L`émergence de la Skype-analyse

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L`émergence de la Skype-analyse
lundi 13 mai 2013 LE FIGARO
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SANTÉ PSYCHOLOGIE
L’émergence de la Skype-analyse
Désormais, la psychanalyse via la vidéotransmission par Internet est possible. Mais est-ce vraiment de l’analyse ?
PASCALE SENK
ÉCRANS Jusqu’à présent, lorsqu’ils racontaient leur passage sur le divan, la
plupart des analysants - comme Pierre
Rey, dans son livre Une saison chez Lacan - évoquaient l’importance d’infimes
détails : le son de la sonnerie à la porte
d’entrée, les plages de silence émaillées
de quelques soupirs… Des micro-informations qui prenaient une densité particulière dans ce cadre de la séance, celle-ci étant comme la caisse de
résonance de leur rapport au réel. Désormais, évoqueront-ils plutôt la taille
de l’écran sur lequel apparaît le visage
de leur psychanalyste, ou les quelques
bibelots apparaissant derrière sa face
pixelisée ?
C’est que la psychanalyse, comme à
peu près tout aujourd’hui, se retrouve
bouleversée par l’arrivée des nouvelles
technologies. Au point que bientôt,
peut-être, on ne dira plus « je fais une
psychanalyse » mais « une Skype-analyse » ? Le terme apparaît désormais partout… Et surtout sur Internet, bien sûr,
où la plupart des psychothérapeutes en
quête de patients annoncent qu’ils travaillent « par MSN et Skype ». Soit, on
peut le comprendre chez ceux qui pratiquent par tradition une thérapie verbale, en face à face et de courte durée.
Mais plus étonnant est l’usage, depuis
deux-trois ans, de la vidéotransmission
chez les tenants mêmes de la plus pure
« doxa » freudienne et lacanienne,
ceux-là mêmes qui ne pouvaient envisager leur clinique qu’à travers un dispositif établi une fois pour toutes : le divan, les séances régulières, le paiement
en argent cash. Que s’est-il passé pour
qu’une telle évolution s’accélère ?
Mais on peut imaginer que dans des villes comme Londres ou Tokyo, où le trafic automobile et la difficulté à se garer
rendent quasiment impossible 3 ou 5
séances hebdomadaires chez son psy, le
processus devrait s’étendre.
Si celui-ci a déjà pris comme feu de
paille, il reste cependant difficile de rencontrer un psychanalyste français déclarant clairement qu’il suit des patients
en analyse « via Internet ». Former des
étudiants, oui. Diffuser ses connaissances théoriques, oui. Mais mener une
cure comme sur le divan, non.
La psychanalyste Viviane Thibaudier,
auteur d’un 100 % Jung (Éd. Eyrolles), si
elle considère que Skype permet pour
certains un « véritable travail sur l’inconscient », insiste sur le fait que celuici ne peut se faire que dans des conditions précises : « Cela fait près de dix ans
que je travaille sur Skype, mais uniquement lorsqu’il y a une immense distance
qui rend un autre mode de travail impossible (Brésil, Chine, Japon). J’ai pour ma
part “toujours” rencontré avant les personnes, avec lesquelles j’ai également
travaillé sur place ou qui sont venues en
France. »
Car il y a un grand absent lors d’un tel
procédé : le corps. « La vidéotransmission ne peut être qu’un pis-aller car un
nombre très important d’informations
passe par l’extraverbal. Là, les corps sont
virtuels, et les paroles ne sont que des paroles… Les affects sont amortis par la distance et l’écran », estime la psychanalyste Monique Bydlowski.
Jamais la nécessité d’une réelle présence des deux acteurs d’une analyse
(l’analyste et le patient) ne s’est donc
autant fait sentir. Cela devrait forcément faire bouger une pratique très
controversée de nos jours, et justement
pour la « distance » qu’elle s’impose. ■
La vidéotransmission
ne peut être
qu’un pis-aller
car un nombre
très important
d’informations
passe par
l’extraverbal
MONIQUE BYDLOWSKI,
PSYCHANALYSTE
»
Une idée venue de Chine
La mondialisation, d’abord. Ainsi, deux
pays sont hautement responsables de la
diffusion de la Skype-analyse : les
États-Unis et la Chine. Membre de l’IPA
(International Psychoanalytic Association), la New-Yorkaise Elise Snyder a
dès 2009 lancé un projet Skype pour
former des analystes chinois via Internet. L’idée lui en est venue lors d’une
série de conférences à Chengdu, pendant lesquelles de nombreux étudiants
lui ont vanté les mérites de la vidéotransmission. « Vivant sur un territoire
très étendu, les Chinois ont l’habitude de
communiquer ainsi, précise le psychanalyste Philippe Porret, auteur de La Chine
de la psychanalyse (Éd. Campagne Première). Leur demande de formation par
ce moyen ne s’est pas fait attendre… Ce
sont eux qui ont donné l’impulsion et les
Américains, qui chez eux vivaient une
grande perte de vitesse de la pratique
psychanalytique, ont saisi cette idée discutable que la psychanalyse pouvait
s’exercer “de loin”. Mais en réalité, ils ont
communiqué bien plus qu’ils n’exerçaient
la psychanalyse. »
Quoi qu’il en soit, le mouvement était
engagé. Le Dr Elise Snyder a, depuis les
premières Skype-séances, créé une organisation, la Capa (China American
Psychoanalytic Alliance) et l’an dernier
la liste des patients chinois en analyse
« virtuelle » avec des analystes bénévoles s’élevait déjà à quarante et un.
C’est donc le besoin de formation qui
a secondairement intensifié la Skypeanalyse et l’a étendue jusqu’en France.
« Un premier apport est d’aider les gens en détresse »
JEAN-BAPTISTE STUCHLIK est
psychosociologue. Il vient de publier, avec Christophe Deshayes,
le Petit Traité du bonheur 2.0
(Éd. Armand Colin).
DOCTEUR
JEAN-BAPTISTE
STUCHLIK
Psychosociologue
LE FIGARO.– Dans votre livre,
vous montrez que les liens entre
psychisme et Internet sont
désormais inévitables et qu’ils
s’avèrent même profitables…
Jean-Baptiste STUCHLIK.– Oui,
vouloir séparer notre vie psychique de l’usage d’Internet serait
évidemment artificiel, car rien
de ce que nous faisons n’est
étranger à notre psychisme. Tout
ce que nous captons sur les
écrans suscite en nous des émotions et des représentations. Or il
est maintenant possible de favoriser l’émergence d’émotions
positives grâce aux nouvelles
technologies.
Par rapport aux différentes
approches psycho-
thérapeutiques, qu’apportent
les nouvelles technologies ?
Je crois qu’un premier apport est
de réussir à aider des gens en détresse qui n’iraient pas spontanément voir un médecin ou un thérapeute. Les réseaux sociaux de
soutien dédiés aux adolescents
qui se découvrent homosexuels
sont par exemple très efficaces.
Or ces adolescents qui ne consultent pas facilement se suicident
treize fois plus que les autres du
même âge. Un autre apport réside dans la continuité. C’est le cas
quand on échange avec son thérapeute par SMS ou « Chat ».
Plus qu’une modalité renforcée
de soutien psychologique, c’est
une incitation et un encouragement pour le patient à continuer
le travail sur lui-même entre les
séances, ce qui est essentiel dans
toute thérapie, qu’elle soit classique ou via Internet.
Mais le fait que ce face-à-face
passe par un écran n’a-t-il pas
une influence spécifique ?
Il a été prouvé que le face-à-face
est positivement impactant chez
l’humain, même lorsqu’il se produit par l’intermédiaire d’un
écran. On élabore mieux, on crée
davantage d’engagement, l’alliance thérapeutique est meilleure
qu’au téléphone notamment. En
revanche, le silence est plus anxiogène sur Skype, ce qui bouscule le cadre thérapeutique classique : les psychanalystes ne
peuvent plus se contenter de rester silencieux. Autres particularités de l’écran : il est plus compliqué de se regarder dans les yeux, à
cause du décalage de position entre webcam et écran, et le débit
verbal peut être interrompu par
des difficultés techniques… Pour
toutes ces raisons, il est préférable
que patient et psychothérapeute
se soient rencontrés physiquement au moins une fois. Un principe de bon sens quand on sait
qu’une telle recommandation
s’impose aussi pour le banal télétravail entre collègues.
Quelles autres évolutions
technologiques sont à même
de nous aider psychiquement ?
Toutes les applications autour de
la gratitude, et qui nous invitent à
stocker sur nos mobiles nos
meilleurs souvenirs, nos photos
préférées, les textes qui nous inspirent, les listes des exercices
physiques qui nous font du bien…
Ces outils contrebalancent la
tendance naturelle à se rappeler
davantage les mauvaises expériences, distorsion de la mémoire
particulièrement active chez les
personnes dépressives et qui fait
baisser l’estime de soi. On peut
les emmener partout, les transporter avec soi… Ils permettent
donc de s’auto-administrer un
« recadrage positif » immédiat
lorsque cela s’avère nécessaire. ■
PROPOS RECUEILLIS PAR P. S.
A
La santé de la biodiversité conditionne celle des humains
Les médecins soignent les corps, les
écologues soignent la planète. Tel est le
« slogan » que l’on retiendra du livre
Notre santé et la biodiversité, qui réunit
vingt contributions d’experts,
médecins, vétérinaires,
épidémiologistes, chercheurs… Et cela
de manière extrêmement convaincante,
étayée par une foultitude d’exemples
et d’études non contestées.
Chacun est en droit de s’interroger
sur les liens entre la biodiversité et notre
santé. Penser que la nature est source de
maladies, d’infections, de beaucoup de
pathologies, qu’elle est en quelque sorte
un danger pour nous, est très répandu. Et
cela n’est pas faux. Le livre, bien sûr, le
reconnaît. Mais c’est sur la façon dont
l’homme tente d’y remédier, en
aggravant souvent les choses, ou
également sur l’émission à grande échelle
de polluants divers et variés, souvent
invisibles, que ce concentrent les textes.
Ainsi des animaux porteurs de maladies
transmissibles à l’homme.
Dans les années 1970, la rage réapparaît
en France. « C’est une maladie grave,
effrayante, qui tue encore aujourd’hui
des milliers de personnes dans le
monde. » Les pouvoirs publics
réagissent donc vite et fort. La chasse
au renard, l’un des réservoirs sauvages
du virus, est lancée. Les chasseurs s’en
donnent à cœur joie. Mais il y a un mais.
Car une telle campagne d’éradication,
pour des raisons d’éthologie de la vie du
renard (territorialité exacerbée), ne fait
qu’amplifier la contamination des
animaux. Sans compter que la
diminution du nombre de renards (mais
LE PLAISIR
DES LIVRES
PAR SOLINE ROY
[email protected]
avec plus de renards contaminés) laisse
place par exemple aux rongeurs,
porteurs eux aussi de parasites comme
ceux de la maladie de Lyme. À en croire
les auteurs, la bonne solution était
suisse : l’emploi d’appâts de nourriture
contenant un vaccin antirabique. Autre
bouc émissaire plus récent, les
blaireaux, face à la recrudescence de la
tuberculose bovine… Faut-il les
exterminer ?
On parle beaucoup depuis quelques
années du sras ou de la grippe aviaire.
Dans ce dernier cas, les oiseaux
migrateurs « sauvages » ont été très vite
accusés de disséminer cette grippe.
Or leurs migrations ne correspondent
pas au trajet de la progression de
l’épidémie. Et la fermeture des derniers
élevages de volailles de plein air n’y
changera rien puisque l’épidémie
progresse par le commerce des volailles,
surtout des poussins, et explose
dans des établissements d’élevage
intensif fermés.
Ces experts ne plaident pas, bien
au contraire, pour le « laisser faire ».
Plutôt pour prendre des décisions
modernes et réfléchies. Ainsi, il faut être
conscient que « dans un milieu donné,
plus les hôtes et les non-hôtes d’un
parasite sont nombreux et variés, plus la
prévalence de ce parasite est faible. (…)
Plus un écosystème est riche,
moins un pathogène pourra aisément
s’y installer ». Il y a aussi de nouveaux
gestes à respecter, sur le recyclage
correct des médicaments par exemple.
Un ouvrage riche, posé, qui propose
des solutions et des pistes de réflexion.
À consommer, pour
ne fois, sans
modération. Bonne
lecture…
NOTRE SANTÉ
ET LA BIODIVERSITÉ
Ouvrage collectif sous
la direction de Serge
Morand et Gilles
Pipien. Buchet Chastel. 240 p., 20 euros.