Entre mon rêve et les jaquettes bleues
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Entre mon rêve et les jaquettes bleues
Entre mon rêve et les jaquettes bleues Par Richard Langlois Agent de liaison de l’AGIR Auteur des livres: «Le Fragile Équilibre» «Ces maux qui dérangent» www.richardlanglois.ca Je viens tout juste de me réveiller après un magnifique rêve où je me trouvais sur une plage, un paradis empreint d’une grande lumière. Je me sentais tellement bien ! Je n’arrivais pas à me sou- venir comment étaient les gens (sexe, race, religion, etc…). Nous étions tous des êtres éclatants. À peine sorti de mes couvertures que je ne voulais pas quitter, me voilà devant le miroir de la salle de bain. Je suis seul car Fabienne, ma conjointe, est déjà partie à l’école St-Patrick’s, une école anglophone de Québec où elle travaille avec des ados depuis plusieurs années. Elle aime bien son travail qui l’amène à rencontrer beaucoup de jeunes du secondaire. Je me sens calme et plein d’énergie pour commencer ma journée. Je prends mes médicaments qui me rappellent qu’un jour j’ai vécu un « charmant » épisode de trouble bipolaire. J’y suis toujours fidèle sans doute parce que je suis stable, que je n’ai pas d’effets secondaires…et parce que j’ai la chance d’avoir un psychiatre avec lequel je peux discuter de ma situation comme une personne, une vraie personne avec toutes ses forces. La journée s’amorce par une petite révision de mes courriels personnels ainsi que par la consultation de quelques sites Internet. Je me déplace ensuite au resto où je mange mes rôties et prend mon café tout en lisant le journal. On incrimine encore les musulmans en Tunisie pour un autre attentat. Les chinois, indiens, américains et canadiens anglais polluent notre planète…mais sûrement pas nous ! Et il y a cette petite nouvelle où on soupçonne un homme d’avoir commis un délit. Est-ce un schizo, un bipolaire, un TPL ? À quoi bon, je passe au Sudoku pour activer mes neurones, à la nécrologie qui me rappelle que nous sommes tous égaux dans la mort et à la section sportive, celle du dopage et des salaires fous. Bon, fermons ce journal… L’avant-midi se passera dans un CLSC de la région où je participe à un guichet d’accès en santé mentale en compagnie d’une équipe composée d’un infirmier, d’une psychologue, d’un médecin, du responsable du guichet et de moimême, l’agent de liaison du regroupement des organismes communautaires de la région, l’AGIR. Comme tous les membres de ce guichet, nous lisons et entendons des histoires qui nous font quelquefois frémir. Personne n’est insensible. C’est la détresse sous toutes ses formes. Quel est son diagnostic ? A-t-il des idées suicidaires ? Doit-il être orienté vers un examen psychiatrique ? A-t-il un projet de vie ? Qu’en est-il des ressources dans la communauté et des groupes offerts au CLSC ? Y a-t-il de l’espoir ? Entrevoyonsnous une forme de rétablissement même dans le pire des cas ? Sur la galerie adjacente à la salle où nous nous trouvons, j’aperçois six jaquettes bleues d’hôpital étendues par terre avec une nappe rouge. Que s’est-il passé ? Est-ce que le Dieu Éole s’est manifesté pendant la nuit ? Je dois halluciner ! J’en avise mes collègues qui n’avaient pas remarqué la scène. Ils se questionnent tout autant que moi. La situation est bien étrange, elle me fait même sourire quelque peu. On imagine toutes sortes de scénarios. Je suggère au groupe d’enfiler ces dernières pour que nous sentions ré- ellement ce que vivent les gens lorsqu’ils sont hospitalisés en psychiatrie. « Ah non, pas ça », s’écrit la psychologue. « Et si nous devenions des « usagers » ou des « utilisateurs de services » pour un instant? Personne n’est à l’abri, vous savez… Elle ne pouvait envisager porter une telle jaquette faisant référence à une mauvaise expérience passée. J’insistai : « Et si nous devenions des « usagers » ou des « utilisateurs de services » pour un instant? Personne n’est à l’abri, vous savez… Mon regard se tourna à nouveau vers les jaquettes étendues sur le plancher de la galerie. Cette scène me parlait, elle m’interpellait. Si des gens ont laissé tomber ces« sympathiques » jaquettes bleues, c’est peut-être qu’elles en ont assez d’être identifiées à des diagnostics ou à ces termes entraînant préjugés et stigmas. Et si elles désiraient être considérées comme des personnes les nombreux dossiers empilé sur pleines et entières malgré des dé- la table de travail, je questionnai : Et si ça vous arrivait ? Comment aimeriez-vous être considéré(e)? Que diriez-vous si, dans notre « paperasse », nous écrivions : « Dossier de la personne » ou « Dossier de Madame ou Monsieur » plutôt que « Dossier de l’usager » ? Voyons Richard ! tresses pas toujours faciles à vivre. C’est sans doute ce que j’aurais aimé lorsque j’ai vécu l’expérience, il y a quelques années. En tournant mon regard vers Vous savez, la nuit dernière, j’ai fait un rêve…