L`Hôpital juif de Berlin
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L`Hôpital juif de Berlin
mémoire LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 889 - septembre 2014 © Catalogue de l’exposition « 250 ans de l’Hôpital juif de Berlin », Moses-Mendelssohn Zentrum, Potsdam. L’Hôpital juif de Berlin le siège de l’hôpital juif de berlin sous l’ère nazie. Fondé au milieu du XVIIIe siècle, l’Hôpital juif de Berlin a survécu durant douze ans de nazisme. Voici son histoire incroyable. L ’anecdote rend bien compte de la situation : lors de la libération de Berlin le 24 avril 1945, des soldats de l’Armée rouge découvrent au centre de la ville un grand bâtiment, relativement épargné par les bombardements, et constatent qu’il s’agit d’un hôpital civil en activité. Réfugiés, malades et personnel, fous de joie, et tous ceux qui y vivent à un titre ou un autre se précipitent sur les libérateurs en hurlant « nous sommes juifs, c’est un hôpi tal juif », et la première réaction des soldats est d’armer leurs mitraillettes : chacun des combattants sait qu’il n’y a plus de juifs en Allemagne puisqu’ils ont été assassinés en masse ! Il faudra que le calme revienne et que passe un peu de temps pour que la vérité apparaisse plausible. Il s’agit bien en effet d’un hôpital juif, une institution vieille de quelque deux siècles, et si invraisemblable que cela paraisse, l’« Hôpital juif de Berlin » a survécu aux 12 ans de haine antisémite des hitlériens, à toutes les mesures et brimades et au génocide. On a certes encore aujourd’hui du mal à croire possible une telle « anomalie ». Peu à peu la vie quotidienne avait été rendue insupportable dans tous les domaines aux juifs habitant l’Allemagne, à qui on avait supprimé peu à peu tout ce qui fait partie d’une existence civilisée et rendu la survie proche d’une course d’obstacles plus insur montables les uns que les autres. Petit à petit, le monde entier se doutait de massacres inexorables et savait que le seul fait d’appartenir à la catégorie honnie suffisait pour être assassiné dans les conditions les plus horribles. Et là, soudain, apparaissait un îlot de survie, sinon de normalité. Comment comprendre ? Bien entendu, la réalité était plus complexe que les p remières apparences. D’abord il s’agissait au grand maximum de quelque 800 personnes, une goutte d’eau dans la mer des disparus. Ensuite, il fallait comprendre pourquoi cette exception, cette anomalie avait pu exister et se maintenir jusqu’au dernier jour au sein d’un Etat policier hyper-organisé sur des bases raciales. Disons de suite qu’il n’y a pas de réponse simple et claire à cette question. On ne pourra qu’émettre des hypothèses, dont aucune n’aura de rapport avec les théories raciales… un des premiers hôpitaux de Berlin au XIXe siècle Précisons d’abord rapidement l’origine de cet établissement. A Berlin, comme ailleurs en Europe, on trouvait des juifs depuis la fondation de la ville au XIIe siècle. Comme ailleurs aussi, on y avait connu une succession de coexistence et de violences et c’est seulement avec l’apparition de la philosophie des Lumières, au milieu du XVIIe siècle, que des juifs pourront s’établir dans le Brandebourg et à Berlin. Cent ans plus tard, Frédéric le Grand publiera l’édit de 1750 sur le statut des juifs en Prusse, qui leur accorde le contrôle sur leurs écoles, synagogues et cimetières. Depuis le Moyen-Âge, un lieu d’hébergement et de soins éventuels pour les juifs était créé traditionnellement en Allemagne auprès des synagogues, là où il en existait. C’était aussi le cas à Berlin, mais le bâtiment n’était plus en mesure de répondre aux besoins de cette population. En 1753 un nouveau bâtiment est inauguré, qui sera agrandi par la suite en 1821, puis en 1840 et comptera alors une équipe de six médecins et une sage-femme. De transformations en agrandissements, puis en déménagement pour quitter ce qui était devenu un quartier central bruyant et agité, on trouve un immeuble assez vaste aménagé en 1861. C’est l’un des premiers hôpitaux généraux de Berlin et l’un des plus grands de sa catégorie, situé dans un jardin et doté d’installations médicales modernes pour l’époque. Un demi-siècle plus tard il faudra bien entendu suivre l’évolution. L’hôpital est dépourvu des équipements devenus évidents partout : eau courante, chauffage central et même une salle d’opération fait défaut. Le bâtiment existant servira de dispensaire au service de la médecine ambulatoire pour les habitants juifs de la ville. Un nouvel hôpital est construit, selon un principe alors novateur, celui de bâtiments séparés les uns des autres. De cent lits, sa capacité passe maintenant à 230. Sept bâtiments principaux, réunis par des galeries au rez-de-chaussée, abritent les différents services médicaux. S’y ajoutent d’autres constructions : pavillon administratif, résidence des infirmières comportant aussi le centre d’enseignement. Une maison de retraite, indépendante, est également créée, et un grand parc fait aussi partie de l’ensemble, inauguré en 1913. C’est cet ensemble, situé rue Iranienne, qui sera en fonction sans interruption de 1933 à 1945 sous le nazisme, dans des conditions souvent difficiles et avec des pertes humaines considérables, ainsi que sous une menace latente constante. Un certain nombre de ses locaux seront occupés par des services nazis, mais une partie notable des bâtiments survivra aux bombardements alliés. Longtemps, avant l’arrivée au pouvoir des nazis et même après, les patients de cet hôpital étaient loin d’être tous juifs. La pression et la propagande antisémite entraînèrent cependant un énorme recul de son activité, menaçant son existence. Un décret de juin 1938 interdit aux médecins juifs de soigner des patients « aryens », et l’hôpital n’a plus le droit de les accueillir après le 1er octobre. Puis c’est le pogrome de novembre, la « Nuit de Cristal », et rien ne se passe rue Iranienne. Au contraire, la fréquentation de l’établissement va se développer fortement. La raison est sans doute la fermeture progressive des cliniques et autres institutions médicales et sociales juives dans le reste du pays. De partout, on envoie des patients se faire soigner à Berlin, qui accueille aussi une partie du personnel licencié en province. D’ailleurs, alors que beaucoup de juifs se décident enfin à émigrer, nombre de ceux qui n’en ont pas les moyens veulent s’installer à Berlin. En 1933, seuls 32 % des juifs d’Allemagne v ivaient dans la capitale, contre 41 % (72 000) encore présents en 1941, avant les déportations finales. Les déportations systématiques s’intensifient 1941, et plus précisément le jour de Yom Kippour, la fête juive la plus importante de l’année, verra le début de la déportation systématique vers l’est des juifs de Berlin, en même temps que la confiscation de tous les « postes de TSF » (récepteurs r adio). Sous prétexte d’une « réinstallation » lll Un hôpital à l’activité soutenue La situation administrative de l’hôpital est un peu complexe. Il dépend de la « Commune » (Gemeinde) juive traditionnelle, elle-même dépendant obligatoirement depuis 1933 de la « Représentation nationale des juifs allemands » (qui sera rebaptisée en 1935 de façon discriminatoire en « Représentation des juifs d’AIlemagne »). La « Commune » est dissoute sur le plan national en mars 1938 mais celle de Berlin continue à exister. Après le pogrome de novembre, les nazis dissolvent la « Représentation nationale », mais s’en mordent aussitôt les doigts : la politique antijuive nazie pousse alors encore à l’émigration, et l’organisation y contribuait. Les nazis exigent donc la constitution d’une nouvelle structure, qui sera nommée « Union centrale » (Reichsvereinigung), marquant bien du même coup qu’elle ne « représente » plus, mais contribue au contrôle administratif, sous l’œil de la Gestapo. Pour l’hôpital de Berlin, qui a traversé sans dégâts la période du pogrome, c’est aussi la fin de la sous-activité. En partie à cause du nombre de victimes d’agressions antijuives, il doit installer 150 lits supplémentaires en chirurgie. Les quelque 3 000 médecins juifs ont été interdits d’exercice depuis juillet 1938, et les nazis vont autoriser 700 d’entre eux à avoir une activité de « dispensateurs de soins » (Krankenbehandler), mais uniquement au bénéfice d’institutions ou de p atients juifs, 175 seront autorisés à soigner à Berlin. Les autorités comptent l’hôpital juif à part : 27 médecins supplémentaires y seront nommés. La « Commune » trouve le chiffre insuf fi sant, réclame, discute, et finit par avoir gain de cause. L’hôpital sera a ussi autorisé à accomplir certains actes médicaux interdits ailleurs aux juifs, comme la réalisation d’examens de laboratoire (ils devraient sinon être réalisés dans des cliniques ou des laboratoires « aryens » !). L’émigration et la fermeture obligatoire des centres de soins juifs dans le reste de l’Allemagne entraînent une considérable surcharge de travail à Berlin. En 1940 on y réalise 70 % d’opérations en plus qu’en 1925-1927, années d’activité maximale. En 1941 le nombre d’interventions chirurgicales augmente encore de 50 %. De même la formation des infirmières va continuer jusqu’en 1941. Alors que cette année-là les assassinats de masse ont commencé, ce sont les autorités officielles nazies qui établiront et remettront leurs diplômes aux nouvelles promues. 9 mémoire dans les pays de destination, les victimes se voient regroupées dans des centres de rassemblement (Sammellager) plus ou moins improvisés par exemple dans une synagogue. Certains lieux de destination évoqués font encore illusion, en particulier Theresienstadt (Terezin, en Tchéquie), toujours présenté comme une sorte de ghetto de luxe. Contraints et forcés, le grand rabbin d’Allemagne, Leo Baeck, et les responsables de la Gemeinde (« Commune ») se plient aux instructions nazies, acceptent de voir les auxiliaires juifs de police (Ordner) contribuer aux rassemblements (1), et même de dresser les listes de ceux qui devront faire partie des convois de déportation. Chaque semaine un train emporte un millier de personnes vers une destination de moins en moins incertaine. L’hôpital va devoir fournir des médecins et des infirmières pour les inspections médicales dans les centres de rassemblement. Bientôt la Gestapo exigera que des équipes médicales accompagnent les convois, présence rassurante pour les déportés, mais aucun de leurs membres ne reviendra… En décembre 1941 la Gestapo exige des autorités juives la création d’un « Service de contestation des transports » (Transportreklamationsstelle) au service de juifs trop malades pour être déplacés. Durant un an, cette activité sera poursuivie, jusqu’à la suppression de ce type de sursis à la fin de 1942. Les nazis n’avaient jamais hésité à déporter de grands malades, sur des civières le cas échéant. Pourquoi cette parenthèse ? Sans doute entre autres pour dissimuler le vrai but des déportations et rendre plus plausible une mise au travail. Il reste alors encore 160 000 juifs en Allemagne, quelques sursis sont sans importance. Le centre d’examens est installé au Foyer des infirmières de l’hôpital. L’équipe compétente est composée de six médecins représentant diverses spécialités, et autant de secrétaires et d’aides-soignantes. Deux autres médecins font des visites à domicile. L’espoir d’éviter une déportation évidemment angoissante fait affluer les demandes, souvent médicalement indéfendables. Le service est sur pied de 8 heures à 23 heures. L’année 1942 voit l’« Union centrale » contrainte à céder la propriété de l’hôpital à l’« Académie » de médecine de la jeunesse ». Aucun changement n’en découlera. Par contre c’est bientôt la réqui sition de trois des sept bâtiments de l’hôpital par la Wehrmacht, qui y établit un hôpital militaire (Lazarett). Là on trouvera un avantage indirect : l’hôpital profitera jusqu’au bout de l’éclairage et du chauffage des militaires (2). En mai 1942, l’utilisation des transports publics est interdite aux juifs, sauf s’ils habitent à plus de sept kilomètres de leur lieu de travail. Impossible de poursuivre normalement les visites à domicile. Le service d’ambulances réservé aux juifs a été réduit à un minimum. Les nazis ont commencé à ne plus tenir compte des sursis médicaux. De même des déportations ont commencé à frapper le personnel des organisations centrales juives, Gemeinde et « Union centrale », et chaque convoi emporte plusieurs de leurs membres. lll LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 889 - septembre 2014 Le 30 octobre 1942, la totalité du personnel de la Gemeinde est convoqué à 7 h du matin au siège, rue d’Oranienburg. Quelque 300 personnes vont y attendre une grande partie de la journée avant l’arrivée en trombe de responsables SS : Cent personnes doivent être déportées. « A vous de les choisir », disent les nazis au directeur, le Dr Lustig. Les victimes désignées sont renvoyées chez elles, pour y préparer leur départ quelques jours plus tard. Un ancien directeur de l’hôpital préfère se suicider. Dix-huit passeront dans la clandestinité, mais conformément aux menaces proférées le premier jour, 18 autres membres du personnel seront désignés pour les remplacer, en même temps que seront exécutés quatre dirigeants de la Gemeinde et quatre responsables de l’« Union centrale ». Il n’est pas étonnant alors qu’une vague de suicides se propage fin 1942, début 1943, causant le quart des décès de juifs de Berlin durant cette période (7 000 juifs se suicideront en Allemagne à ce moment). des juifs en bonne santé, internés pour un éventuel échange d’otages, tels qu’il s’en produit parfois, par exemple contre des ressortissants allemands capturés en Palestine par les Anglais. Les échanges ont alors lieu dans une gare turque… Des opérations pour retarder la déportation de patients des membres du personnel de l’hôpital, qui portent « l’étoile jaune ». Peu à peu, les nazis déportent, catégorie par catégorie : on vide le service des incurables, les services d’aliénés, on ajoute les étrangers malades mentaux, transférés de province en juin 1941, et que leurs pays ne veulent pas accueillir, on essaie de séparer définitivement les couples mixtes juif-« aryen », que ce statut protège de la déportation, pratiquement toujours sans succès. Un superviseur SS de l’hôpital, Fritz Wöhrn, et même Adolf Eichmann en personne, font parfois des inspections menées avec férocité pour découvrir des parents de malades qui vivraient encore cachés en ville. D’ailleurs un des bâtiments de l’hôpital sert de prison pour des détenus juifs malades, une vingtaine en général, mais on en comptera parfois jusqu’à 80. Ce secteur est situé à l’étage supérieur, le plus menacé par les bombardements incessants de la ville. Une autre bizarrerie mal expliquée : il existe un « Secteur spécial » (Extrastation) où sont traités des patients privés ou qui paient un supplément de leur assurance médicale, assurant en principe de meilleurs soins. Enfin on trouve aussi dans cette institution © Catalogue de l’exposition « 250 ans de l’Hôpital juif de Berlin », Moses-Mendelssohn Zentrum, Potsdam. 10 Malgré les difficultés et l’angoisse croissantes, malgré le personnel réduit par les déportations, des activités nouvelles s’ajoutent : psychiatrie, pédiatrie, quarantaine, en dépit de l’ambiance destructrice. Au mépris du danger, les chirurgiens exécutent parfois des opérations chirurgicales sans réelle urgence, afin de gagner un peu de temps pour les patients. Soudain le 27 février 1943, un nouveau coup : sous le nom d’« Opération Usines » (Fabrikaktion), c’est la dernière grande razzia dans Berlin. Quelque 11 000 personnes sont raflées, dont environ 8 650 seront effectivement déportées. Les juifs conjoints d’« aryens », en principe non déportables, sont également arrêtés et parqués dans un bâtiment, qui deviendra célèbre, de la rue des Roses. C’est là que les épouses non juives des internés viendront manifester une semaine entière, une réaction encore jamais vue, et obtiendront la libération de leurs conjoints, c’est-à-dire au moins un sursis… Le 10 mars 1943, des camions de la Gestapo se rangent devant l’hôpital. Bientôt le directeur, le Dr Lustig, est face à une dizaine de responsables des polices. La situation est Un personnage controversé, le Dr Walter Lustig Le directeur de l’hôpital a été longtemps le Dr Walter Lustig, une personnalité très complexe et qui a été surtout critiquée. Juif baptisé, marié à une « aryenne », il est respectueux de l’autorité et ambitieux. Il sera fonctionnaire, responsable des affaires médicales à la Direction de la police sous Weimar. Limogé par le régime nazi, il réussira à devenir responsable des questions sanitaires au sein de l’« Union centrale » juive, bien qu’il ne soit certainement pas profondément attaché au judaïsme. En juin 1943 il deviendra responsable de l’hôpital juif de Berlin. D’une façon générale, ce n’est pas une personnalité attirante, il suscite plutôt la crainte ou la méfiance, et il agace certains en exigeant que l’on s’adresse à lui avec son double titre de docteur, « Dr Dr Lustig ». Dans ses rapports avec les nazis, il semble avoir su jouer souvent une faction contre l’autre. Personne ne semble avoir été en mesure de porter un jugement global sur son activité de représentant des juifs, dans des circonstances évidemment dramatiques. Après la défaite nazie, il a cherché à se faire reconnaître comme représentant des juifs à Berlin (alors qu’un groupement s’était déjà fait connaître à cette fin). Finalement il a disparu dans des conditions mystérieuses, emporté en juin 1945 par une limousine soviétique vers une destination et une fin qui n’ont jamais pu être élucidées. claire : peu de temps auparavant la même scène avait eu lieu à l’hôpital juif de Munich, dont la totalité des patients, infirmières, médecins et autres employés avaient été déportés. Lustig sait qu’il n’a aucun droit, mais il joue sur les règlements : il ne peut accepter d’ordres sans qu’ils aient été approuvés par le département des Affaires juives du RSHA (Office principal de la sûreté du Reich), c’està-dire Eichmann. II appelle ce bureau, explique la situation et tend le combiné au responsable des gestapistes présents. Il a gagné, les camions repartent vides ! C’est seulement un très bref répit, car quelques heures plus tard de hauts responsables nazis se présentent, et finissent par transiger sur la déportation de « seulement » 50 % du personnel et de leur famille. On ne sait rien de précis sur les négociations qui ont eu lieu entre services nazis au sein du RSHA, s’agissait-il de maintenir l’hôpital en activité, de marquer les territoires entre services, quel jeu exact a joué le Dr Lustig ? Un enjeu possible a également été évoqué : le RSHA aurait convoité le terrain et les bâtiments occupés par l’hôpital et sa valeur foncière aurait été une motivation pour prolonger l’existence de celui-ci. Quoi qu’il en soit, la Reichsvereinigung et la Gemeinde (Union centrale et Commune) sont dissoutes en juin 1943, pour bien marquer la disparition des juifs du sol allemand. Mais on a encore besoin d’une courroie de transmission à Berlin. On maintiendra artificiellement l’Union, avec siège à l’hôpital, pour assurer ses tâches de gestion et ses actions sanitaires. C’est elle qui établira les « contrats d’achat de logement » des déportés à Terezin, une escroquerie pure et simple. Quant à l’activité médicale de l’hôpital, elle est encore importante en 1943, faible en 1944 et au début de 1945, et reprendra ensuite sous l’occupation soviétique. Il n’est pas nécessaire d’insister sur les suites de la capitulation sans conditions des nazis. Les juifs survivants, là comme ailleurs, devront lutter pour revenir à l’existence, pour comprendre l’ampleur des pertes parmi les proches et les moins proches, pour retrouver un sens à une société qu’il faut recréer malgré l’immensité des absences. Il n’en reste pas moins que l’existence de l’« hôpital juif de Berlin » reste parmi les plus extraordinaires phénomènes de l’histoire du nazisme, avec ses multiples aspects connus, les nombreuses inconnues qui demeurent, et le caractère presque irréel du sort qui a frappé ses protagonistes. Jean-Luc Bellanger (1) Rappelons la position, qui n’a pas fait l’unanimité, d’Hannah Arendt, pour qui les juifs ont coopéré à leur propre destruction « à un degré extraordinaire », économisant aux nazis « une main d’œuvre dont l’Allemagne ne pouvait se passer ailleurs ». (2) Deux ans plus tard, la Gestapo créera également dans l’emprise de l’hôpital un poste de police et un centre (Sammellager) où seront rassemblés des juifs avant leur déportation. ■ Daniel B. Silver, Refuge en Enfer : Comment l’hôpital juif de Berlin a survécu au nazisme (traduit de l’anglais « Refuge in Hell » par Lydia Zaïd, 2003), André Versaille éditeur, 2011, 304 pages, 22,30 euros.