L`assassinat de Jean Jaurès raconté par un témoin (3l juillet 1914

Transcription

L`assassinat de Jean Jaurès raconté par un témoin (3l juillet 1914
L'assassinat de Jean Jaurès raconté par un témoin
(3l juillet 1914)
... Il était fatigué; il faut dire que, en cette soirée du 31 juillet, il faisait une chaleur suffocante, et il dit à
ses amis, à ses collaborateurs de L'Humanité :
- Descendons rapidement dîner, et puis j'écrirai mon article.
Un ami lui dit :
- Eh bien, Jaurès, si vous le voulez, nous irons au Coq d'Or.
- Non! répondit Jaurès, il y a là de la musique, du bruit! Je n'aime pas cela. Mangeons un morceau en bas,
au café du Croissant... Et puis, j'écrirai mon article.
Il avait, si je puis dire, la hantise d'écrire cet article qui devait constituer pour lui l'appel suprême en faveur
de la paix. Il descendit donc au café du Croissant, et c'est là que, quelques instants après, je le retrouvai,
avec mon jeune frère. Il était en train de manger. Nous nous assîmes près de lui, moi, juste en face de
lui. Ayant très chaud, il s'était assis sur la banquette du fond, séparée seulement de la rue (la fenêtre
étant ouverte), par un léger brise-bise. Tout de suite, Jaurès me dit :
- Eh bien, Renault, est-ce que vous avez appris des choses intéressantes à la Chambre? Est-ce que vous
pouvez nous faire profiter de vos informations?
Je lui répondis que, malheureusement, je n'avais recueilli qu'une impression grandissante de trouble et
d'angoisse, et peu de nouvelles précises.
Nous étions en train de parler : un jeune homme, appartenant à la rédaction du journal La Guerre sociale,
qui dînait là avec sa femme, fit passer à Jaurès une photographie d'enfant, son nouveau-né. Jaurès la
regarda avec attendrissement et lui dit :
- Ah! Je vous félicite, vous avez là un très bel enfant!
Quelques minutes encore s'écoulèrent et puis, avant que je puisse intervenir, je vis le brise-bise se
soulever, un gros revolver apparaître et le coup partit, tiré à bout portant, dans les cheveux gris, derrière
l'oreille. Une seconde balle passa à côté de moi et alla se loger dans la cloison faisant le fond du café.
- Jaurès est mort! Ils ont tué Jaurès!
Ces cris s'élevèrent immédiatement.
En effet, notre ami sans un cri s'était affaissé sur la banquette, le haut du corps se couchant sur le côté droit.
Tout de suite, avec mon jeune frère, nous sortîmes du café et nous vîmes l'assassin qui, son revolver à la
main, ne fuyait pas : c'était Raoul Villain. Un agent était là - c'était un service policier habituel - il se saisit
de l'assassin qui fut emmené au commissariat de police.
L'émotion se répandit comme une traînée de poudre à travers les imprimeries du Croissant, dans les
maisons voisines, et bientôt il y eut des centaines de personnes devant le café du Croissant. Puis, au bout
de peu de temps, la nouvelle s'étant étendue à travers la ville, on vit arriver par milliers les hommes, les
femmes, qui pleuraient et qui comprenaient, tous et toutes, que, en tuant Jaurès, on avait tué la paix.
1.Il s'agit d'une brosserie de la rue
2.Organe d'une traction gauchiste,
Montmartre.
lu parti socialiste. antimilitariste et anarchisante d