Du bruit dans la maison. Mince… Je ne suis plus seule. Mais quelle
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Du bruit dans la maison. Mince… Je ne suis plus seule. Mais quelle
Chapitre 1 Du bruit dans la maison. Mince… Je ne suis plus seule. Mais quelle heure il est ? Quoi ? Déjà midi cinq ! Et dire que je ne suis toujours pas habillée. Je jette un coup d’œil rapide autour de moi et j’aperçois les c oussins par terre à côté de mes chaussons japonais. Dans ce salon où rien n’est posé au hasard, ça donne des allures de fouillis. Mes pieds sont posés sur la table basse et mon bol de céréales à moitié vide tient en équilibre sur le bord du canapé. C’est sûr, si je ne me bouge pas un peu, je vais subir les foudres maternelles. J’attrape la télécommande, décidée à filer de là rapido… Oh non, ça tombe mal… Pfffu… justement, c’est le clip de Mam’Isaya qui commence. J’adore cette chanteuse. Décidément ! C’est toujours pareil, je joue de malchance. Il 7 toile d’@raignée faut qu’elle passe au moment où je dois m’en aller. Mam’Isaya, c’est de la bombe ! Elle a un corps de déesse qui ondule et sa voix sonne si bien avec ses chansons ! C’est une vraie lionne qui donne envie de relever la tête, d’être fière… Elle me donne la pêche ! Je connais ses chansons par cœur. Du bruit encore. J’éteins la télévision à regret. Vite. Clic. — Ah, tu es là… Salut ! Mais… Qu’est-ce que tu fais dans cette tenue ? Tu sais quelle heure il est au moins ? Tu aurais pu faire un effort… pour une fois… Allez, magne-toi, les parents vont arriver… Béatrix… ma sœur. L’irréprochable grande sœur. De longues jambes fines et musclées. Un look original mais pas trop. Des yeux en amande vert-gris… bon, d’accord, j’ai les mêmes, mais sur son visage ça a un charme fou ! Et puis… des ongles de rêve. Et là, je mentirais en prétendant que j’ai les mêmes ! Je ne sais pas comment elle tient pour les avoir aussi longs, moi qui me les ronge jusqu’au sang… Et ne me dites pas qu’il suffit d’arrêter, j’ai essayé ! Le vernis au goût amer, les promesses d’un petit billet si j’y parviens, des pansements au bout des doigts… J’ai tout essayé, mais rien n’y fait, je continue de les ronger. 8 toile d’@raignée Des cheveux blonds épais. Rien à voir avec les miens qui sont hyperfins. Une bonne élève sérieuse que tous les profs adorent. C’est à n’y rien comprendre. Vous la verriez à la maison, elle se prend pour la chef de famille : elle commande, elle décide, elle me traite comme si j’étais quantité négligeable. Sans oublier les gros mots qui pleuvent quand madame est énervée… Eh bien, vous le croirez si vous le voulez, mais les profs disent d’elle que c’est un ange… Ils devraient venir chez nous, ils ne seraient pas déçus… Avec maman, c’est la même comédie. Elle se fait toute douce, toute tendre, un vrai pot de miel, et maman ne peut rien lui refuser. Je voudrais bien être capable de lui répondre de temps en temps, mais elle a vraiment le chic pour me clouer le bec et ça m’agace. Fan de mangas. Et de son jules : Léon. Béatrix. Ma sœur. Seize ans. Une reine. Gonflante en un mot. Vous aurez compris que je n’ai pas le même caractère. Je suis plus spontanée. Plus maladroite aussi, ça c’est certain. Je ne suis pas une mauvaise élève mais je me grille à cause de la discipline. « Bavarde-trop » pourrait être mon surnom. C’est vrai 9 toile d’@raignée que je parle souvent avec les copines. Surtout avec Mathilde. Elle me fait marrer avec ses mimiques délirantes. Elle a appris ça au cours de théâtre. Elle joue avec l’expression de ses yeux. Ça m’éclate. Du coup, je ne suis pas réellement concentrée durant les cours. Et ça se ressent lors des interros. Les profs ont beau nous séparer, nous placer loin l’une de l’autre, il me suffit de la regarder pour attraper un fou rire. J’accumule les mots sur mon carnet de correspondance et l’heure de colle me guette. Va vraiment falloir que je me calme. Le bonheur, c’est qu’à chaque fois, les profs n’oublient pas de glisser, en plus de la remarque sur mon carnet, la phrase assassine : « Entre votre sœur et vous, la seule ressemblance, c’est votre nom de famille… Béatrix est si sérieuse, si concentrée en cours… » Difficile d’échapper à ce rituel… Au début ça m’a blessée. Et vraiment je me retenais de ne pas leur répondre que la « parfaite Béatrix » était une vraie casse-pieds une fois à la maison… Maintenant, j’y suis habituée. Pas le choix… Être la seconde, celle qu’on compare, ça a des inconvénients, c’est sûr, dont celui-ci, mais d’un autre côté, je dois reconnaître que je profite de ses connaissances, quand je cale en allemand par exemple. Ou quand elle me refile ses résumés en français sur les livres que je dois lire et qu’elle a déjà étudiés il y a deux ans… Au fait, moi, c’est Sancie. 10 toile d’@raignée Quatorze ans. Bientôt. Seconde fille d’une avocate et d’un professeur d’université. Avec un tel pedigree, difficile de ne pas être une élève modèle. Du moins c’est ce que tout le monde espère de moi. Modèle… Ils m’ont bien regardée, non ? Je sens bien quand mes parents sont déçus lors des réunions avec les profs. Ils ne le disent pas mais je le devine. Même avec la meilleure volonté du monde, je suis bien incapable de tenir une heure entière, sans bouger, assise sur une chaise. Je trépigne. J’ai des fourmis dans les pieds. Avec moi, il faut que ça bouge ! Le pire, c’est en cours de SVT. Ce n’est pas que le programme soit plus difficile que dans les autres matières, non, non. C’est juste que je trouve rébarbatif ces tartines de cours à copier… et à connaître ensuite par cœur. À part quand il s’agit des numéros de téléphone des copines, je ne vois pas l’utilité de se fourrer toutes ces choses dans la tête, puisqu’il existe des livres. — Sancie, tu te bouges ? — Oui, c’est bon, je vais y aller. Béatrix soupire. Elle attrape un des coussins au sol pour le remettre à sa place mais je lui retire des mains. Pas besoin de sa mansuétude, je sais ranger seule. Elle soupire à nouveau. Je l’exaspère. 11