Pierre Senges - Bibliothèque Diderot de Lyon

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Pierre Senges - Bibliothèque Diderot de Lyon
Cycle de vive voix # 2
Pierre Senges
Bibliographie
Veuves au maquillage, Paris, Verticales, 2000 ; coll. « Points Seuil », 2002.
Un commis aux écritures, et faussaire amateur, veut en finir avec lui-même. Par orgueil ou paresse, il
choisit de mourir assassiné, comme on force le destin à vous planter un poignard dans le dos. Parcourant
la presse, il se passionne pour certaines veuves homicides. Dès leur sortie de prison, il va au-devant d'elles
et entreprend de les séduire. Six veuves tombent sous le charme, sans que ce Landru paradoxal ne
parvienne à ses fins - la sienne -, aucune ne cédant aux tentations de la récidive. Leur fréquentation assidue
lui ouvre cependant d'autres perspectives. Dans ce boudoir philosophique où il mène désormais six vies
conjugales de front, une autre forme de suicide l'attend, fragmentée selon le cérémonial raffiné d'une
chirurgie amoureuse. D'où ce happy end : il ne restera plus grand-chose du narrateur à la fin de son récit.
Tour à tour érudit, libertin, zoologique, subversif, extrême oriental et anatomique, ce premier roman ne se
refuse aucune excentricité, aussi invraisemblable soit-elle. Il est possédé par une force de jubilation que
Pierre Senges a su rendre contagieuse.
Ruines de Rome, Paris, Verticales, 2002 ; coll. « Points Seuil », 2004.
Lierre, ancolie, barbe-de-bouc, ail musqué, cheveu-de-Vénus, renoncule en faux, herbe-au-bitume...
sont, tout à la fois, le décor, les personnages principaux et les insidieux narrateurs de Ruines de Rome,
roman d'une sédition botanique. Un employé du cadastre, qu'une retraite sans flambeaux menace, met sa
misanthropie ordinaire au service des plus noires prophéties : du jardinage considéré comme un des
beaux-arts de l'Apocalypse. Feignant de cultiver son petit lopin de terre, ce paysan amateur et saboteur
authentique couvre la ville de fleurs et d'arbrisseaux décoratifs. Et nul ne devine, derrière l'inoffensif
passe-temps, un travail de sape qui dévaste les murs, soulève le goudron et fait retourner l'urbaine
civilisation à ses friches premières. Semant sa mauvaise graine, il s'arme de patience et d'herbes folles. Il
use du moindre prétexte végétal pour satisfaire ses cruautés drolatiques et laisser libre cours au chiendent
de la rêverie, non sans nouer quelque idylle clandestine avec sa voisine de potager. Rien n'interdit de lire ce
livre comme les Mémoires d'un millénariste, un traité de mutinerie sédentaire, une tragi-comédie à l'eau de
rose, un herbier poétique, sinon comme un pur et simple manuel d'horticulture.
Essais fragiles d’aplomb, Paris, Verticales, coll. « Minimales », 2002.
L'histoire officielle ne connaît que l'ascension et les progrès incessants de l'aéronaval; elle applaudit
les aviateurs, en recueille les débris ou les paroles, et ne cesse d'admirer par en dessous leurs prouesses. En
cas de chute, elle déplore l'accident, signale les fausses manœuvres, maudit même l'imprudent ou le fou
livré au vide sans précautions. Mais il faut se rendre à l'évidence : le nombre de ces chutes est tel qu'il ne
peut s'expliquer simplement par la panne ou l'erreur. Les hommes et les femmes qui, depuis Icare jusqu'à
la Grande Guerre, n'ont pas cessé de tomber, parfois à plusieurs reprises, ne cherchaient pas à connaître
l'ivresse du vol, ni déjouer ses mystères, mais testaient la gravitation, et tombaient pour de bon, parce qu'ils
le voulaient bien.
Géométrie dans la poussière (avec les dessins de Killofer), Paris, Verticales, 2004.
Construite sur le principe des Lettres persanes, la nouvelle de Pierre Senges se compose des notes d’un
Bédouin découvrant la ville – notes à l’attention d’un ami avec qui il a le projet de "bâtir une ville, la prévoir
dans ses moindres détails". Il cherche des explications aux culs-de-sac, s’étonne de la présence des pigeons,
ébauche une science des foules, devise sur les bols de cacahuètes "menant d'une soif à une autre soif". Et en
tant que futur bâtisseur méticuleux de sa propre utopie, il est formel : "le souverain architecte prendra soin"
d'établir une présence régulière de pigeons, de déterminer l'heure exacte à laquelle se croisent les lève-tôt
et les couche-tard, de placer "à intervalles réguliers" des orientateurs pour les étrangers perdus, etc.
En regard, Killoffer superpose dans ses planches en noir et blanc des mouvements de foule, des
visages statiques et citadins. Le dessin se fait peinture par la richesse de la texture et le foisonnement des
détails. Des visions « expressionnistes » d’une certaine géométrie dans la ville.
Cycle de vive voix # 2
La Réfutation majeure, Paris, Verticales, 2004 ; Gallimard, coll. « Folio », 2007.
"D’aucuns ont entendu parler d’un livre intitulé Refutatio major, faussement attribué à don Antonio
de Guevara, dans lequel ledit Antonio prétend qu’il ne peut exister de Nouveau Monde, seulement des
chimères & de malveillantes rumeurs & des inventions colportées par quelques intrigants. Ces mêmes
personnes affirment que les raisons avancées par ledit Antonio sont fort déconcertantes."
Bonaventura d’Arezzo, Propos sur les ombres (1531).
Cette réfutation, majeure en effet, est la suivante : il n'existerait pas de Nouveau Monde,
découvert par Christophe Colomb. Celui qui avait exigé de se faire appeler "l’Amiral de la mer Océane" at-il découvert un nouveau monde ou a-t-il inventé l’Amérique ? La Réfutation majeure, voici un livre qui
réunit tous les livres : le livre d’aventure, la fresque historique, le récit satirique, le livre d’érudition, la
somme philosophique, le libelle polémique, le traité de géographie, l’analyse politique.
L’Idiot et les hommes de paroles, Paris, Bayard, coll. « Archétypes », 2005.
Tiré de son sommeil au beau milieu de l nuit, le collectionneur d’idiots prend volontiers la parole :
s’ensuit la litanie des personnages recueillis au fil des années dans sa propre bibliothèque.
Il ne s’agit pas de fous, pas même de fous géniaux, artistes de la spontanéité. Il ne s’agit pas
d’hommes en camisole livrés à l’admiration du sage qui considère avec bonté que la stupidité recèle une
sagesse plus précieuse. Il ne s’agit pas de bons sauvages, affranchis de l’intelligence – tous les demi-héros
rencontrés dans ces pages tiennent la raison en haute estime.
Ce qui leur fait mériter le nom d’idiot, en hommage au prince Mychkine, créature de Dostoïevski,
c’est bel et bien leur solitude, leur étrangeté, leur bégaiement, et cette façon d’être l’intrus au sein des
grandes communautés : et alors d’attirer les rires.
Sort l’assassin, entre le spectre, Paris, Verticales, 2006.
MACBETH, brandissant son poignard – Vois-tu, Duncan, je n’arrive pas à me défaire d’un doute. J’ai été
Macbeth et je continue de l’être, de cela je suis sûr ; seulement mes souvenirs sont confus et les preuves
m’échappent, si bien qu’il m’est impossible de savoir si j’ai été le vrai roi d’Écosse ou plutôt un comédien
dans le rôle du roi d’Écosse. Tu pourrais peut-être m’aider à me faire une opinion ? Tu connais l’histoire
de ton pays, tu connais la tragédie, et Shakespeare, ça te dit quelque chose. Tu sais que Macbeth est ce
garçon pris de panique pour un rien, capable d’assassiner le roi légitime, le bon Duncan, pour prendre sa
place et régner quelque temps dans la peau de l’usurpateur. Alors, dis-moi, maintenant que je te tiens au
bout de ce poignard, si je suis là pour te divertir comme un clown ou te terroriser comme un tyran.
L’incertitude est douloureuse, tu le sais : la vie n’est qu’une ombre qui…
DUNCAN – Décide-toi une fois pour toutes, Macbeth, qu’on en finisse.(Il meurt.)
Fragments de Lichtenberg, Paris, Verticales, 2008.
En à peine plus d’un demi siècle, Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799) a eu le temps d’être :
un bossu • un mathématicien • un professeur de physique • un amateur de pâté de lièvre • un adversaire de
la physiognomonie • un solitaire • un théoricien de la foudre • un amateur de jupons • un ami du roi
George III d’Angleterre • un asthmatique • un défenseur de la raison • un hypocondriaque • un moribond
• et l’auteur de huit mille fragments plus ou moins brefs écrits à l’encre et à la plume d’oie.
On a toujours voulu voir dans ces fragments autant d’aphorismes à siroter comme du schnaps.
Certains exégètes prétendent pourtant que ces écrits sont en vérité les morceaux dispersés d’un immense
Grand Roman qu’il s’agit de reconstituer, à l’aide de ciseaux, de colle et de papier, et en faisant travailler ce
qui nous reste d’imagination. Le présent ouvrage retrace, entre autres choses, le travail mené depuis un
siècle par ces vaillants lichtenbergiens, de tous pays et toutes générations.
Le lecteur découvrira aussi dans ce nouvel opus de Pierre Senges comment se fabrique l’allumette
soufrée, comment se tord une colonne vertébrale, comment se morcelle un roman-fleuve, comment
s’escamote le huitième nain de Blanche Neige, comment s’inquiète la CIA, comment Polichinelle
rencontre Wolfgang von Goethe, comment on incendie les bibliothèques, comment on donne son nom à
un cratère de Lune et comment on se livre ici à diverses comparaisons.
Cycle de vive voix # 2
Les Carnets de Gordon McGuffin (avec les dessins de Nicolas de Crécy), éd. Futuropolis,
2009.
Publication posthume des carnets du célèbre Gordon Mc Guffin, célèbre même s’il est
soigneusement tu par les histoires du cinéma, ignoré des savants et des cinéphile, alors qu’il a traversé
l’histoire du cinéma d’Hollywood.
Études de silhouettes, Paris, Verticales, 2010.
Franz Kafka a laissé dans ses carnets plusieurs dizaines d’ébauches d’une ou deux lignes, des incipit
suspendus en plein vol qui ne demandaient qu’à être développés plus avant. C’est ce qu’entreprend Pierre
Senges dans ce recueil de croquis en s’appropriant ces bouts de textes abandonnés dans le droit fil de leur
mystère onirique. Il leur invente une seconde nature, entre digression fantaisiste, déconstruction
méthodique et art du récit bref.
Comme souvent chez Senges, l’esprit de sérieux et l’humour iconoclaste s’entremêlent, déjouant les
tentations faciles du pastiche. Ses variations personnelles et hypothèses un peu folles rendent un bel
hommage à Kafka dont la silhouette, noire sur gris, ne cesse de hanter ces Études.