant en possession de documents signés, l’un de
Sorel et l’autre du roi, obligeant les gens à coopérer avec nous.
Côté beau monde, nous n’avons pas revu Zhôr. Mais il a fait remettre à
Anya une superbe épée, Gardienne, et un cor répondant au doux nom de
Grondeur. Ainsi qu’un message : « Navré ». Il y a de quoi !
Après le départ de la suite royale, nous sommes retournés à l’auberge
quêter des informations sur Syrel : « Un homme très bien ». Dans la nuit, nous
avons de nouveau été attaqués par une goule très balèze que Sylla a terminée
dans une colonne de flammes. Elle a malheureusement, du même coup,
carbonisé l’auberge ! De nouveau, Anya et moi nous sentons
considérablement affaiblies par les blessures reçues. Sylla devrait pouvoir
partiellement améliorer la chose dans la matinée, lorsque nous aurons dormi
un peu, et nous remettre complètement d’aplomb demain. Enfin, si tout va
bien...
•••
Refuge de Zhôr, le 15 Épis 1111
Un nouveau Chien de Zhôr
Tout est allé bien. Sylla nous a soignées, nous avons récupéré la boule
d’anti-détection et donné la liste des noms gravés sur les sarcophages au
Grand Vérificateur. Bien sûr, nous avons eu quelques erreurs d’aiguillage
dans le monde gris et sommes passés, entre autres par la Gefnie, en 1034 je
crois. Nous avons également rencontré un Vampire des Étoiles. Max nous en
avait parlé mais sa description était étrange. Eh bien, elle était rigoureusement
exacte : il s’agit bien d’un truc informe qui pulse, translucide et rougeâtre,
pourvu de tentacules se terminant par des suçoirs. C’est obscène et répugnant,
mais ça se tue très facilement.
Nous sommes ensuite allés à Ozir, effectuer notre petite enquête sur
Syrel. Durant la nuit, des centaines (milliers ?) d’Écailleux ont attaqué la
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ville. La Flotte, le Fléau et les prêtres en sont venus à bout. Nous ne nous en
sommes pas mêlés.
Syrel, de son vrai nom « Maître Tyrael », est un homme important,
sous-directeur au service des douanes. Et c’est une ordure finie aux pratiques
sexuelles sadiques très violentes. Nous avons fouillé sa demeure sans rien y
découvrir sur les Grands Anciens.
Par contre, nous avons vu Salnikor débarquer, affolé, à la capitainerie
où se trouve le bureau de Tyrael. Ioghi et Silva se sont transformés en gaz
pour aller voir ce qui se passait. Leur compte-rendu a été édifiant. Salnikor a
raconté à son frère – c’est réellement son frère – que des Écailleux avaient
débarqué la nuit précédente sur le domaine dan Talodar. Il n’a rien pu faire et
s’est enfui, terrifié. Tyrael l’a écouté froidement puis a glissé discrètement du
poison dans un « petit remontant » avant de l’envoyer chez lui.
Nous avons rejoint Salnikor chez Tyrael pour lui annoncer son
empoisonnement et lui promettre une guérison immédiate contre tous les
renseignements en sa possession. Il n’a pas douté longtemps de nos assertions,
les effets du poison commençant déjà à se faire sentir. Fou de rage contre son
frère, il nous a accompagnés à l’auberge. Il était persuadé que Tyrael le
retrouverait et nous a fait jurer – sur la tête de Zhôr !– que nous lui
procurerions une autre vie. Il s’est ensuite mis à table.
Tyrael est le « chef du chapitre » d'Ozir. Salnikor – Jeb – ne connaît
pas les chefs des autres chapitres. Il nous a par contre donné la liste des vingt
membres les plus importants de ce chapitre : noms, adresses, occupations.
Ainsi que ceux de ses camarades du côté de chez dan Talodar. Il existe
apparemment, pour le Kersh, un grand chef pour Shub Niggurath et un pour
Nyarlathotep, mais il ne connaît pas leurs identités. Nous connaissons
également le lieu de réunion du chapitre d’Ozir : un temple de Zhôr
désaffecté, un peu en dehors de la ville.
Jeb nous pressait de quitter Ozir, terrifié à l’idée que son frère le
cherchait. Nous en étions là de la discussion quand un vent anormal s’est levé,
le ciel s’est obscurci et toute ces sortes de choses propres à effrayer les
honnêtes gens. On a bouclé nos bagages, laissé des sous à l’aubergiste et filé
dans le monde gris, direction « la petite maison dans la prairie » de Zhôr.
Nous espérions qu’on ne nous y rechercherait pas. Nous avions tort.
Heureusement, Zhôr veillait. Sylla a senti une chaleur réconfortante et
« vu » une protection couvrant la surface de la maison et les cinq mètres
autour. Elle nous l’a montrée.
Ensuite, l’horreur s’est déchaînée. Dans la nuit noire éclairée par les
éclairs d’une tempête anormale, la terre s’est soulevée, bouillonnante. Des
hordes de squelettes ont déferlé vers notre logis délabré, des milliers de
squelettes, de toutes les tailles, humains et animaux, des frêles squelettes de
mulots à des squelettes gigantesques d’animaux inconnus ayant sans doute
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vécu là des dizaines de milliers d’années auparavant. Dès que les squelettes
atteignaient le cercle de protection de Zhôr, ils tombaient en poussière. Ça a
duré un temps fou. Puis une jeune femme s’est avancée, appelant à l’aide. Elle
a subi le même sort. Un peu rassérénés, nous avons tenté d’oublier ce qui se
passait dehors.
Nous avons repris notre discussion avec Jeb, à la fois paniqué et
émerveillé par la puissance de Zhôr. En gros, il a confirmé que Dagon en
avait vraiment après nous. Il est persuadé que les Écailleux de la nuit
précédente étaient à notre recherche. Nous avons cru comprendre qu’il
n’aimait pas ce Grand Ancien, pas vraiment pote avec ceux qu’il révère –
révérait plutôt : Shub Niggurath et Nyarlathotep. Et nous avons compris qui
nous envoyait ce qui se trouvait dehors : Xiurhn. Il est en effet le maître de
tous les morts-vivants. Silva a confirmé qu’aucun nécromancien n’était
capable de réveiller tant de morts à la fois. En quelque sorte, ça a conforté
mon hypothèse : il veut certainement récupérer le « sombre joyau » qu’il s’est
fait dérober...
Dehors, ça s’était calmé. C’est alors que Zhôr a toqué à la porte.
Évidemment, Jeb en est resté sur le cul, et ça ne s’est pas arrangé quand le
père d’Anya a pointé le doigt sur lui en disant : « Il est à moi ». Voilà donc
comment il recrute ses Chiens. Des gens qui ont fait le mal et ne rêvent que de
rédemption. Un peu comme lui, sur le fond...
Il nous a expliqué que cette maison était maintenant protégée en
permanence. Nous ne devons y subir aucune attaque... excepté menée par
quelque chose de plus puissant que lui. De plus, dès que nous nous trouvons à
l’intérieur du cercle de protection, toutes nos blessures, affaiblissements,
maladies, empoisonnements et le reste sont instantanément guéris. Je dois
dire que c’est un grand soulagement pour nous tous d’avoir enfin un « refuge »
aussi sûr que possible. Nous allons pouvoir passer des nuits tranquilles, sans
mettre d’autres personnes en danger.
Puis Jeb nous a quittés pour suivre son maître. Nous lui avons souhaité
bonne chance dans sa nouvelle vie. Je ne suis pas sûre qu’elle soit enviable...
Le lendemain matin, nous avons effectué quelques tests. Tout
fonctionne comme nous l’a expliqué Zhôr. Zhôr qui est revenu pour nous
envoyer quelque part à Shalimar mettre fin à une cérémonie importante dédié
à un dieu inconnu : Kali. On a réglé ça vite fait, sans problème. Mais on n’a
pas réussi à sauver la jeune fille qui devait être sacrifiée : elle n’a pas résisté au
frôlement d’une colonne de feu... Et nous avons tué une créature étonnante :
un golem de terre de trois mètres de haut.
Nous sommes revenus au refuge. Nous nous sommes sentis
immédiatement au mieux de notre forme. Merci Zhôr.
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La position de Luw par rapport au Cœur d’Ahriman me tarabustait. Je
pensais qu’il était suffisamment intelligent pour avoir réfléchi et ne pas en
vouloir. Si tel était le cas, il connaîtrait peut-être une solution pour le détruire.
Une fois tout le monde d’accord, Silva a appelé son père, hors du cercle de
protection. Nous l’avons cependant invité à entrer, à ses risques et périls. Il
n’a subi aucun dommage, preuve, a priori, qu’il ne nous veut pas de mal. Il
pense effectivement qu’il faut détruire le joyau mais il n’en connaît pas le
moyen. D’après lui aussi, seul Jon peut le trouver.
À part ça, Ioghi a fait goûter son sang à Luw qui peut maintenant le
localiser à tout moment.
•••
Helvellyn, le 20 Épis 1111
Le Grand Intendant d’Helvellyn
Nous avons passé deux jours à réparer notre refuge avant de nous
remettre au boulot. Direction le temple de Zhôr désaffecté, près d’Ozir.
L’autel, sur lequel le signe de Zhôr a été détruit, sent le mal ; des sacrifices ont
eu lieu à cet endroit. Nous n’avons rien trouvé d’autre sur place.
Par contre, tout près, un sentier s’enfonce dans la forêt pour arriver à
une chaumière dans une clairière. Un « homme » un peu crétin, et très
mauvais, semble y vivre seul. Sylla a balbutié son nom : Gloon, le Corrupteur
de la chair, le Maître du temple. Elle nous a conseillé de ne pas l’attaquer.
Nous l’avons néanmoins surveillé quelques heures. Il reste allongé dans le noir
et ne sort que pour faire ses besoins. Bizarre non ? Nous n’avons vu aucun
animal près de chez lui. En faisant le tour de sa cabane, je me suis égratignée
avec une ronce. Ma chair a commencé à se nécroser.
Une fois rentrés au refuge, nous avons fouillé dans les bouquins. Ce
Gloon est un monstre mythique, voire une divinité. Il est unique et puissant.
Sa chair – comme l’a vu Sylla – est en décomposition permanente. Le voir
sous son apparence réelle rend fou. C’est un servant de Nyarlathotep. De là à
penser que l’ancien temple de Zhôr est maintenant un très important lieu de
culte dédié à Nyarlathotep, il n’y a qu’un pas.
Le 18, nous sommes allés voir l’un des adeptes du chapitre d’Ozir, un
marchand de vin dénommé Sabir Biramus. Nous avons choisi celui-là parmi
les noms donnés par Jeb parce qu’il vit (vivait) en dehors de la ville. Lorsque
nous avons commencé à l’interroger, il s’est mis à invoquer des chevreaux de
Shub Niggurath. Nous avons interrompu son rituel mental mais sa vendeuse
l'a tué d'une fléchette empoisonnée dans le cou. Nous avons commencé à la
poursuivre. Ioghi, un peu impulsif, a tenté de la stopper avec des missiles
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magiques qui ont eu raison d'elle. Nous avons ramené son corps dans la
maison de Biramus avant de tout fouiller.
La femme portait sur elle une petite fiole de poison, une sarbacane et
quelques fléchettes. Dans la maison, nous avons trouvé des vêtements de
cérémonie et des rituels. Ainsi qu’un papier qui s’est avéré fondamental : une
lettre de recommandation bancaire, pour un établissement très sélect, signée
par Isil dan Helvellyn, Grand Intendant de la maison royale.
Le 19, nous sommes allés voir Sarn, le Grand Vérificateur. Avec pas
mal d’erreurs dans le monde gris : en plein champ de bataille, devant trois
crucifiés dont un dangereux révolutionnaire et deux voleurs, et j'en passe...
Sarn s’est montré plus qu’inquiet, surtout qu’avec la petite virée du roi,
c’est le Grand Intendant – son cousin germain – qui gère le royaume. Il fallait
néanmoins trouver des preuves de sa culpabilité avant d’annoncer la super
nouvelle à Sa Majesté. Nous avons objecté qu’il nous était difficile de mener
une enquête et que l’aide de leurs services secrets serait la bienvenue. Sarn
nous a donné un nom, celui de l’amiral dan Ozir. Le Grand Commandeur, mis
au courant, nous a, à son tour, remis un papier de recommandation.
Nous sommes partis pour Helvellyn avec juste un petit problème à
l'arrivée : nous avons débarqué en plein milieu du bal du Grand Intendant.
Bonjour la discrétion !
Nous avons déjeuné avec l’amiral dan Ozir au club de l’amirauté. Il
nous a ensuite conduits dans les bureaux des services secrets où nous avons
pu consulter quelques dossiers.
Le Grand Intendant
Il a 28 ans et est seul héritier de la charge. Son père est décédé il y a
deux ans, officiellement d’alcoolisme, officieusement de possible
empoisonnement. Les trois autres héritiers – jeunes et en bonne santé – sont
également décédés, pour des raisons assez peu plausibles quand on y prête
attention.
Il est marié depuis un an avec une jeune femme de bonne famille, seule
héritière d’une fortune non négligeable.
Depuis son accession à la charge, le Grand Intendant a effectué pas mal
de remaniements gouvernementaux. Les nouveaux élus sont plus jeunes et ont
bénéficié semble-t-il d’un favoritisme de mauvais aloi. Parmi la trentaine de
postes concernés, nous avons immédiatement relevé celui de Tyrael/Syrel à
Ozir et celui du Trésorier du royaume. Toutes ces charges représentent des
postes clés permettant, entre autres, de faire entrer n’importe quoi à Helvellyn
– dont visiblement le poison que les adeptes semblent affectionner.
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Lorsque l’intendant était enfant, il se rendait deux ou trois mois par an
en vacances dans un domaine familial situé deux kilomètres au sud d’Ozir. Il
va falloir y faire un tour.
L’intendant s’intéresse beaucoup au système pénal et à la réhabilitation
de certains condamnés, tant dans les geôles d’Helvellyn qu’à Camp Elroden. Il
leur rend très souvent visite.
Il n’a, a priori, que deux amis intimes : le directeur de la prison et un
nobliau d’Ozir – avec lequel il a dû tisser des liens lorsqu’il était enfant. Celuilà, il va falloir lui causer...
Le directeur de la prison
Il est douteux, pas très honnête et a eu quelques petites histoires
louches. Il s’emploie à placer les prisonniers réhabilités chez certaines
personnes. Il n’est pas marié mais a quelques maîtresses et enfants illégitimes.
Le Trésorier du royaume
Un homme bien sous tout rapport. Mis à part que, dans sa jeunesse, il
s’intéressait à la magie ainsi qu’aux dieux et cultes parallèles. Il a effectué, à
cette époque, quelques voyages dans les îles noires : Nazur et les Sygmalines.
N’est-ce pas de là que provient la majorité des poisons du Kersh ?...
Aujourd’hui, sous prétexte de fonds de Vallinouë à allouer aux
réhabilitations de prisonniers et au placement d’orphelins, nous avons rendu
visite au directeur de la prison. C’est un ignoble salopard, mauvais et faux-cul
au possible. L’appât de nos dizaines de milliers de couronnes l’a rendu bavard.
Avec ses amis, ils ont effectué cent vingt réhabilitations – ils les
appellent des « renaissances » – en deux ans. Nous avons la liste des
réhabilités et des « hébergeants ». Nous avons rencontré deux prisonniers qui
vont être réhabilités d’ici peu et dont il est très fier : deux assassins qui puent
le mal à plein nez. Le premier a égorgé sa mère, son oncle et je ne sais plus qui
d'autre devant sa petite soeur – pauvre garçon ! – ; le second a tué son
propriétaire, sa famille, ses voisins et brûlé sa putain d’maison – malheureux
jeune homme ! Nous en étions malades. Par contre, à nos questions posées sur
quelques autres prisonniers – qui eux ne sentaient pas le mal – il n’a eu qu’une
réponse : irrécupérables !
La plus belle « renaissance » effectuée est celle du valet de chambre de
Sa Majesté : un malheureux qui a tué son père et sa mère – ça a dû être très dur
pour lui ! C’est peu dire que ça a porté notre inquiétude à son comble...
Cependant, le directeur de la prison nous a confié qu’il avait un autre
motif de fierté : il participe à un groupe de travail qui s’occupe de récupérer
de jeunes paumés pour leur donner une nouvelle chance dans l’existence. Ces
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jeunes, une trentaine pour le moment, « renaissent » dans une maison proche
d’Helvellyn dont il ne nous a pas fourni la localisation. Il ne faut pas les
perturber, vous comprenez... Nous n’osons pas imaginer ce qu’ils en font : des
fanatiques, des monstres comme celui du Vide, pire ? Il va falloir trouver cette
satanée baraque.
Nous sommes retournés voir l’amiral dan Ozir pour lui communiquer
ces sinistres nouvelles. Nous n’en avons malheureusement pas eu le temps : il
nous a annoncé qu’Aldus était en train de mourir. Nous nous sommes donc
précipités au chevet de Sa Majesté, utilisant pour la première fois le rituel de
téléportation. Ce n’était pas le moment de s’égarer dans les mondes et les
époques !
Les soins de Sylla et de Gardienne (l’épée d’Anya) ont stabilisé Aldus
qui n’a cependant pas repris connaissance. Nous nous sommes téléportés avec
lui et le Grand Commandeur au refuge de Zhôr. Même là, son état ne s’est pas
amélioré. Il porte en lui une source de mal, pour le moment non identifiée.
Nous avons foncé auprès du Grand Vérificateur pour tout lui résumer.
Nous avons tenté de faire parler le « valet de chambre réhabilité » d’Aldus :
rien à faire. Ioghi ne peut pas lire dans son esprit. Sarn a décidé qu’il fallait se
bouger et partir à Helvellyn mettre le Grand Intendant aux arrêts. Aussitôt
dit, aussitôt fait. Il a réagi comme le valet de chambre : froideur, arrogance,
esprit impénétrable et aucune tentative d’invocation. Je crois nous nous
découvrons maintenant une autre sorte d’adeptes, bien plus dangereuse que la
première.
Tout se précipite. Sarn se trouve à la tête d’une sorte de gouvernement
provisoire quadripartite : le Fléau (lui et un capitaine), la Flotte (l’amiral et je
ne sais pas qui), le clergé (le Patriarche et la Grande-Prêtresse d’Adhara), la
noblesse (le duc d’Harmyr que nous sommes allés chercher en catastrophe
secondé par... Anya). Pour le moment, le Grand Intendant est dans les geôles,
surveillé entre autres par Ioghi.
Mais à partir de maintenant, tout peut se précipiter. Que va faire
l’intendant ? Comment guérir le roi ? Comment arrêter à la fois tous les
réhabilités, les promus, le directeur de la prison et ses amis, et tous les autres...
Et qu’est-ce qui va nous tomber sur le râble ?
•••
Helvellyn, le 22 Épis 1111
Le Dévoreur de Tsathogghua
Nous n’avons jamais eu une journée aussi remplie que celle d’hier. Elle
a commencé par les arrestations de la trentaine de fonctionnaires promus par
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le Grand Intendant. Parmi tous ces beaux messieurs se trouvent le Directeur
des magasins de la Flotte (qui peut donc la paralyser), le Directeur des
services laïcs du Fléau (chargé de l'approvisionnement de Lacchri, entre
autres), le Syndic Général du royaume (qui gère tous les bâtiments de la
couronne), le Chef Archiviste et le Ministre du commerce extérieur et des
échanges.
Des consignes ont été envoyées pour ceux qui ne résident pas à la
capitale ainsi que pour les cent vingt réhabilités placés.
Nous nous sommes chargés nous-mêmes de l’arrestation du directeur de
la prison. Il a voulu emporter un manteau en feutre ce qui, en plein été à
Helvellyn, est plus que louche. Sylla, qui voit la vraie nature des choses, nous
a appris qu’il s’agissait en fait d’un machin en peau, a priori humaine, dont un
morceau porte un tatouage du soleil de Zhôr. Si même lui a maintenant des
fanatiques, où va-t-on ?
Les geôles du palais se sont donc bien remplies. Nous avons demandé
aux soldats du Fléau de récupérer tous les bijoux des prisonniers. Et – quelle
surprise !– le mal s’est mis à empester à plein nez. Les paladins en étaient tout
retournés.
Le directeur de la prison ne voulait être interrogé que par un juge
accrédité par Sa Majesté. Rôle qu’a tenu à merveille le capitaine de la Flotte
qui nous avait confié les dossiers des services secrets. Au cours de
l’interrogatoire, une sinistre nouvelle nous est parvenue : les cent vingt
« hébergeants » – dont le capitaine de la Garde Royale – étaient morts dans la
nuit, empoisonnés (empoisonnement vérifié pour une douzaine d’entre eux,
mais il n’y a aucune raison qu’il n’en soit pas de même pour tous). Les cent
vingt réhabilités ont disparu.
Ce salopard de directeur de la prison nous a appris ou confirmé pas mal
de choses, même s’il a beaucoup menti. La maison en dehors d’Helvellyn, où
ces braves gens s’occupent des malheureux orphelins, nous intéressait en
priorité. Il nous en a fourni la localisation et le nom : « Les Colombes ». Y’a
pas à dire, ils se foutent de la gueule du monde. Il nous a donné l’identité de
deux amis participant à ce « groupe de travail » : Johan Dolum – propriétaire
de la maison et l'un des marchands approvisionnant le palais en nourriture –
et Temal Syrt – fournisseur d’encens de tous les temples de la ville. De quoi
empoisonner pas mal de gens en un rien de temps...
Nous avons réussi à lui faire dire quelques trucs sur le Grand Intendant
qui a abusé de sa bonne volonté et trahi sa confiance... Donc, ce Grand Intendant
assiste régulièrement à des cérémonies bizarres dans le temple de Zhôr
désaffecté, près d’Ozir. Avec ses copains : le baron dan Tolnar (son copain du
nord qui participe aux bonnes œuvres et aux petites fêtes), le Grand Trésorier et
ainsi de suite. Des jeunes femmes sont sacrifiées lors de ces « petites fêtes ».
Bien sûr, lui, le directeur au grand coeur de la prison, lui, n’y participe jamais.
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Mais il est tout de même tatoué d'une tête de chèvre dans le dos et d'un
serpent sur la verge.
Le recensement des tatouages de tous les promus a été effectué. Nous
n’avons pas eu le temps de le consulter mais, a priori, ils portent tous les
mêmes tatouages que le directeur de la prison, avec plus ou moins de
variantes. Le Grand Intendant, par contre, bénéficie des modèles de luxe :
- une tête de chèvre avec inscription dans le bas du dos (Shub
Niggurath),
- le serpent (d’après nos recoupements, Nyarlathotep),
- un grand pentacle occupant presque toute la largeur de son dos,
- plus le nom d’une femme, un peu effacé : Djamila (peut-on espérer
qu’il s’agit d’un amour de jeunesse ? à Karam ?).
Grand Intendant qui n’a toujours pas parlé. Enfin, si, un peu, plus
tard...
Au fur et à mesure des révélations du directeur de la prison, nous
transmettions les information à l’amiral dan Ozir : les deux « braves
marchands » du groupe de travail sur les enfants et le tatoueur ont été
immédiatement arrêtés. La nourriture du palais a été vérifiée ou jetée, je ne
sais pas. Des soldats du Fléau sont partis encercler Les Colombes.
Nous les y avons rejoints peu après. Ça a été horrible. Il y avait là une
vingtaine de jeunes garçons, de dix à dix-huit ans environ, tous mauvais. Plus
des chiens et un vieil homme tués avant la confrontation avec les
« malheureux enfants ». L’un d’eux a commencé par nous balancer du poison,
puis ils nous ont tous foncé dessus, armés de dagues. C’est terrible de tuer des
enfants. Heureusement (enfin façon de parler !) les éclairs de Ioghi et ses
cônes de froid en ont éliminé la plupart. Nous étions tous ébranlés.
Lors de la fouille de la maison, nous avons découvert toutes sortes de
poisons, des garrots, etc, toutes choses utiles à la formation de ces futurs
assassins. Dans la cave, nous avons trouvé une petite chapelle dédiée à Shub
Niggurath souillée par des traces de sacrifices et une autre salle dans laquelle
des corps de jeunes femmes avaient été enterrés. Nous avons laissé les pauvres
gars du Fléau se charger de leur exhumation.
Dégoûtés, nous sommes retournés, au palais. Juste un mot pour ajouter
qu’évidemment, entre les arrestations des promus et les assassinats des
hébergeants occupant tous des postes fondamentaux pour le bon
fonctionnement du royaume, ça va être un sacré bazar !
Nous avons entamé la fouille des appartements du Grand Intendant.
Une tête de chèvre est maladroitement gravée sur le linteau de sa porte
d’entrée. Un escalier dérobé descend jusqu’à une petite maison inoccupée
accolée au palais. Tout au long de cet escalier, de petites ouvertures sont
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ménagées pour observer, et écouter, ce qui se passe dans diverses pièces du
palais, dont le salon privé du roi. Cet escalier était, bien entendu, inconnu des
services secrets. Et sans doute du roi lui-même.
Nous avons trouvé, dans une cache secrète, un poignard sacrificiel
encore taché au pommeau en améthyste taillée en forme de tête de chèvre et
un bouquin relié avec la peau de ce qui a dû être un adepte étant donné le
tatouage caprin. Les deux objets sentaient la magie. Outre quelques rituels
que nous connaissons déjà, le livre contenait :
- un rituel de communication permettant d’envoyer un message à tous
les adeptes initiés (maître). Cela a répondu à notre interrogation : comment les
cent vingt réhabilités avaient-ils pu être tous prévenus au même moment ?
- un rituel de communication d’une personne à une autre (adepte),
- un rituel de réservoir psychique permettant de mettre en commun
l’énergie de plein d’adaptes afin d’augmenter le pouvoir d’un seul (grand
maître). Celui-là, en toute logique, est utilisé en préalable à un rituel de
« grande invocation ».
Nous sommes ensuite passés aux appartements du Grand Trésorier,
arborant la même tête de chèvre gravée sur le linteau d’entrée. Chez lui, nous
avons carrément trouvé une petite pièce secrète communiquant avec son
salon. Il y avait là des tas de bouquins, registres et cassettes.
L’un des registres comporte des centaines de noms et d'adresses. Nous
pouvons espérer qu’il s’agit de la liste complète des adeptes. Elle risque de
fournir pas mal d'occupation à ceux qui vont être chargés de les arrêter.
Certains livres, reliés en peau humaine eux aussi, sentent le mal et la
magie. Nous avons découvert dans l’un d’eux trois rituels de grand maître :
- appel de Nyarlathotep,
- appel de Shub Niggurath,
- appel et maîtrise de Gloon.
Les cassettes étaient emplies d’or et de pierres précieuses, sans doute
détournés du trésor royal.
La soirée étant déjà plus qu’avancée, nous avons stoppé nos
investigations pour casser la croûte et faire un saut au chevet du roi. Son état
ne s’était pas amélioré, même s’il n’avait pas empiré. Par contre, la source de
mal repérée en lui avait grossi et s’était déplacée, de son cerveau à sa poitrine.
Une bestiole ? Nous ne voyions vraiment pas quoi faire à part tenter d'appeler
un dieu pour éradiquer la chose.
C’est finalement Skuld qui s’est pointé. C’était la première fois que nous
le voyions et il est vraiment à la hauteur de son image : la quintessence du
barbare, sympathique, bon vivant mais pas très doué pour résoudre les
problèmes compliqués. Nous l’avons convaincu de faire appel à des frères et
sœurs. Il est revenu peu après avec Malkus. Malkus qui, lui-même, est allé
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chercher Vallinouë. Je me demande ce qu’a bien pu penser de tout ça le
Grand Commandeur... Même s'il avait déjà rencontré Zhôr, ça a dû lui faire
un choc, ces deux grands gaillards, roux et bruns, attaquant la bière et le
saucisson comme s’ils n’avaient pas mangé depuis huit jours, et la merveilleuse
jeune femme en lévitation devant la maison, Sylla à ses côtés... Silva, elle,
devait se sentir assez peu appréciée.
Cependant, aucun des dieux n’avait de solution jusqu’à ce que Sylla
prononce ces mots : l’obscurité par l’obscurité. Une fois de plus, la déesse avait
été assez claire, enfin, pour elle. Nous n’avons pas mis longtemps à en déduire
qu’il fallait soigner le mal par le mal. Et aller interroger le Grand Intendant.
C’est Skuld qui s’en est chargé. Il est resté seul avec lui dans la geôle.
Lorsqu’il en est ressorti, le prisonnier, prostré, tremblait de tous ses membres
et ses cheveux avaient pris la couleur de la neige. Skuld nous a alors téléportés
dans un salon dont il a arraché la moitié de la cheminée d’une seule main. Il en
a extrait une malle dans laquelle se trouvait, entre autres, un rituel de maître :
l'invocation d’un Dévoreur de Tsathoggua. Le rituel qu’avait effectué le
Grand Intendant pour faire venir la bestiole qui se balade dans le corps du roi.
Malheureusement, trop choqué par ce que lui a montré Skuld – apparemment
les horreurs liées à ses dieux anciens –, il n’a pas pu en dire plus que le nom
du rituel et l’endroit où il se trouvait – en fait le salon de sa maison de ville
dans laquelle il va falloir qu’on revienne...
Retour express au refuge de Zhôr. Ioghi m’a permis de comprendre le
texte du rituel. Atterrés, nous avons compris que la seule solution pour
soigner le roi était effectivement d’invoquer à notre tour l'un de ces Dévoreurs
de Tsathoggua et de le faire avaler à Sa Majesté. Le pire était que ce rituel
immonde nécessite un sacrifice humain. Il n’y avait pas à tortiller, nous étions
coincés. Arnem a fini par annoncer d’une voix blanche qu’il se chargerait de la
chose. Mais Silva est intervenue, affirmant que c’était à elle de le faire. Tout le
monde était mal, mais mal... Cependant, une fois admis que nous n’avions pas
d’autre solution – et lâchement soulagés que la malheureuse Silva assume
l’épouvantable tâche –, il nous a fallu choisir la victime. Bien sûr, les salopards
ne manquent pas en ce moment, mais un sacrifice est un jugement un peu
sommaire. Et nous ne sommes ni juges, ni bourreaux. J’ai fini par proposer
Tyrael, le frère de Jeb. Personne n’a fait d’autre proposition.
Malkus nous a téléporté dans les geôles d’Ozir où nous avons embarqué
le prisonnier, direction le jardin dévasté du refuge. Enfin, théoriquement. En
fait, nous nous sommes retrouvés dans la clairière près de la maison de Gloon.
Avec un Tyrael, placide et satisfait, et un Malkus bien emmerdé. Si j’ai bien
compris, ce n’est pas Tyrael qui a perturbé la téléportation mais bien Gloon
lui-même. Pour tout arranger, Malkus nous a informés qu’il ne pouvait pas
rester, qu’il allait être viré contre sa volonté. Que par contre, dans l’espèce de
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faille qui allait être ouverte pour lui, il pouvait faire venir Anya, restée au
refuge avec le cœur d’Ahriman. Et que, sans elle, nous ne pourrions pas
anéantir Gloon. À contrecœur, nous avons accepté que notre amie nous
rejoigne dans cette galère. Avant son départ, Malkus a créé autour de nous
une espèce de bulle de protection, opaque, à travers laquelle rien ne pourrait
nous atteindre pendant douze heures. Navré, il a reconnu qu’il ne pouvait rien
faire de plus.
Nous avons donc commencé par le rituel. Tyrael, consentant et presque
extatique, a offert son ventre en souriant à la lame de Silva. Une horreur. Cet
homme était fou. Il est presque mort avec le sourire. Silva, encore plus pâle
qu’à son habitude, était complètement abattue. Anya a réussi à attraper le
dévoreur, une espèce de « petite noirceur » qui filait sur ses petites pattes, et à
l’enfermer dans une fiole.
Grâce à Malkus, nous avons pu affronter Gloon reposés et, pour nos
jeteurs de sorts, au maximum de leurs capacités. Lorsque la bulle de
protection s’est dissoute, la créature mythique nous attendait. Le combat a été
assez bref. Nous avons déchaîné sur lui toute notre puissance de frappe,
magique et matérielle. De son côté, le souffle du monstre a bien failli nous
tuer. Sans le sort de guérison de Gardienne, Ioghi y serait sans doute passé.
Quant à Arnem et moi, nous avons, pour le moment, perdu nos bras gauches.
Un simple effleurement de Gloon les a fait pourrir, se liquéfier et tomber en
quelques secondes.
Nous sommes de retour au refuge. Skuld, Malkus et Vallinouë – partie
sur ces mots, dès que nous sommes revenus d’Helvellyn avec le rituel : « Ça y
est » – ne sont plus là.
Nous avons fait gober l’immonde Dévoreur à Sa Majesté. Peu de temps
après, les deux sources de mal se sont rejointes et ont disparu. Le roi est
encore inconscient mais nous pouvons espérer que son état va rapidement
s’améliorer.
Je ne doute pas que la puissance de Zhôr nous rende nos bras, mais
combien de temps cela va-t-il prendre ? Il y a tant de choses à faire ! Et,
comme d’habitude, tant de réponses à trouver. La mort de Gloon, son gardien
du temple, va-t-elle foutre Nyarlathotep en rogne ? De quoi sont capables
tous les adeptes emprisonnés ? Nous pouvons espérer que le coup porté aux
adeptes va être aussi lourd de conséquences pour eux que leur folie l’est pour
le royaume, mais est-ce vraiment le cas ? Le Grand Intendant est-il le grand
maître de leur secte ? Qui fabrique leurs anneaux de dissimulation du mal ?
Qui est passé à travers les mailles du filet ? Devons-nous tenter de faire le
rituel de communication de masse pour enjoindre les assassins réhabilités à se
retrouver quelque part où ils pourraient être arrêtés ?
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Et puis encore... Ces dieux mauvais sont-ils vraiment plus balèzes que
nos dieux à nous ? L’impuissance de Malkus dans la clairière de Gloon ne me
semble pas de très bon augure. Tout comme leur incapacité à guérir le roi. La
bonne nouvelle est qu’ils n’ont pas hésité à se mettre en quatre – à trois – pour
nous aider. Mais si, effectivement, les dieux anciens ont un pouvoir équivalent
à celui de Gulzar ou Ozymandis, je crains fort qu’ils n'aient du mal à faire le
poids. Quant à nous, je n’en parle même pas.
Deux autres choses me turlupinent. Nous utilisons de plus en plus de
rituels des cultes que nous combattons. Je ne suis pas sûre que nous n’y
laissions pas des plumes. Même si « l’obscurité par l’obscurité » est parfois
nécessaire, je crois qu’il vaudrait mieux recommencer à voyager par le monde
gris. Même si nous perdons parfois un temps précieux. Et puis je m’inquiète
pour Silva. Nous l’avions laissée au refuge afin de garder le cœur d’Ahriman,
à l’abri dans un coffret. Lorsque nous sommes revenus, elle l’avait dans sa
poche. Est-ce dû à sa propre volonté ou à celle du joyau ? Que peut-il encore
lui faire ? Une chose est sûre, il ne nous lâche pas. Quand Anya est arrivée
dans le bulle de Malkus, le cœur s’est retrouvé dans sa poche. Mais si nous
nous baladons de nouveau avec lui, Dagon et Xiurnh risquent de nous
retomber sur le râble. En plus de Nyarlathotep et de Shub Niggurath. On n’a
pas idée de se foutre dans un tel guêpier cosmique !
•••
Port Ker, le 29 Épis 1111
Bon débarras
Ces derniers jours ont été très émouvants et nous avons vécu des choses
un peu hors du temps. Mais il faut que je commence par le début...
Tout d’abord le roi était de nouveau conscient le matin et nous l’avons
ramené au palais – pour Arnem et moi avec des moignons de bras gauches.
Nos bras ont continué à « pousser » les jours suivants.
Une très mauvaise nouvelle nous attendait, précisée plus tard dans la
matinée : 1 019 membres du clergé de Zhôr ont été empoisonnés, soit un peu
plus de 85 %... Comme l'a dit Anya, il faut espérer que les 15 % survivants ne
sont pas des adeptes des Grands Anciens. En tout cas, c’est un rude coup pour
Zhôr. Avec tous les assassinats précédents, Helvellyn est maintenant
totalement impuissante. Il va sans doute falloir des années pour tout remettre
d’aplomb. Le clergé d’Adhara n’a pas été touché. Bien sûr, tous les prêtres
empoisonnés l’ont été par l’encens et d’autres produits servant aux cérémonies
fournis par Temal Syrt. Tout ce que nous avons pu apprendre sur lui, c’est
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que l’encens vient de Shalimar via Karam et Port-Ker. Il va nous falloir
remonter cette piste.
À part ça, comme si le bazar n’était pas assez complet, il paraît que,
depuis deux jours, des illuminés annoncent dans toute l’île la fin du monde et
de Zhôr, tout en faisant une propagande ouverte pour les cultes mauvais. L’un
d’eux a été interrogé. Il a parlé de « la prophétie karamite » (qui prédit cette
fin du monde) avant de se suicider juste après.
Nous avons conseillé au Grand Vérificateur d'effectuer le rituel
permettant de réunir tous les réhabilités pour les arrêter. Pour notre part,
nous avons décidé d’en finir avec l’utilisation de toutes ces saloperies de
rituels.
Nous avons fouillé la maison du Grand Intendant. Nous y avons trouvé
trois morts-vivants et un paquet de bouquins interdits. La plupart sont en
karamite ancien, d’autres en karamite abâtardi, d’autres encore dans la langue
des cultes. Les premiers, à vue d’œil les plus dangereux, traitent de
nécromancie, d’invocations de démons et des moyens de joindre les dieux très
anciens.
Deux faits étranges sont survenus lors de cette visite, tous deux
concernant Silva. Elle est maintenant d’une force colossale : elle a réussi à
défoncer d’un coup de pied une porte en fer de plusieurs centimètres
d’épaisseur. Et les morts-vivants l’ont appelée « Maîtresse ». Ils ont semblé
attendre ses ordres et ne se sont même pas défendus. Notre malheureuse amie
n’allait pas bien du tout.
De retour à la petite maison dans la prairie, Jon nous a enfin rendu
visite. Il nous a annoncé qu’il n’y avait aucun moyen de détruire le Cœur
d’Ahriman. Par contre, Iogha et lui avaient décidé qu’il devait être mis à l’abri
chez les nains – avec leur accord bien entendu. Il nous a garanti qu’il y serait
en totale sécurité et ne mettrait pas les nains en péril.
Nous sommes partis avec lui le lendemain. À notre réveil, il avait pris sa
forme naturelle : celle d’un majestueux dragon d’or d’une vingtaine de mètres
de long. Il était tout simplement magnifique. Il nous a fait monter sur son dos
pour gagner le pays nain. Nous avons craint que cela ne demande des jours de
voyage mais nous étions arrivés en trois heures. Le voyage a été merveilleux.
Je pense que peu d’humains ont eu la chance bénéficier d'un moyen de
transport aussi fantastique.
Il nous a déposés à Fort Ragnelf, la forteresse naine. Je passe les
détails, ce n’est pas le but de ce récit. Mais rencontrer des gens qui avaient
connu nos ancêtres nous a pas mal chamboulés, Arnem et moi. D’ailleurs, les
nains l’ont appelé « petit ver qui creuse », d’après le nom de Gütveuc’h. Moi,
j’ai appris qu’ils avaient beaucoup d’affection et de respect pour « Tante Jorus
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» – qu’ils considèrent comme une grande guerrière –, la seule Longues Pattes
à avoir vécu chez eux hormis Iogha.
Iogha qui nous attendait. Il nous a expliqué que nous devions porter le
joyau maléfique au cœur de la « montagne primitive » d’où sont originaires les
nains. Il y a là une sorte de grotte possédant un étrange pouvoir
d’affaiblissement de la magie. Pouvoir identique mais opposé à celui des
Grands Anciens. Enfin, c’est ce que j’ai cru comprendre.
Monoï et Binoï, deux nains amis de mon arrière-grand-mère, nous ont
accompagnés. Le voyage de deux jours s’est effectué à travers la montagne.
C’était assez oppressant, pour nous pauvres humains, de rester aussi
longtemps enfermés dans ces tunnels qui montaient en pente douce presque
jusqu’au sommet d’une montagne.
Nous avons déposé le Cœur d’Ahriman dans une pièce hémisphérique
d’une dizaine de mètres de diamètre. Toute la pierre, y compris le sol, était
entièrement polie, aussi lisse que du bois vernis. La quintessence du travail
nain, une merveille. Iogha nous avait prévenus que quelques autres objets
étaient déjà à l’abri dans ce « Trou », comme l’appellent nos guides.
Effectivement, se trouvaient là, à même le sol, un anneau, une dague au
pommeau enchâssé d’un rubis et un livre. Nous n’y avons pas touché. J’ai
malgré tout regretté qu’il n’y ait pas de titre sur le bouquin. Et je suis presque
sûre que la dague est la « tueuse de dieux » que nos ancêtres ont fait forger.
Sylla s’est avancée dans la grotte, perplexe. Silva s’est approchée
jusqu’à la toucher. Elle était très nerveuse et sur la défensive, prête à défendre
notre prêtresse. Tellement prête qu’elle a commencé à se transformer en
vampire, enfin tels qu’ils sont lorsqu’ils se battent : terrifiants et presque
animaux.
Nous avons quitté la salle vite fait. Silva s’est écroulée, épuisée. Elle
n’avait aucun souvenir de ce qui venait de se passer. Sylla a confirmé qu’elle
avait senti la protection « bestiale » de Silva. Elle-même était devenue
« aveugle » dans la salle, c’est-à-dire qu’elle ne disposait plus de tous ses
pouvoirs conférés par Vallinouë. Oui, c’était un bien étrange endroit dans
lequel Ioghi ne pouvait pas non plus pratiquer la magie. Tout cela nous a
confortés dans le fait que le choix de Jon et de Iogha était le bon.
Le lendemain, Silva allait de plus en plus mal. Elle prononçait même des
phrases sans se les rappeler, comme « je ne veux pas tuer mon père ». Elle
nous a parlé de ses cauchemars et de ses pouvoirs. Elle savait qu’elle pouvait
devenir la Maîtresse de tous les morts-vivants. Elle rêvait qu’elle tuait son
père et nos dieux, en leur déchiquetant la gorge pour boire leur sang. Elle
pensait en avoir le pouvoir et ne voulait surtout pas que cela se produise. Il
nous a semblé que nous avions gardé le Cœur d’Ahriman beaucoup trop
longtemps... Nous avons essayé de réconforter notre amie, sans succès. Elle
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semblait perdue et terrorisée. Elle a demandé à voir Iogha sur le champ.
Arnem et Anya ont réussi à le contacter mentalement.
Il nous a téléportés alors dans un endroit merveilleux, le « paradis des
guerriers » d’après nos amis nains. Iogha s’est éloigné avec Silva durant un
bon moment. Lorsqu’ils sont revenus, notre amie semblait un peu rassérénée.
Iogha est parti.
Nous sommes restés là trois jours. Ça a été un moment magique. Nous
avons beaucoup discuté avec Silva et je crois que nous l'avons convaincue
que, quoi qu’elle soit, elle était notre amie et que nous l’aimions tous – même
Anya qui a réussi à passer sur son état de vampire. Nous nous sommes
baignés, nous nous sommes reposés et nous avons mangé des plats délicieux
venus de nulle part. Merci Iogha !
Nous sommes retournés à Fort Ragnelf en pleine forme, avec un moral
d’acier. Et, pour Arnem et moi, des bras gauches tout neuf et aussi forts
qu’avant. Plus important encore, nous étions dorénavant beaucoup plus
soudés et gare à celui qui oserait s’en prendre à l’un de nous !
À Fort Ragnelf, nous avons beaucoup discuté avec Iogha. De Silva, de
nous, du monde. De « la prophétie karamite » aussi, une connerie d’après lui.
Datant de mille ans, elle annonce la fin du monde pour 1111. Elle prédit aussi
que Zhôr et tous les nouveaux dieux seront renvoyés au néant et que les
anciens dieux reprendront leur place dans le monde. Iogha nous a dit qu’il en
existait des tas comme celle-là, toujours à des dates marquantes.
En tout cas, c’était peut-être une connerie mais certains semblaient
s’employer à la rendre bien réelle. Nous avions vu l’effet à Helvellyn. Mais
Iogha nous a appris qu’il y a aussi des problèmes à Shalimar où les clergés
s’affrontent, les Sœurs et Varzach’ d’un côté, les autres de l’autre. Ourch et
Knoum se battent également. Dans les îles Noires, il y a plus de sacrifices que
d’habitude. Nous n’allions pas tarder à nous rendre que compte que ce n’était
pas mieux à Port-Ker...
Nous avons essayé de récapituler ce que nous devions faire maintenant.
En gros, asticoter les Grands Anciens, trouver leurs grands maîtres et détruire
quelques-uns de leurs suivants – genre Gloon – pour leur faire comprendre
que nous ne voulions pas d’eux dans le Kersh. Mais cela sans l’aide – mais pas
sans le soutien – de nos dieux. S’ils entraient réellement dans la danse, ils
risqueraient de réveiller les anciens dieux et Iogha a assuré qu’ils ne faisaient
pas le poids.
Nous avons décidé de commencer par des recherches sur la prophétie et
Iogha nous a rédigé un message à l’attention du Premier Conseiller afin qu’il
nous donne l’autorisation de consulter la bibliothèque du Conseil.
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Nous sommes allés voir Inwë, l’amie de nos arrière-grands-parents, afin
de lui emprunter son anneau de téléportation, très puissant. En nous éloignant
un peu de sa chaumière, nous sommes tombés sur un jeune homme sortant
d’un buisson. Il a plus ou moins dit qu’il était le buisson d’ailleurs. Méfiant, il
a demandé à Anya et moi de lui ouvrir notre esprit. C’est bien la première fois
de ma vie que j’ouvre mon esprit à un buisson ! Il a paru satisfait. Il nous a
aussi dit qu’il était « l’esprit de la nature » et qu’il prenait soin de la vieille
femme. Nous l’avons remercié.
Écorcher vif et écarteler
Nous avons passé la nuit à la maison où tout allait bien.
Nous sommes allés voir le Premier Conseiller. Le clerc, à l’entrée, l’a
appelé Maître als Zattara, ce qui nous a tous fait tiquer. Als – particule
typiquement karamite – n’a jamais fait partie de son nom. Et tout ce qui a trait
aux Karamites a tendance, en ce moment, à nous rendre nerveux.
Le Premier n’a pas apprécié que nous l’appelions par ce nouveau nom.
Il est sorti de son bureau, furieux. Quand il est revenu, il nous a rédigé
l’autorisation pour la bibliothèque puis nous lui avons raconté ce qui s’était
passé à Helvellyn. Il a voulu que nous l’y téléportions avec Kès.
Palais royal - Helvellyn
Là, j’avoue que je n’ai pas tout compris. Zattara a parlé de quatre
suspects à surveiller à Port-Ker avant d’envisager de les écorcher vifs et de les
écarteler. Il a dit qu’il en avait par-dessus la tête et a annoncé qu’il donnait sa
démission. Puis il a quitté la pièce. Aldus, amer, a fait remarquer que Zattara
avait de la chance : lui au moins pouvait démissionner...
Nous avons demandé à Kès qui serait son successeur : le Deuxième
Conseiller dont je n’ai retenu à ce moment-là que le prénom : Zorthram. Je ne
voudrais pas faire un délit de sale nom, mais je rappelle que Zorthram est le
vrai nom de Gulzar. Et j’ai entendu parler d’un autre Zorthram qui, vers
1030, a voulu soulever des hordes de morts-vivants contre Port-Ker...
Le roi a affirmé qu’écorcher vif et écarteler sont aussi des peines
helvellyniennes, réservées aux crimes les pires. Le roi y a recours environ une
fois par règne. Lui a déjà prononcé cette sentence deux fois : pour une
tentative d’assassinat sur sa personne et pour un tueurs d’enfants. Puis il nous
a virés.
Jamais je n’ai entendu parler de telles peines, ni à Port-Ker, ni à
Helvellyn. Cependant, le Grand Vérificateur et le Grand Commandeur ont
confirmé les dires d'Aldus. Peut-être suis-je un peu trop naïve en imaginant
ces gens-là incapables de telles actions. Mais, dans le climat de « fin du
monde » de la prophétie, tout ça ne me plaît pas du tout...
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Maison du Conseil
Nous sommes retournés à la Maison du Conseil. C’était le bazar total.
Sacha Zattara était arrivé fou de rage. Il avait braillé qu’il en avait par-dessus
la tête et avait répété qu’il démissionnait. Puis il avait disparu. Le capitaine
des gardes, perplexe, nous a appris qu’il était « irritable » depuis deux mois
environ.
Nous sommes prudemment descendus à la bibliothèque consulter les...
vingt-cinq prophéties karamites, toutes plus ou moins du même acabit.
412 : Zoth-ommog règnera sur l’humanité asservie et s’en nourrira après
avoir dévoré les faux dieux.
666 : les anciennes races remonteront et éradiqueront les humains, les
vampires règneront.
999 : le monde sera détruit dans une grande explosion de feu et de lave.
1111 : une grande folie s’abattra sur le monde et celui-ci retournera aux
anciennes croyances. Alors les faux dieux seront détruits et le monde
retrouvera sa réalité.
1238 : le monde sera englouti sous les flots de la mer et Cthulhu règnera.
1239 : le monde retournera au chaos originel et le Chaos Rampant étendra son
aile noire sur le monde.
2222 : à la suite d’interactions magiques, le monde disparaîtra après avoir
diminué de volume jusqu’à devenir infime et exploser.
Nous n’avons trouvé aucune information sur Zoth-ommog.
Nous avons pu étudier le dossier de Zorthram als Syrtir, le Deuxième
Conseiller. Il n’est apprécié ni par Faust21, ni par Kès. Originaire d’une vieille
famille de mages port-kériens, il est membre du Conseil des Sept depuis une
vingtaine d’années. Il a 65 ans, n’a jamais été marié et a une maîtresse, Lyria,
veuve d’un riche marchand d’armes. Nous avons envisagé de vérifier s’il
n’avait pas travaillé avec le salopard de marchand d’armes d’Althor. Il a pour
ami intime le Sixième Conseiller : Kyr als Inan. Encore un « als », il y en a
actuellement quatre au Conseil...
Kès nous a donné un papier attestant notre état de diplomates
accrédités de Port-Ker et nous avons fait connaissance avec Ephraïm22 qui
doit approcher des cent cinquante ans !
Port-Ker
Dans les rues, nous avons fait deux rencontres surprenantes. Tout
d’abord Maître als Sirtak, un mage du vingtième échelon qui se baladait tout
nu. Puis un prêcheur – sans doute un riche marchand – qui annonçait
69
l’approche des « tentacules » et la fin du monde, l’arrivée du chaos,
l’anéantissement des pêcheurs et la récompense des justes.
•••
Rônir, le 3 Faux 1111 (aube)
Nous sommes retournés à Helvellyn, d’une part pour obtenir des
échantillons de poisons à faire analyser par Ephraïm, d’autre part pour
essayer de comprendre ce qui s’était passé la veille.
Pour économiser les charges de l’anneau d’Inwë, nous sommes passés
par le monde gris. Nous sommes arrivés dans une caverne pleine de brume.
Un humanoïde à tête de chien de deux mètres et demi de haut, à la peau lisse
et grise, armé d’un fouet dans la main droite, se tenait devant nous. Ossements
et restes d’armures jonchaient la caverne. Il a tonné : « Prosternez-vous devant
Daoloth, celui qui écarte les voiles ». Il nous a proposé de « voir ». Nous avons
refusé. Nous ne nous sommes pas prosternés. Et nous l'avons tué.
Helvellyn
Prudents, nous nous sommes rendus à l’état-major du Fléau. Le Grand
Commandeur avait mal à la tête. Il ne se souvenait de rien de ce qui s’était
passé la veille, ni de la rencontre, ni de la discussion aberrante. Le Grand
Vérificateur non plus.
Tous deux souffrent de terribles migraines depuis environ un mois.
Le Grand Commandeur a reconnu avoir donné des ordres de
mouvements de troupes dont il n’avait aucun souvenir. Ces ordres ne
correspondant pas du tout à sa vision des choses, il les a annulés à chaque fois.
Nous sommes allés voir Aldus : même topo. Lui non plus ne se
souvenait pas des événements de la veille. Il n’a des maux de tête que depuis
sa convalescence. Bien évidemment, écorcher vif et écarteler n’ont jamais été
des peines en Helvellyn où n’existent que la pendaison et la décapitation.
Aldus ne les a jamais fait appliquer et n’a jamais subi de tentative d’assassinat
– avant celle que nous connaissons.
Nous avons récupéré nos échantillons et avons filé à Port-Ker.
Port-Ker
Kès était en grande discussion avec Sacha Zattara et le Deuxième – j’ai
du mal à écrire Zorthram – dans le bureau du Premier. C’était le bazar, on en
a rajouté. Bien évidemment, Zattara avait mal à la tête et ne se souvenait de
rien. Lui aussi a donné quelques ordres aberrants qu’il a annulés ensuite.
Tout le monde a été d’accord : il nous fallait vérifier au plus vite ce qui
se passait ailleurs.
70
Scyld
Nous avons rencontré Loke Ragnaroëker – le fils d’Hulfgard, l’oncle de
mon arrière-grand-mère –, sénéchal du royaume. Nous lui avons tout raconté.
Le roi, Isarn dan Scyld, souffre également de migraines depuis deux
mois. Lui aussi a parlé d’écorcher vif et d’écarteler, peines qui, bien sûr
n’existent pas plus en Scyldie qu’ailleurs.
Des prêcheurs traînent en ville depuis une semaine.
Loke va faire son possible pour enquêter sur les personnes importantes,
etc.
Gefn
À Gefn, nous sommes allés à la maison du Fléau. Nous avons discuté
avec le lieutenant-baron dan Torell.
Deux sénateurs ont essayé de faire voter une loi permettant de faire
écorcher vif et écarteler les traîtres.
Et des prêcheurs prêchent.
Rônir
Là, c’est au temple de Malkus que nous nous sommes rendus.
Frère Ours, le Grand-Prêtre, a entendu dire que le roi avait parlé de
faire écorcher, etc. Et des prêcheurs prêchent.
Frère Moineau, un simple d’esprit adorable et profondément humain –
gaffe, gaffe ! –, parle de complot depuis deux mois et dit que le monde va mal.
Il nous a conduits dans la forêt pour y rencontrer un prêtre de Saroth
que nous appellerons Terre23. Puis Saroth s’est pointé en personne.
Nous avons appris, comme nous nous en doutions, que la situation était
la même à Althor et à Karam. Il semble que Saroth ait des informations que
n’ont pas ses frères. Et, comme autrefois, même s’il n’aime pas les humains, il
met la main à la pâte. Donc, il s’avère qu’un sort, une sorte de malédiction
globale, affecte des sujets choisis. Terre nous a remis un remède. Il s’agit d’une
pommade à passer sur le front des personnes touchées. Son efficacité est de
six mois à un an. Nous disposons d'une vingtaine de doses. Bien sûr, mieux
vaut ne pas en connaître les ingrédients. Mais l’important, pour l’heure, est
qu’elle soit efficace.
Nous avons également appris un rituel très puissant utilisé par les
grands officiants de Saroth. Il permet d’invoquer toute la puissance de la
forêt, ou un représentant de Saroth, je ne sais pas au juste.
•••
71
Gefn, le 7 Faux 1111
La pommade
Nous avons commencé notre distribution de pommade.
À Port-Ker, trois doses : Maître Zattara, Kès et La Béquille.
À Helvellyn, quatre doses : le roi, le Grand Commandeur, le Grand
Vérificateur et l’amiral dan Ozir.
En Scyldie, trois doses : le roi, Loke et, sur ses conseils, le marquis
d’Eryldor.
Jusque là, c’était simple. Les choses ont été plus délicates à Rônir où
nous sommes passés par le mage royal. Nous lui avons confié deux doses, une
pour lui et une pour le roi.
À Althor, c’est un prêtre de Saroth, Sanglier Essoufflé, que nous avons
choisi comme intermédiaire. Nous lui avons laissé une dose pour le baron dan
Xilor.
À Karam, nous avons essayé de nous renseigner chez als Jhita qui nous
a envoyés balader. Heureusement, il a fini par accepter de recevoir Silva qui
lui a expliqué la situation. Il y avait trois candidats possibles : le maire et deux
Conseillers municipaux. Un vampire résidant chez le marchand nous a
communiqué l’endroit où se trouvaient les deux Conseillers, quelque part dans
le désert, à plusieurs heures de Karam.
Sylla et Silva se sont chargées du maire avec une petite domination, vite
faite, bien faite. Elles ont eu l'air de s'amuser comme des folles.
Nous sommes partis dans le désert en passant par le monde gris. Nous y
avons rencontré deux Horreurs chasseresses plus coriaces que les
précédentes.
Nous supposions que les Conseillers pouvaient êtres des adeptes des
Grands Anciens et nous avions raison. À peine arrivés à l’endroit où ils
devaient se livrer à une cérémonie, nous avons été attaqués par deux
squelettes. Enfin, pas vraiment attaqués : ils ont explosé près de nous, nous
criblant de petits morceaux d’os. Ioghi a encore failli y passer... Puis les
Conseillers ont invoqués trois Horreurs chasseresses, de la même puissance
que celles que nous venions de combattre. À peine en étions-nous venus à
bout qu’ils nous ont balancé des éclairs et des « grosses » boules de feu. Là,
Ioghi est mort pour de bon. Les Conseillers aussi. Nous avons donc économisé
deux doses de pommade...
Nous avons jeté un coup d’œil à l’endroit de leur cérémonie : une dalle
de pierre gravée d’un texte dans la langue ancienne.
Nous sommes allés dans la petite maison de Zhôr où Sylla a ressuscité
Ioghi. Nous avons attendu qu’il reprenne un peu de force. Puis nous sommes
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retournés avec lui dans le désert afin qu’il nous traduise le texte sur la dalle de
pierre : un baratin à Shub Niggurath.
Nous sommes ensuite partis pour Gefn où les choses promettent d’être
encore plus compliquées. Nous sommes censés pommader deux Sénateurs et
les trois Consuls. Heureusement, Ioghi a de la famille sur place : une cousine
Janice (coiffeuse au Sénat), et un tonton Aldo (qui « fait les marchés »).
Nous sommes passés au temple de Zhôr mais nous n’avons rien dit aux
deux seuls prêtres, âgés. Nous avons aussi rendu visite à l’ambassadeur
helvellynien, Yoël dan Braz, qui pourrait nous obtenir un entretien avec un
Consul.
Nous avons invité Cousine Janice à dîner ce soir. Nous avons appris
pas mal de choses sur les Sénateurs en général, mais rien de concret sur les
sujets qui nous intéressent. Demain, nous dînerons avec elle et l'une de ses
amies chargée des « bains de vapeur ». Nous espérons qu’elle saura si certains
Sénateurs portent des tatouages liés aux Grands Anciens.
Karam, le 10 Faux 1111
•••
Nous avons rencontré Tonton Aldo qui nous a emmenés chez un ami
d’enfance devenu sénateur : Julius Serpol. Très gentil et très politique, il n’a
cependant pas pu nous apprendre grand-chose. Par contre, c’est le chef du
plus grand groupe du Sénat. Au cas où, nous l’avons pommadé. Nous avions
une dose de rab.
N’ayant pas l’intention de perdre un temps fou à Gefn, nous avons pris
le taureau par les cornes. Silva et Ioghi se sont introduits, sous forme de gaz,
dans les bureaux des Consuls pour les dominer et les pommader. Les deux
Sénateurs suspects ont été traités de la même manière.
La discussion avec Alix, l’amie de Cousine Janice qui s’occupe des
bains de vapeur, nous a appris le nom d’un Sénateur tatoué d’une tête de
chèvre dans un pentacle : Globus.
Le lendemain, nous avons mandaté Tonton Aldo pour une enquête
auprès des putes de la cité. Nous reviendrons dans quelques jours pour en
connaître le résultat. De toute façon, nous lui avons demandé de
communiquer les noms d’éventuel tatoués – chèvres, serpents… – au Sénateur
Julius.
Nous sommes ensuite rentrés à Port-Ker faire un petit compte-rendu à
Kès et prendre des nouvelles.
Elles étaient pires que tout ce qu’on pouvait imaginer. À Karam, tous les
lieux de culte sont fermés. L’écartèlement a été remis au goût du jour. En sont
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passibles tous ceux qui vénèrent l'un de nos dieux. Yasmine, la secrétaire
personnelle du maire et membre du Service, a disparu.
Nous avons décidé d’aller voir ça de plus près. Arnem ayant des choses
à faire à Port-Ker, nous avons remis notre départ au lendemain.
Nous avons profité de l’après-midi pour régler les affaires en cours.
Nous avons lancé une recherche à la Guilde des Marchands concernant
toutes les arrivées de poison à Port-Ker. Nous passerons récupérer les infos
d’ici quelques jours.
Nous avons fait un saut à Scyld et à Rônir afin de nous assurer que tout
le monde avait bien été pommadé. C’était le cas.
Nous sommes également passés voir Terre. Le fait que le maire de
Karam, pourtant traité, ait pu ordonner des écartèlements nous inquiétait
quant à la réelle efficacité de la pommade de Saroth. Frère Moineau,
rencontré à Rônir, nous a accompagnés. Il a délivré à Sylla un message qu’elle
n’a pas compris, puis a fait de même avec Terre : « Il faut se méfier des attelages à
quatre chevaux ». Au vu des récents problèmes à Karam, l’interprétation est
limpide...
Nous sommes rentrés par le monde gris où nous avons rencontrés trois
nouvelles grosses Horreurs chasseresses.
La guerre est ouverte
Nous avons retrouvé Frère Moineau le lendemain, à Port-Ker. Il devait
se rendre à Karam. Nous avons récupéré Arnem et pensions nous téléporter.
Mais notre gentil frère n’aime pas ça et il nous a emmenés par ses propres
moyens... qui se sont avérés un passage par le monde gris. Chose étonnante,
rien ne l’y attaque jamais. Nous avons vu un Chien de Tindalos qui a détalé
sur un signe du prêtre.
À Karam, les temples sont effectivement fermés. Mais les cultes ne sont
pas les seuls visés : les vampires sont également dans le collimateur du
gouvernement. Les maisons de ceux qui les hébergent sont surveillées et vont
être fouillées. Donc, les vampires déménagent.
Nous avons fait un tour dans la maison de Yasmine, sous scellés. Enfin
Ioghi, Sylla et Silva. Nous, nous nous sommes fait arrêter par des lanciers qui
ont fini par nous relâcher en découvrant le symbole de Malkus porté par
Frère Moineau. Leur chef a ainsi pris un grand risque en enfreignant les
nouvelles lois mais son attitude nous a convaincus qu’elles n’étaient pas
appréciées par tout le monde. En le remerciant, je lui ai dit la formule
traditionnelle karamite « Que les os vous gardent ». Cela n’est plus autorisé non
plus.
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La maison de Yasmine a été fouillée de fond en comble et nos amis n’y
ont rien trouvé excepté quelques grosses lettres de change du Comptoir
Corporatif. Aucune trace de la jeune femme.
Frère Moineau a soudain eu une illumination et nous a emmenés à un
endroit situé non loin de Karam. Nous avons retrouvé là trois prêtresses de
Vallinouë, trois prêtres de Malkus et deux de Saroth. L’un d’eux, que nous
appellerons Lui, nous a raconté tout ce qui s’est passé dans la cité.
Le 6 au matin, les quatre prêtres de Saroth ont été arrêtés. Lui et l’autre
ont réussi à s’échapper, les deux autres ont été écartelés. Les autres temples
ont été attaqués en début d’après-midi. Les suivants de Vallinouë et de
Malkus, prévenus, ont pu s’échapper. Personne n’a pensé à avertir les prêtres
d’Irinor et nul ne sait ce qu’il leur est arrivé.
Le 8, une nouvelle religion officielle a été instaurée : le culte de ShubNiggurath.
Depuis hier, des purges ont lieu chez les civils et les lanciers
récalcitrants. Purges menant à l’écartèlement.
Nous avons la réponse à notre interrogation sur l’efficacité de la
pommade sur le maire : c’est l’ancien maire qui a été pommadé... Et nous
avons utilisé toutes nos doses.
« La Dent rejoint le Groin » avait énoncé Sylla au cours de la conversation.
Comme Silva nous avait avertis de l’arrivée, à la nuit tombée, de certains de
ses congénères, l’interprétation était facile : les vampires rejoignent Saroth. Ce
n’est pas très gentil pour les prêtres de Malkus présents, mais je dois
reconnaître que ceux de Saroth sont beaucoup plus efficaces, et sans doute
plus puissants.
Une prêtresse a également proféré la phrase suivante, que nous n’avons
pas encore interprétée : « La réalité n’est que le reflet d’antan ».
Une trentaine de vampires sont arrivés, menés par Lars qui nous a
assuré que la malheureuse Illyria était à l’abri.
Je suis allée avec lui récupérer als Jhita, qui craint pour sa vie, ainsi
que deux autres hébergeurs de vampires de la faction de Luw. Les autres,
comme als Sarrayade, se débrouilleront bien comme ils veulent.
Il va nous falloir agir rapidement. Pour commencer, je pense que nous
allons tenter d’enlever tout le Conseil municipal. Ça risque d’être assez
délicat... Cependant, si nous y parvenons, nous espérons que des dirigeants
occultes seront obligés de se dévoiler pour reprendre la situation en main.
•••
Quelque part, le 11 Faux 1111
Et voilà, le pire est arrivé. Nous avons échoué et n’avons pas pu
empêcher l’invocation de Shub Niggurath.
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Mais je vais reprendre bien que le moral soit au plus bas.
Finalement, nous avons changé nos plans et décidé de passer à l’action
la nuit-même. Tout d’abord, mes amis et moi nous sommes introduits à la
mairie pour lire le compte-rendu du Conseil qui avait voté les nouvelles lois.
Peut-être certains Conseillers s’y étaient-ils opposés... Effectivement, un seul
avait osé voter contre, un certain Jazzir als Kyzz. Nous avons récupéré toutes
les adresses de ces tristes personnages ainsi que celle de l’ancien maire – qui
avait démissionné et proposé son successeur, élu à l’unanimité.
Nous avons décidé de nous rendre sur le champ chez ce als Kyzz.
Nous sommes passés par le monde gris où nous avons tué un
« dragon » mauvais.
Note : nous utilisons dorénavant le monde gris lorsque nous voulons nous
rendre dans un endroit inconnu et la téléportation dans les autres cas.
Als Kyzz s’était visiblement fait la malle. Il est clair qu’étant le seul
opposant, ses jours étaient comptés. Il avait brûlé de nombreux papiers avant
son départ et nous n’avons trouvé qu’un symbole, tracé à la craie, à l’intérieur
de la cheminée : un cercle traversé par deux vagues parallèles et comportant
un point noir dans chaque moitié ainsi délimitée.
De retour à la clairière, Lars a identifié le symbole comme étant celui
des catacombes de Karam. Nous avons décidé de tenter de tuer les autres
Conseillers et avons formé six groupes.
Nous devions nous charger en priorité d’un certain Jif als Karazif,
censé être responsable « du cimetière » et le seul non nécromancien du lot.
Mais il pouvait être quelque chose de pire, le grand maître de Shub
Niggurath, au hasard.
Nous avons fait une rencontre très dérangeante dans le monde gris : un
petit homme portant des vêtements étranges et un large chapeau marron
informe. Il ne sentait pas le mal. Continuant notre chemin, méfiante, j’ai pensé
que j’aimerais bien avoir un œil derrière la tête... et Anya, qui marchait
derrière moi, a poussé un cri horrifié : un œil était sorti de mon crâne.
Paniquée, j’ai souhaité qu’il disparaisse et Anya l’a vu rentrer dans ma tête. Je
me suis retournée : il n’y avait plus personne, ni le bonhomme, ni mes amis.
C’était comme si je m’étais retrouvée dans le vide complet. Je lai ai appelés,
sans succès. Quelques instant plus tard, j’étais de nouveau avec eux. Pour
eux, j’avais toujours été là.
Chez als Karazif, absent lui aussi, nous n’avons fait que de macabres
découvertes. La plupart de sa décoration est réalisée avec des os humains. Sur
un porte-manteau – en os – se trouvaient un chapeau et un manteau qui ont
horrifié Sylla. Comme à Helvellyn, il s’agissait en réalité d’un vêtement réalisé
avec trois peaux humaines et un crâne non humain avait l'apparence du
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chapeau. Nous avons découvert également une petite bourse faite dans un
testicule humain.
Dans un bureau, des étagères entières étaient recouvertes de registres se
rapportant au cimetière municipal de Karam. Une étagère avait été
récemment vidée de son contenu, le signe des catacombes y était gravé. Nous
avons ramassé un livre, visiblement tombé et oublié : un registre des
catacombes de Karam portant les informations des années 518 et 519. Face à
chaque nom était indiqué l’endroit de la sépulture du défunt, salle ou couloir
avec un nombre incroyables de numéros. Ces catacombes devaient être un
véritable labyrinthe.
Dans la cuisine, non utilisée en tant que telle depuis longtemps et dotée
d’une solide serrure, un cercle entourant une tête de chèvre était gravé dans le
dallage. Ioghi a confirmé qu’il s’agissait d’un cercle d’appel.
Nous sommes de nouveau retournés à la clairière et avons rappelé les
cinq autres groupes. Toutes les maisons visitées étaient désertées par leurs
propriétaires.
Nous avons donc supposé que tous les membres du Conseil se
trouvaient dans les catacombes et Frère Moineau nous y a conduits. Nous
aurions préféré que les suivants de Vallinouë et de Malkus restent là mais ils
ont tenu à nous accompagner. Ils en sont morts, ainsi qu’une douzaine de
vampires.
Nous avons livré plusieurs combats, dans les couloirs et les salles
portant tous un nom ou un numéro, tous emplis d’ossements empilés ou de
corps momifiés couchés dans des niches aménagées dans la roche. Nous avons
ainsi traversé les salles 213, 67, 184, la salle de Thurn et la nécropole de Yalta.
Nous avons tué sept nécromanciens et sept grosses invocations
tentaculaires, ainsi qu’un paquet de squelettes. Et perdu quelques
compagnons.
Puis nous sommes arrivés devant un mur prismatique qui, d’après
Ioghi, devait mesurer vingt-deux mètres de long sur huit de haut, bien plus
que la taille de notre couloir. Il nous était impossible de le faire disparaître.
Nous avons essayé d’appeler tous les dieux que nous connaissons avant
qu’Anya ne nous fasse remarquer qu’il suffisait de passer par le monde gris
pour nous retrouver de l’autre côté. Mais Vallinouë est arrivée juste avant,
très en colère. Elle n’avait pas accepté la mort de ses prêtresses. D’un geste
rageur, elle a fait disparaître le mur et a commencé à avancer. Anya et moi lui
sommes passées devant. Nous sommes tombés peu après sur une illusion de
nécromancien qui nous a demandé de partir si ne voulions pas mourir.
L’illusion a parlé d’une cérémonie importante en cours que nous ne
comprendrions pas et qu’il ne fallait pas perturber. Nous avons foncé.
Nous avons débouché dans une vaste salle. Sur une sorte de grande
estrade, nous avons découvert une énorme sphère prismatique. Devant elle,
quatre nécromanciens nous attendaient. Nous avons réussi à en tuer deux
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avant que la sphère prismatique disparaisse, que les six nécromanciens qu’y
s’y trouvaient s’embrasent, et qu’apparaisse... Shub Niggurath : une énorme
masse nuageuse en ébullition, répandant une odeur de putréfaction, dans
laquelle grouillaient des pattes de boucs, des gueules béantes et des tentacules
visqueux.
Vallinouë nous a tous rappelés à elle pour nous emmener ailleurs.
Pour le moment, nous n’avons pas encore fait le point et décidé de la
suite des événements. Mais maintenant que Shub Niggurath est arrivée, qui
peut savoir ce qui va se passer...
En tout cas, il ne reste plus, sur les vingt membres du Conseil municipal
de Karam, que als Jazzir et les deux nécromanciens survivants des
catacombes. L’un d’eux est-il le grand maître de Shub Niggurath ?
•••
Mont Thauban, le 12 Faux 1111
Jif als Karazif
Ioghi et moi avions envisagé l’éventualité de revenir à l’endroit où Shub
Niggurath a été invoquée avant l’irréparable. Mais, comme l'a dit Vallinouë
par la voix de Sylla : « Le temps coule à contresens. Rien ne converge et tout diverge. »
L’idée a donc été abandonnée.
Nous avons décidé de nous rendre directement au nouveau temple de
Shub Niggurath (l’ancien temple de Malkus) espérant y trouver au moins les
nécromanciens survivants, voire le dieu ancien en personne. Il n’y avait là
qu’une trentaine de fidèle et un prêtre qui sont morts carbonisés par une
tempête de feu invoquée par Sylla. Le temple s’est embrasé et nous avons
foncé dans la rue.
Là, notre petite troupe s’est dispersée : les vampires sont partis vaquer à
leurs petites affaires et les prêtres de Saroth aux leurs. Frère Moineau a
attendu les instructions de son dieu avant de s’en aller à son tour.
Nous sommes allés faire un saut chez als Karazif. Il n’était pas là mais
nous avons découvert un coffre en plomb, vide et ouvert, que nous n’avions
pas repéré la première fois. De là, nous nous sommes rendus dans les
catacombes, à l’endroit de l’invocation, espérant y trouver des indices.
Malkus est venu nous y retrouver. Iogha et lui ont découvert qu’il
existe, a priori, un rituel de protection contre Shub Niggurath et, comme nous
l’espérions, un de révocation. Il ne nous reste plus qu’à les trouver...
Il nous a également donné quelques informations sur als Karazif : il
vient d’une très vieille famille de marchands qui possède un domaine familial à
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une trentaine de kilomètres de Karam. Il a accès là-bas à des tonnes de
connaissances à travers toutes les archives de sa famille.
Nous avons pesté en réalisant que les précieux rituels s’étaient sans
doute trouvés dans le coffre que nous venions de découvrir chez lui. Mais
peut-être avions-nous une chance de le coincer dans sa maison familiale.
Malkus nous y a téléportés sur le champ.
Après nous être débarrassés des chiens et des gardes, nous avons
discuté avec l’intendant de la demeure – qui sent le mal, comme tous les autres
employés. Nous avons appris que « le malheureux maître » avait perdu en
deux ans ses parents, sa petite sœur et son frère. À part ça, il va, deux fois par
an, « relever ses lignes », c’est-à-dire encaisser les bénéfices de ses placements
dans des compagnies marchandes. Als Karazif était passé quelques heures
auparavant et était descendu dans les archives, gardées par un monstre, une
espèce de loup géant à deux têtes, rapidement détruit par Sylla.
Nous avons récupéré toutes les archives, les livres – dont beaucoup
sentent le mal – et un véritable trésor qui se trouvaient en grande partie dans
une pièce aux murs recouverts d’acier, fermée par un système inconnu
d’Arnem. Puis nous sommes partis à Mont Thauban étudier tout ça.
•••
Mont Thauban, le 16 Faux 1111
Nous avons commencé par séparer tout ce que nous avons récupéré en
trois tas : les journaux des membres de la famille, les registres de comptes et
les livres sur les cultes.
Nous avons passé deux jours à lire le journal d’als Karazif, édifiant. Cet
homme est une ordure finie doublée d’un mégalomane dangereux. Nous avons
eu confirmation de nos soupçons : il a bien empoisonné ses parents et tué sa
sœur et son frère. Il ne lésine d’ailleurs pas sur les détails scabreux. Cela
semble assez courant dans sa famille, d’après les journaux de ses ancêtres que
nous avons également survolés. Depuis des générations, cette famille, très
mystique, s’intéresse aux cultes des dieux anciens ; elle a accumulé des tonnes
de littérature sur le sujet.
Als Karazif est bien le responsable de l’arrivée de Shub-Niggurath.
Après avoir converti les Conseillers de Karam, il les a convaincus de procéder
à l’invocation – sachant qu’ils y laisseraient sans doute leur peau. Prudent, il
n’était pas sur place. Cependant, il n’a pas commis cette abomination par
mysticisme ou fanatisme. Ce n’est pour lui qu’un moyen de favoriser son
« grand œuvre » : en gros devenir roi de Karam et asservir le reste du Kersh.
Il est persuadé qu’il est l’aboutissement de sa lignée dont « tous les morts le
soutiennent ».
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Nous avons eu confirmation de l’existence des rituels qu’il a lui-même
trouvés. Effectivement, s’il a le moyen de se protéger de Shub Niggurath,
voire de le renvoyer, il ne risque rien à le faire venir. Il faut donc que nous le
retrouvions à tout prix.
Mais avant de partir « en chasse », nous voulons continuer à éplucher ce
que nous avons trouvé chez lui pour découvrir des indices, soit sur l’endroit
où il a pu se rendre, soit sur les importations de poison dans lesquelles il nous
paraît évident qu’il doit tremper.
À ce sujet, l’enquête commanditée à la Guilde n’a donné aucun résultat.
Par contre, le vieil Ephraïm, auquel nous avons remis un échantillon de
poison trouvé chez als Karazif, nous a informés que le trafic de ce genre de
substances s’était considérablement développé au cours de l’année écoulée. Il
nous a communiqué le nom de deux membres de la Confrérie versés dans la
chose : Tim et Jorel. Il nous a aussi confirmé que le poison contenu dans
l’encens qui a décimé le clergé de Zhôr était originaire de Shalimar.
Juste avant de partir voir ces deux voleurs, nous avons découvert,
toujours dans les documents d’als Karazif, un petit carnet que nous n’avions
pas encore remarqué. Une quinzaine de pages sont remplies. En haut de
chacune se trouve le nom et l’adresse d'une personne – dans toutes les grandes
villes du Kersh –, puis suivent entre deux et dix noms (dont certains nous sont
malheureusement bien connus) accolés à ce qui nous paraît être une somme
allant de 500 à 20 000 (xolts ?). Le nom correspondant à Port-Ker est Kaber
Vinx, il est suivi de trois autres noms.
La rencontre avec Tim et Jorel a été fort instructive. Depuis un an, une
quinzaine de kilos de sertorial (le poison de l’encens) a transité par Port-Ker
en provenance de Karam, sur une vingtaine de bateaux différents. Ce poison
est parti pour moitié à Helvellyn et pour moitié sur le Continent. Ils ont
mentionné également un kilo de pilunazul (un poison sygmalinien). À part ça,
il semblerait que le trafic d’esclaves, importés de Shalimar à Karam, soit passé
d’une vingtaine à environ deux cents sur l’année passée. Nous espérons qu’ils
ne sont pas destinés à des sacrifices. Nous avonc aussi demandé à nos deux
voleurs s’ils connaissaient Kaber Vinx : ils ont blêmi, se considérant presque
en sursis après nous avoir appris qu’il s’agissait d’un assassin capable de tuer
n’importe qui et pratiquant des prix pouvant s’élever jusqu'à 50 000 xolts.
Il y a donc fort à craindre que les noms en haut de chaque page soient
tous ceux d'assassins suivis par la liste de leurs « contrats ». Il a falloir
prévenir en priorité les personnes que nous connaissons.
•••
Mont Thauban, le 17 Faux 1111
80
Mon arrière-grand-mère, Angelina, est morte.
•••
Althor, le 23 Faux 1111
Des assassins
Nous avons eu confirmation de nos soupçons : les quinze noms notés en
haut des pages du carnet d’als Karazif sont bien des noms d’assassins – a
priori les meilleurs – et les noms suivants ceux de leurs « contrats ».
Ils visent, entre autres :
- d’importants chefs militaires : le maréchal de Scyldie, le Commandant
du Midi, le duc de Skyrnir, la duchesse de Mafe, les marquis des Marches de
Rônir...
- un très important marchand d’armes fournissant le Fléau,
- des prêtres, principalement de Saroth, mais également de Zhôr à Gefn
ou de Malkus dans les baronnies au sud de la Gefnie,
- quelques marchands ayant trempé dans des trafics louches, a priori
d’armes et de poison,
- un mage rédigeant un rapport sur les cultes,
- le sénateur Julius Serpol.
Il est rassurant de constater qu'il n'y a aucun contrat sur nos têtes...
Nous avons donc paré au plus pressé, c’est-à-dire mettre en garde les
personnes « du bon côté » concernées.
Nous avons assisté à une tentative d’assassinat sur un prêtre de Saroth
– dont la tête vaut 10 000 xolts. L’assassin nous a échappé mais nous avons pu
constater qu’il est effectivement fort compétent. Il est même capable de se
rendre dans le plan éthéré, ce qui diminue nettement les chances de lui
échapper... S’ils sont tous du même acabit, ils risquent malheureusement
d'honorer une bonne partie de leurs contrats.
Nous avons donc embauché une agence de protection, « magique et
physique », pour veiller sur quelques victimes potentielles. Le trésor d'als
Karazif nous est donc très utile !
Nous allons maintenant chercher des informations auprès des personnes
« du mauvais côté » et du mage effectuant le rapport.
Par ailleurs, étant donné que ni nos dieux, ni la magie, ne peuvent nous
aider à localiser als Karazif, nous sommes très heureux d’avoir trouvé un
soutien inespéré de la part de certaines personnes qui ne souhaitent pas que
l’on parle d’elles24. Nous attendons des nouvelles.
81
•••
Mont-Thauban, le 24 Faux 1111
Nous n'avons pu tirer aucune information du troisième marchand
althorien qui semble pourtant appartenir aux cultes. L'assassin s'en chargera
bien tôt ou tard...
Puis nous sommes rentrés à Port-Ker.
Durant notre absence, les filles ont épluché un certain nombre de livres
trouvés chez als Karazif. Elles ont découvert plein de nouveaux rituels très
chouettes :
- une douzaine d'appel de bestioles toutes plus sympathiques les unes
que les autres,
- des envoûtements,
- des rituels permettant de transformer des humains en espèces de
zombies au service de leur maître...
Aujourd'hui, nous avons rencontré Maître Kazem Sarayan, le mage
rédigeant un rapport sur les cultes. Il a été déplacé en un lieu secret et se
trouve sous la haute protection de La Béquille. Ses connaissances sur les
dieux anciens, correspondant à des années de recherches, sont colossales. Il a
répertorié environ cent cinquante dieux anciens ou « émanations », dont les
noms nous sont pour la plupart inconnus. Je joins à ce journal la liste qu'il
nous a fournie.
Nous avons, grâce à lui, obtenu confirmation que Lloïgor et Gulzar sont
bien une même entité et appris le vrai nom d'Ozymandis, imprononçable :
Hzioulquoigmnzhah, le Jardinier25. Gloon, quant à lui, n'était qu'une
émanation d'un dieu ancien mais il n'a pas su nous dire duquel.
La confirmation que Gulzar et Ozymandis sont bien des Grands
Anciens nous a fortement inquiétés. Elle remet en cause la mort effective de
Gulzar et l'affirmation de Vieille Épine sur le sommeil de ces entités.
Nous avons longuement discuté avec Maître Sarayan pour essayer de
comprendre si un Grand Ancien mort l'était bien dans tous les mondes :
personne n'a envie de revoir Gulzar pointer le bout de son nez dans le Kersh !
Nous ne sommes pas arrivés à grand-chose. Je vais cependant tenter de
résumer.
D'après le mage, un monde est une planète appartenant à un univers. Il
est théoriquement possible de passer d'une planète à une autre située dans le
même univers. Le Kersh, la Terre (le monde de Malkus) et Mars (la planète
sur laquelle vivent Jim et Max) seraient donc des planètes du même univers
puisqu'il est possible de passer de l'une à l'autre. Que l'on puisse les visiter à
différentes époques est un autre mystère... Si tel est le cas, il semble
impossible d'être sur deux planètes à la fois et quelqu'un tué sur l'une d'elles
82
ne peut plus exister sur aucune. Cette hypothèse, plutôt encourageante,
impliquerait que Gulzar soit irrémédiablement annihilé.
Par contre, Maître Sarayan a également évoqué des « mondes
parallèles», si j'ai bien compris des copies d'une planète plus ou moins
conformes historiquement, culturellement et géographiquement, entre lesquels
aucun passage n'est possible. Si cette théorie des mondes parallèles s'étend à
des univers parallèles, Gulzar, même définitivement mort dans notre univers,
peut exister dans un autre. Mais si aucune communication n'est possible, ce
n'est pas notre problème !
•••
Kaber Vinx
Mont-Thauban, le 25 Faux 1111
Côté assassins, pas grand-chose de neuf si ce n'est du côté de Kaber
Vinx qui aurait accepté de surseoir à ses exécutions. Il semblerait même qu'il
veuille faire croire à sa mort : un cadavre a été repêché dans le port, gorge
tranchée, doigts et oreilles coupés. Dans ses possessions, une dague gravée
des initiales KV et du poison tentent de le faire croire. Par contre, Arnem a
remarqué que le mort avait été également empoisonné et nous n'avons pas
encore compris pourquoi.
•••
Mont-Thauban, le 3 Mouton 1111
Le 29 de la Faux, nous avons découvert en mer deux corps liés dos à
dos, la gorge tranchée. Lorsque nous sommes allés faire notre déposition le
lendemain à la Maison du Conseil, nous avons appris leurs identités : il
s'agissait du Chef de la Chambre des Trafics Divers et de son premier
lieutenant. Quatre autres hommes de la même Chambre avaient été retrouvés
quelques jours auparavant, en mer eux aussi, pareillement liés et égorgés.
Visiblement, l'assassin ne souhaitait pas qu'ils soient découverts.
D'après nos deux comparses de la Confrérie, ils traînaient dans des
trucs louches, s'occupaient aussi plus ou moins d'un service de nettoyage et
avaient dû faire appel à quelqu'un qui avait voulu préserver le secret de son
identité. Ils pouvaient aussi avoir fait des conneries ou en savoir trop sur
certains sujets.
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Nous avons commencé à nous demander si Kaber Vinx ne serait pas de
notre côté, éliminant, pourquoi pas, des membres de la Confrérie liés aux
cultes.
Juste après, nous avons reçu un message oral, via un gamin, de ce
même Kaber Vinx qui affirmait être du même bord que nous, qu'il n'avait
donc rien contre nous, et qu'il souhaitait qu'on lui fiche la paix.
Comme « preuve » de sa bonne foi, il nous a déposé un paquet à Mon
Repos où nous nous sommes réinstallés après quelques jours de ménage.
Ce paquet surprenant contenait des documents ayant appartenu à deux
des assassins, ceux chargés des exécutions à Scyld et à Gefn. Certains
portaient des traces de sang. Kaber Vinx avait indiqué le nom de chaque
assassin sur les liasses de papier avec, en outre, une indication : faire suivre.
Nous avons donc remis le tout le lendemain à Madame26.
Nous avons décidé d'aller voir Tonton Aldo pour lui annoncer qu'a
priori les potentiels assassinés ne craignaient plus rien. Il nous a demandé un
service : emmener un de ses neveux à la Confrérie. Nous avons accepté et
nous sommes séparés. Arnem, Sylla et Ioghi se sont rendus au village du jeune
garçon pour le récupérer. Anya, Silva et moi sommes allés à Scyld porter le
même message à Loke. Bizarrement, lui aussi avait un jeune cousin à faire
émigrer à Port-Ker et nous sommes sagement allées le chercher.
Le village du jeune Aldo (le neveu de Tonton Aldo) et le manoir de Rolf
(le cousin de Loke) se trouvaient tous deux à quelques dizaines de kilomètres
des capitales. Après avoir récupéré les jeunes gens – et trouvé légèrement
bizarres la mère du premier et le père du second –, nos deux groupes ont
chacun été attaqués par six créatures tentaculaires.
Plutôt que de combattre, nous nous sommes tous téléportés à Port-Ker.
Nous nous sommes retrouvés rapidement et avons décidé de retourner
éliminer, tous ensemble, les sales bestioles.
Au village d'Aldo junior, c'était la panique... et nous en avons rajouté,
avec une tempête de feu invoquée par Sylla, éteinte par des averses de Ioghi.
Dès que les bestioles ont été anéanties, nous avons filé en Scyldie pour nous
occuper des autres. Elles étaient déjà détruites mais il y avait quelques morts.
De retour à Mont-Thauban, où nous avions laissé les jeunes garçons,
nous avons fait le point et discuté avec eux. Nous en sommes arrivés à la
conclusion que les parents avaient été pris d'une soudaine envie d'envoyer
leurs fils à Port-Ker une quinzaine de jours auparavant. Envie sans doute
suggérée par un marchand inconnu, genre du sud, dont Aldo nous a dessiné
un portrait très réussi. Les garçons ont même précisé que l'individu avait une
cicatrice dans la paume droite, pile sur la ligne de vie...
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Supposant qu'il peut s'agir d'als Karazif, nous avons décidé de nous
rendre à Karam demain pour faire identifier notre portrait par un employé de
la mairie.
En attendant, nous nous posons bien des questions. S'il paraît évident
que nous avons été manipulés, l'exécution du plan a été remarquable en tous
points. Quelqu'un capable d'aussi bien prévoir nos actions nous pose
problèmes. Arnem a insisté sur le lien entre la mort – présumée ! – des
assassins de Gefn et Scyld et notre voyage là-bas. Nous n'avons appris qu'hier
qu'ils n'étaient a priori plus un danger et décidé de nous rendre sur place.
Alors que le marchand est passé par là il y a déjà deux semaines. Et que nous
avons trouvé le carnet d'als Karazif il y a à peine trois semaines... Du coup,
nous avons de nouveau des doutes sur Kaber Vinx.
À part ça, nos alliés secrets nous ont affirmé qu'als Karazif n'était pas
dans le nord. Si ça se trouve, ce salopard se fout de nous, confortablement
installé... à Karam.
•••
Mont-Thauban, le 4 Mouton 1111
Oui, le portrait correspond bien à als Karazif. Et le nouveau Conseil
municipal a bien changé. Il est maintenant composé de treize marchands et
seulement deux nécromants. Les rescapés des catacombes n'ont plus remontré
le bout de leur nez.
Nous sommes ensuite allés à la Commanderie du Pommier afin de
savoir si als Karazif ne s'y serait pas pointé en marchand pour nous tendre, là
aussi, un piège à cons. Il était bien passé, un mois avant, et nous n'avons pas
eu affaire à des créatures tentaculaires.
Partant d'une autre hypothèse, nous nous sommes demandé s'il n'était
pas passé voir toutes les futures victimes dont les noms étaient inscrits sur son
carnet. Nous avons rendu visite à Dent d'Ours, Maître Savianus et Maître
Sarayan : aucun ne l'avait déjà rencontré et aucun n'avait de jeune garçon à
aller chercher dans des coins paumés...
C'est donc la tempête sous nos crânes surchauffés, à commencer par la
question stupide : pourquoi als Karazif nous a-t-il si gentiment laissés trouver
son carnet ? Après être passé à la Commanderie et avant d'aller voir les
familles de Rolf et d'Aldo...
Sinon, les choses à Port-Ker viennent de changer. Le Premier
Conseiller a effectivement démissionné, un nouveau a été élu : une nouvelle
plutôt. Oui, pour la première fois une femme est entrée au Conseil des Sept et
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a été élevée d'office à la première place. Il s'agit bien évidemment d'une Fille
de la Lune. Nous pouvons dorénavant, entre elle et la nouvelle chef du
Service, espérer une écoute plus attentive et un soutien plus actif. Ce qui ne
serait pas un mal, Shub-Niggurath se baladant toujours dans la nature alors
que nous ne parvenons pas à mettre la main sur le rituel de révocation.
•••
Grosse déprime
Eorlagh, le 7 Mouton 1111
C'est désespérant, toutes nos investigations ne font que confirmer que
als Karazif se fout du monde et de nous ! Je suis d'une humeur massacrante
mais je vais tout de même récapituler les catastrophes de ces trois derniers
jours.
Tout d'abord, nous avons la certitude que Kaber Vinx et als Karazif
sont bien deux personnes différentes. Nous avons même un portrait du
premier et sa description précise. Cela nous a permis de découvrir que
l'artisan disparu qui se trouvait sur la liste des contrats de Kaber Vinx était...
Kaber Vinx lui-même. Bien sûr, nous ne comprenons pas pourquoi il se
trouvait sur cette liste, écrite de la main d'als Karazif.
Ensuite, après nous être bien creusé la tête pour savoir si nous n'avions
pas côtoyé als Karazif à un moment quelconque, dans une auberge par
exemple, Sylla s'est rappelée qu'il était entré après nous au Gobelin Ivre la
dernière fois que nous sommes allés discuter avec Tim et Jorel. Ce salopard
s'est même assis à la table près de la nôtre. Je rappelle que nous avons eu un
message de Kaber Vinx juste après, ce qui prouve que les deux nous
observaient au même moment. Après ça, comment ne pas nous considérer
nous-mêmes comme les derniers des crétins...
Conséquences de ce lamentable épisode : les cadavres de Tim et Jorel
ont été retrouvés aujourd'hui, « brûlés de l'intérieur » – sans doute une
saloperie de rituel d'als Karazif – et un petit mot de Kaber Vinx nous disant
qu'il n'y est pour rien. Ça nous fait de belles jambes, à nous qui nous
considérons responsables de leur mort. Et ça ne nous en dit pas plus long sur
les buts poursuivis par Kaber Vinx. Nous n'arrivons même pas à comprendre
de quel côté il est.
Nous avons passé des heures à essayer de cerner la psychologie d'als
Karazif. Nous en sommes arrivés à la conclusion facile que c'est un
psychopathe supérieurement intelligent à l'ego démesuré. Il a toujours
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plusieurs plans lorsqu'il souhaite arriver à un événement précis, il ne laisse
rien au hasard et toutes ses machinations sont réglées au quart de poil près.
Jusqu'à présent, tout ou presque a fonctionné à merveille pour lui. Le seul
plan que nous avons, a priori, enrayé a été la domination des têtes pensantes
du Continent et d'Helvellyn, grâce à la pommade de Saroth. Il a également un
goût certain pour le spectaculaire et adore les opérations de grande envergure
qui, entre autres, sapent le moral de tout le monde. Avec ça, nous sommes
bien avancés. Et puis d'abord, que signifie pour lui « devenir maître du monde
» ? Un monde détruit, un monde de chaos, un monde asservi ? Nous
espérions, en cernant mieux le personnage, arriver à deviner à l'avance un de
ses plans à la noix pour arriver à le coincer. Nous ne faisons qu'arriver avec
des semaines, voire des années de retard...
Nous avons essayé de dresser une liste des combattants possibles qu'il
pourrait vouloir soit s'adjoindre, soit mettre hors jeu : les Nordiques, les
Sygmaliniens, les Khirkasiens, les hommes des déserts... Nous en sommes
stupidement arrivés à la conclusion qu'il devait les prendre pour des sousraces et avons repoussé le problème à plus tard.
De plus, nous craignons fortement qu'als Karazif puisse nous observer
et nous entendre, à loisir, grâce à un autre de ses rituels. C'est à peine si nous
osons discuter de peur de lui dévoiler nos projets. Nous devenons
complètement paranoïaques. Nous avons récupéré la pierre d'anti-détection
pour éviter le problème mais elle nous crée d'autres complications, entre
autres le non fonctionnement de nos propres détections et le fait de nous
rendre injoignables.
Côté Maison du Conseil, nous avons toute l'aide désirable mais ça ne
nous avance pas à grand-chose. Et les dieux ne nous ont donné aucun signe de
vie depuis le lendemain de l'invocation de Shub Niggurath, ce qui pourtant
nous remonterait le moral. Nous sommes tellement déprimés que nous allons
même finir par douter d'eux. Après tout, ils pourraient très bien être des
émanations d'Ozymandis. Nous en venons à envisager les pires absurdités.
L'éradication du Fléau nous semble devoir être l'une des priorités d'als
Karazif. Nous avons donc entamé aujourd'hui une tournée pour découvrir s'il
avait rendu visite à d'autres escadrons que celui de la Commanderie du
Pommier. C'est bien entendu le cas.
Nous sommes passés à la Commanderie d'Ozir où il s'est pointé il y a
cinq semaines, sous son identité de marchand. Nous avons découvert là-bas
un jeune marmiton, visiblement doté de talents de paladin innés et protégé par
Zhôr. Il a senti le mal en als Karazif et n'a pas compris pourquoi il a été
autorisé à entrer. Une preuve de plus que ce salopard a un sacré sens de
l'humour noir : un étranger mauvais autorisé à dormir dans les écuries des
paladins. Si ce n'est pas prendre les gens pour des cons !
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À Helvellyn, il n'est pas passé à l'état major du Fléau mais s'est rendu à
la caserne il y a six semaines.
Dans les trois endroits que nous avons visités (la Commanderie du
Pommier, celle d'Ozir et la caserne d'Helvellyn), il a passé la nuit dans
l'écurie.
Bien sûr, nous n'y avons rien découvert de suspect. Qu'a-t-il bien pu y
fabriquer ? Certes, il a pu se contenter d'observer les lieux. Mais il a pu tout
aussi bien mettre en place un dispositif d'éradication qu'il pourra déclencher
lorsqu'il le souhaitera. Envoûtement de quelqu'un à qui il pourra commander
d'empoisonner un gruau ou une soupe ? Ce serait bien son genre... Il pourrait
ainsi tuer la quasi totalité du Fléau en même temps. Plan à la noix à grande
échelle comme les créatures tentaculaires qui nous attendaient chez Rolf et
Aldo ? Et pourquoi pas des attaques de Shub-Niggurath ? Après tout, rien ne
prouve qu'il n'ait pas un moyen de le dominer et de lui faire faire ses quatre
volontés.
Déprimés, nous sommes passés voir Madame pour l'informer de nos
merveilleuses nouvelles et de notre intention de continuer à confirmer nos
macabres inquiétudes. Des spécialistes du Service se creusent la tête, tout
comme nous, pour tenter d'en deviner plus sur als Karazif. Espérons qu'ils
obtiendront de meilleurs résultats que les nôtres.
La journée, déjà bien remplie, ne s'est pas terminée sur cette visite.
Madame, ayant l'intention de monter un « service d'ordre nordique », souhaite
embaucher une dizaine de barbares. Outre la proposition d'en parler à Pallig,
mon frère, j'ai proposé une virée au clan Eorlagh.
Ça a été la cerise sur le gâteau. Le chef du clan est devenu à moitié
gâteux, beaucoup de gens semblent apathiques, nous ne savons pas où se
trouvent les guerriers censés être là à cette époque de l'année. Visiblement le
début de cet état de fait remonte à environ deux ans, c'est-à-dire juste après
mon dernier séjour. Bien sûr, nous ne pouvons que supposer que c'est encore
d'un coup d'als Karazif. Comment est-il arrivé à ça ? Un espèce
d'envoûtement collectif, sans doute il y a deux hivers, lorsque la plupart des
membres du clan étaient réunis ? Et puis, qu'est-ce qu'il fiche Skuld, à laisser
ainsi ses enfants devenir des bons à rien ? Même s'il ne capte pas toujours
tout, il a bien dû se rendre compte que quelque chose clochait. Comme
d'habitude, tout cela dépasse de loin nos facultés de compréhension...
Demain nous ferons un tour au clan de mon père. Nous avons peu
d'espoir que les choses y soient différentes. Il nous faudrait également jeter un
coup d'oeil sur d'autres clans, nous enquérir des deux dernières Chasses : pas
de Chasse = plus de trolls... Mais nous devons aussi rendre visite à deux
escadrons dans le sud du Continent. Et conduire au temple de Vallinouë, à
Illythid, une charmante demoiselle aveugle d'origine Ragnaroëker – « une
soeur de Sylla » d'après notre belle prêtresse – de laquelle nous n'avons pas
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réussi à tirer quoi que ce soit. On se demande bien d'où elle débarque et,
même si elle n'est pas censée nous inquiéter puisque Vallinouë a le doigt sur
elle, nous nous demandons bien ce qu'elle vient faire dans cette histoire.
Il nous faudrait aussi aller faire un tour auprès de toutes les peuplades
que nous avons évoquées hier afin de vérifier si elles n'ont pas, elles aussi, des
attitudes étranges. Aller voir également si ce n'est pas le bazar dans les
légions, les armées scyldienne et rônirienne, chez les mercenaires d'Althor. Et
essayer de tirer de tout ça des conclusions sur le but final d'als Karazif. Sans
doute son point faible est-il son orgueil et la certitude de son invulnérabilité.
Mais comment l'utiliser alors que nous ne faisons que parer au plus pressé ?
Les journées ne font que vingt-quatre heures et, même avec nos multiples
possibilités de voyage rapide, nous ne pouvons pas être partout en même
temps. Surtout qu'il n'est pas souhaitable de nous séparer. Als Karazif a beau
nous prendre pour des imbéciles, nous allons sans doute commencer à
l'énerver. À moins que, dans sa grande suffisance, il ne nous trouve
distrayants...
•••
Le treize du Mouton !
Port-Ker, le 10 Mouton 1111
J'ai bien du mal à trouver un moment pour résumer les derniers
événements. Tout se précipite.
Le 8, nous nous sommes téléportés au Bout du Monde. Là-bas, tout
était normal bien qu'als Karazif soit passé deux ans auparavant. Par contre,
nous avons obtenu confirmation que les Eorlagh étaient bizarres depuis
environ deux ans, assez « ramollis ». Très peu d'entre eux ont participé aux
deux dernières Chasses. Nous avons réussi à récupérer six cousins pour
Madame : Skarf, Sygg, Jon, Grimkell, Ketilbjorn et Vigibjorb.
Après une entrevue avec un contact-marchand helvellynien, nous
sommes passés voir les deux escadrons du Fléau campant au sud du
Continent. Als Karazif ne leur a, a priori, pas rendu visite.
Nous nous sommes rendus auprès d'eux en passant par le monde gris
où nous avons rencontré et tué une saloperie d'émanation de Xiurhn : Aboth,
Source de l'Impureté – qui s'est exclamé à notre vue : « Enfin, je vous ai
rattrappés ! », preuve que le dieu ancien en a toujours après nous.
Nous avons fait un saut à Eorlagh pour récupérer la nouvelle soeur de
Sylla, Kyrin Ragnaroëker, et l'emmener au temple de Vallinouë d'Illythid.
D'après Ragnar27, elle était autrefois au service de Skuld. Jamais je n'avais
entendu parler d'une telle chose, mais bon. J'aimerais bien éclaircir certains
points avec lui.
89
En quittant le temple, nous avons appris (par nos alliés qui ne
souhaitent pas que nous parlions d'eux) qu'als Karazif avait été vu dans une
certaine rue de Karam.
Après une petite enquête, nous avons découvert un de ses points de
chute où nous l'avons attendu.
Nous l'avons attaqué dès son arrivée. Il a invoqué deux autres
émanations de Xiurhn : Cynothoglys, le Dieu Thanatopracteur et Yidhra, la
Sorcière des Rêves. Des êtres repoussants dotés de pouvoirs redoutables. Je
passe les détails...
Nous avons réussi à tuer als Karazif et les deux émanations mais Ioghi
et Silva ont disparu au cours du combat. Et, bien évidemment, als Karazif
n'avait aucun document sur lui.
Nous avons ramené son corps à Port-Ker afin qu'un prêtre puisse
interroger son cadavre. Et Sylla a demandé à Vallinouë comment récupérer
nos amis. « Le réveil est parfois difficile » a répondu la déesse.
Comme nos amis avaient disparu après un contact avec la Sorcière des
Rêves, nous avons fini par comprendre qu'ils pouvaient être prisonniers de
leurs propres rêves. Et, dans ce domaine, il nous a paru évident que seul Jon
pouvait faire quelque chose. Nous avons demandé à Myrelle de le contacter ce
matin et, effectivement, il a pu les ramener auprès de nous. Nous n'avons pas
eu le temps de nous interroger plus avant sur l'étrangeté de leur aventure. Ils
vont bien et c'est l'essentiel.
Nous avons demandé des nouvelles de nos dieux à Jon. Il nous a
répondu qu'ils empêchaient Shub-Niggurath de faire des siennes. Ils auraient
mieux fait de nous aider à empêcher son invocation ! Là, ils interviennent
vraiment directement, contrairement à tous leurs principes...
Pour terminer cette partie, nous craignons maintenant que Xiurhn ne
s'agace : nous avons déjà tué sept de ses émanations et, d'après l'état de nos
connaissances, il ne lui en reste plus que trois. Pourvu qu'il ne nous tombe pas
sur le râble...
J'ai bien entendu gardé le pire pour la fin : l'interrogatoire du cadavre
d'als Karazif qui s'est déroulé la nuit dernière. Voici très exactement nos
questions et ses réponses.
- Où se trouve le rituel de révocation de Shub-Niggurath ?
Là où nul être vivant ne le trouvera.
- Comment le récupérer ?
En faisant ce que vous faites.
- Est-ce que les vampires peuvent le récupérer ?
Ça peut devenir possible.
- Qu'est-ce qui peut rendre possible le fait que les vampires puissent le
récupérer ?
Que j'aie une seconde existence.
90
- Comment éradiquer les plans que tu as mis en place ?
Dans l'état actuel de vos connaissances, c'est impossible pour certains.
- Quels sont les plans que tu as mis en place ?
L'anéantissement total du Fléau de Zhôr, des légions gefniennes, de l'armée
régulière scyldienne et de la cavalerie rônirienne. L'anéantissement total du
Conseil de Sept et des Filles de la Lune de Port-Ker. Le rétablissement de la
royauté karamite.
- Si ces plans doivent se faire sans toi, quelle est la date précise d'exécution ?
Le treize du Mouton.
Voilà, nous n'avions droit qu'à sept questions. Visiblement, le rituel de
révocation ne se trouve que dans le cerveau d'als Karazif et le faire vampiriser
ne semble certainement pas une solution !
Le première Fille de la Lune est venue effectuer une petite vérification.
Elle a constaté qu'une pierre remplaçait le coeur d'als Karazif. Il « bénéficie »
ainsi d'un rituel nécromantique mettant son coeur – et donc son esprit – à
l'abri. Nous avons détruit son corps. Il lui faudra maintenant plusieurs mois
avant de prendre possession d'un nouveau corps. Nous espérons mettre ce
temps à profit pour trouver et détruire son coeur.
Nous avons fait appel à Luw pour obtenir ses conseils avisés. Sa
première remarque a été que le treize était une nuit de pleine lune...
Laissant au Service le soin de diffuser la date de l'apocalypse à tous les
intéressés, nous sommes partis voir Dent d'Ours partant du principe que, si le
plan d'éradication d'als Karazif faisait intervenir les lycanthropes, il pourrait
peut-être nous aider.
C'est le cas, il connaît un – le ? – chef des lycanthropes avec lequel il
nous a organisé une entrevue.
En attendant de le rencontrer, nous avons fait un saut à Eorlagh pour
vérifier l'état du clan. La « malédiction » d'als Karazif s'est éteinte avec lui et
Welf, le chef – plus du tout gâteux – est aux quatre cents coups. Nous avons
ramené ses trois fils pour augmenter la garde nordique de Madame.
Ce chef des lycanthropes – un type extrêmement désagréable que Dent
d'Ours ne regarde qu'avec dégoût – a confirmé nos craintes : des milliers de
lycanthropes doivent déferler sur les cibles d'als Karazif la nuit du treize. Mais
il y a bien entendu moyen de moyenner : reconnaître officiellement une «
nation lycanthrope »...
Nous allons gérer des négociations mais il nous faut garder à l'esprit
qu'als Karazif a toujours plusieurs cordes à son arc.
Mont-Thauban, le 11 Mouton 1111
•••
91
Nous sommes rentrés à Port-Ker où Madame et la Première nous ont
autorisés à faire des promesses au chef des lycanthropes.
Puis nous avons réfléchi au moyen de découvrir les planques d'als
Karazif. Trois possibilités nous sont venues à l'esprit : une demande à
Vallinouë, une rencontre avec Kaber Vinx – peut-être Melkarth le connaît-il
sous un autre nom – et un souhait de mage.
Vallinouë a répondu : « La mandication précède la digestion »...
Melkarth n'a jamais vu Kaber Vinx – nous commençons à avoir une
idée de son identité mais il ne semble pas approprié de la dévoiler dans ce
journal...
Par contre, la Première a fait un souhait qui lui a indiqué trois lieux
différents : une maison à Karam, un endroit dans les montagnes qui nous a
évoqué l'Aiguille de Gulzar et un autre plan.
Nous avons commencé par le plus simple : Karam. La visite de la
maison a été plus compliquée que prévu mais nous avons fini par découvrir un
coffre contenant des sacs d'or et quelques papiers : une liste d'une vingtaine
de rituels, une autre d'objets liés aux cultes et une troisième d'une douzaine de
bouquins. Il s'agit de livres d'histoire ou de mémoires, certains, barrés, a priori
lus par als Karazif. Parmi eux se trouvent les mémoires de mon arrière-grandmère, celles de Mouss (un de ses amis), celles d'un barbare anonyme que nous
n'avons pas identifié ainsi qu'un opuscule nommé « Les dieux et moi ». Ce
dernier, écrit par Iogha il y a des siècles, dresse un portrait assez réjouissant
des dieux. Comment als Karazif a-t-il pu lire « Ceux qui viennent d'Ailleurs »
alors que le seul exemplaire se trouve à Mont-Thauban ? Décidément, ce
salopard est vraiment très fort...
Un petit saut à la bibliothèque du Conseil nous a permis de constater
que des pages ont été arrachées dans les mémoires de Mouss : celles
concernant sa visite à l'Aiguille. Et pour cause.
Nous avons ensuite revu notre lycanthrope : Jenk. Il nous a expliqué
les plans prévus pour la nuit du 13 au 14 : certains de ses congénères devaient
rencontrer des personnes importantes et les mordre, à Port-Ker, en Scyldie,
en Gefnie et à Rônir. Bien sûr, tous les chefs de guerre et les membres du
Conseil des Sept étaient concernés. Un mois plus tard, un massacre de grande
envergure était prévu. Il nous a fait également une révélation incroyable que
nous avons promis de garder secrète28.
Suite à nos promesses de reconnaissance de sa race, il a assuré que les
lycanthropes n'attaqueraient personne. Une réunion est prévue avec lui,
Madame et la Première le 14 à midi.
Nous avons abordé deux autres sujets : l'assassin de Dent d'Ours et
Skuld. Le premier a été déchiqueté par des sangliers, c'est une bonne chose.
92
Le second – qu'il appelle Le Grand Ours – a été vu par un lycanthrope il y a
quatre jours. Il paraît qu'il cherche le rituel de révocation de Shub Niggurath.
J'espère qu'il n'y a pas de problème de ce côté-là mais son attitude
d'indifférence par rapport aux och Eorlagh m'inquiète quelque peu.
La journée était loin d'être terminée. Nous sommes retournés à PortKer et la Première nous a téléportés dans les montagnes, à l'endroit de sa
vision. Il s'agit bien de l'Aiguille de Gulzar, détruite comme elle était censée
l'être. Cependant, un puits circulaire de deux mètres de diamètre a été creusé
dans les décombres sur une cinquantaine de mètres de hauteur. Il s'enfonce
sous la montagne et aboutit dans une pièce, d'une centaine de mètres carrés,
taillée dans la roche. Les parois sont entièrement recouvertes de rayonnages
en bois, certains munis de portes et de coffres, le tout désespérément vide.
Tables et chaises représentent un aménagement sommaire. Nous avons trouvé
le corps d'un mage momifié reposant près d'une table. Nous l'avons ramené à
Port-Ker pour identification.
Par acquis de conscience, nous avons effectué une fouille complète et
découvert un unique dossier sur l'une des étagères supérieures, estampé du
sceau du Service. Ainsi, als Karazif avait découvert ici l'endroit où Sis (chef
du Service à l'époque de nos aïeux) avait caché toutes les archives lorsqu'il
avait disparu de la circulation au moment des événements des années
soixante. Archives qu'aucun membre du Service n'avait retrouvées depuis !
Nous sommes rentrés à Mont-Thauban pour interroger mon grandpère. Son frère jumeau et lui étaient gardes du corps de Sis à l'époque de ces
événements.
Il nous a tous édifiés en nous apprenant que Sis avait dérobé un tiers
des archives du Service, certaines archives du Conseil et une dizaine de livres
dans la salle secrète de la bibliothèque du Conseil, livres qu'il ne fallait «
surtout pas regarder » – sans doute liés au culte donc. De plus, il avait
embarqué une bonne part du trésor du Service : entre quinze et trente
millions de xolts en lettres de change et pièces d'or. C'est sûr qu'en ayant fait
main basse sur un tel trésor, als Karazif avait de quoi financer ses plans les
plus fous !
Grand-père nous a appris que Sis s'était suicidé en 1069, cinq ans après
la mort de Lorna... Ragnaröeker, la femme qu'il aimait – et qui avait remis
Tueuse à mon arrière-grand-mère.
Nous avons ensuite fait d'autres découvertes extraordinaires – dont je
ne parlerai pas29 – qui nous ont conduits à faire un petit tour dans le monde
gris.
Là, nous avons rencontré les trois dernières émanations de Xiurhn :
Baoht Z'uqqa-Mogg – qui nous a affirmé : Je suis celui qui amène la Pestilence et
je vous attendais –, Aphoom-Zhah – Ah, tu les as trouvé mon frère ! – et Gol93
Goroth – Enfin, je retrouve ces voleurs ! Bref, le combat a été rude bien que Ioghi
se soit transformé en jeune dragon d'or. D'ailleurs, lui et moi avons fini
pétrifiés.
Nous craignons fort de tomber sur Xiurhn, en personne et en colère, la
prochaine fois...
Aujourd'hui, nous avons pas mal de choses personnelles à faire, en plus
du voyage dans le plan où se trouve la troisième planque d'als Karazif. Et il y
a une réunion du Conseil des Sept en début d'après-midi.
•••
Port-Ker, le 13 Mouton 1111
Nous sommes en début de soirée et il règne ici une ambiance de fin du
monde. Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour contrecarrer les
plans d'als Karazif mais je crains que cela n'ait pas suffit.
La Première nous a envoyés à sa dernière planque, celle située sur un
autre plan. Il s'agit d'une tour d'une dizaine de mètres de diamètre, haute de
plusieurs étages, située dans un paysage bucolique où nous n'avons vu aucune
trace humaine. Nous y avons découvert, comme prévu, les archives et une
bonne partie du trésor du Service dérobés par Sis. Mais rien d'autre. Nous
espérions pourtant y trouver le coeur d'als Karazif.
Nous avons réfléchi au moyen qu'il avait employé pour se rendre à cet
endroit et nous avons fini par comprendre que la pierre qui remplaçait son
coeur permettait d'ouvrir un portail durant quelques secondes, portail
débouchant au pied de son lit, dans la chambre de la tour. Le mot de
commande est étrange : schrouklaminy...
Nous avons continué à nous triturer les méninges pour découvrir quels
plans foireux allaient se révéler cette nuit. Nous en avons contré un : des
invocations programmées d'émanations de dieux anciens. Je passe les détails
mais, grâce aux rituels en notre possession, nous avons réussi à en dissiper un
certain nombre durant les deux derniers jours.
- À Port-Ker, dans le hall de la Maison du Conseil : Cthugha, la Flamme
vivante, le Dévoreur ; émanation de Nyarlathotep.
- À la Commanderie du Pommier : Y'hkmaat, Reine des Mille Yeux ;
émanation de Shub Niggurath.
- À la Commanderie d'Ozir : Zystulzhemgni, Matriarche des Essaims ;
émanation de Shub Niggurath. C'est la seule dissipation qui a mal fonctionné.
Y'hkmaat est apparue devant nous, masse immonde, pulsante et pustuleuse,
de laquelle des milliers d'insectes sont sortis par des espèces d'alvéoles pour
piquer tous ceux qui se trouvaient là. Une horreur... qui ne nuira plus jamais.
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Bien entendu, les armes n'étaient d'aucune utilité contre ça. Visiblement, als
Karazif a bien adapté ses invocations aux moyens de défense de ses victimes.
- À la caserne d'Helvellyn : Zothr', le Sanglier destructeur ; émanation de
Shub Niggurath.
- À Eorlagh : Othum ; émanation de Shub Niggurath.
- Au Bout du Monde : Q'yth-Az ; émanation de Shub Niggurath.
- En Scyldie, nous n'avons effectué que deux détections au palais qui n'ont
rien donné. Le résultat a été plus satisfaisant au camp de l'infanterie royale
hébergeant huit à neuf mille hommes : Tulzscha, la Flamme verte ; émanation
de Shub Niggurath.
- À Rônir, dans le bâtiment de l'état major de la cavalerie : Zhar, l'Obscénité
Jumelle ; émanation de Shub Niggurath.
Il est impossible de connaître l'emplacement des trois légions
gefniennes. Nous espérons qu'elles ont bien été prévenues et vont évacuer les
lieux. Mais il y a fort à craindre que les trois dernières émanations de ShubNiggurath ne leur ait été réservées et qu'elles se mettent à se balader dans la
nature...
Et il y a tous les endroits auxquels nous n'avons pas pensé, ou rien
trouvé...
Nous avons passé la nuit dernière à Mon Repos. À notre réveil, Silva
était très nerveuse. Elle avait perçu durant notre sommeil des phénomènes
étranges dans les collines : courants d'air bizarres, hurlements de canidés...
Nous avons foncé à Fontfroide et à Mont Thauban où personne n'avait
rien remarqué. Nous sommes partis inspecter les collines où nous avons
rencontré Lars, puis un lycanthrope. Tous deux étaient aussi perturbés et
oppressés que Silva. Nous avons ensuite découvert plusieurs troupeaux
d'animaux morts, en tout environ cent vingt moutons et une trentaine de
chèvres. Tous les corps étaient tailladés, comme par des lames géantes.
Visiblement, il s'agit d'un acte purement gratuit puisqu'aucun animal n'a été
dévoré. Quelle sorte de créature est capable d'une telle horreur et dans quel
but, tout ça sans laisser de traces ? Il paraît que des massacres identiques ont
eu lieu dans les environs de Rônir et de Scyld.
Depuis la fin de la matinée, les gens des collines sont évacués sur PortKer et logés tant bien que mal dans les entrepôts de la Guilde. Ioghi a pu y
voir sa famille.
Ne voulant pas laisser les chevaux de Fontfroide abandonnés à je ne
sais quelle abomination, nous sommes allés voir Maître Zattara – qui a refusé
d'évacuer sa propriété. Il a accepté de les héberger dans son immense parc
clos de murs. Le reste de l'après-midi a donc été fort occupé. Ma famille, celle
d'Arnem et les habitants de la Pique du Soir ont rejoint également la tribu
Zattara, avec des chariots de nourriture et d'armes.
95
Durant un voyage par le monde gris, nous sommes retombés sur
l'étrange petit bonhomme vert qui m'avait collé des yeux derrière la tête. Nous
avons pris grand soin de ne pas proférer d'absurdités qu'il aurait pu rendre
réelles. Il m'a, cette fois, donné un « emporte-malheur » : une pièce portant
une croix d'un côté et un visage de l'autre. J'ai la curieuse impression qu'il
risque de nous être fort utile.
À Port-Ker, tout est sous surveillance : terre, mer et ciel.
Les Sept, Madame, Melkarth, Le Premier Voleur et la Béquille étaient
réunis à la maison du Conseil, sous la protection de pas mal de Nordiques.
Nous leur avons suggéré une migration aux Mers du Sud : als Karazif a bien
dû se douter que tout ce beau linge se trouverait là et l'occasion est trop belle
pour qu'il n'ait pas mis en place une alternative à son invocation d'émanation.
Il ne reste plus qu'à attendre mais la nuit risque d'être longue.
•••
Fort-Ragnelf, le 14 Mouton 1111
Eh ben voilà, c'est fini... pour le moment du moins.
La nuit du 13 a été très chaude et, pour nous, interminable.
Tout d'abord, une noirceur d'environ un kilomètre carré a avancé sur
Port-Ker telle une nappe de brouillard maléfique, tuant tout sur son passage.
Nous avons appris plus tard qu'il s'agissait d'une émanation de Nyarlatothep.
Les mages en tapis volants l'ont bombardée de boules de feu et autres
joyeusetés pendant une bonne partie de la soirée. Nous n'avons pas pu assister
au spectacle complet car des hordes d'Écailleux, menées par Dagon en
personne, avaient déboulé sur les quais. Nous avons foncé.
Dagon m'a tuée et Sylla m'a ressuscitée. C'est très étrange comme
sensation...
Durant ce désagréable intermède, Arnem est venu à bout de Dagon30
qui, visiblement, était à la poursuite de Skuld et Malkus que nous avons
retrouvés en piteux état devant la Maison du Conseil. Ils arrivaient tout droit
du monde de Malkus d'où ils avaient réussi à ramener un bouquin relié de
cuir – tamponné de l'université de Miskatonic – contenant un rituel
permettant de renvoyer un Grand Ancien. Sur le coup, nous ne nous sommes
pas posé de questions et nous avons commencé à étudier le rituel qui devait
être réalisé avant la levée du jour.
Ce rituel peut être utilisé de deux manières, nécessitant toutes deux
trois heures d'incantation :
- la première permet de renvoyer un Grand Ancien d'un monde ; il faut
sacrifier six vierges.
96
- la seconde permet de renvoyer un Grand Ancien de tous les mondes ;
il faut se trouver à la Croisée des Mondes et là, pas besoin de sacrifices.
Une recherche à la bibliothèque nous a permis de découvrir qu'il
existait plusieurs Croisées des Mondes, dont une tour nommée « La Tour de
l'Aube » gardée par un objet au nom évocateur de « Porte-Fort ». D'après le
bouquin, ce Porte-Fort est une créature mythique gardant les objets de la
personne à laquelle elle est liée. Tout cela nous a fortement évoqué la tour
d'als Karazif : nous avions trouvé l'endroit où effectuer le rituel qui libérerait
tous les mondes de Shub-Niggurath pendant des siècles, voire plus.
Deux mots de commande sont nécessaires pour utiliser le Porte-Fort :
un pour ouvrir la porte, l'autre pour qu'il fasse son office de coffre-fort. Nous
ne les avions pas encore mais nous espérions bien les trouver, presque certains
que c'était à cette créature qu'als Karazif avait confié son coeur.
Nous avons foncé demander à Madame la pierre-coeur nous permettant
de nous rendre à la tour et nous avons effectué le rituel.
Malgré les trois heures d'incantation, nous sommes revenus à Port-Ker
une demi-heure à peine après notre départ.
Madame nous a appris qu'en Gefnie, les légions avaient été attaquées
par les émanations qui, visiblement, ont disparu dès le dernier mot du rituel
prononcé, preuve qu'il a parfaitement fonctionné. Elle nous a aussi expliqué
que Rônir et Scyld avaient eu droit aux mêmes noirceurs immenses que PortKer. D'après ses descriptions, nous avons compris que Iogha s'occupait de la
première pendant que Skuld et Malkus se chargeaient de la seconde.
Le premier bilan de la nuit dans la cité n'était pas réjouissant : plusieurs
centaines de morts – la moitié des gardes, presque toute la milice
shalimarienne, pas mal de Nordiques et des « civils ». Autour de la Guilde des
Marchands, une vingtaine de loups avaient taillé en pièces des centaines
d'Écailleux. Un quartier avait brûlé mais l'incendie avait été limité... grâce à
une pluie invoquée par Ioghi, pluie qui durerait jusqu'au lendemain.
Peu après notre retour, une pièce arrivée de nulle part est tombée
devant nous, tournoyant sur sa tranche. Nous l'avons récupérée. Elle portait
un visage sur une face et un trèfle à quatre feuilles sur l'autre. Nous nous
sommes instantanément retrouvés dans le monde gris, devant le petit
bonhomme vert. « La nuit, n'est pas finie », nous a-t-il annoncé avant de nous
demander un service, service qui s'est avéré tuer Xiurhn dans son pays. Il a
essayé de nous faire croire que ça nous rendrait également service mais nous
n'en sommes pas sûrs du tout. D'après nos connaissances, un Xiurhn mort
chez lui n'empêche pas un Xiurhn vivant dans le Kersh...
97
Ce petit bonhomme ne nous a pas donné son nom mais il a daigné nous
expliquer qu'il était le « pendant » de Iogha : « le Hasard ». Et qu'il aimait
tricher...
Enfin bref, il ne faut pas toujours contrarier les dieux et nous avons
accepté. Il nous a fait débarquer dans des collines situées près de la mer, dans
un endroit sauvage et magnifique31. Et nous avons tué Xiurhn, une espèce de
chat noir géant à poils ras.
De retour dans le monde gris, le petit bonhomme vert nous a donné à
chacun une pièce porte-bonheur arborant son portrait d'un côté et un symbole
compliqué de l'autre. J'ai tendance à croire qu'il ne s'est pas fichu de nous.
Nous en avons profité pour lui demander des précisions sur son emportemalheur : il est puissant mais ne sert qu'une fois. Visiblement, si j'avais
souhaité ne pas mourir en attaquant Dagon, ça aurait marché...
De retour à Port-Ker, nous sommes passés aux nouvelles. Deux loups
ont fait irruption dans le bureau de Madame : Silva et un nouvel ami
lycanthrope32.
Aucune nouvelle catastrophe n'étant survenue durant notre – très brève
absence –, nous sommes retournés à la Tour de l'Aube fouiller les Archives
que le Service n'a pas encore déménagées.
Nous avons fini par découvrir un manuscrit nommé « Le pivot de
l'univers », décrivant la tour et le Porte-Fort. Sur un petit papier glissé entre
les pages, Sis avait écrit deux mots à l'encre rouge. Mon arrière-grand-mère
avait raison : cet homme-là était vraiment trop fort !
Bien sûr, les mots ont fonctionné. Le premier sert à ouvrir la porte, le
second à vider le coffre.
Nous y avons trouvé deux dés, un ruban bleu fané, trois carottes, une
clé, une chaussette sans fond, un pot de graisse, un sceptre et... un coeur qui
battait.
Nous avons récupéré le coeur et les dés ainsi que la chaussette et le pot
de graisse dont nous croyons connaître les propriétaires33...
Ioghi a identifié les carottes comme étant « les carottes de l'universelle
sapience » et Arnem a affirmé que les dés étaient pipés.
De retour à Port-Ker, nous avons demandé à voir Dana, la Première
Fille de la Lune qui, durant cette période troublée, dispose d'un bureau à la
Maison du Conseil. Elle a confirmé que le coeur était bien ce que nous
espérions et Ioghi l'a désintégré. Normalement, als Karazif est maintenant
définitivement hors d'état de nuire.
Nous sommes descendus boire une bière, assez satisfaits de notre nuit :
deux dieux tués, un troisième renvoyé de tous les mondes et le coeur d'als
Karazif détruit.
98
C'est alors qu'un gamin est venu nous annoncer qu'une quinzaine
d'étrangers demandait à voir : « L'Intelligence » – nous avons eu du mal à
comprendre qu'il parlait d'Arnem, mais nous avons procédé par élimination
car « La Magie qui Explose » ne pouvait être que Ioghi et « L'acier qui
Tranche » Anya et moi. Sylla et Silva n'étaient pas demandées.
Notre petit dieu tout vert nous avait envoyé – un peu tard – une garde
rapprochée de quinze Irlandais, des guerriers de son pays, presque aussi
costauds que les Nordiques, presque plus primaires et très sympathiques.
Nous avons ainsi appris que ce petit bonhomme, qu'ils appellent parfois « Le
Joueur » est le dieu d'Irlande et que, dans ce pays, des peuples bizarres et
mauvais vivent sous terre.
Bref, nos nouveaux compagnons étant assez mal à l'aise en ville, nous
sommes tous partis pour Fort Zattara où le début de nuit avait été très calme.
Après un repos somme toute bien mérité, nous sommes retournés à la
Maison du Conseil : nous avions rendez-vous à midi avec Jenk, le chef des
lycanthropes – que Poil Soyeux, le nouvel ami de Silva, n'apprécie pas du
tout.
Le voyage par le monde gris s'est déroulé sans problème. Il faut dire
que celui qui aurait voulu attaquer notre garde irlandaise, la garde nordique
de Madame et la Première, Poil Soyeux et nous aurait été assez mal avisé.
J'ai insisté pour que Dent d'Ours assiste à la réunion et je suis partie le
chercher. Puis nous avons laissé tout le monde se débrouiller avec cette
histoire et nous avons papoté avec nos Irlandais en buvant de la bière.
•••
Les vacances
Le calme était revenu et nous n'avions plus rien d'urgent à faire. Nous
avons décidé de prendre des vacances. Si des problèmes nouveaux surgissent
« on » saura bien nous trouver...
Nous sommes donc partis avec nos nouveaux amis à Fort Ragnelf,
décidés à leur faire goûter la bière naine et à leur offrir des armes.
•••
Mon Repos, le 22 du Mouton 1111
Une fois nos petites affaires terminées, nous sommes rentrés à PortKer... après un petit détour en Irlande ! Il y avait longtemps que nous
n'avions pas eu ce genre de problème d'orientation.
99
Nous nous sommes retrouvés dans un boyau souterrain – impossible à
quitter – débouchant dans la caverne d'un énorme dragon très mauvais. Après
deux langues de feu dévastatrices, nous avons pris nos jambes à nos cous. Les
Irlandais ont bien failli y rester.
Après un passage dans un boyau joliment décoré de niches abritant des
crânes humains et de symboles étranges, nous avons débarqué dans une
grande caverne. Nous avons réussi à regagner la surface mais Ioghi, qui avait
crié dans un élan d'enthousiasme après avoir trouvé la sortie, avait fait
rappliquer des centaines de créatures d'en bas. Nous n'avons pas attendu de
les voir pour regagner le monde gris mais, d'après nos compagnons Irlandais
certains d'être dans leur pays, il s'agit d'humanoïdes de la taille des nains,
noirs de peau et très moches.
Nous avons rendu visite à toutes nos familles. Rien ne s'était passé dans
la forêt Dakoté. Tout le monde avait regagné Mont-Thauban, Üplend et Les
Trois Tonneaux de Blés. La vie reprenait son cours normal.
Nous sommes rentrés à Mon Repos.
Le lendemain, nous avons reçu la visite de Iogha qui venait récupérer
nos guerriers irlandais – qui, au passage, connaissent les lycanthropes mais
n'ont jamais entendu parler de vampires.
Nous avons discuté de choses et d'autres : de l'ancêtre nain d'Arnem34,
du Porte-Fort, de la chaussette et des dés – qui appartiennent aussi à Iogha.
C'est d'ailleurs avec eux qu'il a gagné le clan Ragnaroëker en trichant contre
Skuld.... Il ne connaît ni la Tour de l'Aube, ni le Porte-Fort
Deux choses cependant nous turlupinent. Je lui ai parlé de l'attitude
étrange de Skuld abandonnant les och Eorlagh à la malédiction d'als Karazif.
Il a reconnu que ce n'était pas son genre, il va se renseigner. L'autre problème
est la mort de Dagon. S'il poursuivait Skuld et Malkus depuis La Mérique,
c'est normalement le Dagon de là-bas qui a été tué à Port-Ker, ce qui laisse
supposer que le Dagon du Kersh est toujours en vie. Mais comment peut-il y
avoir deux Dagons en même temps ? Bref, nous sommes partis dans des
élucubrations auxquelles je n'ai rien compris et qui n'ont rien solutionné.
Depuis, nous profitons de ce début d'automne : balades à cheval ou en
bateau, baignades, dîners sur la plage.
Nous avons aussi acheté quelques bizarreries plus ou moins utiles chez
Myrelle ainsi que quatre livres. Sans doute les a-t-elle découvert dans un
vieux coffre en cherchant pour nous le rituel de révocation... qu'elle nous a
fièrement proposé dès notre entrée au Démon de Midi. Un peu tard !
Deux de ces bouquins n'ont aucun intérêt. Par contre, nous sommes
maintenant les heureux possesseurs d'un « Compendium encyclopédique des
Grands Anciens, de leurs cultes et de tout ce qui y est relié » d'environ deux
100
mille pages. Nous ne l'avons pas encore épluché en détail mais tout ce que
nous y avons lu est parfaitement exact. Il comprend même des noms
d'invocations dont nous n'avions pas encore connaissance.
Le deuxième livre intéressant, sans rapport avec les Grands Anciens, se
nomme « Tentative d'histoire du chamanisme dans le Kersh ». Il traite de la
magie pratiquée par les gnomes et de leur alphabet runique qui pourrait très
bien être l'ancêtre de l'alphabet nordique35. J'avoue que je suis assez fascinée
d'autant plus que, parmi mes emplettes chez Myrelle, j'ai acheté deux
morceaux d'écorces de saule, magiques, portant des runes identiques. L'une –
testée – permet d'éviter la noyade, l'autre empêche le gibier de sentir le
chasseur. J'aimerais fortement approfondir le sujet. Si nos vacances ne sont
pas interrompues...36
•••
Mon Repos, le 24 Mouton 1111
Ces deux derniers jours ont été un peu particuliers. Nous avons effectué
quelques recherches sur les gnomes et avons découvert qu'il n'en existait plus
que deux au monde, avec une espérance de vie d'une dizaine d'années. Nous
avons été envahis d'une immense tristesse. Comment est-il possible d'imaginer
la fin d'une race ?37
Nous avons également dit adieu à une femme remarquable qui n'avait
plus que quelques heures à vivre : Sarrat och Eorlagh, la vieille barde. Sa
mort nous a montré jusqu'où pouvaient aller les pouvoirs de Iogha. Une chose
est sûre, je lancerai un bouquet à la mer tous les 23 du Mouton, en souvenir
d'elle.38/39
Côté politique, il y a du rififi chez les vampires. Luw a décidé que Silva
serait maintenant la « Maîtresse » de toute la nation vampire... et des
lycanthropes ! Comme nous sommes assez désoeuvrés, nous l'avons
accompagnée à Shalimar où quelques individus semblaient rebelles à son
intronisation. J'ai affronté le plus virulent et l'ai tué en trois coups de
Souffleuse. C'est fou comme tout est rapidement rentré dans l'ordre. Mais là
aussi, l'impression est étrange. Comment ai-je pu moi, du haut de mes dixneuf ans, détruire un être qui avait plus de dix mille ans ?
Là-bas, Silva a également « saigné un accord » – comme l'a joliment
souligé Ioghi – avec les lycanthropes : après avoir démembré leur chef de file
récalcitrant, elle s'est très bien entendue avec son remplaçant qui se fait
appeler « Le Guide ». Il faut dire qu'il partage notre point de vue à tous : la
nécessaire bonne entente de toutes les races du Kersh.
De retour sur le Continent, elle a aussi calmé Jenk qui abandonne son
rôle de chef et va faire une « retraite » avec Dent d'Ours.
101
À part ça, nous avons rencontré le petit dieu d'Irlande qui maintenant
nous doit un service...40
•••
Le Piétineur du Destin
Mon Repos, le 30 Mouton 1111
Nous venons de vivre des événements terrifiants qui remettent en cause
toute notre perception de l'Histoire...
Tout a commencé par un dossier du Service concernant son enquête sur
les grands maîtres possibles des sectes. Les plus forts soupçons – quasi des
certitudes en fait – pèsent sur quatre individus :
- Saratak als Kizyn, mage port-kérien du douzième échelon – que nous
venons d'exécuter sans état d'âme,
- Zic Trousk, professeur remplaçant à l'Université de Scyld,
- Tor Kithan, riche boulanger gefnien,
- le baron dan Veolia, noble rônirien sans terre, gigolo au quotidien.
Melkarth va se charger de faire passer l'arme à gauche aux trois
derniers dans les jours qui viennent.
Tout avait été fouillé chez als Kizyn, visiblement adorateur d'Azathoth,
excepté sa cave. Nous avons donc décidé de nous y rendre par le monde gris
puisque nous ne connaissions pas l'endroit. Mal nous en a pris...
Nous avons tous, sauf Anya, ressenti une impression étrange, comme
une présence intangible. Soudain, notre amie n'était plus avec nous. Nous
avons décidé de rentrer à Mon Repos.
La maison était tout à fait normale excepté que nos derniers achats chez
Myrelle avaient disparu. Anya n'était pas là. Et Sylla, paniquée, se cognait
partout. Elle avait perdu ses pouvoirs et son contact avec Vallinouë.
Quelqu'un a toqué à la porte. C'était un sale bonhomme, une clochette
dans une main et un sac dans l'autre, qui venait quêter une obole pour ShubNiggurath. Il puait le mal à plein nez et je n'ai pas réfléchi plus avant : je lui ai
tranché la tête. Nous avons trouvé une cinquantaine de xolts dans son sac, des
xolts neufs portant le symbole de Shub-Niggurath sur l'une de leurs faces.
Nous étions totalement déconcertés lorsqu'Anya a débarqué de nulle
part. Elle s'était retrouvée seule dans le monde gris et était elle aussi rentrée à
la maison, la bonne... Elle avait réussi à contacter son père qui, après un
entretien avec quelques-uns de ses frères, lui avait annoncé que nous étions
102
dans un autre monde dont il était impossible de nous « tirer ». Par contre, il
était possible de l'y « pousser » pour nous rejoindre... ce qu'il avait fait illico.
Bien que la soirée soit déjà un peu avancée, nous avons enfourché nos
chevaux pour aller faire un tour, en commençant par les Trois Tonneaux de
Blé qui se trouvaient sur notre route. Tout y était normal excepté un grand
symbole de Shub-Niggurath accroché derrière le comptoir, obligatoire depuis
« les événements ». Événements de la nuit du treize du Mouton depuis
lesquels la famille de Ioghi ne nous avait pas revus – alors que nous étions
passés vers le quinze. Son oncle nous a raconté des choses horribles, la prise
de pouvoir d'un certain als Kizyn, maintenant Premier Conseiller, et la mort
de tout plein de gens importants.
Nous avons foncé à Port-Ker. Place des Épices, une soixante de corps
étaient empalés dont la Première, le Deuxième Conseiller, Madame, le
Premier Voleur, Sacha Zattara...
Un panneau « fermeture définitive » était accroché à la porte du Démon
de Midi.
La famille d'Arnem nous a fourni des précisions. La nuit du treize, tout
s'est passé comme nous l'avions vécu : les Écailleux, Dagon, les nuées noires
de Nyarlathotep, Skuld et Malkus. Par contre, une horde de créatures
démoniaques avait déferlé des collines le quatorze au matin. Les combats
avaient duré une bonne partie de la journée. En fin d'après-midi, als Kizyn
avait décrété que les autorités étaient incompétentes à gérer la crise. Il avait
donné l'assaut à la Maison du Conseil à la tête d'une armée d'humains et de
créatures maléfiques. Le quinze au matin, les pals avaient été dressés sur la
place et als Kizyn s'était promu Premier Conseiller. Depuis, le culte de ShubNiggurath était instauré et des prêcheurs haranguaient la foule tous les jours
devant les corps mutilés.
Nous avons foncé à Mont Thauban. Grand-Mère était seule, le reste de
ma famille avait suivi Grand-Père pour défendre Port-Ker. Tous étaient
morts. Nous avons emmené Grand-Mère à Fontfroide.
Je ne vais pas raconter l'état de choc dans lequel nous étions, l'effroi,
l'incompréhension totale. C'était comme un cauchemar dont nous ne pouvions
pas nous réveiller.
Même si je n'en ai pas parlé dans ce journal, j'avais raconté à mes
compagnons ma rencontre avec un très vieux vampire dont je connais
maintenant le nom : Ismaël. Je savais que ses pouvoirs étaient équivalents à
ceux de nos dieux – que nous ne pouvions pas contacter. Et pour cause...
Dans le Puits d'Ephraïm, Luw nous a confirmé qu'il ne nous avait pas
vus depuis la nuit du treize et que les récents événements que nous avions
vécus à Shalimar n'avaient pas eu lieu. Le fait que j'aie connaissance de
l'existence d'Ismaël l'a convaincu que quelque chose ne tournait pas rond. Il
103
nous a emmenés le voir. Bien sûr, il ne m'avait jamais rencontrée mais, lorsque
je lui ai parlé de certaines choses qu'il m'avait racontées, il a compris le
problème. Il a essayé de contacter Iogha sans succès. Nos dieux n'étaient plus
là. Et nous étions une aberration dans cette Histoire. Visiblement, dans celleci, nous avions raté notre révocation de Shub-Niggurath. Nous n'étions pas
dans un monde parallèle, nous étions dans le seul Kersh existant. Celui dans
lequel nous avions vécu depuis le treize du Mouton semblait ne jamais avoir
existé. Ismaël était prêt à nous aider car ce Kersh-là ne lui convenait pas plus
qu'à nous mais il n'avait aucune idée de ce qu'il était possible de faire.
Nous sommes allés au Démon de Midi, espérant trouver une ébauche
d'explication dans le Compendium qu'ici nous n'avions pas acheté. Ioghi a
essayé de contacter Jon pour qu'il nous autorise à entrer. Il est arrivé sur le
champ et nous a fait pénétrer dans la boutique. Nous lui avons raconté notre
histoire. Il a confirmé qu'ici, Shub-Niggurath avait tué tous nos dieux...
Il nous fallait trouver le moyen de revenir à l'Histoire normale, c'est-àdire de retourner au moment exact où nous avions perçu cette présence
intangible dans le monde gris. Jon ne pouvait pas interférer pour des raisons
propres à ceux de sa race. Par contre, il avait la possibilité d'en donner le
moyen à Ioghi. Cela impliquait pour notre jeune compagnon de sacrifier
quelques années de sa vie. De perdre la fin de son enfance. En fait, d'en
passer par où en était passé Jon autrefois. Ioghi a accepté, il est parti avec
Jon. Ils devaient revenir après quelques mois pour eux, un petit quart d'heure
pour nous.
Durant leur absence nous avons découvert dans le Compendium le nom
d'une émanation de Yog-Sothoth qui pouvait bien nous avoir joué ce tour
pendable : Othuyeg, le Piétineur du Destin.
Lorsque Jon et Ioghi sont revenus, notre jeune ami avait l'apparence
d'un garçon de seize ans et la mentalité de quelqu'un de bien plus âgé. Notre
petit ensorceleur espiègle et insouciant avait disparu à jamais pour laisser la
place à un jeune homme posé. Qu'il soit obligé d'en passer par là pour avoir
une chance de rendre à l'Histoire son cours normal m'a bouleversée.
Nous avons ensuite réfléchi au moyen d'utiliser cette nouvelle puissance
de Ioghi. Sa formation éclair avec Jon lui avait donné la capacité de remonter
au moment fatidique où tout avait basculé. Là, il ne lui restait plus qu'à utiliser
l'emporte-malheur de notre lutin vert pour éviter la rencontre avec Othuyeg,
si c'était bien de lui qu'il s'agissait.
Ioghi a dû absorber la plupart de notre énergie pour réussir ce miracle
mais tout a fonctionné parfaitement. Nous sommes rentrés dans notre Histoire
au moment précis où nous l'avions quittée.
Il nous a fallu trois jours de repos complet pour récupérer.
104
Ce matin, nous avons rendu visite à Madame et j'ai pleuré en voyant
Pallig.
Madame n'a pas douté un instant de notre histoire et a été envahie
d'une rage froide. Lorsque nous lui avons fait part de notre décision d'aller
régler son compte à als Kizyn, elle a décidé de nous accompagner avec
quelques-uns de ses gardes nordiques et certains gars de La Béquille.
Anya et moi avons tué le mage froidement, ayant encore en tête la vision
terrifiante de ce qu'il aurait été capable de faire.
Dans sa cave, trois corps de jeunes filles éventrées étaient accrochés à
des crocs de bouchers, près d'un pentacle et d'un brasero.
Voilà. Tout est rentré dans l'ordre. Mais à quel prix pour Ioghi... Et
nous savons maintenant que tous nos dieux peuvent être anéantis par un coup
de patte dédaigneux d'un Grand Ancien en colère. Nous savons aussi que
nous allons dorénavant éviter de voyager par le monde gris qui semble
devenir de plus en plus risqué...41
105
Notes
J'ai décidé d'ajouter ces notes lorsque mon journal d'investigation n'a
plus eu de raisons d'exister. En effet, nous avons réuni suffisamment de
documentation pour satisfaire la curiosité d'éventuels futurs investigateurs.
Personne n'ayant dorénavant de raisons de le lire, je peux donc dévoiler ici
certaines précisions qui sont parfois confidentielles.
Les passages en écriture penchée sont extraits des mémoires de mon
arrière-grand-mère.
1
Kès, le Chef du Protocole, bien sûr, titre officiel du chef des services secrets
de Port-Ker.
2
Une autre explication à ce « miracle » nous est apparue bien plus tard...
3
Durant cette malheureuse visite, nous avons dû lutter contre un grand mortvivant qui protégeait la dépouille de Raÿanne. Cette grande nécromancienne
avait réussi, grâce à l'un de ses sortilèges, à garder auprès d'elle pour l'éternité
son fidèle garde du corps, Aziz. Et nous l'avons tué. Paix à ses os aussi, et que
tous deux nous pardonnent !
4
Melkarth était – est peut-être encore, je ne sais pas – l'un des assassins du
Service. Sa longévité exceptionnelle s'explique par le fait qu'il ait une part de
sang de dragon.
5
En fait, je n'ai pas retrouvé un extrait précis, mais plusieurs brefs passages.
Le premier transcrivait les paroles d'un vieux chaman khircasien après
un voyage dans « le pays des rêves » : « Celui qui marche sur les Vents est votre
ennemi. C'est un mauvais esprit qui veut voler vos âmes. Il est parti en chasse et vous êtes
son gibier... » Nos ancêtres en avaient déduit qu'il s'agissait de Gulzar, un être
ignoble qu'ils ont réussi à détruire plus tard. Enfin, a priori...
Le second passage résumait les paroles d'un autre chaman, rencontré
dans un autre monde. Il a « arpenté les rêves », puis... « En frissonnant, il a aussi
affirmé qu'il avait perçu la présence du Wendigo, autrement nommé Celui qui marche sur
les Vents. Le vieux chaman nous a précisé – mais nous le savions déjà ! – que c'était un
esprit mauvais. Il volait les âmes. »
Le premier chaman a également évoqué l'autre Marcheurs des Vents et nos
ancêtres ont supposé qu'il s'agissait d'Ozymandis. Ozymandis et Gulzar ont
fourni le titre des mémoires de mon arrière-grand-mère : Ceux qui viennent
d'Ailleurs.
6
Un autre nom de Gulzar.
106
7
Lorsque nos ancêtres ont affronté Gulzar dans sa demeure de pierre, ils ont «
visité une salle à manger dont la double porte d'entrée était sculptée d'un personnage, en
robe, affublé d'une tête de pieuvre », « été attaqués par sept créatures humanoïdes à têtes
de pieuvres, vivantes images à écailles de la statue de la veille » puis par « trois créatures
aux visages tentaculaires, beaucoup plus grandes que les précédentes (...) Gütveuc’h était
aux prises avec l’une des créatures qui – je l’ai constaté avec une horreur indicible – lui
avait enfoncé ses tentacules dans le crâne. Nim se trouvait dans la même situation
critique ».
8
Le Prince des vampires.
9
Malkus est un rital originaire de La Mérique, Marcus est son nom de
naissance. Il retourne souvent dans son monde où il dirige une agence de
voyages dans laquelle travaille Helen.
10
En fait, on peut se demander qui ne connaît pas Malkus !
11
« Il (Ozymandis) a tout de même fini par nous déclarer qu’il avait créé quelquesunes de ces portes autrefois. Il était certain que Gulzar avait fait de même. Il nous a
expliqué que cette opération nécessitait une colossale dépense d’énergie magique et qu’il
l’avait ressentie plusieurs fois. Il a ajouté que de telles créations étaient très dangereuses
pour l’équilibre du monde, qu’il ne fallait pas en effectuer à la légère. (...) Il nous a appris
que les portes fonctionnaient par paire, qu’elles ne communiquaient pas toutes entre elles,
que certains endroits étaient plus favorables que d’autres à leur bon fonctionnement. Tout
dépendait des « nœuds d’énergie »... Si elles étaient mal placées, il était possible de rentrer
par une porte et de ressortir par sa « sœur » avant le moment de l’entrée. Ou plusieurs
jours, voire plusieurs mois après. Ces portes dégageaient évidemment une magie très
puissante. »
12
D'ailleurs, Marteau des Justes pourrait tout à fait être le nom d'un escadron
du Fléau, même si les colts remplacent les masses ! Ce qui est somme toute
logique lorsque l'on sait que Zhôr était un ami de Jésus – le dieu ou presque
des humains de La Mérique – dont le nom était gravé dans la pierre de la
petite église...
13
Quelle surprise !
14
Il s'agit de :
- Franz et Arnulf : des mercenaires de la Neurope vivant au XVIème siècle de
leur calendrier (nous sommes allés dans La Mérique aux XXème et XXIème
siècles)
107
- Jim et Max : des membres des forces spéciales spatiales (si j'ai bien compris,
ils vivent sur une colonie de la Terre située dans les étoiles, en 2200 et des
brouettes (donc au XXIIIème siècle de leur calendrier)
- O’Flaherty et O’Flanagan : des inspecteurs de police (des chefs de gardes)
vivant à Nouillorque en 2007
- Geoffrey et sa famille : un bohémien originaire de l'Archipel du Rêve
- + nos amis ritaux
15
Dire qu'on s'y trouvait si peu de temps auparavant !
16
Jon, LE dragon du Kersh, dont l'existence n'est connue que de très peu de
personnes.
17
Décidément, cette phrase revient bien souvent dans ce journal ! Il est vrai
que nous étions souvent dépassés par l'énormité de nos découvertes sur le
monde... et le reste !
18
Don de Vallinouë qui protège Sylla et inflige de gros dégâts à ceux qui
l'approchent de trop près en lui voulant du mal.
19
Ces espèces de loups monstrueux créés par Gulzar.
20
« Je lui ai demandé s’il était un frère de Zhôr – bien qu’il ne ressemble pas du tout aux
soldats tirés à quatre épingles que le dieu helvellynien m’avait présentés comme tels.
- Non. Je suis un de ses « chiens de l’enfer ».
J’ai supposé qu’il s’agissait de combattants auxquels étaient dévolues des tâches
bien particulières mais je n’ai pas posé de questions de peur de vexer mon interlocuteur. »
21
Le capitaine de la Garde du Conseil.
22
Ephraïm al Zandor, maître vénéfice du Service depuis plus d'un siècle.
23
En fait, c'est un peu plus dérangeant que ça... Quelqu'un avait dit à Frère
Moineau, alias « Cruchon fêlé », quarante ans auparavant : « Quand ils
arrivent, tu me les amènes. » Encore des choses prévues bien avant notre
naissance !
24
Il s'agit de prêtres de Saroth. Nous avons effectivement eu l'immense
honneur d'assister à un conclave, dirigé par Dent d'Ours, réunissant plus
d'une centaine de prêtres sous leur forme animale. Merveilleux,
impressionnant, inimaginable !
108
25
Il est vrai que mon arrière-grand-mère parle très souvent du jardin
d'Ozymandis !
26
Madame remplace Kès à la tête du Service. Malgré son allure de bonne
mère de famille port-kérienne, elle est sacrément plus compétente !
27
Le chef du clan Ragnaroëker.
28
Il nous a assuré que l'un des membres du Conseil des Sept était
lycanthrope.
29
Grand-Père nous a appris que Sis avait souhaité être enterré avec certains
des livres et dossiers. Il a, avec bien du mal, accepté de nous conduire à sa
tombe – tombe dans laquelle il l'a lui-même couché pour l'éternité – et dont il
ne devait jamais dévoiler l'emplacement. Elle se trouve sur une charmante
petite île de la mer de Llyr de laquelle, par beau temps, il est possible de voir
la Commanderie du Pommier. Sur la pierre, quelques mots gravés par GrandPère :
« Ici repose un Gardien
Passant rappelle-toi et puis oublie »
Grand-Père nous a indiqué l'emplacement où il avait enterré un coffre
contenant les documents que Sis souhaitait voir disparaitre.
Les dossiers, très complets, concernent des gens que Sis souhaitait
certainement protéger :
- la famille al Zendar / al Zandor : celle d'Ephraïm, le maître vénéfice
- la famille Zattara
- la famille al Dioram / al Nadbh : Waril et son épouse Raÿanne (dont nous
avons profané la tombe)
- la famille als Syrtir dans les veines de laquelle coule du sang lycanthrope
depuis trois siècles et à laquelle appartient... le Deuxième Conseiller
- Melkarth
- un dossier très complet sur le Démon de Midi, Jon et Myrelle ainsi que des
spéculations techniques sur ce qu'elle est.
En annexe de ce dossier, une liste des gens qui, comme Ioghi, ont du sang
draconique. Son ancêtre demi-dragon est né il y a une quinzaine de
générations.
Nous avons gardé certains dossiers pour les remettre aux personnes
concernées.
Dans les livres, nous avons trouvé :
- un compendium de nécromancie comprenant les choses interdites et les sorts
à ne jamais utiliser
- un Lexique Ultime des Grands Anciens et de la façon d'éviter leur venue ou
de la favoriser (en langue du culte)
109
- un livre en rônirien tout bêtement nommé « Les Anciens »
- et, en langue du culte également, le Rituel de Révocation d'un Grand Ancien
qui renvoie chez sa mère n'importe quel Grand Ancien pour mille siècles.
Malheureusement, il manquait à ce recueil toutes les pages du milieu : celles
du rituel proprement dit.
Nous avons également découvert là la vraie Tueuse de Dieux, la dague
que je pensais avoir reconnue lorsque nous avons déposé le coeur d'Ahriman
dans la montagne des nains. Comment Sis s'est-il débrouillé pour la subtiliser
? Mystère... Mais quelle preuve supplémentaire de sa sagesse et de sa
clairvoyance ! Je suis désolée que Grand-Père ait eu à rompre son serment et
encore plus d'avoir perturbé la sérénité de ce lieu paisible. Mais je suis
certaine que Sis ne nous en voudrait pas : après tout, s'il n'a pas détruit tout ce
que nous avons trouvé, ça devait bien être dans l'espoir que cela servirait un
jour. Et ce jour était on ne peut plus arrivé !
30
Grâce à la Tueuse de Dieux qui a prouvé là son efficacité...
31
Nous avons ultérieurement appris qu'il s'agissait l'Irlande, un autre pays du
monde de Malkus.
32
Le Deuxième Conseiller. J'ai passé sous silence pas mal de rencontres et
d'histoires avec les lycanthropes car ce n'était pas l'objet de ce journal. Mais
tout se passe très bien avec eux et c'est tant mieux.
33
La chaussette appartient à Iogha et le pot de graisse à Malkus.
34
Nommé Gurdil. C'était il y a une vingtaine de générations.
35
L'ancienne race des gnomes pratiquait un chamanisme proche de la nature.
Leur magie se consacrait à trois domaines différents :
- la prévention des accidents,
- la chasse, la pêche et la cueillette,
- le monde des esprits : comment les appeler, discuter avec eux, aller les voir,
bref, comment vivre avec eux.
L'auteur du livre, écrit vers l'an 700, ne connaissait visiblement pas
l'existence du chamanisme khircasien, sinon il aurait pu faire quelques
parallèles intéressants.
Il a, par contre, collecté une bonne partie de l'alphabet runique des
gnomes en répertoriant huit cents runes, toutes reproduites dans le livre. Une
mine de savoir prodigieuse ! L'alphabet nordique ancien pourrait fort bien
découler de l'alphabet gnomique. Et l'alphabet nordique contemporain en est
encore très proche bien qu'il ne comporte plus que deux cents runes environ.
Il est donc envisageable que les gnomes – qui vivaient à l'ouest des montagnes
110
des nains, donc à l'est du pays nordique – aient transmis leur alphabet aux
barbares.
Note : les runes naines sont, elles aussi, très proches de l'alphabet gnomique.
Nous avons eu confirmation de tout ceci un peu plus tard.
36
En fait, Myrelle nous a laissés fouiller les six caves du Démon de Midi,
taillées dans la pierre, en arcades et très belles. Environ sept cents caisses en
bois, empilées jusqu'à deux mètres cinquante de haut, forment des allées
parmi lesquelles nous avons essayé de nous retrouver. C'est hallucinant ce que
nous avons trouvé ! Comme, par exemple, une caisse emplie de vêtements
jaunes, de toutes les matières, une autre de vêtements violets, une autre de
verts, une de perruques... Des morceaux de bois partageaient deux coffres
avec des feuilles mortes et des objets tressés, un coffre entier était réservé aux
écorces telles que celles que j'ai achetées. Trois caisses étaient pleines de
cailloux, une de bols en terre cuite, une de perles, une de clous, une de fers à
cheval, une de statuettes, pendentifs et objets à se mettre dans les cheveux,
une autre d'os, d'aiguilles et de têtes de harpons... Je passe sur les livres ! Et
je ne résiste pas au plaisir de parler du contenu d'une caisse emplie
d'ustensiles de cuisine magiques – qui ont réjoui Ioghi au plus haut point – tels
qu'une poêle qui cuit parfaitement et n'attache jamais, une fourchette sans fin
qui permet de manger indéfiniment d'un même plat, le couteau de la
tranchosité de Rhul qui coupe tout, la cuillère de l'ineffable bon goût qui
permet à une table d'être impeccablement dressée, la casserole rieuse qui fait
rire lorsqu'un ragoût y mijote, le chaudron d'abondance dans lequel il est
possible de faire cuire un sanglier entier, la cuit-envers qui touille à l'envers, la
pissette karamite, le cruchon sans fin... Des objets divers aux propriétés plus
ou moins utiles nous ont également fort amusés : la port-kérite (une sorte de
boussole indiquant toujours Port-Ker par le truchement d'un doigt levé d'un
mage couché), un oreiller qui fait rêver tant que personne ne réveille le
dormeur, un fer à cheval « du repos » qui empêche le cheval de dépasser le
pas, le clou de l'ultime inarrachabilité anti-voleur, l'oreiller de bonne santé du
grand mage Tarlaouif qui soigne mais provoque des cauchemars...
Nous aurions pu y passer des jours, mais Ioghi a fini par se lasser
d'identifier toutes ces choses improbables. Il n'empêche que le trésor de Jon
et Myrelle, accumulé depuis des siècles, est on ne peut plus impressionnant.
Et que nos mages doivent parfois abuser de certaines substances pour
atteindre un tel degré de loufoquerie !
37
Nous avons découvert l'un des derniers refuges des gnomes : une grotte
dans une colline perdue de Khircasie. De nombreuses peintures symboliques,
sentant la magie, recouvraient ses parois. Divers colliers et colifichets,
magiques également, étaient posés sur trois monticules oblongs élevés sur une
111
esplanade devant la grotte. Nous avions tous envie de pleurer pour ceux qui
reposaient là et avaient dû supporter de voir mourir leur peuple.
Nos aïeux avaient également découvert que les gnomes s'étaient
réfugiés en Khircasie après leur quasi éradication par les nains...
« C’étaient des propos récurrents chez lui* : les humains n’étaient que des imbéciles ! Et
les nains étaient parfois aussi crétins qu’eux, il n’y avait qu’à voir ce qu’ils avaient fait
aux gnomes. Qu’est-ce que c’était que ça ? Une vieille race quasiment disparue, éradiquée
par les nains. Décidément, il n’y avait pas une race pour rattraper l’autre. »
* Ozymandis
« Mais les gnomes, eux, étaient mourants. Le chaman* nous a raconté leur lente agonie.
Aucun enfant gnome n’avait vu le jour depuis des décennies et les rares survivants de leur
race s’éteignaient peu à peu. Il ne servait à rien d’aller les perturber. »
* khircasien
Les gnomes ont-ils transmis leur savoir aux chamans khircasien ou les
deux peuples possédaient-ils déjà ces mêmes connaissance ?
38
Nous sommes montés dans le Nord pour tenter d'obtenir plus
d'information sur nos nouvelles connaissances. Et nous en avons obtenu plus
que nous ne l'espérions.
Nous avons tout d'abord rencontré Ephronn, la barde du clan och
Eorlagh. Elle n'a rien pu nous apprendre sur les gnomes bien qu'elle
connaisse toutes leurs runes. Elle nous a expliqué qu'autrefois, certains
Nordiques pratiquaient une certaine forme de magie chamanique,
probablement interdite ultérieurement par Skuld. Et elle nous a témoigné une
immense confiance en nous confiant l'endroit de l'ultime retraite de leur vieille
barde : une cabane sur l'Île aux Phoques.
Nous avons trouvé Iogha et la vieille Sarrat, assis sur un banc devant
une cahute branlante balayé par les embruns et le sable, au pied d'une falaise.
Ils nous ont confirmé que les gnomes avaient bien enseigné aux Nordiques
leur chamanisme et leurs runes. Iogha a précisé que leurs alphabet se
composait de plus de mille runes et celui des nains d'environ cinq cents. Ils
n'avaient transmis aux Nordiques que les deux cents leur permettant de
pratiquer la magie. Il a aussi confirmé que mes écorces avaient bien été
enchantées par des gnomes, il y a environ quinze mille ans. Je crois que je ne
vais plus oser y toucher !
C'est lui aussi qui nous a expliqué que les sépultures découvertes en
Khircasie dataient d'une dizaine d'années et que seuls deux gnomes
survivaient encore.
Puis nous les avons laissés seuls, pour la dernière nuit de la vieille
femme.
Dans la soirée, une tempête d'une violence inouïe a commencé à faire
rage et nous n'avons eu aucun doute sur le fait qu'elle ravage la côte, de l'Île
112
aux Phoques jusqu'à Apakabar. Elle ne s'est calmée qu'à l'aube pour laisser la
place au plus merveilleux des levers de soleil que nous avions pu contempler.
Nous savions qu'il s'agissait là du dernier hommage rendu par Iogha à la
vieille barde et nous avons, une fois de plus, été estomaqués par l'ampleur de
son pouvoir.
39
De retour à Port-Ker, j'ai décidé d'acheter à Myrelle la caisse pleine
d'écorces de saules. Lorsque nous avons déplacé cette caisse, nous avons
découvert une trappe. Bien entendu, nous l'avons soulevée pour découvrir un
escalier de pierre descendant dans une pièce voûtée de six mètres de haut et
d'une centaine de mètres carrés. Pièce baignée par la douce lueur d'une
immense couche pleine de joyaux, d'or et de pierres précieuses : le lit de Jon !
40
Il faut dire que nous avons joué ce service aux dés et que nous avons utilisés
ceux de Iogha retrouvés dans le Porte-Fort...
41
La rédaction de ce journal prend fin ici, d'autres aventures ne faisaient que
commencer...
La Flamme du Sud
C'est le nom d'une nouvelle auberge chic qui vient d'ouvrir sur les quais
de Port-Ker. Elle est tenue par un frère et une soeur, tous deux très beaux,
nommés Séverin et Sirella. Ils ont laissé en garantie dans notre bijouterie de
superbes bijoux anciens d'une valeur d'environ 350 000 xolts, alors qu'ils
n'avaient besoin que du septième de cette somme.
Curieux, nous sommes aller dîner là-bas. Ils sentaient la magie et étaient
très fortement attirés par Ioghi.
En bref, nous avons réussi à gagner leur confiance et ils ont reconnu
être deux jeunes dragons d'or. Ils ont volé un oeuf de dragon – alors qu'ils
sont extrêmement rares –, crime impardonnable pour ceux qui les dirigent,
c'est-à-dire les Grands Anciens. D'ailleurs, ils fuient Azathoth, rien que ça !
Jon a accepté de prendre l'oeuf en charge : il devient donc son oeuf
duquel naîtra son successeur. Faut-il comprendre que son successeur
continuera de rêver son monde ? D'ailleurs, lui, rêve-t-il le même monde que
son vieux dragon de père ? J'essaierai d'obtenir une réponse, mais Jon n'est
pas très bavard !
L'équipe KERSH 02
Iogha nous a entraînés dans une nouvelle aberration qui risque bien de
durer des siècles... mais promet d'être assez fascinante.
113
Tout a commencé par notre arrivée dans un manoir, dans un lieu
inconnu et limité à un grand parc. C'est un centre de sélection pour des
personnes chargées, en gros, de mettre de l'ordre dans les mondes, sachant
que 99 % des problèmes sont liés aux Grands Anciens.
Nous avons été acceptés et dotés d'un disque métallique appelé badge
gravé d'un oeil dans un triangle (qui permet de nous identifier et de revenir au
manoir, je crois). Et nous venons d'accomplir notre première mission : à La
Nouvelle Orléans en 1885 (dans le monde de Malkus).
Toutes les équipes sont sous l'autorité d'un Comité Directeur composé
de Iogha, Odin et Zeus – deux dieux de la Terre.
Le « manoir » est géré par Monsieur Jules assisté de Mademoiselle
Iphigénie. Monsieur Aristide a la lourde charge du matériel et de l'entrepôt,
dirigé par un Néandertallien nommé Kazz – un drôle de bonhomme dont la
race est antérieure à celle des humains. Se trouvent là des milliers de costumes
de toutes tailles et de toutes époques, plus tous les objets usuels allant des
armes à la brosse à cheveux : un vrai bazar ! Et, bien sûr, aucune erreur ne
peut être commise...
Le manoir abrite aussi une énorme bibliothèque où les membres des
équipes peuvent se documenter sur l'époque dans laquelle ils doivent se
rendre. Mythologie, histoire, géographie, technologies... autant de sujets sur
lesquels il ne faut pas gaffer. Je pense que nous allons avoir du mal à ne pas
commettre d'impairs !
Un grand réfectoire propose également en permanence des mets
délicieux et toutes sortes de boissons – surtout toutes sortes de bières, qui
semble la boisson la plus répandue à travers les âges et les mondes ! – pour
tous les « voyageurs » de passage au manoir entre deux missions. C'est un lieu
de rencontre absolument formidable où nous avons déjà discuté avec pas mal
de gens étonnants.
Bien entendu, le manoir, vu de l'extérieur, ne donne pas l'impression de
pouvoir abriter tout ce que je viens de décrire plus les bureaux, les chambres
et tout le reste... Un manoir sans fond en quelque sorte.
Iogha nous a expliqué que les équipes étaient formées par 57 dieux, 18
demi-dieux officiels (?), 23 humains, 22 non humains et 1 542 « honorables
correspondants ». Il a ajouté que la « montre » de Monsieur Jules régnait sur
plus de 250 mondes...
Donc nous voilà nommés Équipe KERSH 02, Skuld, Malkus et Adhara
formant l'Équipe KERSH 01...
114
Tentative de compréhension de l'histoire du
Kersh... et du reste !
Tina Ragnaroëker
Ce document n'a d'autre but que de m'aider à réfléchir sur ma
connaissance du monde. Je vais donc compiler ici les renseignements tirés des
mémoires de mon arrière-grand-mère Jorus et les découvertes réalisées par
mes compagnons et moi-même au cours de l'année écoulée. Puis je vais tenter
d'en faire une synthèse qui, je l'espère, m'aidera à y voir plus clair. Ou du
moins me permettra de cerner les questions les plus fondamentales auxquelles
je n'ai pas de réponse...
Le monde
Déjà, ça commence mal ! Qu'est-ce que notre monde ? Quelle est son
origine ?
D'après le mage Kazem Sarayan, un monde est une planète appartenant
à un univers. Nous avons appris par ailleurs qu'une planète était un monde
sur lequel vivent parfois des gens.
Note : ne pas confondre une planète et une étoile. La seconde serait un soleil
(!) sur lequel il ferait trop chaud pour vivre.
Toujours d'après Maître Sarayan, il est théoriquement possible de
passer d'une planète à une autre située dans le même univers.
--> la Terre (le monde de Malkus) doit donc être une planète du même
univers que le Kersh puisqu'il est possible de nous y rendre. De même que
Mars dont nous ont parlé des hommes du futur de la planète de Malkus.
Note : un astronome scyldien nous a parlé de deux planètes qui
appartiendraient à notre univers et seraient assez proches de notre monde :
Tania et Faros.
D'où viennent les mondes ?
Eh bien, tout aussi étrange que cela puisse paraître, il semble que leur
existence soit parfois liée à celle de certains êtres, le nom de dragon revenant
dans la plupart des cas.
- L'Archipel du Rêve, le bien nommé, est censé être rêvé par des
dragons.
115
- Les chamans du désert du Mojave affirment que les mondes sont
rêvés, qu'ils naissent de l'imagination de certains êtres.
- Les chamans khircasiens affirment quant à eux que des « serpents ailés
» rêvent des mondes mais que tous les mondes ne sont pas rêvés. Ceux qui le
sont n'en sont pas moins réels jusqu'au réveil du dormeur. Ils pensent aussi
que certains mondes sont rêvés par des dieux anciens...
- Pour Torinus, un ancien Grand-Prêtre de Malkus, « le monde est
peut-être un dragon ou un dragon peut être le symbole du monde ».
- Quant à Iogha, il a affirmé que les dragons étaient des « ossatures » de
monde comme Gulzar et Ozymandis – qui, je le rappelle ici, sont des Grands
Anciens. Franchement, je n'ai pas envie d'imaginer Shub-Niggurath en «
ossature » de monde...
Notre source la plus sûre est bien entendu Jon qui a confirmé que
certains dragons rêvent des mondes et d'autres non.
Tout ceci ne signifie cependant pas que, pour exister, un monde doit
nécessairement être rêvé par un dragon.
Mon arrière-grand-mère raconte une expérience troublante, vécue
après l'absorption d'une tisane de Vallinouë...
Nous nous sommes retrouvés flottant dans… le ciel ? En tout cas, une infinité
noire, sans haut ni bas, pailletée d’une infinité de points lumineux. Les étoiles ?
Non… L’un de ces points s’est rapproché. C’était un colossal dragon d’or
endormi. Il est passé près de nous et a continué sa route. Un autre point,
beaucoup plus petit, avançait vers nous. C’était un petit dragon doré, lui aussi
endormi. Un gigantesque dragon gris, éveillé, veillait sur lui.
Lorsque nous avons repris nos esprits, Nim et Gütveuc’h étaient certains
d’avoir reconnu Petit Bonhomme. C’est vrai qu’il lui ressemblait et sans doute
n’avais-je pas voulu l’admettre. Si tel était le cas, le dragon gris était-il son père,
perdant son essence vitale en même temps que sa couleur ? Chaque point
lumineux était-il un dragon ? Et chaque dragon était-il un monde ? La tête me
tournait à cette idée à laquelle je n’avais jamais voulu croire.
Si chaque dragon « est » un monde, Jon est-il le Kersh, comme son père
avant lui ? Il a certes affirmé à nos ancêtres, en une période troublée, qu'il
rêvait pour notre monde. POUR, et pas DE. Et pas rien du tout d'ailleurs,
rêvait tout court.
J'avoue que si Jon rêvait notre monde, je ne comprends pas pourquoi il
n'a pas viré Shub-Niggurath. Et je ne comprends pas non plus comment le
Kersh continuerait d'exister lorsqu'il ne dort pas... En conséquence, je pense
que Jon ne rêve pas le Kersh, mais peut-être est-il lui-même rêvé par un
dragon rêvant le Kersh...
Que signifie « rêver pour notre monde » ? Un dragon peut-il influencer,
en rêvant, un monde qu'il ne rêve pas ? Peut-il influencer un monde rêvé par
un autre dragon ? Peut-il influencer un monde non rêvé ?
116
Conclusion : notre Kersh est donc une planète, appartenant à un
univers, peut-être rêvée par un dragon... ou un ancien dieu...
Les autres mondes
Là aussi, de nombreuses questions se posent. Tout d'abord, je vais
récapituler les différents mondes dont j'ai connaissance.
1- Le Kersh, bien sûr
2- La Terre
Nous connaissons ou avons entendu parler de différents endroits de ce
monde : la Mérique, la Laska, le désert du Mojave, la Neurope, le pays des
mercenaires romains, tout ça à des époques différentes, dans le passé ou le
futur.
3- L'Irlande
4- Mars
5- L'Archipel du Rêve
Il est constitué d'un nombre indéfini de mondes, chacun rêvé par un
dragon. Il existe deux moyens pour passer de l'un à l'autre : des « déchirures »
à sens uniques (des portes ?) et le Monde Gris. Les habitants de l'Archipel
capables de s'y rendre sont d'ailleurs nommés Marche-Rêves.
6- Le monde duquel sont originaires certains ancêtres d'Arnem
7- Le monde de Nim
8- Le monde d'origine de Gulzar, Ozymandis et les dragons
D'après Ozymandis, l'intelligence, la cruauté, la fourberie et la
méchanceté de sa race l'a détruit. Si sa race comprend tous les Grands
Anciens, ça ne m'étonne pas ! Mais sont-ils réellement tous originaires de
cette planète anéantie ? Et, si les dragons en sont également originaires,
peuvent-ils être considérés comme une espèce à part de dieux anciens ?
9- Le monde des démons
Un pays grisâtre et rocailleux, sans jour ni nuit.
10- Les plans des mages
11- Le Monde Gris ou Monde des Rêves, autrement nommé Monde
interstitiel
Éternel, sans temps et sans lieu. Il permet de passer d'un endroit à un
autre, sur le même monde ou sur des mondes différents. Toutes sortes de
créatures s'y promènent... y compris nous souvent.
Les chamans khircasiens y rencontrent les esprits qui protègent leurs
clans. Ils vont également y chercher des réponses en « arpentant les rêves ».
12- La Croisée des Mondes
En fait, il semble en exister au moins deux, ce qui paraît assez illogique.
Comment les mondes peuvent-ils se croiser en plusieurs endroits différents. Et
de toute façon, comment peuvent-ils se croiser tout court ?
117
En tout cas, celle que nous connaissons se nomme la Tour de l'Aube.
C'est une grande tour plantée au milieu d'un paysage idyllique, gardée par le
Porte-Fort, une créature étrange à la fois porte et coffre-fort.
La seconde serait un complexe labyrinthique souterrain sur lequel nous
n'avons aucune information.
Tous ces mondes sont-ils des planètes du même univers ? La réponse
théorique devrait être oui puisqu'il est possible de s'y rendre – excepté la
planète d'origine des Grands Anciens évidemment. Il paraît cependant
difficile de considérer le Monde Gris comme une planète : tout le monde y
passe mais personne n'y vit et rien n'y pousse. Pourrait-il être considéré
comme un grand téléporteur cosmique ? Mais alors, qu'est-ce que les esprits
des clans khircasiens fabriqueraient dans une telle machine ?
La Croisée des Mondes n'est pas censée être un monde non plus. Quant
aux plans des mages, je n'ai aucune idée de ce qu'ils peuvent être... Je devrais
demander à Ioghi de m'éclairer sur le sujet !
Et puis ces mondes, comment est-il possible de les visiter à des époques
différentes ? Nous sommes allés dans la Mérique à des périodes séparées par
un peu moins d'un siècle. Ozymandis a récupéré Malkus et Zhôr sur le même
monde à deux mille ans d'écart. Iogha a envoyé nos ancêtres quinze mille ans
dans le passé du Kersh et trente-cinq mille ans dans son futur. Les parents de
Malkus ont une soixantaine d'années alors qu'il a vingt mille ans... Qu'est-ce
que le temps ?
Bon, je m'éloigne de mon sujet initial... Je m'occuperai de ça un autre
jour !
Il existerait aussi deux sortes de mondes très particulières que je n'ai
pas encore abordées :
- Le Monde des Rêves dans lequel Ioghi et Silva ont été envoyés, un
endroit indéfini où ils semblaient prisonniers de leurs propres rêves.
Heureusement, Jon a pu les tirer de là... Est-ce un monde réel ou un artifice
magique ?
- Les mondes parallèles évoqués par Maître Sarayan qui seraient des
copies plus ou moins conformes historiquement, culturellement et
géographiquement de mondes « réels »... ou l'inverse. Aucun passage entre
eux ne serait possible.
Les races présentes dans le Kersh, par ordre
d'apparition... quand c'est possible
118
Les dieux très anciens
Nous ne savons rien sur eux excepté qu'ils étaient déjà là dans la nuit
des temps... que j'ai beaucoup de mal à dater ! Nos ancêtres ont entendu
parler d'entités « chtoniennes » originaires de notre monde. Pourrait-il s'agir
d'eux puisque les Grands Anciens ne sont pas originaires du Kersh ?
Ils seraient plus puissants que les Grands Anciens et n'auraient rien
contre nous, malheureux humains qu'ils prendraient même en pitié parfois...
En tout cas, personne ne sait où ils habitent, dorment, existent... et c'est
sans doute parfait ainsi.
Les Grands Anciens
Ceux-là ne sont pas de chez nous mais viennent malheureusement nous
mettre parfois le bazar en s'installant dans notre Histoire. Notre Compendium
sur eux est très complet mais je vais récapituler quelques informations glanées
ici ou là.
Une conjonction astrale favorable est censée déclencher leur apparition
– j'espère qu'il ne s'agit là que de la vision apocalyptique d'un mystique fêlé de
la calebasse...
La Terre était dominée par les Grands Anciens – décrits comme des
puissances astrales sans âme – avant l'apparition des humains. Dommage
qu'une image aussi poétique que « puissance astrale » puisse qualifier un être
aussi hideux que Shub-Niggurath... Et sans âme paraît être approprié puisque
même Ozymandis semblait d'une terrible froideur et, finalement, d'une totale
indifférence.
La plupart des Grands Anciens sont plus ou moins en sommeil. Pas tous
malheureusement !
D'après le chaman du Mojave, certains Dieux Anciens rêvent et
d'autres sont rêvés. S'il s'agit des émanations, elles sont malgré tout
redoutables et bien réelles lorsqu'il faut les combattre !
Note : je reviendrai sur cette histoire de rêve lorsque j'évoquerai des dragons.
Les Grands Anciens peuvent être endormis dans un monde, réveillés
dans un autre, inexistants dans un troisième. Qu'ils puissent être inexistant est
une bonne chose et j'espère que c'est maintenant le cas dans notre Kersh. Rien
ne les empêche cependant de décider d'y exister...
D'après Maître Sarayan, il est impossible de se trouver sur deux
planètes à la fois. S'il a raison, un Grand Ancien est soit endormi dans un
monde et un seul, soit réveillé dans un monde et un seul. Dans ce cas, un
Grand Ancien mort sur un monde est définitivement annihilé. Comme Gulzar
tué dans le Kersh ou Xiurhn en Irlande.
119
Notre récente rencontre avec Dagon n'est malheureusement pas une
confirmation de cette théorie. Il nous semble à peu près certain que nous
avons un Dagon au fond de nos mers, pourtant un Dagon venu de la Mérique
a fait irruption à Port-Ker. Alors, y a-t-il eu deux Dagons simultanément dans
le Kersh ou notre Dagon se balade-t-il régulièrement entre les deux mondes ?
Je n'ose malheureusement pas croire à la seconde possibilité...
Si un Grand Ancien, tué dans un monde, existe encore dans un ou des
autre(s), cela signifie que Gulzar peut revenir. Quant à Xiurhn, ce n'est
qu'une impression, mais je ne crois pas que nous en soyons débarrassés.
Si les Grands Anciens existent dans plusieurs mondes, même s'il est
possible de les tuer, il faudra donc indéfiniment recommencer les mêmes
combats, infiniment nombreux. Il y a bien là de quoi occuper des générations
sur de multiples planètes...
Reste encore une interrogation : si nous avons renvoyé Shub-Niggurath
de tous les mondes pour des dizaines de milliers d'années, où se trouve-t-il en
attendant ?
Une chose semble être certaine en ce qui concerne la présence de
Grands Anciens dans le Kersh. Ozymandis a dit à nos ancêtres que « moins de
deux mains » d'êtres comme Gulzar et lui avaient débarqué chez nous de leur
planète détruite. On peut donc supposer qu'il s'agissait là d'une petite dizaine
de Grands Anciens. Seuls eux deux sont restés. Y a-t-il eu affrontement ?
Ont-ils tués leurs congénères ou les ont-ils convaincus d'aller se faire pendre
ailleurs ? Mystère. En tout cas, depuis la « mort » de Gulzar en 1038 et le
départ d'Ozymandis, aucun Grand Ancien n'est censé avoir élu domicile chez
nous. À moins que certains ne se soient installés depuis le départ du
Jardinier...
Note : Dagon n'est pas un Grand Ancien mais une divinité mineure
Les Vampires
Ils sont présents dans le Kersh depuis plus de cinquante mille ans.
« Autrefois, nos ancêtres se nourrissaient de lapins et marchaient à
quatre pattes » nous a dit Lars.
Nous avons effectué quelques recherches à Shalimar où l'archiviste
vampire s'est montré très coopératif. Nous n'avons cependant pas pu en tirer
grand-chose.
Au début de son histoire – et c'était encore le cas il y a vingt-cinq mille
ans –, cette race se nourrissait « normalement » bien que son alimentation ait
été exclusivement carnée. Son mode de reproduction était alors identique à
celui des humains. Quelle a été la cause de cette mutation ? Encore un
mystère...
120
Le berceau de la race vampire se trouve dans le Den Nérath. Les
vampires shalimariens sont des « émigrés ». Bien que leur langue soit le
shalimarien, tous connaissent le karamite ancien.
Leur histoire évoque « les premiers grands vampires » mais nous
n'avons aucune information sur eux.
Il existe à Shalimar deux ou trois vampires ayant dépassé dix mille ans.
Peut-être même, quelque part, des vampires âgés de vingt mille ans... Des
contemporains de nos dieux donc !
Sur le Continent, où leurs ambitions politiques influent sérieusement
sur leur espérance d'existence, les vampires dépassent rarement quatre mille
ans. Sinon, en théorie, ils peuvent exister indéfiniment sans, a priori, de
dégénérescence physique ou mentale. Juste peut-être une certaine lassitude...
Le Coeur d'Ahriman – maintenant à l'abri – a le pouvoir de focaliser et
de multiplier le pouvoir des vampires. De l'accélérer en tout cas. Il risque
cependant de prendre possession de l'esprit de celui qui le conserverait trop
longtemps pour servir ses propres desseins.
Note : d'après un document consulté dans les archives de Shalimar, Ahriman
serait un Grand Ancien considéré comme le « patron » des vampires. Nous
n'en avons trouvé aucune mention dans nos différents bouquins.
La nation vampire est composée de plusieurs factions qui ne s'accordent
pas vraiment sur un pouvoir central. Luw souhaite y mettre bon ordre et
désire que Silva devienne l'impératrice de toute la nation. C'est une bonne
chose, leur vision de bonne entente et de coopération interraciale ne pouvant
qu'être favorable tant à la paix dans le Kersh qu'à sa défense contre des
agressions extérieures (comme dans le cas de Gulzar par exemple).
Les Géants
Je n'ai aucune idée de leur date d'apparition dans notre monde. Une
chose est sûre, il s'agit d'une race très ancienne en voie d'extinction. Dans
certaines sagas nordiques, ils sont décrits comme « les Ossements de la Terre
».
Les Gnomes
Aucune idée non plus de leur date d'apparition. Ils vivaient à l'ouest des
montagnes des nains, donc à l'est des clans nordiques. Ils ont été éradiqués
par les nains pour une raison qui me reste inconnue – et ça m'énerve ! Tout ce
que j'ai pu tirer de Iogha, c'est qu'il aurait peut-être pu l'éviter. Sa peine et sa
culpabilité m'ont empêchée d'insister...
121
Les gnomes survivants au massacre se sont réfugiés en Khircasie où leur
race s'est éteinte lentement. Il ne reste plus que deux gnomes au monde et leur
espérance de vie ne dépasse pas une dizaine d'années. Comment est-il possible
de voir ainsi la fin d'une race ? Comment ne pas en éprouver une peine
immense et comment l'accepter ?
L'alphabet gnomique est composé d'environ mille runes – huit cents
sont répertoriées dans un livre en notre possession. Ils en ont jadis appris
environ deux cents aux Nordiques et cinq cents aux nains.
Les gnomes pratiquaient un chamanisme proche de la nature
regroupant trois domaines différents :
- la prévention des accidents,
- la chasse, la pêche et la cueillette,
- le monde des esprits.
Les deux écorces de saule « magiques » que j'ai acquises chez Myrelle
sont liées aux deux premiers domaines. L'une empêche de se noyer, l'autre de
se faire sentir par un gibier pisté. Chaque écorce porte trois runes mais ce
n'est pas le cas de toutes celles que nous avons pu voir. Je vais en acheter
d'autres pour les étudier. Iogha les date d'environ quinze mille ans et leur
efficacité reste entière.
Le troisième domaine du chamanisme gnomique aborde tous les sujets
liés aux esprits : comment les appeler, discuter avec eux, aller les voir, bref
comment vivre avec eux.
Note : cette pratique étant très proche de celles des chamans khircasiens, j'ai
un moment supposé que les gnomes leur avaient transmis leur savoir. Ce n'est
pas le cas.
Nous avons pu tester l'efficacité de leurs rites de protection lorsque
nous avons découvert, sur trois sépultures gnomiques, des colifichets divers
interdisant toute magie. Sur les parois de la grotte située non loin, des
peintures symboliques et magiques semblaient être destinées à protéger ses
occupants des mauvais esprits. Là aussi, elle fonctionne à merveille puisque
Iogha a du mal à y pénétrer ! Non, plus sérieusement, la grotte reste intacte et
nous n'y avons relevé aucune trace, animale ou humaine.
Les gnomes ont également, autrefois, transmis tout ou partie de leur
savoir chamanique aux Nordiques. Cependant Skuld, préférant nettement la
force et l'acier à la magie, a souhaité que cela cesse. Dommage...
Heureusement, ce qu'il ne sait pas, c'est qu'à toutes les époques, une
barde reste détentrice de ces secrets qu'elle transmet à celle qui la remplacera.
Iogha y veille et les aide parfois. Cette barde maîtrise également l'intégralité
de l'alphabet gnomique.
122
À travers ces femmes, la culture et le savoir des gnomes pourront
perdurer dans l'infinité des siècles et leur souvenir ne se perdra pas à jamais.
Maigre consolation...
Les Nains
Quand sont-ils apparus ? Peut-être après les gnomes qui leur ont appris
les runes et, c'est sûr, bien avant les humains qu'ils ont vu apparaître il y a
environ trente mille ans.
Il semble qu'ils occupaient autrefois un territoire beaucoup plus vaste
que leurs magnifiques montagnes. D'après Arkaïn, ils se sont retirés dans les
montagnes « parce que les humains étaient trop bruyants et trop agités ». On
ne peut sans doute pas leur donner tort...
Nos ancêtres ont visité un immense complexe souterrain nain –
abandonné – au nord-ouest du Continent mais il est impossible de le dater. At-il été creusé avant ou avant leur repli dans les montagnes ?
De l'histoire des nains, je ne sais pas grand-chose excepté qu'ils se sont
battus au côté d'Ozymandis contre Gulzar qui voulait réduire les humains en
esclavage. Trois mille sept cent cinquante-trois nains sont ainsi morts « par la
folie de Ceux qui viennent d’Ailleurs ».
Ils ont été au moins deux fois en guerre contre les trolls – race créée par
Gulzar –, la deuxième guerre remontant à neuf siècles.
Ils ne révèrent aucun dieu et ne pratiquent aucune forme de
chamanisme. Les gnomes ont-ils tenté de leur transmettre leurs connaissances
en ce domaine et se sont-il heurtés à un pragmatisme profond ? Les nains
auraient-ils eu peur des gnomes et de leur magie ? J'en doute, j'imagine mal
les nains avoir peur de quelque chose. Et puis, leur plus grand ami n'est-il pas
Iogha, le maître de la magie ?
Une chose est sûre, c'est que les nains sont dotés d'une très grande
longévité et peuvent se reproduire avec les humains. La preuve : l'ancêtre nain
d'Arnem et le nom imprononçable de son arrière-grand-père, Gütveuc'h – le
ver qui creuse.
La « race bonne »
Longtemps, mon arrière-grand-mère s'est posé des questions sur cette
race. Finalement, Inwë lui en a confirmé l'existence. Je ne sais rien sur elle
excepté qu'elle est liée aux forêts et, peut-être, à la nature en général.
123
Ma seule expérience en ce domaine est la rencontre avec un jeune
homme sortant d'un buisson qui nous a plus ou moins dit qu'il était le buisson,
« l'esprit de la nature », et a souhaité lire nos esprits.
Les Humains
Ils sont apparus il y a environ trente mille ans. À l'époque, ils vivaient
dans des cavernes et étaient armés de massues. Il semble que la plus ancienne
souche humaine ait vu le jour à Shalimar.
Il y a vingt-cinq mille ans, des humains peignaient déjà des fresques
dans les cavernes de Shalimar, fresques représentant, a priori, des Grands
Anciens. Comment en avaient-ils connaissance ?
La race humaine se divise en plusieurs peuples :
- le nordique
- le karamite
- le rônirien
- le shalimarien
- le khircasien
- le zalurien
- le sygmalinien
Un huitième peuple a dû exister : celui qui peuplait Helvellyn avant le
génocide perpétré par les envahisseurs rôniriens.
D'après un historien scyldien, l'Histoire remonte à environ dix mille
ans. Les millénaires précédents sont dénommés Préhistoire.
Les Dragons
Nul doute qu'il s'agisse des créatures les plus étranges des mondes !
Pour Iogha, les dragons ne sont pas des liens entre les mondes, ils sont
universels.
Une très ancienne saga raconte le combat de dix dragons dont un seul a
survécu, le père de Jon et de Myrelle. Étaient-ils arrivés dans le Kersh en
même temps qu'Ozymandis et Gulzar lors de la destruction de leur planète
d'origine ?
Je ne vais pas revenir sur le fait qu'ils rêvent certains mondes. Cette
assertion étrange semble avérée – même si je n'arrive vraiment pas à
appréhender ce concept...
124
Un fait est certain : Grands Anciens et dragons vivent dans une certaine
symbiose.
Cela a été le cas entre Ozymandis et Jon puisque le premier a « révélé »
sa magie au second. Il semble cependant que cela ait risqué d'induire chez
Jon une « appartenance » au Jardinier. N'a-t-il pas dit qu'il ne voulait pas
être un « chat » alors que son père a affirmé que son fils ne serait pas un «
esclave » ?
Cette dépendance ne paraît pas être à sens unique. Iogha a affirmé à nos
ancêtres :
- Si le dernier dragon meurt, mon père et mon oncle – Ozymandis et
Gulzar – partiront. Ils tirent leur essence des dragons.
- Sans dragon, ils ne peuvent pas « tirer la puissance du monde ».
Il a également assuré :
- Leur pouvoir vient de la même source. Ils sont liés.
- Ils sont d'essence divine : ils n'apprennent pas, ils ont des pouvoirs
naturels.
Alors, quels sont les liens réels entre les deux races ? Depuis combien
de temps ? En a-t-il toujours été ainsi ?
Nous ne savons pas comment les dragons se reproduisent. Cependant,
avec une grande dépense d'énergie et, je suppose, en cas d'extrême nécessité,
ils peuvent se reproduire seuls et « révéler » leur magie à leur descendant, bien
que l'ensemble soit une opération très complexe.
Ils peuvent accélérer leur rythme de croissance : le père de Jon l'a
rendu adulte en quelques mois.
Ils peuvent aussi se reproduire avec des humains, leur transmettant
ainsi certains pouvoirs magiques innés et une grande longévité.
Ils ne sont pas tous bons, aiment l'or, les pierres précieuse et... l'odeur
de la magie.
La magie, le maître mot est lancé ! Pour les mages, les dragons sont «
source de magie ». Même Maître Ordelek pensait que, sans dragon dans notre
monde, il n'y aurait plus de magie. Mais Iogha affirme que « ses » mages
racontent n'importe quoi. Qui croire ? Iogha a priori...
Nos Dieux
Ils sont apparus il y a environ vingt mille ans. Ozymandis, alias
Hzioulquoigmzhah, a choisi des enfants assez jeunes du Kersh et de la Terre
pour leur « apprendre » le métier de dieux. Dans quel but ? Réaliser une
expérience ? Posséder des pièces maîtresses dans un incompréhensible jeu
contre Gulzar ?
125
De toute façon, Ozymandis étant un Grand Ancien – d'après Vieille
Épine, se situant au niveau de ceux qui ne sont pas rêvés –, ses desseins ne
peuvent être qu'impénétrables à notre stupide entendement humain.
Je ne vais pas m'étendre sur le sujet. Je me demande cependant
pourquoi Malkus et Vallinouë sont les seuls à se déplacer aussi facilement
entre les mondes et à pouvoir ainsi se jouer du Temps.
Bien sûr, les dieux étant humains à la base peuvent se reproduire avec
les humains – certains ne s'en privant d'ailleurs pas !
Ils ont également la capacité de déifier un humain... même un Nordique.
Malkus a effectué cette proposition à son Grand-Prêtre Torinus et à mon
arrière-grand-mère. Dans leur grande sagesse, ils ont évidemment refusé. Il
faudrait vraiment être avide de pouvoir et de puissance pour accepter une
telle sinécure ! Et dans un tel cas, j'imagine qu'aucun dieu ne le proposerait...
La magie...
Là, je sens que je vais m'empatouiller gravement...
D'où vient le pouvoir magique ?
Pour Iogha, il n'existe pas de source de magie primordiale.
Nos dieux tirent leur énergie de celle du monde et de leurs propres
esprits. Les prêtres la tirent de leur dieu sauf pour « les petits tours de magie »
pour lesquels ils canalisent l'énergie qui les entoure. « Comme tout le monde,
le dragon puise son énergie autour de lui » (dixit Iogha).
L'énergie est la même pour toutes les magies mais les schémas de
pensées sont différents.
Dans l'idée, le fait de tirer son énergie de celle du monde tout en la
modelant avec son esprit me paraît être un concept relativement aisé à
assimiler.
Cependant, le fait qu'Ozymandis et Gulzar aient besoin d'un dragon
pour tirer la puissance du monde et que les mages pensent en avoir besoin
comme source me semble, du coup, assez étrange. Si les dragons et nos dieux
puisent leur énergie dans leur environnement, pourquoi les autres auraient-ils
besoin des dragons pour utiliser leurs pouvoirs ?
Les différents types de magie
126
Ozymandis a appris la magie à nos dieux ou, du moins, il leur a transmis
une partie de ses propres connaissances...
Ensuite, la plupart de nos dieux ont créé des clergés, donnant ainsi
naissance à ce qu'il est coutume d'appeler la magie divine. Iogha, lui, a créé les
mages qui pratiquent la magie profane. Personne ne sait si Io et Turil ont
transmis leur savoir.
Jusque-là, c'est simple. Les dieux récompensent leurs prêtres en leur
donnant des sorts de plus en plus puissants et les mages qui apprennent bien
leurs leçons et sont suffisamment doués et intelligents acquièrent des pouvoirs
impressionnants.
Les ensorceleurs, comme Ioghi, ont des pouvoirs innés transmis par leur
héritage draconique. Il me semble cependant que leurs sorts s'apparentent à la
magie profane.
Les druides et les gens comme Anya ou Inwë, proches de la nature,
semblent acquérir leurs pouvoirs de manière naturelle, comme si leurs talents
se révélaient au cours de leur existence. Leur magie semble plus divine que
profane, comme si la nature elle-même était leur divinité attitrée.
À ces deux types principaux de magie – qui ne se distinguent l'un de
l'autre que par l'enseignement et, apparemment, un formatage inconscient des
schémas de pensées – vient s'ajouter la magie des gnomes et celle des
chamans, qui me paraissent relativement proches. Cette magie-là nécessite-telle un enseignement ? Est-elle plus divine que profane ? Ou peut-elle être
considérée comme un troisième type de magie ?
Reste le dernier type de magie dont j'ai connaissance, celle des Grands
Anciens et des dragons, innée et incommensurablement puissante...
Je reviens sur cette histoire de schémas de pensées, elle m'intrigue. Elle
ne semble pas incontournable puisque deux clergés pratiquent deux types de
magies différentes :
- celui de Vâhkinatirà dont les prêtresses maîtrisent la magie profane et
la magie divine,
- celui de Saroth dont les prêtres pratiquent la magie divine et possèdent
apparemment de nombreux pouvoirs de druides.
Je ne vois pas pourquoi un mage qui arriverait à se convaincre qu'il en
est capable n'arriverait pas à ressusciter un mort ou pourquoi un prêtre,
capable de faire des colonnes de feu, ne pourrait pas lancer des boules de feu...
D'où viennent ces « blocages » ?
Les chamans
127
Je veux juste noter ici quelques-unes des pratiques chamaniques dont
nous avons eu connaissance, toutes liées aux esprits ou au Monde Gris.
Dans le Kersh
Un chaman khircasien a emmené nos ancêtres dans le Monde Gris pour
les présenter à certains esprits protecteurs de son clan. Ce chaman savait «
arpenter » les rêves à la recherche de réponses.
Dans la Terre
Les chamans de La Laska fabriquent de très jolis « attrape-rêves »
censés protéger du Wendigo – alias Gulzar. Ils connaissent des chants de
protection contre lui.
Note : ce savoir semble malheureusement se perdre.
Vieille Épine « voit » des tas de choses. Il a affirmé par exemple que
Sylla était la fille de la Grande Mère et avait des yeux derrière la tête...
Lui aussi sait fabriquer des attrape-rêves et connaît des chants de
protection, plus « génériques » et pas seulement axés sur le Wendigo. D'après
lui, les attrape-rêves empêchent les mauvais esprits de venir voler l'âme des
habitants pendant leur sommeil.
Note : un attrape-rêves s'accroche au dessus de la porte d'entrée d'une
habitation.
Vieille Épine nous a enseigné d'autres méthodes pour marcher dans le
Monde Gris ainsi qu'une technique de protection contre les attaques mentales.
Bien sûr, il arpente aussi les rêves.
Le chaman que nos ancêtres ont rencontré dans le désert du Mojave
nomme Vallinouë « Maîtresse des Rêves » ou « l'Arc en Ciel ». Il a affirmé
qu'elle guidait l'esprit des chamans dans le Monde des Rêves.
C'est étrange comme tout est toujours lié, même à travers les mondes...
Les Esprits
D'après le chaman de La Laska, ils sont partout, avec cependant une
présence moindre « dans les grandes villes des blancs qui puent et n'ont ni
arbre, ni herbe ». On les comprend...
Il est impossible de rencontrer physiquement les esprits, ombres grises
du Monde des Rêves.
Les esprits protègent les clans khircasiens mais se fichent complètement
des humains. Bizarre contradiction... Pour eux, seul compte le monde. Ils en
sont les « Gardiens », ils veillent à ce qu'il continue.
Le monde, quel monde ? Tous les mondes ? L'univers ? Tous les
univers ?...
128
... et autres bizarreries
Les noeuds d'énergie
Il s'agit de lieux de pouvoir permettant d'entrer en communication avec
des « choses », de les faire venir. Ils semblent liés aux dieux anciens et
existaient déjà à l'aube des vampires. Il en existerait une vingtaine dans le
Kersh.
Nous en avons vu un dans les collines : une source jaillissant dans un
bassin de roche au fond duquel est gravé un poisson à un oeil. Cet endroit sent
la magie sur une dizaine de mètres de diamètre.
Les portes
Nos ancêtres en ont vu plusieurs. Il s'agissait en général d'un rocher ou
d'une petite roche portant un symbole étrange.
Ces portes servent de portail entre les mondes bien que certaines
permettent de passer d'un endroit à un autre situé dans un même monde. Il
existe par exemple une porte entre le Kersh et l'Archipel du Rêve, une autre
entre le Kersh et le monde des démons.
Ces portes fonctionnent généralement par paire, elles ne communiquent
pas toutes entre elles. Les emprunter peut entraîner un décalage temporel. Il
est possible d'arriver plusieurs jours, voire plusieurs semaines avant le
moment du départ, ou après...
Les « déchirures » de l'Archipel du Rêve ne seraient-elles pas, elles aussi
des sortes de portes ? Elles semblent avoir le même effet à la différence près
qu'elles peuvent être détectées par une luminescence jaune ou mauve selon
qu'il s'agit d'une arrivée ou d'un départ.
Certaines des portes du Kersh ont été crées par Ozymandis et Gulzar.
Le Jardinier a expliqué à nos ancêtres que de telles créations étaient
dangereuses pour l'équilibre du monde et nécessitaient une grande quantité
d'énergie. Il a ajouté que certains endroits étaient plus favorables que d'autres
à leur élaboration, tout dépendant... des noeuds d'énergie !
Les métamorphoses naturelles
Finalement, à côté du reste, ces métamorphoses semblent bien anodines.
Je vais juste me contenter de récapituler celles que je connais :
- les vampires et les lycanthropes,
- les suivants de Saroth (en toutes sortes d'animaux) et de Scattach (en
grands chats);
129
- certains Nordiques (en ours, comme Skuld).
Conclusion temporaire
Les interrogations sur le monde se divisent en deux catégories :
- celles qui semblent avoir une réponse rationnelle, scientifique – comme
les planètes, les univers...
- celles dont les réponses, ou les approches de réponses, sont totalement
irrationnelles, c'est-à-dire toutes les autres !
Je ne peux cependant pas m'empêcher de me demander ce qu'est
finalement la réalité. Du moins celle que je perçois... Le mot rêve revient bien
trop souvent pour mon esprit pragmatique. Je n'arrive pas à me dire que le
monde pourrait s'arrêter d'un seul coup parce qu'une puce réveille un dragon
ou qu'un crétin secoue un Grand Ancien... Je n'arrive pas à appréhender le
fait qu'un Grand Ancien ait besoin d'un dragon pour utiliser sa magie
naturelle. Je n'arrive pas à comprendre les voyages dans le temps, le Monde
Gris, les Croisée des Mondes, les esprits, les schémas de pensées de ceux qui
pratiquent la magie...
Sur ce, je vais aller boire une bière en remerciant celui qui rêve peutêtre les nains de leur avoir donné le talent d'en brasser de la si bonne !
Complément numéro un
Je suppose – et j'espère ! – qu'il y en aura plusieurs. Je ne pensais
cependant pas en écrire un à peine quelques jours après ma conclusion
temporaire...
Les Vampires
Je connais maintenant l'un des « premiers grands vampires », âgé a
priori de plus de quarante mille ans. Son nom est Ismaël et il est le premier à
avoir mordu un humain ! Il ne sait d'ailleurs pas pourquoi...
Il m'a appris une chose totalement inattendue : ce n'est pas Ozymandis
qui a appris la magie à nos dieux mais Iogha. Et lui-même a reçu, séparément
bien entendu, le même enseignement. Autrement dit, Ismaël a la même
puissance que nos dieux.
Il a évoqué l'existence d'un autre premier grand vampire résidant à
Shalimar, l'un de ses premiers enfants.
130
Côté politique, il approuve totalement ce que fait Luw.
Je retournerai le voir régulièrement et j'espère qu'il acceptera de
m'apprendre des choses sur notre Préhistoire...
J'ai aussi cherché mention d'Ahriman dans notre Compendium. Il est
effectivement cité comme un Grand Ancien, Père de Ceux qui chassent la
nuit, et dotés, comme tous, de plusieurs surnoms : Celui qui ne laisse pas de
Traces, L'Ombre qui s'abat sur l'Humanité. Il est dit qu'il est le créateur des
vampires et qu'il a donné tous ses pouvoirs à cette « race maléfique ».
Si l'auteur ne se trompe pas, cela pourrait signifier que les vampires ne
sont pas une race native du Kersh mais une race créée artificiellement, comme
les trolls par Gulzar. Et cela impliquerait également qu'il y a plus de cinquante
mille ans, notre monde servait déjà de terrain d'expérience à des Grands
Anciens en quête de divertissement...
J'en parlerai à Ismaël lors de ma prochaine visite.
Les Dragons
Je sais maintenant que notre monde est rêvé par un dragon. Ce n'est
pas Jon, qui rêve lui-même un autre monde.
Jon n'est pas rêvé par notre Rêveur. Si j'ai bien compris, il pourrait
sans doute modifier certaines choses de notre monde mais il est très impoli
d'interférer dans le rêve d'un autre. Bon.
Jon a, par ailleurs, « révélé » sa magie à Ioghi, c'est-à-dire qu'il lui a
appris à rêver ce qu'il veut. C'était déjà, visiblement, l'origine de ses sortilèges,
mais notre ami peut dorénavant faire des choses bien plus stupéfiantes. Pas
autant qu'un dragon bien sûr, mais bien plus que n'importe qui. Il va devoir
apprendre à maîtriser ses nouveaux pouvoirs et l'énergie qu'ils nécessitent.
Cet apprentissage l'a fait vieillir de deux ans physiquement et de
beaucoup plus mentalement. C'est, en moins violent, ce que son père a fait
avec Jon lorsqu'il était encore bambin.
Les Dieux
Iogha m'a confirmé que c'était bien lui qui avait appris la magie à ses
frères et soeurs... et à Ismaël dont il m'a appris le nom.
C'est dans un souci d'équité – évidemment ! – qu'il a dispensé cet
enseignement au vampire, comme il l'a dispensé aux gnomes, à Saroth – sur sa
demande – qui était alors un véritable sanglier, et à Vallinouë qui, à cette
époque-là, était... un arbre.
Io et Turil, quant à eux, se sont pointés de nulle part, ont tout appris en
trois jours, et ont disparu.
131
Pour le moment, je ne vais certes pas me demander comment un
sanglier peut souhaiter apprendre la magie et comment un arbre peut accéder
à un tel enseignement...
Autres bizarreries
Au rayon autres bizarreries, la dernière à noter est de taille ! Il s'agit du
fait que le Kersh ait eu deux Histoires différentes sur une période d'une petite
quinzaine de jours.
Dans la nuit du 13 du Mouton, nous avons effectué avec succès le rituel
de révocation de Shub-Niggurath. Le 26, nous avons rencontré quelque chose
dans le Monde Gris – peut-être le Piétineur du Destin, une évocation de YogSothoth dont le nom correspondrait assez bien... Nous nous sommes retrouvés
dans un Kersh différent où nous avions raté ce même rituel. L'histoire y était
bien différente de la nôtre. Un véritable cauchemar !
Comment ces deux Histoires ont-elle pu se dérouler alors qu'il n'existe
qu'un seul Kersh, que nous n'étions pas dans un monde parallèle ou quelque
chose du même genre ?
Bien sûr, nous n'avons pas, nous, vécu simultanément les deux
Histoires. Dans la nouvelle, nous n'avions pas existé durant cette période,
contrairement à tous ceux que nous connaissons.
Se posent donc, une fois de plus, les concepts de temps et de réalité...
Complément numéro deux
Les Dragons
Nous avons rencontré deux jeunes dragons d'or venus d'un autre
monde dans lequel ils avaient volé un oeuf... de dragon. C'est un crime
impardonnable pour ceux qui les dirigent : les Grands Anciens.
Les oeufs sont extrêmement rares et passent par trois étapes de
développement :
- la leur,
- celle de Jon – dont les périodes de sommeil deviennent de plus en plus
longues jusqu'au moment où il « dormira »,
- l'endormissement et le rêve.
Ils nous ont appris qu'un dragon peut rêver plusieurs mondes
simultanément.
Jon a accepté de prendre l'oeuf en charge. Il est devenu SON oeuf
duquel naîtra son successeur. Faut-il comprendre que son successeur
continuera de rêver son monde ? D'ailleurs, lui-même continue-t-il le rêve de
son père ?
132
Par ailleurs, le fait que les Grands Anciens dirigent les dragons
m'inquiète : peuvent-ils les obliger à transformer leur rêve en cauchemar ?
Peuvent-ils obliger un dragon à arrêter de rêver un monde ? Peuvent-ils
obliger un dragon à rêver de nouveaux Grands Anciens ?
Les Mondes
Nous avons découvert un nouvel endroit qui est peut-être une autre
Croisée des Mondes.
De cet endroit, des équipes très particulières interviennent dans plus de
deux cent cinquante mondes, à différentes périodes de leurs Histoires, pour
remettre de l'ordre lorsque le besoin s'en fait sentir. Bien entendu, la plupart
des désordres sont en rapport avec les Grands Anciens.
Ces équipes dont formées d'une majorité de dieux, mais aussi d'humains
et de non humains.
Les mondes sont classés selon leur niveau technologique (NT) et
psychologique (NP) sur une échelle semblant aller de 1 à 5, le niveau NP 5
correspondant à celui des dragons...
Je compte beaucoup sur notre intégration à cette organisation pour
apporter des réponses à mes nombreuses interrogations !
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